atrois on a moins froid texte systĂšme scolaire français avantages inconvĂ©nients By In temps cuisson soupe cocotte minute seb Add Comment Les Abeilles ExpliquĂ©es Aux Maternelles , ÙÙ
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Cet article date de plus de trois ans. Publié le 06/05/2019 1757 Durée de la vidéo 1 min. FRANCE 3 Article rédigé par Le mois de mai 2019 est particuliÚrement froid. Les viticulteurs s'inquiÚtent pour leurs récoltes et tentent par tous les moyens de protéger leurs vignes. En ce mois de mai, il fait un froid d'automne. A l'inverse, cette année, en plein hiver, les températures étaient douces. Une météo terrible pour les viticulteurs qui tentent désormais de protéger leurs vignes du gel. Dans le Loir-et-Cher, des bougies de paraffine et des feux de branchage ont été allumés pour éloigner le froid. Il a fallu attendre 6 heures du matin, lundi 6 mai, pour que les viticulteurs commencent à souffler. Toute la nuit, un vignoble de Touraine a eu comme bruit de fond la soufflerie des 27 tours antigel. Elles servent à brasser l'air pour le réchauffer et à assécher les bourgeons pour qu'ils souffrent moins en cas de givre. En Savoie, la température au lever du jour est tombée en dessus de 0. Les vignerons ont donc allumé des feux pour réchauffer l'atmosphÚre. Une lutte pied à pied contre le gel qui devrait se poursuivre dans la nuit du lundi 6 au mardi 7 mai. En Savoie, comme en Alsace, un nouvel épisode de froid est annoncé.
Ficheproduit Amazon. Câest ma collĂšgue Maya qui mâa fait dĂ©couvrir ce petit album A trois on a moins froid, quâelle exploite avec ses TPS-PS.
La littĂ©rature italienne a offert il y a quelques annĂ©es un roman intitulĂ© Le goĂ»t amer de la justice, dont le narrateur, Andrea Marigliano, est un jeune avocat pĂ©naliste de n'est rien de plus Ă©vident - et a priori allĂ©chant pour tout lecteur - que de situer une fiction judiciaire en Italie, Ă la fois berceau . Il s'agissait d'aboutir Ă un seul texte Ă partir de trois rĂ©dacteurs, une vraie gageure pour un texte court ! Comme il fait nuit, le dĂ©panneur ne pourra pas venir rĂ©parer avant demain matin. A Trois on a moins froid. Exploitation PS sur ce blog. ComprĂ©hension d'un texte lu par la maitresse DĂ©coupe et utilise les Ă©tiquettes des 3 animaux de l'histoire Ă trois on a moins froid » pour faire l'image de la fin de l'histoire. A trois on a moins froid est une histoire d'entraide entre trois amis confrontĂ©s au froid hivernal. DeuxiĂšme partie⊠Delphine Duhoux Bas les masques. Charte dĂ©partementale des Atsem. AllongĂ©e sur mon lit, je repense Ă tout ce que l'on a vĂ©cu tous les deux, Ă tous ces moments d'amour. 2 mars 2019 - DĂ©couvrez le tableau "a 3 on a moins froid" de Mumu Rigo sur Pinterest. Du texte Ă la phrase ⊠Grammaire dans la phrase; Orthographe grammaticale; Orthographe lexicale; Fabriquer un livre; InfĂ©rences; Types de texte; PoĂ©sie; Production Ă©crite; Production orale; Moyens d'enseignement; Jeux; Ecriture et intr. Dcouverte du monde - les sens Dis. Nietzsche, Le gai savoir 74 Justice Ă l'italienne. Voici le fruit de ces Ă©changes. Textes de rĂ©fĂ©rence. La vie d'ma mĂšre comme il est beau. La reine des fourmis Ă disparu. Pour la premiĂšre fois depuis le dĂ©but de l'annĂ©e j'ai l'impression que mes petits bouts accrochent! LĂ©a les accueille bien volontiers. DĂ©couvrez des commentaires utiles de client et des classements de commentaires pour A trois on a moins froid sur ComprĂ©hension d'un texte lu par la maitresse DĂ©coupe et utilise les Ă©tiquettes des 3 animaux de l'histoire Ă trois on a moins froid » pour faire l'image de la fin de l'histoire. DĂ©couvrez A trois on a moins froid, de Devernois, Elsa sur ThĂšmes Animaux des champs et des bois , Ăcureuil , Entraide / SolidaritĂ© , HĂ©risson / Porc-Ă©pic , Hiver , Lapin / LiĂšvre Vous pouvez aussi trouver ici des exercices sur les lapins. TOP 10 des citations froid de cĂ©lĂ©britĂ©s, de films ou d'internautes et proverbes froid classĂ©s par auteur, thĂ©matique, nationalitĂ© et par culture. A trois on a moins froid Elsa Devernois et Michel Gay C'est l'hiver, il fait trĂšs froid et le hauffage ne marhe plus hez KIPIC le hĂ©risson. Il dĂ©couvre tout ça. a trois on a moins froid narramus. Elle a vĂ©cu la, il y a trois million d'annĂ©e. 2020 - Explorez le tableau A trois on a moins froid » de Virginie Menard, auquel 386 utilisateurs de Pinterest sont abonnĂ©s. SĂ©ance 2 DĂ©couverte du livre . _____! Ils tentent de dormir blottis l'un contre l'autre pour se donner chaud, maisâŠ. A trois on a moins froid Mardi 11 fĂ©vrier Depuis 2 semaines, nous travaillons sur l'album A trois on a moins froid. Rapport IGEN Scolarisation des moins . VidĂ©os de nos petits spectacles Ă ne pas manquer ! L'objectif visĂ© est le travail de la comprĂ©hension et du rappel de rĂ©cit Ă partir de textes lus ou racontĂ©s par l'enseignant, d'abord sans prĂ©sentation des illustrations. TĂ©lĂ©charger le A TROIS ON A MOINS FROID - ePub, PDF, TXT, PDB, RTF, FB2 & Audio Books. Edith Grosse Conteuse spectacles, animations autour du livre, du conte, des comptines CPE, bibliothĂšques, Ă©coles . Les avis publiĂ©s font l'objet d'un contrĂŽle automatisĂ© de Rakuten. Nous rĂ©alisons des invitations,une affiche. Note pĂ©dagogique dĂ©partementale 2015 sur l'Ă©cole maternelle. Le lapin fait de mĂȘme. A partir de 2-3 ans. Signaler un abus. Les personnages de l'album Ă imprimer, platifier et munir d'un bĂąton ou d'une paille pour faciliter le mime des scĂšnes par les enfants. 5 juil. Abbaye A mon Ăąge, on tue le temps avant de mourir ». A TROIS ON A MOINS FROID Elsa DEVERNOIS et Michel GAY L'Ă©cole des loisirs PS-MS C'est l'hiver, il fait froid. Ă trois, on a moins froid; Ă trois, on a moins froid RĂ©sumĂ© ; 1 occasion Ă 21âŹ21; Prix standard . Ă trois on a moins froid ~ A . B 6 erreurs Ă corriger La statu de la LibertĂ© et un tĂ©moignage de l'amitiĂ© franco-amĂ©ricaine. Ajouter un commentaire . Les derniers gĂ©ants. L'exploitation pĂ©dagogique d'un album pour les petits. 2020 - Explorez le tableau A trois on a moins froid » de Virginie Menard, auquel 408 utilisateurs de Pinterest sont abonnĂ©s. Dans notre pays, les gens ne lisent pas beaucoup. Son ami l'Ă©cureuil aussi. 2Contrat didactique VoilĂ comment nous allons faire tout d'a ord, je vais vous lire une histoire. Contact Etienne Joannes. Programme 2015 et documents ressources Eduscol. tu dois dessiner oĂč ils sont et tu dois les mettre exactement comme ils sont Ă la fin de l'histoire. Voici la rĂ©alisation des Ă©lĂšves de la classe maternelle, effectuĂ©e suite Ă l'Ă©tude de l'album "A trois on a . A trois on a moins froid. Elsa Devernois - Michel Gay. Dans un texte publiĂ© par le bulletin de l'Ăcole polytechnique, l . CommentĂ© en France le 7 mars 2020 . 16 aoĂ»t 2021 - DĂ©couvrez le tableau "A trois on a moins froid" de Anne claassens sur Pinterest. Nous avons mis en scĂšne l'histoire "A trois on a moins froid" PubliĂ© par DolorĂšs Ă 0928. Au Temple protestant de Londres. Il crie AĂŻe, tu me piques ! de la comm. Signaler un abus . Les Quilles Ă La Vanille. Texte de Elsa Devernois. Je compte jusqu'Ă . Texte qui se rĂ©pĂšte,facile Ă comprendre pour les petits. GERMINAL 1885 EMILE ZOLA 1840 - 1902 PREMIERE PARTIE - I, I Dans la plaine rase, sous la nuit sans Ă©toiles, d'une obscuritĂ© et d'une Ă©paisseur d'encre, un homme suivait seul la grande route de Marchiennes Ă Montsou, dix kilomĂštres de pavĂ© coupant tout droit, Ă travers les champs de betteraves. De notre cĂŽtĂ©, nous Ă©tions plusieurs â frĂšres, sĆurs, beaux-frĂšres et belles-sĆurs â Ă ressentir des symptĂŽmes. DerriĂšre cette appellation effrayante se cache une toute nouvelle espĂšce de ptĂ©rosaure, Thanatosdrakon amaru, dĂ©couverte en Argentine. Voici un petit dossier que j'ai fait pour exploiter l'album "a trois on a moins froid" ici. Texte de Elsa Devernois. comptines et poĂ©sies. Envoyer par e-mail BlogThis! Avez-vous trouvĂ© cet avis utile ? 4 fĂ©vrier 2015, par Grenoble - Ecole PAUL BERT primaire - Prof01822. 10. Albums Albums 3-6 ans Albums 6-9 ans Albums 9 ans et plus Abecedaires Heros et series Albums sans texte Albums poche Recueils d-histoires Livres jeux Tirages epuises albums Livres animes Pop-up Leporello Kamishibai d'environ 20 ans. FrĂ©nĂ©tiquement il se baisse, se relĂšve, esquisse les signes de croix, les gĂ©nuflexions, raccourcit tous ses gestes pour avoir plus tĂŽt fini. Deux trangers avancent dans le froid et cherchent un abri. texte 4 - Toc, toc, toc ! Voir plus d'idĂ©es sur le thĂšme froid, album maternelle, album. Livraison Normale gratuit Livraison Ă votre domicile, sans suivi de votre livraison LivrĂ© entre le 07/02 et le 10/02 Livraison Suivie 3⏠Livraison Ă votre domicile avec suivi de votre livraison LivrĂ© entre le 05/02 et le 10/02 Acheter en 1 . Exploitation PS sur Ecole petite section . Au bonheur que je ressens depuis que je t'ai Ă mes cĂŽtĂ©s. Texte 1 Kipic le hĂ©risson a froid. Voir plus d'idĂ©es sur le thĂšme froid, maternelle, album maternelle. OGEC; APEL; Agenda Ă©cole ; Contacts; RPI; Recherche pour Rechercher. trĂšs belles illustrations. A trois on a moins froid. » A trois on a moins froid de Michel Gay. Je vais utiliser entre autres l'album "A trois on a moins froid". Elsa Devernois et Michel Gay. ! 0 Connexion; 0 Mon panier; Exposition Albin de la Simone - Dessins Pour la premiĂšre fois Ă Londres, le chanteur-compositeur prĂ©sente ses dessins qui racontent avec humour et dĂ©licatesse le quotidien de sa vie de tournĂ©e. Accueil les classes TPS-PS-MS-GS cahier de vie "A trois on a moins froid" "A trois on a moins froid" Myriam Maindron 10 fĂ©vrier 2021 10 fĂ©vrier 2021. Ecriture; Ecriture-prĂ©nom; Ecriture des chiffres; Graphisme; MotricitĂ© fine; Feuilles de route; Allemand; Anglais Dcouverte du monde - les sens Dis. SĂ©ance 2 DĂ©couverte du livre . Des fossiles de ce gigantesque dinosaure ont Ă©tĂ© . A la dĂ©couverte des animaux Ca n'existe pas! EntrĂ©e libre. 1PrĂ©sentation enjeux d'apprentissages Nous allons maintenant travailler en lecture avec un album. Exploitation PS Ă GS sur materalbum. 19 janv. fĂ©vrier 14, 2021 1 min read . Une . Charte dĂ©partementale des Atsem. cahier de textes; Temps forts; Associations. Nietzsche, Le gai savoir 74 Justice Ă l'italienne. Quelles en sont les raisons ?, Ă votre avis ? Ă peine s'il Ă©tend ses bras Ă l'Ăvangile, s'il frappe sa poitrine au Confiteor. Il la baptisĂšres Lucy. A trois on a moins froid . Projet marionnettes "A trois on a moins froid" Les enfants rĂ©alisent les dĂ©cors et les marionnettes afin de prĂ©senter un spectacle aux autres classes francophones. 4 avis . J'ai passĂ© ma vie Ă croire en l'Amour. ŰšŰč۶ ۧÙÙ
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Ù۱۱ ۧÙۧÙÙÙ ŰšŰ§Ù Sujets de production Ă©crite 1. Son ami l'Ă©cureuil aussi. Elle a Ă©tĂ© ce matin on a fait un travail sur la couverture de kipic, en commencant par faire le quadrillage en pate a modeler PostĂ© par debwawa Ă 1657 - Permalien Article prĂ©cĂ©dent 30/12/2013 COLLECTION "LE CORPS HUMAIN" j'ai . L'Ă©lĂ©gance n'a d'importance que si l'on y pense. Les ressources d'une maitresse remplaçante. Texte 2 Touffu a une idĂ©e, il se met entre Kipic et l'Ă©cureuil et ils s'endorment. La montagne d'Esmeralda Atlas des geographes d'Orbae Le pays des frissons Atlas des geographes d'Orbae Grand Ours. En salle de motricitĂ©, nous jouons Ă raconter l'histoire des 3 amis⊠Il y a des hĂ©rissons bleu, des Ă©cureuils rouge et des lapins jaune qui se promĂšnent autour des maisons cerceaux. Livraison rapide. Nous avons travaillĂ© sur l'histoire A trois on a moins froid », nous l'avons mise en scĂšne. Notre livre coup de cĆur du moment. Elsa Devernoy a tout d'abord exercĂ© de nombreux mĂ©tiers avant de se consacrer entiĂšrement Ă l'Ă©criture. Lisez des commentaires honnĂȘtes et non biaisĂ©s sur les produits de la part nos utilisateurs. A trois on a moins froid. Comme il fait nuit, le dĂ©panneur ne pourra pas venir rĂ©parer avant demain matin. A trois on a moins froid de Elsa Devernois - Ăditeur Ecole des Loisirs L' - Livraison gratuite Ă 0,01⏠dĂšs 35⏠d'achat - Librairie Decitre votre prochain livre est lĂ Apparemment, javascript est dĂ©sactivĂ© sur votre navigateur. Programme 2015 et ressources d'accompagement. Voir plus d'idĂ©es sur le thĂšme froid, maternelle, album maternelle. Il ne marche plus non plus chez Casse-Noisette, l'Ă©cureuil. Autour de l'album A trois on a moins froid » Fiches MS discrimination visuelle Fiches GS Autour du conte Les trois petits cochons » Fiches MS lecture, et ranger par ordre de taille Fiches GS lecture Et aussi des images sĂ©quentielles 1,2 Mo pour un travail de langage en atelier dĂ©crire l'image, les remettre dans l'ordre⊠Photo DP. Moins froid dedans qu'en plein hiver » Il crie AĂŻe, tu me piques ! A trois on a moins froid Elsa Devernois et Michel Gay Dehors, il fait trĂšs, trĂšs froid. Oui Non. Achat vĂ©rifiĂ©. Kipic le hĂ©risson et Casse-noisette l'Ă©cureuil sont tous deux en panne de chauffage. Rapport IGEN Scolarisation des moins . Voir plus d'idĂ©es sur le thĂšme maternelle, herisson, froid. Charte dĂ©partementale des ATSEM. Ils vont dormir l'un contre l'autre. ComprĂ©hension d'un texte lu PS-MS- Janvier A trois on a moins froid » Elsa Devernois et Michel Gay/ Ecole des loisirs. Produits similaires. Le style mais surtout le fond reste sombre et trĂšs pessimiste avec des savant plus ou moins fous, des invasions et finalement, un . Audrey FAGOT. Minilivre A trois on a moins froid Mini-livre et marottes A trois on a moins froid d'Elsa Devernois et Michel Gay GrĂąces aux belles images sĂ©quentielles trouvĂ©es sur le site qui propose de nombreuses autres images d'albums, le travail Ă©tait presque faitun grand merci Ă cet enseignant partageur. 5,0 sur 5 Ă©toiles Coup de coeur. C'est l'hiver, il fait trĂšs froid, et le chauffage ne marche plus chez Kipic, le hĂ©risson, ni chez Casse-Noisette, l'Ă©cureuil. Partager sur Twitter Partager sur Facebook Partager sur . Ă©cureuil mammifĂšre; froid; hĂ©risson mammifĂšre; lapin mammifĂšre; livre pour enfants; solidaritĂ© RĂ©sumĂ© C'est l'hiver, il fait trĂšs froid et le chauffage ne marche plus chez Kipic, le hĂ©risson. Atome De Calcium Configuration Ă©lectronique, Peugeot Kisbee 4t, Grille Indiciaire Adjoint Technique Principal 1Ăšre Classe, Sujet Ens 2020 Maths, Islam Devierger Avant Le Mariage, Corp De Ferme Ă RĂ©nover 77, Sonia Devillers Enceinte, Ă©valuation Les Types De Phrases Ce2 La Classe Bleue, a trois on a moins froid texte
CartographieAtlante du rĂ©seau de froid urbain parisien, Ă partir de donnĂ©es publiques disponibles sur Climespace et data.gouv.fr. On le sait peu mais, avec 75 km de canalisation desservant plus de 650 clients soit plus de 6 millions de m 2 rafraichis, la Ville de Paris possĂšde le rĂ©seau de froid le plus important dâEurope. Deux choses en sont Ă lâorigine : une erreur
Eleveuse de volailles dans l'Orne, Daniela Simonet est enceinte. Pour assurer la continuitĂ© de son exploitation, elle devait ĂȘtre remplacĂ©e. Mission difficile. Par RĂ©daction L'Aigle PubliĂ© le 9 DĂ©c 21 Ă 928 MalgrĂ© la situation critique, DaniĂšla ne perd pas son sourire lĂ©gendaire et sa bonne humeur. ©Le RĂ©veil NormandVous avez dĂ©jĂ peut-ĂȘtre croisĂ© Daniela Simonet, Ă©leveuse de volailles pour les CouvĂ©es de Brullemail Orne, sur le marchĂ© de Courtomer et aux alentours. Enceinte de plus de sept mois, elle ne trouvait pas de remplaçant. Depuis, une solution a finalement Ă©tĂ© quelquâun pour prendre sa relĂšve pendant ses six mois de congĂ© maternitĂ©, a relevĂ© du parcours du combattant. Elle nâest pas la seule dans ce cas-lĂ . La plupart du temps, les femmes sont obligĂ©es de travailler jusquâau bout », regrette lâagricultrice. Elle avait bien trouvĂ© une personne cet Ă©tĂ©, qui a finalement renoncĂ©, au regard la charge de travail Ă assurer. Un confort pour nous »Celle-ci avait Ă©tĂ© recrutĂ©e grĂące au Service de remplacement, antenne gĂ©rĂ©e par des bĂ©nĂ©voles, en lien avec la MSA MutualitĂ© Sociale Agricole et la chambre dâagriculture », explique Daniela. Elle ne touchera pas dâindemnitĂ©s pendant son arrĂȘt, mais le Service de remplacement prend en charge lâintĂ©gralitĂ© du salaire du vraiment un confort pour nous, ça permet aux agriculteurs de prendre des vacances, ou mĂȘme aux futurs papas, d'eux aussi avoir un congĂ© paternitĂ©, ils font un travail voilĂ , lâassociation, au rayonnement trĂšs localisĂ©, manque cruellement de bras, pour pouvoir assurer les besoins. On a un travail trĂšs difficile, et physique, et on entre dans une pĂ©riode hivernale, plus contraignante, il fait froid et câest moins romantique », sourit Daniela. DĂ©jĂ maman de trois enfants, la quarantenaire aimerait pouvoir profiter de son bĂ©bĂ© Ă la naissance, et sâĂ©viter du stress et les contractions quâelle a dĂ©jĂ Ă cause de la situation quâelle câest spĂ©cifique, plus câest difficilePrĂ©sident du service de remplacement du secteur Le MĂȘle-Courtomer, Emmanuel Daguier Ă©tait porteur de bonnes nouvelles en fin de semaine derniĂšre. Une solution semble avoir Ă©tĂ© trouvĂ©e pour Daniela Simonet mais cela permet de confirmer ce que nous constatons gĂ©nĂ©ralement. Trouver des remplaçants pour des exploitations laitiĂšres, câest assez simple. Mais quand la demande est spĂ©cifique comme ici câest beaucoup plus difficile ». Chez Daniela, il faut non seulement sâoccuper des volailles mais il faut aussi assurer la commercialisation et ce nâest pas si simple ». Emmanuel Daguier explique que la cheffe dâexploitation avait dĂ©jĂ trouvĂ© une solution. Sauf que la personne lâa laissĂ© tomber au bout de quelques jours. Il y a des gens sans scrupule aujourdâhui et il y a aussi des gens qui nâont pas envie de travailler ». Pourtant, le service de remplacement, dont la fonction est notamment de rĂ©pondre Ă des cas de forces majeures et des urgences parfois du jour au lendemain, ne manque pas de sollicitations. Sur notre secteur du MĂȘle-Courtomer, nous avons de plus en plus dâheures. Nous avons parfois des enfants dâagriculteurs qui connaissent le mĂ©tier, mais ensuite ils sâinstallent. Nous avons toutefois du personnel en CDD qui travaillent quasiment toute lâannĂ©e, mais cela reste un peu prĂ©caire câest vrai ».Une vie meilleureBien que Jean-Philippe, son mari et conjoint collaborateur, lâaide le week-end, elle recherche tout de mĂȘme quelquâun pour assurer la partie commerciale des marchĂ©s, et lâĂ©levage de ses volailles pendant six a construit les CouvĂ©es de Brullemail de ses mains il y a Ă peine deux ans. AprĂšs une reconversion professionnelle, elle a dĂ©cidĂ© de devenir agricultrice, pour une meilleure vie, plus simple, et pour que les enfants profitent de la vie Ă la campagne ».TrĂšs impliquĂ©e dans son activitĂ©, il deviennait urgent pour Daniela de trouver un remplaçant, pour pouvoir profiter de sa famille tout en faisant perdurer son en ce moment sur ActuCet article vous a Ă©tĂ© utile ? Sachez que vous pouvez suivre Le RĂ©veil Normand dans lâespace Mon Actu . En un clic, aprĂšs inscription, vous y retrouverez toute lâactualitĂ© de vos villes et marques favorites.
Voiciun rĂ©capitulatif des exploitations dâalbums que vous trouverez sur ce blog. A tĂ©lĂ©charger, essentiellement des imagiers, des fiches pour les Ă©lĂšves et des jeux. Un peu perdu Toujours
Bon Pote January 13, 2022 Mis Ă jour le 9 March 2022 30 Comments Texte de Gildas VĂ©retAu XXIe siĂšcle, est-ce vraiment possible de vivre dans un pays dĂ©veloppĂ© en Ă©mettant moins de 2 tonnes de CO2e par an ?Petit rappel cette Ă©tape est indispensable pour pouvoir atteindre la neutralitĂ© carbone, respecter les engagements de notre pays et conserver une planĂšte habitable. Pour ĂȘtre franc oui et vraiment possible ?OUI on lâa fait ! Cela veut dire savoir cuisiner des lĂ©gumineuses de beaucoup de façons dĂ©licieuses, mettre son vĂ©lo dans un train pour aller travailler, installer un Linux pour faire durer un vieil ordi, avoir des sacs et des boites rĂ©utilisables pour faire ses courses et sâhabiller surtout dâoccasion. Ăa demande quelques efforts, mais câest satisfaisant et ça peut devenir franchement marrant si lâon fait partie dâune communautĂ© oĂč câest valorisĂ© ex les rĂ©sistants climatiques.Surtout, ce nâest rien Ă cĂŽtĂ© des efforts » quâil nous faudrait fournir pour sâadapter » Ă un monde avec plusieurs milliards de migrants, des guerres et des famines partout et une France dont lâhabitabilitĂ© serait remise en question »⊠à 2tCO2e aujourdâhui, on peut travailler, utiliser internet, se dĂ©placer partout en France, avoir un logement bien chauffĂ©, des loisirs, des amis et respecter lâaccord de en fait le chiffrage ci-dessus est fourni hors services publics ». En effet, la part actuelle des Ă©missions des services publics sâĂ©lĂšve Ă environ 1,5 tCO2eq/pers/an entre 1,1t et 1,7t. En somme, avant mon petit dĂ©jeuner, lâessentiel de mon budget carbone a dĂ©jĂ Ă©tĂ© dĂ©pensĂ© pour faire marcher les Ă©coles, les hĂŽpitaux, la recherche, les administrations, lâarmĂ©e. Et franchement, moins de 500 kgCO2e/an en France, dans un mode de vie insĂ©rĂ© Ă la sociĂ©tĂ© », pour lâinstant, on ne sait pas cela nâa rien de rĂ©dhibitoire, vu que la loi prĂ©voit une division par 6 et plus de nos Ă©missions ». Une fois que la dĂ©carbonation de lâĂ©conomie et des services publics que cela implique sera rĂ©alisĂ©e on parle de 2040 comme timing nĂ©cessaire, 2050 comme timing lĂ©gal, ma part des services publics sera proche de 250kg, ce qui me laissera 1750kg pour le reste. Passer de 2t Ă 1,7t sera aisĂ© vu la dĂ©carbonation globale de lâĂ©conomie et lâengouement de la sociĂ©tĂ© pour le bas carbone. En tout cas ce sera plus facile que dâĂȘtre Ă 2t hors services publics en 2020, et ça câest dĂ©jĂ possible et dĂ©sirable aujourdâhui !10 tonnes ? 8 ? 12 ? Quel est le bon chiffre ?En ce dĂ©but 2022, les chiffres disponibles pour estimer lâempreinte carbone moyenne en France varient de 8 Ă 12t, selon les sources et les annĂ©es. De plus la mĂ©thodologie de calcul est en cours de modification. Dans cette situation de complexitĂ© et dâincertitude analysĂ©e en dĂ©tail ici, il nous semble raisonnable de retenir lâordre de grandeur de 10tCO2e/pers/an en France avec une incertitude de 10 Ă 20 %.Remarque ces ordres de grandeur fournissent un constat sans appel. La recherche dâexactitude doit ĂȘtre relativisĂ©e par le fait que nos cibles pour 2030 et 2050 baissent chaque semaine, car nous sommes trĂšs au-dessus des trajectoires et â par dĂ©finition â les budgets carbone ne sont pas extensibles. âInfographie Kit âInventons nos vies bas carboneâLe kit Inventons nos vies bas carbone » dont sâinspire cette infographie est en libre tĂ©lĂ©chargement. Il fournit les Ă©lĂ©ments chiffrĂ©s et sourcĂ©s Ă la base de cet article ainsi que les Ă©lĂ©ments vous permettant de bĂątir votre propre y a deux trois petites choses qui vont devoir changerIl nous faut reconnaĂźtre que la normalitĂ© » telle quâelle est prĂ©sentĂ©e aujourdâhui nâest pas viable et bĂątir une autre norme sociale compatible avec les limites planĂ©taires et donc la continuation de la vie et de la calculs mathĂ©matiques poussĂ©s ont montrĂ© que si jâadopte un comportement qui Ă©met plus de 2tCO2e plusieurs fois par an mes chances de respecter ce budget annuel sont proches de zĂ©ro plusieurs Ă©quipes ont refait ce calcul. En clair, il y a des choses qui ne passent pas. Par exemple AlimentationĂa ne passe pas le midi câest steak-frite ! Classique sans doute, mais manger de la viande tous les jours amĂšne assurĂ©ment Ă dĂ©passer les 2 tonnes. Un repas Ă dominante animale » steak-jambon-fromage Ă©met environ 7kg de CO2 dâaprĂšs lâADEME. Donc steak-jambon-fromage midi et soir, ça mĂšne Ă plus de 5tCO2e par an sans parler des maladies cardio-vasculairesâŠet donc de lâimpact sur les services publics ! .Ăa passe un repas vĂ©gĂ©tarien peut ĂȘtre synonyme de gourmandise. Ceux qui apprĂ©cient les falafels, les mezzĂ©s et houmous, le savent. Aujourdâhui la cuisine vĂ©gĂ©tarienne et vĂ©gane fait preuve dâĂ©normĂ©ment dâinventivitĂ© ! Il reste tout Ă fait possible de manger de la viande dans les grandes occasions sans que cela grĂšve fortement notre budget carbone, comme lâont fait nos ancĂȘtres depuis longtemps et ils avaient des mĂ©tiers autrement plus physiques quâaujourdâhui.Gardons en tĂȘte que la grande majoritĂ© des animaux dâĂ©levage vivent dans des hangars. Apprendre Ă manger vĂ©gĂ©tarien, ce nâest pas supprimer les quelques vaches que lâon voit dans le paysage, mais sortir de lâĂ©levage concentrationnaire ! Si lâon ne mange que des animaux Ă©levĂ©s 100 % Ă lâherbe, on va vite se rendre compte quâils sont peu nombreux car la quantitĂ© dâherbe disponible est limitĂ©e et que la seule voie possible, câest de diminuer trĂšs fortement notre consommation de ne passe pas acheter un beau SUV ! nous parlons ici des soi-disant 4*4 urbains ». Alors, oui câest vrai, ces grosses machines consomment beaucoup dâessence, alors quâil nous faut diviser par deux notre consommation Ă©nergĂ©tique ben oui, câest la loi. Mais il y a plus. Fabriquer des machines de ce type est assez Ă©missif il faut pas mal de mines et dâusines pour fournir et assembler les quelques tonnes de matiĂšre quâon finit par appeler une voiture » ou un tank, câest juste le design qui change.Les mines et les usines fonctionnant au pĂ©trole, aujourdâhui, la fabrication dâun gros SUV de 2,5tonnes de type Range Rover ou Mercedes Ă©met environ 20tCO2e.. Donc acheter un SUV implique de passer 10 ans sans manger ni se chauffer, ni rouler avec on peut certes lâadmirer dans son garage ;-. Ou, plus rĂ©alistement, les SUV ne sont pas compatibles avec lâaccord de Paris. La question de pourquoi lâon donne 7 000⏠dâargent public Ă toute personne qui veut acheter un SUV Ă©lectrique neuf est, de ce fait, une bonne question. La bonne nouvelle, câest que si vous comptiez acheter un SUV, cet article va vous faire Ă©conomiser 30 Ă 50 000⏠!Ăa passe A lâinverse, des flottes de vĂ©hicule carĂ©nĂ©s lĂ©gers 300 Ă 500kg, de vitesse limitĂ©e max 70km/h qui fonctionneraient Ă lâĂ©lectricitĂ© ou aux carburants de synthĂšse peuvent tout Ă fait complĂ©ter le dĂ©veloppement de la marche, du vĂ©lo, des trains et des transports en commun. Il est urgent de diriger nos effets vers des vĂ©hicules Ă©conomes 1 Ă 2 L au 100km et de remettre en cause la vitesse sur les routes on pense par exemple Ă la mesure 110km/h vs 130km/h sur lâautoroute de la CCC torpillĂ©e par le vĂ©to prĂ©sidentiel !!ConsommationĂa ne passe pas vive la 5G ! Le streaming câest la vie, du moins câest ainsi que le ressentent la plupart de ceux qui sont nĂ©s aprĂšs la fin de la prĂ©histoire, vers lâan 2000 de notre Ăšre. Sans doute les serveurs sont ils bien cachĂ©s, loin des yeux, loin du coeur⊠mais un rapport ultra secret de la CIA semble indiquer quâil y en aurait beaucoup et quâils consomment de lâĂ©lectricitĂ©. Un rapport parfaitement public du Shift project prĂ©tend mĂȘme que le numĂ©rique est dĂ©jĂ responsable de 4 % des Ă©missions de GES mondiales et que ce chiffre pourrait doubler dâici 2025 et continuer sa trajectoire vers la stratosphĂšre. Le bureau dâĂ©tude BL Ă©volution indique que pour se mettre sur une trajectoire compatible avec lâAccord de Paris, il faudrait diviser par 3 le volume de vidĂ©os en ligne consommĂ© dâici 2030. On se demande bien Ă quoi la 5G va servir si lâon veut diminuer les passe bonne nouvelle ! Lâensemble des textes de WikipĂ©dia en anglais pĂšsent environ 10 Go. En tĂ©lĂ©chargeant lâĂ©quivalent dâune dizaine de films, on aurait de quoi lire pour plusieurs vies et accĂšs Ă une large part de la connaissance humaine. On peut assurĂ©ment continuer Ă faire circuler des informations de maniĂšre quasi instantanĂ©e Ă lâĂ©chelle mondiale avec internet texte Ă volontĂ©, son sans problĂšme, un peu dâimages, et beaucoup beaucoup moins de vidĂ©o. Il va falloir remettre les films et les sĂ©ries sur des supports matĂ©riels qui circulent. Rien de dramatique, Ă moins que vous ne soyez actionnaire de ne passe pas construction neuve en bĂ©ton armĂ© ! La production de bĂ©ton et dâacier est extrĂȘmement Ă©missive et la construction neuve artificialise dâimmenses terres qui sĂ©questraient du carbone. Pendant ce temps lâessentiel des Français continue de vivre dans des bĂątiments mal isolĂ©s ils dĂ©pensent Ă©normĂ©ment en chauffage pour un confort mĂ©diocre. Les parois des passoires thermiques » condensent et moisissent, ce qui nâest guĂšre agrĂ©able Ă vivre. Pendant ce temps, on nâa toujours pas commencĂ© Ă sĂ©rieusement rĂ©nover lâ passe basculons tous les emplois de la construction vers la rĂ©novation thermique des bĂątiments. Tout le monde garde son emploi on peut mĂȘme en crĂ©er beaucoup et lâon a du travail pour toute la filiĂšre pour plusieurs dĂ©cennies. Mettre une couche continue de 30cm dâisolant Ă lâextĂ©rieur de toutes les passoires thermiques est potentiellement moins difficile, mais nettement plus vital que dâenvoyer une mission sur Mars. En divisant par 10 les consommations de chauffage, on divise par 10 les factures et le bilan carbone gagnant/ publiqueĂa ne passe pas dĂ©taxer le kĂ©rosĂšne ! Les gilets jaunes avaient posĂ© une question nette pourquoi augmenter le prix de lâessence alors que les plus riches volent avec du kĂ©rosĂšne dĂ©taxĂ© 2 % de la population sont responsables de la moitiĂ© des vols en France ? Ă ce jour, on nâa pas vraiment entendu de rĂ©ponse claire. Ces 8 milliards dâeuros annuels de cadeau fiscal Ă lâaviation viennent sâajouter aux milliards du plan de relance qui pleuvent sur le secteur aĂ©rien et automobileâŠBien sĂ»r, si lâon met des quantitĂ©s gigantesques dâargent public pour maintenir â Ă perte â les industries les plus polluantes et les plus inĂ©galitaires, il nây a plus de moyens pour investir massivement dans une Ă©conomie dĂ©carbonĂ©e et centrĂ©e sur la justice sociale. Autrement dit, si lâon veut conserver une planĂšte et un pays habitables, il va falloir se mĂȘler de politique et faire changer les passe Les 149 mesures proposĂ©es par la convention citoyenne pour le climat sont un minimum urgent et nĂ©cessaire que le gouvernement actuel a dĂ©cidĂ© de ne pas mettre en place. Il faudra aller plus loin pour atteindre -55% GES en 2030. Par exemple, nous avons besoin de la loi pour rĂ©duire la vitesse sur autoroute et limiter les publicitĂ©s. Il va falloir mettre lâargent lĂ oĂč il fait du bien, et cela signifie lâenlever de lĂ oĂč il provoque des Ă©missions de GES cela nous avons tous un rĂŽle Ă jouer pour mettre la pression sur lâĂtat et les entreprises actions de sensibilisation, discussions climat Ă la machine Ă cafĂ© au boulot, dĂ©sobĂ©issance civile, faire Ă©merger lâurgence climatique dans les campagnes politiques, aller voter aux prochaines Ă©lections 2022 semble bien ĂȘtre le dernier mandat pour le climat si on veut rĂ©duire de 55 % les Ă©missions de GES dâici 2030 â 8 ans⊠Ces quelques exemples sont des illustrations des 4 actions auxquelles sâengagent publiquement les RĂ©sistants et RĂ©sistantes Climatiques. Elles visent Ă transformer la norme sociale actuelle et elles constituent une condition nĂ©cessaire et non suffisante pour arriver Ă aller plus loin Vous souhaitez connaĂźtre votre empreinte carbone en 5 min ? Cliquez ICIVous souhaitez en savoir plus ? Voici plus de dĂ©tails en vidĂ©o ! Et dâautres tĂ©moignages de vies bas carbone 2 tonnes est une cible provisoire mais il faudra descendre en dessous. Câest une Ă©tape nĂ©cessaire et non une ligne dâarrivĂ©e. LâAIE dans Net zero by 2050 publiĂ© en 2021 estime que nous ne pourrons que sĂ©questrer 7 GtCO2 en 2050, ce qui nous mettrait en dessous de 1tCO2e / pers⊠Les explications Ă suivre cette annĂ©e sur Bon Pote !Bon Pote est un mĂ©dia 100% indĂ©pendant, uniquement financĂ© par les dons de ses lectrices et lecteurs. La meilleure façon de soutenir Bon Pote ? Devenez Tipeuse/Tipeur ! Vos partages et rĂ©actions sur les rĂ©seaux sont Ă©galement trĂšs prĂ©cieux Restez des derniĂšres parutionsArticles similairesCommentaires Voir tous les commentaires30Beaj 17 January 2022Jâai adorĂ© lâĂ©criture de lâarticle, jâai apprĂ©ciĂ© la vidĂ©o -tres bien prĂ©sentĂ©, trĂšs bonne conception,âŠ- . HĂ©las je reste plus sceptique sur le succĂšs de lâentreprise dâĂ©duquer par ce type de jeu, du moins de facon suffisament Ă©tendu et rapide. Jâai participĂ© Ă un autre jeu du genre, la fresque du climat, et ca me semble certes interessant, soit pour un public jeune avec un animateur qui a la vocation pour y consavrer du temps, soit pour crĂ©er une animation dans un Ă©vĂšnement, et câest plus les personnes dĂ©jĂ sensibilisĂ©es qui participent. Difficile Ă faire essaimer sans etre plus ludique et divertissant. Bon, jâespĂšre me tromper. Et je fĂ©licitĂ© de votre me semblerait utile dâamener Ă lâidĂ©e quâil nous faudra accepter dâengager des politiques de quota CO2 emis, energie, km loisirs, âŠ, ou de consommation Ă quota et si on tient a le dĂ©passer, sans compensation ailleur justifiable, alors on est taxĂ© exponentiellent, par ex dĂšs la 2m voiture/famille, âŠ. Ca permet de se rendre compte que la sobrietĂ© est plus facile Ă mettre en oeuvre et efficace de suite, que les solutions technologiques aux gains marginaux compromise par plus dâusage dĂ©culpabilitĂ© ou facilitĂ©, aux couts croissants, Ă la dĂ©pendance,âŠMon bilan CO2 chiffre a Ă©tĂ© estimĂ© entre 3 et 4 TCO2/an mais je trouve les estimations trĂšs piffomĂ©triques sur de nombreux points⊠Peut etre suis je Ă 2-3 car mon mode de vie est disons le frustre et trĂšs isolĂ©, mais je nâĂ©carte que que ce puisse ĂȘtre en fait 5-6TCO2/an ! On a tous un chemin Ă©norme Ă faire, mais je dirais que 70% de la population ne saura pas le faire de facon choisie, il quâil faudra de la contrainte politique, accidentelle, âŠ. ReplyUn point me chatouille si je prends toutes les bonnes options pour arriver Ă 2t je mange des lĂ©gumes, je roule Ă vĂ©lo, jâhabite un petit logement peu chauffĂ©, je nâachĂšte pas de gadgets et peu de fringues, etc., je vais vraisemblablement faire plein dâĂ©conomies⊠que je vais finir par dĂ©penser comment ? Autrement dit, il est difficile de rĂ©duire ces Ă©missions Ă revenus Ă©quivalent câest faisable mais il doit y avoir un plafond vite atteint. Une solution qui marche bien serait de laisser dĂ©raper une inflation galopante ce qui signifie quâil devient plus difficile de consommer on sâappauvri. Encore une fois, câest faisable si on donne du sens Ă tout cela on peut ĂȘtre heureux Ă la âPierre Rabhiâ mais câest un autre paradigme que celui de la sociĂ©tĂ© actuelle. !!! attention, je ne dis pas quâil ne faut pas prendre les bonnes options, mais je dis que globalement et sur un pĂ©rimĂštre large la baisse des Ă©missions individuelles est difficile . ReplyPac 14 January 2022Un dĂ©but de rĂ©ponse, bien incomplet â sur la nourriture, je doute des Ă©conomies importantes si on consomme de la bonne qualitĂ© en rĂ©munĂ©rant bien des petits producteurs qui ont besoin de grosse marge pour compenser leurs petits volumes, â sur le reste je te rejoins, ce sont des Ă©conomies. Quâon peut utiliser pour aller au théùtre. â baisser oa rĂ©munĂ©ration peut ĂȘtre intĂ©ressant, si on nâa pas besoin de plus on arrive effectivement Ă la sobriĂ©tĂ© heureuse travailler moins et passer plus de temps en famille par exemple pas forcĂ©ment au parc AstĂ©rix. ReplyBeaj 28 January 2022Pac a illustrĂ© par des exemple 3 axes de solutions. On comprend que la vie en sociĂ©tĂ© devra se reinventer, le but Ă©tant moins de âgagner sa vieâ de lâargent ou la dĂ©tournĂ© par le vol ou la finance que de partager des connaissances et activitĂ©s et plaisirs pour maximer du bonheur pour tous. 1-Bien essentiels, dont nourriture mais aussi objets de la vie courante du couteau Ă lâimpermĂ©able ou le vĂ©lo les acheter plus chers pour la qualitĂ© et pour pouvoir rĂ©munĂ©rer leurs fabricants Ă leur plus juste valeur Ă©cologique ressources + travail humain les agriculteurs et artisans/PME/PMI pourront eux aussi relativement plus consommer. 2-Allouer notre pouvoir Ă consommer vers des activitĂ© culturelles, artistiques, ludiques,⊠en privilĂ©gieant les plus Ă©coresponsables. Lâargent pour ces consommations non essentielles pourrait etre de nature diffĂ©rente, ou obeir Ă des rĂšgles dâĂ©change diffĂ©rentes de lâargent quâon connait et serai utilisĂ© pour les biens et service essentiels. Il sâagirait surtout de ne pas mĂ©langer dans lavaleur de lâargent celle soumise aux lois de la physique des flux de matiĂšre, transformation en ressources secondaire ou en dĂ©chets/polluants, celle du travail humain et animal, et celle liĂ© Ă la confiance rĂ©connaissance subjective, non soumise aus loi de la physique. a.La valeur de base de lâargent serait celle dâun Ă©change purement physique on echange un 1 chaise contre 100kg de pomme de terre car ca demandĂ© autant de travail lâun que lâautre sans avoir causĂ© plus de pollution et de capacitĂ© de reouvellement. b.La valeur du travail comprend une portion liĂ©e Ă la physique, lâautre est une plue-value liĂ©e Ă avoir in-formeâ la matiĂšre par rapport aux usages prĂ©vus. c.La valeur de confiance de lâargent est purement subjective. On peut acheter Ă©changer une place de thĂ©atre contre un simple merci ou 1 kg de peches ou un boeuf, car ca ne changera rien Ă lâĂ©quation Ă©cologique globale. Câest juste quâon donne pour remercier de passer un bon moment. LâECONOMIE devrait jouer essentiellement entre a et b, que marginalement influĂ©e par la FINANCE qui peut jouer sur b, et encore moins par la SPECULATION qui peut jouer que sur c. ReplyDdu 14 January 2022Jâaimerais bien y croire mais suis plutĂŽt dans une phase pessimiste en ce moment⊠ReplyAh, merci pour cet article ! Autre complĂ©ment, concernant le streaming figurez-vous quâil nâest nul besoin dâessayer de retrouver ces vieilles clĂ©s usb paumĂ©es dans un de ces fichus tiroirs Ă bordel que lâon connait tous enfin les se reconnaitront. En effet, pour une somme ultra modique voire inexistante, on continue de trouver plĂ©thore de DVD rĂ©cents films, films pour enfant et bien sĂ»r les incontournables sĂ©ries TV, dans les mĂ©diathĂšques dont le bilan carbone est dĂ©jĂ comptĂ© dans les services publics. La trĂšs grande majoritĂ© des mĂ©diathĂšques ont un catalogue en ligne pour les choisir depuis chez vous et les rĂ©server. En plus de diminuer le streaming, câest une façon de 1/faire des Ă©conomies ; 2/ne pas se laisser piloter par les algorithmes des plateformes ; 3/ dĂ©sengorger les bacs pour que ce soit plus confortable pour tout le monde et 4/ Ă©viter de mettre tous ces trĂ©sors culturels Ă la benne, comme on lâa fait avec les vinyles, avant quâon se mette Ă racheter les mĂȘmes, mais de moindre qualitĂ© bien sĂ»r, lors du retour en grĂące de ces jolies galettes de pĂ©trole salĂ©. ReplyPac 13 January article, qui a le grand mĂ©rite dâĂȘtre Ă la fois technique ET positif. Je vais le partager largement !Un dĂ©tail jâavais lu câest Ă vĂ©rifier, mais ça me parait crĂ©dible quâun film visionnĂ© en streaming a le bilan carbone dâun trajet en voiture de⊠100m. Donc aller louer un DVD Ă 10Km, alors quâil a Ă©tĂ© fabriquĂ© Ă partir de plastique Ă des centaines de km, me parait contre productif. Encore une fois, il me semble que la sobriĂ©tĂ© est la seule vraie solution regarder en basse def quand la HD nâest pas utile lâest-elle parfois ?, Ă©couter de la musique plutĂŽt que regarder des clips, baisser au max la qualitĂ© vidĂ©o quand on regarde une confĂ©rence, et⊠aller faire un tour Ă pied ! ReplyPas besoin dâun coffre pour la mĂ©diathĂšque. Un vĂ©lo et un sac Ă dos suffisent. 10km ne font pas de mal. LâintĂ©rĂȘt de la mĂ©diathĂšque câest que lâimpact de la fabrication du DVD ou du CD et vite rentabilisĂ© » par le nombre dâemprunts/usages contrairement Ă lâachat individuel dâun support quâon ne lira quâune fois. Par contre il faut aller voir les spectacles vivants pour compenser dans lâĂ©conomie de la culture. ReplyPac 14 January 2022Oui, je grossissais volontairement le trait. Je valide Ă©normĂ©ment la mĂ©diathĂšque, et parmi toutes ces raisons celle de partager le support matĂ©riel plutĂŽt que dâen avoir un chacun est la principale. Je voulais rapporter le streaming Ă ce quâil est un moyen. Ce qui compte, câest lâusage quâon en fait. ReplyBonjour Vu avec intĂ©rĂȘt la vidĂ©o sur lâobjectif a 2t et les cartes semblent sympa SAUF quâune fois encore les DOM nâapparaissent pas..!! On a lâhabitude mais câest encore dommage la carte avec les tempĂ©ratures est celle de mĂ©tropole⊠comme dâhab..đ© Mais je continue Ă vous suivre..đ Christian Cayenne ReplyKpi 13 January 2022âA quoi sert la 5G ?â A beaucoup dâautres usages industriels que le Grand Public. Le sujet comme tout sujet de nouvelle techno est la balance bĂ©nĂ©fice / impacts coĂ»ts mais pas que. Aujourdâhui passer des heures Ă regarder des vidĂ©os de gens qui ne font que parler au lieu de faire des podcasts ou dâĂ©crire des artciles ou Ă©couter de la musique sur Youtube ets abbĂ©rant, mais permis car les externalitĂ©s environnementalâA quoi sert la 5G ?â A beaucoup dâautres usages industriels que le Grand Public. Le sujet comme tout sujet de nouvelle techno est la balance bĂ©nĂ©fice / impacts coĂ»ts mais pas que. Aujourdâhui passer des heures Ă regarder des vidĂ©os de gens qui ne font que parler au lieu de faire des podcasts ou dâĂ©crire des artciles ou Ă©couter de la musique sur Youtube ets abbĂ©rant, mais permis car les externalitĂ©s environnementales ne pas incluses dans les calculs de coĂ»t et de ROI du dĂ©ploiement des nouvelles le reste de lâarticle est clair, pertinent et actionnable, comme toujours ici et câest sufisamment rare pour ĂȘtre soulignĂ©, autant cette remarque est un peu limite car on vous sent en limite de compĂ©tences sur ce sujet et câest dommage.Un grand merci toutefois pour cet article quâon peut partager avec tous nos proches, mĂȘme ceux qui ne connaissent pas le sujet, et qui donne des exemples concrĂȘts et sans concession du chemin quâil reste Ă faire !es ne pas incluses dans les calculs de coĂ»t et de ROI du dĂ©ploiement des nouvelles le reste de lâarticle est clair, pertinent et actionnable, comme toujours ici et câest sufisamment rare pour ĂȘtre soulignĂ©, autant cette remarque est un peu limite car on vous sent en limite de compĂ©tences sur ce sujet et câest dommage.Un grand merci toutefois pour cet article quâon peut partager avec tous nos proches, mĂȘme ceux qui ne connaissent pas le sujet, et qui donne des exemples concrĂȘts et sans concession du chemin quâil reste Ă faire ! ReplyLâarticle est de Resistance Climatique, Ă©crit par Gildas VĂ©ret, et je lui ai dit au moins 10x pour la 5G. Je le laisse rĂ©pondre aux commentaires ! ReplyBonjour, Merci de vos retours positif sur les autres parties de lâarticle et pour le dĂ©saccord que vous soulevez, de maniĂšre respectueuse et nuancĂ©e. Comme vous le dites, câest suffisamment rare pour ĂȘtre soulignĂ© ». Nous sommes naturellement des utilisateurs de nouvelles technologies » lâAG dâinventons nos vies bas carbone sera en prĂ©sentiel et en distanciel en mĂȘme temps, nous utilisons YouTube pour les vidĂ©os de formation et Framateam et TĂ©lĂ©gram pour coordonner le travail de lâĂ©quipe. Nous sommes parfaitement convaincus quâinternet est un progrĂšs majeur quâil nous absolument conserver. Malheureusement, internet, comme tout ce qui a de la valeur, est menacĂ© par le changement climatique. Pour conserver un monde viable, avec internet, il nous faut diminuer rapidement et fortement nos Ă©missions, vous en ĂȘtes bien conscient. Tous les secteurs se dĂ©clarent prioritaires sur les autres, aussi, en attendant une clĂ© de rĂ©partition juste et consensuelle, nous pouvons rĂ©sonner avec un besoin de rĂ©duction des GES uniforme sur toutes les activitĂ©s. Cela implique de diminuer de plus 83 % les Ă©missions dâinternet pour la France dans les 30 ans qui viennent. On peut bien sĂ»t attendre et espĂ©rer un hypothĂ©tique miracle technologique. Mais la rĂ©alitĂ©, câest que depuis 30, partout oĂč lâon met plus de numĂ©rique, les Ă©missions augmentent malgrĂ© les gains en efficacitĂ© effet rebond. Surtout, par propriĂ©tĂ© dâune intĂ©grale, la capacitĂ© Ă respecter le budget carbone pour +2°C environ 1000GtCO2e se joue dans les 5 Ă 10 prochaines annĂ©es. Câest donc maintenant quâil faut faire baisser trĂšs vite nos Ă©missions, pour diviser par deux les Ă©missions mondiales dâici 2030, donc en huit ans. Face Ă cette nĂ©cessitĂ©, la 5G nous semble problĂ©matique sur plusieurs points â augmentation des flux alors quâil nous faudrait une diminution forte BL Ă©volution met en avant la nĂ©cessite de diviser par 3 le flux de donnĂ©e dâici 2030, â obsolescence donc remplacement dâĂ©normĂ©ment dâĂ©quipements fonctionnels â logique de croissance du secteur et imaginaire du toujours plus de numĂ©rique » peu compatible avec une division par 6 de lâempreinte carbone â mutation du secteur poussĂ© par lâoffre et les industriels et non en rĂ©ponse Ă un besoin des utilisateurs et lâamĂ©lioration de la qualitĂ© de vie â logique du plus vite câest mieux » chercher Ă gagner du temps mĂšne partout Ă augmenter les Ă©missions, on les diminue facilement en osant prendre son rapport du shift project pour une sobriĂ©tĂ© numĂ©rique » rappelle bien que lâexplosion des volumes de vidĂ©o nâest pas viable et quâen plus une bonne partie de ces usages ne sont pas vitaux. Ainsi le visionnage de vidĂ©os pornographiques dans le monde gĂ©nĂšre-t-il en 2018 des Ă©missions carbonĂ©es du mĂȘme ordre que celle du secteur rĂ©sidentiel en France » Shif Project, Ă©tude CLIMAT LâINSOUTENABLE USAGEDE LA VIDĂO EN LIGNEGlobalement, pour la 5G comme pour tous les secteurs, les industriels clament nous allons faire plus avec moins de CO2, et in fine, le CO2 augmente. Il faut assumer clairement une forte part de diminution des usages pour atteindre nos objectifs climatiques. Nous pourrons toujours rĂ©augmenter ces usages, une fois atteints les objectifs de rĂ©duction, lorsque nous aurons un excĂšs dâĂ©nergie dĂ©carbonĂ©e, ce que le rapport Absolute Zero de Cambridge university estime possible aprĂšs 2050. Rappelons quâaujourdâhui, nous disposons de trĂšs peu dâĂ©nergie dĂ©carbonĂ©e, câest justement pour cela quâil nous faut diminuer les usages pour tenir les objectifs 2030. ReplyConserver la 4G ne fera pas non plus diminuer les Ă©missions dâinternet de 83% et pourquoi pas 82% ou 84%???â augmentation des flux alors quâil nous faudrait une diminution forte BL Ă©volution met en avant la nĂ©cessite de diviser par 3 le flux de donnĂ©e dâici 2030, Pas dâaccord, vous confondez objectifs de rĂ©sultats diminuer les Ă©missions de CO2 avec objectifs de moyens diminuer le flux ReplyOn se demande bien Ă quoi la 5G va servir => Ă multiplier les objets connecter quâon pourra dĂ©connecter quand on manquera dâ certain nombre de propositions de la CCC sont aussi contre productives dont la plus emblĂ©matique et pourtant reprise par le GVT Ă savoir lâaugmentation du âBIOâ que toutes les donnĂ©es Agrybalyse, ADEME, ourworldindata,⊠donne plus + Ă©mettrice de CO2 que le âpas bioâ⊠oupsLâaviation est trĂšs Ă©galitaire, elle permet de faire vivre les pays qui ne vivent que de ça et permet un transfert de devises des pays riches pourvoyeurs de touristes vers le pays pauvres⊠Donc oui câest inĂ©galitaire entre les habitants dans un mĂȘme pays pourvoyeur ou rĂ©cepteur de touriste mais Ă©galitaire entre les paysâŠEt dâoĂč viennent les carburants de synthĂšse? Des dĂ©jections dâanimaux comme le recommande nĂ©gawatt? Pourquoi ĂȘtre vĂ©gan dans ce cas? Ou de lâagriculture intensive? Pourquoi tout miser sur le âbioâ alors? ReplyLouer la puĂ©rile 5G en prĂ©tendant quâelle permet de dĂ©connecter les appareils en cas de besoin, il faut oser ; mĂȘme si câest ce genre de logique kafkaĂŻenne qui semble gouverner nos sociĂ©tĂ©s en ce moment. Votre assertion sur le bio repose en fait sur une seule Ă©tude parue dans Nature en 2019 et considĂ©rĂ©e comme biaisĂ©e car ne tenant pas en compte le changement de rĂ©gime alimentaire de la population, ce qui est , comme indiquĂ© dans lâarticle, un point aussi Ă©vident que nĂ©cessaire. Quant Ă lâaviation, câest vrai que depuis que les Parisiens peuvent atterrir Ă Bangkok, les ThaĂŻlandais ont subitement atteind le mĂȘme niveau de vie que leurs touristes. ReplyLa 5G permettra aussi de dĂ©marer les Ă©quipements quand ik y a du vent et du soleil autaomatiquement, diminuant le besoin de moyens de stockage Ă©lectriques ReplyJustn, quelques remarques sur ton commentaire, le pas bio utilise des phytosanitaires produit directement par la pĂ©trochimie oups pĂ©trole⊠Je jardine en agroĂ©cologie chez moi, et je ne met rien de tout ça, les plantes se dĂ©brouille trĂšs bien entre elles, mais oui les lĂ©gumes sont plus petits mais plus sains pas de molĂ©cules issues des traitements dont je parle ci-dessus, moins de maladie type cancer etc⊠et donc, moins de mĂ©dicaments issus de laâŠ. pĂ©trochimie oupsâŠ. Ton arguments sur lâaviation est assez drĂŽle, que le pays riche commencent par verser les sommes quâils se sont engagĂ©s Ă verser au pays les plus pauvres pour leurs permettre de rĂ©aliser leur transition Ă©cologique et ils vivront beaucoup mieux et⊠sans nous⊠Et pour info, tous les tourismes ne se valent pas, dâun cotĂ© le tourisme de masse qui exploite la misĂšre humaine mais câest pas cher pour les riches occidentauxâŠ. oups, par contre un tourisme durable et Ă©thique qui inclus les habitants avec des salaires correctes mais par contre câest plus cher⊠oups⊠mais ça sâappelle la justice sociale je crois? Enfin lâarguments sur les carburants de synthĂšseâŠ. en fait lâarticle te dis quâil faut sâen passer et repenser entiĂšrement nos moyens de locomotions et si possible sans carburants⊠Des abrutis comme moi se sont mis aux vĂ©los pour aller bosser 54km A/R et je prends un grand plaisir quand je passe devant une station dâessenceâŠ. Et enfin, pour sâen sortir, il faut des gens optimiste qui se bougent un minimum⊠parce que bon, ton lobbying incessant pour les OGMs produits phyto..etc câest pas trop lâesprit dĂ©fendu ici. Certes tu ouvres un dĂ©bat, mais tu nâapporte aucune solution⊠hormis on a bien compris, utiliser les OGM, les produits phytoâŠetc Bisous ReplyJe ne fais pas de lobbying pour les produits phyto, AU CONTRAIRE! Avec des OGM moins besoin de phyto*! Câest si difficile Ă comprendre? Quand au zĂ©ro phyto, câest comme si on demandait du zĂ©ro mĂ©dicament pour les humains⊠ridicule⊠Le zĂ©ro phyto est lui aussi toxique mycotoxines, datura & cie, qui ne sont pas top Ă avaler! Et les phytos âbioâ sont souvent plus toxiques que les âpas bioâ sans mĂȘme parler du sulfate de cuivre⊠à moins que vous fassiez aussi partie de ceux qui croient que le âbioâ, câest zĂ©ro phyto? auquel cas vous faites erreur! A ma connaissance, Agrybalise/ADEME ne sâappuie pas sur lâĂ©tude de Nature *Hors glyphosate mais le glyphosate est le pesticide le moins impactant pour la nature et les alternatives sont le labour qui dĂ©truit tout ou le lance flamme ou la culture sur brĂ»li si vous prĂ©fĂ©rez, ce qui tue tout aussi et les 2 ne sont pas gentils pour le climat⊠PS votre jardin, câest comme lâĂ©prouvette de Raoult, ça vaut rien PPS votre jardin et le âbioâ bĂ©nĂ©ficie de lâimmunitĂ© collective donnĂ©e par les champs qui sont traitĂ© autour⊠comme pour les anti vaxx qui sont protĂ©gĂ©s par lâimmunitĂ© collective du reste de la population, ça ne peut pas marcher si tout le monde sây met⊠ReplyJ ai compris ton point de vue, mais je ne suis pas d accord avec âplus d OGM pour zĂ©ro phytoâ⊠Pour le maraichage, les principes de l agroĂ©cologie ferme du bec Helloin permettent de se passer del usage du phyto⊠et mon jardins aussi⊠Pour les cĂ©rĂ©ales, Ă©tant donnĂ© les surfaces cultivĂ©es pour l Ă©levage, moins de viande => moins de surface cultivĂ© moins de parasite=> + de paturage => Ă©levage de meilleur qualitĂ©. + de paturage signifie Ă©galement + de biodiversitĂ© avec tous les bienfaits qui y sont lié⊠De mon point de vue , les OGM et le phyto sont fait par la chimie pour la chimie, il s en foutent de ta santĂ©, la mienne et surtout de celles des agriculteurs⊠Mais jâentends qu on puisse ne pas ĂȘtre d accord⊠Bisous Bisous Voila, sinon mon bilan Carbone est nul, une baraque de 140mÂČ pour moi tout seul reprĂ©sente la moitiĂ© de mon empreinteâŠ. y a du boulot⊠ReplyLes OGM permettent cependant dâutiliser moins de pesticides, câest un fait, il y a plein dâĂ©tudes dessus pour le confirmer. Et dâailleurs, pourquoi on continuerait Ă vendre des OGM rĂ©sistants sâil fallait continuer Ă utiliser autant de pesticides? Câest pas logique, non? et non, les agriculteurs ne sont pas liĂ©s Ă Monsanto & cie La ferme du Bec Helloin est une supercherie, allez lire le rapport de lâiNRA Ă son sujet. En Vrac â les rendements sont bidons dans un exploitation on compte aussi les allĂ©es, hangars & cie pour calculer la surface totale, ce qui nâest pas le cas Ă la ferme Helloin â la ferme reçoit Ă©normĂ©ment de fumier gratuitement de la ferme Ă©questre dâĂ cĂŽtĂ© donc Ă©normĂ©ment dâĂ©levage rapportĂ© Ă la surface⊠quâil faudait aussi considĂ©rer dans le rendement â la ferme fait son beure avec des herbes aromatiques et des mini lĂ©gumes, bref pas de quoi nourrir la population mais extrĂšmement rentable financiĂšrement surtout que câest vendu chez fauchon et les restaurants Ă©toilĂ©s â la ferme gagne de lâargent aussi car elle ne vend rien sur les marchĂ©s, tout sur place pas de vĂ©hicule nĂ©cessaire, pas de perte de temps, pas dâemployĂ©, pas de salaire de vendeur, pas de carburant,âŠ. â la ferme gagne de lâargent Ă condition exclusive de ne pas payer sur terrain ou propriĂ©taire sans emprunt Ă rembourser, ni ses employĂ©s un comble⊠â et jâen oublie certainement A noter que toutes les fermes âagroĂ©cologiquesâ Ă ma connaissance ne sont jamais de cĂ©rĂ©ales câest Ă dire ce quâon bouffe le plus⊠pensez vous nourrir le monde avec des mini lĂ©gumes et des herbes aromatiques?EN quoi +de paturage = meilleure qualitĂ©? Pour le LoL, NĂ©gawatt veut doubler la portion dâherbes des vaches qui sont dĂ©jĂ Ă entre 64% et 80% Ă lâherbe⊠autre LoL de qualitĂ© de NĂ©gawatt, il arrivent Ă produire 2x moins de viande avec 3x moins de vaches⊠et il y en a plein dâautres comme çaâŠEn Quoi les OGM ne sont pas bon pour la santĂ©? On sait faire des plantes OGM enrichies en vitamines et autres nutriments, câest plutĂŽt bon pour la santĂ© non? A savoir que lâintĂ©gralitĂ© de lâinsuline mondiale est produite par les OGM. 70% des levures et donc yaourt, biĂšres, patisseries, fromages,⊠sont dĂ©jĂ OGM Les pamplemousses roses y compris les âbioâ de Corse garantis sans OGM sont des OGM cherchez pamplemousses + atomes pour la paix et je suis quasi certain que vous les prĂ©fĂ©rez aux pamplemousses jaune, non? Les OGM permettent aussi de diminuer les quantitĂ© de pesticides nĂ©cessaires, câest donc bon pour la santĂ© des agriculteurs et des consommateurs. Pleins dâOGM sont aussi fait par des universitĂ©s et donnĂ©s gratuitement aux agriculteurs Si vous penser au doc dâARTE le monde selon Monsanto, Ă savoir que la rĂ©alisatrice est anti vaxx et balance fake news sur fake news sur les vaccins depuis 2 ans,⊠pour donner une idĂ©e de sa crĂ©dibilitĂ© olĂ© olé⊠Bref contrairement Ă ce documenteur â les OGM ne sont pas stĂ©riles â on est pas obligĂ© de racheter des graines chaque annĂ©e â monsanto & cie peut Ă©ventuellement vendre graines + pesticides comme renault te vend des pneux michelins sans te demander ton avis mais tu peux les revendre Ă dâautres et acheter autre chose Ă qui tu veux⊠â lâĂ©tude de SĂ©ralini sur les cancers est tout aussi bidon que celles de Raoult sur lâHCQ â les suicides de paysans en Inde ont diminuĂ© depuis lâapparitions des OGM â et jâen passePour finir sur les OGM, avec CRISPR cas9 trouvĂ© dans la nature, ils sont indiscernables des plantes avec des mutations ânaturellesâ, donc il nây a pas Ă en avoir peur⊠et il y a mĂȘme des OGM oĂč on a ni enlevĂ© ni retirĂ© aucun gĂšne, ont les a juste dĂ©placĂ©âŠ.Je suis Ă ta dispositions si tu veux plus dâinfos Ă ce es tu aussi contre les OGM rĂ©sistants aux sĂ©cheresses qui seront de plus en plus frĂ©quentes avec le rĂ©chauffement climatique? ReplyJe pense que nous ne tomberons jamais dâaccord sur ce sujet prĂ©cision 1/ tu sites un rapport de lâINRA pour contrecarrer la ferme du bec Helloin, trĂšs bien. quelle est le boulot de lâINRA=> amĂ©liorer les rendements agricole en faisant prĂ©cisement des OGM qui donneront des fruits et lĂ©gumes stĂ©riles oui jâinsiste⊠et jâassume, choisir ce que tu vas manger et donc en gros baisser la biodiversitĂ©. Quelle est le but du Bec Helloin, prĂ©cisĂ©ment lâinverse et faire en sorte quâon se passe des OGMs ET des phytos . De plus, lâINRA travaille pour qui? qui les paye? qui vends leurs semences? Ă qui profitent le crime? Demande Ă un cancĂ©rologue et Ă Philip Morris de se mettre dâaccord sur le tabac, lâun veut le faire interdire et lâautre le vendreâŠ. pratique non? De plus, les fermes agroĂ©cologiques nâont jamais eu vertu Ă produire des cĂ©rĂ©ales puisque un des principes de base est de mĂ©langer les cultures tout comme ne pas laisser la terre Ă nue pour prĂ©server la ressourcesâŠ. en eau2/ Pour les cĂ©rĂ©ales, tu nâas pas compris mon point de vue. Dâabord, ce nâest pas nous qui bouffons la majoritĂ© des cĂ©rĂ©ales comme tu dis mais les animaux dâĂ©levages, faute de pĂąturage remplacĂ© par la culture intensive de cĂ©rĂ©ales⊠Donc inversement, moins de monoculture, plus de patĂ»rage, et donc viande de meilleurs qualitĂ© car Ă©levage en plein air , moins de stress, moins de maladie⊠etc ça oui je maintiensâŠ. Et si tu diminues la production de viande de moitiĂ©, tu vas en avoir de la place pour nourrir le monde⊠Plus la peine de tuer lâAmazonieLes OGM rĂ©sistants aux sĂ©cheresses, comment dire, tu veux faire pousser des lĂ©gumes ou cĂ©rĂ©ales sans eaux? câest drĂŽle aussi. La sĂ©cheresse en Argentine pays aride quand mĂȘme a ruinĂ© la culture de maĂŻs qui est une des cĂ©rĂ©ales les plus gourmandes en eaux⊠ben câest normal non??? On pourrais aussi sâadapter et faire pousser autres choses non? Mais non faut nourrir les millions de tĂȘtes dâĂ©levages qui contribue aux Ă©missions de GES Tout le monde ne peut pas assĂ©cher des lacs, dĂ©vier les cours dâeau pour faire pousser du coton OGM en plein dĂ©sert et donc crĂ©er des sĂ©cheressesâŠ. Donc oui yâa des sĂ©cheresses mais dans certains coin du monde elles sont un peu voulue non? Enfin, jâai lâimpression que tu ne retiens un peu que les Ă©tudes qui tâarranges⊠Tu dĂ©crĂštes que lâINRA câest bien, que le docu contre Monsanto câest nul tiens un indice sur qui paye lâINRA, que lâĂ©tude de SĂ©ralini est bidonâŠ. Je trouve le principe un peu facile, et le GIEC???? tu en penses quoi? bidon ou pas bidons? On peut continuer Ă ne pas ĂȘtre dâaccord si tu le souhaites mais je pense que nos discussions resterons comment dire⊠stĂ©riles le sujet Ă©tant les OGM câest normal non? Bisous Bisous ReplyLâINRA, ce sont nos impĂŽts qui la paye⊠plus ses brevets et vous nâavez pas lu moi si son rapport sur la ferme du bec hĂ©lloin. Et si vous voulez tout savoir lâĂ©tude de SĂ©ralini a Ă©tĂ© payĂ© par Carrefour et Auchan via un tour de passe passe de Corinne Lepage pour blanchir lâargent⊠il le dit lui mĂȘme dans son livre, que vous nâavez pas lu, moi si Pas besoin dâĂȘtre payĂ© pour voir que lâĂ©tude de SĂ©ralini que vous nâavez pas lu, moi si nâa pas de cas tĂ©moins comme les Ă©tudes de Raoult sur lâHCQ Phillip Morris est parfaitement au courant que le tabac donne le cancer⊠Câest devenu un crime maintenant de vouloir nourrir le monde? Le but de la ferme HĂ©lloin, câest de faire du fric en vendant des formations, pas de nourrir le monde⊠Le MaĂŻs nâa pas besoin de plus dâeau que le blĂ©, dire le contraire est aussi de la fake news.. je cite âpour produire 1kg de maĂŻs on a seulement besoin de 454 L dâeau et 238 L pour du maĂŻs fourrage. Ce qui fait du maĂŻs lâune des plantes les plus Ă©conomes en eau. A comparer avec les 590 L dâeau indispensables pour le blĂ©, les 900L pour le soja et entre 1600L et 5000L dâeau pour riz !â âĂ©levage en plein air , moins de stress, moins de maladie⊠â Ah bon? En plein air il fait chaud, il fait froid, il pleut, il y a du vent, yâa des tiques, des mouches, des chiens des loups?, ⊠câest tellement bien que les vaches refusent souvent de sortir de leur Ă©tables tellement elles prĂ©fĂšrent y rester plutĂŽt que dâaller dehors⊠mais pour le savoir il faut ĂȘtre allĂ© dans une ferme comme moi et pas comme vousPS NON les OGM ne sont pas stĂ©riles, faites une croix dessus, câest du mĂȘme niveau que la 5G injectĂ©e avec les vaccins! ReplyCher Justin, appliquons la loi de Brandolini, nous ne tomberons jamais d avons des idĂ©aux opposĂ© sur ce sujet. Par contre je n ai jamais prĂ©tendu avoir lu l Ă©tude⊠Je ne faisais qu un constat. tu as tes lectures, j ai les miennes⊠Pour l eau mais le blĂ©, tu ne cites pas tes sources⊠easy ta dĂ©moâŠ. T embĂȘtes pas Ă rĂ©pondre⊠souviens toi⊠Loi de Brandolini ReplyCe nâest pas une histoire dâidĂ©aux, câest une histoire de rĂ©alitĂ©!Votre idĂ©al, câest que le maĂŻs consomme beaucoup dâeau, la rĂ©alitĂ© câest quâil en consomme moins que le blĂ© ! Avec une idĂ©e fausse de la rĂ©alitĂ© vous ne risquez pas de rĂ©pondre aux problĂšmes auxquels on est confrontĂ©âŠSi votre opinion est en dĂ©saccord avec les faits, ce ne sont pas les faits qui sont Ă changer!Petit dessin pour vous ReplyTu laches jamais toii, et tu as un problĂšme avec le dĂ©bat opposition d idĂ©e contraire et le fait qu on n ai pas le mĂȘme idĂ©al, si tu limites le monde des cĂ©rĂ©ales au blĂ© et au mais on est mal barrĂ©, essaie de taper sorgho millet sarrazin luzerne, ça mettra de l eau Ă ton moulin. Tu tailles Nedawatt pour le 2Ă moins de viandes avec 3Ă moins vache alors qu il n y aucun problĂ©me en fait⊠RĂ©flĂ©chis un peu, prends du recul, c est un peu de math et une bonne lecture de l Ă©noncĂ©âŠ. on peut mĂȘme faire plus ambitieux si tu veux Bisous Bisous PS demande a tes amis de l INRA de faire des arbres OGM anti secheresse pour refaire des forĂȘts et tout ce qui va avec en milieu arideâŠ. et ceux lĂ je suis prĂȘt Ă les acheter⊠mais pas de brevet faudrait pas qu il se fasse du fric comme le Bec Helloin ReplyUne petite recherche rapide âconsommation dâeau maisâ permet dâavoir la rĂ©ponse. Par exemple ici Demander les sources câest bien mais câest mieux quand câest pour des choses non facilement vĂ©rifiable ou quand ça parle dâune Ă©tude prĂ©cise. Il aurait Ă©tĂ© plus logique de demander le lien de lâĂ©tude de lâinria en question plutĂŽt que dâattaquer directement le point qui va contre votre opinion mais qui est vĂ©rifiable en quelques clicks. Sinon, citer Brandolini Ă tout va nâapporte rien quand on est pas capable soit mĂȘme dâapporter ses sources et dâargumenter calmement ReplyPac 26 January 2022Bon, pas certain effectivement que ce dĂ©bat ne soit pas stĂ©rileâŠMais jâai suivi le lien vers le site que je ne connaissais pas, et ça me fait tiquer. En regardant un peu ce site, câest tenu par un journaliste et un seul semble tâil, vue que les articles ne sont pas signĂ©s. Et donc, la source nâest pas une Ă©tude, mais un article sur un âblogâ. Et cet article lui mĂȘme ne site aucune si la source des commentaires prĂ©cĂ©dents concernant le maĂŻs est ce site, câest ratĂ©.Il semble tout de mĂȘme, en recoupant avec dâautres sites, que les chiffres soit assez proches de la rĂ©alitĂ©. MaĂŻs et blĂ© trĂšs proche en besoin dâeau / hectare; et besoin infĂ©rieur pour le maĂŻs en besoin / kg de matiĂšre sĂšche âfinieâ. Mais besoin dâeau du maĂŻs en plein Ă©tĂ©, ce qui explique quâon voit partout des irrigations sur les champs de maĂŻs et bcp plus rarement sur le blĂ© đ ReplyPetite correction, si le maĂŻs consomme moins dâeau Ă produire que le blĂ©, le problĂšme câest que le mais est une plante bien plus tardive que le blĂ©. Le mais a donc besoin dâeau en plein Ă©tĂ© au moment oĂč la sĂ©cheresse sĂ©vit. Du coup, le maĂŻs a besoin dâirrigation de maniĂšre bien plus importante que blĂ© qui, lui, peut sâen passer en annĂ©e normale. Ensuite le problĂšme du maĂŻs câest quâil est utilisĂ© exclusivement pour lâalimentation animale. Et on sait quâil faut moins 10 fois plus de protĂ©ines vĂ©gĂ©tales pour produire des protĂ©ines animales. Par ailleurs il me semble quâĂ fonction principale des plantes ogm câest de les rendre rĂ©sistantes aux herbicides et pesticides. Par ailleurs les intrants NPK augmentent la production agricole mais au prix dâun effondrement progressif des sols qui finissent stĂ©riles. Dâailleurs les rendements cĂ©rĂ©aliers plafonnent malgrĂ© lâaugmentation des intrantsâŠ..on pourrait continuer lâhistoire. Concernant les productions maraĂźchĂšres, il y a bien dâautres exemples que le Bec Helloin, notamment au QuĂ©bec ReplyLeave a Reply CatĂ©goriesRestez informĂ© des derniĂšres parutions
DaprÚs : Météo France. Il est supérieur à 1°C sur les littoraux de la Manche et de l'Atlantique alors que dans les régions allant des Vosges aux Alpes il n'est que de 0,6 à 0,8°C. Les températures maximales ont moins augmenté
ï»ż24 novembre 2015 Posted in TPS PSDurant le mois de Novembre, les Ă©lĂšves de la classe de TPS-PS-MS ont travaillĂ© sur lâalbum A trois on a moins froid» dâElsa Devernois et Michel Gay. Les objectifs principaux de ce projet Ă©taient de dĂ©velopper le langage oral et Ă©crit travail sur les personnages pour les PS et réécriture de lâalbum sous forme de dictĂ©e Ă lâadulte pour les MS et de dĂ©velopper le sens de lâentraide entre les enfants idĂ©e directrice de lâalbum Ce projet a Ă©galement donnĂ© lieu Ă diffĂ©rents travaux dâarts visuels reprenant les personnages de lâhistoire paysages dâautomne avec des hĂ©rissons rĂ©alisĂ©s en pĂąte Ă durcir mobiles dâautomne utilisant diffĂ©rentes techniques de peinture ainsi que le froissage collage de papiers crĂ©pons panneaux dĂ©coratifs rĂ©alisĂ©s collectivement reprĂ©sentant les trois animaux de lâalbum se tenant chaud
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Lescontre-indications des sĂ©jours Ă plus de 1 500 mĂštres. Les contre-indications mĂ©dicales ne sont reprises que pour un sĂ©jour au-delĂ de 1 500 mĂštres dâaltitude (logement et pratique sportive comprise), sauf cas exceptionnel. Cette liste est donnĂ©e Ă titre indicatif, prenez conseil auprĂšs de votre mĂ©decin. Grossesse. Insuffisance
Nous ne sommes pas tous Ă©gaux face au froid. Alors que certaines ressortent les Ă©charpes et les plaids Ă la moindre chute de tempĂ©rature, dâautres se baladent encore en t-shirt l'hiver. Cette diffĂ©rence de sensibilitĂ© au froid sâexpliquerait, selon une Ă©tude rĂ©cente, par lâabsence ou la prĂ©sence dans nos fibres musculaires⊠dâune protĂ©ine. Plus de muscles rouges ou plus de muscles blancs ?Une Ă©tude menĂ©e par des chercheurs de lâInstitut Karolinska rĂ©vĂšle en effet quâenviron milliard de personnes dans le monde seraient naturellement plus rĂ©sistantes au froid grĂące Ă lâabsence de la protĂ©ine α-actinine-3 dans leurs fibres musculaires. Pour dĂ©montrer ces rĂ©sultats, les chercheurs ont recrutĂ© 42 hommes ĂągĂ©s de 18 Ă 40 ans. Ils leur ont demandĂ© de se plonger dans de lâeau Ă 14 °C. AprĂšs 20 minutes, les participants devaient sortir du bain pour se "reposer" 10 minutes Ă tempĂ©rature ambiante, puis rĂ©itĂ©rer lâexpĂ©rience en alternance 20 minutes dâeau froide/10 minutes de repos jusquâĂ faire descendre leur tempĂ©rature corporelle Ă 35,5 °C ou jusquâĂ atteindre les 120 minutes. Durant ce temps, les chercheurs mesuraient prĂ©cisĂ©ment lâactivitĂ© Ă©lectrique des muscles des participants pour en Ă©tudier leur teneur en protĂ©ines. Lire aussi Comment se rĂ©chauffer en tĂ©lĂ©travail pendant les grands froids ? Les participants dĂ©pourvus de protĂ©ine α-actinine-3 avaient plus de fibres musculaires Ă contraction lente muscles rouges et Ă©taient plus aptes Ă supporter le froid, en partie car ce type de fibres dĂ©pense moins dâĂ©nergie. En revanche, les participants chez qui les chercheurs avaient dĂ©tectĂ© de la protĂ©ine α-actinine-3 avaient plus de fibres musculaires Ă contraction rapide muscles blancs et par consĂ©quent, Ă©taient moins rĂ©sistants au froid. Plus rĂ©sistant au froid mais moins explosifComme les personnes ne possĂ©dant pas de protĂ©ine α-actinine-3 possĂšdent dâavantage de fibres musculaires Ă contraction lente muscles rouges, cela signifie Ă©galement quâelles sont moins performantes dans leur activitĂ© sportive. En effet, comme les muscles se contractent plus lentement, cela les dĂ©savantage dans les sports qui nĂ©cessitent force et explosivitĂ©. En revanche, câest plutĂŽt pratique pour les sports dâendurance. Lire aussi En plein boum, les sĂ©ances de fitness sur TikTok sont-elles vraiment efficaces ? A contrario, les frileux - qui possĂšdent donc plus de muscles blancs Ă contraction rapide - sont plus "forts" dans les sports de force et moins performants en endurance. Une mutation vieille de ansPour les chercheurs, cette mutation gĂ©nĂ©tique qui consiste Ă ne plus possĂ©der de protĂ©ine α-actinine-3 se serait produite il y a environ ans. Elle aurait permis aux Homo Sapiens qui migraient de lâAfrique vers lâEurope et lâExtrĂȘme Orient de mieux supporter les diffĂ©rences de tempĂ©ratures. Aujourdâhui, on estime qu'une personne sur cinq dans le monde serait dĂ©pourvue de α-actinine-3. Pour en savoir plus, consultez lâĂ©tude publiĂ©e dans la revue American Journal of Human Genetics. PARTAGERSur le mĂȘme sujetArticles recommandĂ©s pour vous
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Le dĂ©part anticipĂ© Ă la retraite est un dispositif permettant Ă un assurĂ© en situation de handicap de partir en retraite avant lâĂąge lĂ©gal. La retraite anticipĂ©e est soumise Ă trois conditions, le travailleur handicapĂ© doit Justifier dâune incapacitĂ© permanente dâau moins 50 % lâannĂ©e N ou du statut de travailleur handicapĂ© avant 2016. Justifier dâune durĂ©e dâassurance totale et dâune durĂ©e dâassurance cotisĂ©e DĂ©finir l'Ăąge auquel il souhaite partir en retraite anticipĂ©e Ă NOTER La retraite anticipĂ©e au titre du handicap reste possible dĂšs 55 ans. Par ailleurs, elle existe dans tous les rĂ©gimes. Sommaire Retraite anticipĂ©e statut de travailleur handicapĂ© et taux de handicap Le dispositif de dĂ©part anticipĂ© Ă la retraite pour handicap concerne les personnes Qui souffrent dâune incapacitĂ© permanente dâau moins 50 %, prononcĂ©e par la maison dĂ©partementale des personnes handicapĂ©es MDPH OU Qui ont Ă©tĂ© reconnues comme travailleur handicapĂ© avant 2016 Retraite anticipĂ©e et handicap faire une demande RQTH Pour obtenir le statut de travailleur handicap, lâassurĂ© peut faire une demande de reconnaissance de la qualitĂ© de travailleur handicapĂ© RQTH. La procĂ©dure est systĂ©matiquement engagĂ©e Ă lâoccasion dâune demande dâallocation adulte handicapĂ© AAH. Lorsque lâassurĂ© ne perçoit pas cette allocation, il peut faire une demande auprĂšs de la MDPH. AllĂšgement des procĂ©dures Pour les travailleurs handicapĂ©s qui Ne peuvent pas attester, sur une fraction des durĂ©es dâassurance, de la reconnaissance administrative de l'incapacitĂ© requise Sont atteints d'une incapacitĂ© permanente d'au moins 80 % au moment de la demande de liquidation de leur pension Ils ont dĂ©sormais la possibilitĂ© de faire examiner leur situation par une commission placĂ©e auprĂšs de la Caisse nationale d'assurance vieillesse des travailleurs salariĂ©s. La commission est saisie par la caisse ou le service chargĂ© de la liquidation de la pension de de la situation est fondĂ© sur un dossier Ă caractĂšre mĂ©dical transmis par l'assurĂ© permettant d'Ă©tablir l'ampleur de l'incapacitĂ©, de la dĂ©ficience ou du dĂ©savantage pour les pĂ©riodes motivĂ© de la commission est notifiĂ© Ă l'organisme dĂ©biteur de la pension, auquel il s' membres de la commission exercent leur fonction dans le respect du secret professionnel et du secret dĂ©cret dĂ©termine les modalitĂ©s d'application du nouveau dispositif. Les attributions faites avant le 1er janvier 2016 de la reconnaissance de la qualitĂ© de travailleur handicapĂ© peuvent, sur demande de l'intĂ©ressĂ©, donner lieu Ă une Ă©valuation de son incapacitĂ© permanente par la Commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapĂ©es. Retraite anticipĂ©e les conditions de durĂ©e dâassurance La durĂ©e dâassurance correspond au nombre de trimestres validĂ©s par lâassurĂ©. Ces trimestres peuvent ĂȘtre acquis par cotisations sociales prĂ©levĂ©es sur les revenus, il sâagit de la durĂ©e dâassurance cotisĂ©e OU assimilĂ©s lors des pĂ©riodes de chĂŽmage indemnisĂ©, de congĂ© maternitĂ© ou paternitĂ©, de maladie ou encore de service militaire Dans le cadre du dispositif de dĂ©part anticipĂ© pour handicap, des conditions de durĂ©e dâassurance totale et de durĂ©e dâassurance cotisĂ©e sont appliquĂ©es. Elles varient en fonction de lâannĂ©e de naissance et de lâĂąge de dĂ©part envisagĂ© Retraite anticipĂ©e la condition dâĂąge En fonction de lâĂąge auquel le travailleur handicapĂ© souhaite partir en retraite anticipĂ©e, les paramĂštres de durĂ©e dâassurance varient Dâune part, lâannĂ©e de naissance de lâassurĂ© dĂ©termine les possibilitĂ©s dâĂąges minimum auxquels il peut partir en retraite anticipĂ©e Dâautre part, en fonction de lâĂąge auquel lâassurĂ© envisage de partir en retraite, les conditions de durĂ©e dâassurance totale et de durĂ©e dâassurance cotisĂ©e changent Dans la rubrique chiffres-clĂ©s, un tableau rĂ©capitule les conditions dâobtention dâune retraite anticipĂ©e pour handicap. EXEMPLE Patrick est nĂ© en 1960, il est atteint dâune incapacitĂ© permanente de plus de 50 %. Il souhaite prendre une retraite anticipĂ©e Ă lâĂąge de 58 ans. Les conditions de durĂ©e dâassurance qui le concernent sont les suivantes 97 trimestres au total 77 trimestres cotisĂ©s
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ProcĂ©dĂ© Bethell Traitement Ă cellules vides ». ProcĂ©dĂ© RĂŒping Prix de la crĂ©osote diagramme RĂ©sultats de l'imprĂ©gnation par la crĂ©osote ProcĂ©dĂ© RĂŒtgers Double RĂŒping ComposĂ©s arsĂ©nifĂšres Tirefonnage Ă©ventuel pour le placement des selles mĂ©talliques Pose du rail sur traverses en bois Attaches Crampons Tirefonds Plaque Ramy Le griffon Tree-nails Garniture Lakhovsky Garniture Streitz Virole VV Avantages propres aux traverses en bois Appareils de mesure ExtrahomĂštre TorsiomĂštre DĂ©climĂštre BourramĂštre Selles mĂ©talliques Selles ordinaires Selles Ă rebords Selles Ă crochet Selles modernes Selle d'OugrĂ©e-Marihaye Selle d'Angleur-Athus Conclusions Chapitre II. - Les traverses mĂ©talliques Forme et dimensions Les attaches Attache rhĂ©nane Attache Haarmann Attaches modernes par selles et cales de fixation - systĂšme d'OugrĂ©e-Marihaye par selles Ă nervures, crapauds et boulons - systĂšme d'Angleur-Athus Prix et poids des traverses mĂ©talliques comparĂ©s Ă ceux des traverses en bois Traverses en bois ou traverses mĂ©talliques ? Chapitre III. - Traverses en bĂ©ton armĂ© GĂ©nĂ©ralitĂ©s Traverses prismatiques monobloc Traverse Calot Traverse Orion Traverses mixtes en bĂ©ton ordinaire Traverse Vagneux Garniture hĂ©licoĂŻdale Thiollier Traverse mixte de la S. N. C. B Traverse mixte Sonneville S. N. C. F. Traverses en bĂ©ton prĂ©contraint Traverses françaises en bĂ©ton prĂ©contraint Traverse belge Franki-Bagon en bĂ©ton prĂ©contraint Les attaches des traverses en bĂ©ton Conclusions Chapitre IV. - Pose de la voie Dressage Relevage Bourrage Dressage dĂ©finitif Ăclissage des rails RĂ©galage du ballast Chapitre V. - Entretien de la voie Revision mĂ©thodique intĂ©grale Entretien en recherche Soufflage Soufflage mesurĂ© Mesure des dĂ©nivellations transversales et longitudinales DansomĂštre MĂ©canisation des travaux d'entretien et de renouvellement de la voie Entretien Renouvellement TROISIĂME PARTIE LES RAILS Chapitre I. - Ăvolution du rail Chapitre II. - GĂ©nĂ©ralitĂ©s Efforts verticaux Statiques Dynamiques Coefficient de vitesse Efforts transversaux Efforts longitudinaux Chapitre III. - Profils des rails Rail Ă patin Vignole Bourrelet Pose inclinĂ©e au 1/20 Pose verticale PortĂ©es d'Ă©clissage Ame et patin Rail Ă double bourrelet Bull headed Comparaison de la voie Vignole et de la voie Ă double bourrelet Abandon progressif du rail Ă double bourrelet Rail Ă orniĂšre Rail compound Chapitre IV. - Longueur des rails Qu'est-ce qui s'oppose Ă l'emploi de rails de trĂšs grande longueur? Dilatation des rails Rails sous contrainte Calcul de la contrainte Rails de grande longueur dans les tunnels Chapitre V. - Calcul de la section du rail Poids des rails Prix des rails diagrammes Chapitre VI. - Le mĂ©tal QualitĂ© et contrĂŽle de la qualitĂ© ParachĂšvement Mise Ă longueur Refroidissement Forage des trous Composition chimique des aciers Ă rails Chapitre VII. - Usure et durĂ©e des rails GĂ©nĂ©ralitĂ©s Usure verticale Usure latĂ©rale RĂ©sistance des rails Ă l'usure Usure par abrasion ou par Ă©crasement de la surface de roulement RemĂšdes Composition chimique du mĂ©tal Emploi des aciers spĂ©ciaux Rails en acier obtenu au four Ă©lectrique Rails compound Traitement thermique Ferrite - perlite - cĂ©mentite - austĂ©nite - martensite - troostite - sorbite ProcĂ©dĂ©s de traitement thermique des rails ProcĂ©dĂ© Sandberg ProcĂ©dĂ© de Neuves-Maisons ProcĂ©dĂ© de MaxhĂŒtte ProcĂ©dĂ© de Rodange Traitement thermique des extrĂ©mitĂ©s des rails Usure latĂ©rale du bourrelet Usure par oxydation Rails en acier au cuivre Chapitre VIII. - Le joint Conception du joint Les Ă©clisses Boulons d'Ă©clisses Eclissage Ă fourrure en bois Le joint parfait L'usure des Ă©clisses Ăclisse CĂ©sar Ăclisses de raccord Traitement thermique des Ă©clisses RĂ©duction du nombre des joints Rails de grande longueur Soudure des rails Rails de raccord Soudure alumino-thermique Soudure Ă©lectrique par rĂ©sistance Soudure Ă©lectrique avec usine gĂ©nĂ©ratrice mobile Soudure oxy-acĂ©tylĂ©nique Soudure Ă l'arc Ă©lectrique Position des joints par rapport aux appuis Joint appuyĂ© Joint suspendu Joint en porte Ă faux Joint Ă pont Position relative des joints dans les deux files de rails Joints concordants Joints alternĂ©s Joints chevauchĂ©s Conclusion Chapitre IX. - Le cheminement des rails Lignes Ă double voie Freinage Courbes DĂ©clivitĂ©s Lignes Ă simple voie Nuisance et danger du cheminement Cheminement diffĂ©rentiel ou chevauchement Cas des lignes de tramways RemĂšdes contre le cheminement Entretien de la voie Drainage de la plateforme Rails de grande longueur Dispositifs spĂ©ciaux anti-cheminants par action positive par frottement Selle anti-cheminement Winsby Ancre anti-cheminante Lattes de cheminement QUATRIEME PARTIE LES APPAREILS DE LA VOIE Introduction Chapitre I. - Les branchements GĂ©nĂ©ralitĂ©s Description Types d'aiguillages Forme des aiguilles TalonnabilitĂ© Dispositions adoptĂ©es pour les branchements Pourquoi le branchement normal constitue-t-il un point faible dans la voie ? Longueur des branchements Relations Calcul de l'orniĂšre Ă mĂ©nager au talon de l'aiguille de dĂ©viation Relations entre les Ă©lĂ©ments de l'aiguille de dĂ©viation proprement dite Relations entre les Ă©lĂ©ments principaux du branchement Construction des branchements Calcul et tracĂ© Branchements Ă aiguilles droites manĆuvrĂ©es par rotation autour du talon aiguilles articulĂ©es Branchements Ă aiguille de dĂ©viation courbe manĆuvrĂ©e par rotation autour du talon TracĂ© gĂ©omĂ©trique de l'aiguille courbe de dĂ©viation Arc de raccord du branchement - Choix du rayon - Courbure uniforme TracĂ© gĂ©omĂ©trique de l'aiguille de la voie directe Changements de voie usuels de la S. N. C. B. TracĂ© et construction du changement de voie Ă aiguilles droites articulĂ©es au talon TracĂ© Construction Changements de voie Ă aiguilles flexibles ou aiguilles Ă©lastiques TracĂ© Construction DĂ©tails de construction des aiguilles en gĂ©nĂ©ral Section transversale des aiguilles Entretoises-butĂ©es Usinage des aiguilles Coussinets de glissement Talon de l'aiguille Pose en courbe des appareils de voie Solution idĂ©ale MĂ©thode classique MĂ©thode belge Aiguille de dilatation Chapitre II. - Croisement Contrerails Pattes de liĂšvre Pointe de cĆur Largeur de l'orniĂšre de protection entre le rail et le contrerail Largeur de l'orniĂšre mĂ©nagĂ©e de part et d'autre de la pointe de cĆur Danger du croisement RemĂšde le contrerail Chapitre III. - TraversĂ©es TraversĂ©es obliques Dans quelle limite le contrerail est-il efficace dans les traversĂ©es obliques ? Zone dangereuse de la traversĂ©e oblique Contrerail surĂ©levĂ© TraversĂ©es rectangulaires et Ă grand angle Construction des croisements et des traversĂ©es Les traversĂ©es-jonctions TraversĂ©es-jonctions doubles TraversĂ©es-jonctions simples ManĆuvre des traversĂ©es-jonctions TraversĂ©e-jonction Ă aiguilles extĂ©rieures Chapitre IV. - Appareils de manĆuvre des aiguillages Appareils de manĆuvre sur place Leviers Ă simple action Leviers Ă double action SystĂšme RhĂ©nan Ă double et Ă simple action SystĂšme Vanneste Ă simple et Ă double action SystĂšme RhĂ©nan modifiĂ© Ă simple et Ă double action ManĆuvre des aiguilles Ă distance Transmissions mĂ©caniques Transmissions rigides Compensateurs Transmissions funiculaires Talonnement Compensateurs Compensateur Ă brins inclinĂ©s et poulie hĂ©licoĂŻdale Compensateur Ă brins parallĂšles et poulie diffĂ©rentielle Champ d'action du compensateur Comparaison des systĂšmes rigide et funiculaire Transmissions par fluide ManĆuvre Ă©lectrique des aiguillages Appareil Siemens ManĆuvre ContrĂŽle Commutateur d'Ă©conomie ManĆuvre d'une liaison Appareil des Ateliers de Constructions Electriques de Charleroi Fonctionnement Renversement de l'aiguillage ContrĂŽle Remise de l'aiguillage en position normale ContrĂŽle Dispositif de talonnement ManĆuvre d'une liaison Commande Ă©lectrique d'aiguille des Transports Urbains de l'agglomĂ©ration bruxelloise Chapitre V. - SĂ©curitĂ©s GĂ©nĂ©ralitĂ©s Les verrous de calage des aiguilles Les dĂ©tecteurs de pointe Les pĂ©dales de calage Appareils de verrouillage Appareils de verrouillage indĂ©pendants du levier de manĆuvre du changement de voie Verrou Saxby Verrou circulaire manĆuvrĂ© par transmission Ă double fil Appareils de verrouillage dĂ©pendant du levier de manĆuvre de l'aiguillage Appareils non talonnables Verrous-aiguilles Appareils talonnables Appareil de manĆuvre et de verrouillage Ă disque pour transmission Ă double fil Appareil de manĆuvre avec calage des aiguilles par crochets systĂšme BĂŒssing DĂ©tecteurs DĂ©tecteurs mĂ©caniques Bolt-lock Poulie de verrouillage DĂ©tecteurs Ă©lectriques PĂ©dales de calage PĂ©dales mĂ©caniques ou lattes de calage PĂ©dales Ă©lectriques de calage CINQUIĂME PARTIE VIRAGE ET TRANSLATION DES VĂHICULES DE CHEMINS DE FER Plaques tournantes pour wagons et voitures Circuits de virage et ponts tournants Circuits de virage Raquette Dispositif Ă rebroussement unique Triangle curviligne de virage Circuit de virage Ă fleuron ou Ă©toilĂ© Triangle de virage Ă fleuron de la gare frontiĂšre belge d'Esschen Pentagone Ă©toilĂ© de Roulers Pentagone Ă©toile de virage de la station italienne de Brennero Ponts tournants pour locomotives Ponts tournants Ă Ă©quilibrage central Ponts tournants Ă trois points d'appui Ă poutre continue - SystĂšme Mundt Ponts tournants Ă poutres articulĂ©es Transbordeurs avec fosse sans fosse surĂ©levĂ©s mi-surbaissĂ©s 2. - TABLE ALPHABĂTIQUE A Abrasion ballast, 7 Accessoires de la voie, 1 Aciers au manganĂšse, 186 Aciers nickel-chrome, 186 Aciers spĂ©ciaux rails, 116 Aiguillages, 147 Aiguillages monoblocs, 168 Aiguilles, 146 Aiguilles courbes, 147, 156 Aiguilles de dĂ©viation, 150 Aiguilles de dilatation, 175 Aiguilles droites, 147, 154 Aiguilles Ă©lastiques, 147 Aiguilles en profil spĂ©cial, 170 Aiguilles flexibles, 147 Aiguilles rigides, 147 Aiguilles talonnables, 147 American Ry Engineering Aion, 92, 93 Analyse chimique rails, 110 Ancre anti-cheminante, 144 Angle d'Ă©boulement, 18 Angle de croisement, 149 Anti-cheminant, 143 Antiseptiques, 24 Appareils de la voie, 145 Appareils de manĆuvre Ă disque, 224 Appareils de manĆuvre BĂŒssing, 227 Appareils de manĆuvre des aiguillages, 194, 200, 224 Appareils de manĆuvre des aiguillages systĂšme 213 Appareils de mesure, 41 Appareils de verrouillage, 221 Appareils de virage, 234 Appareils non soudables, 97 Appareils Siemens, 209 Appareils soudables, 97 Arc de branchement, 146, 155, 159, 161 Arrachement rĂ©sistance Ă l'-, 37 ArsĂ©nifĂšres composĂ©s -, 83 Athus-Angleur traverse -, 53 Attaches des traverses en bĂ©ton, 66 Attaches du rail, 35, 41 Attaches du rail Angleur, 46 Attaches du rail Haarmann, 50 Attaches du rail OugrĂ©e, 45 Attaches du rail par crapaud, 44 Attaches du rail rhĂ©nane, 50 AustĂ©nite, 119 Auto-tracteur, 77 Avantages des traverses en bois, 41 B Ballast, 1, 3 Ballast choix du -, 8 Ballast coefficient du -, 11 Basalte, 8 Baumann empreinte -, 110 Bauschinger, 7 BĂ©thel procĂ©dĂ© -, 28, 32 Bolt-lock, 229 Boulonnage des traverses, 26 Boulonneuse, 77 Boulons d'Ă©clisse, 128 Boulon-tirefond, 67 Bourrage de la voie, 70 Bourrage du ballast, 3, 17 Bourrage intensitĂ© du -, 12 BourramĂštre, 42 Bourrelet du rail, 87 Bourroir, 77 Branchement, 1, 145, 167, 170 Branchement dissymĂ©trique, 148 Branchement double, 148 Branchement enchevĂȘtrĂ©, 148 Branchement en courbe, 170 Branchement symĂ©trique, 148 Bretelle, 187 Brinnel duretĂ© -, 110 Burnet procĂ©dĂ© -, 28 C Calcul de la section du rail, 104 Calcul de l'orniĂšre, 150 Calcul des branchements, 154 Cale graduĂ©e, 75 Carbonate de soude, 16 Carbone, 112 Carottes d'essais, 31 Cellules pleines, 28, 30 Cellules vides, 28, 30 CendrĂ©es ballast de -, 6 Champ d'action du compensateur, 205 Changement des voies S. N. C. B., 163 Changement de voie Ă aiguilles flexibles, 165 Charge par traverse, 84 Cheminement des rails, 138 Cheminement diffĂ©rentiel, 138, 141 Cheminement remĂšdes contre le -, 142 Chemins de fer du Midi, 32 Chemins de fer japonais, 11 Chemins de fer suisses, 55 ChĂȘne, 23 Chevauchement cheminement, 138, 141 Chlorate de soude, 14 Chlorure de zinc, 24 Choix du ballast, 8 Circuits de virage, 235 Classification aciers, 118 Classification ballast, 7 Clips, 51 Coefficient du ballast, 11 Coins David, 94 Commande Ă©lectrique d'aiguilles des 217 Commutateur d'Ă©conomie, 211 Compensateurs, 199, 202 Compensateurs Ă brins inclinĂ©s, 203 Compensateurs Ă brins parallĂšles, 204 ComposĂ©s arsĂ©nifĂšres, 33 Composition chimique, 111, 112, 116 Composition du bois, 33 Compound rail -, 117 Conception du joint, 127 Congo belge, 10, 49 CongrĂšs de Rome, 102, 104 Construction des aiguilles, 164, 168 Construction des aiguilles droites, 164 Construction des aiguilles flexibles, 167 Construction des branchements, 148 Construction des croisements, 185 Construction des traverses, 185 Construction d'un chemin de fer, 2 Contrainte rail sous -, 101 Contrerail, 176, 181 ContrĂŽle de la qualitĂ© des rails, 108 Courbe pose des appareils de voie en -, 170 Courbure uniforme branchement, 161 Coussinet de glissement, 169 Crampons, 35 Crampons Ă ressort, 35 Crampons Macbeth, 35 Crapauds attache par -, 45 CrĂ©osote, 24, 28, 30, 32 Cribleuse, 78 Croisement, 145, 154, 176, 185 Croisement aigu, 145 Croisement obtus, 145 Curr rails de -, 80 D Danger de la traversĂ©e, 182 Danger du croisement, 179 DansomĂštre, 75 DĂ©climĂštre, 42 DĂ©garnisseuse-cribleuse, 78 DĂ©lardeuse, 77 DĂ©nivellation longitudinale, 74 DĂ©nivellation transversale, 74 DĂ©prĂ©ciation du ballast, 12 DĂ©sherbage, 13 DĂ©sherbage chimique, 14 DĂ©sherbage manuel, 14 DĂ©sherbage mĂ©canique, 14 DĂ©sherbeur groupe -, 15 DĂ©soxydant, 112 Destruction mĂ©canique des traverses, 22 DĂ©tecteur de pointe, 221 DĂ©tecteur mĂ©canique, 229 Deval machine -, 7 Diagramme des prix ballast, 9, 10 Diagramme des prix crĂ©osote, 31 Diagramme des prix rails, 105 Diagramme des prix traverses, 22 Dilatation aiguille de -, 175 Dimensions des traverses, 18, 48 Dimensions du ballast, 8 Double liaison, 187 Dressage de la voie, 3, 70 DurĂ©e des rails, 114 DuretĂ© Brinell, 110 E Ecartement des traverses, 20 Eclissage Ă fourrure en bois, 129 Eclisse, 128 Eclisse Ă tĂȘte libre, 92 Eclisse CĂ©sar, 131 Eclisses corniĂšres, 128 Eclisses de raccord, 132 Eclisses double corniĂšre, 128 Eclisses plates, 128 Efforts de compression, 101 Efforts dynamiques, 83 Efforts longitudinaux, 3, 85 Efforts statiques, 83 Efforts transversaux, 3, 85 Efforts verticaux, 83 ElasticitĂ© du ballast, 4 Empreinte Baumann, 110 Entretien de la voie, 72, 76 Entretien en recherche, 72 Entrevoie, 2 Epaisseur du ballast, 3 Epreuve au choc, 7 Epreuve d'abrasion, 7 Epreuve de gĂ©livitĂ©, 7 Epreuve d'hygromĂ©trie, 7 Eprouvette Mesnager, 109 Espagne, 2 Essais du ballast, 7 Essences dures, 21 Essences tendres, 20 Eutectique, 119 EutectoĂŻde, 119 Evolution du rail, 79 Examen macrographique, 110 Examen micrographique, 110 Examen pĂ©trographique, 7 ExtrahomĂštre, 41 F Faces trapĂ©zoĂŻdales rail, 89 Ferrite, 118 Flambement de la voie, 101 Fluage du bĂ©ton, 65 Forage des rails, 111 Forage des traverses, 27 Forme des aiguilles, 147 Forme des traverses, 20, 48 FossĂ©s d'assĂšchement, 2, 4 Four Martin, 119 Frettage des traverses, 27 G GalvanisĂ©s tirefonds -, 37 Garantie rails, 113 Garniture Lakhovsky, 40 Garniture Streitz., 41 Garniture Thiollier, 62 GĂ©livitĂ© ballast, 7 GĂ©nĂ©ralitĂ©s voie, 1 Gneiss, 8 Granit, 8 Gravier, 6 Gravier de carriĂšre, 6 Gravier de riviĂšre, 6 Great Western Ry, 82 GrĂšs, 8 Griffon attache -, 39 Groupe dĂ©sherbeur, 15 Grover rondelle -, 129 H Hautzschel expĂ©rience de -, 11 HĂȘtre, 23, 26, 33 Huiles d'antracĂšne, 16 Huiles de pĂ©trole, 16 I ImprĂ©gnation des traverses, 23, 24, 28 Inclinaison de rails, 17, 87 Inclusions, 108 IntensitĂ© du bourrage, 12 J Jauge de la voie, 2, 82 Joint Ă pont, 129 Joint appuyĂ©, 135 Joint de dilatation, 99 Joint en porte Ă faux, 136 Joint parfait, 130 Joint rail, 127 Joint soutenu, 139 Joint suspendu, 136 Joints alternĂ©s, 137 Joints concordants, 137 Joints chevauchĂ©s, 137 L Lacune croisement, 176 Laitier, 5 Laitier concassĂ©, 5 Laitier fin, 6 Laitier granulĂ©, 5 Lakhovsky garniture -, 40 Largeur de la voie, 82 Largeur de l'orniĂšre, 162 Lattes de cheminement, 144 Levier Ă double action, 195 Levier Ă simple action, 194 Levier rhĂ©nan, 195 Levier Vanneste, 196 Liaison double -, 170 Limonite granuleuse, 11 Longueur des aiguilles, 152 Longueur des branchements, 149, 153 Longueur des rails, 99, 102 Longueur mise Ă -, 110 M Macbeth, crampon -, 35 ManganĂšse, 112 ManĆuvre Ă distance des aiguilles, 198 ManĆuvre Ă©lectrique des aiguilles, 208 ManĆuvre Ă©lectrique d'une liaison, 212, 216 Martensite, 120 Martin four -, 119 Mattes de plomb, 8 Mattes de zinc, 8 MaxhĂŒtte procĂ©dĂ© -, 123 MĂ©canisation des travaux, 71 MĂ©lange crĂ©osote et pĂ©trole, 32 MĂ©lĂšze, 23 Mentonnet de la roue, 88 Mentonnet tranchant, 88 Mesure appareils de -, 31 MĂ©tal rails, 108 MĂ©talliques selles -, 42 Meulage rails, 77 Mire, 74 Module d'Ă©lasticitĂ©, 101 N Neuves-Maisons procĂ©dĂ© -, 122 Nivellement de la voie, 3, 70 Niveau Van den Berghe, 74 O OrniĂšre, 150 OrniĂšre de protection, 178 OugrĂ©e-Marihaye, 51 P ParachĂšvement du rail, 110 Parasites du bois, 23 Patin du rail, 92 Pattes de liĂšvres, 176 PĂ©dale de calage, 231 PĂ©dale Ă©lectrique, 233 PĂ©dale mĂ©canique, 232 Perceuses, 77 Perlite, 118 PermĂ©abilitĂ© du ballast, 4 PĂ©trographique examen, 7 Phosphore, 113 Pierres concassĂ©es, 5, 45 Pin, 23 Pin des Landes, 32 Piste, 2 Plaque Ramy, 38 Plaques tournantes, 1, 145 Plateforme voie, 1 Poids des rails, 100 Poids des traverses en bois, 55 Poids des traverses mĂ©talliques, 55 Poids d'un m3 de ballast, 9 Poids spĂ©cifique ballast, 7 Pointe de cĆur, 177 Ponts tournants, 1, 145, 153, 176 Ponts tournants Ă deux appuis, 240 Ponts tournants Ă Ă©quilibrage central, 239 Ponts tournants Ă trois appuis Mundt, 240 Porphyre, 8 PortĂ©e d'Ă©clissage, 90 Portugal, 2 Pose de la voie, 70 Pose du rail, 34 Pose en courbe des appareils de voie, 170 Pose inclinĂ©e du rail, 89 Pose verticale du rail, 89 Position relative des joints, 136 Pourriture du bois, 23 Poulie de verrouillage, 230 Pression statique sur le ballast, 18 Pression statique sur la plateforme, 18 Prix de la crĂ©osote, 31, 32 Prix des rails, 105, 106 Prix des traverses, 22, 23, 54, 69 Prix du ballast, 9, 10 ProcĂ©dĂ© Bertrand-Thiel, 119 ProcĂ©dĂ© d'imprĂ©gnation, 23 ProcĂ©dĂ© Duplex, 119 ProcĂ©dĂ© Talbot, 119 ProcĂ©dĂ© Thomas, 119 Profil des rails, 86 Profil renforcĂ©, 97 Profil transversal voie, 1 Protection offerte par le contrerail, 178 Q QualitĂ©s du ballast, 4 Quartzite, 8 R Rail, 1 Rail Ă bords parallĂšles, 82 Rail Ă double bourrelet, 82, 86, 94 Rail Ă orniĂšre, 86 Rail Ă patin, 86 Rail compound, 117 Rail contre-aiguille, 156 Rail de Curr, 80 Rail de raccord, 133 Rail de Reynolds, 80 Rail de Vignole, 86 Rail en fer forgĂ©, 82 Rail en fonte, 81 Rail saillant, 81 Rail subondulĂ©, 82 Railway, 80 Ramy plaque -, 38 Raquette de virage, 235 Rayon de courbure uniforme, 161 Rebords selle Ă -, 43 Recouvrement des traverses, 13 RĂ©duction du nombre de joints, 182 Refroidissement des rails, 111 Relevage de la voie, 70 RemĂšdes contre le cheminement, 142 Renouvellement de la voie 76, 77 RĂ©silience, 109 Retassure, 108 Retrait du bĂ©ton, 65 Revision mĂ©thodique intĂ©grale, 72 Reynolds rail de -, 80 Roches Ă©ruptives, 5 Roches schisteuses, 5 Roches sĂ©dimentaires, 5 Rodange procĂ©dĂ© de -, 124 RĂŽle du ballast, 3 Rondelle Grover, 129 Rondelle Vossloh, 129 Roussissure du bois, 24 RĂŒping procĂ©dĂ© -, 29, 32, 33 Russie, 2 RĂŒtgers procĂ©dĂ© -, 28, 33 S Sable, 6 Sabotage, 27 Sandberg procĂ©dĂ© -, 121 Scie, 77 SĂ©chage des traverses, 25 Section des aiguilles, 168 SĂ©curitĂ©s les -, 220 SĂ©grĂ©gation, 108 Selle anti-cheminement Winsby, 143 Selle Ă rebords, 43 Selle intercalaire, 67 Selle mĂ©tallique, 42 Selle rĂŽle de la -, 42 Silicium, 112 SoliditĂ© ballast, 4 Sonneville traverse -, 63 Sorbite, 120 Soudure Ă l'arc, 134 Soudure alumino-thermique, 134 Soudure des rails, 133 Soudure Ă©lectrique par rĂ©sistance, 134 Soudure oxy-acĂ©tylĂ©nique, 134 Soufflage, 73 Soufflage mesurĂ©, 73 Soufre, 112 SoulĂšvement de la voie, 101 Streitz garniture -, 41 Sulfate de cuivre, 24, 32 Sulfocyanures, 16 Superstructure, 1 SystĂšme Siemens aiguillage, 190 T Table traverse, 48 Talon aiguille, 157, 169 TalonnabilitĂ©, 147 TempĂ©rature critique, 119 Tension dans les rails, 84 Termites, 67 Tirefond, 36, 39 Tirefonnage, 34 Tirefonneuse, 77 Thiollier garniture -, 67 Thomas procĂ©dĂ© -, 119 TorsiomĂštre, 42 ToxicitĂ© du bois, 25 TracĂ© de l'aiguille courbe, 157 TracĂ© de l'aiguille de la voie directe, 162 TracĂ© du branchement, 151 TracĂ© de l'aiguille Ă aiguilles droites, 163 TracĂ© de l'aiguille Ă aiguilles flexibles, 166 Traitement des Ă©clisses, 132 Traitement thermique, 117, 125 Tramways, 97, 103 Transbordeur, 211 Transbordeur Ă fosse, 241 Transbordeur mi-surbaissĂ©, 242 Transbordeur sans fosse, 242 Transbordeur surĂ©levĂ©, 242 Transmissions Ă double fil, 201 Transmissions funiculaires, 201 Transmissions mĂ©caniques, 199 Transmissions par fluide, 189, 207 Transmissions rigides, 199 TraversĂ©e, 145, 182, 185, 187 TraversĂ©e anglaise, 187 TraversĂ©e jonction, 18 TraversĂ©e jonction Ă aiguilles extĂ©rieures, 193 TraversĂ©e jonction double, 188 TraversĂ©e jonction simple, 188 TraversĂ©e oblique, 182 TraversĂ©e rectangulaire ou Ă grand angle, 184 Traverses, 1, 13, 17 Traverses danseuses, 4, 74 Traverses demi-rondes, 2 Traverses en bĂ©ton armĂ©, 17, 58 Traverses en bĂ©ton Calot, 58 Traverses en bĂ©ton monobloc, 58 Traverses en bĂ©ton Orion, 59 Traverses en bĂ©ton prĂ©contraint, 17, 58, 64, 65 Traverses en bĂ©ton prĂ©contraint Franki-Bagon, 65 Traverses en bĂ©ton S. N. C. B., 69 Traverses en bĂ©ton Sonneville, 63 Traverses en bĂ©ton Vagneux, 61 Traverses en bois, 17, 18, 41, 54, 55, 58 Traverses mĂ©talliques, 17, 48, 54, 58 Traverses mixtes, 58 Traverses rectangulaires, 20 Tree-nails, 40 Triangle de virage, 236 Triangle de virage Ă fleurons, 237 Triangle de virage Ă©toilĂ©, 237 Tringle d'Ă©cartement, 146 Troostite, 120 Tunnels rails dans les -, 103 Types d'aiguillages, 147 Types de croisement, 154 U UnitĂ© technique internationale, 150 Unterlageziffer, 12 Usinage des aiguilles, 108 Usure des Ă©clisses, 130 Usure latĂ©rale, 115, 126 Usure ondulatoire, 117 Usure par abrasion, 115 Usure par Ă©crasement, 115 Usure par oxydation, 128 Usure rail, 114 Usure verticale, 88, 114 V Verrou-aiguille, 224 Verrou circulaire, 201, 222 Verrou de calage, 220 Verrouillage appareils de -, 221 Verrouillage Saxby, 220 Vibrage du bĂ©ton, 65 Virage du matĂ©riel, 1, 2, 3 Virole VV, 41 Viseur, 74 Vossloh rondelle -, 129 W Winkler hypothĂšse de -, 11 Winsby selle anti-cheminement -, 143 GĂNĂRALITĂS Les Ă©lĂ©ments constitutifs de la superstructure de la voie sont le ballast, les traverses, les rails et leurs accessoires. En dehors de la voie courante, les nĂ©cessitĂ©s de l'exploitation exigent que certaines voies se coupent et que d'autres puissent communiquer entre elles. Pour atteindre ces buts, on substitue Ă la voie courante des dispositifs connus sous le nom d'appareils de la voie, ce sont les branchements et les traversĂ©es. Les installations de la voie comportent encore des engins ou des dispositifs spĂ©ciaux qui servent au virage du matĂ©riel roulant, ce sont les plaques tournantes, les ponts tournants et les circuits de virage. Enfin, les transbordeurs permettent le transfert des vĂ©hicules d'une voie sur une autre voie parallĂšle. Fig. 1. - Profil transversal d'une ligne Ă double voie. Fig. 2. - Profil transversal d'une ligne Ă simple voie. Les rails sont fixĂ©s aux traverses qui reposent sur le ballast. Celui-ci s'Ă©tale horizontalement extĂ©rieurement aux rails sur une longueur d'environ un mĂštre. Le profil transversal d'une ligne Ă double voie, Ă circulation rapide, en alignement droit et Ă©tablie en plaine, est reprĂ©sentĂ© figure 1. La figure 2 donne le profil en travers d'une ligne Ă simple voie. Le rapprochement des deux figures montre que la largeur d'une ligne Ă double voie 14 mĂštres environ est de 40 % seulement plus grande que celle d'une ligne Ă simple voie 10 mĂštres environ ; mais le nombre de trains que, normalement, l'on peut faire passer par 24 heures dans chaque sens sur une ligne Ă double voie est triple de celui que permet une ligne Ă simple voie ± 72 trains contre ± 24. Lors de la construction d'un chemin de fer, on se borne Ă l'origine Ă Ă©tablir une ligne Ă simple voie ; mais, mĂȘme dans ce cas, si l'on entrevoit que, dans l'avenir, le trafic sera trĂšs important, on achĂšte dĂšs le dĂ©but une bande de terrain assez large pour pouvoir recevoir ultĂ©rieurement la deuxiĂšme voie. Les ouvrages d'art tunnels, ponts en maçonnerie sont construits dĂšs l'origine pour deux voies. Quant aux ponts mĂ©talliques, on construit dĂšs le dĂ©but les piles et culĂ©es pour deux voies, rĂ©servant Ă plus tard la pose des tabliers de la deuxiĂšme voie. La jauge de la voie, c'est-Ă -dire la distance comprise entre les bords intĂ©rieurs des bourrelets des rails, est de 1,435 m note 002_1, ce qui, en tenant compte de la largeur ordinaire de la surface de roulement, donne 1,500 m environ d'axe en axe des rails note 002_2. La plateforme des terrassements prĂ©sente, de part et d'autre de son axe, une pente transversale d'au moins 3 centimĂštres par mĂštre pour assurer l'Ă©coulement des eaux qui traversent la couche de ballast. A l'extĂ©rieur des voies, on mĂ©nage des fossĂ©s d'assĂšchement ainsi que des pistes pour la circulation du personnel d'entretien et de surveillance. Pour faciliter la circulation des engins mĂ©caniques d'entretien, la largeur de ces pistes a Ă©tĂ© portĂ©e Ă 0,80 m. L'espacement entre les voies doit permettre Ă deux trains de se croiser sans se frĂŽler, mĂȘme dans le cas oĂč une portiĂšre de voiture viendrait Ă s'ouvrir. En pleine voie, la largeur de l'entrevoie ne peut ĂȘtre infĂ©rieure Ă 2 mĂštres note 002_3. En France, en Hollande, en Allemagne et aux Ătats-Unis la tendance est de porter la largeur de l'entrevoie Ă 2,50 m. Dans les gares, on donne Ă l'entrevoie une largeur de 3 mĂštres au moins. PREMIĂRE PARTIELe Ballast 1. RĂŽle du ballast. Si les traverses reposaient directement sur la plateforme, elles s'enfonceraient plus ou moins dans le terrain naturel dont la rĂ©sistance est gĂ©nĂ©ralement insuffisante pour supporter la charge transmise par les traverses ; le nivellement de la voie serait compromis. La rĂ©sistance du sol est d'ailleurs trĂšs inĂ©gale. En outre, sur un sol impermĂ©able, les traverses baigneraient souvent dans l'eau et les gelĂ©es dĂ©termineraient des soulĂšvements locaux des rails. On Ă©vite ces inconvĂ©nients en interposant, entre les traverses et la plateforme, une couche de ballast d'une hauteur suffisante pour que la pression reçue par les traverses, sous l'action des charges roulantes, se rĂ©partisse aussi uniformĂ©ment que possible sur une plus grande surface de la plateforme. Mais le ballast ne doit pas seulement assurer aux traverses une position stable dans le sens vertical maintien du nivellement de la voie, mais aussi dans le plan mĂȘme de la voie, en rĂ©sistant aux efforts transversaux qui tendent Ă dĂ©former le tracĂ© maintien du dressage de la voie et aux efforts longitudinaux qui tendent Ă faire cheminer les rails et les traverses sĂ©parĂ©ment et conjointement et Ă fermer les joints de dilatation. Le bourrage » du ballast sous la traverse conserve Ă la voie son nivellement correct. Il freine aussi les dĂ©placements longitudinaux et transversaux car, dĂšs qu'une tendance au dĂ©placement se manifeste, il naĂźt un frottement rĂ©sistant entre la traverse et le ballast. Les efforts longitudinaux et transversaux sont Ă©galement combattus par les banquettes de ballast contrebutant les extrĂ©mitĂ©s des traverses, et par le ballast introduit entre les traverses jusqu'au niveau de la face supĂ©rieure de celles-ci. L'Ă©paisseur minimum gĂ©nĂ©ralement admise pour la couche de ballast entre la plateforme et la face infĂ©rieure des traverses est de 30 centimĂštres. Elle dĂ©pend de la charge des essieux, car il s'agit de rĂ©partir celle-ci sur une surface d'autant plus grande que la charge sera plus Ă©levĂ©e fig. 3. Pour une charge supplĂ©mentaire P', l'excĂ©dent de hauteur H' fournira le complĂ©ment de surface S' nĂ©cessaire. Fig. 3 2. QualitĂ©s requises. Un bon ballast doit prĂ©senter les qualitĂ©s suivantes permĂ©abilitĂ©, Ă©lasticitĂ©, soliditĂ©, se prĂȘter au bourrage, ne pas ĂȘtre gĂ©lif, ne pas se dĂ©sagrĂ©ger sous l'influence des agents atmosphĂ©riques. PermĂ©abilitĂ©. - Le ballast doit assurer un bon Ă©coulement des eaux car l'eau qui reste dans le ballast y forme finalement de la boue, les traverses qui s'y appuient sont mal assises traverses boueuses ou danseuses ; cette eau se congĂšle en hiver, d'oĂč gonflement du ballast et soulĂšvement de la voie. En outre, la voie gelĂ©e perd son Ă©lasticitĂ©. Si le ballast est insuffisamment permĂ©able, les pluies y creusent des ravinements qui crĂ©ent des porte Ă faux compromettant l'assiette de la voie. Un ballast souillĂ© est un ballast qui a perdu sa permĂ©abilitĂ© parce que ses vides se sont remplis de cendrĂ©es tombant des foyers des locomotives, de poussiĂšres de charbon, de dĂ©chets de ballast, de matiĂšres Ă©trangĂšres de toute nature. AprĂšs avoir traversĂ© le ballast, les eaux viennent au contact de la plateforme et s'Ă©coulent vers les fossĂ©s d'assĂšchement Ă la faveur de la pente de 3 % donnĂ©e Ă la plateforme fig. 1 et 2. En cas de besoin, on rĂ©alise un drainage de la plateforme elle-mĂȘme. ElasticitĂ©. - Celle-ci dĂ©rive de la mobilitĂ© relative des Ă©lĂ©ments constituant le ballast. Pour qu'elle soit bonne, il faut que les pierrailles soient de dimensions suffisamment grandes et qu'elles soient bien calibrĂ©es. Le ballast doit conserver son Ă©lasticitĂ© et ne pas former sous les traverses une masse compacte, comprimĂ©e sous le poids des trains et ne revenant » pas lorsque la charge a disparu. SoliditĂ©. - Le ballast doit ĂȘtre assez dur pour rĂ©sister aux chocs provoquĂ©s par les charges roulantes broiement et pour supporter l'action destructrice des outils de bourrage Ă©miettement. Un ballast tendre ou poreux se dĂ©sagrĂšge rapidement, il absorbe l'humiditĂ© qui retient les poussiĂšres et les corps Ă©trangers. Toutes choses Ă©gales, le ballast pourra ĂȘtre d'autant plus fin qu'il sera plus dur. Etant fixĂ©s sur les qualitĂ©s que doit offrir le ballast, recherchons quels sont les matĂ©riaux qui les possĂšdent. Parmi les produits naturels, nous rencontrons les pierres concassĂ©es, les graviers, le sable ; parmi les produits artificiels, les laitiers, les scories, les cendrĂ©es d'usines ou de dĂ©pĂŽts de locomotives. Pierres concassĂ©es. - Leurs qualitĂ©s et leurs dĂ©fauts dĂ©rivent des caractĂšres des roches dont elles sont extraites. Les roches Ă©ruptives, compactes, massives, exemptes de porositĂ©, non gĂ©lives et dĂ©pourvues de stratification ou de joints de clivage, rĂ©sistent parfaitement aux agents atmosphĂ©riques ex. porphyre, granit, basalte, gneiss, diorite. Parmi les roches sĂ©dimentaires, seules celles de formations primaires, peuvent fournir des pierres suffisamment dures pour constituer un ballast de bonne qualitĂ©. Elles sont sujettes Ă se fendre dans le sens de la stratification, nĂ©anmoins, les roches siliceuses grĂšs, quartzites rĂ©sistent bien aux altĂ©rations dues aux agents atmosphĂ©riques. Les roches calcaires s'altĂšrent par dissolution et par l'abondance des joints ; cependant, les calcaires durs peuvent donner un ballast de bonne qualitĂ©. Les roches schisteuses, donnant de l'argile par altĂ©ration, sont peu recommandables. Le laitier se prĂ©sente sous trois aspects concassĂ©, granulĂ© ou fin. a Le laitier concassĂ© provenant des crassiers des hauts-fourneaux peut gĂ©nĂ©ralement rivaliser avec les meilleurs ballasts. Par suite des arĂȘtes vives de ses Ă©lĂ©ments, il dĂ©tĂ©riore les chaussures des agents qui circulent ou travaillent dans la voie. Cependant, si le laitier contient de la chaux vive, il manifeste une tendance Ă se dĂ©liter. Quand il provient d'anciens crassiers, cet inconvĂ©nient n'est plus Ă craindre car si, Ă l'origine, il contenait de la chaux, celle-ci a eu le temps de s'Ă©teindre. Les laitiers concassĂ©s de production rĂ©cente ne peuvent ĂȘtre ni vitreux, ni poreux, ni spongieux. Le laitier concassĂ© n'est pas trĂšs abondant parce qu'il est utilisĂ© dans la fabrication des ciments, du bĂ©ton, etc. b Le laitier granulĂ© est obtenu en coulant le laitier dans l'eau froide Ă sa sortie du haut-fourneau. Il faut Ă©viter qu'il soit spongieux. Il s'Ă©crase facilement. La laitier granulĂ© est infĂ©rieur Ă la cendrĂ©e mais vaut mieux que le sable. A l'encontre de la cendrĂ©e, il ne favorise pas la vĂ©gĂ©tation. Si on l'emploie sur les lignes secondaires, c'est en raison de son prix peu Ă©levĂ©. c Quant au laitier fin, qui est constituĂ© de dĂ©chets de laitier concassĂ©, il est peu recommandable. La marche sur le laitier fin est pĂ©nible et dĂ©sagrĂ©able. Par ailleurs, le laitier fin conserve parfois des propriĂ©tĂ©s pouzzolaniques, il fait alors prise Ă la longue en formant des blocs durs semblables Ă des moellons, on le rĂ©serve gĂ©nĂ©ralement aux voies accessoires. Le gravier. - Il se compose de cailloux roulĂ©s, prĂ©alablement calibrĂ©s au trommel et soumis au lavage. On peut aussi se servir de gravier concassĂ©, mais celui-ci est peu utilisĂ© parce que plus coĂ»teux. Le gravier doit ĂȘtre propre, c'est-Ă -dire exempt d'argile qui lui enlĂšverait sa grande permĂ©abilitĂ©. Mais il peut contenir un peu de sable qui l'empĂȘche d'ĂȘtre trop roulant. Le gravier de carriĂšre, extrait d'anciens lits de riviĂšre, contient gĂ©nĂ©ralement de l'argile en assez forte proportion ; de ce chef, il est moins bon que le gravier de riviĂšre qui en est exempt. Par suite de la forme arrondie des galets, le bourrage d'un ballast de gravier est plus difficile. Des essais faits en Allemagne ont dĂ©montrĂ© la supĂ©rioritĂ© des pierres cassĂ©es par rapport au gravier. Le ballast de gravier, trop mobile, ne convient guĂšre pour les lignes sur lesquelles circulent des trains rapides ou des trains remorquĂ©s par des locomotives Ă essieux fortement chargĂ©s 18 tonnes et plus. Les cendrĂ©es. - Les cendrĂ©es d'usines et de locomotives ne constituent qu'un ballast mĂ©diocre mais assez employĂ© sur les lignes Ă faible trafic et dans les voies secondaires des gares parce qu'on se le procure facilement et Ă bas prix. Le bourrage des cendrĂ©es se fait aussi avec facilitĂ©. Malheureusement, la cendrĂ©e favorise la vĂ©gĂ©tation note 006, elle s'Ă©crase sous l'action des charges roulantes, elle s'agglomĂšre et perd ainsi Ă la fois sa permĂ©abilitĂ© et son Ă©lasticitĂ©. Les cendrĂ©es d'usines utilisant le charbon pulvĂ©risĂ© doivent ĂȘtre rejetĂ©es parce que trop tĂ©nues. Cependant, la cendrĂ©e est utilisĂ©e comme premier ballast sur les lignes neuves, mĂȘme importantes, Ă©tablies en remblai, soit sur toute l'Ă©paisseur du ballast soit sur une grande partie de celui-ci. GrĂące Ă ce procĂ©dĂ©, la ligne s'affaissant par le tassement des remblais, il est aisĂ© de niveler la voie en replaçant des cendrĂ©es sous les traverses, alors que le relĂšvement d'un ballast de pierrailles est coĂ»teux. On Ă©conomise ainsi le ballast qui, descendant avec le remblai ou pĂ©nĂ©trant dans celui-ci, serait perdu. AprĂšs un an ou deux, lorsque le tassement du remblai a cessĂ©, on parachĂšve la pose au moyen de ballast de pierrailles. La cendrĂ©e est encore utilisĂ©e comme assise entre les terres argileuses et le ballast de pierrailles car elle empĂȘche l'argile de refluer dans le ballast. En Belgique, sur des lignes Ă faible trafic, on a, pour rĂ©duire les dĂ©penses, mis Ă l'essai un ballast de cendrĂ©es de 20 centimĂštres d'Ă©paisseur, surmontĂ© d'une couche de gros ballast sur 10 centimĂštres d'Ă©paisseur. Le sable. - GĂ©nĂ©ralement mĂȘlĂ© Ă des matiĂšres terreuses, le sable manque de permĂ©abilitĂ©. Par suite de la petitesse de ses Ă©lĂ©ments, il est facilement entraĂźnĂ© par les eaux ou soulevĂ© par le vent. Ces dĂ©fauts le classent derriĂšre les cendrĂ©es. On ne l'emploie guĂšre que sur des lignes trĂšs secondaires et eu Ă©gard aux circonstances locales. En Belgique, on ne l'utilise pas comme ballast. Lors de sa rĂ©ception, le ballast, s'il s'agit d'un matĂ©riau nouveau, est soumis Ă des essais divers L'Ă©preuve au choc ; On dĂ©termine le poids spĂ©cifique de la pierre, aprĂšs l'avoir sĂ©chĂ©e pendant trois heures la tempĂ©rature de la pierre est de 50° C ; L'Ă©preuve d'hygromĂ©trie. On trempe la pierre dans l'eau et on mesure l'augmentation de son poids ; L'Ă©preuve de gĂ©livitĂ©. La pierre imbibĂ©e d'eau est gelĂ©e et dĂ©gelĂ©e vingt-cinq fois consĂ©cutives pour constater son degrĂ© de gĂ©livitĂ© ; L'examen d'abrasion par la machine de Bauschinger ou de Deval ; L'examen pĂ©trographique pour dĂ©terminer les caractĂ©ristiques de la roche. Lorsque la pierre est connue, on peut se contenter de vĂ©rifier le calibrage et la propretĂ©. Il apparaĂźt que si l'on veut classer les matĂ©riaux de ballastage d'aprĂšs leurs qualitĂ©s, on peut, toutes choses Ă©gales, les ranger dans l'ordre suivant Pierrailles porphyre, basalte, granit, gneiss ; grĂšs dur, quartzite ; calcaire dur note 008. Laitier concassĂ©. Gravier de riviĂšre et gravier lavĂ© gravier concassĂ© ; gravier de carriĂšre. Mattes de plomb laitier de four Ă plomb, mattes de zinc. CendrĂ©es. Laitier granulĂ©. Sable. 3. Choix du ballast. Le ballast, constituant le support commun des traverses, le choix Ă faire entre les qualitĂ©s diverses a une trĂšs grande importance. Ce choix est conditionnĂ© par les ressources locales ; le prix qu'il faut payer pour un bon ballast. Les pays qui disposent de plusieurs espĂšces de ballast les emploient toutes en plus ou moins grande quantitĂ©, rĂ©servant les meilleures aux voies principales. En procĂ©dant de la sorte, on Ă©vite de donner un monopole Ă certains producteurs. En mettant les fournisseurs en concurrence, mĂȘme si les qualitĂ©s ne s'Ă©quivalent pas absolument, on arrive Ă un abattement des prix. En Belgique, on emploie indiffĂ©remment le ballast concassĂ© de porphyre, de grĂšs, de calcaire dur et de laitier, en ayant Ă©gard aux ressources locales, aux prix en carriĂšre et aux frais de transport. 4. Dimensions des Ă©lĂ©ments. Aux chemins de fer belges, les pierrailles et le laitier sont fournis normalement au calibre 40 X 60 mm la longueur Ă©tant mesurĂ©e en diagonale. Le ballast est calibrĂ© au trommel ou Ă la grille Ă secousses, le criblage Ă la fourche Ă la carriĂšre Ă©tant interdit parce que laissant Ă dĂ©sirer. Lorsque la dimension dĂ©passe 60 mm, le bourrage devient difficile. Pour obtenir la permĂ©abilitĂ© maximum, les dimensions doivent ĂȘtre aussi uniformes que possible, sinon les Ă©lĂ©ments les plus petits combleraient les vides laissĂ©s entre les plus gros. Cette uniformitĂ© donne de la compacitĂ© au ballast et favorise une rĂ©partition rĂ©guliĂšre des pressions sur la plateforme. Fig. 4. - Prix du ballast 40 X 60 mm porphyre, grĂšs, laitier en francs belges par mÂł, de 1927 Ă 1940. Si le ballast 40 X 60 mm est le type normal, on emploie Ă©galement du 10 X 50 mm, meilleur marchĂ©, mais de qualitĂ© infĂ©rieure. On l'utilise sur les lignes Ă faible circulation ainsi que dans les gares oĂč les gros Ă©lĂ©ments fatiguent les agents des manĆuvres note 010. Quant aux grenailles ou plaquettes de 10 X 25 mm, elles sont employĂ©es pour le nivellement des voies par le procĂ©dĂ© du soufflage mesurĂ© » dont il sera question plus loin. Les plaquettes procurent un contact meilleur contre les traverses. Avec le gros ballast, les traverses reposent sur les pointes ou les arĂȘtes des pierres, d'oĂč tassement irrĂ©gulier. Il en rĂ©sulte des interventions plus frĂ©quentes du personnel d'entretien pour niveler la voie. A titre documentaire, les diagrammes, fig. 4 et 5, montrent comment a variĂ© le prix du ballast 40 X 60 mm porphyre, grĂšs, laitier concassĂ© au cours de ces derniĂšres annĂ©es. Ces prix comportent des Ă©carts considĂ©rables, ceux-ci dĂ©pendent des quantitĂ©s et des qualitĂ©s en prĂ©sence sur les marchĂ©s intĂ©rieurs et de la demande des marchĂ©s extĂ©rieurs. La S. N. C. B. utilise moyennement de Ă mÂł de ballast par an, ce qui, aux prix de 1950, reprĂ©sente de 36 Ă 45 millions de f. Fig. 5. - Prix du ballast 40 X 60 mm porphyre, grĂšs, laitier en francs belges par tonne, de 1945 Ă 1950. Le poids d'un mĂštre cube de ballast de 40 X 60 mm ou de 20 X 40 mm est en moyenne de kg. 5. Congo belge. Ballastage des lignes Ă voie de 1,067 m mesurĂ©e entre les faces intĂ©rieures des bourrelets des rails 1° Ballast provisoire. On emploie la terre ordinaire ou la terre sablonneuse que l'on trouve sur les Ă -cĂŽtĂ©s de la voie. 2° Ballast dĂ©finitif. On utilise les pierres concassĂ©es au calibre 40 X 60 mm quartzites, grĂšs, calcaires, dolomie, selon la roche qui affleure le long de la ligne et compte tenu du souci de rĂ©duire au minimum les distances de transport ; la limonite granuleuse, minerai de fer pauvre dĂ©sagrĂ©gĂ© que l'on trouve en abondance dans certaines rĂ©gions. Le ballastage en limonite granuleuse se comporte bien. Cependant il exige des rechargements assez frĂ©quents tous les 2 ou 3 ans lorsqu'il repose sur une plateforme sablonneuse et compressible KasaĂŻ. 6. Coefficient de ballast. Le ballast, constituant la fondation de la voie, est caractĂ©risĂ© par ce que l'on appelle le coefficient de ballast. Si p est la pression exercĂ©e sur l'unitĂ© de surface du ballast, l'enfoncement Ă©lastique correspondant y de la traverse sera d'autant plus faible que le ballast rĂ©sistera mieux ; on peut Ă©crire fig. 6 dans laquelle C reprĂ©sente le coefficient de ballast. Cette formule, dite de Winkler, exprime la valeur de la contre-pression du ballast sur l'unitĂ© de surface d'appui des traverses. Fig. 6 Puisque , on peut dire encore que le coefficient de ballast correspond au nombre de kg par cmÂČ nĂ©cessaire pour produire un enfoncement Ă©lastique de la traverse Ă©gal Ă un centimĂštre. D'aprĂšs les expĂ©riences de Hautzschel C = 3, pour le ballast de gravier Ă©tendu directement sur la plateforme, C = 8, pour le ballast de gravier sur couche de fond de pierrailles, C = 18, pour le ballast de pierres cassĂ©es sur couche de fond de pierrailles. Les chemins de fer japonais estiment que la valeur de C est Ă©gale Ă 5 pour une plateforme mĂ©diocre et Ă 13 pour une bonne plateforme. L'hypothĂšse de Winkler admet que le ballast se comporte comme un corps Ă©lastique et, dans les limites des efforts ordinaires, uniformĂ©ment Ă©lastique. Elle admet encore que toutes les caractĂ©ristiques du ballast et de l'assiette terrain, bourrage, etc. sont constantes pour toute la surface de l'appui de la traverse. Bien entendu, comme le nom l'indique, la notion de coefficient de ballast s'applique Ă l'enfoncement de la traverse mesurĂ© sur l'Ă©paisseur du ballast proprement dit, celui-ci Ă©tant supposĂ© reposant sur une plateforme fixe. En d'autres termes, la mesure de la dĂ©nivellation de l'assise supĂ©rieure du ballast ne donne pas la valeur exacte de ce coefficient puisque cette dĂ©nivellation comprend Ă©galement l'affaissement de la plateforme. Les allemands disent plus justement Unterlageziffer » coefficient des couches infĂ©rieures » ou coefficient de sous-sol ». L'expĂ©rience montre, en effet, que lorsqu'une traverse dĂ©terminĂ©e s'affaisse sous la charge d'un essieu, le sous-sol descend en mĂȘme temps que la traverse considĂ©rĂ©e, dans une moindre mesure souvent note 012. En outre, l'affaissement du sous-sol n'est pas limitĂ© Ă l'aplomb de la seule traverse chargĂ©e, cet affaissement s'Ă©tend aux traverses voisines, tout en s'affaiblissant, et cela, indĂ©pendamment de la charge que la raideur du rail reporte sur celles-ci. Il s'ensuit que dans les hypothĂšses que l'on introduit lors du calcul du profil d'un rail, ce n'est pas la grandeur de l'affaissement absolu d'une traverse qu'il faut considĂ©rer mais bien la diffĂ©rence d'affaissement de deux traverses voisines l'affaissement relatif de la traverse. Le ballast en service se dĂ©prĂ©cie par les cendres qui tombent des foyers des locomotives ; par l'humus formĂ© par les vĂ©gĂ©taux ; par les matiĂšres terreuses apportĂ©es par le vent et par les matiĂšres diverses qui tombent des wagons Ă marchandises par suite des secousses qu'ils subissent ; par les poussiĂšres qui proviennent du broiement des Ă©lĂ©ments par les charges roulantes et par les chocs des outils de bourrage. Pour conserver ou rendre au ballast ses qualitĂ©s premiĂšres, il faut comme Ă la munir les foyers des locomotives de cendriers Ă©tanches ; procĂ©der rĂ©guliĂšrement au dĂ©sherbage ; nettoyer pĂ©riodiquement le ballast. Le criblage se fait mĂ©caniquement ou Ă la main, en lançant le ballast au travers de grilles mĂ©talliques. Il n'est rentable que si la proportion de bon ballast est encore suffisante. 7. IntensitĂ© du bourrage. Le bourrage est plus intense au point d'application de la charge, c'est-Ă -dire sous le rail et sur 40 cm Ă 50 cm de part et d'autre du rail en Belgique 40 cm. Au delĂ , l'intensitĂ© va dĂ©croissant. De cette façon, la flexion de la traverse au passage des trains se produit Ă©galement sur toute la longueur et on Ă©vite son basculement ou sa rupture. Le bourrage de la voie se vĂ©rifie par percussion, au moyen d'une canne en acier terminĂ©e par une boule Ă©galement en acier. Le choc sur la traverse rend un son plein ou un son creux selon que le bourrage est suffisant ou non. 8. Faut-il ou non recouvrir les traverses par le ballast ? Le recouvrement des traverses prĂ©sente l'avantage de soustraire les traverses et les patins des rails Ă l'action de la chaleur solaire ce qui, d'une part, peut rĂ©duire la dilatation et, partant, la contrainte note 013 des rails de grande longueur et, d'autre part, est favorable Ă la conservation des traverses en bois. Comme nous le verrons plus loin, si la contrainte est admise actuellement pour les rails, il y a intĂ©rĂȘt Ă la rĂ©duire dans la mesure du possible. Le recouvrement a, par contre, l'inconvĂ©nient de rendre les attaches du rail aux traverses peu visibles et moins accessibles, d'oĂč risque de relĂąchement des attaches. Les attaches recouvertes se rouillent aussi plus rapidement. Le recouvrement retarde encore l'assĂšchement des traverses mouillĂ©es. Il rend prĂ©caire l'isolement Ă©lectrique des circuits de voie. A l'heure actuelle, on attache la plus grande importance Ă la bonne fixation et Ă la conservation des attaches, c'est pourquoi on renonce gĂ©nĂ©ralement au recouvrement des traverses. On estime, par ailleurs, que la masse entiĂšre du ballast doit ĂȘtre employĂ©e lĂ oĂč son utilisation est la meilleure, c'est-Ă -dire sous les traverses, entre les traverses, ainsi que pour contrebuter les extrĂ©mitĂ©s des traverses. Le ballast est un matĂ©riau coĂ»teux et tout excĂ©dent reprĂ©sente une dĂ©pense inutile. 9. Le dĂ©sherbage. La vĂ©gĂ©tation herbacĂ©e qui se dĂ©veloppe plus ou moins rapidement dans le ballast en altĂšre les qualitĂ©s. Les plantes, obstruant les intervalles du ballast, contrarient l'Ă©coulement des eaux de pluie. Eu pourrissant, les plantes forment de l'humus qui favorise la vĂ©gĂ©tation Ă la saison suivante. La plateforme devient humide, les traverses finissent par danser dans la boue qui remonte Ă la surface du ballast. On doit donc procĂ©der pĂ©riodiquement au dĂ©sherbage. Le dĂ©sherhage manuel Ă la pelle ou Ă la rasette est coĂ»teux ; il est imparfait car les racines restent dans le sol et repoussent aprĂšs quelques semaines. Ces procĂ©dĂ©s rĂ©alisent d'ailleurs un Ă©claircissage qui fortifie les plantes qui restent. DĂ©sherbeuses mĂ©caniques. - Les dĂ©sherbeuses mĂ©caniques comportent essentiellement des couteaux verticaux qui arrachent les herbes entre les traverses, un deuxiĂšme mĂ©canisme manĆuvre une charrue qui dĂ©sherbe le ballast latĂ©ralement Ă la voie, un troisiĂšme mĂ©canisme laboure le ballast de l'entrevoie, enfin, un rĂąteau rotatif trie l'herbe en Ă©galisant la surface du ballast et remet celui-ci au profil normal. Leur vitesse de circulation est de 5 km/h. Le coĂ»t du dĂ©sherbage mĂ©canique reviendrait Ă la moitiĂ© environ de ce que coĂ»te le mĂȘme travail fait Ă la main. Le dĂ©sherbage mĂ©canique prĂ©sente l'avantage d'ameublir le ballast en dehors des moules » des traverses, sans dĂ©ranger l'assiette de celles-ci. A remarquer que dans les gares, Ă cause des obstacles tringles, fils, lanternes, etc., le dĂ©sherbage se fait Ă la main ou chimiquement. Signalons encore que, sur certains rĂ©seaux amĂ©ricains, on procĂšde Ă la destruction des herbes au moyen de brĂ»leurs. DĂ©sherhage chimique. - Actuellement, on a de plus en plus recours au dĂ©sherbage chimique par arrosage au moyen d'un liquide caustique, le plus souvent une solution de chlorate de soude. L'agent destructeur est l'oxygĂšne naissant mis en libertĂ© par le chlorate et qui oxyde la matiĂšre organique de la plante. AprĂšs un arrosage, on constate gĂ©nĂ©ralement que toute trace de vĂ©gĂ©tation a disparu, tout au moins en ce qui concerne les plantes annuelles. Il ne reste que quelques plantes vivaces prĂȘles, liserons, orties et tussilages pour lesquelles un second arrosage est nĂ©cessaire. On choisit le printemps pour le premier arrosage, donc d'avril Ă mai, en commençant, bien entendu, par les rĂ©gions oĂč la vĂ©gĂ©tation est le plus prĂ©coce. Le cas Ă©chĂ©ant, on procĂšde au second arrosage quelques semaines aprĂšs. Il est Ă remarquer que le chlorate doit agir sur les racines et que, si les plantes sont montĂ©es en graines, celles-ci ne sont pas dĂ©truites par le liquide herbicide. Les groupes dĂ©sherbeurs sont conçus de maniĂšre que le mĂ©lange herbicide puisse ĂȘtre rĂ©pandu uniformĂ©ment, quels que soient la vitesse de circulation du groupe, le niveau du liquide dans la citerne et le profil en long de la ligne. Le groupe peut ĂȘtre accrochĂ© Ă un train de voyageurs ou de marchandises, mais le plus souvent on se sert d'un train spĂ©cial. Il est possible de proportionner le dosage ou le dĂ©bit Ă l'importance des herbes Ă dĂ©truire. Enfin, au fur et Ă mesure que le degrĂ© de stĂ©rilitĂ© du ballast augmente, certaines parties de lignes peuvent n'ĂȘtre arrosĂ©es qu'une fois par an. Un groupe dĂ©sherbeur avec citerne de 40 mÂł permet d'arroser 100 kilomĂštres de voie simple sans rĂ©approvisionnement et de couvrir 200 kilomĂštres de voie simple par journĂ©e de 8 heures. Le succĂšs de l'opĂ©ration dĂ©pend non seulement de la concentration de la solution, mais aussi de l'Ă©poque du traitement, de la pulvĂ©risation du liquide, de la nature du sol et surtout du plus ou moins d'abondance des pluies qui peuvent tomber dans la pĂ©riode qui suit l'arrosage. Il ne faut jamais procĂ©der au dĂ©sherbage par grand vent, de crainte d'atteindre les cultures voisines ; par pluie abondante, qui entraĂźnerait la solution herbicide au fur et Ă mesure de son Ă©pandage. Notons que le chlorate de soude est trĂšs soluble ; par forte chaleur, pour Ă©viter l'Ă©vaporation trop rapide du liquide qui dĂ©poserait alors des cristaux de sel Ă la surface du sol, sur les traverses, et risquerait de provoquer des incendies. Quant Ă la rĂ©sistance des herbes, elle est fonction de leur nature, de leur Ăąge et de la puissance de leur systĂšme radiculaire. A remarquer que la germination des plantes s'Ă©tend sur plusieurs semaines et comme il faut dĂ©truire les derniĂšres graines qui ont germĂ©, on comprend qu'il puisse y avoir utilitĂ© Ă procĂ©der Ă un deuxiĂšme arrosage, indĂ©pendamment de la rĂ©sistance plus ou moins grande des herbes. A l'Ă©poque de son introduction Ă la S. N. C. B., en 1929, le dĂ©sherbage Ă la main revenait Ă 13 centimes le mÂČ dans la cendrĂ©e et Ă 25 centimes dans le ballast dur ; le dĂ©sherbage chimique ne coĂ»tait que 8 centimes, quel que fĂ»t le ballast et pour deux arrosages. En Allemagne, en 1927, on dĂ©sherba au chlorate de soude kilomĂštres de voie. La dĂ©pense, y compris l'eau, la locomotive et le personnel, fut de 50 RM. par kilomĂštre de voie, tandis que le dĂ©sherbage Ă la main coĂ»tait 140 RM. Il y a donc une Ă©conomie de note 015 Le chlorate de soude prĂ©sente l'inconvĂ©nient sĂ©rieux d'exploser trĂšs facilement sous un choc ou par friction et, une fois enflammĂ©, d'activer singuliĂšrement la combustion des matiĂšres organiques avec lesquelles il se trouve en contact. En Belgique, on ajoute au chlorate de sonde un peu de carbonate de soude, afin d'attĂ©nuer le danger d'incendie note 016. On admet qu'il faut 15 grammes de chlorate par mÂČ Ă chaque arrosage 150 kg par hectare. On s'accorde Ă reconnaĂźtre que le traitement chimique est la meilleure mĂ©thode d'Ă©limination des herbes dans les voies il est rapide, Ă©conomique et efficace. Il maintient une voie propre pendant plus longtemps que les autres procĂ©dĂ©s. Depuis un certain temps, on oriente les recherches vers l'emploi d'huiles d'antracĂšne ou de pĂ©trole qui, rĂ©pandues en Ă©mulsion, procureraient une stĂ©rilisation du sol plus durable et coĂ»teraient moins cher. Remarque. - Pour rendre plus efficaces les arrosages herbicides, il conviendrait de chercher Ă rĂ©duire le dĂ©veloppement de la vĂ©gĂ©tation herbacĂ©e aux abords des voies ferrĂ©es, notamment sur les talus. La prĂ©sence sur ceux-ci d'une vĂ©gĂ©tation ligneuse acacias, genĂȘts, etc. constituerait, dans une certaine mesure, un obstacle Ă la croissance des vĂ©gĂ©taux herbacĂ©s. Ceux-ci produisent gĂ©nĂ©ralement des graines en abondance qui se rĂ©pandent sur la voie ferrĂ©e Ă un moment oĂč la stĂ©rilisation de celle-ci est dĂ©jĂ attĂ©nuĂ©e par les pluies du fait de la grande solubilitĂ© du chlorate et, dĂšs lors, peuvent y germer en quantitĂ© suffisante pour provoquer un nouvel envahissement de la voie par la vĂ©gĂ©tation. Enfin, d'aucuns prĂ©conisent de traiter les abords des voies ferrĂ©es et les excĂ©dents d'emprise, dĂ©pĂŽts de cendrĂ©es, terrains plus ou moins Ă l'abandon, par des sulfocyanures qui, plus sĂ»rement que le chlorate, tueraient les plantes vivaces. Il faut alors nĂ©cessairement veiller Ă ce que les terrains voisins ne soient pas Ă©claboussĂ©s de sulfocyanure parce qu'il en rĂ©sulterait du danger pour le bĂ©tail. DEUXIĂME PARTIELes Traverses RĂŽle des traverses. Le rĂŽle des traverses est de maintenir les rails Ă l'Ă©cartement normal et de rĂ©partir la charge que les rails reçoivent des essieux sur une Ă©tendue suffisante de ballast pour ne pas dĂ©passer une certaine charge unitaire. Sous quelles conditions les traverses rempliront-elles convenablement cet office ? C'est Ă la fois une question de surface et une question de rĂ©sistance. Il faut que par leurs dimensions en longueur et en largeur, elles fournissent une surface d'appui suffisante pour que la pression unitaire reste dans certaines limites ; que leur Ă©paisseur leur donne la rigiditĂ© nĂ©cessaire tout en leur laissant une certaine Ă©lasticitĂ©. Il convient encore que leur longueur soit telle qu'elle contribue Ă la stabilitĂ© de la voie ; que par leur forme, les traverses s'opposent efficacement aux dĂ©placements longitudinaux et transversaux ; qu'elles rĂ©sistent aux agents atmosphĂ©riques ; qu'elles se prĂȘtent au bourrage » de la voie ; qu'elles permettent l'emploi d'un systĂšme d'attaches du rail qui soit solide sans toutefois ĂȘtre trop rigide ; qu'elles donnent Ă©ventuellement l'inclinaison de 1/20 aux rails. En ce qui concerne la longueur des traverses remarquons que l'Ă©cartement des rails points d'application de la charge Ă©tant invariable, une traverse trop longue a une tendance Ă se cintrer vers le bas et son milieu vient porter sur le ballast en la rendant dangereuse ; une traverse trop courte tend Ă se cintrer vers le haut et ses deux extrĂ©mitĂ©s, ayant une surface d'appui insuffisante, ont tendance Ă s'enfoncer. On rencontre, Ă l'heure actuelle, trois types de traverses les traverses en bois, les traverses mĂ©talliques, les traverses en bĂ©ton armĂ©. CHAPITRE ITraverses en bois 1. - Dimensions A la S. N. C. B., les traverses en bois mesurent 2,60 m de longueur sur 28 cm de largeur Ă la base et 14 cm d'Ă©paisseur. En Allemagne, 2,70 m x 26 cm x 16 cm. En France, 2,50 m Ă 2,70 m x 20 Ă 30 cm x 12 Ă 15 cm. La surface d'appui d'une traverse ordinaire de 2,60 m x 0,28 Ă©tant de cmÂČ, la pression statique sur le ballast, supposĂ©e uniformĂ©ment rĂ©partie serait, dans le cas d'un essieu de locomotive chargĂ© de 24 tonnes note 018, de . Mais si l'on tient compte de ce que la traverse n'est bourrĂ©e que sur ± 45 cm de part et d'autre du rail, cette pression statique sur le ballast devient ballast. Si le bourrage n'existe que sur 40 cm, cette pression monte Ă 5 kg/cmÂČ. Quelle est, pour cette charge de 24 tonnes par essieu, la pression statique unitaire sur la plate-forme AB fig. 7 au moment oĂč les deux roues passent au milieu de la traverse ? Fig. 7 ConsidĂ©rons une traverse isolĂ©e de 2,60 m X 0,28 m posant sur son moule de ballast de 30 cm de hauteur. L'angle d'Ă©boulement naturel du ballast Ă©tant estimĂ© Ă 45°, nous nous placerons dans des conditions peut-ĂȘtre un peu trop favorables, si nous estimons que la transmission de la charge se fait aussi dans la limite de cet angle. Dans ces conditions, la largeur de l'appui AB sera de 0,88 m, la longueur CD fig. 8 de 2 X ± 1,50 m = ± 3 m, la surface de transmission Ă la plateforme sera de 2,64 mÂČ, soit une charge unitaire de Plateforme. Or, un terrain de qualitĂ© mĂ©diocre peut dĂ©jĂ supporter 1 kg/cmÂČ, le sable 2 kg/cmÂČ, les terres de 3 Ă 4 kg/cmÂČ. Fig. 8 Si la charge par essieu Ă©tait plus Ă©levĂ©e ou le sol plus mauvais, une augmentation de l'Ă©paisseur du ballast rĂ©soudrait la question. Ainsi, un ballast de 0,40 m d'Ă©paisseur fig. 7 fournirait une surface d'appui de 1,08 m x 3,20 m note 019_1 = 3,4560 mÂČ de sorte qu'avec une charge de 30 tonnes par essieu, par exemple, la charge unitaire serait sensiblement identique Ă la prĂ©cĂ©dente. Fig. 9 Mais le problĂšme ainsi considĂ©rĂ© n'est pas tout Ă fait exactement posĂ© car il faut l'Ă©tendre au cas de plusieurs traverses voisines fig. 9. La distance minimum entre deux essieux est de 1,50 m, l'Ă©cartement courant d'axe en axe des traverses est de 0,65 m, voire 0,60 m sur les voies trĂšs chargĂ©es note 019_2. Nous nĂ©gligeons la raideur du rail c'est-Ă -dire la solidaritĂ© des traverses. La figure 9 montre que les moules interfĂšrent dĂ©jĂ avec 0,30 m d'Ă©paisseur. Si donc, la traverse n° 2 Ă©tait chargĂ©e en son milieu comme la traverse n° 1, l'augmentation de l'Ă©paisseur du ballast ne modifierait pas les conditions de sollicitation et n'aurait pour effet que d'augmenter l'Ă©lasticitĂ© du ballast. En fait, dans l'exemple choisi, la charge du deuxiĂšme essieu porte entre les traverses n° 3 et n° 4 et, dĂšs lors, pour une Ă©paisseur de 40 cm de ballast, la charge sur la 1re traverse se transmet en profondeur sur l'Ă©tendue EF de la plateforme. Remarquons qu'une trop grande Ă©paisseur de ballast retarderait sans utilitĂ© la stabilisation de la voie. Dans tout ce qui prĂ©cĂšde, nous n'avons envisagĂ© que les charges statiques, nous parlerons des efforts dynamiques dans la 3me partie, chap. II. 2. - Travelage densitĂ© de traverses par km Nous avons dit que l'Ă©cartement d'axe en axe des traverses Ă©tait de l'ordre de 0,65 m. Cependant, Ă la S. N. C. B., ce sont des considĂ©rations de vitesse qui, en raison de l'impact, dĂ©finissent le travelage Ă adopter en voies principales traverses par km si la vitesse est Ă©gale ou supĂ©rieure Ă 120 km/h, traverses par km si la vitesse comprise entre 90 et 120 km/h, traverses par km si la vitesse infĂ©rieure Ă 90 km/h. Sur les autres rĂ©seaux europĂ©ens, le travelage varie de Ă Le resserrement du travelage est limitĂ© par la nĂ©cessitĂ© de pouvoir introduire dans l'intervalle les outils de bourrage ou de soufflage. Toutes choses Ă©gales, le renforcement du profil du rail permettrait de diminuer le nombre de traverses. 3. - Forme Les profils usuels sont 1° la section semi-ronde fig. 10 provenant de rondins sciĂ©s en deux suivant l'axe longitudinal ; 2° la section rectangulaire ou traverse plate fig. 11 provenant ou bien de grumes Ă©quarries sciĂ©es en deux ou en quatre suivant la longueur, voire en un plus grand nombre de traverses si les dimensions transversales de la poutre Ă©quarrie le permettent fig. 12 ou bien encore de rondins auxquels on a enlevĂ© une dosse infĂ©rieure, une dosse supĂ©rieure et deux dosses latĂ©rales. Avec la section semi-circulaire, il faut entailler davantage le bois pour que la surface d'appui du patin du rail soit en rapport avec la charge des essieux les plus lourds fig. 13. Comme l'Ă©paisseur doit nĂ©anmoins ĂȘtre suffisante pour permettre ultĂ©rieurement un certain nombre de resabotages, la traverse semi-ronde devra, toutes choses Ă©gales, avoir une hauteur totale plus grande qu'une traverse rectangulaire. Fig. 13 Ă 15. - Sabotage de la traverse. Quant Ă la section rectangulaire, elle doit, Ă base Ă©gale, ĂȘtre extraite de troncs d'arbres de plus grand diamĂštre, d'oĂč l'emploi de bois de meilleure qualitĂ©. 4. - Essences Le choix des essences est conditionnĂ© par leur rĂ©sistance Ă la destruction mĂ©canique provoquĂ©e par la circulation des trains, c'est-Ă -dire par la duretĂ© et la cohĂ©sion du bois ; par leur rĂ©sistance Ă la pourriture, celle-ci Ă©tant d'ailleurs accĂ©lĂ©rĂ©e par les alternances d'humiditĂ© et de sĂ©cheresse ; par les facilitĂ©s plus ou moins grandes d'approvisionnement ; enfin, par des raisons d'Ă©conomie. Pour des voies parcourues par des trains nombreux, rapides ou Ă essieux lourdement chargĂ©s, on donnera la prĂ©fĂ©rence aux bois durs qui sont plus rĂ©sistants mais qui coĂ»tent plus cher. Par leur duretĂ© et leur cohĂ©sion, ils rĂ©sistent mieux aux efforts verticaux qui tendent soit Ă rompre les traverses, soit Ă endommager la surface d'appui des rails ; de mĂȘme, ils rĂ©sistent mieux aux efforts horizontaux qui tendent Ă Ă©branler les attaches. Les essences tendres, Ă bon marchĂ©, seront rĂ©servĂ©es aux voies secondaires sur lesquelles ne circulent que des trains peu frĂ©quents, de vitesse rĂ©duite ou Ă faible charge par essieu ; la modicitĂ© des recettes de ces lignes ayant pour corollaire obligĂ© une exploitation trĂšs Ă©conomique. Cependant, les raisons de densitĂ© de trafic et d'Ă©conomie pourront parfois flĂ©chir devant les difficultĂ©s d'approvisionnement, quitte Ă recourir Ă un renouvellement plus frĂ©quent. Mais dans ce cas, dans l'Ă©tablissement du prix de revient, il faudra tenir compte de la dĂ©pense de main d'Ćuvre poses et dĂ©poses de la voie. Certains spĂ©cialistes estiment que dans les voies bien Ă©tablies et bien entretenues, c'est-Ă -dire lĂ oĂč l'on a le souci constant du bon conditionnement des attaches et oĂč l'on remĂ©die aux dĂ©fauts Ă©ventuels du bourrage, la mise hors service des traverses rĂ©sulte moins de leur destruction mĂ©canique que de la consomption du bois, au bout de 20 Ă 25 ans, sous l'effet des intempĂ©ries. Fig. 16. - Prix payĂ©s par les chemins de fer belges pour les traverses en bois de 1913 Ă 1940. Parmi les bois durs, le chĂȘne et le hĂȘtre sont les plus employĂ©s ; parmi les essences tendres, le sapin, le pin et le mĂ©lĂšze. En Belgique, en ce qui concerne les traverses en bois, on n'emploie en principe que des traverses en chĂȘne. Celles-ci, avant la derniĂšre guerre, provenaient pour les trois quarts environ de France, de Pologne et de Yougoslavie. Pour le surplus, les chemins de fer belges emploient toutes les piĂšces que les forĂȘts du pays peuvent leur fournir, mais la production indigĂšne en traverses ne dĂ©passe pas piĂšces par an et, encore, ce chiffre comprend-il 25 % environ de traverses en hĂȘtre. Lors de la rĂ©ception des traverses, les cahiers des charges prĂ©cisent les qualitĂ©s que les bois doivent prĂ©senter, les dĂ©fauts dont ils doivent ĂȘtre exempts ainsi que les tolĂ©rances admises. A titre documentaire, les diagrammes, fig. 16 et 17, donnent une idĂ©e de la variation des prix payĂ©s par les chemins de fer belges pour les traverses en bois. On constate que ces prix varient du simple au double selon qu'il y a plĂ©thore ou insuffisance de traverses sur les marchĂ©s intĂ©rieur et extĂ©rieur. Fig. 17. - Prix payĂ©s par la S. N. C. B. pour les traverses en bois de 1943 Ă 1930. 5. - L'imprĂ©gnation des traverses en bois 1° GĂ©nĂ©ralitĂ©s. L'Ă©tude de cette opĂ©ration relevant de la Chimie Industrielle, nous rĂ©sumerons simplement la question aux considĂ©rations suivantes La pourriture du bois est due essentiellement Ă l'action de champignons qui se nourrissent des tissus ligneux et les dĂ©truisent. Or, pour vivre et se dĂ©velopper, ces parasites du bois demandent une tempĂ©rature favorable et certaines quantitĂ©s d'air, d'humiditĂ© et de nourriture. Pour rendre les bois imputrescibles, il faut donc supprimer l'une des quatre conditions nĂ©cessaires Ă la croissance des champignons. Pour les traverses, partiellement enfouies dans le ballast et exposĂ©es aux intempĂ©ries, il n'est pas possible d'empĂȘcher la pourriture en agissant sur l'air ou sur la tempĂ©rature ou sur l'humiditĂ© ; il ne reste qu'Ă chercher Ă empoisonner la nourriture. Dans ce but, on imprĂšgne les traverses d'un produit chimique qui fait du bois un produit toxique pour les champignons. Mais il faut nĂ©cessairement encore que la matiĂšre injectĂ©e dans le bois puisse y pĂ©nĂ©trer assez facilement et qu'en mĂȘme temps, cette matiĂšre ne se volatilise pas et ne se dĂ©laye pas. Les procĂ©dĂ©s d'imprĂ©gnation des traverses diffĂšrent les uns des autres, soit par la nature de la substance employĂ©e, soit par les moyens mis en Ćuvre pour la faire pĂ©nĂ©trer dans le bois. Les antiseptiques les plus courants sont la crĂ©osote, les solutions de chlorure de zinc ZnCl2 ou de sulfate de cuivre CuSO4. La crĂ©osote est certainement le plus efficace, mais elle coĂ»te cher. C'est un mĂ©lange d'huiles lourdes provenant de la distillation, entre 200° et 355°, du goudron de houille note 024. Son poids spĂ©cifique varie de 1 Ă 1,1. On ne doit pas la confondre avec la crĂ©osote pure, employĂ©e en mĂ©decine, celle-ci Ă©tant un produit de la distillation du bois. La crĂ©osote Ă©tant insoluble dans l'eau, il se conçoit que l'imprĂ©gnation par ce produit soit beaucoup plus durable que celle rĂ©sultant de l'emploi des antiseptiques salins ZnCl2, CuSO4, etc.. Ces sels ne sont pas fixĂ©s d'une maniĂšre indĂ©lĂ©bile par le bois. Ătant solubles dans l'eau, ils sont dĂ©lavĂ©s par les eaux de pluie et, au bout d'un certain temps, perdent leurs propriĂ©tĂ©s protectrices. L'Ă©conomie de l'emploi du chlorure de zinc dĂ©pend beaucoup des conditions climatĂ©riques. Il prolonge efficacement la durĂ©e de service des traverses dans les climats secs, mais dans les rĂ©gions oĂč les pluies sont abondantes et l'atmosphĂšre humide, le traitement au chlorure est influencĂ© dĂ©favorablement par l'action de l'eau. Dans les traverses traitĂ©es au chlorure de zinc, on remarque ordinairement une roussissure de la fibre, roussissure qui varie avec les diffĂ©rentes espĂšces de bois. Les traverses prĂ©sentent alors une apparence de dessĂšchement et, avec le temps, les couches concentriques annuelles se sĂ©parent et les fibres de chaque couche se disloquent. Il en rĂ©sulte que la durĂ©e de rĂ©sistance de la traverse aux agents mĂ©caniques diminue et que l'antiseptique est dĂ©lavĂ© plus rapidement. La crĂ©osote prĂ©sente, au contraire, une aptitude Ă lier les fibres qui est d'autant plus grande que la teneur en matiĂšre rĂ©sineuse est plus forte. Certains spĂ©cialistes estiment qu'une quantitĂ© de 50 grammes seulement de crĂ©osote injectĂ©e par dĂ©cimĂštre cube suffit pour garantir la toxicitĂ© du bois. GĂ©nĂ©ralement, selon l'essence, ce taux est dĂ©passĂ© on atteint souvent de 80 Ă 100 grammes. L'excĂ©dent au-delĂ de 50 grammes est d'abord un facteur de sĂ©curitĂ© mais sert, en second lieu, de moyen pour agglutiner les fibres note 025. En ce qui concerne le sulfate de cuivre, on a constatĂ©, pour le surplus, que les traverses imprĂ©gnĂ©es de ce produit, pourrissaient trĂšs rapidement au contact des attaches ; c'est lĂ Ă©videmment un dĂ©faut grave, l'attache Ă©tant le point sensible de la rĂ©sistance de la voie. 2° OpĂ©rations prĂ©liminaires. a SĂ©chage des traverses. Les traverses doivent ĂȘtre extraites de bois contenant le moins de sĂšve possible, par consĂ©quent, de bois abattus en hiver du dĂ©but d'octobre Ă fin fĂ©vrier. L'Ă©corçage et le dĂ©bitage en traverses doivent suivre de prĂšs l'abattage pour que la sĂšve ne soit pas coagulĂ©e, ce qui obstruerait les canaux du bois et rendrait plus difficile la pĂ©nĂ©tration ultĂ©rieure de l'antiseptique. Les traverses fraĂźchement dĂ©bitĂ©es contiennent une certaine quantitĂ© d'eau, or, pour obtenir une bonne imprĂ©gnation, il ne peut y rester que 30 % d'eau. Les traverses doivent donc prĂ©alablement ĂȘtre sĂ©chĂ©es. Pour atteindre ce degrĂ© de siccitĂ©, elles doivent, aprĂšs Ă©corçage Ă©ventuel, sĂ©journer Ă l'air, en piles ouvertes c'est-Ă -dire prĂ©sentant des vides permettant la circulation de l'air entre les piĂšces. Le chĂȘne doit ainsi sĂ©cher pendant six mois et le hĂȘtre pendant un an. Le hĂȘtre est beaucoup plus dĂ©licat que le chĂȘne du point de vue de sa conservation, c'est le bois qui se dĂ©compose le plus facilement. A la S. N. C. B., c'est Ă Ostende que les traverses en hĂȘtre sont entreposĂ©es. LĂ , sous l'influence des vents, du soleil et de l'air salin de la mer, les traverses se conservent et se sĂšchent trĂšs bien pendant la pĂ©riode d'un an prĂ©alable Ă l'imprĂ©gnation. Les chantiers de sĂ©chage Ă l'air doivent ĂȘtre orientĂ©s de façon Ă tirer le meilleur parti des vents dominants. On peut accĂ©lĂ©rer la dessication en abritant les piĂšces sous des hangars Ă©nergiquement ventilĂ©s. La dessication des traverses est plus prompte si elles proviennent d'arbres qui, aprĂšs abattage et Ă©corçage, ont Ă©tĂ© flottĂ©s. En peu de temps, l'eau remplace la sĂšve et, aprĂšs le retrait des arbres de l'eau, la dessication s'opĂšre rapidement en plein air. Du fait que la partie extĂ©rieure de la traverse sĂšche plus vite que les couches intĂ©rieures, les traverses ont une tendance Ă se gercer pendant le sĂ©chage, c'est-Ă -dire Ă se fendiller dans le sens rayonnant. Fig. 18 Ă 20 PrĂ©alablement Ă la pose et pour parer Ă un fendillement excessif, on place des esses en travers des amorces des fentes qui se produisent aux abouts des traverses. Ces esses sont constituĂ©es d'une bande de tĂŽle de section rectangulaire en acier de 3 mm d'Ă©paisseur et de 16 mm de largeur et repliĂ©es en forme d'S avec une longueur totale 10 Ă 15 cm fig. 18 Ă 20. Fig. 21 L'esse, chassĂ©e de force au marteau dans l'about de la traverse au travers de la fente naissante, s'oppose Ă l'Ă©largissement de celle-ci. Quand les fentes s'amplifient, on boulonne l'about de la traverse fig. 21. A 10 cm de l'about, on fore un trou de 14 mm de diamĂštre perpendiculairement Ă l'axe longitudinal, on y passe un boulon de 12 mm de diamĂštre et de 28 Ă 30 cm de longueur. Dans le cas des traverses trĂšs fendues, on prend soin, pendant le serrage de l'Ă©crou du boulon, de maintenir les lĂšvres de la fente fermĂ©es au moyen d'un serre-joint. Le hĂȘtre prĂ©sentant une grande propension Ă se fendre, on prend la prĂ©caution aux chemins de fer belges, de boulonner aux deux bouts toutes les traverses en hĂȘtre avant l'empilage. AprĂšs pose, les fentes qui se produisent facilitent l'introduction de l'air, de l'eau, des poussiĂšres et des matiĂšres terreuses et, par suite, le dĂ©veloppement des champignons destructeurs du bois. Lorsque les fentes se prĂ©sentent au droit des tirefonds de fixation du rail Ă la traverse, elles rendent inopĂ©rant le resserrage pĂ©riodique de ces attaches. Frettage. - Aujourd'hui, par suite de la raretĂ© des traverses en bois et de leur prix Ă©levĂ©, on cherche Ă prolonger leur vie par le frettage. Les frettes sont en acier doux de 10 x 4 mm de section ou en feuillard galvanisĂ© de 25 x 1 mm ou encore en fil de fer galvanisĂ© de 4,4 mm de diamĂštre. Le frettage est effectuĂ© soit sur place dans la voie, soit dans les chantiers de rĂ©gĂ©nĂ©ration des traverses. La fente est d'abord fermĂ©e Ă la presse et la frette est ensuite placĂ©e au moyen d'un tendeur appropriĂ©. Le frettage, trĂšs rĂ©pandu en France, s'est rĂ©vĂ©lĂ© si efficace que, pour prĂ©venir la formation des fentes, la S. N. C. F. envisage mĂȘme de l'appliquer systĂ©matiquement Ă toutes les traverses neuves au moment de leur façonnage. Remarque concernant le chĂȘne. - Certains rĂ©seaux emploient le chĂȘne sans prĂ©paration antiseptique. Ils l'utilisent alors sous forme de traverses parallĂ©lipipĂ©diques. Dans ce cas, le bois doit absolument ĂȘtre exempt de cĆur et d'aubier. Les traverses demi-rondes subissent l'imprĂ©gnation et alors l'aubier est conservĂ© ; c'est lui qui est surtout pĂ©nĂ©trĂ© par l'antiseptique ; le bois parfait, d'un tissu trĂšs serrĂ©, ne reçoit qu'une quantitĂ© beaucoup moindre d'antiseptique. b Sabotage et forage des traverses. AprĂšs sĂ©chage, les traverses sont sabotĂ©es et forĂ©es. Le sabotage, c'est la formation de l'entaille inclinĂ©e au 1/20 ou horizontale qui doit recevoir le patin du rail ou la selle mĂ©tallique intercalaire fig. 13 Ă 15. Le sabotage est pratiquĂ© Ă la machine automatique, soit par scies verticales, limitant les parois de l'entaille, et couteaux horizontaux, exĂ©cutant l'entaille en profondeur, soit par couteaux verticaux formant toupie. Sur le mĂȘme bĂąti de machine, les traverses sont amenĂ©es par chaĂźne sans fin et taquets d'entraĂźnement sous les foreuses Ă©lectriques. LĂ , on perce Ă la machine automatique 4 ou 6 ou 8 trous verticaux ou inclinĂ©s au 1/20, cylindriques ou tronconiques dans lesquels seront vissĂ©s les tirefonds de fixation du patin du rail et de la selle mĂ©tallique Ă la traverse au moment de la pose de la voie. Le perçage Ă la main a une tendance Ă donner un trou oval ou agrandi ; le perçage mĂ©canique remĂ©die complĂštement Ă cet inconvĂ©nient. Le temps nĂ©cessaire est de 2 Ă 3 secondes par trou. Le sabotage et le forage, pratiquĂ©s avant l'imprĂ©gnation, Ă©vitent la destruction de la protection constituĂ©e par le prĂ©servatif. Par ailleurs, cette double opĂ©ration amĂ©liore le traitement chimique puisqu'elle facilite l'entrĂ©e de l'antiseptique dans le bois. Un dispositif d'Ă©vacuation automatique amĂšne les traverses, ainsi prĂ©parĂ©es, sur des wagonnets qui sont tirĂ©s avec leur plein chargement par cabestan Ă©lectrique dans les cylindres oĂč s'effectue l'imprĂ©gnation. 3° ImprĂ©gnation proprement dite. Tous les procĂ©dĂ©s efficaces se rattachent au traitement des traverses dans un cylindre fermĂ© en vue de refouler sous pression l'antiseptique dans le bois. Les procĂ©dĂ©s sous pression ont pour objet essentiel La distribution de l'antiseptique Ă travers tout le bois et d'une maniĂšre aussi uniforme que possible. L'absorption d'une quantitĂ© suffisante d'antiseptique pour obtenir les rĂ©sultats dĂ©sirĂ©s. Les traitements sous pression peuvent se ranger en deux catĂ©gories a Le procĂ©dĂ© de la cellule pleine qui tend Ă remplir les vides intercellulaires du bois aussi complĂštement que possible avec l'antiseptique. Lorsque l'antiseptique utilisĂ© est la crĂ©osote, la mĂ©thode est connue sous le nom de procĂ©dĂ© Bethell note 028_1. Lorsqu'on emploie le chlorure de zinc, c'est le procĂ©dĂ© Burnet. Enfin, lorsqu'on a recours Ă un mĂ©lange de crĂ©osote et de chlorure de zinc, c'est le procĂ©dĂ© RĂŒtgers. b Le procĂ©dĂ© de la cellule vide par lequel on rĂ©alise de mĂȘme une pĂ©nĂ©tration aussi complĂšte que possible mais avec l'emploi d'une quantitĂ© minimum d'antiseptique. Le procĂ©dĂ© courant est le systĂšme RĂŒping avec l'emploi de crĂ©osote note 028_2. a Traitement Ă cellules pleines ». ProcĂ©dĂ© Bethell. 1re phase. - Les traverses sont introduites dans le cylindre dans lequel on fait le vide schĂ©ma fig. 22. 2me phase. - Sans rompre le vide, on remplit complĂštement le cylindre du liquide antiseptique. Fig. 22. - Traitement Ă cellules pleines». ProcĂ©dĂ© Bethell. Le vide prĂ©alable 1re phase, outre qu'il accĂ©lĂšre l'entrĂ©e du liquide dans le cylindre, permet de le refouler dans le bois plus rapidement et avec une pression moindre que lorsqu'il faut que l'antiseptique dĂ©place ou comprime l'air renfermĂ© dans le bois. 3me phase. - Une fois le cylindre plein, une quantitĂ© supplĂ©mentaire d'antiseptique est refoulĂ©e dans le cylindre par une pompe foulante ou par air comprimĂ© et la pression est poussĂ©e progressivement jusqu'Ă 8 Ă 12 kg par cmÂČ selon la nature du bois, de maniĂšre Ă faire entrer la crĂ©osote jusqu'au refus dans les vaisseaux. 4me phase. - On diminue ensuite la pression et on extrait ce qui reste de liquide dans le cylindre. 5me phase. - On fait de nouveau le vide pour enlever ce qui reste d'antiseptique et aussi pour pouvoir retirer les traverses du cylindre le plus tĂŽt possible. 6me phase. - On peut enfin rĂ©introduire l'air, ouvrir le cylindre et retirer les traverses. La durĂ©e totale du traitement est d'environ 3 heures. La caractĂ©ristique du procĂ©dĂ© est donc de produire prĂ©alablement le vide dans les cellules, puis de remplir » celles-ci de crĂ©osote au moyen de la pression, d'oĂč le nom de cellules pleines ». Les parties hachurĂ©es du diagramme reprĂ©sentent les pĂ©riodes pendant lesquelles les traverses sont plongĂ©es dans la crĂ©osote. b Traitement Ă cellules vides ». ProcĂ©dĂ© RĂŒping schĂ©ma fig. 23. Ici, on ne procĂšde pas Ă un vide prĂ©liminaire. Dans ces conditions, pour pĂ©nĂ©trer dans le bois, le liquide antiseptique doit dĂ©placer et, dans une certaine mesure, comprimer l'air contenu dans le bois. 1re phase. - Les traverses Ă©tant introduites dans les cylindres note 029 au lieu donc de faire le vide, on retarde l'entrĂ©e du liquide antiseptique dans le bois en soumettant les traverses Ă une pression d'air initiale P variant avec la nature du bois Ă imprĂ©gner, de 3 1/2 Ă 5,3 kg par cmÂČ. Fig. 23. - Traitement Ă cellules vides». ProcĂ©dĂ© RĂŒping. Cette pression a pour but de faire ouvrir les canaux et cellules du bois et de les remplir d'air comprimĂ© Ă la pression P. 2me phase. - Cette pression Ă©tant maintenue, on refoule dans le cylindre la crĂ©osote dont la fluiditĂ© a Ă©tĂ© rendue aussi grande que possible par un chauffage prĂ©alable prolongĂ© 80° pour le chĂȘne, 90° pour le hĂȘtre, fluiditĂ© que l'on maintient par un courant de vapeur traversant des serpentins installĂ©s dans les cylindres. 3me phase. - On comprime ensuite la crĂ©osote Ă une pression qui doit ĂȘtre Ă©gale au moins Ă 2P mais qui atteint 14 1/2 atmosphĂšres Ă la Dans cette phase, l'air qui remplit les canaux du bois y est fortement comprimĂ©, son volume est considĂ©rablement rĂ©duit et la crĂ©osote pĂ©nĂštre dans ces canaux. La pression 2 P est maintenue assez longtemps pour assurer une pĂ©nĂ©tration complĂšte de la crĂ©osote dans le bois. 4me phase. - On vide le cylindre de la crĂ©osote qu'il contient, puis on le met en communication avec l'atmosphĂšre. Alors l'air qui Ă©tait comprimĂ© dans les cellules du bois se dĂ©tend et en chasse la crĂ©osote mais en laissant les parois des cellules enduites d'une couche de crĂ©osote. 5me phase. - L'on active l'exsudation de la crĂ©osote par l'action du vide, action qui est prolongĂ©e plus ou moins selon la dose d'antiseptique que l'on dĂ©sire laisser dans le bois. 6me phase. - On rĂ©admet l'air, on ouvre le cylindre et on retire les traverses. La durĂ©e totale du traitement est d'environ 4 heures. En rĂ©sumĂ©, on constate qu'aprĂšs remplissage du cylindre 2me phase, le cycle des opĂ©rations est Ă peu prĂšs le mĂȘme que dans le traitement Ă cellules pleines Bethell sauf que le vide final est maintenu plus longtemps. Cependant les rĂ©sultats obtenus sont tout Ă fait diffĂ©rents, car, dans le traitement Ă cellules vides RĂŒping, lors de la rĂ©duction de la pression et de la vidange du liquide 4me phase, l'air qui avait Ă©tĂ© comprimĂ© dans le bois se dĂ©tend, dĂ©tente que le vide final accentue encore, l'air renfermĂ© dans le bois est expulsĂ© en mĂȘme temps qu'une partie de la crĂ©osote qui avait Ă©tĂ© refoulĂ©e dans le bois dans le traitement sous pression. Il s'ensuit qu'on badigeonne en quelque sorte de crĂ©osote les parois des cellules et des canaux du bois, sans y laisser, comme dans le procĂ©dĂ© Bethell, une grande quantitĂ© d'antiseptique, tout en imprĂ©gnant complĂštement toutes les parties permĂ©ables du bois. Il en rĂ©sulte une Ă©conomie de 25 Ă 40 % de crĂ©osote en comparaison avec le procĂ©dĂ© Bethell». A la S. N. C. B., aussi longtemps que les traverses furent crĂ©osotĂ©es par le procĂ©dĂ© Bethell », on constatait qu'au bout de quelque temps, une grande partie de la crĂ©osote s'Ă©coulait dans le ballast. Les rĂ©servoirs d'oĂč l'antiseptique est refoulĂ© dans les cylindres sont pourvus d'indicateurs de jauge ou sont montĂ©s sur des bascules de sorte que des lectures directes sur les flĂ©aux de celles-ci accusent la quantitĂ© d'antiseptique absorbĂ©e et les progrĂšs du traitement. A titre de contrĂŽle, on peut peser les traverses immĂ©diatement avant et aprĂšs le traitement et dĂ©terminer par cette double pesĂ©e le poids exact d'antiseptique retenu dans le bois. On prĂ©lĂšve sur les traverses imprĂ©gnĂ©es des carottes » de 4 mm de diamĂštre sur 14 cm de longueur qui permettent d'apprĂ©cier comment le traitement a opĂ©rĂ© en profondeur. Les chiffres ci-dessous, qui rĂ©sultent de la pratique courante de la S. N. C. B. dans ses chantiers de crĂ©osotage de Wondelgem Gand, traduisent excellemment l'Ă©conomie du systĂšme RĂŒping. A noter que le prix de la crĂ©osote varie selon les conditions du marchĂ©, de 0,40 Ă 1,30 fr le kg et que prĂšs d'un million de traverses sont crĂ©osotĂ©es par annĂ©e. QuantitĂ© de crĂ©osote employĂ©e par traverse en chĂȘne en hĂȘtre Bethell RĂŒping Bethell RĂŒping 6 1/2 kg 4 kg 20 Ă 22 kg 12 Ă 15 kg Fig. 24. - Prix par tonne de la crĂ©osote de 1923 Ă 1940. Les figures 24 et 25 montrent comment a variĂ© le prix payĂ© pour la crĂ©osote par la S. N. C. B. Aussi la S. N. C. B. n'emploie-t-elle plus que le procĂ©dĂ© RĂŒping. Ce dernier systĂšme est Ă©galement courant en Allemagne, en Italie et en Hollande. On constate que, par comparaison avec le procĂ©dĂ© Bethell, le systĂšme RĂŒping assure une rĂ©partition plus uniforme de la crĂ©osote dans toute l'Ă©paisseur de l'aubier du chĂȘne note 032. Dans le hĂȘtre, il est Ă©galement possible d'atteindre toute la profondeur du bois. DĂšs l'annĂ©e 1909, les chemins de fer du Midi avaient, pour la prĂ©servation de leurs traverses en pin des Landes, substituĂ© le procĂ©dĂ© RĂŒping, avec l'emploi de crĂ©osote, au systĂšme Bethell, avec utilisation de sulfate de cuivre. Fig. 25. - Prix payĂ©s par tonne par la S. N. C. B. pour la crĂ©osote de 1945 Ă 1950. Le pin, comme le hĂȘtre, est trĂšs onĂ©reux Ă injecter Ă la crĂ©osote jusqu'au refus, en raison de la grande quantitĂ© de liquide antiseptique qu'il absorbe. 4° RĂ©sultats de l'imprĂ©gnation par la crĂ©osote. La durĂ©e dans la voie d'une traverse en chĂȘne, non crĂ©osotĂ©e, est de 10 Ă 12 ans, tandis qu'imprĂ©gnĂ©e, elle dure pendant 20 ans en voie principale et de 20 Ă 25 ans en voie accessoire. La durĂ©e des traverses en hĂȘtre, non prĂ©parĂ©es, n'est que d'environ 8 ans ; aprĂšs imprĂ©gnation, la durĂ©e est de 15 Ă 20 ans. Quant aux traverses en sapin, non prĂ©parĂ©es, leur durĂ©e n'est que de 5 ans environ ; imprĂ©gnĂ©es, elles durent de 8 Ă 12 ans. Toutefois, on constate un dĂ©chet important aprĂšs le sĂ©jour en voie principale, dĂ©chet dĂ» Ă l'usure mĂ©canique. Remarque. - D'aucuns estiment que l'on fait une dĂ©pense inutile en injectant les traverses avec des huiles de crĂ©osote pures, parce que l'emploi de mĂ©langes moins chers constituĂ©s en parties Ă©gales de crĂ©osote et de pĂ©trole brut a donnĂ© de bons rĂ©sultats, Ă condition naturellement que la traverse soit saine Ă la rĂ©ception, qu'elle soit suffisamment sĂ©chĂ©e avant l'imprĂ©gnation et qu'elle soit imprĂ©gnĂ©e complĂštement et uniformĂ©ment, dans toutes ses parties imprĂ©gnables, Ă raison de 100 grammes par dmÂł en moyenne. Il y a lĂ une source d'Ă©conomie qui mĂ©rite de retenir l'attention des expĂ©rimentateurs. 5° ProcĂ©dĂ© RĂŒtgers. Pour attĂ©nuer l'inconvĂ©nient que prĂ©sente le chlorure de zinc de se dĂ©laver » sous l'action des eaux de pluie et pour rĂ©aliser en mĂȘme temps une Ă©conomie de crĂ©osote, RĂŒtgers a imaginĂ© d'injecter dans la traverse un mĂ©lange de crĂ©osote et de chlorure de zinc. Le chlorure pĂ©nĂštre dans les parties profondes du bois et la crĂ©osote enrobe les couches superficielles de maniĂšre Ă rendre le dĂ©lavage impossible. Cependant, Ă la pratique, le mĂ©lange n'est pas suffisamment intime pour donner une pĂ©nĂ©tration uniforme du liquide et la crĂ©osote ne recouvre pas assez rĂ©guliĂšrement la surface pour Ă©viter complĂštement le dĂ©lavage. Au lieu d'employer un mĂ©lange de chlorure et de crĂ©osote, peut-ĂȘtre serait-il prĂ©fĂ©rable de recourir Ă deux opĂ©rations distinctes d'abord, imprĂ©gnation au chlorure, ensuite imprĂ©gnation Ă la crĂ©osote. Dans de telles conditions, le chlorure soluble serait enrobĂ© d'une couche de crĂ©osote insoluble. 6° Double RĂŒping. Pour le hĂȘtre, les chemins de fer belges emploient le double RĂŒping, c'est-Ă -dire l'opĂ©ration rĂ©pĂ©tĂ©e. Le hĂȘtre doit ĂȘtre imprĂ©gnĂ© totalement, Ă l'exception des parties de cĆur rouge oĂč la crĂ©osote ne peut pas entrer par suite de l'occlusion absolue des vaisseaux par des matiĂšres inertes. Le grand dĂ©faut que prĂ©sentait le hĂȘtre avant l'emploi du double RĂŒping, rĂ©sidait en ce fait que ce bois Ă©tant trĂšs sensible Ă la pourriture, les traverses insuffisamment imprĂ©gnĂ©es en profondeur, pourrissaient rapidement Ă l'intĂ©rieur alors que l'extĂ©rieur Ă©tait bien conservĂ©. Or, l'examen occulaire ne pouvait dĂ©celer ce dĂ©pĂ©rissement prĂ©maturĂ©. C'est pour remĂ©dier Ă cet inconvĂ©nient qu'on a recours au double RĂŒping. Dans le hĂȘtre, sont forĂ©s des trous de diffusion afin de faciliter l'accĂšs de la crĂ©osote. 7° ComposĂ©s arsĂ©nifĂšres. Il existe un procĂ©dĂ© suĂ©dois de conservation des bois par imprĂ©gnation de composĂ©s arsĂ©nifĂšres. Une solution aqueuse d'acide arsĂ©nique, d'arsĂ©niate de soude, de bichromate de soude et de sulfate de zinc, aprĂšs pĂ©nĂ©tration dans l'aubier, donne des arsĂ©niates de zinc et de chrome insolubles qui offrent une bonne protection contre les champignons les plus nocifs. Les bois Ă traiter passent 24 heures dans la solution froide. 8° Tirefonnage. AprĂšs l'imprĂ©gnation, dans les cas oĂč des selles d'appui mĂ©talliques sont prĂ©vues, on procĂšde au tirefonnage, c'est-Ă -dire que l'on fixe les selles sur les traverses au moyen de tirefonds mis en place par une machine Ă©lectromĂ©canique. Les traverses imprĂ©gnĂ©es sont pourvues d'un clou millĂ©sime qui permet de contrĂŽler leur Ăąge. A la SociĂ©tĂ© Nationale, Ă l'occasion de l'expĂ©dition des traverses vers les lieux d'utilisation, le chargement sur wagons est fait automatiquement au moyen d'une chaĂźne Ă taquets, mue par un moteur Ă©lectrique. Les traverses non expĂ©diĂ©es immĂ©diatement aprĂšs crĂ©osotage, sont empilĂ©es en piles mortes c'est-Ă -dire jointivement. Le chantier de Wondelgem crĂ©osote moyennement par annĂ©e ± traverses en chĂȘne± traverses en hĂȘtre± traverses. 6. - Pose du rail sur traverses en bois Pour Ă©viter l'Ă©crasement des fibres du bois, il faut que le rail pose sur la traverse par une surface suffisante, d'oĂč la nĂ©cessitĂ© de pratiquer une entaille dans les traverses demi-rondes fig. 13 Ă 15. La largeur du patin du rail standard de 50 kg par mĂštre courant de la S. N. C. B. est de 14 cm ; il est prescrit, pour les traverses intermĂ©diaires, que la longueur d'appui du rail, mesurĂ©e suivant l'axe de celui-ci, soit d'au moins 14 cm ce qui donne une surface d'appui minimum de quelque 200 cmÂČ et correspond Ă une pression unitaire statique note 034 maximum de 60 kg/cmÂČ au droit de chaque roue d'un essieu de locomotive chargĂ© de 24 tonnes . Pour les traverses voisines des joints de rail, la longueur d'appui est supĂ©rieure et fixĂ©e, Ă la S. N. C. B., Ă 18 cm au lieu de 14 cm. Avec les traverses de section rigoureusement rectangulaire, l'entaille ne serait pas nĂ©cessaire pour rĂ©aliser la surface d'appui minimum, mais une entaille est nĂ©anmoins pratiquĂ©e parce que ses Ă©paulements extĂ©rieurs s'opposent efficacement Ă l'Ă©largissement de la voie quand les rails supportent des efforts transversaux. Ces Ă©paulements rĂ©duisent la fatigue des attaches. Sans entaille, les efforts transversaux en question finiraient par Ă©carter les rails, les tĂȘtes des tirefonds intĂ©rieurs pourraient ne plus porter sur le patin du rail et celui-ci pourrait se renverser ; enfin, les tirefonds extĂ©rieurs seraient exposĂ©s au dĂ©versement et les trous s'ovaliseraient. 7. - Les attaches Les rails Ă patin sont fixĂ©s aux traverses en bois par des crampons ou par des tirefonds avec ou sans interposition d'une selle mĂ©tallique. a. - Le crampon n'est plus guĂšre utilisĂ© que dans les voies industrielles. C'est un clou en fer de section carrĂ©e ou octogonale fig. 26 et 27. La pointe est biseautĂ©e perpendiculairement aux fibres du bois ou elle est fraisĂ©e en tronc de cĂŽne afin que le clouage n'ait pas pour effet de fendre la traverse. La tĂȘte du crampon prĂ©sente un bec qui s'appuie sur le patin du rail et deux ailes latĂ©rales qui permettent d'extraire le crampon de la traverse au moyen d'un levier Ă fourche. On enfonce les crampons au marteau dans des trous forĂ©s Ă l'avance Ă un diamĂštre Ă©gal aux 2/3 de la largeur du crampon. Les crampons Ă©tant simplement clouĂ©s, il se conçoit qu'ils se dĂ©tachent facilement du rail et alors celui-ci danse sur la traverse. Sous les efforts transversaux, les crampons se dĂ©versent et l'Ă©cartement des deux rails ne se maintient pas exactement. Pour ces raisons, on leur substitue de plus en plus des tirefonds. Fig. 26 et 27. - Crampon. Chose inattendue, les Anglais qui, actuellement, abandonnent le rail Ă double bourrelet pour adopter Ă leur tour le rail Vignole, reviennent aux crampons. Il s'agit en l'espĂšce de crampons prĂ©sentant une certaine Ă©lasticitĂ© crampons Ă ressort formĂ©s de deux lames rectangulaires accolĂ©es, crampons Macbeth dont la tige cylindrique prĂ©sente une conformation spĂ©ciale. L'avenir dira quelle sera leur rĂ©sistance Ă l'arrachement, leur rĂ©sistance au dĂ©versement, l'efficacitĂ© et la permanence de la pression sur le patin du rail. b. - Le tirefond est une grosse vis Ă bois, fig. 28 et 29, que l'on met en place au moyen d'une clĂ© Ă moufle. A cet effet, la tĂȘte se termine par un prisme carrĂ©. Ce prisme porte lui-mĂȘme une marque en relief par exemple B pour empĂȘcher que l'ouvrier ne soit tentĂ© d'enfoncer le tirefond au marteau. Des coups de marteau rĂ©pĂ©tĂ©s Ă©craseraient la marque et trahiraient la faute de l'agent. Enfin, les bras de la clĂ© Ă moufle ont une longueur dĂ©terminĂ©e pour que l'ouvrier ne dĂ©passe pas une certaine limite dans son effort de serrage et ne finisse par plier le tirefond ou le faire tourner fou » dans son logement. Il va sans dire qu'il est interdit aux ouvriers d'allonger le bras de levier de la clĂ© Ă moufle. La tĂȘte du tirefond dĂ©borde largement pour serrer le patin du rail sur la traverse. Ce serrage est nĂ©cessaire pour empĂȘcher le renversement du rail sous les efforts transversaux s'exerçant Ă son sommet ; pour Ă©viter son soulĂšvement sous l'effet des efforts verticaux agissant de bas en haut ; enfin, pour combattre le cheminement du rail sur la traverse. Fig. 28 et 29. - Tirefond. Le vissage du tirefond est rendu possible par le percement prĂ©alable des trous Ă la machine au chantier d'imprĂ©gnation voir page 27. Quand le forage doit se faire Ă la main sur place, on se sert de tariĂšres Ă cuiller qui rejettent bien au dehors le bois qu'elles coupent ; les tariĂšres Ă filet hĂ©licoĂŻdal dĂ©bourrent mal le trou et dĂ©chirent le bois. Le filet de la vis a pour section droite un triangle scalĂšne dont le cĂŽtĂ© supĂ©rieur est presque perpendiculaire Ă l'axe ce qui accroĂźt la rĂ©sistance Ă l'arrachement. Lorsque la section est en forme de triangle isocĂšle, le tirefond prĂ©sente une certaine tendance Ă se dĂ©visser. Enfin, le pas du filet doit ĂȘtre assez grand pour que le bois compris entre deux filets consĂ©cutifs fasse solidement corps avec le restant du bois. A la S. N. C. B., on fore le trou du tirefond Ă un diamĂštre de 1 mm plus grand que le diamĂštre du noyau du tirefond pour Ă©viter de faire Ă©clater le bois par le serrage. Cela n'a pas pour effet de diminuer la rĂ©sistance Ă l'arrachement. Les expĂ©riences Ă l'extrahomĂštre l'ont d'ailleurs prouvĂ©. Le frottement ajoute peu de chose Ă la rĂ©sistance Ă l'arrachement ; celle-ci, Ă nombre Ă©gal de filets en prise, dĂ©pend essentiellement de la hauteur du bois entre deux filets. C'est pour cela, qu'Ă la S. N. C. B., le pas restant le mĂȘme, la hauteur du filet a Ă©tĂ© rĂ©duite. On cherche aussi Ă ce que le filet soit coupant pour que l'ouvrier n'ait pas Ă vaincre une rĂ©sistance trop grande au serrage et pour qu'il s'aperçoive, par la rĂ©sistance plus grande qu'il Ă©prouve, du moment prĂ©cis oĂč la tĂȘte du tirefond touche le patin du rail. A ce moment commence le serrage sur le rail et l'ouvrier doit ĂȘtre attentif Ă ne pas l'exagĂ©rer. Certaines machines Ă tirefonner sont rĂ©glĂ©es pour une rĂ©sistance de serrage dĂ©terminĂ©e, elles se dĂ©braient lorsque cette rĂ©sistance est atteinte. Parfois, on galvanise les tirefonds pour les protĂ©ger de l'oxydation. C'est le cas Ă la S. N. C. B. dans les tunnels, dans les tranchĂ©es humides et dans le voisinage d'industries qui rĂ©pandent des gaz nocifs dans l'atmosphĂšre. Alors qu'un crampon, chassĂ© dans un bois dur, ne prĂ©sente guĂšre qu'une rĂ©sistance Ă l'arrachement de quelque kg, un tirefond, vissĂ© Ă fond dans le mĂȘme bois, offre une rĂ©sistance d'environ kg. Fig. 30 Sous l'effet des charges roulantes, le bois se comprime et l'entaille de la traverse s'approfondit. Il est nĂ©cessaire de rabattre les Ă©paulements a de l'entaille en temps utile afin de dĂ©gager le collet des tirefonds car il est essentiel que le serrage se fasse effectivement sur le patin du rail en e fig. 30 et non sur l'Ă©paulement a de l'entaille. Cependant cet approfondissement de l'entaille ne se poursuit pas indĂ©finiment car la compression du bois augmente sa compacitĂ©. La compression devient pratiquement nulle aprĂšs le passage d'un certain nombre de tonnes de trains. On se rend compte de ce que le serrage de la tĂȘte du tirefond s'exerçant latĂ©ralement Ă l'axe de celui-ci, ce mode de fixation du rail est encore quelque peu primitif et prĂ©sente une certaine prĂ©caritĂ©. Dans la pose par simples tirefonds, on constate que la dilatation et le cheminement des rails provoquent un glissement de ceux-ci sur les traverses ce qui prouve que la pression des tirefonds n'est pas trĂšs grande. Aussi les tirefonds doivent-ils ĂȘtre toujours bien serrĂ©s ; sinon, au passage des trains, les rails battent sur les traverses ; ce battement s'accentue trĂšs vite, occasionnant une destruction rapide des portĂ©es des traverses. De ce chef aussi, les tirefonds sont soumis Ă des efforts dynamiques de bas en haut qui dĂ©tĂ©riorent les fibres du bois en contact avec le filet. Fig. 31 Remarquons encore que lorsqu'une roue porte sur la traverse n° 1, le rail tend Ă prendre la forme reprĂ©sentĂ©e sur la figure 31 de sorte que le patin du rail, au droit de la traverse n° 2, exerce une poussĂ©e de bas en haut sur la tĂȘte du tirefond, poussĂ©e qui peut se traduire par un choc s'il existe du jeu entre le patin et la tĂȘte du tirefond. De mĂȘme, lorsqu'on emploie une selle mĂ©tallique intercalaire, si les tirefonds ne sont pas serrĂ©s, le rail bat sur la selle. La traverse subit une destruction mĂ©canique rapide, la selle s'incruste dans le patin du rail. Cependant, il faut prendre garde car, sous une pression de vissage trop forte, il arrive parfois que les tirefonds plient et mĂȘme, dans les bois tendres, qu'ils se dĂ©versent, c'est-Ă -dire que leur axe s'incline, le bois cĂ©dant. De ce chef, l'Ă©cartement de la voie peut augmenter. Fig. 32 et 33. - Plaque Ramy. C'est pour prĂ©venir le pliage des tirefonds que l'ingĂ©nieur Ramy a imaginĂ© la plaque reprĂ©sentĂ©e fig. 32 et 33. Cette plaque Ă©paule le tirefond du cĂŽtĂ© oĂč il est en porte Ă faux. Des essais ont Ă©tĂ© entrepris sur les chemins de fer belges dans les voies posĂ©es avec traverses entaillĂ©es de 5 mm sans selles mĂ©talliques ; ils ont montrĂ© que le nombre de tirefonds visiblement pliĂ©s Ă©tait moindre avec la plaque Ramy que sans plaque. Mais on a constatĂ© d'autre part que lorsque l'entaille de la traverse sous le patin du rail s'approfondissait, il arrivait que le tirefond serrait sur la plaque et ne serrait plus sur le patin. La plaque Ramy est utilisĂ©e sur certains chemins de fer secondaires et sur certains tramways. Dans un modĂšle plus rĂ©cent, les deux branches de la plaque sont rĂ©unies, fig. 34, de maniĂšre Ă former un taquet T qui porte sur le patin du rail et a pour effet, en coinçant le patin, d'empĂȘcher le dĂ©placement de celui-ci dans le sens transversal. Fig. 34. - Plaque Ramy avec taquet de coincement du rail. Un systĂšme d'attache, d'origine française et qui jouit actuellement d'une certaine vogue est reprĂ©sentĂ© fig. 35. C'est le griffon ». Il est constituĂ© d'une lame en acier Ă ressort lĂ©gĂšrement cintrĂ©e et percĂ©e d'un trou allongĂ©, sur laquelle le tirefond presse bien symĂ©triquement. L'extrĂ©mitĂ© de la lame, repliĂ©e Ă angle droit, repose sur une plaquette mĂ©tallique rainurĂ©e afin de ne pas dĂ©tĂ©riorer le bois. Fig. 35. - Le griffon. Le nombre et la disposition des tirefonds varient avec les caractĂ©ristiques du trafic vitesse, nombre de trains, charge par essieu et aussi avec le tracĂ© de la ligne alignement droit ou courbe. Sur les lignes secondaires, on se contente de fixer le rail par deux tirefonds par traverse, l'un Ă l'intĂ©rieur, l'autre Ă l'extĂ©rieur de la voie fig. 36. Pour ne pas intĂ©resser les mĂȘmes fibres du bois et Ă©viter ainsi que celui-ci ne se fende, l'un des tirefonds est vissĂ© Ă droite de l'axe de la traverse, l'autre Ă gauche. Sur les voies Ă grand trafic, ainsi que dans les courbes, on place trois tirefonds disposĂ©s en quinconce, deux Ă l'extĂ©rieur et un Ă l'intĂ©rieur, puis inversement, par alternance fig. 37. Sur les chemins de fer français, cependant, les tirefonds sont placĂ©s comme le montre la figure 38. Lorsque les fibres du bois sont dĂ©tĂ©riorĂ©es par les filets des tirefonds, on ne peut plus serrer les tirefonds d'une maniĂšre durable, on doit alors forer de nouveaux trous Ă cĂŽtĂ© des anciens et cheviller ceux-ci. A la suite des resabotages et des reforages qu'elles doivent subir au long de leur existence en voie principale, les traverses en bois sont retirĂ©es et replacĂ©es dans les voies accessoires, leur Ă©paisseur n'Ă©tant plus suffisante et les trous multiples ayant rĂ©duit considĂ©rablement leur rĂ©sistance. Tree-nails. Pour augmenter la durĂ©e des traverses en bois tendre, on introduit des chevilles tree-nails ou tampons en bois dur aux emplacements prĂ©vus pour les tirefonds fig. 39. On procĂšde de mĂȘme quand on veut prolonger la vie des traverses usĂ©es Ă l'endroit des attaches. Ces chevilles sont gĂ©nĂ©ralement vissĂ©es dans le bois. La partie supĂ©rieure est conique et, lors du vissage Ă fond, elle forme joint Ă©tanche contre l'humiditĂ©. Fig. 39 Tree-nail. Garniture Lakhovsky. La rĂ©sistance Ă l'arrachement des tirefonds dans les bois tendres est faible et, trĂšs tĂŽt, ils tournent fou », ayant pris du jeu dans leur logement. Fig. 40 Garniture Lakhovsky. Quand les tirefonds tournent fou », on est obligĂ© de cheviller les anciens trous et d'en percer de nouveaux Ă cĂŽtĂ©. La garniture de l'ingĂ©nieur Lakhovsky s'emploie en lieu et place des chevilles. Elle se compose fig. 40 de deux coquilles mĂ©talliques qui, rĂ©unies, forment un cylindre dont la surface externe est munie de saillies circulaires. Quant Ă la surface interne, elle est tronc-conique et taraudĂ©e au pas du tirefond ordinaire. En vissant le tirefond dans la garniture, celui-ci, s'engageant de plus en plus, force les deux coquilles Ă s'Ă©carter progressivement et Ă pĂ©nĂ©trer dans la traverse. On retrouve ce souci d'amĂ©liorer la rĂ©sistance Ă l'arrachement du tirefond dans la garniture Streitz et dans la virole VV. Garniture Streitz. Une bande mĂ©tallique, fournie droite, Ă©pouse la forme du filet du tirefond. On l'enroule sur un mandrin simulant un tirefond, puis on en garnit le tirefond avant de l'engager. Virole VV. Le dispositif, reprĂ©sentĂ© fig. 41, consiste en une virole en tĂŽle mince enroulĂ©e en spires jointives mais non soudĂ©es. La virole a la largeur du pas du tirefond. On enfonce prĂ©alablement la virole dans le bois, on visse ensuite le tirefond qui trouve dans le bois un logement lĂ©gĂšrement rĂ©trĂ©ci. Fig. 41. - Virole VV. 8. - Avantages propres aux traverses en bois IndĂ©pendamment de leur Ă©lasticitĂ© et de leur faible sonoritĂ©, les traverses en bois prĂ©sentent encore les avantages suivants PossibilitĂ© et facilitĂ© de remĂ©dier sur place Ă une attache dĂ©fectueuse, soit que les tirefonds ne donnent plus de serrage et, dans ce cas, il suffit de cheviller les trous et d'en forer d'autres Ă cĂŽtĂ© des anciens, soit que la table d'assise du rail est en mauvais Ă©tat. Il suffira alors de dĂ©placer longitudinalement la traverse et de prĂ©parer Ă l'herminette une nouvelle assise du rail sur bois sain. En cas de dĂ©raillement d'un essieu traĂźnĂ© sur une grande distance, les traverses en bois ne souffrent que trĂšs peu, la plupart d'entre elles sont rĂ©utilisables, tandis que les traverses mĂ©talliques sont gĂ©nĂ©ralement dĂ©formĂ©es. RetirĂ©es des voies et redressĂ©es, elles peuvent ĂȘtre rĂ©employĂ©es mais leur redressement coĂ»te assez cher. PossibilitĂ© de rĂ©emploi dans les lignes secondaires puis dans les voies accessoires des gares. Les traverses injectĂ©es de crĂ©osote sont suffisamment isolantes pour permettre l'Ă©quipement avec circuits de voie » sans dispositif particulier d'isolement note 041. 9. - Appareils de mesure L'extrahomĂštre indique sur un cadran la rĂ©sistance maximum Ă l'arrachement des divers types d'attaches dans une traverse. Le torsiomĂštre accuse la rĂ©sistance au tournage fou » des tirefonds. Cet appareil peut enregistrer jusqu'Ă 200 kg, chiffre jamais atteint en pratique. Le dĂ©climĂštre mesure la rĂ©sistance Ă la traction latĂ©rale et au renversement des diverses attaches. Il enregistre jusqu'Ă 4 tonnes. Un appareil du mĂȘme genre, placĂ© entre les deux rails soumis Ă une pression latĂ©rale, donne la rĂ©sistance au renversement des rails et attaches ainsi que la rĂ©sistance Ă l'Ă©largissement de la voie. Le cadran indique jusqu'Ă 25 tonnes. Le bourramĂštre permet d'Ă©tudier les diffĂ©rentes mĂ©thodes de bourrage des traverses. 10. - Selles mĂ©talliques Du moment que la surface d'appui est suffisante note 042_1 et, ici, l'Ă©lĂ©ment dĂ©terminant est la largeur du patin du rail, que la traverse est en bois dur, on peut asseoir directement le rail sur la traverse sans interposition de selles mĂ©talliques. Mais, lorsqu'on emploie des traverses en bois tendre, il est indispensable, en alignement droit comme en courbe, d'armer la traverse de selles mĂ©talliques sur lesquelles pose le patin du rail fig. 43 et 44 sinon, le patin pĂ©nĂ©trerait dans la traverse. Par ailleurs, dans les bois tendres, les attaches se dĂ©formant latĂ©ralement, il faut les multiplier par exemple 4 tirefonds au lieu de 2 ou 3 ou bien les tree-nailler ». Le rĂŽle essentiel de la selle est d'agrandir la surface d'appui du rail sur la traverse et de rĂ©duire de ce chef la fatigue de celle-ci. Ainsi, dans le cas d'une selle d'appui de 38,5 cm x 13 cm = 500 cmÂČ note 042_2, la pression statique unitaire, au droit de chaque roue d'un essieu de locomotive chargĂ© de 24 tonnes, tombe Ă . A la S. N. C. B., mĂȘme avec des traverses en bois dur les selles mĂ©talliques sont employĂ©es lorsque le rayon des courbes descend au-dessous de 600 mĂštres parce qu'alors les rĂ©actions latĂ©rales sur les rails sont trĂšs grandes et l'Ă©paulement en bois ne rĂ©siste plus ; il arrive aussi que par suite de l'inĂ©gale rĂ©partition de la charge de l'essieu sur les deux roues, la compression du bois soit excessive ; dans les courbes de rayons infĂ©rieurs Ă 1000 mĂštres sur les lignes Ă forte dĂ©clivitĂ© sur lesquelles la vitesse des trains dĂ©passe 100 km/h ; sur les lignes Ă grande vitesse Ă©quipĂ©es en rails de 54 m. Il s'agit en l'occurrence de selles modernes du type Angleur-Athus page 46 qui solidarisent bien les traverses avec le rail et freinent les dĂ©placements et les dilatations de celui-ci. Avec les selles anciennes, minces, lĂ©gĂšres et sans rebords fig. 42, fixĂ©es Ă la traverse par les mĂȘmes crampons ou tirefonds qui retenaient le patin du rail, la forme du patin du rail s'imprimait dans la plaque. Celle-ci se pliait frĂ©quemment de part et d'autre de l'arrĂȘte du patin. Des fissures s'amorçaient aux angles des trous de passage des crampons. Fig. 42. - Selle mĂ©tallique mince. Selles Ă rebords. Peu Ă peu, les selles, fabriquĂ©es en acier laminĂ©, ont Ă©tĂ© renforcĂ©es et pourvues de rebords fig. 43 et 44. Fig. 43 et 44. - Selle Ă rebords. Les rebords permettent de rĂ©duire le sabotage aux traverses demi-rondes et mĂȘme de le supprimer aux traverses rectangulaires. Fig. 45 Les rebords retiennent le patin des rails lorsque ceux-ci sont sollicitĂ©s par des efforts transversaux. Si l'on prend soin que les trous pratiquĂ©s dans la selle pour le passage des attaches ne dĂ©bordent pas sur l'arrĂȘte intĂ©rieure a des rebords de la selle fig. 45 le patin du rail portera exclusivement contre les rebords et sur toute l'Ă©tendue de ceux-ci. Sans doute, la selle tendra Ă se dĂ©placer et forcera encore sur les tirefonds, mais cet effort sera partagĂ© entre tous les tirefonds. Enfin, l'Ă©paisseur des rebords doit ĂȘtre infĂ©rieure Ă celle du patin, sinon, le tirefond porte sur le rebord de la selle et, du cĂŽtĂ© opposĂ©, ne serre plus le patin du rail note 044. Les selles Ă rebords prĂ©sentent donc l'avantage de solidariser les attaches des deux cĂŽtĂ©s du rail, rĂ©duisant ainsi de moitiĂ© leur fatigue ou, Ă effort transversal Ă©gal, d'augmenter la rĂ©sistance des attaches au dĂ©placement latĂ©ral du rail. On constate qu'en l'absence de rebords, tous les efforts transversaux sont supportĂ©s par les seuls tirefonds extĂ©rieurs et il arrive que ceux-ci soient cisaillĂ©s entre le patin du rail et la plaque. Fig. 46 Attache par tirefond et crapaud. Comme pour la pose sans selle, la tĂȘte du tirefond est en porte Ă faux du cĂŽtĂ© opposĂ© au patin ; le tire-fond risque de se plier ou de se dĂ©verser. On peut prĂ©venir ces inconvĂ©nients en serrant la tĂȘte du tire-fond contre un crapaud fig. 46 qui, d'un cĂŽtĂ©, prend appui sur la selle et de l'autre, sur le patin du rail ; le crapaud peut d'ailleurs prendre sa position d'Ă©quilibre grĂące Ă la forme cylindrique de sa face d'appui sur la selle. Avec le crapaud, la surface de contact avec le patin du rail est incomparablement plus grande qu'avec la tĂȘte du tirefond, par consĂ©quent, le serrage est beaucoup mieux assurĂ© et les risques d'usure fortement diminuĂ©s. Par ailleurs, et nous y reviendrons, ce serrage Ă©nergique est essentiel avec les rails de grande longueur 27 mĂštres et plus parce qu'il faut restreindre la dilatation en maintenant le rail sous contrainte. Sur les rĂ©seaux qui posent leurs rails avec une inclinaison de 1/20, on donne d'emblĂ©e Ă la face supĂ©rieure de la selle, la pente voulue vers l'intĂ©rieur de la voie. Selles Ă crochet. Il s'agit en l'espĂšce de selles dont le rebord extĂ©rieur est remplacĂ© par un crochet retenant l'une des ailes du patin fig. 47. De ce cĂŽtĂ©, le tirefond ne sert donc plus qu'Ă fixer la selle. Fig. 47. - Selle Ă crochet. Ce dispositif a Ă©tĂ© employĂ© sur une grande Ă©chelle dans les voies en courbe de la S. N. C. B., mais on a reconnu son inefficacitĂ© Ă cause du jeu qui ne tarde pas Ă se produire entre le crochet et le patin, jeu, qui ne pouvant pratiquement ĂȘtre supprimĂ©, provoque l'Ă©largissement de la voie. Il existait d'ailleurs un jeu initial par suite des tolĂ©rances admises pour l'Ă©paisseur des patins. Selles modernes. Dans les voies modernes, on est arrivĂ© Ă sĂ©parer nettement les deux fonctions fixation de la selle sur la traverse, attache du rail Ă la selle. Des tirefonds fixent la selle sur la traverse tandis que d'autres tirefonds maintiennent le rail sur la selle fig. 43 et 44. Les selles modernes permettent d'attacher d'avance au chantier les selles sur les traverses. L'on se trouve ainsi dans les conditions les meilleures pour donner Ă l'Ă©cartement futur des rails la prĂ©cision voulue alignement droit ou courbe. Mais l'efficacitĂ© de l'attache par tirefonds rĂ©sulte de deux Ă©lĂ©ments la rĂ©sistance Ă l'arrachement et ce problĂšme est rĂ©solu d'une façon satisfaisante ; la pression de la tĂȘte du tirefond sur le patin du rail. Nous avons dĂ©jĂ soulignĂ© la prĂ©caritĂ© de cette deuxiĂšme fonction page 37 par suite du pliage du tirefond, de son dĂ©versement, du jeu qui se produit entre la tĂȘte et le patin. La pose Ă l'intervention d'un crapaud fig. 46 apparaĂźt, du point de vue des principes, dĂ©jĂ supĂ©rieure mais les systĂšmes d'attaches modernes appliquĂ©s aux traverses mĂ©talliques dont il sera question plus loin semblent rĂ©soudre plus parfaitement le problĂšme. Il ne faut donc pas s'Ă©tonner de ce que ces systĂšmes aient Ă©tĂ© transportĂ©s sur les traverses en bois lorsque celles-ci sont pourvues de selles mĂ©talliques fig. 48 et 50. Le systĂšme inspirĂ© de la traverse mĂ©tallique d'OugrĂ©e fig. 48 et 49 procure une solidaritĂ© complĂšte entre le rail et la traverse en bois par suite du serrage par clavettes du patin du rail sur la selle mĂ©tallique. Ce serrage Ă©nergique supprime le cheminement » note 045 des rails sur la traverse. Sans doute, la longueur de la clavette donne Ă la voie une certaine rigiditĂ© mais les clavettes rendent possibles l'Ă©tablissement et le maintien entre les deux files de rails d'un Ă©cartement tout Ă fait exact. Remarquons cependant qu'Ă la longue, les crochets s'ouvrent, les clavettes s'usent irrĂ©guliĂšrement parties en contact et parties non en contact, si bien que le serrage devient prĂ©caire et sans possibilitĂ© pratique de rappel de l'usure et l'on constate des chutes de clavettes dans la voie. La traverse OugrĂ©e-Marihaye, thĂ©oriquement parfaite, n'a donc pas toujours donnĂ© Ă l'usage les rĂ©sultats escomptĂ©s. Quant Ă l'attache systĂšme Angleur-Athus » pour traverses mĂ©talliques, reprĂ©sentĂ©e figures 50 et 51, l'emploi du crapaud en forme d'U renversĂ©, Ă©vite la raideur de l'attache OugrĂ©e » et donne Ă l'ensemble une certaine Ă©lasticitĂ© encore accrue par la prĂ©sence d'une rondelle Ă©lastique sous l'Ă©crou de fixation, Ă©lasticitĂ© Ă laquelle beaucoup de spĂ©cialistes de la voie attachent de l'importance. D'aprĂšs des expĂ©riences, faites Ă la S. N. C. B., une voie Ă©quipĂ©e de selles Angleur-Athus » prĂ©sente dans son ensemble une raideur transversale Ă peu prĂšs identique Ă la raideur verticale des deux rails. DĂ©jĂ , sur la ligne Ă©lectrique Bruxelles-Anvers, posĂ©e en rails de 54 mĂštres note 046, les attaches avec selles type Angleur ont Ă©tĂ© appliquĂ©es aux traverses en bois non seulement dans les courbes mais aussi dans les alignements droits. Actuellement, Ă la S. N. C. B., les selles d'appui Angleur-Athus » sont employĂ©es d'une façon systĂ©matique aux traverses en bois des lignes importantes sur lesquelles le rail de 54 m est gĂ©nĂ©ralisĂ©. La solidaritĂ© du rail et de la traverse fait intervenir le ballast dans la rĂ©sistance longitudinale de la voie. Conclusions. Si les selles sont employĂ©es sur une grande Ă©chelle par la plupart des rĂ©seaux, la question de leur gĂ©nĂ©ralisation est encore controversĂ©e. Cependant, pour les traverses en bois tendre, l'utilitĂ© et l'efficacitĂ© de la selle sont incontestables. Pour les traverses en bois dur, cela dĂ©pend de la largeur d'appui du patin, en d'autres termes, de la charge unitaire sur la traverse. Dans les courbes de faible rayon, avec les traverses en bois dur, aussi bien qu'avec les traverses en bois tendre, les selles sont recommandables car, sous l'effet de la force centrifuge et malgrĂ© le dĂ©vers note 047_1, les efforts transversaux sur le rail extĂ©rieur de la courbe sont trĂšs grands et les Ă©paulements des entailles dans les traverses ne peuvent, Ă partir d'un certain rayon, opposer une rĂ©sistance suffisante pour maintenir l'Ă©cartement de la voie. A cet Ă©gard, l'effort d'orientation a plus d'importance qu'une insuffisance de dĂ©vers car son ordre de grandeur est celui du poids qui charge l'essieu directeur. On reproche Ă la selle de hĂąter l'usure du patin du rail et de rendre la voie plus dure. On a cherchĂ© Ă parer Ă ce dernier inconvĂ©nient en interposant entre le rail et la selle une mince plaque de feutre ou de bois comprimĂ©. Peut-ĂȘtre aussi les rĂ©seaux qui n'emploient pas les selles mĂ©talliques sont-ils prĂ©occupĂ©s par la question d'Ă©conomie de premier Ă©tablissement Ă raison de deux selles de ± 12 kg chacune, par traverse et de ± 1500 traverses par km, cela fait 36 tonnes/km et reprĂ©sente un supplĂ©ment de capital de premier Ă©tablissement sĂ©rieux note 047_2, mais il faut s'entendre car c'est la charge annuelle d'intĂ©rĂȘts et d'amortissement qu'il faut rapprocher du supplĂ©ment Ă©ventuel des frais d'entretien annuels des voies posĂ©es sans selles. C'est un bilan Ă Ă©tablir dans chaque cas. Enfin, l'essai des selles modernes avec attaches dĂ©rivĂ©es des traverses mĂ©talliques pose le problĂšme sous un nouvel aspect. CHAPITRE IILes traverses mĂ©talliques 1. Forme et dimensions. Les traverses mĂ©talliques actuellement employĂ©es rappellent par leur forme celle d'une auge renversĂ©e fig. 52 et 54. Cette forme, obtenue par laminage, s'inspire de la traverse mĂ©tallique primitive Le Crenier ; elle fournit au rail une bonne surface d'appui, s'accroche bien dans le ballast et emboĂźte convenablement celui-ci. Dimensions des traverses mĂ©talliques Allemagne Longueur de la traverse 2,550 m 2,500 m Hauteur 10 cm Angleur9,5 cm OugrĂ©e 10 cm Largeur de la base 26,6 cm Angleur26 cm OugrĂ©e 26 cm Largeur de la table 13,5 cm Angleur13 cm OugrĂ©e 13,5 cm Epaisseur de la table 8 mm Angleur11 mm OugrĂ©e 9 mm Ăpaisseur des ailes 8 mm Angleur OugrĂ©e 9 mm Les ailes latĂ©rales, lĂ©gĂšrement obliques, se raccordent Ă la table par des pans coupĂ©s pour supprimer les coins qui se bourrent difficilement. Les bords infĂ©rieurs des ailes, renforcĂ©s pour rĂ©sister aux coups des outils de bourrage, prĂ©sentent une section triangulaire qui facilite leur pĂ©nĂ©tration dans le ballast. Quant aux bouts, ils sont emboutis Ă chaud Ă la presse de maniĂšre Ă fermer la traverse aux deux extrĂ©mitĂ©s et emprisonner le noyau de ballast. Ces bouts prĂ©sentent un Ă©panouissement nervure qui offre une plus grande rĂ©sistance au ripage transversal de la voie. Ainsi conçue, la traverse mĂ©tallique, bien bourrĂ©e, constitue un bon ancrage dans le ballast et s'oppose au dĂ©placement longitudinal de la voie. Les portĂ©es d'assise des rails sont gĂ©nĂ©ralement inclinĂ©es par rapport Ă la partie centrale de la traverse pour donner aux rails l'inclinaison de 1/20 vers l'axe de la voie fig. 52 et 54. 2. Les attaches. Pendant longtemps, le point faible de la traverse mĂ©tallique a Ă©tĂ© la prĂ©sence des trous nĂ©cessaires pour les attaches de fixation du rail Ă la traverse. Ces trous rectangulaires, malgrĂ© leurs coins arrondis, constituaient l'amorce de fissures qui se formaient dans les angles et qui, se dĂ©veloppant, entraĂźnaient aprĂšs un certain temps la dĂ©formation, voire la rupture de la traverse et sa mise hors service. La naissance des fissures Ă©tait Ă©galement favorisĂ©e par l'amincissement de la table dĂ» Ă l'oxydation. Un autre Ă©cueil des anciens types de traverses mĂ©talliques Ă©tait le dĂ©rĂ©glage de l'Ă©cartement. Fig. 52 et 53. - Traverse mĂ©tallique systĂšme OugrĂ©e-Marihaye ». Fig. 54 et 55. - Traverse mĂ©tallique systĂšme Angleur-Athus ». A titre didactique, nous rappellerons briĂšvement comment s'exerça l'ingĂ©niositĂ© des constructeurs pour assurer la fixitĂ© du rail, d'une part, et rĂ©gler, d'autre part, l'Ă©cartement variable des rails dans les courbes malgrĂ© que les trous Ă©taient percĂ©s dans les traverses d'aprĂšs un gabarit unique. Remarquons d'ailleurs que, pour des raisons Ă©conomiques, les traverses avec trous pour le passage des attaches sont toujours utilisĂ©es sur les chemins de fer du Congo belge fig. 56 et 57. Ces traverses, posĂ©es dans la voie Ă l'Ă©cartement de 1,067 m, mesurent 2 m de longueur et pĂšsent 42 kg. On peut les ranger en deux systĂšmes caractĂ©ristiques dans le premier, le rail est posĂ© directement sur la traverse. Exemple systĂšme rhĂ©nan fig. 56 et 57 ; dans le second, une selle est interposĂ©e entre le patin du rail et la traverse. Exemple systĂšme Haarmann fig. 58. Attache rhĂ©nane fig. 56 et 57. Le patin du rail est maintenu par deux crapauds C1 C2 serrĂ©s par des boulons Ă tĂȘte plate B1 B2. Pour introduire le boulon, on prĂ©sente la tĂȘte plate 19 x 39 mm parallĂšlement au long cĂŽtĂ© du trou rectangulaire 21 x 50 mm de la traverse. Puis, on lui fait faire un quart de tour de maniĂšre que la tĂȘte se mette en croix avec le trou rectangulaire. Fig. 56 et 57. - Attache rhĂ©nane pour traverse mĂ©tallique. Les crapauds, portant contre les bords des trous, supportent directement les efforts transversaux subis par les rails. Dans ces conditions, les boulons de fixation ne sont pas soumis Ă des efforts de cisaillement. Il existe quatre types de crapauds qui diffĂšrent par leur Ă©paisseur 14, 17, 23 et 26 mm. En plaçant Ă l'extĂ©rieur du patin l'un des quatre types et, Ă l'intĂ©rieur, le type correspondant, on obtient l'Ă©cartement dĂ©sirĂ©. Attache Haarmann fig. 58. Fig. 58. - Attache Haarmann pour traverse mĂ©tallique. Entre le patin du rail et la traverse, on introduit une selle Ă crochet C prĂ©sentant vers le bas un ergot E qui s'accroche sous la table de la traverse. Le patin est maintenu du cĂŽtĂ© intĂ©rieur de la voie par des crapauds serrĂ©s par des boulons, comme dans le systĂšme rhĂ©nan. Pour rĂ©gler l'Ă©cartement, on dispose de quatre espĂšces de selles et de quatre types de crapauds. Si le principe mĂȘme de la traverse mĂ©tallique s'est implantĂ© difficilement sur certains rĂ©seaux, cela tient sans doute aux qualitĂ©s incontestables de la traverse en bois dur crĂ©osote note 051_1, mais surtout au dĂ©forcement de la traverse mĂ©tallique par la prĂ©sence des trous, origine de fissurations. Diverses tentatives furent faites pour supprimer les trous note 051_2, mais la vraie solution de ce problĂšme ne fut trouvĂ©e que lorsqu'on eut recours Ă une selle soudĂ©e sur la table de la traverse. Ce fut lĂ un progrĂšs considĂ©rable. Attaches modernes Les systĂšmes d'attache modernes se rangent en deux catĂ©gories le systĂšme d'attache par selles et cales de fixation fig. 60 ; le systĂšme d'attache par selles Ă nervures, crapauds et boulons de fixation fig. 62. Le premier a Ă©tĂ© introduit en Belgique par la SociĂ©tĂ© d'OugrĂ©e-Marihaye ; le second, par la SociĂ©tĂ© d'Angleur-Athus. I. SystĂšme OugrĂ©e-Marihaye. Le systĂšme de fixation des rails sur les traverses au moyen de cales est trĂšs ancien. Les Indes Anglaises notamment, emploient depuis 1878 des traverses mĂ©talliques comportant deux nez dĂ©coupĂ©s dans la table et appelĂ©s clips » entre lesquels le patin du rail est fixĂ© par une cale fig. 59. Fig. 59. - Attache du rail par clips » sur traverse mĂ©tallique. Cependant le systĂšme d'attache par clips et cales conduit Ă la crĂ©ation de trous de grandes dimensions Ă l'endroit mĂȘme oĂč les efforts sont maxima. C'est Ă l'occasion d'une fourniture de traverses Ă clips pour les chemins de fer des Indes que les Usines d'OugrĂ©e conçurent l'idĂ©e, de conserver les cales, mais de remplacer les clips par des agrafes en acier, introduites et ajustĂ©es dans des trous semi-circulaires beaucoup plus petits note 051_3. C'Ă©tait certes un progrĂšs, mais, en 1928, OugrĂ©e crĂ©a une traverse nouvelle avec cale et selle Ă crochet soudĂ©e Ă©lectriquement sur la traverse et supprimant complĂštement les trous fig. 60 et 61. Comme le montre la figure, les deux clavettes, introduites en sens inverse, entre le patin du rail et les crochets de la selle, assurent Ă l'assemblage une rigiditĂ© complĂšte. Par suite de cette solidaritĂ© du rail avec chaque traverse, les efforts longitudinaux s'exerçant sur les rails, sont rĂ©partis sur toutes les traverses, il s'ensuit que la rĂ©sistance au dĂ©placement de la voie est telle que le cheminement » est pratiquement supprimĂ©. Enfin, le serrage Ă©nergique des clavettes maintient le rail sous contrainte et freine sa dilatation note 052. Le serrage des clavettes doit ĂȘtre surveillĂ© de trĂšs prĂšs parce que, aprĂšs un certain temps, on constate une tendance au desserrage voir page 46. Fig. 60 et 61. - Traverse mĂ©tallique systĂšme OugrĂ©e-Marihaye avec selles soudĂ©es, attache par clavettes et table inclinĂ©e au 1/20. La surlargeur en courbe est rĂ©glĂ©e comme suit Dans les courbes dont les rayons rĂ©pondent Ă la condition 400 m > R Ÿ 230 m, on adopte, Ă la S. N. C. B., un surĂ©cartement de 10 mm et le passage de l'Ă©cartement normal au surĂ©cartement de 10 mm se rĂ©alise progressivement de 2,5 mm en 2,5 mm. L'entredistance des selles soudĂ©es reste constante et pour rĂ©aliser les surĂ©cartements successifs 2,5 mm, 5 mm, 7,5 mm et 10 mm, on recourt Ă l'usage de 4 types de clavettes d'Ă©paisseurs diffĂ©rentes. Dans les courbes dont les rayons rĂ©pondent Ă la condition 250 m > R Ÿ 175 m, on adopte un surĂ©cartement de 20 mm et le passage de l'Ă©cartement normal au surĂ©cartement de 20 mm se rĂ©alise progressivement de 5 mm en 5 mm. Les surĂ©cartements de 5 mm et 10 mm sont obtenus comme indiquĂ© au 1° ci-dessus. Quant aux surĂ©cartements de 15 mm et de 20 mm, ils sont rĂ©alisĂ©s en augmentant de 10 mm l'entredistance des plaques soudĂ©es et en utilisant les mĂȘmes clavettes d'Ă©paisseurs diffĂ©rentes. II. SystĂšme Angleur-Athus. Ce systĂšme remonte Ă 1928. Ici encore tout le dispositif d'attache est reportĂ© au-dessus de la table de la traverse fig. 62 et 63, mais la selle soudĂ©e porte des nervures entre lesquelles le patin du rail est encastrĂ© de maniĂšre Ă lutter contre les efforts transversaux. Fig. 62 et 63. - Traverse mĂ©tallique systĂšme Angleur-Athus avec selles Ă nervures soudĂ©es, attache par crapauds et boulons et table inclinĂ©e au 1/20. Les nervures de la selle prĂ©sentent une encoche dans laquelle se loge la tĂȘte plate du boulon de fixation fig. 64 Ă 67. L'Ă©crou du boulon serre, par l'intermĂ©diaire d'une rondelle Ă ressort, le dos du crapaud en forme d'U renversĂ©. Le crapaud s'appuie d'un cĂŽtĂ© sur la selle, de l'autre sur le patin du rail. L'assemblage se caractĂ©rise par une certaine Ă©lasticitĂ©. Le rail est donc maintenu d'une part par les nervures qui s'opposent au glissement vers l'extĂ©rieur et par les crapauds qui empĂȘchent son renversement. La tendance au cheminement est combattue par le serrage des boulons sur les crapauds, serrage qui crĂ©e une rĂ©sistance par frottement supĂ©rieure Ă la force qui provoque le cheminement du rail sur la traverse. Par ailleurs, la surface de contact des crapauds avec le patin du rail est suffisamment grande pour que le serrage des boulons maintienne le rail sous contrainte et freine sa dilatation note 054. Les surĂ©cartements en courbe sont obtenus en soudant les selles Ă l'Ă©cartement imposĂ© ; celui-ci progresse de 2,5 mm en 2,5 mm. Le tableau ci-dessous permet de se rendre compte des prix des traverses mĂ©talliques comparĂ©s Ă ceux des traverses en bois AnnĂ©e Prix des traverses en bois mĂ©talliques 1928 chĂȘne crĂ©osotĂ© 70 F 100 F 1930 chĂȘne crĂ©osotĂ© 70 F OugrĂ©e 1° Ă clavettes et trous 106 F 2° selles soudĂ©es 106 F Angleur selles soudĂ©es 88 F 1935 blanches chĂȘne 45 F crĂ©osotĂ©es chĂȘne 55 F chĂȘne crĂ©osotĂ© avec selles en courbe 65 F OugrĂ©e 82 F Angleur 82 F 1938 1° chĂȘne crĂ©osotĂ© avec 2 selles mĂ©talliques type Angleur - attaches comprises 119 F OugrĂ©e selles soudĂ©es 126 F Angleur Selles soudĂ©es 126 F 1950 idem 395 F Angleur selles soudĂ©es 426 F * 1938 2° chĂȘne crĂ©osotĂ© sans selle, attaches par tirefonds comprises 85 F 1950 idem 242 F * Estimation. Quant aux poids, les voici Traverses en bois sans selles, mais avec 4 tirefonds 85 kg avec selles, type OugrĂ©e, clavettes comprises 101 kg sans selles, type Angleur, 2 tirefonds et attaches 113 kg Traverses mĂ©talliques Ă selles soudĂ©es Type OugrĂ©e, avec les clavettes 75,5 kg Type Angleur, avec les attaches 76 kg En 1950, Ă la S. N. C. B., il y avait traverses mĂ©talliques en service en voies principales. En 1949, les Chemins de fer fĂ©dĂ©raux Suisses possĂ©daient Sur leurs voies principales 71 % de traverses mĂ©talliques, 29 % de traverses en bois. Sur l'ensemble de leurs voies principales et autres 68 % de traverses mĂ©talliques, 32 % de traverses en bois. Les prix de revient Ă©taient Traverse en chĂȘne, avec ses attaches avec selles ordinaires 42,05 FS avec attaches systĂšme OugrĂ©e 51,45 FS Traverse mĂ©tallique, avec ses attaches avec plaques de serrage 29,05 FS Les traverses en chĂȘne viennent du pays. Quant aux traverses mĂ©talliques, elles sont exclusivement importĂ©es. On constate donc qu'en Suisse, les traverses mĂ©talliques coĂ»tent moins cher que les traverses en bois, alors qu'en Belgique, c'est l'inverse. 3. Traverses en bois ou traverses mĂ©talliques ? Si nous nous plaçons des points de vue valeur technique et sĂ©curitĂ© de la voie, nous pouvons, Ă l'heure actuelle, rĂ©pondre sans hĂ©sitation traverses en bois et traverses mĂ©talliques. La valeur technique s'exprime par la capacitĂ© de rĂ©sistance que la voie oppose aux efforts dynamiques du matĂ©riel roulant ainsi qu'aux influences atmosphĂ©riques. La valeur d'une traverse peut s'estimer encore par la façon dont elle maintient l'Ă©cartement de la voie. Bien entendu, nous supposons que nous avons affaire dans les deux cas Ă des voies parcourues par des trains rapides, nombreux et Ă charge par essieu Ă©levĂ©e et que, par consĂ©quent, le profil des rails, les dimensions des traverses, leur nombre par kilomĂštre, la qualitĂ© et l'Ă©paisseur du ballast, sont en rapport avec les conditions d'exploitation ainsi dĂ©finies. Le dĂ©faut capital de la traverse mĂ©tallique le trou pour l'attache a disparu avec l'emploi des selles soudĂ©es ; l'attache elle-mĂȘme s'est perfectionnĂ©e au point de maintenir le rail sous contrainte lors des dilatations. On peut dire que la traverse mĂ©tallique a rejoint la traverse en bois dur crĂ©osotĂ©e. Mais il reste Ă avoir Ă©gard aux conditions locales, aux raisons Ă©conomiques. 1° Conditions locales. On donnera la prĂ©fĂ©rence Ă la traverse en bois dans les tunnels humides, dans les tranchĂ©es profondes et humides, oĂč la voie est peu ou pas atteinte par le soleil Ă moins que l'orientation soit Nord-Sud, Ă la traversĂ©e des terrains marĂ©cageux, sur les ponts dĂ©pourvus de ballast, Ă cause de l'Ă©lasticitĂ© du bois, sur les lignes Ă ballast en cendrĂ©es, celles-ci sont moins bien drainĂ©es et plus ou moins sulfureuses note 056_1, les traverses mĂ©talliques y sont trĂšs attaquĂ©es par la rouille et leur Ă©paisseur se rĂ©duit trĂšs fortement de ce chef, au bord de la mer Ă cause de l'humiditĂ© de l'air salin, dans les parages des usines ou des fabriques de produits chimiques dĂ©gageant des vapeurs acides, sur les lignes Ă©quipĂ©es au block automatique Ă circuits de voie note 056_2 afin d'assurer l'isolement des circuits Ă©lectriques. Notons cependant que les chemins de fer fĂ©dĂ©raux suisses emploient avec leurs traverses mĂ©talliques des dispositifs d'isolement entre la traverse et le patin du rail et entre les crapauds et le patin. 2° Raisons Ă©conomiques. Les rĂ©seaux qui ne trouvent pas sur le marchĂ© national la quantitĂ© de bois dur suffisante pour leurs besoins annuels note 057_1 et qui doivent acheter une partie de ce bois Ă l'Ă©tranger, peuvent indiffĂ©remment employer des traverses en bois ou des traverses mĂ©talliques. Dans les mĂȘmes conditions d'approvisionnement difficile en bois dur mais si le pays possĂšde une industrie sidĂ©rurgique dĂ©veloppĂ©e, tel est le cas de la Belgique, l'utilisation des traverses mĂ©talliques devient intĂ©ressante par le soutien qu'elle donne Ă l'industrie nationale et par le trafic qu'elle apporte au chemin de fer lui-mĂȘme charbon, coke, minerais. Les traverses mĂ©talliques se prĂȘtent moins facilement au soufflage note 057_2 en ce sens qu'il faut soulever davantage les traverses, 21 cm contre 8 cm. Remarquons qu'une traverse mĂ©tallique Ă selle soudĂ©e ne convient que pour le profil de rail pour lequel elle a Ă©tĂ© fabriquĂ©e ; une traverse mĂ©tallique Ă©quipĂ©e pour le rail de 50 kg/m, par exemple, ne pourrait ĂȘtre rĂ©employĂ©e en voie accessoire en rails de 40 kg. Pour la mĂȘme raison, les occasions de vendre des traverses mĂ©talliques comme traverses industrielles sont rares. Mais la traverse mĂ©tallique hors service conserve une valeur mitraille intĂ©ressante. CHAPITRE IIITraverses en bĂ©ton armĂ© 1. GĂ©nĂ©ralitĂ©s. C'est vers 1907 que commencĂšrent des essais sĂ©rieux de traverses en bĂ©ton armĂ©, notamment en France, en Italie et en Suisse. Ces essais furent provoquĂ©s par la difficultĂ© de se procurer en quantitĂ© suffisante des traverses en bois dur note 058 ou par le prix Ă©levĂ© atteint par les traverses mĂ©talliques dans les pĂ©riodes de prospĂ©ritĂ©. Les trĂšs nombreux types peuvent se rattacher Ă trois conceptions bien distinctes Premier systĂšme traverses monobloc, la traverse est une poutre qui rappelle par sa forme la traverse prismatique en bois. Ce sont les traverses Calot, Orion, etc. fig. 68 Ă 73. Second systĂšme traverses mixtes, la traverse est constituĂ©e de deux appuis Ă large empattement, dont l'Ă©cartement est maintenu par une entretoise. Ce sont les traverses Vagneux, S. N. C. B., Sonneville, etc. fig. 75 Ă 77. TroisiĂšme systĂšme traverses en bĂ©ton prĂ©contraint. Le plus gĂ©nĂ©ralement, on dispose une selle en acier, en caoutchouc ou en bois comprimĂ© entre le patin du rail et la portĂ©e d'appui de la traverse inclinĂ©e au 1/20. 2. Traverses prismatiques monobloc en bĂ©ton armĂ©. a Traverses Calot. Conçue Ă l'origine pour la pose du rail Ă double bourrelet avec coussinet Ă large base utilisĂ© Ă l'Ă©poque par les chemins de fer du Paris-OrlĂ©ans, elle a Ă©tĂ© ensuite essayĂ©e avec le rail Ă patin, notamment sur la rĂ©gion Nord des chemins de fer français fig. 68 Ă 70. Dans les deux cas, on interpose une plaque de bois comprimĂ© entre la traverse et le patin du rail ou le coussinet. L'attache primitive a Ă©tĂ© modifiĂ©e en vue d'obtenir une traverse Ă©lectriquement isolante pour les cas oĂč l'on utilise les circuits de voie note 059. La traverse est pourvue au moulage de trous Ă filets creux. Dans ces trous, on visse des tree-nails en bois de charme crĂ©osote, pourvus de filets extĂ©rieurs. Fig. 68 Ă 70. - Traverse prismatique en bĂ©ton armĂ© systĂšme Calot. Lorsqu'on visse le tirefond dans le tree-nail, lisse intĂ©rieurement, les filets extĂ©rieurs du tree-nail s'appliquent contre les filets creux du bĂ©ton et l'on obtient ainsi la rĂ©sistance Ă l'arrachement dĂ©sirĂ©e. Fig. 71 Au bout d'un certain temps, le dĂ©bourrage des tĂȘtes et le surbourrage de la partie mĂ©diane font que les traverses prismatiques en bĂ©ton risquent de se fendre ou de se rompre en leur milieu. GrĂące Ă son Ă©lasticitĂ©, la traverse en bois Ă©chappe Ă cet inconvĂ©nient. C'est pourquoi, il est prudent de dĂ©gager la partie mĂ©diane de la traverse en bĂ©ton fig. 71. Le poids Ă©levĂ©, 225 kg, de la traverse Calot demande des moyens spĂ©ciaux de manutention, tels que des grues montĂ©es sur wagons. Sa longueur est actuellement de 2,40 m. D'aprĂšs les essais effectuĂ©s sur les lignes françaises de la rĂ©gion Nord, la traverse Calot conduirait Ă une Ă©conomie de ballast de 0,400 mÂł au mĂštre courant. b Traverse Orion. La traverse Orion, utilisĂ©e sur une grande Ă©chelle par les chemins de fer français, rĂ©gion du Midi et par les chemins de fer suisses, est reprĂ©sentĂ©e fig. 72 et 73. D'une longueur de 2,20 m, elle se compose de deux parties portantes et d'une partie centrale trĂšs robuste. En Ă©lĂ©vation, elle se caractĂ©rise par un surhaussement de la partie mĂ©diane qui trouve sa justification dans les considĂ©rations suivantes Nous avons dĂ©jĂ dit qu'avec les traverses prismatiques du type Calot on prend la prĂ©caution de dĂ©gager la partie mĂ©diane de la traverse pour Ă©viter sa rupture, fig. 71. On peut craindre que les petits talus ainsi formĂ©s ne s'Ă©boulent et passent de a en a'. Quand cela se produit, l'assiette des extrĂ©mitĂ©s de la traverse est dĂ©sĂ©quilibrĂ©e, il en rĂ©sulte des couples de flexion dangereux fig. 71. Au contraire, la traverse Orion ne reposant sur le ballast que par ses semelles, la partie centrale Ă©chappe aux rĂ©actions du sol. Fig. 72 et 73. - Traverse en bĂ©ton armĂ© systĂšme Orion. Le mode d'attache consiste dans des noyaux de bois Ă section rectangulaire noyĂ©s dans le bĂ©ton, Ă raison d'un par tirefond fig. 74. Des quatre faces latĂ©rales, trois sont normales Ă la traverse mais la quatriĂšme se prĂ©sente en pan coupĂ©. La section rectangulaire empĂȘche le noyau de tourner lors du vissage ou du dĂ©vissage du tirefond ; le pan coupĂ© empĂȘche le noyau de remonter, assure le serrage du noyau dans son logement et facilite Ă©galement son remplacement en le retirant par le dessous. Fig. 74 L'isolement Ă©lectrique des deux files de rails est assurĂ© par les noyaux en bois, ce qui rĂ©soud le problĂšme de l'utilisation de ces traverses sur les lignes Ă©quipĂ©es du block automatique par circuits de voie. Sur les lignes Ă grande vitesse, on interpose une fourrure en bois comprimĂ© entre le patin du rail et la traverse. La traverse Orion pĂšse 200 kg. Remarque. - L'expĂ©rience a montrĂ© que les ruptures et les dĂ©tĂ©riorations des traverses en bĂ©ton Ă poutre prismatique se produisent gĂ©nĂ©ralement au droit des rails, pour les traverses longues, au milieu, pour les traverses courtes. La rĂ©duction de longueur a un effet sensible sur le poids de la traverse et, comme l'assise est gĂ©nĂ©ralement plus large, les traverses en bĂ©ton ne mesurent guĂšre que 2,20 m Ă 2,50 m alors que les traverses en bois mesurent 2,60 m et plus. La rupture au milieu peut d'ailleurs ĂȘtre Ă©vitĂ©e on bien en dĂ©gageant le ballast de la partie centrale traverse Calot ou en relevant le profil de la poutre en son milieu traverse Orion. A propos de la longueur et du calcul des traverses en bĂ©ton armĂ©, on lira avec intĂ©rĂȘt les Ă©tudes de MM. DESPRETS et DE VEALI dans le Bulletin du CongrĂšs International des Chemins de fer note 061_1. 3. Traverses mixtes en bĂ©ton armĂ© ordinaire. a Traverse Vagneux note 061_2. La traverse Vagneux est du type semi-rigide fig. 73 Ă 77 et ce, pour parer au reproche que l'on adresse aux traverses prismatiques, Ă savoir le bourrage accidentel de leur partie centrale peut dĂ©terminer des efforts de flexion capables de fissurer le bĂ©ton. Fig. 75 Ă 77. - Traverse semi-rigide en bĂ©ton armĂ© systĂšme Vagneux. La partie centrale est constituĂ©e d'une poutrelle mĂ©tallique, de profil double T, qui s'encastre dans deux larges tĂȘtes en bĂ©ton armĂ©. Cette poutrelle 80 x 42 mm est, d'une part, assez rigide pour maintenir l'Ă©cartement normal de la voie et la bonne inclinaison des rails et d'autre part, elle est suffisamment Ă©lastique pour absorber les principaux efforts de flexion et de torsion. Le bourrage de la traverse est nĂ©cessairement localisĂ© sous les deux tĂȘtes qui ont 72 cm de longueur et il est rĂ©parti symĂ©triquement de chaque cĂŽtĂ© du rail. L'attache est constituĂ©e par un tirefond vissĂ© dans un logement venu de moulage ou bien le bĂ©ton est consolidĂ© par une garniture hĂ©licoĂŻdale Thiollier fig. 78. La spirale Thiollier est vissĂ©e sur un tirefond enduit au prĂ©alable de graisse et fixĂ© dans le moule. La coulĂ©e effectuĂ©e et la prise faite, on retire le tirefond de la traverse, tandis que la spirale reste dans le bĂ©ton. Le logement prĂ©sente un certain jeu, comblĂ© par un mastic bitumineux trĂšs adhĂ©sif en vue d'assurer un serrage parfait de l'attache. La rĂ©sistance Ă l'arrachement serait de 10 tonnes. La figure 79 reprĂ©sente une variante d'attache par tirefond et crapaud, elle Ă©vite que la tĂȘte du tirefond soit en porte Ă faux du cĂŽtĂ© opposĂ© au patin. Lorsque la traverse doit ĂȘtre isolante Ă©lectriquement circuits de voie du block automatique, le logement du tirefond est constituĂ© par une gaine en bakĂ©lite. Les faces supĂ©rieures des deux blochets sont disposĂ©es avec une inclinaison de 1/20. Au droit des rails, une encoche est pratiquĂ©e dans laquelle vient se placer la tablette Ă©lastique en bois comprimĂ©. Garniture hĂ©licoĂŻdale Thiollier. Fig. 78. - Attache par tirefond. Fig. 79. - Attache par tirefond et crapaud. La traverse Vagneux est utilisĂ©e sur des lignes de la rĂ©gion française de l'ancien P. L. M., sur le P. L. M. algĂ©rien et sur les chemins de fer tunisiens. D'aprĂšs les essais, l'emploi de la traverse Vagneux permettrait une Ă©conomie de ballast de 0,100 mÂł au mĂštre courant de voie. b Traverse mixte de la S. N. C. B. fig. 80 Ă 82. Cette traverse a Ă©tĂ© conçue pour remĂ©dier Ă la pĂ©nurie de traverses en bois et elle a Ă©tĂ© rĂ©servĂ©e exclusivement aux voies de garage. Fig. 80 Ă 82. - Traverse mixte pour voies de garage de la S. N. C. B. On a recherchĂ© avant tout la simplicitĂ© et l'Ă©conomie. La traverse est constituĂ©e de 2 blochets de section modeste et faiblement armĂ©s, rĂ©unis par 2 tubes Ă fumĂ©e en acier de chaudiĂšres de locomotives. Ces tubes sont recouverts de deux couches de minium de plomb. Ces tubes forment entretoises et, comme ils traversent les blochets de part en part, ils contribuent Ă la rĂ©sistance des blochets eux-mĂȘmes. Les tubes Ă fumĂ©e sont parfois remplacĂ©s par de vieux rails ou par des corniĂšres. c Traverse mixte Sonneville S. N. C. F. fig. 83 Ă 85. C'est une traverse en bĂ©ton armĂ© ordinaire non prĂ©contraint constituĂ©e par 2 blochets massifs Ă assise large, rĂ©unis par une entretoise mĂ©tallique qui traverse les blochets d'outre en outre et qui constitue l'ossature principale des blochets. Fig. 83 Ă 85. - Traverse mixte Sonneville S. N. C. F.. La longueur de la traverse Sonneville est de 2,25 m, son poids d'environ 170 kg. Les boulons d'attache prennent appui par leur tĂȘte plate, non pas sur le bĂ©ton, mais bien sur les deux nez dĂ©coupĂ©s dans l'entretoise mĂ©tallique. L'Ă©crou de ces boulons presse sur un crapaud Ă©lastique constituĂ© d'une lame d'acier Ă ressort repliĂ©e. Enfin, le rail repose sur une semelle en caoutchouc cannelĂ©. Le serrage sur le patin du rail serait suffisant pour maintenir le rail sous contrainte et supprimerait le cheminement du rail sur la traverse. Mise en place des boulons fig. 86. - On introduit le boulon de fixation par la cheminĂ©e verticale C1C1, la tĂȘte Ă©tant placĂ©e en croix avec l'entretoise mĂ©tallique. On lui fait subir ensuite 1/4 de tour pour l'insĂ©rer dans l'Ă©chancrure de l'entretoise. Fig. 86. - Traverse mixte Sonneville S. N. C. F..Mise en place des boulons de fixation. Pour rendre cette rotation possible, 2 cavitĂ©s C2C2 doivent ĂȘtre mĂ©nagĂ©es lors de la coulĂ©e de la traverse Ă la faveur de la prĂ©sence de 2 noyaux NN. Les noyaux enlevĂ©s, il subsiste deux cheminĂ©es horizontales, lĂ©gĂšrement inclinĂ©es pour l'Ă©vacuation des eaux de pluie. Accessoirement, ces cheminĂ©es facilitent le transport des traverses en y introduisant une barre de fer. A l'extrahomĂštre, les boulons auraient atteint une rĂ©sistance Ă la traction de 9 tonnes. 4. Traverses en bĂ©ton prĂ©contraint. Le bĂ©ton armĂ© pare Ă l'insuffisance de rĂ©sistance Ă la traction du bĂ©ton ordinaire par la prĂ©sence de barres d'acier dans les rĂ©gions soumises Ă l'extension. Mais, par suite de l'adhĂ©rence du bĂ©ton Ă l'acier de l'armature, le bĂ©ton suit les allongements que subissent les armatures sous les forces d'extension qui les sollicitent et, comme la capacitĂ© d'allongement du bĂ©ton est trĂšs limitĂ©e, dĂšs que la tension de l'acier dĂ©passe quelque 10 kg/mmÂČ, le bĂ©ton se fissure. Par ailleurs, lors de son durcissement, le bĂ©ton est plus ou moins empĂȘchĂ© de subir librement son retrait par suite de son adhĂ©rence Ă l'acier de l'armature et cet empĂȘchement suffit Ă lui seul Ă produire des fissures. La prĂ©contrainte ou compression initiale rĂ©sulte de la mise en tension prĂ©alable des tirants ou des fils d'armature, tirants ancrĂ©s aux extrĂ©mitĂ©s, entourĂ©s ou non de gaines. La tension des tirants se transmet au bĂ©ton sous forme d'une compression Ă©gale Ă cette tension de sorte que la rĂ©sistance Ă la fissuration est, en principe, Ă©gale Ă la tension de prĂ©contrainte. Le retrait du bĂ©ton et le fluage diminuent la tension du tirant d'oĂč une perte de prĂ©contrainte mais si l'on constitue les tirants de fils d'acier de faible section et Ă haute rĂ©sistance, on peut escompter que la perte de prĂ©contrainte ne dĂ©passera pas 15 %. Le plus gĂ©nĂ©ralement, on emploie des aciers trĂ©filĂ©s de 2 Ă 3 mm de diamĂštre dont la limite Ă©lastique est comprise entre 150 et 180 kg/mmÂČ et dont la rĂ©sistance Ă la rupture atteint 200 kg/mmÂČ. Ils sont tendus Ă un taux infĂ©rieur de 20 kg/mmÂČ Ă la limite Ă©lastique. Au moment du bĂ©tonnage, il est nĂ©cessaire de vibrer le bĂ©ton afin d'assurer son homogĂ©nĂ©itĂ© parfaite. AppliquĂ©e aux traverses de chemin de fer, la prĂ©contrainte a pour but principal de combattre la fissuration du bĂ©ton. Beaucoup de rĂ©seaux s'intĂ©ressent Ă la question, mais on en est toujours au stade expĂ©rimental. Les expĂ©riences statiques et dynamiques effectuĂ©es dans les laboratoires de l'UniversitĂ© de LiĂšge sur des traverses en bĂ©ton prĂ©contraint belges et britanniques attestent l'Ă©lasticitĂ© des fissures du bĂ©ton prĂ©contraint qu'elles se referment lors de l'enlĂšvement de la surcharge qui les produit. a Traverses françaises en bĂ©ton prĂ©contraint. Les directives de la S. N. C. F. selon lesquelles les traverses prĂ©contraintes ont Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©es sont une forte Ă©paisseur sous le rail, un dĂ©crochement vertical de la partie centrale pour Ă©viter qu'elle porte sur le ballast, une Ă©paisseur au milieu rĂ©duite au minimum de maniĂšre Ă rĂ©aliser le maximum de dĂ©formabilitĂ© et le minimum de poids, la concentration des aciers Ă la partie infĂ©rieure, leur excentricitĂ© favorisant la rĂ©sistance aux moments positifs, les rainures cylindriques mĂ©nagĂ©es de part et d'autre du rail pour servir d'appui et de butĂ©e aux crapauds d'attache. b Traverse belge Franki-Bagon en bĂ©ton prĂ©contraint fig. 87. Cette traverse, mise Ă l'essai en 1946, est constituĂ©e de 2 blochets armĂ©s, rĂ©unis par une entretoise, en bĂ©ton Ă©galement. Les 3 piĂšces sont serrĂ©es ensemble par une tige d'acier manganosiliceux de 15 mm de diamĂštre filetĂ©e et tendue Ă 55 kg/mmÂČ par le serrage des Ă©crous d'extrĂ©mitĂ©. La compression dans le bĂ©ton atteint 70 kg/cmÂČ. Des plaquettes de bois rĂ©sinifiĂ© sont interposĂ©es entre les blochets et l'entretoise et rĂ©alisent une semi-articulation. Celle-ci supprime la flexion de la partie centrale en cas de dĂ©nivellation des appuis sous les blochets. Le poids de la traverse Franki-Bagon est de 200 kg, sa longueur de 2,40 m. L'attache est constituĂ©e par une selle en acier imprimĂ©e » dans le bĂ©ton frais et maintenue sur la traverse par des boulons traversants fig. 88. La selle est pourvue de nervures emprisonnant un boulon Ă tĂȘte plate agissant par serrage sur un crapaud comme dans l'attache Angleur-Athus. Fig. 87 et 88. - Traverse belge Franki-Bagon en bĂ©ton prĂ©contraint. Les attaches des traverses en bĂ©ton. - Les tirefonds sont encore largement utilisĂ©s pour fixer le rail sur les traverses en bĂ©ton. Ils sont vissĂ©s soit dans des blocs de bois dur qui ont en gĂ©nĂ©ral la forme d'un tronc de pyramide traverse Orion, page 59, traverse mixte de la S. N. C. B., page 62, soit dans des logements hĂ©licoĂŻdaux mĂ©nagĂ©s dans le bĂ©ton mais dont les filets sont renforcĂ©s par une garniture spirale mĂ©tallique Thiollier ou par une virole VV. Fig. 89. - Attache par boulon-tirefond avec crapaud Ă©lastique de la S. N. C. F. Sur les lignes Ă©lectrifiĂ©es, certains rĂ©seaux emploient des garnitures isolantes en matiĂšre coulĂ©e. Le tirefond presse soit directement sur le patin du rail, soit par l'intermĂ©diaire d'un crapaud page 44. A la S. N. C. F., le rail est maintenu sur les traverses en bĂ©ton prĂ©contraint par des boulons-tirefonds s'appuyant sur des crapauds Ă©lastiques constituĂ©s d'une barre plaie d'acier Ă ressort fig. 89. Parmi les types d'attache les plus Ă©voluĂ©s, on note l'attache indirecte par selle avec fixations indĂ©pendantes du rail et de la selle ; l'attache directe par tirefonds ou par boulons-tirefonds vissĂ©s les uns et les autres dans des garnitures Thiollier au encore par boulons traversant la poutre de part en part. Semelles intercalaires. - Pour Ă©viter le contact direct de l'acier sur le bĂ©ton, certains rĂ©seaux interposent une semelle entre le rail et la traverse. On rencontre des selles en caoutchouc spĂ©cial, en acier, en bois imprĂ©gnĂ© et comprimĂ©, en bois lamellĂ© et bakĂ©lisĂ©. 5. Conclusions. Le poids de la traverse en bĂ©ton est au moins double et parfois triple de celui d'une traverse en bois de chĂȘne 80 kg ce qui rend sa manutention plus difficile. La fragilitĂ© relative du bĂ©ton exige que la traverse soit traitĂ©e avec plus de mĂ©nagement que la traverse en bois. Par suite de son poids Ă©levĂ©, la traverse en bĂ©ton assure une meilleure stabilitĂ© de la voie ; mais elle donne une voie plus rigide car elle ne possĂšde pas l'Ă©lasticitĂ© de la traverse en bois. Par contre, elle procure une Ă©conomie de ballast et elle est peu sensible aux agents atmosphĂ©riques. L'Ă©conomie de ballast provient de ce que la traverse en bĂ©ton armĂ© Ă©tant plus courte, le lit de ballast est moins large. Par ailleurs, comme elle est plus lourde, il n'est pas nĂ©cessaire de contrebuter les tĂȘtes de la traverse par du ballast, ni de remplir les intervalles entre les traverses ; il suffit d'y placer juste assez de ballast pour que les traverses ne se dĂ©chaussent pas. Comme le serpentage de la voie provoquĂ© par la dilatation brusque des rails est prĂ©cĂ©dĂ© d'un soulĂšvement de la voie qui supprime le frottement sur le ballast, la traverse en bĂ©ton, plus lourde, peut, toutes choses Ă©gales, retarder le moment oĂč le serpentage se dĂ©clenche. La traverse en bĂ©ton est particuliĂšrement intĂ©ressante pour les Colonies oĂč les traverses en bois sont attaquĂ©es par les termites et oĂč les traverses mĂ©talliques doivent gĂ©nĂ©ralement ĂȘtre importĂ©es ce qui en relĂšve le prix, alors qu'il est souvent possible de trouver sur place les matĂ©riaux nĂ©cessaires Ă la fabrication de la traverse en bĂ©ton, l'armature en acier exceptĂ©e. La traverse en bĂ©ton trouvera aussi son emploi lĂ oĂč les traverses en bois pĂ©rissent par pourriture, c'est-Ă -dire sur les lignes secondaires. Ici, en effet, la destruction organique prĂ©cĂšde la destruction mĂ©canique. Sur les lignes principales oĂč la destruction des traverses est due avant tout Ă des causes mĂ©caniques, l'expĂ©rience dira quelle sera la durĂ©e des traverses en bĂ©ton. A cet Ă©gard, il n'y a pas que la rĂ©sistance de la traverse elle-mĂȘme, il y a encore et l'on pourrait dire, il y a surtout la rĂ©sistance de l'attache et de sa liaison avec le bĂ©ton. Dans la plupart des cas, c'est l'insuffisance du systĂšme d'attache qui a contribuĂ© pour une large part Ă l'insuccĂšs d'un type de traverse. L'attache doit pouvoir rĂ©sister Ă l'arrachement Ă des efforts, mesurĂ©s Ă l'extraho-mĂštre, de quelque kg. Nous avons dĂ©fini page 41, § 8, les avantages propres Ă la traverse en bois et notamment la possibilitĂ© de remĂ©dier sur place Ă une attache dĂ©fectueuse. Rien de semblable n'existe pour la traverse en bĂ©ton qui, du point de vue de l'attache, ne paraĂźt pas encore au point. La nature du ballast prĂ©sente une grande importance pour la rĂ©sistance des traverses en bĂ©ton. Le ballast fin, qui peut le mieux garantir une distribution uniforme de la rĂ©action, a donnĂ© les meilleurs rĂ©sultats. Le prix de revient dĂ©pend des dimensions, autrement dit, du poids de la traverse et du poids d'acier de l'armature ; mais il dĂ©pend aussi de la disposition plus ou moins heureuse du chantier de fabrication, c'est-Ă -dire de sa proximitĂ© ou non du lieu d'utilisation. A quel type de traverse en bĂ©ton faut-il donner la prĂ©fĂ©rence ? Il serait tĂ©mĂ©raire de donner une rĂ©ponse Ă cette question, car seule une expĂ©rience de quelque 25 ans pourrait en fournir les Ă©lĂ©ments. La traverse mixte offre une bonne solution thĂ©orique du problĂšme de la traverse en bĂ©ton armĂ© ordinaire mais rien ne dit que des traverses prismatiques rationnellement conçues, notamment de maniĂšre Ă Ă©viter de façon certaine la rĂ©action du ballast en leur milieu, ne donneront pas de bons rĂ©sultats. Cependant, si l'on se reporte aux Ă©changes de vue qui eurent lieu entre spĂ©cialistes lors du CongrĂšs international des chemins de fer en juin 1949 Ă Lisbonne, les constatations suivantes se dĂ©gagent. L'emploi des traverses en bĂ©ton armĂ© classique est encore trĂšs limitĂ©. Leur comportement sur les lignes Ă trafic lourd et rapide n'a pas Ă©tĂ© satisfaisant. Pour cette raison, sur certains rĂ©seaux, leur emploi a Ă©tĂ© limitĂ© aux lignes secondaires Ă trafic faible ou aux voies de garage. L'intĂ©rĂȘt se concentre sur les traverses prĂ©contraintes. Compte tenu des rĂ©sultats rĂ©alisĂ©s lors des essais en laboratoire, on peut espĂ©rer que les traverses prĂ©contraintes donneront des rĂ©sultats satisfaisants sur les lignes Ă trafic lourd et rapide, surtout si elles sont Ă©quipĂ©es d'attaches Ă©lastiques. Enfin, pour que l'emploi des traverses en bĂ©ton armĂ©, prĂ©contraint ou non, puisse prĂ©senter de rĂ©els avantages Ă©conomiques par rapport Ă celui des traverses en bois et mĂ©talliques, il est nĂ©cessaire que leur coĂ»t de fabrication subisse une rĂ©duction importante par rapport au prix actuel. CHAPITRE IVPose de la voie A l'origine de la pose de la voie, le ballast est dĂ©versĂ© sur la plateforme et rĂ©galĂ© Ă la hauteur des faces infĂ©rieures des traverses ; les traverses sont alignĂ©es transversalement sensiblement Ă l'endroit qu'elles doivent occuper ; les rails sont dĂ©posĂ©s provisoirement bout Ă bout, mais ils sont placĂ©s Ă peu prĂšs Ă leur Ă©cartement normal ; ils sont Ă©clisses sommairement en ayant soin de placer entre eux une cale provisoire dont l'Ă©paisseur correspond Ă l'ouverture du joint de dilatation. Cette pose provisoire achevĂ©e Ă la faveur de quelques tirefonnages de traverses une sur trois ou quatre, on procĂšde Ă la mise en place exacte des traverses, celles-ci sont ensuite tirefonnĂ©es. Le ballast devant constituer la couche supĂ©rieure, est refoulĂ© sous les traverses et la voie est amenĂ©e par relĂšvements successifs Ă la pince au niveau voulu. Il s'agit alors de procĂ©der au dressage provisoire en alignement, puis de dresser la voie dans le sens de la hauteur c'est-Ă -dire de procĂ©der au relevage au niveau donnĂ© par les piquets de hauteur et au moyen de mires ou d'un jeu de nivelettes. Le relevage terminĂ© c'est-Ă -dire les deux files de rails Ă©tant bien Ă la hauteur voulue, commence l'opĂ©ration trĂšs importante du bourrage. Le bourrage. Le bourrage a pour but de donner une bonne assiette aux traverses c'est-Ă -dire de consolider leur position pour qu'elles n'aient aucune tendance Ă s'affaisser ou s'incliner de quelque cĂŽtĂ© que ce soit. Fig. 90Diagramme de l'intensitĂ© du bourrage. Il est logique que le bourrage de la traverse soit le plus intense au point d'application de la charge, c'est-Ă -dire au droit du rail et puis, qu'il aille graduellement en diminuant, jusqu'Ă 40 ou 50 centimĂštres vers l'intĂ©rieur de la voie et, Ă l'extĂ©rieur, jusqu'Ă l'extrĂ©mitĂ© de la traverse fig. 90. La partie centrale de la traverse ne doit pas ĂȘtre bourrĂ©e, mais simplement garnie de ballast, de maniĂšre qu'il n'y ait pas de vides qui permettraient le dĂ©bourrage des parties voisines sous l'action des charges roulantes. Le bourrage des pierrailles se fait Ă la pioche par Ă©quipe de quatre hommes attaquant la traverse de quatre cĂŽtĂ©s Ă la fois ; l'opĂ©ration s'effectue en deux phases fig. 91 et 92. Dans la premiĂšre phase, les ouvriers occupent les positions 1 Ă 4, deux se plaçant entre les rails, les deux autres au dehors fig. 91. 91. - Bourrage d'une traverse. Dans la seconde phase, les ouvriers occupent les positions symĂ©triques par rapport Ă l'axe de la traverse fig. 92. 92. - Bourrage d'une traverse. Les premiers coups de pioche sont donnĂ©s presque verticalement afin d'augmenter la cohĂ©sion du ballast, puis on incline peu Ă peu l'outil et l'on termine par des coups presque horizontaux, en Ă©vitant de toucher les traverses et les rails. On reconnaĂźt que la traverse est suffisamment bourrĂ©e au son qu'elle rend quand on laisse tomber verticalement et d'une certaine hauteur, la tĂȘte d'une pince Ă riper ou d'une canne Ă boule sur chaque tĂȘte de traverse. Remarque. - A proprement parler, l'ouvrier ne bourre pas la voie, il la nivelle ; en rĂ©alitĂ©, c'est le train qui bourre la voie. L'ouvrier ne pourrait soulever la voie en la bourrant. Nous parlerons ultĂ©rieurement du bourrage mĂ©canique. Dressage dĂ©finitif de la voie. Sous l'effet du bourrage, des altĂ©rations lĂ©gĂšres dans la position de la voie peuvent se produire. On les corrige par le dressage dĂ©finitif qui se fait avec les mĂȘmes outils et les mĂȘmes mĂ©thodes que le dressage provisoire mais avec plus de soins encore. Ăclissage. La voie Ă©tant bourrĂ©e et dressĂ©e dĂ©finitivement, on complĂšte l'Ă©clissage des rails et l'on place Ă©ventuellement les dispositifs anticheminants. RĂ©galage du ballast. Pour achever la pose de la voie, il ne reste plus qu'Ă rĂ©galer le ballast et les banquettes d'aprĂšs les profils imposĂ©s et Ă faire la toilette de la voie, des accotements et des fossĂ©s. Remarque. - Quelque temps aprĂšs la mise en service de la voie, il se produit sur remblai neuf un tassement gĂ©nĂ©ral auquel il faut remĂ©dier en relevant la voie pour la ramener Ă son niveau primitif. AprĂšs le passage d'un certain nombre de trains lourds, on procĂšde Ă un relĂšvement qui donne Ă la voie son assiette dĂ©finitive. CHAPITRE VEntretien de la voie Cette question, qui s'adresse plutĂŽt aux gens de mĂ©tier, demanderait pour son Ă©tude un dĂ©veloppement qui ne peut trouver place ici. Nous dirons cependant quelques mots des mĂ©thodes de revision » et du soufflage » qui posent des questions de principe que les spĂ©cialistes agitent volontiers. Les mĂ©thodes d'entretien des voies se classent en deux modes de travail la revision mĂ©thodique intĂ©grale ou rĂ©duite ; l'entretien en recherche ». La revision mĂ©thodique intĂ©grale consiste Ă corriger pĂ©riodiquement et d'une maniĂšre complĂšte toutes les dĂ©fectuositĂ©s constatĂ©es Ă la superstructure et Ă Ă©liminer les causes de ces dĂ©fectuositĂ©s, de telle maniĂšre que le maintien en bon Ă©tat de la voie soit assurĂ© jusqu'Ă la prochaine revision. Certains rĂ©seaux adoptent une mĂ©thode mixte ; ils procĂšdent Ă la revision mĂ©thodique intĂ©grale d'une partie de leurs voies et soumettent Ă une revision mĂ©thodique rĂ©duite l'autre partie. L'intervalle de temps entre deux revisions intĂ©grales dĂ©pend naturellement du type de voie, de son Ăąge, de la qualitĂ© du matĂ©riel employĂ©, de la nature de ballast, de la constitution de la plateforme, des courbes, des dĂ©clivitĂ©s, des conditions climatologiques locales et surtout de la charge des essieux, du nombre et de la vitesse des trains. L'entretien en recherche consiste Ă dĂ©pister les points de la voie oĂč se sont produites des dĂ©fectuositĂ©s et Ă les corriger en temps utile ; par exemple dĂ©formations en plan et en profil, traverses Ă©branlĂ©es, traverses danseuses note 072, attaches et Ă©clisses desserrĂ©es, cheminement des rails, jeu de dilatation supprimĂ©, etc. C'est aussi par l'entretien en recherche qu'on remĂ©die aux imperfections d'une voie nouvelle qui n'a pas encore pris toute son assiette ; cette voie doit ĂȘtre au dĂ©but surveillĂ©e et entretenue jusqu'Ă ce qu'elle puisse entrer dans le cycle des revisions. Du point de vue Ă©conomique, le plus grave dĂ©faut de l'entretien en recherche rĂ©side dans la difficultĂ© de contrĂŽler le travail et par consĂ©quent le rendement. L'entretien en recherche ne permet jamais d'obtenir une voie parfaite ; aprĂšs un certain temps, la voie comporte trop de matĂ©riaux de qualitĂ©, d'usure, d'Ăąge diffĂ©rents et, finalement, on est obligĂ© de procĂ©der Ă un renouvellement complet, renouvellement qui est cependant prĂ©maturĂ© pour certains Ă©lĂ©ments. Les travaux de revision mĂ©thodique s'exĂ©cutent dans les conditions les plus favorables des points de vue technique et Ă©conomique. Ils remĂ©dient aux dĂ©fauts cachĂ©s qui Ă©chappent Ă l'entretien en recherche. S'ils gĂȘnent davantage la circulation des trains, on peut s'y prĂ©parer beaucoup plus mĂ©thodiquement modification des horaires, circulation Ă simple voie. Par ailleurs, ces troubles dans l'exploitation ne se reproduisent qu'Ă des intervalles plus longs. Le soufflage. Lors de l'entretien des voies en exploitation et Ă l'occasion des revisions intĂ©grales, on est amenĂ© entre autres opĂ©rations Ă procĂ©der au bourrage des traverses de la maniĂšre indiquĂ©e prĂ©cĂ©demment page 71. Habituellement, on a recours au bourrage lorsque la hauteur dont la voie doit ĂȘtre relevĂ©e est supĂ©rieure Ă 4 cm. Dans ce cas, toutes les traverses sans exception sont bourrĂ©es. Mais, lorsque le relevage de la voie ne doit pas dĂ©passer 4 cm, le procĂ©dĂ© du soufflage » remplace le bourrage pour la consolidation des traverses. La pratique du soufflage a Ă©tĂ© imaginĂ©e par les chemins de fer anglais. Introduite en France en 1910 sur les chemins de fer du Nord, elle y a Ă©tĂ© perfectionnĂ©e en 1928 sous la forme du soufflage mesurĂ© ». C'est sous cette modalitĂ© qu'elle est appliquĂ©e sur les chemins de fer belges depuis 1930. Le soufflage proprement dit consiste Ă Ă©taler sur les moules, avec une pelle plate, une couche convenable de pierrailles anguleuses et dures. On soulĂšve prĂ©alablement la voie de 5 Ă 8 cm et on Ă©tale la grenaille sur le moule sur une longueur de 50 cm de part et d'autre du rail et sur toute la largeur de la traverse. L'ouvrier souffleur prend sur sa pelle l'Ă©paisseur requise de ballast en gĂ©nĂ©ral 1 1/2 fois le vide Ă racheter, il introduit sa pelletĂ©e entre le moule et la traverse levĂ©e, puis, d'un retrait brusque de sa pelle ou par petites secousses, il distribue la grenaille uniformĂ©ment sur le moule. Le soufflage terminĂ©, ou laisse redescendre la voie ; les traverses soufflĂ©es se trouvent alors Ă un niveau lĂ©gĂšrement supĂ©rieur Ă leur niveau normal mais, aprĂšs le passage de quelques trains, elles sont ramenĂ©es au niveau voulu. Soufflage mesurĂ© ». Il est possible de niveler une voie avec une grande prĂ©cision en dĂ©terminant exactement les imperfections des profils transversaux et longitudinaux et en mesurant en outre avec prĂ©cision la hauteur des creux sous les traverses danseuses ». Des appareils de mesure appropriĂ©s sont utilisĂ©s pour la dĂ©termination des dĂ©fauts de la voie les dĂ©nivellations transversales se mesurent au moyen du niveau note 074_1 ; les dĂ©nivellations longitudinales au moyen du viseur note 074_2 et de la mire note 074_3 ; la hauteur des creux sous les traverses Ă l'aide du dansomĂštre fig. 93 et 94. Fig. 93 et 94. - DansomĂštre. Il suffit alors d'introduire sous les traverses une quantitĂ© de ballast en rapport avec l'importance de ces dĂ©nivellations et de ces creux. Le soufflage permet de rĂ©aliser jusqu'Ă 30 % d'Ă©conomie sur la main-d'Ćuvre, par rapport au bourrage. DansomĂštre. Pour apprĂ©cier l'amplitude des mouvements d'une traverse danseuse, on se sert d'un dansomĂštre. Celui-ci est constituĂ© d'un trĂ©pied ABC que l'on installe sur le bout de la traverse c'est-Ă -dire Ă l'extĂ©rieur de la voie fig. 93 et 94. Les trois pieds prennent appui sur le ballast et la tige centrale sur la traverse. La tige centrale T est sollicitĂ©e vers le bas par le ressort R de telle maniĂšre que son extrĂ©mitĂ© E presse constamment sur la traverse. Fig. 95. - Cale graduĂ©e. Le curseur qui glisse Ă frottement doux sur la tige est amenĂ© au contact du sommet du trĂ©pied. DĂšs que passe un train, la traverse danseuse s'affaisse, la tige T descend, mais le curseur est arrĂȘtĂ© dans la descente. Quand le train est passĂ©, la distance entre le sommet de l'appareil et le curseur, remontĂ© avec la tige, mesure le vide maximum qui s'est produit sous la traverse lors du passage des essieux. Cette distance s'Ă©value pratiquement au moyen d'une cale graduĂ©e fig. 95. Fig. 96. - Mesure de la dĂ©nivellation aux joints des rails. Les chemins de fer belges utilisent Ă©galement une variante de cet appareil dans laquelle la tige T se termine par une pointe acĂ©rĂ©e qui, pĂ©nĂ©trant dans la traverse, suit les mouvements de celle-ci. Lorsqu'on procĂšde Ă l'entretien en recherche, on se borne au mesurage des dĂ©nivellations longitudinales aux joints des rails. A cet effet, on utilise un fil d'acier AB extra dur de 1 mm de diamĂštre, fortement tendu fig. 96 et 97, et qui forme la base d'un triangle dont les deux autres cĂŽtĂ©s sont constituĂ©s de deux piĂšces de frĂȘne de 3 m de longueur, articulĂ©es Ă leur sommet commun et formant cavalier. Fig. 97 Ce cavalier se pose longitudinalement sur le rail de telle maniĂšre que son sommet se trouve au droit du joint Ă examiner, le fil tendu le long du rail passant au-dessus du joint dĂ©fectueux. On mesure la dĂ©nivellation du joint sous le fil d'acier tendu, au moyen de la cale dont il a Ă©tĂ© question plus haut et reprĂ©sentĂ©e fig. 95. Dans les cas oĂč le joint se serait exceptionnellement relevĂ© au lieu de s'ĂȘtre affaissĂ©, on interpose entre les extrĂ©mitĂ©s A et B et le rail des cales d'Ă©gales Ă©paisseurs. La mĂ©canisation des travaux d'entretien et de renouvellement de la voie Pour quelles raisons cherche-t-on Ă Ă©tendre la mĂ©canisation des travaux de la voie ? 1° Les travaux gĂȘnent l'exploitation. Or, si le volume du trafic n'est pas toujours en augmentation, le nombre des trains lui, ne cesse de s'accroĂźtre. En effet, en matiĂšre de trafic voyageurs, on tend de plus en plus vers une exploitation par trains nombreux et rapides et, partant, lĂ©gers. L'application du frein Ă air comprimĂ©, continu et automatique aux trains de marchandises permet un relĂšvement de leur vitesse, or cette plus grande vitesse s'accommode mieux de trains relativement lĂ©gers mais plus nombreux. Les travaux entravent la circulation des trains ralentissements, mise Ă simple voie, occupation des voies par le dĂ©chargement et l'enlĂšvement des matĂ©riaux ballast, traverses, selles, tirefonds, rails, Ă©clisses, boulons, etc.. Il s'agit donc de rĂ©duire le temps consacrĂ© Ă ces travaux par une organisation mĂ©thodique d'abord, par la mĂ©canisation ensuite. 2° La main-d'Ćuvre coĂ»te cher et la mĂ©canisation permet de l'Ă©conomiser. 3° Il faut s'efforcer de mettre autant que possible l'ouvrier dans la situation de conducteur d'une machine qui se chargera de la partie la plus pĂ©nible de son travail physique. Les rapports prĂ©sentĂ©s au CongrĂšs international des chemins de fer de Lucerne en juin 1947, et les discussions qui s'ensuivirent ont fait ressortir qu'en ce qui concerne les travaux de renouvellement, le stade expĂ©rimental de l'emploi des engins mĂ©caniques est dĂ©passĂ©. En France et en Angleterre notamment, plus de la moitiĂ© des travaux de renouvellement se font couramment par des procĂ©dĂ©s mĂ©caniques. La pose de la voie par travĂ©es entiĂšres n'est cependant possible que si le rail est assez court ; en AmĂ©rique, le rail mesure 40 pieds, en Angleterre, 60 pieds, en France, 24 mĂštres. Avec les rails belges de 27 mĂštres, une travĂ©e de cette longueur devient difficilement maniable flĂšche 1,39 m. Notons qu'en Belgique, sur toutes les lignes importantes, c'est le rail de 54 mĂštres qui devient la rĂšgle. Quant Ă l'entretien courant, il peut ĂȘtre avantageusement fait par de petites Ă©quipes spĂ©ciales dotĂ©es d'un petit outillage mĂ©canique perfectionnĂ©. Aux avantages d'ordre Ă©conomique, il faut ajouter au crĂ©dit de la mĂ©canisation des avantages d'ordre social car elle allĂšge le travail des ouvriers. A. - Entretien. Pour les travaux d'entretien, l'outillage est pneumatique ou Ă©lectrique et commandĂ© par de petits groupes avec moteurs Ă essence. Mais la tendance actuelle est de supprimer les groupes et leurs cĂąbles et d'actionner les engins par moteurs individuels Ă essence ce qui rend les outils plus maniables. On utilise notamment les outils mĂ©caniques ci-aprĂšs Bourroirs Ă©lectriques ou Ă air comprimĂ© frappant jusqu'Ă 20 coups par seconde, munis d'un sabot adaptĂ© Ă la nature du ballast. Tirefonneuses Ă moteur individuel pour visser et dĂ©visser les tirefonds, capables de dĂ©visser 15 Ă 20 tirefonds par minute moteur Ă essence ± 5 CV, vitesse de l'outil ± 100 t/min. Perceuses de rails pour forer les trous des boulons des Ă©clisses moteur Ă essence 2,5 CV, vitesse de l'outil Ă t/min. Boutonneuses pour les Ă©clissages. DĂ©lardeuses pour le resabotage des traverses moteur 2 CV Ă 6 CV, rĂ©fection de 200 Ă 250 Ă©paulements Ă l'heure. Scies entraĂźnĂ©es par moteur Ă essence qui tronçonnent un rail en 6 Ă 10 minutes ; les abouts sont coupĂ©s d'Ă©querre et prĂ©sentent des surfaces bien nettes. Meulage des rails. Autotracteur pour la propulsion des trains de diplorries » note 077 transportant le matĂ©riel de voie. B. - Renouvellement. Dans les travaux de renouvellement, on va plus loin encore, on a créé des engins mĂ©caniques montĂ©s sur wagons, se dĂ©plaçant avec le travail lui-mĂȘme et au moyen desquels presque toutes les manutentions Ă pied d'Ćuvre sont supprimĂ©es. Dans ce cas, des travĂ©es de voie neuve complĂštes, comportant rails et traverses assemblĂ©s, sont prĂ©parĂ©es Ă l'atelier puis amenĂ©es sur les chantiers. Elles sont dĂ©chargĂ©es du wagon et mises directement en place au moyen de potences montĂ©es sur le wagon. La dĂ©pose de la voie en mauvais Ă©tat et son chargement immĂ©diat sur wagon par travĂ©es complĂštes s'exĂ©cute de la mĂȘme façon. Ăpuration du ballast Machines dĂ©garnisseuses-cribleuses. En principe, le ballast Ă Ă©purer est enlevĂ© par des godets, se dĂ©verse sur un tapis roulant qui le transporte dans le trommel oĂč il s'Ă©pure ; le ballast Ă©purĂ© retombe sur un tapis roulant qui le rejette sur la plateforme oĂč il se rĂ©partit uniformĂ©ment. Quant aux dĂ©chets provenant de l'Ă©puration, ils tombent du trommel sur un tapis roulant qui les Ă©vacue en dehors de la voie. Apport du ballast neuf AmenĂ© par wagons Ă trĂ©mies, le ballast est dĂ©versĂ© immĂ©diatement dans la voie sur le ballast Ă©purĂ©. La voie est ensuite relevĂ©e et bourrĂ©e. Le rendement optimum des engins mĂ©caniques de dĂ©garnissage, Ă©puration du ballast et pose de la voie est obtenu lorsque le service de l'Exploitation rĂ©ussit, malgrĂ© les exigences du trafic, Ă mettre Ă la disposition du service de la voie de larges intervalles dans la circulation des trains. TROISIĂME PARTIELes Rails CHAPITRE IL'Ă©volution du rail Les chemins de fer actuels ont eu pour prĂ©curseurs les voies miniĂšres en bois », en usage depuis plus de quatre siĂšcles, au fond des charbonnages allemands du Harz et plus tard en Angleterre. On les retrouve, vers 1620, Ă la surface des mines de houille en Angleterre. Les premiers charbonnages anglais Ă©taient Ă©tablis Ă flanc de coteau le long des riviĂšres et Ă quelque dix kilomĂštres des rivages de celles-ci. Le charbon, chargĂ© dans des tombereaux, Ă©tait amenĂ© le long des rivages et dĂ©versĂ© dans des bateaux qui descendaient les riviĂšres, puis les fleuves, longeaient les cĂŽtes et remontaient par d'autres cours d'eau dans l'intĂ©rieur des terres. Fig. 98. - OrniĂšres garnies de piĂšces de bois. Les tombereaux, traĂźnĂ©s par les chevaux, passant et repassant sans cesse par les mĂȘmes chemins, des orniĂšres plus ou moins profondes se creusaient dans le sol et, tantĂŽt la roue de droite, tantĂŽt la roue de gauche s'enfonçait dans le sol et donnait au tombereau une allure cahotĂ©e. Pour obtenir un chemin de roulement meilleur, parce que plus dur et de niveau, on disposa, dĂšs 1620 fig. 98 des planches ou des dalles dans les orniĂšres creusĂ©es par les roues. Pour les terrains plus ou moins meubles, la poutre de bois posĂ©e dans l'orniĂšre, en augmentant l'Ă©tendue de la surface d'appui, rĂ©duisait la pression par unitĂ© de surface. La diminution de l'effort Ă faire pour traĂźner les tombereaux amena l'agrandissement du vĂ©hicule qui fut montĂ© sur quatre roues au lieu de deux et on l'appela waggon ». Pour protĂ©ger les parties les plus exposĂ©es au frottement, on cloua des lames ou des plaques de fonte sur les rails plats en bois fig. 99. Fig. 99. - Rails en bois garnis de plaques de fonte avec rebords extĂ©rieurs en bois. Enfin, pour empĂȘcher la roue de s'Ă©carter du chemin ainsi prĂ©parĂ©, on munit, en 1738, le rail d'un rebord extĂ©rieur fig. 99. En empĂȘchant ainsi la roue de dĂ©railler, on pouvait faire usage d'un chemin plus Ă©troit et, dĂšs lors, plus Ă©conomique. Fig. 100. - Rail en fonte en forme d'U de Reynolds. Plus tard, en 1767, Reynolds imagina un rail en fonte en forme d'U, posĂ© sur des longrines en bois fig. 100 note 080. Ces plaques de fonte devinrent finalement des rails plats Ă rebords intĂ©rieurs pour guider les roues Ă jante plate rail de Curr fig. 101. Fig. 101. - Rail en Ă©querre de Curr. Ces rails Ă©taient clouĂ©s sur des traverses en bois ou fixĂ©s sur des dĂ©s de pierre. Au XVIIIe siĂšcle, ces chemins spĂ©ciaux s'Ă©taient multipliĂ©s en Angleterre, surtout entre les mines et les embarcadĂšres, ils avaient jusqu'Ă 18 kilomĂštres de longueur. Il est Ă remarquer que pour les Ă©tablir de niveau on avait exĂ©cutĂ© de grands travaux. Fig. 102. - Rail saillant de Jessop. Couramment, on payait un droit de passage pour obtenir des propriĂ©taires du sol entre la houillĂšre et la riviĂšre l'autorisation d'Ă©tablir sur leurs terrains ces chemins Ă rails plats. Nous l'avons dit, l'invention des chemins de fer a eu pour but d'offrir Ă la roue un meilleur chemin de roulement, mais du coup il fallait empĂȘcher la roue de quitter ce chemin, il fallait maintenir la roue sur la voie soit en conservant la roue Ă jante plate et en donnant un rebord au rail fig. 101, soit en donnant un rebord Ă la roue et en faisant usage d'un rail saillant rail de Jessop fig. 102. Ce fut une amĂ©lioration que de faire passer le rebord du rail Ă la roue ; le rail saillant est, en effet, prĂ©fĂ©rable au rail en U fig. 100. Le rail en U, comme aussi le rail en Ă©querre fig. 101, mais dans une moindre mesure, retient en quelque sorte les pierres ou les objets qui viendraient accidentellement se poser sur le rail, les pierres ne pourraient que trĂšs exceptionnellement se maintenir en Ă©quilibre sur le rail saillant ; celui-ci favorise leur chute, il dĂ©gage mieux la surface de roulement. Fig. 103. - Rail subondulĂ© en fonte en ventre de poisson ». Mais la consĂ©quence de l'emploi du rail saillant fut considĂ©rable, il faisait de la voie un chemin spĂ©cial sur lequel ne pouvaient plus rouler les vĂ©hicules ordinaires Ă jante plate, ipso facto, le chemin de fer devenait indĂ©pendant de la route ordinaire. Les rails saillants de 1789 sont en fonte ; comme la fonte est peu rĂ©sistante, ces rails sont trĂšs courts ; ils mesurent seulement un yard de longueur 0,914 m. En 1816, on leur donna la forme dite en ventre de poisson » qui se rapproche de la forme d'un solide d'Ă©gale rĂ©sistance fig. 103. Fig. 106. - Voie continentale en rails Ă patin Vignole en fer forgĂ©. DĂšs ce moment, si rudimentaire qu'elle soit, la voie est cependant assez robuste pour recevoir la locomotive. Aussi, est-ce de cette Ă©poque, l'annĂ©e 1800, que commence peut-on dire, l'histoire de la locomotive sur rails. Nous disons sur rails, car elle eut un prĂ©curseur sur route. Fig. 107. - Voie anglaise en rails Ă double bourrelet en fer forgĂ©. En 1825, sur la ligne de Stockton Ă Darlington, on pose, Ă titre d'essai, une moitiĂ© des rails en fer forgĂ©, l'autre moitiĂ© Ă©tant toujours en fonte. Les rails en fer forgĂ© sont aussi du type en ventre de poisson, ils pĂšsent 25 livres par yard. Il s'agissait aussi de dĂ©terminer la largeur de la voie. Elle dĂ©rive de l'Ă©cartement intĂ©rieur des jantes des vĂ©hicules ordinaires du pays employĂ©s sur les routes et dont on se servait sur les chemins Ă orniĂšres de fer. Georges Stephenson adopta 4 pieds 8 1/2 pouces, soit 1,435 m note 082. Enfin, du rail subondulĂ© Ă un bourrelet et sans patin, sont nĂ©s les rails Ă bords parallĂšles vers 1832, le rail Ă patin dit Vignole fig. 104 et, vers 1838, le rail Ă double bourrelet fig. 105 qui constituent l'un et l'autre les prototypes de la voie actuelle fig. 106 et 107. CHAPITRE IIGĂ©nĂ©ralitĂ©s Le rail supporte et guide la roue du matĂ©riel roulant, c'est donc l'Ă©lĂ©ment essentiel de la sĂ©curitĂ© de la voie. Les rails reçoivent directement les efforts qui s'exercent sur la voie, ces efforts sont verticaux, transversaux et longitudinaux fig. 108. Fig. 108 A. Les efforts verticaux sont de deux sortes Les efforts statiques dĂ»s Ă la charge des roues des vĂ©hicules. Charge maximum par essieu en Belgique, 24,7t ; en France, 21,5 t ; en Suisse, 21,5 t ; en Allemagne, 25 t ; en Hollande, 48,5 t ; en Italie, 22 t ; en Angleterre, 22 t ; en AmĂ©rique, 36 t. Les efforts dynamiques. Dans une locomotive Ă vapeur en mouvement, la charge statique peut s'accroĂźtre considĂ©rablement par l'action de la composante verticale de l'effort oblique des bielles motrices ; par les effets d'inertie des piĂšces en mouvement liĂ©es Ă la roue Ă©quilibrage Ă©ventuellement insuffisant des piĂšces Ă mouvement rotatif, effet des contrepoids rotatifs d'Ă©quilibre des piĂšces Ă mouvement alternatif ; la rĂ©partition du poids de la locomotive entre les essieux varie par suite des dĂ©nivellations accidentelles des rails ; en courbe, sous l'effet de la force centrifuge gĂ©nĂ©ralement incomplĂštement Ă©quilibrĂ©e par le dĂ©vers, la charge d'un mĂȘme essieu se rĂ©partit inĂ©galement entre les deux roues. L'augmentation de la pression statique atteint facilement ±20 % aux vitesses infĂ©rieures Ă 80 km/h, ± 30 % aux vitesses comprises entre 80 et 110 km/h. En cas de concordance des efforts, la charge statique peut mĂȘme ĂȘtre doublĂ©e. Pour tenir compte de la vitesse effets d'impact, l'ingĂ©nieur hollandais Driessen applique un coefficient de vitesse Cv , coefficient dĂ©duit de ses observations personnelles. Pour V = 100 km/h, Cv = 1,33. N'ayant fait ses expĂ©riences qu'aux vitesses de 60 et de 90 km/h, M. Driessen pense que le dĂ©nominateur de ce coefficient devrait ĂȘtre revu pour des vitesses supĂ©rieures Ă 100 km/h. Pour 160 km/h, Cv = 1,85, mais rien ne dit que ce soit exagĂ©rĂ©. Ce coefficient se rapporte Ă des trains remorquĂ©s par des locomotives Ă vapeur, pour lesquelles l'effet de l'obliquitĂ© des bielles et les effets d'inertie repris aux § 1° et 2° ci-dessus interviennent, on peut penser que pour des locomotives Ă©lectriques ou des automotrices Ă©lectriques, ce coefficient donnerait des chiffres trop Ă©levĂ©s. D'aprĂšs Driessen, la charge sur une traverse ne doit pas dĂ©passer 13 tonnes, compte tenu du coefficient d'impact. Distance moyenne d'axe en axe des traverses 67,3 cm Locomotive Ă vapeurtype 1 2-3-1V=120 km/h Locomotive Ă vapeurtype 12 2-2-1V=140 km/h Locomotive Ă©lectriqueBoBo Ă 4 essieux moteurs Tension totale en kg/cmÂČ dans le rail belge de 50 kg/ m 1 2 3 4 5 6 1 2 3 4 5 1 2 3 4 649 540 806 853 827 600 970 625 508 827 en kg/cmÂČ en kg/cmÂČ en kg/cmÂČ Charge totale en tonnes sur une traverse belge en bois de 2,60 m x 0,26 m 7,20 12,38 7,60 6,00 12,80 5,80 5,80 9,35 12,44 7,33 9,43 5,80 en tonnes en tonnes en tonnes N. B. - Les chiffres ci-dessus ont Ă©tĂ© calculĂ©s d'aprĂšs la mĂ©thode Driessen compte tenu du coefficient de vitesse et d'un supplĂ©ment dĂ©rivĂ© de donnĂ©es anglaises. B. Les efforts transversaux Et se produisent au contact du bourrelet du rail et de la surface de roulement du bandage de la roue. Ces efforts ont pour limite le produit fP de la charge P de la roue par le coefficient de frottement f. Celui-ci est, dans les conditions moyennes, Ă©gal Ă 1/6 ; quand ces efforts transversaux sont suffisants pour vaincre le frottement, la roue glisse sur le rail et c'est alors un choc du mentonnet du bandage qui se produit contre la face latĂ©rale du bourrelet du rail. Ces efforts transversaux sont provoquĂ©s par la circulation en courbe et par les mouvements de lacet. Dans le mouvement d'orientation progressive en courbe, la roue avant gauche de la locomotive attaque le rail extĂ©rieur de la courbe fig. 109. Fig. 109 Les mouvements de lacet sont dĂ»s aux inĂ©galitĂ©s de la voie, aux modalitĂ©s de construction des locomotives position et nombre de cylindres, etc., jeu des essieux, rĂ©action des vĂ©hicules attelĂ©s. De tous ces efforts transversaux, ce sont les chocs qui sont les plus dangereux. S'exerçant au sommet du rail, ils tendent Ă le renverser fig. 122, ils forcent sur les attaches, ils peuvent aussi provoquer le ripage de la voie. Ils seront d'autant plus nuisibles que la hauteur du rail sera plus grande et que la largeur du patin sera plus petite. C. Les efforts longitudinaux El. Le mouvement de progression de la locomotive obtenu par l'adhĂ©rence des roues motrices sur le rail provoque une rĂ©action qui tend Ă faire cheminer le rail en sens contraire du mouvement. Aux joints, les chocs de toutes les roues du train sur le bout des rails tendent au contraire Ă dĂ©placer le rail vers l'avant note 085. Les effets de la dilatation s'exercent Ă©galement dans le sens longitudinal. ** * On devra donc avoir Ă©gard Ă toutes ces sollicitations pour Ă©tudier le profil du rail, la nature du mĂ©tal, la pose mĂȘme du rail verticale ou inclinĂ©e, le nombre d'appuis et leur surface, les modes d'attache aux traverses, la constitution des joints, etc., puisqu'aussi bien ces efforts peuvent provoquer la dĂ©formation, le bris, le renversement, le dĂ©placement et l'usure du rail. Mieux auront Ă©tĂ© rĂ©solus ces problĂšmes, mieux sera garantie la sĂ©curitĂ© et moindres seront les dĂ©penses d'entretien et de renouvellement. CHAPITRE IIIProfils des rails Il existe trois formes principales de rails le rail Ă patin, dit rail Vignole note 086 fig. 110 ; le rail Ă double bourrelet ou bull headed tĂȘte de taureau fig. 111, appelĂ© aussi rail Ă coussinets ; le rail Ă orniĂšre fig. 130, que les sociĂ©tĂ©s de tramways et les chemins de fer secondaires utilisent dans les agglomĂ©rations. Le rail Ă patin Vignole. Le rail Ă patin est d'un usage pour ainsi dire mondial et Ă l'heure actuelle, mĂȘme l'Angleterre et les parties du rĂ©seau français qui constituaient anciennement les lignes de l'Ătat, du Paris-OrlĂ©ans et du Midi, ont renoncĂ© au rail Ă double bourrelet qu'elles utilisaient jusqu'en ces derniĂšres annĂ©es. Le rail Ă patin se compose de trois parties le bourrelet ou champignon, l'Ăąme, le patin. 1° Le bourrelet. Le profil du bourrelet du rail et celui du bandage de la roue sont Ă©tudiĂ©s en vue de rĂ©aliser les meilleures conditions de roulement et d'assurer le guidage le plus satisfaisant du mentonnet de la roue fig. 112. Le rail, inclinĂ© gĂ©nĂ©ralement au 1/20 sur la verticale, offre Ă la roue une surface de roulement lĂ©gĂšrement bombĂ©e. D'autre part, la surface de roulement BC du bandage est inclinĂ©e au 1/20, cette conicitĂ© de la roue ramĂšne constamment le train de roues dans l'axe de la voie et empĂȘche les mentonnets des roues de frotter contre les rails. En effet, en ligne droite, par suite de cette conicitĂ©, l'essieu repose sur le rail par deux cĂŽnes opposĂ©s, la position d'Ă©quilibre est situĂ©e symĂ©triquement par rapport aux deux rails. L'essieu est rappelĂ© dans l'axe par son propre poids. Sous l'action de la pesanteur, l'essieu tend Ă se placer par rapport aux deux rails, dans une position telle que son centre de gravitĂ© se trouve au point le plus bas. Il en est ainsi lorsque l'essieu est rigoureusement dans l'axe de la voie. Du cĂŽtĂ© extĂ©rieur, en AB, l'inclinaison du bandage est plus forte 1/10 pour Ă©viter qu'il se produise un bourrelet en cet endroit. La surface de roulement du bandage se raccorde au mentonnet par un congĂ© de rayon r un peu plus grand que celui du rail r' fig. 113. Des Ă©tudes ont montrĂ© que le taux de la tension Ă©lastique qui se produit au contact du bandage des roues et du bourrelet du rail augmente trĂšs rapidement si l'on diminue le rayon r du congĂ© du bourrelet du rail. Enfin, le mentonnet du bandage prĂ©sente au rail une ligne inclinĂ©e Ă 60° environ sur l'horizontale fig. 112. Lorsque, pour une cause quelconque, en courbe notamment, la roue tend Ă escalader Le rail, le contact entre le rail et le bandage s'Ă©tablit suivant cette ligne inclinĂ©e Ă 60° et, lorsque la charge verticale supportĂ©e par la roue est suffisante, le bandage glisse d'une façon permanente suivant cette ligne inclinĂ©e et tout risque de dĂ©raillement est Ă©cartĂ©. Mais si, au contraire, la charge verticale de la roue Ă©tait trop faible ou si l'inclinaison Ă©tait notablement moindre que 60°, le dĂ©raillement pourrait se produire par simple escalade du rail note 088_1. L'expĂ©rience a montrĂ© que l'inclinaison de 60° Ă©tait celle qui donnait le maximum de garantie. Une inclinaison plus raide, 80° par exemple, donnerait plus de sĂ©curitĂ© contre le dĂ©raillement en se plaçant du point de vue que nous venons d'envisager ; mais, par contre, le profil du bandage s'accommoderait alors moins bien de toute irrĂ©gularitĂ© dans l'alignement des rails, aux joints fig. 114. Fig. 114 La situation deviendrait particuliĂšrement dangereuse si, Ă la suite d'une usure anormale, la face considĂ©rĂ©e du mentonnet devenait verticale mentonnet tranchant ou usĂ© Ă couteau, la moindre irrĂ©gularitĂ© dans l'alignement des rails pourrait provoquer un dĂ©raillement. Revenons-en au bourrelet lui-mĂȘme. Par suite de sa surface bombĂ©e et de l'inclinaison au 1/20, le contact avec la roue se fait sensiblement au milieu du bourrelet, tout au moins avec les bandages et rails neufs, c'est-Ă -dire dans l'axe du rail. Si la surface du bourrelet Ă©tait plane, le contact pourrait n'avoir lieu que sur le bord du bourrelet et la charge s'exercerait en porte Ă faux ce qui nuirait Ă la stabilitĂ© du rail. Le bombement prĂ©vient aussi la formation d'un creux. Le bourrelet s'use verticalement et latĂ©ralement, la hauteur e et la largeur l fig. 115 sont Ă©tablies en consĂ©quence. L'usure latĂ©rale est plus accusĂ©e dans la circulation en courbe, dĂšs lors, sur les lignes sinueuses, il faut, par une largeur suffisante, prĂ©venir une mise hors service prĂ©maturĂ©e. Fig. 115 A la sur les lignes Ă gros trafic circulation journaliĂšre de tonnes l'usure verticale est de l'ordre de 0,6 mm par annĂ©e note 088_2. En courbe, lorsque l'usure d'un cĂŽtĂ© du rail a atteint la limite admise et, pour autant que la largeur Ă la surface de roulement du bourrelet le permette encore, on peut retourner le rail bout pour bout, lui donner le cintrage inverse et le maintenir en service jusqu'au moment oĂč le cĂŽtĂ© intact offert Ă l'usure a atteint, Ă son tour, la limite rĂ©glementaire. Dans certains pays et notamment en Belgique, les faces latĂ©rales du bourrelet sont parallĂšles Ă l'axe vertical du rail, cependant, beaucoup de rĂ©seaux France, Allemagne, AmĂ©rique, etc. ont adoptĂ© un profil Ă faces trapĂ©zoĂŻdales et ce, dans le but d'obtenir des portĂ©es d'Ă©clissage pp' plus grandes fig. 116 et de maintenir sensiblement la verticalitĂ© de la face intĂ©rieure des rails aprĂšs pose au 1/20. PosĂ© verticalement, un rail ainsi profilĂ© prĂ©sente plus de risque de dĂ©raillement en cas de mentonnet tranchant. Fig. 116 Pose verticale du rail. - En 1918, au moment de la standardisation des profils de rails, les Compagnies françaises, se basant sur l'exemple de certains chemins de fer amĂ©ricains, ont adoptĂ© la pose verticale du rail pour les voies neuves Ă poser en rails standard. En 1921, aprĂšs examen des rĂ©sultats, les chemins de fer français ont dĂ©cidĂ© de ne pas maintenir la pose verticale sauf dans les appareils de voie dont cette pose facilite la construction. Fig. 117 On a constatĂ© fig. 117 dans les courbes, un dĂ©versement des rails vers l'extĂ©rieur donnant un surĂ©cartement atteignant en certains points 4,5 mm ; une compression de la table de sabotage de la traverse vers l'extĂ©rieur du rail ; la formation d'une bavure sur le bourrelet du cĂŽtĂ© de l'intĂ©rieur de la voie ; une usure oblique des rails suivant l'inclinaison des bandages. Les chemins de fer belges qui, en 1910, avaient adoptĂ© la pose verticale pour le rail de 50 kg/m y ont Ă©galement renoncĂ© en 1922 pour les mĂȘmes raisons. Des essais ont Ă©tĂ© effectuĂ©s avec une surface de roulement plane, or, il a Ă©tĂ© constatĂ© qu'au bout d'un certain temps de service, en alignement droit, les rails affectent la forme reprĂ©sentĂ©e fig. 118, dĂ©formation qui ne s'observe pas avec les rails Ă surface convexe, si ce n'est au moment oĂč celle-ci est devenue plane par usure. Fig. 118 En courbe, le mĂ©tal du rail plan se dĂ©place seulement du cĂŽtĂ© extĂ©rieur du rail. Remarque. - Dans la recherche du meilleur profil, il y a lieu de se rappeler que tout rail comporte deux parties importantes fig. 119 la partie a destinĂ©e Ă disparaĂźtre par l'usure et la partie b remplissant l'office d'une poutre soutenue par diffĂ©rents appuis. Pour la partie a, il faut rechercher la forme qu'elle doit affecter pour rĂ©duire l'usure au minimum ; la quantitĂ© de mĂ©tal qu'elle doit reprĂ©senter compte tenu du trafic. Fig. 119 La partie b doit ĂȘtre Ă©tudiĂ©e de maniĂšre qu'elle puisse supporter Ă©lastiquement, mĂȘme aprĂšs disparition de la partie a, les plus fortes charges roulantes. La quantitĂ© de mĂ©tal du profil entier doit ĂȘtre calculĂ©e de telle maniĂšre que, lorsque la partie a a disparu, l'usure par oxydation des autres parties, l'Ăąme et le patin, ait atteint aussi sa limite. Si non, il pourrait arriver que, la partie a Ă©tant disparue, le patin et l'Ăąme soient encore en bon Ă©tat de rĂ©sistance, ce qui indiquerait que si l'on avait enlevĂ© un peu de mĂ©tal au patin et Ă l'Ăąme pour renforcer la partie supĂ©rieure a du bourrelet, la durĂ©e de service du rail eut Ă©tĂ© plus longue. Inversement, s'il s'agit d'une ligne Ă faible trafic et sous un climat trĂšs humide l'Ă©paisseur du patin et de l'Ăąme pourrait, par oxydation, ĂȘtre rĂ©duite au minimum admissible alors que la partie a serait encore loin d'ĂȘtre arrivĂ©e Ă la limite extrĂȘme d'usure. Enfin, il convient de limiter la largeur du bourrelet Ă ce qui correspond aussi exactement que possible aux nĂ©cessitĂ©s des usures verticale et latĂ©rale et d'employer le mĂ©tal ainsi Ă©conomisĂ© pour augmenter la hauteur du rail de façon que celui-ci offre une plus grande rĂ©sistance Ă©lastique Ă l'action des charges verticales. 2° Les portĂ©es d'Ă©clissage. Les portĂ©es d'Ă©clissage, c'est-Ă -dire les plans inclinĂ©s qui raccordent le bourrelet et le patin Ă l'Ăąme du rail, remplissent une fonction importante ; elles servent d'appui aux Ă©clisses E qui doivent soutenir le bourrelet Ă l'endroit du joint fig. 120 et 121. La charge P se dĂ©compose en deux forces F normales aux portĂ©es d'Ă©clissage. On a d'oĂč . Cette force donne elle-mĂȘme une composante horizontale F' et dĂšs lors . L'effort F' sera donc d'autant plus grand que l'angle a sera plus petit. Quand l'angle a diminue, lorsque l'inclinaison des portĂ©es d'Ă©clissage se rapproche trop de la verticale, F' augmente et la poussĂ©e des Ă©clisses soumet les boulons d'assemblage Ă un effort de traction supplĂ©mentaire important qui n'est soulagĂ© que par le frottement des surfaces en contact. En outre, la flexion des extrĂ©mitĂ©s des rails aux joints, tend, comme un coin, Ă Ă©carter les Ă©clisses et impose aux boulons un travail exagĂ©rĂ©. On est donc amenĂ© Ă donner Ă a une valeur assez grande mais une nouvelle limite s'impose par suite de l'usure des surfaces en contact, il se produit du jeu qu'il faut racheter par un resserrage pĂ©riodique des boulons. Si l'inclinaison des portĂ©es d'Ă©clissage se rapprochait trop de l'horizontale par exemple 1/5, dĂšs l'apparition d'un faible jeu, les Ă©clisses resserrĂ©es se rapprocheraient de l'Ăąme au point de coller bientĂŽt contre elle, rendant impossible tout rappel ultĂ©rieur du jeu note 091. Dans ces conditions, le bourrelet du rail serait insuffisamment soutenu. On adopte gĂ©nĂ©ralement une inclinaison de 1/3. Pour donner l'ampleur maximum aux portĂ©es d'Ă©clissage, il convient d'adopter des rayons de raccord trĂšs petits, par exemple 2 mm. 3° L'Ăąme et le patin. Signalons la tendance de l' American Railway Engineering Association » en ce qui concerne ses nouveaux types de rails le rayon du congĂ© de raccord de l'Ăąme du rail avec le bourrelet est fortement augmentĂ© 19 mm ; la portĂ©e d'Ă©clissage supĂ©rieure se rĂ©duit Ă une surface cylindrique circulaire Ă gĂ©nĂ©ratrices horizontales s'emboĂźtant dans le congĂ© de raccord et formant articulation headfree joint bar = Ă©clisse Ă tĂȘte libre. Le rapport entre la hauteur du rail et la largeur du patin joue un rĂŽle important. En ce qui concerne le renversement autour de l'arĂȘte a sous l'effet des efforts transversaux Et fig. 122, l'Ă©quation d'Ă©quilibre est donnĂ©e par . De ce point de vue et, toutes choses Ă©gales, il y a donc intĂ©rĂȘt Ă choisir un rail trapu c'est-Ă -dire pourvu d'une base large comparĂ©e Ă la hauteur. En fait, Ă l'heure actuelle, le rapport , tout en Ă©tant assez variable, se rapproche de 1,1 tableau ci-aprĂšs. Remarquons encore que les moments d'inertie et de rĂ©sistance du rail, dont dĂ©pendent sa raideur et sa rĂ©sistance aux efforts verticaux, sont proportionnels respectivement au cube et au carrĂ© de la hauteur. Dimensions en mm Longueur en mĂštres Poids en kg/m h l a lâ 151 140 15 72 1,07 27 m 50 kg Reichsbahn 148 125 14 67/70 1,18 15/30 m 49 kg Hollande 142176 120156 1416 72/7772/76 1,181,13 24 m24 m 46,9 kg63,1 kg Suisse 145 125 14 65 1,16 24 m 46 kg France 153 140 15,5 65/67,4 1,09 18 m 50,56 kg h = hauteur du rail, l = largeur du patin, a = Ă©paisseur de l'Ăąme, lâ = largeur du bourrelet. Pour des facilitĂ©s de laminage, on s'efforce de rĂ©aliser une rĂ©partition aussi uniforme que possible entre les masses de trois parties des rails, exemples bourrelet 40 % - 42 % Ăąme 22% - 18% patin 38 % - 40 % Une disproportion trop grande donne un cintrage des rails trop important lors du refroidissement au sortir du train finisseur note 093, cintrage qui peut dĂ©terminer des tensions internes excessives. La S. N. C. B, a adoptĂ© comme rail standard le profil, reprĂ©sentĂ© fig. 124, de 50 kg/m, hauteur 151 mm largeur du patin 140 mm Ă©paisseur de l'Ăąme 15 mm largeur du bourrelet 72 mm Fig. 124. - Rail de 50 kg/m de la mais il existe encore sur beaucoup de lignes secondaires des rails de 40,650 kg/m fig. 120. Le rail de la Reichsbahn pĂšse 49 kg/m, sa hauteur est de 148 mm, le patin mesure 125 mm, l'Ă©paisseur de l'Ăąme est de 14 mm. On l'emploie en deux longueurs 15 m et 30 m. L' American Railway Engineering Association » a adoptĂ© en 1946 deux profils nouveaux 57 kg/m et 66 kg/m fig. 125 et 126. Congo. - Signalons que sur le chemin de fer du Bas-Congo au Katanga Ă voie de 1,067 m, on utilise un rail de 37,5 kg/m fourni en barres de 15 mĂštres ; hauteur du rail 125 mm, largeur du patin 105 mm, charge maximum par essieu 15 t. B. - Rail Ă double bourrelet. A l'origine, ce profil, constituĂ© de deux bourrelets reliĂ©s par une Ăąme, Ă©tait tout Ă fait symĂ©trique. Cette conception s'inspirait du souci de pouvoir retourner le rail sens dessus dessous et de doubler ainsi sa durĂ©e. Mais, Ă l'expĂ©rience, on a constatĂ© que le bourrelet infĂ©rieur se creusait au contact du coussinet et que sa rĂ©utilisation Ă©tait illusoire. Finalement, on a adoptĂ© un profil dissymĂ©trique dans lequel chaque bourrelet a une forme et des dimensions en rapport avec sa destination fig. 127, profil que les Anglais dĂ©nomment hull headed tĂȘte de taureau. Les rails Ă double bourrelet sont fixĂ©s dans des coussinets au moyen de coins en bois dur ou en acier. Les coins mĂ©talliques sont constituĂ©s d'une lame repliĂ©e formant ressort. Les fig. 128 et 129 reprĂ©sentent le coin en acier David. Les coins se placent du cĂŽtĂ© extĂ©rieur de la voie de maniĂšre Ă laisser le personnel d'entretien Ă l'extĂ©rieur de la voie. Sous l'influence des trĂ©pidations, des variations de tempĂ©rature et d'humiditĂ©, les coins en bois ont une tendance Ă se desserrer, ce qui rĂ©clame une certaine surveillance. On contrarie le desserrage en enfonçant les coins dans le sens de la marche des trains sur les lignes Ă double voie de maniĂšre que le cheminement Ă©ventuel du rail sur la traverse enfonce le coin davantage. Sur les lignes Ă simple voie parcourues dans Les deux sens, on chasse les coins alternativement dans un sens et dans l'autre. Le poids du coussinet varie de 18 Ă 25 kg. La surface d'appui du coussinet sur la traverse est Ă©tablie de maniĂšre Ă ne pas dĂ©passer une pression de 20 kg/cmÂČ, celle-ci est donc plus faible que dans le cas du rail Ă patin pages 34 et 42. C. Comparaison de la voie en rails Vignole et de la voie en rails Ă double bourrelet. Les deux formes sont rationnelles, elles se rapprochent du double T, c'est-Ă -dire de la section la plus favorable, le rail devant offrir une raideur suffisante pour que la surface de roulement reste aussi droite que possible. En reportant le mĂ©tal vers le haut et vers le bas, on a augmentĂ© le moment d'inertie et, par ailleurs, on a donnĂ© Ă la partie supĂ©rieure, exposĂ©e aux frottements de glissement et de roulement, les dimensions voulues pour tenir compte de l'usure ; Ă la partie infĂ©rieure, une surface de contact avec le support suffisante pour que la pression unitaire ne soit pas trop Ă©levĂ©e. A tonnage Ă©gal, la base plus large du coussinet du rail Ă double bourrelet autorise l'emploi de traverses en bois tendre sapin en Angleterre, pin des Landes en France. Le mode de fixation par coins permet de remplacer les rails avec facilitĂ© et rapiditĂ© puisqu'il suffit de faire sauter les coins. En outre, le coussinet restant en place, on ne touche pas Ă la traverse, ce qui maintient les qualitĂ©s de stabilitĂ© et d'Ă©lasticitĂ© que la voie n'acquiert qu'Ă la longue sous l'action des charges roulantes. Le profil du rail Ă double bourrelet est avantageux du point de vue du laminage. La rĂ©partition de la matiĂšre y est effectivement plus uniforme que dans les rails Ă patin. L'Ă©paisseur de l'Ăąme y est aussi plus forte, le laminage et le refroidissement final se font dans des conditions plus favorables. Le coin constitue un tampon absorbant une partie de la force vive des efforts transversaux et contribue Ă donner de la douceur au roulement des trains. Par contre, la tendance au desserrage du coin constitue une sujĂ©tion pour l'entretien. Quant Ă la sĂ©curitĂ©, elle est comparable pour les deux types de voie pour autant que la voie soit Ă©tablie dans les conditions techniques qui rĂ©pondent au trafic qu'elle doit supporter. D. - Abandon progressif du rail Ă double bourrelet. 1. France. - Quoiqu'il en soit des considĂ©rations qui prĂ©cĂšdent, l'utilisation restreinte du rail Ă double bourrelet devait fatalement amener sa disparition dĂšs le jour oĂč les Compagnies privĂ©es disparaĂźtraient en tant que SociĂ©tĂ©s exploitantes pour ĂȘtre regroupĂ©es en un rĂ©seau unique la SociĂ©tĂ© Nationale des chemins de fer français S. N. C. F.. Mais dĂ©jĂ , avant mĂȘme la crĂ©ation de la pour des raisons d'unification et de standardisation de matĂ©riel, les anciens rĂ©seaux de l'Etat, du Paris-OrlĂ©ans et du Midi s'Ă©taient mis d'accord aprĂšs la premiĂšre guerre mondiale, vers 1925, pour abandonner le rail Ă double bourrelet. La dĂ©cision de gĂ©nĂ©raliser le rail Vignole est dĂ©finitive, mais elle ne peut se rĂ©aliser que par Ă©tapes. On peut prĂ©voir qu'elle sera achevĂ©e dans un dĂ©lai assez court sur les lignes importantes parcourues par des trains rapides, mais sur les lignes secondaires, il est probable qu'il subsistera encore longtemps des rails Ă double bourrelet. L'innovation s'Ă©tend aux voies accessoires mais, lĂ aussi, comme sur les voies principales de caractĂšre secondaire, il existera encore longtemps des rails Ă double bourrelet. 2. Angleterre. - Rappelons que les chemins de fer britanniques ont Ă©tĂ© nationalisĂ©s le 1 janvier 1948. L'abandon du rail Ă double bourrelet et son remplacement par le rail Vignole a Ă©tĂ© dĂ©cidĂ© en 1949. Cette dĂ©cision survenant aprĂšs une pratique plus que centenaire, marque une date importante dans la politique ferroviaire anglaise. Le rail Ă double bourrelet anglais pesait 42 kg/m, le rail Vignole adoptĂ© pĂšse 54 kg/m. La charge maximum par essieu permise actuellement est de 22 tonnes. DĂšs 1936, le rĂ©seau du L. M. S. avait entrepris des essais du rail Vignole. Les rĂ©sultats favorables en ont entraĂźnĂ© la gĂ©nĂ©ralisation. La dĂ©cision a Ă©tĂ© basĂ©e sur les considĂ©rations suivantes le rail Vignole est plus Ă©conomique par suite de la rĂ©duction certaine des frais d'entretien 22 % sur le L. M. S. ; le rail Vignole, comparĂ© au rail Ă double bourrelet, prĂ©sente une rĂ©sistance verticale supĂ©rieure de 59 % et une rĂ©sistance transversale supĂ©rieure de 36 % ; pour chaque kilomĂštre de voie Ă©quipĂ©e de rails Vignole, on peut renoncer Ă quelque piĂšces accessoires, attaches comprises, d'oĂč rĂ©duction de la surveillance, de l'entretien et une simplification de la comptabilitĂ©. N'oublions cependant pas que le renforcement du profil du rail 54 kg/m au lieu de 42 kg/m est aussi pour quelque chose dans les rĂ©sultats repris aux alinĂ©as a et b. Ce renforcement Ă©tait justifiĂ© par un trafic plus lourd et des vitesses plus grandes. La transformation se fait assez rapidement, kilomĂštres de voies du nouveau type ont Ă©tĂ© posĂ©es, il en sera sensiblement de mĂȘme en 1950, mais comme la durĂ©e moyenne d'un rail sur les grandes lignes britanniques est de 18 Ă 20 ans, il faudra encore quelque 20 ans avant que les derniers rails Ă double bourrelet aient disparu, des lignes principales. E. - Le rail Ă orniĂšre. La figure 130 reprĂ©sente le rail Ă orniĂšre de tramways le plus rĂ©pandu en Belgique le type U. V. F. 3 note 096. Il pĂšse 47,900 kg/m. Sa longueur est de 20 mĂštres. Il a Ă©tĂ© Ă©tudiĂ© pour la pose en pavage et sur traverses. Comme on le voit, le profil est trĂšs dĂ©veloppĂ© en hauteur 175 mm Ă cause du pavage tout en rĂ©servant au patin une bonne largeur 145 mm. Il existe un profil renforcĂ© le type 3R fig. 131 de 49,454 kg/m pour les voies en courbe. Actuellement, les Tramways Bruxellois utilisent ce profil d'une façon gĂ©nĂ©rale aussi bien en voie droite qu'en courbe. Dans les agglomĂ©rations, tous les rails de voies courantes sont normalement soudĂ©s ; les Ă©clissages ne sont utilisĂ©s qu'exceptionnellement, par exemple, dans les jonctions avec des appareils de voies provisoires ou non soudables appareils au ManganĂšse. Les appareils sont souvent en Ni-Cr soudables. En campagne, les Tramways Bruxellois emploient le rail de 32 kg/m des Chemins de fer vicinaux belges. Les Chemins de fer vicinaux belges utilisent a Sur plateforme indĂ©pendante de la voirie, un rail Vignole de 32 kg/m et de 18 m de longueur, posĂ© sur 20 traverses en bois, avec selles d'appui dans les courbes de 50 m et moins de rayon fig. 132. Sur les lignes Ă©lectriques, deux joints sur trois sont soudĂ©s, ce qui donne des barres de 54 m de longueur. Il existe encore plusieurs milliers de kilomĂštres de voie Ă©quipĂ©es en rails de 23 kg/m barres de 9 ou 12 m de longueur, mais l'emploi de ce rail est abandonnĂ© pour les constructions nouvelles. b En pavage, un rail Ă orniĂšre de 49 kg/m de 18 m fig. 133 posĂ© sur traverses en bois avec interposition de semelles en bois dur. Ce, pour Ă©viter que les pavĂ©s ne reposent directement sur les traverses, les rails et les pavĂ©s ayant sensiblement la mĂȘme hauteur. Les joints sont soudĂ©s Ă l'aluminothermie. En courbe rayon de 50 m et moins, ce rail est remplacĂ© par un profil de 51 kg/m prĂ©sentant une Ă©paisseur en a plus forte fig. 133 et une largeur d'orniĂšre plus grande. De plus, ce rail est traitĂ© thermiquement de façon Ă durcir les parties soumises Ă usure. Il existe depuis quelques annĂ©es, un rail Ă gorge dit Compound », laminĂ© en partant de deux aciers de duretĂ©s diffĂ©rentes, la partie supĂ©rieure du rail Ă©tant notablement plus dure que la partie infĂ©rieure note 098. Remarque. - Les rails Ă gorge sont mal Ă©quilibrĂ©s du point de vue de la rĂ©partition des masses. CHAPITRE IVLongueur des rails II y a un trĂšs grand intĂ©rĂȘt Ă utiliser des rails de la plus grande longueur possible puisqu'ainsi on diminue le nombre de joints. Car les joints nuisent Ă la douceur du roulement ; fatiguent le matĂ©riel roulant ; constituent des points faibles dans la voie et des points coĂ»teux Ă cause des organes de consolidation qu'ils nĂ©cessitent ; la rĂ©duction du nombre des joints a pour heureux effet de rĂ©duire le cheminement en premier lieu, parce que le nombre de chocs aux joints est rĂ©duit ; en second lieu, parce que chaque rail est solidaire d'un plus grande nombre de traverses. Qu'est-ce qui s'oppose Ă l'emploi de rails de trĂšs grande longueur ? 1° La difficultĂ© d'obtenir normalement des laminoirs des barres de grande longueur et exemptes de dĂ©fauts. Cependant, l'industrie sidĂ©rurgique belge lamine des barres de 54 mĂštres que l'on scie aux longueurs dĂ©sirĂ©es, par exemple, 3 x 18 mĂštres ou 2 x 27 mĂštres. 2° Les longs rails sont d'un transport plus difficile du chef de leur longueur et d'une manipulation plus malaisĂ©e dans la voie Ă cause de leur poids ; pratiquement, on compte qu'il faut un homme par mĂštre de longueur de rail. Un rail de 27 mĂštres, de 50 kg au mĂštre courant, pĂšse 1350 kg, sa manipulation exige le concours d'une trentaine d'hommes. Les inconvĂ©nients repris au 1° et 2° ci-dessus peuvent ĂȘtre supprimĂ©s aux prix de quelques sujĂ©tions par la soudure de rails de longueur normale. 3° L'obligation de permettre au rail de se dilater au grĂ© des variations de tempĂ©rature sans compromettre l'Ă©quilibre de la superstructure. Cette question a, Ă l'heure actuelle, quelque peu changĂ© d'aspect. A l'origine du problĂšme, on peut d'abord poser les considĂ©rations suivantes L'obligation de laisser un joint de dilatation entre deux rails consĂ©cutifs, fixe une limite Ă la longueur car ce joint ne peut guĂšre dĂ©passer 20 mm. Au-delĂ de 20 mm, les roues s'enfoncent trop profondĂ©ment dans la lacune, le roulement devient dur, les chocs sur l'extrĂ©mitĂ© du rail d'aval deviennent trop importants, la tendance au cheminement s'accentue et le martĂšlement des roues peut produire Ă la longue une dĂ©formation du rail ainsi que la possibilitĂ© d'amorces de fissures autour des trous d'Ă©clissage. En Belgique, on peut admettre un Ă©cart de 75° entre la tempĂ©rature + 55° du rail exposĂ© en plein soleil et la tempĂ©rature - 20° du rail soumis au froid le plus rigoureux. Si l'on part d'un coefficient moyen de dilatation de l'acier Ă rail de 0,011 mm par degrĂ© et par mĂštre de longueur, on constate que pour un rail de 18 mĂštres longueur normale en Belgique jusqu'en 1934, il faut thĂ©oriquement mĂ©nager un vide de 0,011 mm x 75° x 18 m = 15 mm auquel, dans la pratique, on ajoute encore un ou deux mm comme marge de sĂ©curitĂ©. A. la S. N. C. B., le joint de dilatation est fixĂ© Ă 18 mm. Pour un rail de 27 m, le vide thĂ©orique nĂ©cessaire atteint 26 mm. Jusqu'en ces derniĂšres annĂ©es, la thĂ©orie qui a prĂ©valu c'est que le joint doit ĂȘtre rĂ©glĂ© de telle sorte que les abouts des rails puissent venir simplement au contact aux tempĂ©ratures les plus Ă©levĂ©es. Aux chemins de fer belges, pour les rails de 18 m, la largeur des joints Ă rĂ©server au moment de la pose ou lors des opĂ©rations d'entretien, est respectivement de 2 mm au-dessus de 40° note 100_1 4 mm entre 30 et 40° 6 mm entre 20 et 30° 8 mm entre 10 et 20° 10 mm entre 0 et 10° 12 mm au-dessous de 0°. Cependant, l'expĂ©rience est lĂ , les chemins de fer belges ont pu, sans inconvĂ©nient, poser, dĂšs 1935, sur la ligne Ă©lectrique de Bruxelles Ă Anvers des barres de 54 mĂštres 2 rails de 27 m soudĂ©s ; les chemins de fer allemands utilisent sur une grande Ă©chelle des barres de 60 mĂštres. DĂšs lors, que se passe-t-il ? Les variations de longueur enregistrĂ©es aux extrĂ©mitĂ©s des rails de 60 mĂštres n'atteignent pas les valeurs qui dĂ©coulent du calcul thĂ©orique. Pour quelles raisons ? Sans doute y a-t-il dissipation de la chaleur par le patin du rail au. contact de la traverse ou de la selle mĂ©tallique intercalaire note 100_2. La chose s'expliquerait mieux encore sur les rĂ©seaux oĂč le patin est entiĂšrement recouvert par le ballast note 100_3. Mais la raison essentielle semble rĂ©sider dans les perfectionnements apportĂ©s dans les systĂšmes d'attache des rails aux traverses. Les systĂšmes modernes sont tels que le serrage du patin est suffisamment Ă©nergique pour empĂȘcher le rail de rĂ©aliser toute sa dilatation page 52. Des efforts de compression naissent Ă©videmment dans le rail du chef de cette contrainte. Ces efforts varieraient de 450 Ă quelque 900 kg par cmÂČ. Il ne conviendrait pas de dĂ©passer kg par cmÂČ parce que le flambement horizontal serait alors Ă craindre. Il va sans dire que si les attaches Ă©taient desserrĂ©es, la dilatation se produirait et pourrait devenir catastrophique. On est gĂ©nĂ©ralement d'accord pour admettre que le flambement horizontal rĂ©sultant de la dilatation des rails est prĂ©cĂ©dĂ© d'un lĂ©ger soulĂšvement de la voie rails et traverses ; si faible que soit celui-ci, il suffit pour dĂ©coller les traverses de la partie supĂ©rieure des moules » de ballast et faciliter par lĂ la dĂ©formation horizontale en forme d'S de la voie serpentage. Cherchons Ă nous rendre compte de la valeur de ces efforts de compression. A cette fin, considĂ©rons un rail d'une seule piĂšce de 100 m de longueur. Supposons que ce rail ait Ă©tĂ© posĂ© Ă la tempĂ©rature moyenne ordinaire de 15°, puis qu'il soit exposĂ© ultĂ©rieurement Ă une tempĂ©rature de 55°. Pour cet Ă©cart de tempĂ©rature de 40°, si la dilatation de cette barre Ă©tait libre, elle subirait un allongement ÎŽ Ă©gal Ă ÎŽ = 0,011 mm x 100 m x 40° = 44 mm = 4,4 cm. Cet allongement thermique correspondrait Ă un allongement Ă©lastique de mĂȘme amplitude si cette mĂȘme barre Ă©tait soumise Ă un effort de traction dĂ©terminĂ© de Pkg, l'allongement Ă©lastique ÎŽ et l'effort P Ă©tant liĂ©s par la formule , dans laquelle E = le module d'Ă©lasticitĂ© = Nous pourrons donc Ă©crire , d'oĂč une tension unitaire . DĂšs lors, si nous admettons que les attaches du rail sur les traverses sont Ă ce point efficaces qu'elles empĂȘchent toute dilatation de se produire, le rail sera soumis, dans les conditions de l'exemple choisi, Ă un effort de compression intĂ©rieure de 968 kg/cmÂČ. Il apparaĂźt cependant comme prĂ©maturĂ© de considĂ©rer la question de la dilatation des rails de grande longueur comme entiĂšrement rĂ©solue. Pour le moment, deux solutions se prĂ©sentent ou bien, comme le font les Chemins de fer français, limiter la longueur des rails Ă quelque 30 mĂštres et fixer les rĂšgles de pose et d'entretien de telle façon que les rails puissent toujours se dilater librement dans leurs Ă©clissages ; ou bien, si l'on dĂ©passe la longueur de 30 mĂštres, lutter contre la variation de la longueur des rails, en la freinant sur toute l'Ă©tendue de la barre, tout en la maĂźtrisant en quelque sorte par une rigiditĂ© convenable de la voie, de maniĂšre que celle-ci puisse, dans tous les cas, conserver son Ă©quilibre. Il convient d'immobiliser aussi complĂštement que possible la partie mĂ©diane de la barre limitĂ©e Ă quelques mĂštres de voie, en fixant solidement le rail par rapport aux traverses correspondantes et si possible, les traverses par rapport Ă la plateforme. Dans ces conditions, les efforts longitudinaux, qui peuvent se dĂ©velopper le long de la barre, pourront se rĂ©partir aussi rĂ©guliĂšrement que possible, de part et d'autre de son milieu considĂ©rĂ© comme point fixe et ne pourront atteindre en un point quelconque une valeur exagĂ©rĂ©e. Il faut naturellement procĂ©der Ă la pose et Ă la mise en Ă©quilibre des rails, par un rĂ©glage convenable des attaches et des joints d'extrĂ©mitĂ© Ă une tempĂ©rature judicieusement choisie entre les limites de celles que les rails peuvent effectivement atteindre. Dans l'Ă©tude du phĂ©nomĂšne du serpentage de la voie, il convient de ne pas perdre de vue que le cheminement peut intervenir pour modifier la largeur des joints de dilatation note 102 et que si la dĂ©formation de la voie dont les joints viennent Ă ĂȘtre supprimĂ©s, peut ĂȘtre spontanĂ©e, elle peut aussi ĂȘtre provoquĂ©e par le passage d'un train dont les chocs, tant latĂ©raux que verticaux, dĂ©truisent l'Ă©quilibre instable et dĂ©clenchent la dĂ©formation. C'est alors que celle-ci est la plus dangereuse. Remarque. - Sur les ponts mĂ©talliques, on a, de tout temps, posĂ© des rails longs en vue d'Ă©viter le plus possible les chocs. Ces ouvrages, reposant sur des appuis Ă dilatation, s'allongent ou se contractent dans la mĂȘme mesure que les rails. Pour ce qui est de la pose Ă l'air libre, le CongrĂšs international de Rome 25 septembre - 4 octobre 1950 dĂ©clare dans ses conclusions L'expĂ©rience est acquise qu'il est possible de poser d'une maniĂšre courante, Ă l'air libre en voie principale, des barres d'une longueur atteignant 90 m, sans dispositifs de dilatation aux joints ». Ligne de Tramways. En principe, lĂ oĂč les rails Ă orniĂšre ne sont pas soudĂ©s, les joints de dilatation n'existent pas en pavage. Avec les rails Vignole, en campagne, certaines compagnies maintiennent les joints de dilatation, d'autres pas. Les Tramways du Pays de Charleroi ont soudĂ© des rails Vignole de 40 kg sur une longueur d'un kilomĂštre. Les rails et les traverses sont noyĂ©es dans le ballast. Quand la longueur du tronçon soudĂ© est telle que la variation d'ouverture des joints doit pouvoir dĂ©passer 15 mm, on emploie des joints de dilatation spĂ©ciaux du type Ă aiguilles dont il sera question ultĂ©rieurement. Rails de grande longueur dans les tunnels. Dans les tunnels, on n'enregistre gĂ©nĂ©ralement que de faibles Ă©carts de tempĂ©rature, par exemple, - 2° et + 20°. Aussi, dans les tunnels, la plupart des rĂ©seaux ont constituĂ© par soudure des barres dont la longueur croit au fur et Ă mesure qu'on s'Ă©loigne des extrĂ©mitĂ©s. La rĂ©gion Nord des chemins de fer français a posĂ© en tunnel, prĂšs de Boulogne, des rails de 288 m. Les chemins de fer allemands ont rĂ©alisĂ©, sous tunnel, une voie entiĂšrement continue de rails soudĂ©s de m de longueur. Les chemins de fer yougoslaves et danois ont atteint 1200 et 1300 m dans les mĂȘmes conditions. En Belgique, dans la pose des rails en tunnel, on n'a pas dĂ©passĂ© 216 m. Le New York, New Haven et Hartford Railroad » a rĂ©cemment installĂ© dans sa gare de voyageurs de Hartford des rails soudĂ©s de 244 m en vue de rĂ©duire le bruit sur un viaduc en acier et dans un passage souterrain pour voyageurs. Les conclusions adoptĂ©es par le CongrĂšs international de Rome 25 septembre - 4 octobre 1950 sont plus hardies encore car elles s'expriment ainsi Dans les tunnels, il est possible de souder entiĂšrement les rails d'une extrĂ©mitĂ© Ă l'autre. La nĂ©cessitĂ© de prĂ©voir pour le raccordement Ă la voie normale, Ă l'air libre, des barres de longueur dĂ©croissante, ne paraĂźt pas dĂ©montrĂ©e ». CHAPITRE VCalcul de la section du rail L'Ă©tude mathĂ©matique des conditions de sollicitation du rail est trĂšs ardue note 104. Rationnellement, on devrait calculer le rail comme une piĂšce continue reposant sur plusieurs appuis Ă©lastiques et parcourue par des charges mobiles. Ces calculs sont complexes. En pratique, on se borne aux deux hypothĂšses suivantes pour dĂ©terminer le moment flĂ©chissant maximum Si l'on admet que le rail est simplement appuyĂ© sur les traverses fig. 134, le moment de flexion maximum est . P = poids de la roue la plus chargĂ©e, l = Ă©cartement des appuis. Fig. 134 Si l'on estime que, le rail Ă©tant attachĂ© aux traverses par les tirefonds, il existe une solidaritĂ© assez complĂšte pour qu'on puisse considĂ©rer le rail comme encastrĂ©, le moment maximum au milieu de la travĂ©e est . Mais l'hypothĂšse de l'encastrement est beaucoup trop favorable et n'est jamais rĂ©alisĂ©e dans la pratique. En fait, selon l'Ă©tat du ballast, la soliditĂ© des attaches et surtout la position des roues sur les travĂ©es voisines, le rail peut se trouver dans tous les Ă©tats intermĂ©diaires entre l'encastrement et le simple appui. On est amenĂ© Ă admettre un moment moyen . S. N. C. 135. - Tonnage et prix par tonne des rails de 1919 Ă 1940/41. D'autre part, la formule d'Ă©quarrissage , dans laquelle I = moment d'inertie, Μ = distance de l'axe neutre Ă la fibre la plus fatiguĂ©e, R = coefficient de rĂ©sistance, permet, connaissant R, de dĂ©terminer la hauteur du rail ; ou bien, connaissant la section, de dĂ©terminer la fatigue du mĂ©tal. Les Ă©tudes sur le calcul des rails montrent que le moment flĂ©chissant maximum sous la charge diminue lorsque le coefficient du ballast c augmente lorsqu'on amĂ©liore le ballast et la plateforme ; que, toutes choses Ă©gales, si on augmente le moment d'inertie, ce qui entraĂźne l'augmentation du poids du rail par mĂštre courant, on rĂ©duit les rĂ©actions maxima la pression du rail sur les traverses, la pression des traverses sur le ballast, d'oĂč diminution des dĂ©penses d'entretien et, pour un mĂȘme ballast et un mĂȘme espacement des traverses, on rĂ©duit la fatigue du rail. Fig. 136. - Tonnages fournis et prix payĂ©s par tonne pour les rails par la de 1945 Ă 1950. Poids des rails. Lorsque, Ă l'occasion d'un projet, de ligne Ă voie normale 1,435 m, on dĂ©sire ĂȘtre fixĂ© approximativement sur le poids du rail au mĂštre courant, on peut le dĂ©terminer par la formule simple Par mĂštre courant, il faut, en kg, deux fois la charge maximum de l'essieu en tonnes, plus 2 kg . Exemple si Pt = 24 t . Ce n'est Ă©videmment lĂ qu'un ordre de grandeur puisque le profil du rail dĂ©pend Ă©galement de la distance admise entre les traverses d'appui, mais tel quel, il permet d'estimer en premiĂšre approximation, la dĂ©pense Ă engager pour l'achat des rails. Prix des rails. Les fig. 135 et 136 montrent la variation des prix payĂ©s pour les rails par la CHAPITRE VILe MĂ©tal QualitĂ© et contrĂŽle de la qualitĂ©. Parmi les matĂ©riaux de la voie, le rail est l'Ă©lĂ©ment essentiel de la sĂ©curitĂ©, le bris d'un rail pouvant avoir les consĂ©quences les plus graves. Les traverses et le ballast ne servent qu'Ă attacher le rail et Ă le supporter. L'acier Ă rails doit ĂȘtre sain, non fragile et rĂ©sistant Ă l'usure note 108_1. Sain, cela veut dire exempt des dĂ©fectuositĂ©s provenant de retassures note 108_2, sĂ©grĂ©gations note 108_3 ou inclusions des lingots, causes principales des dĂ©tĂ©riorations rapides par fĂȘlure. Pour cela, aprĂšs passage du lingot au blooming, les blooms doivent ĂȘtre assainis par un chutage de tĂȘte d'au moins 25 % du poids du lingot. D'un bloom, provenant d'un lingot de 4000 kg, par exemple, on extrait par laminage une barre de 60 mĂštres. Sur celle-ci, on pratique encore un chutage de tĂȘte pour les essais de choc, texture, macrographie, duretĂ© Brinell et un chutage de culasse pour les essais de traction rĂ©silience et, le cas Ă©chĂ©ant, macrographie, de sorte que, au total, ces assainissements successifs correspondent Ă un chutage d'environ 1300 kg, soit 1/3 du poids du lingot. Finalement, dans ce lingot de 4000 kg, on dĂ©bite trois rails de 18 mĂštres de 50 kg/m 3 x 18 x 50 = 2700 kg ou deux rails de 27 mĂštres du mĂȘme profil 2 x 27 x 50 = 2700 kg. La section initiale du lingot ne peut ĂȘtre infĂ©rieure Ă vingt fois celle du rail. Evidemment, des prescriptions aussi sĂ©vĂšres garantissent un trĂšs haut degrĂ© de sĂ©curitĂ©, mais elles se paient. Les fabricants excipent de la difficultĂ© qu'ils Ă©prouvent pour trouver une utilisation rationnelle de la partie supĂ©rieure des lingots ; cependant ils vendent facilement les rails de tĂȘte pour les voies et raccordements industriels. On fabrique aussi au moyen des chutes de blooms de petits rails pour voies Decauville. Pour s'assurer des qualitĂ©s de l'acier, les fournitures sont, aprĂšs fabrication, soumises Ă des essais qui varient selon les rĂ©seaux mais qui ne diffĂšrent cependant gĂ©nĂ©ralement que par des nuances dans la sĂ©vĂ©ritĂ© des essais ou dans le pourcentage des constituants. A la S. N. C. B. le cahier des charges Ă©dition de 1948 prĂ©voit 1° Des essais de choc sur la chute de tĂȘte de tous les lingots note 109_1. Ces essais donnent une idĂ©e de la fragilitĂ© du mĂ©tal. 2° Des essais de traction centre du bourrelet du rail qui fournissent des indications sur la nuance du mĂ©tal et sur sa ductilitĂ© note 109_2. La rĂ©sistance Ă la rupture doit ĂȘtre comprise entre 70 et 80 kg par mmÂČ. La rĂ©sistance, augmentĂ©e de 2,5 fois l'allongement pour cent doit ĂȘtre au moins Ă©gale Ă 106 ce qui implique des allongements minima compris entre 14,4 % et 10,4 %. Fig. 137. - Ăprouvette Mesnager. 3° Des essais de rĂ©silience sur petites Ă©prouvettes du type Mesnager Ă rompre au mouton pendule de 30 kgm. Chaque sĂ©rie comprend trois Ă©prouvettes une prĂ©levĂ©e dans la partie supĂ©rieure du bourrelet, une autre dans l'Ăąme et une troisiĂšme dans le patin note 109_3. Les chiffres obtenus fournissent des indices sur le degrĂ© de fragilitĂ© du mĂ©tal. La rĂ©silience doit ĂȘtre au moins Ă©gale Ă 2 kgm par cmÂČ pour une des 3 Ă©prouvettes d'une mĂȘme sĂ©rie note 109_4. 4° Des essais de duretĂ© Ă la bille Brinell. Les empreintes obtenues doivent avoir un diamĂštre compris entre 3,9 et 4,25 mm note 110_1. 5° Des essais macrographiques pour dĂ©celer les rails entachĂ©s de sĂ©grĂ©gation sulfureuse note 110_2. 6° Le contrĂŽle de la structure par des examens micrographiques pour contrĂŽler si l'organisation structurale du mĂ©tal ne rĂ©vĂšle pas de surchauffe ni de microcavitĂ©s ou inclusions importantes note 110_3. Ces examens se pratiquent en nombre limitĂ© par coups de sonde sur toutes les fournitures. 7° Le contrĂŽle de la texture par l'examen de la cassure des coupons de rails dont on a provoquĂ© la rupture aprĂšs les avoir soumis au choc. 8° Des analyses chimiques complĂštes de certaines chutes de tĂȘte prĂ©levĂ©es par coups de sonde. ParachĂšvement. Mise Ă longueur. - A chaud et au moyen de scies circulaires, on fait tomber aux deux bouts de la barre laminĂ©e, des chutes de longueur suffisante 1,50 Ă 2 m cĂŽtĂ© tĂȘte et 0,70 Ă 0,80 m cĂŽtĂ© culasse pour permettre le prĂ©lĂšvement des essais. Une des extrĂ©mitĂ©s de ces bouts est d'ailleurs dĂ©formĂ©e par l'entrĂ©e ou la sortie des cylindres de laminoirs. Le refroidissement. - Les rails sont ensuite abandonnĂ©s sur le refroidissoir oĂč ils sont poussĂ©s mĂ©caniquement par des ripeurs qui leur donnent au besoin une contreflĂšche Ă peu prĂšs Ă©gale Ă celle que les barres prennent au refroidissement et qui varie avec le profil note 111 on obtient ainsi, aprĂšs refroidissement, des barres Ă peu prĂšs droites qui ne nĂ©cessitent plus qu'un lĂ©ger dressage Ă froid Ă la presse ou Ă la dresseuse Ă galets. Forage des trous. - Enfin, la mise Ă longueur dĂ©finitive des rails se fait par fraisage ou sciage des extrĂ©mitĂ©s. Les bavures laissĂ©es par les fraises ou les scies sont enlevĂ©es et on fore les trous pour le passage des boulons d'Ă©clisses. Avec les outillages modernes, les opĂ©rations de mise Ă longueur par sciage des deux extrĂ©mitĂ©s et de forage des trous d'Ă©clisses sont simultanĂ©es. Les trous dans les rails sont d'un diamĂštre d un peu plus grand que le diamĂštre b des boulons fig. 138 et 139, pour permettre notamment la libre dilatation sans qu'une pression s'exerce sur les boulons. Si j est la largeur du joint de dilatation, on a d mm = b mm + 1/2 j mm. Quant Ă la distance D du centre du trou du rail Ă l'extrĂ©mitĂ©, elle sera D = 1/2 a + b - d, a Ă©tant la distance entre les trous de l'Ă©clisse Ă l'endroit du joint. Fig. 138 et 139 Pour rĂ©duire les risques d'apparition des fissures qui s'amorcent parfois dans les rails autour des trous d'Ă©clissage, on peut, comme on le fait en France, employer des boulons d'assemblage en acier dur, on peut dĂšs lors rĂ©duire le diamĂštre de ces boulons 20 mm ce qui entraĂźne une rĂ©duction correspondante des trous dans les rails 25 mm. Enfin, pour les Ă©clisses de faible Ă©paisseur, destinĂ©es Ă des profils des rails lĂ©gers, on prĂ©voit parfois des trous ovalisĂ©s Ă poinçonner directement Ă dimensions ; cette solution permet de rĂ©duire la hauteur des trous. Composition chimique des rails. On utilise en gĂ©nĂ©ral pour la fabrication des rails, des aciers durs ordinaires au carbone 0,4 Ă 0,5 % pour lesquels on exige un calmage » complet, capable de leur assurer une homogĂ©nĂ©itĂ© aussi grande que possible. Le double but que l'on poursuit est d'obtenir un mĂ©tal sain offrant dans son ensemble des caractĂ©ristiques uniformes et rĂ©guliĂšres en mĂȘme temps qu'une bonne rĂ©sistance Ă l'usure. Passons maintenant en revue le rĂŽle des principaux constituants Le Carbone. - Le carbone est l'Ă©lĂ©ment durcissant qui forme avec le fer les constituants primordiaux des aciers ordinaires ; la teneur en carbone est forcĂ©ment limitĂ©e par la fragilitĂ© qui augmente rapidement avec elle. Nous reviendrons sur la question page 116. Le ManganĂšse. - AjoutĂ© en fin d'opĂ©ration sous forme de ferro-manganĂšse, il exerce une action dĂ©soxydante par formation de CO et de MnO et, pour le reste, s'incorpore au mĂ©tal. Le manganĂšse se combine facilement avec le soufre, sous forme d'inclusion, pour former du sulfure de manganĂšse MnS Ă l'Ă©tat isolĂ© ou alliĂ© avec le sulfure de fer FeS. Son action finale sur le mĂ©tal a un effet durcissant et, de ce point de vue, le manganĂšse est un Ă©lĂ©ment d'appoint trĂšs intĂ©ressant pour les aciers de construction dans lesquels la teneur en carbone doit ĂȘtre limitĂ©e si l'on veut Ă©viter la fragilitĂ©. Le manganĂšse favorise la pĂ©nĂ©tration de la trempe. Le Silicium. - C'est un Ă©lĂ©ment dĂ©soxydant trĂšs actif qui rĂ©agit avec l'oxygĂšne inclus dans le mĂ©tal pour former avec lui de la silice SiO2. S'il restait dans le mĂ©tal liquide Ă la suite d'un affinage insuffisant, le Si formerait aisĂ©ment des silicates SiO2 . FeO qui pourraient rester emprisonnĂ©s dans le bain et qu'il importe de faire remonter dans la scorie Ă Ă©liminer. Le silicium, ajoutĂ© en faible quantitĂ© au moment de l'affinage sous forme de ferro-silicium, se combine avec le fer pour former du siliciure de fer FeSi. Dans le procĂ©dĂ© Thomas, il convient de ne pas dĂ©passer une teneur limite de silicium Ă cause du danger d'inclusions de SiO2 qui risquent de ne pouvoir dĂ©canter dans la scorie et forment alors au laminage des dĂ©fauts de surface qui peuvent nuire Ă la vie normale du rail. On situe cette teneur critique en Si aux environs de 0,25 %. La S. N. C. B. prescrit pour les rails un minimum de 0,12 % visant ainsi Ă assurer la dĂ©soxydation et une bonne rĂ©sistance Ă l'usure. Le Soufre. - Cet Ă©lĂ©ment est Ă considĂ©rer comme toujours nuisible Ă cause des inclusions auxquelles il donne naissance et Ă la fĂącheuse tendance qu'il a de se liquater et de se sĂ©grĂ©ger. Le soufre et le manganĂšse ont l'un pour l'autre une grande affinitĂ© et, Ă haute tempĂ©rature, ils se combinent pour former le sulfure de manganĂšse MnS. Pour les rails, la S. N. C. B. considĂšre une teneur en S de 0,06 % comme un maximum et pour autant que la somme des teneurs en soufre et phosphore ne dĂ©passe pas 0,12 %. Le Phosphore. - Ce mĂ©talloĂŻde est considĂ©rĂ© comme nuisible parce qu'il favorise le dĂ©veloppement des grains et par consĂ©quent accentue la fragilitĂ© du mĂ©tal. Il a de plus une tendance marquĂ©e Ă se liquater et c'est un des Ă©lĂ©ments qui, avec le soufre et le carbone, se sĂ©grĂšge le plus facilement, c'est-Ă -dire se rassemble dans la partie qui se refroidit en dernier lieu. Remarquons toutefois qu'une teneur en phosphore trĂšs faible, dans un acier Thomas, est le plus souvent l'indice qu'un gros supplĂ©ment de fer a Ă©tĂ© brĂ»lĂ© et que le bain d'acier a Ă©tĂ© chargĂ© de FeO non seulement dissous mais en suspension. Pour les rails, la admet comme maximum la teneur de 0,08 % de phosphore mais Ă la condition comme nous l'avons dit que la somme des 2 Ă©lĂ©ments soufre + phosphore ne dĂ©passe pas 0,12 %. ** * A la S. N. C. B., les rails sont des aciers durs dont la rĂ©sistance va de 70 Ă 80 kg/mmÂČ ; leur composition chimique habituelle se situe dans les limites ci-aprĂšs C - 0,44 Ă 0,52 % S - 0,03 Ă 0,05 % P - 0,035 Ă 0,075 % Si - 0,12 Ă 0,20 % Mn - 0,85 Ă 1,15 %. Garantie. - Depuis 1948, une clause de garantie stipule que le fournisseur est tenu pendant 10 ans de remplacer gratuitement, ou de payer Ă la S. N. C. B. Ă la valeur des rails au moment du retrait, tout rail accusant un dĂ©faut imputable Ă la fabrication et non dĂ©celĂ© Ă la rĂ©ception Ă l'usine. Chaque rail dĂ©fectueux fait l'objet d'un examen contradictoire avec le fournisseur. CHAPITRE VIIUsure et durĂ©e des rails GĂ©nĂ©ralitĂ©s. L'usure est fonction du trafic, c'est-Ă -dire du tonnage, du nombre et de la vitesse des trains. 1° Usure verticale. - Les limites d'usure varient avec le profil du rail. Cependant, l'usure verticale n'est gĂ©nĂ©ralement pas la cause dĂ©terminante du retrait du rail de la voie. L'Ă©crasement des abouts, le matage et l'usure des portĂ©es d'Ă©clissage ou autres dĂ©fectuositĂ©s locales entraĂźnent souvent le retrait prĂ©maturĂ© des rails des voies principales ; c'est ainsi que pour le rail belge de 50 kg/m, par exemple, on constate aprĂšs retrait de service que l'usure n'est que de 4 mm en voies principales de 1re catĂ©gorie et que de 6 mm en voies principales de 2me catĂ©gorie. Pour une circulation journaliĂšre de tonnes, l'usure normale en hauteur du bourrelet est de l'ordre de 0,5 mm Ă 0,6 mm par annĂ©e, ce qui reprĂ©sente une usure annuelle de 0,10 mm Ă 0,12 mm par tonnes de trafic journalier. Les usures de 4 mm et de 6 mm susindiquĂ©es apparaissent donc aprĂšs 6 ans ou 7 ans dans le premier cas et aprĂšs 10 Ă 12 ans dans le second cas. Un rail usĂ©, retirĂ© des voies principales, peut ĂȘtre rĂ©employĂ© dans les voies secondaires oĂč il peut rester encore en service pendant quelque 25 ans. Fig. 140 Si l'usure verticale Ă©tait la cause dĂ©terminante du retrait des voies, on pourrait admettre, comme limite d'usure verticale, 12 mm en voies principales et 15 Ă 20 mm en voies secondaires ; tout dĂ©pend de la hauteur initiale du bourrelet ou, en d'autres termes, de la hauteur qui reste aprĂšs disparition de la partie usĂ©e. Ainsi, si l'on se reporte Ă la figure 124, page 93, on constate qu'une usure de 15 mm enlĂšverait au rail de 50 kg/m le tiers de l'Ă©paisseur de son bourrelet et transformerait ce profil en une vĂ©ritable poutrelle double T. 2° Usure latĂ©rale. - L'usure est Ă©galement forte dans les courbes de petit rayon mais en l'espĂšce, c'est surtout une usure latĂ©rale. C'est tantĂŽt au rail extĂ©rieur, tantĂŽt au rail intĂ©rieur que l'usure est la plus grande selon qu'il y a trop peu ou trop de dĂ©vers eu Ă©gard Ă la vitesse moyenne des trains note 115_1. L'usure latĂ©rale se manifeste surtout sur le rail extĂ©rieur par suite du frottement du mentonnet des roues fig. 109 sur la face latĂ©rale intĂ©rieure du bourrelet du rail. Cette usure est d'autant plus forte que le rayon des courbes est plus petit, que l'empattement rigide des vĂ©hicules est plus grand et que le dĂ©vers est moindre. La facette d'usure latĂ©rale AB, creusĂ©e par le passage des roues, affecte sensiblement la forme reprĂ©sentĂ©e fig. 140 note 115_2. Sur le rĂ©seau belge, l'inclinaison α de la facette par rapport Ă la verticale, dĂ©passe rarement 25° pour les rails mais il n'en est pas de mĂȘme pour les aiguilles de changement de voie. La S. N. C. B. adopte comme limite d'usure latĂ©rale l'angle de 32° pour les voies principales ainsi que pour les voies de circulation des locomotives et 34° pour les voies accessoires. ** * En rĂ©sumĂ©, les rails qui sont retirĂ©s du service pour usure, le sont soit pour limite d'usure verticale, soit pour limite d'usure latĂ©rale, c'est-Ă -dire lorsque l'inclinaison de la face latĂ©rale du bourrelet du rail dĂ©passe les limites angulaires susindiquĂ©es ou encore lorsque l'usure atteint le point A' de la face verticale du bourrelet note 115_3. Dans les tunnels, l'usure est plus rapide qu'Ă ciel ouvert, par suite de l'humiditĂ© permanente et des gaz sulfureux rejetĂ©s par les locomotives dont le charbon contient des pyrites FeS. L'usure des rails peut donc se manifester sous trois formes diffĂ©rentes usure par abrasion ou par Ă©crasement de la surface de roulement ; usure latĂ©rale du bourrelet ; usure par oxydation. A. - Usure par abrasion ou par Ă©crasement de la surface de roulement. Pour combattre cette usure, on dispose de plusieurs moyens agir sur la composition chimique de l'acier ordinaire, utiliser des aciers spĂ©ciaux ou Ă haute rĂ©sistance, appliquer le traitement thermique. 1er moyen Composition chimique du mĂ©tal. La rĂ©sistance Ă l'usure Ă©tant liĂ©e directement Ă la tĂ©nacitĂ© dont dĂ©pend la duretĂ©, on est conduit naturellement et Ă priori Ă envisager l'utilisation d'aciers trĂšs durs c'est-Ă -dire trĂšs carbures. Mais Ă©tant donnĂ© que l'augmentation de la teneur en carbone se traduit immĂ©diatement par une augmentation de la fragilitĂ© diminution de la rĂ©sistance aux chocs ce moyen n'offre qu'une possibilitĂ© limitĂ©e. Avec les rails en acier Thomas, il n'est pas prudent de dĂ©passer sensiblement la teneur de 0,50 % de C qui correspond Ă environ 80 kg/mmÂČ de rĂ©sistance teneur en manganĂšse comprise entre 0,9 et 1,15 %. Dans les pays, notamment en AmĂ©rique, oĂč on utilise pour la fabrication des rails des aciers Ă©laborĂ©s aux fours Ă sole, on trouve dans les rails des teneurs en carbone de 0,7 et 0,8 % mais il y a lieu toutefois de remarquer que ces pays utilisent des profils de rails plus lourds et un travelage plus serrĂ© qu'en Europe, la fatigue des rails se trouve de ce fait trĂšs sensiblement rĂ©duite. Notons encore que les hautes teneurs en carbone prĂ©sentent souvent le grave danger de dĂ©clencher dans la masse, pendant le refroidissement, des fissures de retrait appelĂ©es aussi fissures transversales. Ces fissures constituent des amorces de rupture par fatigue. 2me moyen Aciers spĂ©ciaux ou Ă haute rĂ©sistance. Les aciers spĂ©ciaux nĂ©cessitant l'incorporation de pourcentages importants d'Ă©lĂ©ments tels que le Ni, le Cr ou le Mn, leur prix Ă©levĂ© en restreint l'emploi pour des matĂ©riaux de grande consommation comme les rails. Certains rĂ©seaux notamment l'Autriche et l'Italie ont fait usage de rails en acier, Ă©laborĂ© au four Martin ou au four Ă©lectrique, et contenant une teneur en Mn comprise entre 1,2 et 1,5 % ; d'autres rĂ©seaux ont Ă l'essai des rails contenant un certain pourcentage de Cr 0,5 %. Nous reviendrons sur l'emploi des aciers spĂ©ciaux Ă l'occasion des appareils de voie voir 4me partie. Rails en acier obtenu au four Ă©lectrique. - Sans recourir aux aciers spĂ©ciaux, la S. N. C. B. a dans son cahier des charges Ă©dition de 1948 prĂ©vu les conditions de fourniture pour des rails Ă haute rĂ©sistance en acier Ă©laborĂ© par le procĂ©dĂ© Duplex comprenant un prĂ©affinage Ă la cornue Thomas suivi d'un affinage au four Ă©lectrique. Ces aciers, dont les teneurs en soufre et phosphore ne peuvent excĂ©der 0,04 % et leur somme dĂ©passer 0,07 %, doivent donner une rĂ©sistance minimum de 80 kg/mmÂČ et satisfaire Ă toutes les autres conditions imposĂ©es pour les rails ordinaires. Les rails ainsi Ă©laborĂ©s peuvent ĂȘtre utilisĂ©s concurremment aux rails traitĂ©s thermiquement dans les endroits oĂč l'usure se manifeste de façon particuliĂšrement rapide et lĂ oĂč les rails en acier ordinaire de la nuance 70 Ă 80 kg/mmÂČ se montrent dĂ©ficients du point de vue usure. De 1929 Ă 1933, la S. N. C. B. a procĂ©dĂ© Ă des essais de rails de l'espĂšce, de nuance 75 Ă 85 kg dans des courbes de rayon infĂ©rieur Ă 500 m. ComparĂ©s aux rails traitĂ©s thermiquement ces rails donnĂšrent Ă l'usure des rĂ©sultats moins satisfaisants. Rails compound. - Il y a une vingtaine d'annĂ©e, l'Allemagne avait mis sur le marchĂ© des rails appelĂ©s compound », composĂ©s d'un bourrelet en acier trĂšs dur 110 Ă 130 kg/mmÂČ, duretĂ© 300 Ă 400 Brinell ; l'Ăąme et le patin Ă©tant constituĂ©s de mĂ©tal de la nuance 45 Ă 50 kg/mmÂČ duretĂ© 140 Ă 170 Brinell. Comme les rails en acier Ă haute rĂ©sistance, les rails en acier compound » trouvaient surtout leur champ d'application dans les courbes de faible rayon. Les renseignements recueillis au sujet des rĂ©sultats obtenus ne sont pas trĂšs favorables. Au surplus ce procĂ©dĂ© entraĂźne un supplĂ©ment de prix important note 117_1. 3me moyen Traitement thermique note 117_2. Tout en maintenant la teneur en carbone Ă un taux modĂ©rĂ©, on peut, par un traitement thermique appropriĂ©, augmenter la duretĂ© et la tĂ©nacitĂ© des aciers tout en leur assurant dans toutes leurs parties une ductilitĂ© trĂšs satisfaisante. La gamme des variations des propriĂ©tĂ©s physiques qu'il est possible d'obtenir par traitement thermique est plus Ă©tendue que celle qu'on peut rĂ©aliser en faisant varier simplement la composition chimique. Le but essentiel poursuivi dans le cas d'application du traitement aux rails est d'obtenir dans la partie traitĂ©e bourrelet un accroissement des propriĂ©tĂ©s mĂ©caniques du mĂ©tal, susceptible d'augmenter la rĂ©sistance Ă l'usure sans accroĂźtre la fragilitĂ© et mieux encore en diminuant celle-ci. Ce mode de durcissement des rails a reçu, de nombreuses applications sur bon nombre de rĂ©seaux, notamment en Angleterre, en France, en Suisse et en Belgique. Toutefois depuis quelques annĂ©es, il est apparu que les rails traitĂ©s thermiquement prĂ©sentent au bout d'un temps de service plus ou moins long quelquefois aprĂšs 10 ans une usure ondulatoire trĂšs prononcĂ©e qui s'aggrave ensuite et donne lieu Ă des Ă©caillages nombreux Ă la surface de roulement. Les dĂ©nivellations qui en rĂ©sultent provoquent le dĂ©bourrage des traverses et entraĂźnent le remplacement prĂ©maturĂ© des rails entachĂ©s de pareils dĂ©fauts. Des dĂ©fauts de ce genre ont Ă©tĂ© relevĂ©s sur plusieurs rĂ©seaux Ă©trangers. Il s'ensuit que l'Ă©conomie que l'on escomptait pouvoir rĂ©aliser par une meilleure tenue Ă l'usure des rails devient illusoire au point que les rĂ©seaux intĂ©ressĂ©s ont renoncĂ© du moins provisoirement au traitement thermique. Jusqu'ici les recherches entreprises n'ont pas permis de dĂ©celer les causes exactes de cet insuccĂšs. Nous devons toutefois signaler que dans les applications limitĂ©es qu'elle a faites, la S. N. C. B. n'a pas jusqu'ici rencontrĂ© les mĂȘmes dĂ©fauts sur les rails traitĂ©s mis en service sur son rĂ©seau. Cette constatation pourrait Ă priori trouver une explication dans le fait que les rails ayant donnĂ© lieu en service aux dĂ©fectuositĂ©s susmentionnĂ©es avaient subi la trempe du bourrelet directement Ă la sortie du laminoir sans refroidissement et rĂ©chauffage tandis que les rails traitĂ©s pour la S. N. C. B. ont Ă©tĂ© prĂ©alablement, soit entiĂšrement refroidis, soit refroidis jusqu'Ă une tempĂ©rature infĂ©rieure Ă 300° C et rĂ©chauffĂ©s Ă 850° dans un four chauffĂ© en vue de la trempe du bourrelet. En rĂ©sumĂ©, l'opportunitĂ© de recourir au traitement thermique des rails en vue de leur confĂ©rer une meilleure rĂ©sistance Ă l'usure subit un temps d'arrĂȘt en attendant que les causes des dĂ©fectuositĂ©s aient pu ĂȘtre Ă©tablies de façon certaine et au besoin combattues de façon efficace. Nous donnons nĂ©anmoins ci-aprĂšs la description des divers procĂ©dĂ©s de traitement les plus couramment utilisĂ©s. ** * Nous croyons utile de rappeler trĂšs succinctement le mĂ©canisme des transformations que peuvent subir les aciers au cours des cycles thermiques qu'on peut leur faire subir, car si d'une part la teneur en C influe sur la nature ainsi que sur la structure cristalline des aciers, c'est d'autre part, la tempĂ©rature Ă laquelle on les porte et la vitesse du refroidissement subsĂ©quent qui dĂ©terminent leur structure cristalline finale. Dans les aciers normalement refroidis, la ferrite fer libre et la perlite forment les constituants normaux ; la perlite Ă©tant elle-mĂȘme un agrĂ©gat de lamelles alternĂ©es de ferrite et de cĂ©mentite note 118. ConsidĂ©rons un acier Ă moins de 0,9 % de C note 119 tel un acier Ă rails Ă O,5 % de C par exemple, il ne se produit aucun changement dans sa structure jusque vers 720° tempĂ©rature critique infĂ©rieure ; Ă partir de cette tempĂ©rature, la perlite ferrite + cĂ©mentite commence Ă se transformer en solution solide » et, Ă partir de la tempĂ©rature critique supĂ©rieure vers 800° C, il ne reste plus qu'une solution solide, appelĂ©e austĂ©nite » renvoi page 120. A partir de 800° C, un refroidissement trĂšs lent permettra la sĂ©paration normale de la ferrite et de la perlite en proportions variables suivant la teneur en carbone de l'acier considĂ©rĂ©. Cette cristallisation, Ă prĂ©dominance perlitique pour les aciers durs, donnera la rĂ©partition optimum en douceur et ductilitĂ©. Mais si le refroidissement est accĂ©lĂ©rĂ©, on peut arrĂȘter la cristallisation Ă l'un ou l'autre des stades qui modifient complĂštement les propriĂ©tĂ©s physiques et mĂ©caniques du mĂ©tal. Lorsque l'acier chauffĂ© au-dessus du point critique supĂ©rieur vers 800° C pour un acier Ă 0,5 % de C est plongĂ© brusquement dans un liquide froid, l'Ă©tat de solution solide se maintient ; on obtient, non pas l'austĂ©nite, mais bien la martensite, dure et trĂšs fragile structure de trempe. Un refroidissement un peu moins brusque donne naissance Ă la structure dĂ©nommĂ©e troostite, moins dure et moins fragile. Enfin, Ă l'Ă©chelon infĂ©rieur suivant, se trouve la sorbite obtenue par revenu ; c'est cette structure unissant une grande duretĂ© au maximum de tĂ©nacitĂ© rĂ©sistance Ă la traction et offrant une bonne rĂ©silience que l'on vise Ă obtenir dans le traitement thermique des aciers appelĂ©s, comme les rails, Ă subir une usure ou des chocs exceptionnels. ** * 1° ProcĂ©dĂ©s de traitement thermique des rails. Le traitement thermique tend Ă donner Ă la table de roulement du rail la structure sorbitique » par une trempe plus ou moins vive, en se servant, au cours du refroidissement, de la chaleur rĂ©siduelle emmagasinĂ©e dans l'ensemble du profil pour attĂ©nuer l'effet de trempe et obtenir ainsi un effet de revenu. Les procĂ©dĂ©s les plus usitĂ©s sont le procĂ©dĂ© de l'ingĂ©nieur anglais Sandberg, le procĂ©dĂ© de Neuves-Maisons », le procĂ©dĂ© de la MaxhĂŒtte, le procĂ©dĂ© de Rodange. a Le procĂ©dĂ© Sandberg. InstallĂ© et mis au point en Angleterre et appliquĂ© ensuite en France aux usines d'Hagondange en Lorraine, il se pratique sur les rails de nuance ordinaire Ă la sortie du train finisseur du laminage de la maniĂšre suivante Des pulvĂ©risateurs projettent sur le bourrelet du rail un mĂ©lange d'air comprimĂ© et d'eau sous forme d'un fin brouillard qui enveloppe complĂštement le bourrelet. On peut agir sur les dĂ©bits de l'air et de l'eau, ainsi que sur la durĂ©e d'application afin de rĂ©gler le refroidissement au degrĂ© qui assure, aprĂšs le revenu provenant de la masse thermique des parties non refroidies, la structure sorbitique note 122_1 qui ne prĂ©sente pas la fragilitĂ© de la martensite. Somme toute, le refroidissement par air et eau pulvĂ©risĂ©e produit un effet intermĂ©diaire entre la trempe Ă l'eau et le refroidissement lent. On arrĂȘte ainsi la recristallisation du mĂ©tal Ă la zone de formation de la sorbite. Le procĂ©dĂ© Sandberg permet de rĂ©aliser, suivant les besoins, des rĂ©sistances comprises entre 85 et 100 kg par mmÂČ ; mais, Ă©tant donnĂ© que la texture des rails traitĂ©s est purement sorbitique et non martensitique, on n'arrive guĂšre Ă dĂ©passer une rĂ©sistance de 100 kg/mmÂČ. La transition entre la zone sorbitique de la pĂ©riphĂ©rie et le cĆur de ferrite-perlite doit s'opĂ©rer lentement, sinon il se produit facilement des criques au raccord. Le gauchissement des rails pendant le refroidissement et les tensions internes qui en rĂ©sultent se trouvent Ă©vitĂ©s par l'application du procĂ©dĂ© Sandberg de refroidissement isotherme obtenu par le passage lent des rails dans un four chauffĂ© Ă la tempĂ©rature de 600° C. Ce procĂ©dĂ© de refroidissement porte le nom de refroidissement contrĂŽlĂ© ». Il peut ĂȘtre appliquĂ© tant pour le refroidissement des rails traitĂ©s que pour les rails ordinaires, on obtient ainsi aprĂšs refroidissement des rails Ă peu prĂšs rectilignes. Remarque. - Mentionnons en passant que les bandages de roues peuvent, comme les rails, ĂȘtre traitĂ©s par le mĂȘme procĂ©dĂ©. b Le procĂ©dĂ© de Neuves-Maisons Lorraine. Il consiste essentiellement en une trempe du bourrelet du rail directement Ă la sortie du laminoir note_122_2 par immersions et Ă©mersions successives du bourrelet dans un chenal contenant de l'eau froide en mouvement. C'est donc une trempe intermittente. La quantitĂ© d'eau est en rapport avec le poids du rail. De cette maniĂšre, on obtient que la structure perlitique normale du rail soit remplacĂ©e par une structure sorbitique sur une profondeur de 20 Ă 30 mm Ă partir de la surface de roulement. La rĂ©sistance Ă l'usure se trouve ainsi augmentĂ©e, tandis que le danger de rupture est notablement diminuĂ©. Par les immersions et Ă©mersions alternatives du rail, on permet Ă la quantitĂ© de chaleur rĂ©siduelle qui se trouve emmagasinĂ©e dans le cĆur du bourrelet, dans l'Ăąme et dans le patin d'affluer vers l'extĂ©rieur et d'opĂ©rer un effet de revenu de la partie trempĂ©e du bourrelet. Comme on peut faire varier, d'une part, la durĂ©e des immersions, ainsi que leur nombre et, d'autre part, agir sur le volume du bain de trempe, on conçoit que le procĂ©dĂ© prĂ©sente beaucoup de souplesse. La duretĂ© obtenue Ă la surface des rails peut varier de 90 Ă 120 kg/mmÂČ sans entraĂźner de fragilitĂ© ; au contraire, les rails traitĂ©s prĂ©sentent une rĂ©sistance au choc supĂ©rieure Ă celle des rails de mĂȘme composition chimique non traitĂ©s. En France, afin de ne pas augmenter la fragilitĂ© du rail, on prescrit qu'aprĂšs traitement, la rĂ©sistance, mesurĂ©e dans le bourrelet note 123_1, devra ĂȘtre comprise entre 75 et 87 kg/mmÂČ rĂ©sistance du mĂ©tal avant traitement 65 kg/mmÂČ en moyenne. En Belgique, le cahier des charges de la S. N. C. B. prescrit que la rĂ©sistance, mesurĂ©e dans le bourrelet note 123_1 devra ĂȘtre au minimum de 85 kg/mmÂČ rĂ©sistance du mĂ©tal avant traitement 70 Ă 80 kg/mmÂČ. Eu AmĂ©rique, par contre, la rĂ©sistance des rails traitĂ©s va jusqu'Ă 100 et mĂȘme 110 kg/mmÂČ rĂ©sistance initiale 80 Ă 90 kg/mmÂČ. Remarque. - Notons aussi que la SociĂ©tĂ© Arbed-Belval anciennement Terres-Rouges Luxembourg possĂšde une installation de traitement thermique des rails permettant d'opĂ©rer le traitement suivant le procĂ©dĂ© de Neuves-Maisons dĂ©crit ci-dessus, c'est-Ă -dire, directement Ă la sortie du laminoir ou, si on le dĂ©sire, aprĂšs refroidissement complet des rails ou tout au moins aprĂšs que la tempĂ©rature est descendue en dessous de 300° C. Les rails sont alors rĂ©chauffĂ©s dans un four appropriĂ© chauffĂ© au gaz de haut-fourneau. Cette derniĂšre variante, qui constitue l'originalitĂ© du systĂšme pratiquĂ© par la sociĂ©tĂ© Arbed-Belval, offre la possibilitĂ© d'un traitement complet des barres, c'est-Ă -dire, permet d'obtenir, outre le durcissement de la table de roulement du bourrelet, un effet de recuit dans le restant du profil. Ce traitement augmente donc la sĂ©curitĂ© dans une certaine mesure, mais il exige pour le rĂ©chauffage un four suffisamment long de la longueur des rails Ă traiter. c Le procĂ©dĂ© de MaxhĂŒtte note 123_2. A la sortie du train finisseur, le rail note 123_3 renversĂ© patin en l'air, est fixĂ© Ă une poutre sous laquelle sont disposĂ©s des Ă©lĂ©ments distributeurs d'eau Ă circulation constante sous faible pression, alimentĂ©s par un collecteur gĂ©nĂ©ral. Le bourrelet du rail est inondĂ© en une seule opĂ©ration pendant un temps variable, fonction de la teneur en carbone et des propriĂ©tĂ©s que l'on veut confĂ©rer au bourrelet. ImmĂ©diatement aprĂšs l'opĂ©ration de trempe du bourrelet, le patin et l'Ăąme Ă©tant encore au rouge sombre, on donne au rail une contreflĂšche telle qu'aprĂšs refroidissement, on obtient des barres Ă peu prĂšs droites ne nĂ©cessitant plus qu'un lĂ©ger dressage Ă la presse. Ce traitement donne Ă la surface du bourrelet une zone Ă structure martensitique plus dure que la sorbite dont l'Ă©paisseur varie suivant l'Ă©nergie de trempe. A cette zone martensitique succĂšde progressivement une zone de troosto-sorbite, puis une zone de sorbite, pour aboutir Ă la structure normale du rail composĂ©e de ferrite et de perlite. d Le procĂ©dĂ© de traitement de la SociĂ©tĂ© MiniĂšre et MĂ©tallurgique de Rodange Luxembourg Il se rapproche de celui des usines de l'Arbed-Belval en ce sens que le rail, Ă sa sortie du laminoir, peut ĂȘtre soit traitĂ© directement par trempe du bourrelet, soit refroidi complĂštement, soit abandonnĂ© au refroidissement jusqu'Ă ce que sa tempĂ©rature soit infĂ©rieure Ă 300°. Dans ces deux derniers cas, le rail est alors introduit dans un four tunnel chauffĂ© au gaz de haut-fourneau et rĂ©chauffĂ© Ă une tempĂ©rature d'environ 850/900°. Il subit alors, Ă sa sortie du four, une immersion unique du bourrelet dans l'eau ; la durĂ©e d'immersion pouvant varier suivant l'effet de trempe dĂ©sirĂ©. Le rail est ensuite abandonnĂ© au refroidissement, le revenu s'opĂšre par conductibilitĂ©, la chaleur emmagasinĂ©e dans tout le profil attĂ©nuant la trempe du bourrelet et donnant au bourrelet la structure sorbitique. La S. N. C. B. commande des rails traitĂ©s par les procĂ©dĂ©s de Rodange Luxem-bourg et de Arbed-Belval Neuves-Maisons modifiĂ© pour ses voies en courbe de faible rayon oĂč s'accusent de fortes usures latĂ©rales. Dans son cahier des charges Ă©dition de 1948, la S. N. C. B. exige que les rails Ă traiter soient ou complĂštement refroidis ou refroidis jusqu'en dessous de 300° C avant d'ĂȘtre rĂ©chauffĂ©s au four en vue de la trempe du bourrelet. En rĂ©sumĂ©, pour les rails de chemin de fer, selon le systĂšme employĂ© air comprimĂ© et eau pulvĂ©risĂ©e Sandberg, immersions courtes et successives dans l'eau Neuves-Maisons, immersion unique dans l'eau pendant un temps dĂ©terminĂ© MaxhĂŒtte et Rodange, on obtiendra, Ă partir de la surface de roulement, sur une zone plus ou moins profonde, la martensite, la troostite ou la sorbite ou les deux derniĂšres seulement pour aboutir par transition Ă la structure normale perlitique des aciers ordinaires. Remarque. - Les chemins de fer vicinaux belges emploient Ă©galement des rails traitĂ©s thermiquement sur toute leur longueur tant pour leurs rails Ă orniĂšre que pour leurs rails Vignole. 2° Traitement thermique des extrĂ©mitĂ©s des rails note 125_1. Plus de 80 % des bris des rails se produisent dans les extrĂ©mitĂ©s Ă©clissĂ©es et ce chiffre ne comprend pas les rails retirĂ©s des voies pour fĂȘlures Ă l'about ou pour Ă©toilure des trous des boulons d'Ă©clissage note 125_2. Pour prĂ©venir ou retarder efficacement les bris et les avaries, il faut agir sur le rail pendant sa fabrication et nous avons exposĂ© la solution intĂ©grale du traitement thermique des rails sur toute leur longueur. Mais il existe aussi une solution plus simple et moins coĂ»teuse, appliquĂ©e depuis 1933 Ă la S. N. C. B. et qui consiste Ă ne traiter thermiquement que les seules extrĂ©mitĂ©s des rails. Ce traitement, imaginĂ© par M. Servais, Chef des essais du service de la Voie de la S. N. C. B. et mis au point par les Usines des Terres-Rouges Ă Esch-sur-Alzette, est aujourd'hui appliquĂ© par plusieurs usines belges et luxembourgeoises. Il consiste soit Ă refroidir rapidement les bouts des rails Ă leur sortie du laminoir, c'est le procĂ©dĂ© le plus Ă©conomique et le plus rĂ©pandu ; soit Ă rĂ©chauffer les extrĂ©mitĂ©s des rails froids neufs ou usagĂ©s et Ă les refroidir ensuite suffisamment vite pour atteindre les conditions de trempe dĂ©sirĂ©es. Le second procĂ©dĂ© opĂ©rant sur les rails froids, permet de bĂ©nĂ©ficier d'un effet de recuit qui entraĂźne un affinage du grain et rĂ©alise un Ă©quilibre structural prĂ©alable Ă la trempe que ne peut procurer le premier procĂ©dĂ© par refroidissement direct Ă la sortie du laminoir. Le refroidissement par l'air comprimĂ© est celui qui donne les meilleurs rĂ©sultats, il tend Ă la sorbitisation de la perlite. L'effet du traitement des extrĂ©mitĂ©s se fait sentir dans toute la section du rail, y compris les portĂ©es d'Ă©clissage. La transition entre la longueur traitĂ©e et la partie non traitĂ©e est lente et progressive. B. - Usure latĂ©rale du bourrelet. L'emploi d'acier Ă haute rĂ©sistance acier Ă©lectrique et le traitement thermique constituent deux moyens de lutter contre l'usure latĂ©rale des rails dans les courbes de petit rayon. Un deuxiĂšme moyen consiste Ă graisser les mentonnets des bandages des locomotives au moyen d'un lĂ©cheur Ă huile ou bien c'est le rebord intĂ©rieur des rails que l'on enduit d'huile de rebut note 126_1. Mais il va sans dire que l'usure des rails en courbe est Ă©galement conditionnĂ©e par un tracĂ© judicieux de la surface de roulement des rails, par un tracĂ© convenable des bandages, par une construction adĂ©quate des bissels et des bogies des locomotives Ă vapeur, des tracteurs Ă©lectriques, des automotrices, des autorails ainsi que du matĂ©riel de transport, par la mise en Ćuvre des moyens habituellement utilisĂ©s pour faciliter l'inscription des vĂ©hicules dans les courbes note 126_2. C. - Usure par oxydation. Dans les tunnels humides oĂč l'oxydation est la plus forte, certains rĂ©seaux ont mis Ă l'essai des rails en acier au cuivre ± 0,4 % de Cu, mais il n'est pas apparu jusqu'ici que cette ajoute de cuivre soit suffisamment efficace pour protĂ©ger les rails contre l'oxydation. D'autres chemins de fer se sont bornĂ©s dans les mĂȘmes circonstances Ă utiliser un profil renforcĂ©. CHAPITRE VIIILe joint La question des joints peut ĂȘtre examinĂ©e Ă divers points de vue Conception de l'Ă©clissage au joint. Position des joints par rapport aux appuis. Position relative des joints dans les deux files de rails. A. - Conception du joint. L'assemblage des rails bout Ă bout est le point faible de la voie. Par suite de son imperfection et par le vide qui existe entre les rails, il provoque des chocs au passage des trains. Ces chocs eux-mĂȘmes augmentent la rĂ©sistance au roulement des trains, favorisent le cheminement des rails, flĂ©chissent et dĂ©tĂ©riorent les abouts des rails et, enfin, dĂ©terminent l'Ă©crasement du ballast. On peut se faire une idĂ©e assez exacte de la nuisance du joint si l'on considĂšre que l'entretien d'un joint 2 files de rails exige 2 heures de main-d'Ćuvre alors que le nivellement de la voie courante ne demande qu'une demi-heure par mĂštre. Pour minimiser ces inconvĂ©nients et rĂ©tablir autant que possible la continuitĂ© du rail, on consolide d'abord le joint au moyen d'Ă©clisses E fig. 120 et 124, pages 91 et 93 qui embrassent les bouts des deux rails. On rapproche, en outre, les deux traverses de joint ainsi que les traverses voisines de ces derniĂšres afin que le rail soit mieux supportĂ© en cet endroit. 1° Les Ă©clisses. On donne aux Ă©clisses une forme et des dimensions telles que les Ă©clisses, prenant appui sur le patin, soutiennent convenablement le bourrelet et conservent ainsi autant que possible au rail sa raideur et sa rĂ©sistance note 127 ; que la voie garde son alignement et sa rigiditĂ©. On rencontre des Ă©clisses dites plates, des Ă©clisses corniĂšres, des Ă©clisses doubles corniĂšres, des Ă©clisses Ă fourrure en bois. Les Ă©clisses plates, le plus gĂ©nĂ©ralement employĂ©es, sont des moises en acier fig. 120 et 124, s'appuyant sur les portĂ©es d'Ă©clissage du bourrelet et du patin et assemblĂ©es entre elles par des boulons traversant l'Ăąme du rail. Le moment d'inertie des Ă©clisses doit se rapprocher autant que possible de celui du rail. Les rails devenant plus lourds, on a Ă©tĂ© amenĂ©, dans certains cas, Ă augmenter Ă©galement le moment d'inertie des Ă©clisses en leur donnant la forme d'Ă©clisses corniĂšres fig. 144 et mĂȘme parfois d'Ă©clisses doubles corniĂšres fig. 145 prolongĂ©es en dessous du patin, dans la partie comprise entre les deux traverses de joint. Sur certains rĂ©seaux AmĂ©rique, Angleterre, Hollande, on commence Ă employer des Ă©clisses dont le profil se rapproche d'un double tĂ© fig. 146. Fig. 146 2° Boulons d'Ă©clisses. Les boulons d'Ă©clissage, au nombre de 4 ou de 6, doivent toujours ĂȘtre bien serrĂ©s, sinon les joints battent au passage des roues, les portĂ©es d'Ă©clissages des rails et des Ă©clisses s'usent rapidement, le bourrage se dĂ©truit et bientĂŽt, l'on voit apparaĂźtre des traverses danseuses. Mais afin que la dilatation se fasse librement, les trous dans les rails sont, comme nous l'avons dit, forĂ©s Ă un diamĂštre plus grand que celui des boulons d'Ă©clisses. A la S. N. C. B., lĂ , oĂč l'attache ordinaire par tirefonds ne maintient pas le rail sous contrainte, on a substituĂ© l'Ă©clissage Ă 4 boulons Ă celui Ă 6 boulons afin d'Ă©viter un serrage trop Ă©nergique qui contrarierait la dilatation du rail. Pour empĂȘcher les boulons de tourner pendant le serrage des Ă©crous, ou bien l'on mĂ©nage dans le dos d'une des Ă©clisses, une rainure dans laquelle vient se loger la tĂȘte des boulons, ou bien la tĂȘte de forme spĂ©ciale vient buter contre une saillie de l'Ă©clisse. Pour prĂ©venir le desserrage des Ă©crous, divers moyens sont employĂ©s, par exemple, les rondelles Grover et, plus souvent, les rondelles Vossloh Ă 2 spires. Fig. 147. - Joint suspendu sur traverses en bois des chemins de fer belges. Ces rondelles se composent d'un anneau brisĂ© en acier fig. 65, page 53, dont les bouts sont relevĂ©s de maniĂšre Ă former un ou deux pas d'hĂ©lice. IntercalĂ©es entre l'Ă©crou et l'Ă©clisse, elles constituent un ressort assez Ă©nergique, que l'on comprime au fur et Ă mesure que l'on serre l'Ă©crou. La rĂ©sistance Ă l'applatissement des rondelles Ă©lastiques est de 3 tonnes. Disons encore que les Ă©crous se trouvent du cĂŽtĂ© intĂ©rieur de la voie pour permettre la visite des joints des rails en ne faisant qu'un seul parcours dans l'axe de la voie. Fig. 148. - Joint Ă pont avec Ă©clissage Ă fourrure en bois des chemins de fer de l'Est et du Nord français. 3° Eclissage Ă fourrure en bois. EmployĂ© par les RĂ©gions Est et Nord de la S. N. C. F., cet Ă©clissage comporte un coussinet d'appui, sorte de selle, glissĂ© sous le joint fig. 148. Ce coussinet prĂ©sente une aile verticale contre laquelle est serrĂ© l'Ă©crou du boulon d'assemblage. La particularitĂ© de ce systĂšme, c'est que l'une des deux Ă©clisses affecte la forme d'un U dans lequel s'engage une fourrure en bois qui est coincĂ©e contre l'aile verticale de la selle. D'une part, le joint est soutenu par la selle ; d'autre part, la fourrure en bois donne Ă l'ensemble une certaine Ă©lasticitĂ©. L'expĂ©rience française aurait montrĂ© qu'ainsi les boulons ne se desserrent pas. Cependant les essais de joint Ă fourrure en bois pratiquĂ©s Ă la S. N. C. B. n'ont pas donnĂ© les rĂ©sultats escomptĂ©s malgrĂ© les prĂ©cautions prises pour que le bois fut bien sec au moment de son emploi. 4° Le joint parfait. La nuisance du joint a son origine dans la prĂ©sence de la lacune entre les abouts des rails et dans l'imperfection de l'assemblage par Ă©clisses. Cette imperfection de l'assemblage rĂ©sulte elle-mĂȘme des tolĂ©rances admises dans la section du rail note 130_1 et dans celle de l'Ă©clisse note 130_2. L'usure des cannelures des cylindres de laminoirs, Ă elle seule, modifie progressivement le profil des rails. Dans ces conditions, mĂȘme avec des Ă©clisses et des rails neufs, il est impossible de rĂ©aliser un joint Ă©clisse parfait, c'est-Ă -dire assurant un contact continu entre les Ă©clisses et le rail. De cette constatation est nĂ©e l'idĂ©e, d'apparence paradoxale, de constituer un joint parfait en sciant le rail en son milieu de maniĂšre Ă assembler deux extrĂ©mitĂ©s identiques, quitte, pour conserver la longueur de rail habituelle, Ă pratiquer une soudure Ă l'endroit oĂč serait venu le joint normal. Le joint le plus parfait peut Ă©galement ĂȘtre rĂ©alisĂ© en associant simplement des rails neufs dĂ©bitĂ©s d'une mĂȘme barre et numĂ©rotĂ©s Ă l'usine avant l'expĂ©dition. Lors du remploi des rails usagĂ©s que l'on soude entre eux, on peut choisir l'endroit le meilleur pour le joint parfait. Cette pratique, si elle convient pour les rails de remploi, semble moins indiquĂ©e pour les rails neufs, car si elle amĂ©liore le joint, elle peut nĂ©anmoins crĂ©er un point faible Ă l'endroit de la soudure par altĂ©ration du mĂ©tal. Tout dĂ©pend donc de la qualitĂ© de la soudure ; si celle-ci laisse des apprĂ©hensions, on prend la prĂ©caution de rapprocher les traverses de part et d'autre des soudures. Par ailleurs, les soudures sont prĂ©alablement recuites. Au chantier de Schaerbeek, on rĂ©alise actuellement une installation de recuit par courant Ă©lectrique haute frĂ©quence. B. - L'usure des Ă©clisses. L'usure des Ă©clisses se manifeste surtout en A au milieu de la surface d'appui supĂ©rieure, puis, mais dans une mesure moindre, aux extrĂ©mitĂ©s de la surface d'appui infĂ©rieure fig. 149. Au dĂ©but de l'apparition du jeu au milieu, en A, il est impossible de le rappeler horizontalement parce que l'Ă©clisse porte encore contre le rail par ses deux extrĂ©mitĂ©s B. Fig. 149. - Usure des Ă©clisses. L'assemblage prend du jeu petit Ă petit et pour Ă©viter l'affaissement du joint, il faut resserrer frĂ©quemment les boulons et Ă©ventuellement, racheter l'usure d'une maniĂšre plus ou moins satisfaisante par l'emploi d'Ă©clisses spĂ©ciales de hauteur supĂ©rieure Ă la normale, ou d'Ă©clisses rematricĂ©es note 131_1, ou encore de fourrures en lamelles d'acier doux de l'Ă©paisseur de l'usure Ă racheter note 131_2. Fig. 150. - Ăclisse Ă©lastique CĂ©sar. Ăclisse CĂ©sar. Tenant compte de la localisation de l'usure, l'Ă©clisse CĂ©sar comprend fig. 150 et 151 une partie mĂ©diane qui constitue la partie Ă©clissante proprement dite et qui correspond exactement Ă l'endroit et Ă l'Ă©tendue de l'usure des portĂ©es d'Ă©clissage ; de part et d'autre de la partie mĂ©diane, un dĂ©maigrissement formant des bras Ă©lastiques ; des extrĂ©mitĂ©s qui se terminent en haut, par des butĂ©es ; Ă leur base, par des talons. Fig. 151 Ăclisse Ă©lastique CĂ©sar. Cette forme particuliĂšre permet de corriger constamment et automatiquement l'usure qui se produit au droit des joints. Naturellement la plus grande longueur de l'Ă©clisse et son parachĂšvement spĂ©cial en relĂšvent le prix d'achat, mais le supplĂ©ment serait compensĂ© par la rĂ©duction des frais d'entretien. C. - Ăclisses de raccord. Il arrive que l'on doive assembler deux rails de profils diffĂ©rents. C'est le cas, notamment, quand on passe d'une ligne principale, Ă©quipĂ©e par exemple, en rails de 50 kg/m vers une ligne secondaire armĂ©e de rails de 40 kg/m. Il faut alors faire usage aux joints d'Ă©clisses spĂ©ciales, dites Ă©clisses de raccord et dont la section Ă©pouse d'un cĂŽtĂ© le profil du rail lourd et de l'autre cĂŽtĂ© le profil du rail lĂ©ger, tout en assurant la continuitĂ© de la table de roulement ainsi que celles des faces latĂ©rales intĂ©rieures des deux rails qui guident l'essieu par l'intermĂ©diaire du mentonnet du bandage. D. - Traitement thermique des Ă©clisses. La impose le traitement thermique pour toutes ses commandes d'Ă©clisses, tant laminĂ©es pour voie courante qu'estampĂ©es pour voie courante, raccord entre profils de rails diffĂ©rents ou rachat d'usure des rails de mĂȘme profil. L'acier imposĂ© pour la fabrication est l'acier ordinaire procĂ©dĂ© de fabrication non imposĂ© pour les Ă©clisses laminĂ©es » et l'acier Martin-Siemens ou Ă©lectrique pour les Ă©clisses estampĂ©es ». Le traitement consiste en une trempe Ă l'eau suivie d'un revenu Ă 600°-650°. AprĂšs traitement, les Ă©clisses doivent prĂ©senter une rĂ©sistance Ă la rupture R et un allongement A % satisfaisant Ă la formule . La limite Ă©lastique E doit ĂȘtre au minimum de 0,65 R note 132. D'autre part, les chiffres de rĂ©silience ne peuvent ĂȘtre infĂ©rieurs Ă 7 kilogrammĂštres/cmÂČ pour les Ă©clisses laminĂ©es, et 10 kilogrammĂštres/cmÂČ pour les Ă©clisses estampĂ©es. La structure doit ĂȘtre sorbitique dans toute la section des Ă©clisses. E. - RĂ©duction du nombre des joints. De tout ce qui prĂ©cĂšde, dĂ©coule naturellement l'idĂ©e de rĂ©duire autant que possible le nombre des joints ; on y parvient par le laminage de rails de grande longueur, par la soudure des rails. Nous ne reviendrons pas sur la question des rails de grande longueur, elle a Ă©tĂ© exposĂ©e page 99. Soudure des rails. La soudure est appliquĂ©e non seulement aux rails neufs mais encore aux rails usagĂ©s et mĂȘme Ă des rails de profils diffĂ©rents lors de la fabrication des rails de raccord. En 1935, lors de l'Ă©lectrification de la ligne Bruxelles-Anvers, des rails de 27 m ont Ă©tĂ© soudĂ©s en barres de 54 m. Cette pratique est actuellement Ă©tendue Ă toutes les lignes importantes. Rails usagĂ©s. - La soudure permet la rĂ©utilisation, dans des conditions tout Ă fait convenables, des rails usagĂ©s de longueurs diverses, dont le corps de la barre est encore en bon Ă©tat mais dont on a sciĂ© les bouts dĂ©tĂ©riorĂ©s, dĂ©formĂ©s ou usĂ©s au droit des portĂ©es d'Ă©clissage. AprĂšs soudure de deux ou plusieurs tronçons pour obtenir la longueur voulue, on fore de nouveaux trous d'Ă©clisses. Rails de raccord. - Les Ă©clisses de raccord Ă©tant des accessoires coĂ»teux, on prĂ©fĂšre actuellement Ă la S. N. C. B. les remplacer par des rails de raccord ». On soude les deux barres de profils diffĂ©rents en interposant entre elles un tronçon de rail de 50 centimĂštres de longueur qui, par un matriçage prĂ©alable Ă chaud, prĂ©sente Ă chacune de ses extrĂ©mitĂ©s le profil exact des rails Ă raccorder. En partant de l'alignement des tables de roulement et des faces latĂ©rales intĂ©rieures des bourrelets, on rabote latĂ©ralement la face extĂ©rieure du bourrelet ainsi que le patin du tronçon de rail de maniĂšre Ă rĂ©aliser Ă la jonction la symĂ©trie des Ăąmes ainsi que la coĂŻncidence des largeurs des patins et des bourrelets note 133. Fig. 152. - Soudure d'un rail Ă orniĂšre avec un rail Vignole. De la mĂȘme maniĂšre, les SociĂ©tĂ©s de Tramways soudent des rails Ă orniĂšre avec des rails Vignole fig. 152. En 1931, la appliquait aux rails la soudure alumino-thermique par prĂ©chauffage et pression. L'opĂ©ration Ă©tait complĂ©tĂ©e par un recuit dans un petit moufle, alimentĂ© par des brĂ»leurs au benzol. Ce recuit n'est efficace que si la tempĂ©rature atteinte est bien appropriĂ©e. Depuis 1936, la S. N. C. B. emploie la soudure Ă©lectrique par rĂ©sistance, l'opĂ©ration est complĂštement automatique note 134_1. L'opĂ©ration de la soudure comprend quatre phases principales le prĂ©chauffage par Ă©tincelles » des extrĂ©mitĂ©s des rails Ă souder mises en contact et reculs ; la fusion continue de ces extrĂ©mitĂ©s par rapprochements et reculs l'Ă©tincelage sur une trĂšs courte distance ; le refoulement Ă©nergique 20 tonnes des extrĂ©mitĂ©s l'une contre l'autre ; le recuit ; les soudures sont recuites avant la pose, Ă une tempĂ©rature de 875° dans un petit four tunnel Ă gasoil. En vue d'amĂ©liorer le roulement des voitures sur les chemins de fer souterrains tubes », le London Passenger Transport Board » pratique Ă©galement la soudure Ă©lectrique mais au moyen d'une usine gĂ©nĂ©ratrice mobile. Les rails de circulation de 18,30 m de longueur et aussi les rails conducteurs 3e rail sont soudĂ©s en barres de 91 m. Le New-York, New Haven et Hartford Railroad » soude par le procĂ©dĂ© oxyacĂ©tylĂ©nique des rails de 11,90 m en barres de 244 mĂštres. Dans les deux cas, les soudures sont ensuite traitĂ©es thermiquement. Remarque. - L'opĂ©ration du refoulement a pour rĂ©sultat de raccourcir lĂ©gĂšrement chaque rail. C'est pourquoi on fournit les barres Ă souder avec une surlongueur de 14 mm. Les Chemins de fer vicinaux belges soudent couramment leurs rails de 18 m Vignole et Ă orniĂšre en barres de 54 m. En principe, en pavage, ils ne s'imposent aucune limite de longueur. Quant aux lignes de Tramways, toutes les voies neuves ou rĂ©cemment renouvelĂ©es sont soudĂ©es le plus gĂ©nĂ©ralement par la soudure alumino-thermique parfois remplacĂ©e par la soudure Ă l'arc Ă©lectrique parce que moins coĂ»teuse ; quant Ă la soudure bout Ă bout par rĂ©sistance, elle n'est pas pratiquĂ©e par les Tramways note 134_2 parce que l'outillage pondĂ©reux et encombrant qu'elle nĂ©cessite ne permet pas de faire des soudures sur chantier et exige la confection des soudures dans les ateliers. A cause de leur longueur, les barres soudĂ©es ne pourraient qu'exceptionnellement ĂȘtre transportĂ©es dans les agglomĂ©rations. F. - Position des joints par rapport aux appuis. Sur les rĂ©seaux europĂ©ens, on rencontre les cinq conceptions suivantes mais que l'on ne dĂ©signe pas toujours sous la mĂȘme appellation le joint appuyĂ© sur traverse ordinaire fig. 153 Ă 155, sur traverse double mĂ©tallique ou sur traverse double en bois. La traverse double en bois est, dans ce cas, constituĂ©e de deux traverses ordinaires assemblĂ©es par boulons ; le joint suspendu, dans lequel les traverses de contre-joint sont rapprochĂ©es sensiblement jusqu'au contact fig. 147 ; le joint en porte Ă faux supportĂ© par des traverses de contre-joint placĂ©es Ă l'Ă©cartement normal ou Ă tin Ă©cartement quelque peu rĂ©duit ; le joint Ă pont ou joint soutenu fig. 148. 1. - a Le joint appuyĂ© sur une traverse ordinaire fig. 153 Ă 155. Fig. 153 Ă 155 Il ne rencontre guĂšre la faveur des rĂ©seaux parce qu'il donne rapidement un joint dĂ©fectueux. La surface d'appui est trop petite Ă cet endroit fortement sollicitĂ©. Quand la roue passe dans la position 1, la traverse tend Ă se dĂ©placer obliquement, ce basculement abaisse le rail d'amont et relĂšve le rail d'aval ; l'inverse se produit quand la roue passe en 2. Les attaches prennent rapidement du jeu et ce, d'autant plus que le passage d'un rail au suivant ne se fait pas sans choc ; le bourrage laisse bientĂŽt Ă dĂ©sirer et, en fait, le joint n'est plus appuyĂ© ce qui reporte la charge sur les appuis voisins. - b Le joint appuyĂ© sur traverse double mĂ©tallique ou sur traverses doubles en bois. Les chemins de fer allemands et suisses l'emploient dans leur pose de voies avec traverses mĂ©talliques. Les chemins de fer allemands utilisent Ă©galement la traverse double en bois deux traverses assemblĂ©es par boulons. Dans le cas de la traverse double, la surface d'appui est beaucoup plus grande que dans le cas du joint appuyĂ© sur une seule traverse. 2. Le joint suspendu fig. 147. Ce joint, dans lequel les traverses de contre-joint sont rapprochĂ©es sensiblement jusqu'au contact, est trĂšs employĂ© ; les chemins de fer français, suisses et belges l'utilisent. GĂ©nĂ©ralement les deux traverses sont pratiquement jointives, le petit intervalle qui les sĂ©pare dispense de scier les traverses aux dimensions rigoureuses lorsqu'elles sont en bois. La distance d'axe en axe entre traverses est de 29 cm en Belgique fig. 147. Les traverses de joint sont placĂ©es de telle maniĂšre que les axes des surfaces d'appui des rails soient Ă mi-distance entre les boulons de l'Ă©clissage, en vue de faciliter la pose et le resserrage des boulons et des tirefonds fig. 147. 3. Le joint en porte Ă faux fig. 156. Il est Ă©galement en usage sur de nombreux rĂ©seaux. Ses partisans estiment que l'abaissement du rail d'amont entraĂźne un abaissement, sinon Ă©quivalent, du moins Ă peu prĂšs Ă©gal, du rail d'aval ; le passage d'un rail Ă l'autre se ferait avec plus de douceur. Fig. 156. - Joint en porte Ă faux avec traverses mĂ©talliques OugrĂ©e-Marihaye ». Il s'impose lorsqu'on emploie des traverses mĂ©talliques avec attaches par clavettes. Dans le cas des traverses mĂ©talliques du type OugrĂ©e-Marihaye », la distance d'axe en axe des traverses de joint atteint 43 cm c'est-Ă -dire que les traverses sont rapprochĂ©es autant que faire se peut dans la limite de la possibilitĂ© du placement et de l'enlĂšvement des clavettes. G. - Position relative des joints dans les deux files de rails. Les joints sont dits concordants quand ils sont placĂ©s exactement au droit l'un de l'autre fig. 157. Ils sont dits alternĂ©s ou en quinconce quand les joints de l'une des files de rails se trouvent au droit du milieu des rails de l'autre file fig. 158. Enfin, ils sont chevauchĂ©s quand leur position se rapproche de la concordance mais avec un dĂ©calage de deux ou trois traverses seulement fig. 159. Si l'on se place du point de vue des chocs transmis de la voie au matĂ©riel roulant wagons et voitures, on peut dire avec les joints concordants fig. 157, au passage du joint affaissĂ©, l'essieu tombe des deux roues eu mĂȘme temps et le vĂ©hicule a une tendance Ă piquer du nez, avec les joints alternĂ©s fig. 158, les vĂ©hicules qui portent sur quatre roues, restent suspendus sur trois roues au passage du joint affaissĂ©. S'il y a choc, celui-ci est moins violemment ressenti par le vĂ©hicule. Fig. 157. - Joints concordants. Fig. 158. - Joints alternĂ©s. Fig. 159. - Joints chevauchĂ©s. Mais le mouvement de celui-ci est plus irrĂ©gulier car il reçoit alternativement un choc Ă droite, puis Ă gauche, d'oĂč un mouvement de roulis. Le dispositif des joints chevauchĂ©s fig. 159 note 137 attĂ©nue les inconvĂ©nients des joints concordants. Les rĂ©seaux adoptent l'un ou l'autre systĂšme selon qu'ils estiment que le confort des voyageurs sera meilleur, mais, Ă l'heure actuelle, les inconvĂ©nients signalĂ©s sont attĂ©nuĂ©s avec les vĂ©hicules Ă trois essieux ou Ă bogies. En fait, ce sont les joints concordants que l'on rencontre le plus frĂ©quemment. Comme les traverses sont rapprochĂ©es dans le voisinage du joint, si l'on se place du point de vue Ă©conomie de traverses », les joints concordants sont Ă prĂ©fĂ©rer aux joints alternĂ©s et mĂȘme aux joints chevauchĂ©s. Lors du CongrĂšs international de Rome sept. - oct. 1950, le rapporteur italien a signalĂ© qu'il a Ă©tĂ© posĂ© rĂ©cemment en Italie plusieurs centaines de kilomĂštres de voies avec joints soit dĂ©calĂ©s soit alternĂ©s avec des longueurs de barres de 36 et de 48 mĂštres. Pour les barres de 36 m, l'alternance est de 18 m ; avec les joints dĂ©calĂ©s, elle est de 12 mĂštres. H. - Conclusion. Dans notre prĂ©cĂ©dente Ă©dition, nous avons dĂ©crit divers types de joints joint Ă coussinets des chemins de fer nĂ©erlandais, joint soutenu des rĂ©gions françaises du Nord et de l'Est, joint appuyĂ© Ă Ă©clisses longues du P. L. M., qui sont aujourd'hui abandonnĂ©s. Ces essais et la diversitĂ© des systĂšmes en usage montrent bien la difficultĂ© de trouver une solution satisfaisante Ă ce problĂšme. Le joint idĂ©al est encore Ă dĂ©couvrir. L'invention d'un systĂšme d'Ă©clissage qui supprimerait le forage de trous dans l'Ăąme du rail et partant Ă©liminerait l'une des causes principales des ruptures de rails, constituerait un progrĂšs considĂ©rable. Par ailleurs, les joints doivent ĂȘtre aussi simples que possible, peu coĂ»teux Ă installer et Ă©conomiques Ă entretenir. CHAPITRE IXLe cheminement des rails Le cheminement des rails est le dĂ©placement longitudinal et parallĂšle des rails sur les traverses. Le cheminement des rails entraĂźne parfois celui des traverses sur le ballast. Il arrive qu'un rail, gĂ©nĂ©ralement celui de gauche, chemine plus que l'autre, ce phĂ©nomĂšne s'appelle chevauchement ou cheminement diffĂ©rentiel. Dans ce cas, si les traverses sont entraĂźnĂ©es, elles prennent une position oblique qui rĂ©trĂ©cit la largeur de la voie. Le cheminement diffĂ©rentiel est donc plus grave que le cheminement ordinaire. Si le cheminement est. un fait, autre chose est d'en dĂ©terminer exactement les causes. Pour analyser le phĂ©nomĂšne qui se manifeste de façons trĂšs variables sur une mĂȘme ligne, il faut considĂ©rer sĂ©parĂ©ment les lignes Ă double voie, celles Ă simple voie, les courbes et les dĂ©clivitĂ©s. A. - Lignes Ă double voie. Les rails sont soumis Ă des efforts longitudinaux de sens contraires - les roues motrices et accouplĂ©es de la locomotive dĂ©terminent par leur adhĂ©rence, une action sur le rail dirigĂ©e en sens inverse de la marche, c'est le seul facteur qui agisse dans ce sens, - les roues porteuses de la locomotive, du tender et de tous les autres vĂ©hicules du train tendent au contraire Ă pousser le rail en avant pour trois raisons 1° Les chocs successifs des roues sur les abouts des rails d'aval. 2° Le mouvement en avant est dĂ» Ă©galement Ă la dĂ©formation du rail au passage de la roue. La barre est localement et temporairement allongĂ©e par la compression sous la roue. Cet effet de flexion et d'Ă©tirage se traduirait par un mouvement en avant sous la pression longitudinale que la roue exerce en avançant elle-mĂȘme. On a traduit cette idĂ©e sous une forme imagĂ©e au passage d'un train, la partie du rail qui se trouve directement au-dessous d'une roue et des deux cĂŽtĂ©s, prend une forme qui peut ĂȘtre comparĂ©e aux creux d'une vague ; la roue a toujours devant elle une lĂ©gĂšre obstruction, assimilable Ă une rampe en miniature que, dans un certain sensuelle ne rĂ©ussit jamais Ă gravir, mais qu'elle chasse devant elle. On constate que le cheminement est d'autant plus important que les traverses sont plus espacĂ©es ; sans doute parce que, dans ce cas, le rail flĂ©chit davantage entre deux traverses. De l'expĂ©rience de tous les chemins de fer, les pires cas de cheminement se produisent toujours sur une plateforme compressible oĂč une action ondulatoire visible prend naissance sous les charges. 3° Au cours du freinage, lorsque l'on exerce au moyen du sabot de frein une pression Q sur une roue chargĂ©e d'un poids P fig. 160, cette pression engendre une action tangentielle retardatrice Ă©gale Ă fQ. D'autre part, la rĂ©action du rail sur la roue produit, au contraire, une action tangentielle horizontale ÏP tendant Ă faire tourner la roue dans le sens de la marche du train. Fig. 160 Ces deux efforts doivent constamment se faire Ă©quilibre. Au fur et Ă mesure que la pression Q croĂźt, ÏP augmente. Comme P est constant, le coefficient Ï augmente. Il en rĂ©sulte que, lors des freinages, l'action horizontale ÏP des roues porteuses est augmentĂ©e. Par ailleurs, Ă ce moment, le rĂ©gulateur de la prise de vapeur est fermĂ©, les roues motrices et accouplĂ©es deviennent porteuses et leur action antagoniste disparaĂźt ; il est clair que, dans ces conditions, le cheminement est plus accentuĂ©. Il est Ă remarquer que ÏP, tout en augmentant, doit rester sous la limite d'adhĂ©rence si l'on veut Ă©viter le calage des roues, la pression Q doit donc rester dans une limite dĂ©terminĂ©e. DĂšs que le calage se produit, l'action retardatrice n'est plus le frottement des blocs de frein sur les roues, mais le frottement de glissement, beaucoup plus faible, des roues sur les rails. Le cheminement est maximum aux abords des gares et sur les lignes dĂ©clives oĂč le freinage est frĂ©quent et continu. La S. N. C. B. multiplie les dispositifs anticheminants sur les sections des lignes en forte pente. Pour un train de voyageurs de longueur moyenne et, Ă fortiori, pour un train de marchandises, remorquĂ© par une locomotive Ă vapeur ou Ă©lectrique, l'influence des chocs des roues aux abouts des rails est prĂ©dominant et semble suffire pour expliquer le cheminement en avant qui seul se constate. Sur une ligne Ă double voie qui ne serait parcourue que par des automotrices ou des autorails pour lesquels le nombre de roues motrices est trĂšs grand par rapport au nombre de roues porteuses, le cheminement en avant pourrait ĂȘtre moindre. Enfin, si l'on envisage une ligne Ă double voie, reliant, par exemple, un dĂ©pĂŽt de locomotives Ă une gare, ligne sur laquelle ne circuleraient que des locomotives Ă forte adhĂ©rence et roulant haut le pied », le cheminement pourrait se produire dans le sens opposĂ© Ă celui de la circulation. De mĂȘme, le cheminement en avant peut ĂȘtre sĂ©rieusement freinĂ© sur un tronçon de voie oĂč les dĂ©marrages sont frĂ©quents note 140, lesquels s'accompagnent parfois du pivotement des roues motrices et accouplĂ©es. Si, comme nous l'avons dit, l'influence des chocs est prĂ©dominante, on comprendra, et c'est ce qui se constate, que le cheminement sera d'autant plus grand que les roues seront plus chargĂ©es, que le trafic tonnage sera plus grand et que la vitesse sera plus grande. Sur une ligne Ă double voie, le cheminement est le plus accentuĂ© sur la voie la plus chargĂ©e. Courbes. - Dans les courbes, le cheminement est plus accusĂ© sur la file de rails oĂč la charge est la plus Ă©levĂ©e. Si le dĂ©vers est Ă©tabli pour les grandes vitesses, la file de rails du petit rayon de la courbe supporte des charges plus lourdes que celle du grand rayon, c'est alors le rail intĂ©rieur de la courbe qui doit cheminer le plus et c'est ce que l'on observe. Si, au contraire, le surhaussement du rail extĂ©rieur est insuffisant, c'est celui-ci qui aurait tendance Ă prendre de l'avance sur le rail intĂ©rieur. DĂ©clivitĂ©s. - Sur les lignes fortement dĂ©clives, plus de 15 mm/m par exemple plan inclinĂ© d'Ans Ă LiĂšge 33 mm/m, les effets de la dilatation s'ajoutent au cheminement provoquĂ© par la circulation et le freinage. Le rail s'allonge dans le sens de la pente lors d'une hausse de la tempĂ©rature et, Ă cause de la gravitĂ©, ne remonte pas lors de la contraction due au refroidissement ultĂ©rieur. B. - Lignes Ă simple voie. Sur les lignes Ă voie unique, parcourues dans les deux sens, le cheminement ne s'observe guĂšre. S'il se produit, c'est alors dans le sens de circulation des trains les plus lourds et les plus rapides ou dans le sens des pentes ou encore dans les sections courbes. Parfois un rail d'une voie unique chemine plus que l'autre ou bien il chemine en sens contraire de l'autre sans qu'il soit possible d'expliquer ce fait. Sur une ligne Ă voie unique aboutissant Ă une gare en impasse, l'effet des freinages Ă l'arrivĂ©e et celui des dĂ©marrages au dĂ©part pour repartir en sens inverse peuvent s'ajouter pour provoquer un cheminement dans la direction du heurtoir. C. - Nuisance et danger du cheminement. Le cheminement tend Ă fermer les joints de dilatation dans le voisinage des points fixes vers l'aval en voies principales aiguillage, bifurcation, traversĂ©e, cuvette entre pente et rampe ; en voies accessoires les ponts tournants, les ponts Ă peser. Ce resserrement des joints, en aval est naturellement accompagnĂ© d'une augmentation correspondante de l'ouverture des joints en amont. Tout cheminement qui n'est pas attĂ©nuĂ© suffisamment, exerce un grand effort sur tout obstacle en aval. Il y a alors de grands risques de flambement » de la voie dans son ensemble lorsque survient une brusque Ă©lĂ©vation de tempĂ©rature note 141. Ce flambement est accompagnĂ© d'un Ă©largissement ou d'un rĂ©trĂ©cissement de l'entrevoie. Si les traverses cheminent, elles se placent en porte Ă faux sur leurs moules et tendent Ă s'incliner. D. - Cheminement diffĂ©rentiel ou chevauchement. Le cheminement n'est pas toujours le mĂȘme pour les deux files de rails d'une mĂȘme voie, mĂȘme en alignement droit. Le rail du cĂŽtĂ© de l'accotement avance plus vite que celui du cĂŽtĂ© de l'entrevoie, c'est-Ă -dire que, sur les rĂ©seaux oĂč les trains prennent la gauche, le rail de gauche chevauche sur le rail de droite. Diverses raisons ont Ă©tĂ© mises en avant pour expliquer ce phĂ©nomĂšne sans que l'on soit parvenu Ă Ă©lucider complĂštement la question. D'aucuns y trouvent une justification dans le fait que la traverse est moins bien soutenue du cĂŽtĂ© de l'accotement que du cĂŽtĂ© de l'entrevoie ; cette raison n'est pas pĂ©remptoire car le rail peut cheminer sur la traverse sans que celle-ci se dĂ©place. Sur certains rĂ©seaux, avec circulation Ă gauche, on a cherchĂ© une relation entre le cheminement du rail de gauche et le fait que, sur ces chemins de fer, la manivelle motrice de gauche des locomotives est en avance sur la manivelle de droite. Cette explication, basĂ©e sur la dissymĂ©trie de la locomotive, trouverait une justification dans le fait que sur le Great Eastern Railway, oĂč la manivelle du cĂŽtĂ© droit des locomotives est en avance sur celle de gauche, il a Ă©tĂ© constatĂ©, au contraire, que c'Ă©tait le rail de droite qui, en alignement droit, cheminait plus que le rail de gauche. La mĂȘme observation a Ă©tĂ© faite sur les chemins de fer du Midi français. LĂ oĂč les trains prennent la droite, c'est aussi le rail de gauche qui chemine. Sur les lignes Ă©lectriques Ă mĂ©canisme moteur central, le cheminement parallĂšle existe mais pas le chevauchement. Comme le chevauchement a pour consĂ©quence que les traverses se disposent obliquement et que, dĂšs lors, l'Ă©cartement des rails diminue, il est indispensable d'y remĂ©dier dĂšs qu'il atteint quelques centimĂštres. Fig. 161 Exemple d'un chevauchement trĂšs particulier constatĂ© certain jour sur la ligne de Bruxelles Ă Ostende aux abords de Bruges fig. 161. Il s'agit d'une pose en rails de 52 kg/m. Or, en vue de freiner le cheminement, les tirefonds traversaient les ailes des Ă©clisses corniĂšres des joints ; de ce chef, l'avance du rail de gauche sur le rail de droite avait entraĂźnĂ© les seules traverses de contre-joint, les traverses intermĂ©diaires Ă©taient restĂ©es normales Ă la voie, les rails ayant simplement glissĂ© sur celles-ci par suite d'un serrage insuffisant des attaches. E. - Sur les Tramways Il ne se produit pas de cheminement pour les rails Ă orniĂšre. Les raisons sont les suivantes Les rails sont soudĂ©s sur une grande longueur. Les charges par essieu sont plus faibles et partant les efforts dynamiques sont moindres. F. - RemĂšdes contre le cheminement. Il est difficile d'empĂȘcher le cheminement d'une façon radicale. On parvient assez bien Ă rĂ©duire, voire Ă annuler, le cheminement du rail par rapport aux traverses, mais il est plus difficile d'empĂȘcher que le rail se dĂ©place avec les traverses. Celles-ci cheminent avec un dĂ©placement du moule. Quoi qu'il en soit, un cheminement important est gĂ©nĂ©ralement l'indice que la voie est mal entretenue ou bien que sa superstructure n'est pas en rapport avec son trafic. Il en dĂ©coule que le premier remĂšde contre le cheminement est d'avoir une voie bien entretenue et une plateforme bien drainĂ©e. Evidemment, l'entretien de la voie ne peut s'opposer qu'au cheminement et non Ă sa cause l'action dynamique des vĂ©hicules, mais l'effet de celle-ci augmente avec le dĂ©faut d'entretien. Le second remĂšde consiste Ă rĂ©duire le nombre de joints par l'emploi de rails de grande longueur obtenus soit directement par laminage, soit par soudure de rails de longueur normale note 142. En effet, d'une part, Ă longueur de voie Ă©gale, on rĂ©duit le nombre de chocs des roues sur les extrĂ©mitĂ©s des rails ; d'autre part, la rĂ©sistance de frottement du rail sur les traverses qui doit absorber l'effort de cheminement est d'autant plus grande que le rail est plus long. Enfin, le rail lui-mĂȘme est solidaire d'un plus grand nombre de traverses et par consĂ©quent le cheminement des traverses sur le ballast est plus efficacement combattu. Anti-cheminants. En ce qui concerne les mesures spĂ©ciales, nous poserons Ă la base le principe suivant les mesures prises contre le cheminement ne doivent pas intĂ©resser le joint. La pratique qui consiste Ă faire passer les tirefonds par des entailles ou des trous mĂ©nagĂ©s dans les ailes plates des Ă©clisses corniĂšres doit ĂȘtre condamnĂ©e. Les traverses de contre-joint ont dĂ©jĂ une assez lourde tĂąche sans devoir remplir par surcroĂźt le rĂŽle de moyen de retenue contre le cheminement. Par ailleurs, l'assemblage des Ă©clisses aux rails supporte suffisamment d'Ă©branlements sans y ajouter encore un nouvel effort. La tendance moderne est d'employer des dispositifs spĂ©ciaux agissant sur les traverses intermĂ©diaires. Ces dispositifs peuvent ĂȘtre Ă action positive, Ă frottement. Les premiers comportent un dispositif d'arrĂȘt, par exemple, un bout d'Ă©clisse corniĂšre fig. 162 ou une plaque d'arrĂȘt, boulonnĂ©e au rail et venant buter contre une traverse intermĂ©diaire. Ces dispositifs nĂ©cessitent le forage de trous dans l'Ăąme du rail. Fig. 162. - Dispositif d'arrĂȘt boulonnĂ© au rail. Il existe des dispositifs Ă frottement qui Ă©vitent ce forage. a Selle anti-cheminement Winsby fig. 163. Elle se compose de deux piĂšces Ă mĂąchoires, le verrou et la semelle, qui enserrent de part et d'autre le patin du rail. Ces deux piĂšces s'agrafent par rainure et languette Ă crochet suivant un joint oblique. Il en rĂ©sulte qu'en chassant le verrou dans la semelle, les mĂąchoires serrent de plus en plus sur le patin. Tout cheminement qui tend Ă se produire, accentue le serrage sur le patin. La semelle comporte une face d'appui F en retour d'Ă©querre, portant contre la traverse intermĂ©diaire qui, par frottement sur le moule de ballast, doit rĂ©sister Ă l'effort de cheminement. b La fig. 164 reprĂ©sente un autre modĂšle d'ancre anti-cheminante. Elle se compose de deux piĂšces une griffe en acier dĂ©coupĂ©, un coin en acier estampĂ© exactement au profil du patin du rail. Elle coĂ»te moins cher que la selle Winsby qui est en acier coulĂ©. ** * Pour Ă©viter que la traverse intermĂ©diaire qui reçoit l'effort des butĂ©es d'arrĂȘt boulonnĂ©es fig. 162, ne se dĂ©place sur le ballast, on la relie Ă quatre ou cinq traverses en amont par rapport au sens du cheminement par des lattes de cheminement, fixĂ©es Ă ces traverses par des tirefonds. Ces lattes se placent aujourd'hui parallĂšlement aux rails et Ă l'extĂ©rieur de la voie oĂč leur action est plus efficace. Si la tendance au cheminement est grande, on peut multiplier le nombre de butĂ©es pour reporter l'effort sur un nombre suffisant de traverses intermĂ©diaires. A la S. N. C. B., lorsque les Ă©clisses d'arrĂȘt boulonnĂ©es ne suffisent pas, on ajoute, Ă chaque traverse, une selle Winsby ou une ancre anti-cheminante et cela, pour Ă©viter de devoir forer de nouveaux trous dans l'Ăąme du rail. Avec la pose sur traverses mĂ©talliques, on place un anti-cheminant Ă autant de traverses que de besoin. Le systĂšme d'attache des traverses Angleur-Athus dispense de l'emploi de dispositifs spĂ©ciaux pour combattre le cheminement du rail par rapport Ă la traverse. QUATRIĂME PARTIELes Appareils de la Voie Introduction. Parmi les appareils de la voie, on distingue 1° Les appareils qui servent Ă faire traverser une voie par une autre voie, ce sont les traversĂ©es qui peuvent ĂȘtre rectangulaires ou obliques fig. 165 et 166. 2° Les appareils qui permettent le passage des vĂ©hicules d'une voie sur une autre voie. On rencontre ici deux catĂ©gories d'appareils a ceux qui permettent le passage continu des vĂ©hicules, ce sont les branchements fig. 167 ; b les dispositifs qui exigent l'arrĂȘt du train et, le plus souvent, ne permettent le passage que des vĂ©hicules un Ă un, ce sont les plaques tournantes, les transbordeurs. Le branchement comporte un changement de voie aiguillage et un croisement fig. 167, alors que la traversĂ©e fig. 168 est composĂ©e de quatre croisements deux croisements aigus ou croisements proprement dits et deux croisements obtus, communĂ©ment dĂ©nommĂ©s traversĂ©es dans le sens restreint du mot. On retrouve donc dans les traversĂ©es et les branchements une partie analogue le croisement. CHAPITRE ILes branchements 1. GĂ©nĂ©ralitĂ©s A. - Description. Les aiguilles aa', bb' fig. 169 sont manĆuvrĂ©es autour des talons a', b' ; ce sont les pointes a, b qui se dĂ©placent. Les deux files extĂ©rieures de rails sont continues. Les files intĂ©rieures comprennent les parties mobiles aa', bb' qu'on appelle les aiguilles parce que ce sont des tronçons de rails dont les extrĂ©mitĂ©s sont effilĂ©es. Les pointes des aiguilles peuvent ainsi venir s'appuyer, sans former de saillie sensible, contre las rails extĂ©rieurs aux points a et b. Fig. 169. - Le branchement - commande par tringle. GĂ©nĂ©ralement, les deux aiguilles se dĂ©placent ensemble. Elles sont reliĂ©es entre elles par une ou deux tringles d'Ă©cartement t articulĂ©es de telle maniĂšre que le parallĂ©logramme puisse se dĂ©former quand les aiguilles se dĂ©placent. Dans la position indiquĂ©e N du levier de manĆuvre, la position normale, la voie est faite pour la direction AB ; dans la position renversĂ©e R, elle serait faite pour la direction AC. A l'endroit du croisement c des rails intĂ©rieurs, des orniĂšres sont mĂ©nagĂ©es pour le passage des mentonnets des roues. Le branchement comporte en outre de l'aiguille et du croisement, l'arc de branchement a'a". B. - Types d'aiguillages. Un aiguillage peut ĂȘtre caractĂ©risĂ© par la forme des aiguilles aiguilles rigides qui peuvent ĂȘtre droites ou courbes, aiguilles flexibles ; par sa talonnabilitĂ© Ă©ventuelle ; par le nombre de voies qu'il commande Ă deux directions, Ă trois directions ; par le mode de commande des aiguilles commande Ă la main, commande par transmission mĂ©canique rigide ou flexible, commande par transmission par fluide transmission Ă©lectrique ou pneumatique ou hydraulique. C. - Forme des aiguilles. On utilise des aiguilles rigides droites ou courbes et des aiguilles flexibles. Le plus souvent, la voie principale est la voie directe, c'est-Ă -dire qu'elle se prĂ©sente en alignement droit voir fig. 169. Dans ces conditions, l'aiguille bb' donnant accĂšs Ă la voie directe est une aiguille droite, mais l'aiguille aa' donnant accĂšs Ă la voie dĂ©viĂ©e peut ĂȘtre une aiguille droite ou une aiguille courbe. Les aiguilles droites sont simples, rĂ©sistantes Ă la pointe et moins coĂ»teuses. Elles simplifient les approvisionnements qui ne comportent que deux modĂšles pour les dĂ©viations Ă droite et Ă gauche alors qu'il en faut quatre avec les aiguilles courbes. D. - TalonnabilitĂ©. Si le train arrive de B et se dirige vers A, il prend les aiguilles par le talon et trouve la voie ouverte si l'appareil est disposĂ© normalement comme le montre la figure 169. Si l'appareil Ă©tait dans la position renversĂ©e, reprĂ©sentĂ©e en pointillĂ©, les mentonnets des roues, roulant contre le rail extĂ©rieur, refouleraient les aiguilles dans la position convenable. Lorsque ce dĂ©placement forcĂ© peut se faire sans bris ou dĂ©formation d'aucune piĂšce, on dit que les aiguilles sont talonnables. E. - Dispositions adoptĂ©es pour les branchements. a Branchements simples. - Sur les plans, les branchements fig. 170 sont gĂ©nĂ©ralement reprĂ©sentĂ©s comme l'indique le croquis fig. 171, les axes des deux voies faisant entre eux l'angle α du croisement. D'une maniĂšre gĂ©nĂ©rale, la voie courbe du branchement se pose sans dĂ©vers, Ă moins que cette voie ne soit importante et doive ĂȘtre parcourue Ă vitesse assez grande ; dans ce cas, l'ensemble du branchement et partant les deux voies se posent en dĂ©vers note 148. b Branchements doubles. - Le branchement double est formĂ© d'une voie directe sur laquelle se greffent deux voies dĂ©viĂ©es. Les branchements doubles symĂ©triques comportent un changement Ă trois voies, les voies dĂ©viĂ©es Ă gauche et Ă droite partant du mĂȘme point fig. 172. Fig. 174. - Branchement double dissymĂ©trique avec les deux dĂ©viations du mĂȘme cĂŽtĂ©. Ce systĂšme prĂ©sente l'inconvĂ©nient que les parties mobiles des appareils se maintiennent difficilement dans un mĂȘme plan horizontal et que des confusions dans la manĆuvre des aiguilles sont frĂ©quentes. Aussi prĂ©fĂšre-t-on faire chevaucher l'une des dĂ©viations sur l'autre fig. 173, ce qui donne une installation plus solide et permet de faire la pose avec des aiguilles ordinaires. On peut de la mĂȘme maniĂšre Ă©tablir des branchements doubles dissymĂ©triques dont les deux dĂ©viations sont du mĂȘme cĂŽtĂ© fig. 174. Ces branchements dissymĂ©triques sont encore dĂ©signĂ©s sous le nom de branchements enchevĂȘtrĂ©s. L'angle formĂ© par les deux voies se dĂ©finit par sa tangente, exprimĂ©e en fraction dĂ©cimale comme en France 0,09 - 0,11 - 0,125, etc. ou, ce qui est plus commode pour le tracĂ© des plans, en fraction ordinaire comme en Allemagne 1/11 - 1/9 - 1/8, etc. En Belgique, l'angle de croisement est exprimĂ© en degrĂ©s, minutes, secondes et dessinĂ© Ă l'aide de la tangente = 5°1'24", tg= 0, ou 1/11,3 ; = 6°11'55", tg= 0, ou 1/9,2 ; = 7°7'30", tg= 0, ou 1/8 ; etc. F. - Pourquoi le branchement normal, c'est-Ă -dire Ă aiguilles courtes 5 m ou de longueur moyenne 6 m, constitue-t-il un point faible dans la voie ? Pour trois raisons Le soutien imparfait des aiguilles. L'aiguille est, en effet, moins solidement Ă©tablie que le reste de la voie, car elle ne peut ĂȘtre supportĂ©e que par des coussinets sur lesquels elle doit pouvoir se dĂ©placer. La prĂ©sence d'un coude inĂ©vitable Ă la pointe de l'aiguille angle de dĂ©viation de l'aiguille. Le faible rayon de courbure de la voie dĂ©viĂ©e. G. - Longueur des branchements. Il y a gĂ©nĂ©ralement grand intĂ©rĂȘt Ă utiliser des branchements courts Pour permettre de donner aux voies des stations le maximum de longueur utile note 149 et de tirer ainsi tout le parti possible de la superficie disponible. Les appareils courts peuvent ĂȘtre groupĂ©s sur une Ă©tendue rĂ©duite d'oĂč facilitĂ© de manĆuvre et de surveillance. Les branchements courts rĂ©duisent le temps nĂ©cessaire au dĂ©gagement des itinĂ©raires ce qui accĂ©lĂšre les manĆuvres. Cependant, pour la facilitĂ© de la circulation, il conviendrait d'avoir des courbes de grand rayon. Mais alors le branchement s'allonge et la place occupĂ©e par l'appareil augmente ; en outre, les courbes de grand rayon conduisent Ă un angle du croisement trĂšs aigu. Pour les appareils de bifurcation, quand la question de superficie disponible n'est pas en jeu, il peut y avoir, dans certains cas, intĂ©rĂȘt Ă adopter un grand rayon plutĂŽt qu'un branchement court. La longueur du branchement dĂ©pend du rayon de la voie dĂ©viĂ©e formule 9, page 153. Puisque nous voulons employer des branchements courts, ce rayon devra ĂȘtre le plus petit possible compatible avec la vitesse de circulation. Les deux desiderata sont donc contradictoires. Dans les gares, les voies parcourues par des trains complets ne peuvent prĂ©senter des rayons infĂ©rieurs Ă 180 mĂštres. Ăvidemment, si on insĂšre dans les voies principales des branchements de petit rayon, on ne pourra circuler Ă grande vitesse que sur la voie droite. Sur la voie dĂ©viĂ©e, en courbe de 180 m de rayon, les trains devront ralentir Ă 40 km/h. 2. - Relations A. Calcul de l'orniĂšre Ă mĂ©nager au talon de l'aiguille de dĂ©viation. ConsidĂ©rons l'aiguille de dĂ©viation AO fig. 175. ThĂ©oriquement, son axe se raccorde tangentiellement Ă celui du rail, l'aiguille Ă©tant entaillĂ©e pour pouvoir s'appliquer contre le rail. Fig. 175. - Aiguille de dĂ©viation OA. Au talon A de l'aiguille, il faudra mĂ©nager une orniĂšre d2 suffisante pour laisser passer le mentonnet des roues et pour Ă©viter que l'aiguille effacĂ©e ne soit Ă aucun endroit touchĂ©e par le mentonnet de la roue. L'orniĂšre d2 reprĂ©sente la distance entre la face latĂ©rale du talon de l'aiguille et la face latĂ©rale du rail d'applique. Elle correspond Ă la diffĂ©rence entre l'Ă©cartement normal des faces intĂ©rieures des rails voie neuve 1,435 m et la plus petite valeur de e fig. 177 . 1 Or, d'aprĂšs l'UnitĂ© Technique Internationale note 150, la distance rĂ©glementaire entre les faces intĂ©rieures des bandages des roues d'un mĂȘme essieu est de 1,360 m avec une tolĂ©rance de 3 mm en plus ou en moins, soit 1,357 m et 1,363 m. D'oĂč . 2 dl = largeur rĂ©glementaire du mentonnet = 33 mm note 151, mais il faut tenir compte des tolĂ©rances. Fig. 176 L'Ă©paisseur maximum de dl bandage neuf est Ă©gale Ă fig. 177 . 3 Fig. 177. - Calcul de l'orniĂšre Ă amĂ©nager au talon de l'aiguille. Mais quand le bandage est arrivĂ© Ă sa limite d'usure, dl = 20 mm. Il s'ensuit que la valeur minimum de e est . 4 Dans ces conditions, puisque formule 1 la largeur d2 de l'orniĂšre doit ĂȘtre au moins Ă©gale Ă d2 = 1,435 m voie neuve - emin, on a, d'aprĂšs la formule 4 d2 = 1,435 m - 1,377 m = 58 mm = 60 mm. 5 Souvent, on prend d2 = 60 mm pour tenir compte d'un Ă©largissement possible de la voie. Si nous voulons connaĂźtre la dĂ©viation » minimum, c'est-Ă -dire la distance d d'axe en axe de l'aiguille et du rail contre-aiguille fig. 175 et 177, nous devrons ajouter Ă d2 deux demi-Ă©paisseurs de bourrelet du rail soit 72 mm avec le rail de 50 kg/m ou 62 mm avec le rail de 40 kg/m et nous aurons selon le cas d = d2 + 72 mm = 58 + 72 = 130 mm ou d = d2 + 62 mm = 58 + 62 = 120 mm. 6 B. - Relations entre les Ă©lĂ©ments de l'aiguille de dĂ©viation proprement dite. Fig. 178 DĂ©terminons le rayon de courbure R de l'aiguille en fonction de la largeur de l'orniĂšre d et de la longueur l de l'aiguille proprement dite fig. 178 l = AB = OA. Dans le cercle de rayon R, on a et en nĂ©gligeant d2 devant 2 R lÂČ = 2Rd d'oĂč La longueur de l'aiguille l dĂ©pend donc de la largeur d de l'orniĂšre au talon et du rayon R de la voie dĂ©viĂ©e. Or, d = 120 Ă 130 mm. Pour que R soit Ă©gal Ă 300 mĂštres, avec d = 130 mm, il faut . Pour que R soit Ă©gal Ă 500 mĂštres, avec d = 130 mm, il faut . Ordinairement, on n'emploie pas des aiguilles rigides aussi longues, ce serait insĂ©rer dans la voie un trop long tronçon de rail mal soutenu, exposĂ© Ă flĂ©chir ; en outre, plus l'aiguille est longue, plus elle est lourde et plus sa manĆuvre devient dure. La longueur normale actuelle des aiguilles rigides note 153 est, Ă la S. N. C. B., de 5 mĂštres. La formule 8 montre que l'emploi d'aiguilles courtes conduit Ă des aiguilles de petit rayon. C. - Relations entre les Ă©lĂ©ments principaux du branchement. Fig. 179. - Le branchement. Soient, fig. 179 L = la longueur totale du branchement comprenant la longueur Aa de l'aiguille proprement dite, l'arc de raccord ab du branchement, la branche bC du croisement proprement dit jusqu'Ă la pointe de cĆur mathĂ©matique C. R = le rayon de la voie dĂ©viĂ©e ACE = l'angle du croisement e = l'Ă©cartement de la voie. Quelle est l'influence de l'anglesur la longueur L du branchement et sur le rayon R de la voie dĂ©viĂ©e ? et, nĂ©gligeant AD devant 2 R, on a , d'oĂč or 10 on a successivement Il s'ensuit que les valeurs de L et de R du branchement augmentent au fur et Ă mesure que l'angle a du croisement diminue, e Ă©tant une constante. La formule 13 dĂ©duite de 12, montre que des courbes de grand rayon donnent Ă l'angledu croisement, une valeur trĂšs petite. Or, nous verrons combien l'acuitĂ© de cet angle constitue un danger. Le rayon R ne peut descendre au-dessous de 180 mĂštres pour les branchements parcourus par les trains Ă l'entrĂ©e en gare. Cette limite imposĂ©e Ă R, fixe en mĂȘme temps une limite Ă et dĂ©cide du choix des appareils de croisement. L'adoption d'un rayon de 180 mĂštres dans la voie dĂ©viĂ©e des branchements conduit Ă un type d'appareil prĂ©sentant un croisement de tangente 1/9 en usage sur la plupart des rĂ©seaux angle d'environ 6°. Pour ne pas multiplier les types de croisement, les rĂ©seaux se bornent Ă construire quelques modĂšles d'appareils. Par exemple, la S. N. C. B. a adoptĂ© Croisements en rails de 50 kg/m. Types Longueur des appareils Branche dĂ©viĂ©e Angle Ă la pointe mathĂ©matique Angle Ă la sortie Tangente de lâangle Ă la sortie H0 8,750 R m 2° 51'44" 3° 8'55" 0, H1 6,000 R 561 m 4° 5' 0" 4°29'33" 0, H2 5,200 droite 5° 1'24" 5° 1'24" 0, H3 4,850 droite 6°11'55" 6°11'55" 0, H4 4,450 droite 7° 7'30" 7° 7'30" 0, H5 4,200 droite 8° 57' 1" 8°57' 1" 0, H6 4,000 droite 11°18'40" 11°18'40" 0, H7 3,500 droite 12°23'50" 12°23'50" 0, H8 3,200 droite 14°15' 0" 14°15' 0" 0, Remarque. - Les appareils H5 Ă H8 ne sont utilisĂ©s que dans les traversĂ©es de voies. 3. - Construction des branchements A. - Calcul et tracĂ©. 1° Branchements Ă aiguilles droites manĆuvrĂ©es par rotation autour du talon aiguilles articulĂ©es. Le tracĂ© de la voie dĂ©viĂ©e AC d'un branchement fig. 179 n'est pas rigoureusement tangent en A Ă l'alignement de la voie AB parce qu'il est impossible de rĂ©aliser la lame de couteau » que cela exigerait ; le tracĂ© prĂ©sente, Ă la pointe de l'aiguille, un angle de dĂ©viation» fig. 180. L'aiguille de dĂ©viation droite ou courbe est raccordĂ©e au croisement proprement dit par l'arc de branchement ab fig. 179, en forme d'arc de cercle de rayon R. Nous supposerons que les branches bC fig. 179 du croisement proprement dit sont conservĂ©es droites note 155_1. Fig. 180 L'angle de dĂ©viationdoit ĂȘtre minimum, mais la nĂ©cessitĂ© de donner Ă la pointe de l'aiguille une soliditĂ© suffisante, ne permet pas de descendre au-dessous de 30 minutes. Par ailleurs, nous avons vu, page 152, que la dĂ©viation minimum d au talon de l'aiguille doit ĂȘtre de 120 mm Ă 130 mm selon le profil du rail. Pour rĂ©aliser cet angle de dĂ©viationde 30 minutes, au moyen d'aiguilles droites fig. 180, il faudrait leur donner une longueur de 13,745 m note 155_2 ; or, la longueur de 5 mĂštres est de rĂšgle actuellement Ă la S. N. C. B. Remarque. - A mesure que la longueur AT de l'aiguille augmente, le rayon R de l'arc de branchement TB diminue. En effet fig. 181, partons d'un angle de dĂ©viation donnĂ©et d'une longueur donnĂ©e d'aiguille droite AT. Fig. 181. - A mesure que la longueur de l'aiguille augmente, le rayon de l'arc de branchement diminue. La longueur totale du branchement AC est dĂ©terminĂ©e par la condition pratique d'avoir deux tangentes Ă©gales ST-SB pour la courbe du rail intercalaire TSB. BD = l'alignement droit du croisement. Nous constatons que si nous allongeons l'aiguille AT jusqu'en T', la condition S'T' = S'B' refoule le croisement en C', mais plus le croisement recule, plus la longueur des tangentes diminue. La longueur de l'arc TSB diminue, mais son angle au centre, Ă©gal Ă , reste constant. Le rayon R de l'arc intercalaire est Ă©gal Ă ,, il dĂ©pend donc de la longueur des tangentes, de la longueur de l'aiguille, de la valeur de l'angle au centre. Comme , nous voyons que, pour un angle de croisementdonnĂ©, plus l'angle de dĂ©viationest petit, plus l'angle au centreaugmente et par consĂ©quent plus le rayon de l'arc intercalaire diminue puisque . Plus l'angleest petit et plus le rayon augmente. 2° Branchements Ă aiguille de dĂ©viation courbe manĆuvrĂ©e par rotation autour du talon. Les deux inconvĂ©nients que nous avons signalĂ©s Ă propos de l'aiguille droite longueur exagĂ©rĂ©e des aiguilles et faible rayon de l'arc de branchement, sont attĂ©nuĂ©s par l'emploi d'aiguilles de dĂ©viation courbes, tracĂ©es en arc de cercle. Fig. 182 Deux solutions sont possibles tracer l'aiguille CA tangentiellement au rail d'applique AB fig. 180, p. 155 et substituer, Ă l'extrĂ©mitĂ© de l'arc de cercle, une tangente CD rĂ©alisant l'angle de dĂ©viation minimum de 30 minutes ; tracer l'aiguille en arc de cercle coupant le rail d'applique sous un angle de 30 minutes fig. 182. Cette derniĂšre solution, qui pour un mĂȘme angle de dĂ©viation, donne une aiguille plus courte, doit ĂȘtre prĂ©fĂ©rĂ©e. Remarque. - Pour un mĂȘme angle de dĂ©viationĂ la pointe, une aiguille courbe c fig. 183 pourra ĂȘtre plus courte qu'une aiguille droite d mais la course AA' de la pointe devra ĂȘtre plus grande et Ă©gale Ă AA" pour dĂ©gager complĂštement l'orniĂšre entre le rail d'applique et l'aiguille. Cependant la course de la pointe qui doit ĂȘtre au moins Ă©gale Ă la dĂ©viation d page 152 ne peut dĂ©passer une limite dĂ©terminĂ©e qui est en gĂ©nĂ©ral de 120 Ă 160 mm note 157_1. Avec les aiguilles courbes, Ă cause de cette limite, l'orniĂšre d1 devient fig. 184, sur une certaine longueur de l'aiguille, plus petite que la dĂ©viation d au talon T, et, dĂšs lors, il est nĂ©cessaire d'adopter au talon une orniĂšre d2 plus grande qu'avec les aiguilles droites. a TracĂ© gĂ©omĂ©trique de l'aiguille courbe de dĂ©viation note 157_2. Soient AB et TP fig. 185, les bords intĂ©rieurs Ă la voie des bourrelets du rail d'applique et de l'aiguille courbe, se coupant en P sous l'angle de dĂ©viation. L'aiguille TP est tracĂ©e en arc de cercle de rayon R. Fig. 185. - TracĂ© gĂ©omĂ©trique de l'aiguille courbe de la voie dĂ©viĂ©e. Emplacement du talon de l'aiguille. Ătant donnĂ©et, R Ă©tant choisi en tenant compte des considĂ©rations dĂ©veloppĂ©es page 160, on dĂ©termine l'emplacement du talon T de façon que pour la facilitĂ© de la manĆuvre, l'aiguille soit la plus lĂ©gĂšre possible et, pour cela, elle devra ĂȘtre la plus courte possible ; dans sa position effacĂ©e, l'aiguille ne puisse ĂȘtre touchĂ©e par les mentonnets des roues. Il s'agit donc de dĂ©terminer l et d-f. On procĂšde par essais successifs Partant d'une longueur d'aiguille TP = l choisie approximativement, on dĂ©termine l'angle au centrede l'arc de cercle TP par la relation qui, traduite en degrĂ©s, donne . Dans le triangle OPN, la corde TP est Ă©gale Ă l, on a d'oĂč 1 et la distance BT du talon au rail d'applique c'est-Ă -dire la dĂ©viation d est Ă©gale Ă 2 La manĆuvre de l'aiguille l'amĂšne dans la position TP'. Dans le cas d'une aiguille courbe, le dĂ©placement PP' = a de la pointe est limitĂ© à ± 160 mm. L'arc a = PP' a pour rayon TP' = l, dĂšs lors, l'anglede rotation de l'aiguille est 3 Il se peut que cet anglesoit plus petit quec'est-Ă -dire que la tangente au talon de l'aiguille n'atteigne pas, pendant la manĆuvre, la parallĂšle Tt au rail d'applique menĂ©e par le talon T. Cherchons quelle est, dans ce cas, la valeur de l'orniĂšre rĂ©elle d-f. La flĂšche f de l'arc TP' dĂ©limitĂ© par cette parallĂšle Tt rĂ©sulte de la relation fig. 186 f = AO - OB = R - R cos 4 dans laquelle . Les formules 2 et 4 donnent 5 Enfin, les formules 1 Ă 4 donnent d-f en fonction de R, deet de a Il faut que la distance d-f soit au moins Ă©gale Ă la distance minimum nĂ©cessaire pour mettre l'aiguille Ă l'abri des chocs des mentonnets des roues. Fig. 186 Si l'on se donne l'angle de dĂ©viation, le rayon R et la course a, on dĂ©duit, puis ; au contraire, si l'on se donne, l et, on calcule R. DiffĂ©rents essais permettront de fixer la longueur minimum de l'aiguille pour la valeur admise pour le rayon R et pour la course PP' = a. Si la longueur trouvĂ©e pour l'aiguille Ă©tait trop grande, c'est-Ă -dire si elle Ă©tait incompatible avec une manĆuvre facile, c'est que le rayon R adoptĂ© pour l'aiguille serait trop grand et, dans ce cas, il faudrait reprendre les calculs en partant d'un rayon moindre. Remarque. - On rĂ©duit la longueur l de l'aiguille en augmentant la course de la pointe de façon que, dans ce cas f = 0. Si nous nous reportons aux figures 184 et 185, nous voyons que la valeur Ă donner Ă la course est Ă©gale Ă dans laquelle d est la dĂ©viation minimum et l la longueur de la corde de l'aiguille. b Arc de raccord DT du branchement. - Choix du rayon. - Courbure uniforme depuis la pointe de l'aiguille jusqu'au croisement. ConsidĂ©rons la fig. 187. De l'extrĂ©mitĂ© D de la branche du croisement au talon T de l'aiguille, l'arc de raccord du branchement a un rayon R'. En T, oĂč commence l'aiguille, la courbure change et le rayon devient R. Fig. 187 La partie TP du branchement oĂč la courbure est diffĂ©rente de celle de l'arc de branchement DT correspond Ă l'angle au centre. Le talon T, endroit oĂč la courbure change, se trouve Ă une distance l" de l'extrĂ©mitĂ© du croisement, mesurĂ©e perpendiculairement Ă la voie droite. On dĂ©montre note 160_1 que 6 Mais thĂ©oriquement, il y a intĂ©rĂȘt Ă rĂ©aliser une courbure uniforme dans la voie dĂ©viĂ©e des branchements depuis la pointe de l'aiguillage jusqu'au croisement. Dans ce cas, la partie Ă courbure diffĂ©rente de celle de l'arc de branchement disparait, que, l" devint lâ fig. 188 et la formule donne pour le rayon de courbure uniforme R' = R 7 oĂč lâ = la distance de l'extrĂ©mitĂ© de la branche du croisement au rail opposĂ© de la voie directe et= l'angle de croisement. Cette courbure uniforme R dĂ©pend donc de l'angle de dĂ©viationet des caractĂ©ristiques du croisement note 160_2. Mais la condition de la courbure uniforme dans l'aiguille et dans l'arc de branchement conduit Ă multiplier les types d'aiguillage dont le nombre devient nĂ©cessairement aussi grand que celui des types de croisements employĂ©s. Aussi rĂ©alise-t-on seulement l'uniformitĂ© de courbure dans les branchements les plus aigus le plus petit oĂč se rencontrent les plus grands rayons et qui sont par consĂ©quent adoptĂ©s pour les voies parcourues aux vitesses les plus grandes. Fig. 188. - Rayon de courbure uniforme. On utilise les aiguillages de ces branchements avec des croisements moins aigus pour autant Ă©videmment que le rayon R' de l'arc de branchement ne devienne pas trop petit. Ces aiguillages ont des anglesetdĂ©terminĂ©s et correspondent Ă une valeur d dĂ©terminĂ©e ; le croisement moins aigu a les caractĂ©ristiqueset lâ ce qui dĂ©termine l" = lâ - d. Le rayon R' de branchement dans le cas de la courbure non uniforme est donnĂ© par la formule 6. Il n'est toutefois pas recommandable de rĂ©aliser une courbure uniforme dans le branchement lorsque le croisement employĂ© est trĂšs aigu parce que la longueur des aiguilles devient trop grande. Remarque. - Pour adoucir l'entrĂ©e en courbe, certains rĂ©seaux, dont les chemins de fer belges, renoncent Ă rĂ©aliser la condition de courbure uniforme dans la voie dĂ©viĂ©e des branchements schĂ©ma de la figure 189. Fig. 189 Au lieu d'un rayon uniforme R1 = O1A = O1C R1 = m, par exemple, tracĂ© interrompu de la figure, ils augmentent le rayon Ă la pointe entre A et B par exemple R2 = O2A = O2B = m et le diminuent ensuite entre B et C par exemple R3 = O3B = O3C = m. c TracĂ© gĂ©omĂ©trique de l'aiguille T'O de la voie directe MN fig. 190. Dans tous les cas oĂč le rayon de la voie dĂ©viĂ©e MQ est plus petit que 400 mĂštres, il faut donner Ă la voie dĂ©viĂ©e une surlargeur e dĂ©terminĂ©e par le rayon R de la courbe note 162. Cette surlargeur est rĂ©alisĂ©e par un dĂ©placement du rail intĂ©rieur de CF en CâE fig. 190. Au point C, c'est-Ă -dire Ă la pointe du changement de voie qui constitue l'origine de la courbe, la surlargeur CCâ doit ĂȘtre Ă©gale Ă e. En amont du branchement, la voie est Ă©largie suivant DCâ. Fig. 190. - TracĂ© gĂ©omĂ©trique de l'aiguille de la voie directe. Pour permettre une construction facile, le rail d'applique CâE peut ĂȘtre rectiligne sur la longueur en contact avec l'aiguille. Pour cela, le rail dĂ©viĂ© DCâ, au lieu d'ĂȘtre tangent Ă l'arc de cercle CâC"E est tracĂ© suivant une sĂ©cante DC". Cependant, Ă la en cas d'aiguilles courbes, le rail contre-aiguille dĂ©viĂ© est Ă©galement courbe. Les pointes des deux aiguilles sont en regard l'une de l'autre. L'aiguille T'O de la voie droite doit, pour venir en contact avec le rail contre-aiguille DC", avoir sa pointe P' tournĂ©e vers l'extĂ©rieur, Ă cause de la surlargeur. On peut ou bien lui donner une forme rectiligne T'P' ou bien la forme brisĂ©e TâOP'. Dans le croisement proprement dit, la voie dĂ©viĂ©e est rectiligne et, au surplus, aucune surlargeur n'est rĂ©alisĂ©e afin que la roue soit bien guidĂ©e au passage des lacunes. La surlargeur est rĂ©alisĂ©e dans la courbe mĂȘme en traçant le rail intĂ©rieur suivant EF. A la S. N. C. F., EF est fixĂ©e Ă 3,50 m depuis l'origine de la courbe supposĂ©e en F. Les branchements Ă aiguille de dĂ©viation courbe prĂ©sentent sur ceux Ă aiguille droite le grand avantage d'un meilleur tracĂ© dans la voie dĂ©viĂ©e. En effet, les aiguilles courbes rĂ©duisent de moitiĂ© environ l'angle de dĂ©viationde l'aiguille droite, d'oĂč diminution du choc Ă l'entrĂ©e de la voie dĂ©viĂ©e. Elles diminuent la longueur du branchement, l'angle de la tangente au talon de l'aiguille Ă©tant plus grand avec l'aiguille courbe qu'avec l'aiguille droite. Par contre, les branchements Ă aiguille de dĂ©viation courbe nĂ©cessitent l'emploi d'appareils diffĂ©rents suivant que la voie dĂ©viĂ©e se dĂ©tache d'un cĂŽtĂ© ou de l'autre de la voie directe, tandis que le mĂȘme appareil peut servir dans les deux cas lorsque les aiguilles sont droites. B. - Changements de voie usuels de la S. N. C. B. note 163. 1° TracĂ© et construction du changement de voie Ă aiguilles droites articulĂ©es au talon. En 1929, date Ă partir de laquelle elle a Ă©tudiĂ© et rĂ©alisĂ© des changements de voie Ă aiguilles flexibles, la S. N. C. B. n'utilisait plus qu'un seul changement de voie Ă aiguilles articulĂ©es. Le schĂ©ma de cet appareil est donnĂ© figure 191. Fig. 191. - TracĂ© du changement de voie Ă aiguilles droites articulĂ©es de la S. N. C. B. Ses caractĂ©ristiques principales sont les suivantes A. TracĂ© la construction est symĂ©trique par rapport Ă l'axe AB ; les aiguilles et les rails contre-aiguilles sont droits ; l'angle de dĂ©viation Ă la pointe des aiguilles est exactement de 1°30'46" et non de 1°30' comme l'indique la figure 191 ; l'Ă©cartement de la voie au joint de pointe jjâ est normal 1,435 m ; au talon, la surlargeur est de 10 mm Ă©cartement 1,445 m et l'orniĂšre cd est de 60 mm portĂ©e, depuis 1938, Ă 72 mm par rabotage, vers l'extĂ©rieur de la voie, du bourrelet des aiguilles. En joignant jF etjâE, Ă©cartĂ©s de 1,577 m, on obtient Ă la pointe un Ă©cartement pp' de 1,455 m, soit 20 mm de surlargeur. B. Construction les aiguilles et les rails contre-aiguilles proviennent de rails ordinaires qui sont judicieusement rabotĂ©s ; les aiguilles ordinaires rigides sont articulĂ©es au talon, grĂące Ă un Ă©clissage maintenu lĂąche ; les aiguilles et les rails contre-aiguilles sont posĂ©s verticalement alors que les rails de la voie courante sont posĂ©s Ă l'inclinaison de 1/20. Dans ces conditions, l'assemblage de la voie courante Ă l'appareil est assurĂ© par un Ă©clissage ordinaire qui, au serrage, provoque la torsion des Ă©lĂ©ments assemblĂ©s ; la pointe de l'aiguille est accolĂ©e Ă la face latĂ©rale du rail contre-aiguille et fait lĂ©gĂšrement saillie sur celui-ci. Cette saillie peut prĂ©senter un danger pour la circulation des essieux dont le bandage est prĂšs d'atteindre la limite d'usure. La conception de ce changement de voie lui donne l'avantage d'une large utilisation ; par contre, elle conduit, dans tous les cas, Ă une solution imparfaite. Ce changement de voie peut ĂȘtre combinĂ© indiffĂ©remment avec des croisements d'angles diffĂ©rents 4°5'0" - 5°1'24" - 6°11'55" - 7°7'30" - 8°57'01". Ainsi, il donne lieu Ă une gamme de branchements qui rĂ©pondent Ă tous les cas d'application. Il peut ĂȘtre posĂ© indiffĂ©remment en dĂ©viation droite, fig. 192, ou en dĂ©viation gauche, fig. 193, ainsi qu'en symĂ©trie complĂšte, fig. 194, ou en toute position intermĂ©diaire entre les positions droite et gauche. Mais le tracĂ© de la voie est fort irrĂ©gulier et s'oppose Ă la circulation Ă une vitesse supĂ©rieure Ă 40 km/h, quel que soit le rayon de la voie dĂ©viĂ©e dans le branchement. En effet, ce tracĂ© comporte toujours une dĂ©viation angulaire fort Ă©levĂ©e 1°30'46" ; un tronçon droit de 5 m longueur de l'aiguille ; un excĂšs de surlargeur Ă la pointe 20 mm qui provoque un flottement des essieux qui parcourent la voie directe. Ce flottement donne lieu Ă des chocs violents aux grandes vitesses. Quant aux essieux qui empruntent la voie dĂ©viĂ©e, l'angle sous lequel ils attaquent l'aiguille peut ĂȘtre supĂ©rieur Ă l'angle de dĂ©viation de l'aiguille dĂ©jĂ fort Ă©levĂ© si l'essieu se prĂ©sente Ă la pointe de l'aiguille dans une position oblique Ă la voie Ă la faveur de cet Ă©cartement excessif. Enfin, l'articulation au talon rĂ©alisĂ©e par un Ă©clissage lĂąche, laisse Ă l'aiguille une mobilitĂ© propice Ă l'usure rapide et Ă la destruction des piĂšces constitutives. 2° Changements de voie Ă aiguilles flexibles ou aiguilles Ă©lastiques. La substitution d'aiguilles flexibles, manĆuvrant par flexion, aux aiguilles rigides, articulĂ©es au talon, permet de rĂ©aliser un meilleur tracĂ© dans la voie dĂ©viĂ©e. Le plus souvent, l'angle de dĂ©viation est de 30'. Quant au rayon Ă la pointe, il atteint jusqu'Ă m. La longueur des aiguilles flexibles est variable ; il en est qui mesurent jusqu'Ă 14 mĂštres. Une aiguille flexible aussi longue est lourde et rĂ©clame un plus grand effort de manĆuvre ; mais, grĂące au rapport des bras de levier, cet effort ne dĂ©passe pas celui que l'on peut demander Ă l'aiguilleur. Pour localiser la flexion de l'aiguille prĂšs de l'encastrement, on entaille le patin du rail sur une certaine longueur et l'action du levier de manĆuvre est transmise Ă l'aiguille en deux points situĂ©s, l'un prĂšs de la pointe, l'autre Ă l'extrĂ©mitĂ© de la partie rabotĂ©e. Pendant la manĆuvre, l'aiguille qui s'Ă©carte de son rail d'applique flĂ©chit, tandis que l'autre se dĂ©tend. En d'autres termes, les aiguilles flexibles ne sont pas sous tension lorsqu'elles sont parcourues ; elles le sont seulement dans la position oĂč elles ne sont pas parcourues. IndĂ©pendamment du meilleur tracĂ© de la voie dĂ©viĂ©e, les aiguilles flexibles prĂ©sentent le grand avantage d'ĂȘtre Ă©clissĂ©es rigidement au talon et de rĂ©aliser ainsi une voie plus robuste que les aiguilles rigides articulĂ©es. Les changements de voie Ă aiguilles flexibles, construits par la S. N. C. B., forment une sĂ©rie de quatre types diffĂ©rents. Cette sĂ©rie comporte Ă©galement quatre traversĂ©es-jonctions Ă aiguilles flexibles. Ces changements de voie sont reprĂ©sentĂ©s schĂ©matiquement figure 195, leurs caractĂ©ristiques sont les suivantes A. TracĂ© 1. Leur construction est asymĂ©trique par rapport Ă l'axe de la voie directe, chaque type comporte donc un appareil Ă dĂ©viation Ă droite et un appareil Ă dĂ©viation Ă gauche. Elles peuvent cependant ĂȘtre utilisĂ©es symĂ©triquement en les forçant lĂ©gĂšrement et en posant, sur les mĂȘmes piĂšces de bois, un demi-changement de voie de gauche, dĂ©viant Ă gauche, avec un demi-changement de voie de droite, dĂ©viant Ă droite, ou inversement. Les piĂšces employĂ©es sont symĂ©triques l'une par rapport Ă l'autre et se maintiennent mutuellement en Ă©quilibre. Fig. 195. - TracĂ© des changements de voie Ă aiguilles flexibles de la S. N. C. B. 2. Ils possĂšdent une aiguille courbe et une aiguille droite qui s'accollent respectivement Ă un rail contre-aiguille droit et Ă un rail contre-aiguille courbe. 3. La tangente Ă la pointe de l'aiguille courbe fait un angle de 30' avec le rail contre-aiguille. L'angle de dĂ©viation Ă la pointe est ainsi ramenĂ© au minimum compatible avec la construction de l'aiguille. Toutefois, dans le type IV, cet angle est portĂ© Ă 42' pour amĂ©liorer le tracĂ© en augmentant les rayons de l'aiguille et de l'arc de branchement. 4. Le tracĂ© de l'aiguille courbe comporte deux arcs consĂ©cutifs de rayons diffĂ©rents. L'arc dont le rayon est le plus grand prend naissance Ă la pointe et s'Ă©tend jusqu'au point oĂč le bourrelet de l'aiguille se sĂ©pare de celui du rail contre-aiguille position collĂ©e, l'autre fait suite au prĂ©cĂ©dent et s'Ă©tend jusqu'au croisement. Pour les deux changements de voie qui offrent les plus grands rayons, l'arc est prolongĂ© jusqu'Ă la sortie des croisements. Des croisements spĂ©ciaux ayant une branche courbe ont Ă©tĂ© construits Ă cet effet. A titre documentaire, nous donnons ci-aprĂšs les caractĂ©ristiques des branchements en rails de 30 kg/m. Les types I, II, III, IV correspondent aux indicatifs F7H0, F6H1, F5H2, F4H3 du tableau. Branchements en rails de 50 kg/m. Types Longueur de l'aiguille Angle de dĂ©viation de l'aiguille Angle de sortie au talon de l'aiguille Rayon de la voie dĂ©viĂ©e Vitesse en voie dĂ©viĂ©e Pose sans devers Pose avec dĂ©vers F7H0 14 m 30â 1° 1â24ââ4 m 90 km/h 120 km/h F6H1 12 m 30â 1°24â 0ââ5 561 m 90 km/h 80 km/h F5H2 10,500 m 30â 1°57â18ââ8 320 m 50 km/h 60 km/h F4H3 8,600 m 42â 2°48â16ââ15 203 m 40 km/h - F3H3 5 m 1°30â46ââ 1°30â46ââ 184 m 40 km/h - Remarque. - Les changements de voie F7, F6, F5 et F4 sont Ă aiguilles flexibles et courbes ; seul F3 est Ă aiguilles rigides et droites. B. Construction des aiguilles flexibles Les rails contre-aiguilles proviennent de rails de profil ordinaire, tandis que les aiguilles sont issues de rails Ă Ăąme renforcĂ©e. Dans ces rails, l'Ă©paisseur de l'Ăąme est portĂ©e Ă 20 mm au lieu de 15 mm, afin de donner plus de rĂ©sistance Ă l'aiguille dans la partie voisine de la pointe oĂč les rabotages ne laissent subsister que l'Ăąme du rail. Les aiguilles sont encastrĂ©es au talon par trois chĂąssis d'encastrement qui les solidarisent avec le rail contre-aiguille. Elles se meuvent par flexion de la barre. Cette flexion est localisĂ©e dans une zone, longue de 1,50 m Ă 1,75 m, voisine de la section d'encastrement, grĂące Ă un affaiblissement adĂ©quat de la raideur de la barre, obtenu par rabotage du patin. Les rails contre-aiguilles sont inclinĂ©s au 1/20, comme les rails de la voie courante, tandis que les aiguilles sont verticales. Dans la zone d'encastrement, les aiguilles subissent une torsion Ă chaud qui leur donne au talon l'inclinaison de 1/20. La construction d'aiguilles inclinĂ©es au 1/20 sur toute la longueur, ne constitue pas une impossibilitĂ© mais elle entraĂźnerait des difficultĂ©s de rĂ©alisation et de manĆuvre qui ont fait prĂ©fĂ©rer la solution ci-dessus. La pointe de l'aiguille est complĂštement dĂ©robĂ©e sons le bourrelet du rail contre-aiguille, lequel est ; d'ailleurs lĂ©gĂšrement entaillĂ© Ă cet effet. L'aiguille sort progressivement de son logement pour prendre contact latĂ©ralement avec le mentonnet de la roue. Toute attaque de front de l'aiguille par le mentonnet est ainsi rendue impossible quel que soit le degrĂ© d'usure du bandage. Les changements de voie Ă aiguilles Ă©lastiques sont conçus pour ĂȘtre combinĂ©s chacun Ă un croisement d'angle dĂ©terminĂ©. On obtient ainsi des branchements qui rĂ©pondent chacun Ă un cas d'application dĂ©terminĂ© et dont le tracĂ© est le plus favorable. Certains croisements H0, H1 qui entrent en combinaison avec les aiguilles flexibles sont du type Monobloc » en acier moulĂ© au manganĂšse, Ă surfaces de roulement inclinĂ©es au 1/20. S'ils sont moins employĂ©s qu'autrefois, c'est Ă cause de leur prix trĂšs Ă©levĂ©. Les angles de ces croisements et les vitesses maxima auxquelles peuvent ĂȘtre parcourues les voies dĂ©viĂ©es sont repris au tableau ci-dessus. C. -DĂ©tails de construction des aiguilles en gĂ©nĂ©ral. 1° Section transversale des aiguilles. Les aiguilles longues en rail Vignole ordinaire sont-elles assez robustes ? L'aiguille de dĂ©viation c'est-Ă -dire celle de la voie courbe, imprime aux trains un changement de direction, elle supporte de ce chef des efforts horizontaux transversaux d'autant plus grands que l'angle de dĂ©viation est moins aigu, c'est-Ă -dire que le changement de direction est plus brusque. Les aiguilles de dĂ©viation courbes sont donc moins sollicitĂ©es que les aiguilles rectilignes. Par ailleurs, comme nous l'avons dĂ©jĂ soulignĂ©, les aiguilles ne sont pas comme les rails, fixĂ©es aux traverses, elles sont donc dans des conditions dĂ©favorables pour rĂ©sister aux efforts transversaux qui tendent Ă les dĂ©former ou Ă les renverser. Fig. 196Aiguille en profil spĂ©cial Sans doute, elles sont, d'une part, fixĂ©es au talon et s'appuyent, entre celui-ci et la pointe, contre le rail d'applique par l'intermĂ©diaire d'entretoises-butĂ©es judicieusement rĂ©parties. NĂ©anmoins, pour leur donner une grande rĂ©sistance transversale, certains rĂ©seaux ont substituĂ© au rail Vignole des barres de profil spĂ©cial fig. 196. En effet, si l'aiguille flĂ©chissait, il pourrait rĂ©sulter de cette courbure un entrebĂąillement Ă la pointe et, au cas oĂč un vĂ©hicule aborderait l'aiguille par la pointe, il pourrait y avoir prise de deux voies et dĂ©raillement. Ce profil spĂ©cial prĂ©sente, par ailleurs, une hauteur rĂ©duite de maniĂšre Ă offrir plus de stabilitĂ© au renversement. 2° Usinage des aiguilles. Lorsque l'aiguille ordinaire rigide est constituĂ©e d'un rail Vignole ordinaire, elle est ployĂ©e Ă partir du point oĂč les bourrelets de l'aiguille et du rail d'applique se rencontrent. Le bourrelet et le patin de l'aiguille sont rabotĂ©s de maniĂšre que la pointe, rĂ©duite sensiblement Ă l'Ăąme fig. 197, se dissimule sous le bourrelet du rail d'applique et Ă©chappe Ă toute charge verticale jusqu'Ă ce que son bourrelet ait atteint une largeur suffisante. Les aiguilles courbes sont d'abord rabotĂ©es droites puis cintrĂ©es. En outre, on rabote lĂ©gĂšrement la partie infĂ©rieure du bourrelet du rail d'applique vers la pointe de l'aiguille, ce qui permet de renforcer et de dĂ©rober celle-ci Ă la pointe. Les figures 197 Ă 201 montrent cinq coupes successives d'une aiguille en rail Vignole. Fig. 197 Ă 201. - Coupes successives de la pointe vers le talon d'une aiguille en rail Vignole. L'aiguille est posĂ©e verticalement, le rail contre-aiguille est inclinĂ© au 1/20. Fig. 202 Ă 205. - Coupes successives de la pointe vers le talon d'une aiguille en profil spĂ©cial. Le rail contre-aiguille et l'aiguille sont posĂ©s verticalement. Les figures 202 Ă 205 reprĂ©sentent quatre coupes dans le cas du profil spĂ©cial. Lorsque le bandage de la roue aborde la pointe de l'aiguille, il continue Ă porter uniquement sur le rail d'applique, l'aiguille sert simplement de guide, jusqu'au moment oĂč l'Ă©cart entre l'aiguille et le rail devient assez grand pour que la roue quitte le rail d'applique. 3° Coussinets de glissement. Les coussinets de glissement fig. 206 et 207 fournissent Ă l'aiguille l'appui nĂ©cessaire pour rĂ©sister aux charges verticales et maintiennent le rail d'applique dans une position invariable. Leur longueur est en rapport avec la course de l'aiguille. Fig. 206 et 207Coussinet de glissement. 4° Talon de l'aiguille. Dans le cas des aiguilles en rails, la liaison du talon de l'aiguille au rail qui la suit s'effectue Ă la faveur de la partie montante du coussinet du talon, laissant un certain jeu. Le profil spĂ©cial ne permet plus l'Ă©clissage des aiguilles avec les rails. Les aiguilles sont alors fixĂ©es aux traverses par un assemblage Ă pivot fig. 208. Lors de la construction de ce pivot, on Ă©vite d'abaisser les piĂšces de bois » de fondation de l'appareil pour ne pas rendre le bourrage difficile. Fig. 208. - Assemblage Ă pivot d'une aiguille en profil spĂ©cial. Ce pivot se dĂ©tĂ©riore rapidement sous l'action des chocs rĂ©pĂ©tĂ©s et du freinage et c'est pourquoi, Ă la S. N. C. B., les aiguilles de profil trapu ont Ă©tĂ© abandonnĂ©es. Pour parer Ă cet inconvĂ©nient, on peut forger le talon de l'aiguille de maniĂšre Ă lui donner le profil Vignole et Ă permettre l'assemblage au moyen d'un Ă©clissage normal. Dans le cas des aiguilles Ă©lastiques, le talon est rĂ©alisĂ© par un assemblage Ă©clissĂ© rigidement et renforcĂ© par des chĂąssis-entretoises page 167. D. - Pose en courbe des appareils de voie note 170. Les dĂ©veloppements qui prĂ©cĂšdent sont tous basĂ©s sur l'hypothĂšse que l'une des deux voies d'un branchement ou d'une traversĂ©e est en ligne droite. C'est ce que nous avons appelĂ© la voie directe et c'est cette voie droite qui est prise comme base des tracĂ©s gĂ©omĂ©triques. En pratique, il se fait souvent que des appareils doivent ĂȘtre posĂ©s dans des voies existantes dont le tracĂ© n'est pas rectiligne, mais courbe, cette courbe pouvant mĂȘme affecter la forme parabolique. 1° Solution idĂ©ale. La meilleure solution consisterait alors Ă crĂ©er des appareils changements de voie, croisements, traversĂ©es Ă©pousant exactement la forme de la courbe et dont les Ă©lĂ©ments pourraient ĂȘtre calculĂ©s mathĂ©matiquement. Toutefois, en raison de la grande diversitĂ© des rayons de courbure, ceci exigerait la fabrication Ă la piĂšce », qui se rĂ©vĂ©lerait beaucoup trop onĂ©reuse dans l'exploitation d'un rĂ©seau ferrĂ©. Les Français se rapprochent de cette solution en crĂ©ant des appareils cintrĂ©s suivant quelques rayons bien dĂ©terminĂ©s, soit 500, 800 et m pour les croisements et traversĂ©es tg 0,10 Ă tg 0,13, ou 420, 600 et m pour les croisements Ă angles plus petits. 2° MĂ©thode classique. Le procĂ©dĂ© classique consiste Ă considĂ©rer le changement de voie et le croisement pour les branchements, ou les croisements et les traversĂ©es simples pour les traversĂ©es complĂštes, comme des tronçons de ligne droite qui doivent se raccorder tangentiellement aux tronçons de courbes intermĂ©diaires ou extrĂȘmes. Fig. 209. - Branchement posĂ© en courbe avec maintien du rayon. Mais dans ce genre de pose, si l'on conserve dans les intercalaires ab de la voie directe le rayon primitif R, le tracĂ© de la voie en courbe s'en trouve altĂ©rĂ© fig. 209. En effet, les extrĂ©mitĂ©s des intercalaires se prolongeront par des Ă©lĂ©ments droits tangents auxquels la voie courbe devra ensuite se raccorder, d'oĂč rĂ©duction de son rayon fig. 210, cĂŽtĂ© droit. Fig. 210 On est gĂ©nĂ©ralement amenĂ© Ă Ă©viter cette anomalie de tracĂ©, mais ce au prix d'une rĂ©duction considĂ©rable du rayon de la courbe dans les intercalaires de la voie directe fig. 211 et 210, cĂŽtĂ© gauche ; ceci entraĂźne par voie de consĂ©quence une rĂ©duction de la vitesse autorisĂ©e sur le tronçon de voie envisagĂ©. Des procĂ©dĂ©s trigonomĂ©triques permettent de calculer dans chaque cas le rayon de la voie dĂ©viĂ©e ainsi que la longueur des rails intercalaires. 3° MĂ©thode belge. En Belgique, on utilise depuis une vingtaine d'annĂ©es un procĂ©dĂ© de pose qui donne entiĂšre satisfaction. Il repose sur deux principes fig. 212 Fig. 211. - Branchement posĂ© en courbe avec maintien du tracĂ©. 1° la voie directe Ă©tant censĂ©e former une courbe circulaire et ininterrompue, les changements de voie, croisements et traversĂ©es simples sont posĂ©s suivant les cordes des arcs auxquels ils se substituent, mais les calculs du rayon de la voie dĂ©viĂ©e et de la longueur des rails intercalaires se l'ont comme s'ils Ă©taient cintrĂ©s au rayon de la courbe ; Fig. 212. - Branchement posĂ© en courbe suivant la mĂ©thode belge. 2° la longueur totale d'un branchement et d'une demi-traversĂ©e note 172_1 est fixĂ©e une fois pour toutes ; il en rĂ©sulte que la longueur d'un des rails intercalaires ab de la voie directe celui qui n'est pas attenant au cĆur de croisement est constante, c'est-Ă -dire indĂ©pendante du rayon de la voie directe. On fait les calculs en s'aidant de la figure 213 dans laquelle A1B1 A1'B1' et A2B2 A2'B2' reprĂ©sentent chacun un appareil de voie s. Les points P1 et M2 sont les milieux des branches A1B1 et A2B2 ; P2 est situĂ© sur un rayon passant par M2 ; P1 et P2 sont appelĂ©s les points caractĂ©ristiques. Partant de la longueur courbe P1 P2, qui est constante par dĂ©finition et est reproduite dans des tableaux de calcul on l'appelle longueur caractĂ©ristique », en mĂȘme temps que des vecteurs P1'P1 et P2P2' ainsi que d'autres valeurs auxiliaires, on constitue le polygone P1SP2P2'S'P1'P1 dans lequel seuls les cĂŽtĂ©s P2'S' et S'P1' sont inconnus ; les vecteurs B2'S' et S'B1' forment les tangentes Ă la courbe de la voie dĂ©viĂ©e. Fig. 213. - Ătude gĂ©omĂ©trique d'une combinaison d'appareils en courbe. Pratiquement ces vecteurs ne sont jamais Ă©gaux le plus petit des deux servira au tracĂ© de la courbe ; sur l'autre, il restera une portion de droite inutilisĂ©e pour le tracĂ© de l'arc de cercle. En projetant successivement le polygone en question sur les axes U'U' et V'V', perpendiculaires respectivement Ă P2'S' et S'P1', on Ă©limine alternativement chacune des deux inconnues, ce qui permet de dĂ©terminer l'autre. L'angle ' au sommet de la courbe dĂ©viĂ©e dĂ©coulant du calcul prĂ©alable de angle au sommet de la courbe de la voie directe et des angles et que forment les deux appareils de voie posĂ©s en combinaison, on calcule le rayon de la voie dĂ©viĂ©e et le dĂ©veloppement des trois rails intercalaires qui ne sont pas fixĂ©s d'avance. La connaissance de la longueur constante d'un des rails intercalaires de la voie directe ou de la longueur caractĂ©ristique ce qui, Ă une constante prĂšs, est la mĂȘme chose est une aide prĂ©cieuse dans l'Ă©tude de groupements complexes d'appareils situĂ©s dans des voies concentriques, tels que celui reprĂ©sentĂ© Ă la fig. 214. Sur cette figure, les longueurs caractĂ©ristiques lI, lII, lIII, lIV sont reprĂ©sentĂ©es en traits gras, et les longueurs rigides des appareils AIBI, AIIBII,... AVBV qui s'Ă©tendent par moitiĂ© de part et d'autre des points P ou M en traits d'Ă©paisseur moyenne. Fig. 214. - TracĂ© d'ensemble d'une liaison-traversĂ©e en courbe. Si l'on applique Ă la combinaison de deux croisements II et III sur la figure une thĂ©orie analogue Ă celle exposĂ©e pour les branchements et les demi-traversĂ©es, et si l'on fait jouer au hors-d'Ă©querre d'une traversĂ©e MIV - PIV sur la figure le rĂŽle d'une longueur caractĂ©ristique, on voit que par une succession de projections radiales des points caractĂ©ristiques sur une base courbe et concentrique aux voies considĂ©rĂ©es, on obtient sans peine des calculs effectuĂ©s Ă la rĂšgle suffisent la position sur cette base de tous les points principaux joints des appareils du groupement A', B', C',... J' ; il suffit dĂšs lors de projeter par des procĂ©dĂ©s trigonomĂ©triques les points obtenus sur une base rectiligne tangente en un point quelconque Ă la base courbe, p. ex. en 0 sur le rayon passant par PI, pour ĂȘtre Ă mĂȘme de procĂ©der au montage sur le chantier de tout le groupement d'appareils points A", B", C", D",... J". Des tableaux et des abaques facilitent les calculs, et indiquent notamment d'avance au calculateur si la combinaison envisagĂ©e entre certains types d'appareils est permise en vertu des limitations de rayon minimum 250 m en voie directe et 150 m en voie dĂ©viĂ©e et si la voie dĂ©viĂ©e Ă obtenir aura un tracĂ© convergent centre du mĂȘme cĂŽtĂ© de la voie directe que le centre de celle-ci ou divergent centres de cĂŽtĂ©s opposĂ©s ; dans un groupement d'appareils, en effet, il convient de s'efforcer de rĂ©aliser autant que possible une voie dĂ©viĂ©e Ă tracĂ© entiĂšrement convergent ou divergent d'un bout Ă l'autre. Cette facultĂ© permet de procĂ©der Ă une Ă©tude prĂ©alable rapide et nĂ©anmoins absolument exacte de n'importe quel groupement d'appareils dans des courbes concentriques, sans se prĂ©occuper provisoirement du calcul toujours fastidieux de la longueur des rails intercalaires. Des abaques ont d'ailleurs Ă©galement facilitĂ© cette derniĂšre partie de l'Ă©tude. Fig. 215 Ă 219. - Aiguille de dilatation. E. - Aiguille de dilatation. Sur certains rĂ©seaux, les barres soudĂ©es de grande longueur et les rails des extrĂ©mitĂ©s des ponts mĂ©talliques se prolongent par un dispositif Ă aiguille et rail contre-aiguille fig. 215 Ă 219. C'est une aiguille ordinaire mais qui ne se dĂ©tache jamais du rail. Les trous des boulons d'assemblage sont elliptiques ou en forme de boutonniĂšres de maniĂšre Ă permettre la dilatation. CHAPITRE IICroisement Dans l'ensemble MNPQ fig. 220, l'appareil de croisement que l'on retrouve Ă la fois dans les branchements et dans les traversĂ©es s'insĂšre sur une longueur de 3 Ă 5 mĂštres dans les deux files de rails intĂ©rieurs des voies qui se croisent. Fig. 220 Au centre de l'appareil, pour le passage des mentonnets des roues, les rails sont interrompus par des lacunes Ep, Fp, qui constituent de toute Ă©vidence un point faible dans la voie. Fig. 221 Si l'on se bornait Ă pratiquer ces lacunes comme le montre la figure 221, une roue venant de B ou de C pourrait heurter les pointes E ou F et la roue aurait Ă franchir une lacune importante. On remĂ©die Ă ces inconvĂ©nients, en prolongeant le rail R1E fig. 222, parallĂšlement au rail R2R2, jusqu'en r1 ; de mĂȘme, le rail R2F jusqu'en r2. Les extrĂ©mitĂ©s r1 et r2 de ces contrerails sont lĂ©gĂšrement recourbĂ©es afin de donner de l'entrĂ©e et de ramener la roue si elle s'Ă©tait Ă©cartĂ©e. Les tronçons Er1, Fr2 s'appellent pattes de liĂšvre. La pointe p est dĂ©signĂ©e sous le nom de pointe de cĆur. Fig. 222 GrĂące Ă la largeur l du bandage fig. 222, la roue, roulant de C vers A, ne quitte la pointe p que lorsqu'elle repose dĂ©jĂ sur la patte de liĂšvre r1E, ce qui diminue sensiblement le choc vertical sur le rail au passage de la lacune pE. Mais la pointe de cĆur p est exposĂ©e aux chocs des roues circulant en sens contraire de A vers B ou de A vers C. On la prĂ©serve en l'inflĂ©chissant lĂ©gĂšrement fig. 223 ; de cette maniĂšre la roue ne l'attaque qu'en un point oĂč elle prĂ©sente dĂ©jĂ assez de largeur pour pouvoir supporter la charge. La pointe de cĆur rĂ©elle p, est donc un peu au-delĂ de la pointe mathĂ©matique p fig. 222 et 223. Fig. 223 En fait, au passage du croisement, la roue roulant sur le rail R1R1 fig. 224 suivra le chemin abc, elle sera donc supportĂ©e de a en b, par la patte de liĂšvre seulement, de b en c, par la patte de liĂšvre et la pointe de cĆur, Ă partir de c, elle roulera normalement sur la pointe de cĆur. Remarquons encore que, par suite de la conicitĂ© de son bandage, la roue circulant par exemple de A vers C fig. 222 roule sur un diamĂštre de plus en plus petit aussi longtemps qu'elle porte sur le rail coudĂ© Er1 ; le cercle de roulement recule de a vers b fig. 225 et la roue tend Ă s'abaisser de h, ce qui exige aussi que la pointe de cĆur soit inflĂ©chie pour ĂȘtre soustraite au contact prĂ©maturĂ© de la roue. Fig. 224 Mais nous n'avons pas encore Ă©cartĂ© tous les dangers. Fig. 225 ConsidĂ©rons fig. 220 un essieu mn venant de A et roulant vers B. Il se pourrait, Ă la suite d'un mouvement de lacet, par exemple, que la roue n heurte la pointe de cĆur. Pour Ă©viter ce danger, on agit sur la roue conjuguĂ©e m que l'on astreint Ă suivre de trĂšs prĂšs son rail au moyen d'un contrerail Cr1. Ce contrerail guide constamment l'essieu dans sa position normale pendant tout le temps que la roue circule sur la lacune. ** * Quel que soit le type d'aiguillage utilisĂ©, il faut adopter des croisements aussi aigus que possible et Ă branches de croisement trĂšs courtes pour obtenir le plus grand rayon de courbure dans l'arc de branchement. Par exemple, en rail de 50 kg/m, il existe des croisements de 2°51'44" Ă la pointe mathĂ©matique tableau p. 154. Il faut que la roue soit parfaitement guidĂ©e dans sa direction au passage de la lacune. Dans ce but, et aussi pour simplifier la construction, la branche correspondant Ă la voie dĂ©viĂ©e Ă©tait autrefois construite en alignement droit dans le croisement. Il Ă©tait cependant alors de pratique courante, lors de la pose, de cintrer les extrĂ©mitĂ©s de cette branche. En fait, l'alignement droit Ă©tait ainsi limitĂ© Ă la partie centrale du croisement. Actuellement, dans certains branchements, la branche dĂ©viĂ©e est construite suivant la courbure circulaire de l'arc de branchement. 1° Largeur de l'orniĂšre de protection ef entre le rail et le contrerail fig. 226. Fig. 226 Nous avons vu que pour Ă©viter que la roue A vienne heurter la pointe de cĆur, on limite son dĂ©placement transversal en guidant la roue conjuguĂ©e B par un contrerail. L'orniĂšre de protection ef doit ĂȘtre suffisamment petite pour que, en aucun cas, le mentonnet de la roue A puisse monter sur la pointe de cĆur. Fig. 227 L'hypothĂšse la plus dĂ©favorable Ă envisager est celle des roues neuves montĂ©es sur l'essieu au maximum d'Ă©cartement 1,363 m fig. 227. Comme l'Ă©paisseur maximum d'un mentonnet neuf est de 34,5 mm note 178, la valeur de l'orniĂšre de protection ef sera de 1435 mm - 1363mm + 34,5 mm = 37,5 mm. GĂ©nĂ©ralement, on adopte une valeur un peu plus Ă©levĂ©e, 40 mm Ă la S. N. C. F. et Ă la S. N. C. B. Le calcul suppose que, dans le croisement, la voie est Ă l'Ă©cartement normal 1,435 m. Lorsque le croisement est en courbe, ou bien, comme en Belgique, on maintient l'Ă©cartement normal 1,435 m ou bien, comme en France, on donne une surlargeur en majorant la distance entre le rail et le contrerail tout en maintenant rigoureusement constante la distance entre le contrerail et la pointe du croisement. Remarque. - En France, la notion d'orniĂšre a Ă©tĂ© remplacĂ©e par celle de cote de protection » reprĂ©sentĂ©e par 1,435 m - 0,040 m = 1,395 m avec les tolĂ©rances + 1 et - 5. Cette cote est matĂ©rialisĂ©e par une entretoise mĂ©tallique posĂ©e entre les rails. La mĂȘme notion est en cours d'application en Belgique. 2° Largeur de l'orniĂšre cd mĂ©nagĂ©e de part et d'autre de la pointe de cĆur fig. 226 et 227. Comme il s'agit d'Ă©viter les chocs des roues contre les pattes de liĂšvre, la largeur de L'orniĂšre cd sera, en principe, aussi grande que la distance minimum entre l'aiguille et le rail d'applique, soit 60 mm de bord Ă bord voir page 152. Mais on adopte une largeur plus petite ± 45 mm pour rĂ©duire la longueur de la lacune. C'est qu'en effet fig. 226, la longueur thĂ©orique de la lacune ao en rĂ©alitĂ© ao + ob est Ă©gale Ă . La lacune y est donc d'autant plus grande, d'une part, que l'angle du croisement est plus petit et d'autre part, que l'orniĂšre cd de la patte de liĂšvre est plus largo. C'est pourquoi, il convient de donner Ă l'orniĂšre la plus petite valeur possible. Si l'Ă©paisseur d'un mentonnet arrivĂ© Ă la limite d'usure est de 20 mm et si l'on considĂšre la distance minimum 1,357 m entre les faces intĂ©rieures des roues, on a cd = 1,435 m - 1,357 m + 20 mm = 58 mm. En pratique, on adopte une valeur plus petite variant de 40 Ă 50 mm afin d'Ă©viter une lacune de trop grande longueur. A la S. N. C. B., l'orniĂšre cd est fixĂ©e Ă 45 mm. Danger du croisement. Le danger que prĂ©sente un croisement rĂ©side dans la lacune y fig. 228 que la roue franchit sans ĂȘtre guidĂ©e. Or, cette lacune est d'autant plus grande que l'angleest plus aigu . Si le point de contact t du cercle de roulement de la roue fig. 229 quitte le sommet obtus o fig. 228 avant que le bord s du mentonnet de la roue ait atteint, la pointe de cĆur p, la roue pourra dĂ©vier, prendre une position oblique fig. 230 et heurter la pointe de cĆur, d'oĂč risque de dĂ©raillement. 1° Pour un angle donnĂ©, la longueur y de la lacune . a = cd = la distance entre le rail et la patte de liĂšvre, elle varie de 40 Ă 45 mm. Pour l'appareil n° 1, le plus aigu, en rails de 40,650 kg et d'oĂč . Pour le croisement n° 6, et , on a . 2° Le mentonnet de la roue intercepte une longueur de rail Ă©gale Ă 2x fig. 229. Pour que la sĂ©curitĂ© soit complĂšte, il faut que . Fig. 230 Si e = 35 mm = la saillie du mentonnet sur la surface du roulement de la roue et r = le rayon du cercle de roulement de la roue, dans le cercle extĂ©rieur, on a . Pour une roue de 1 mĂštre de diamĂštre 2 r = 1 m . La roue n'est donc pas guidĂ©e sur une longueur de y - x c'est-Ă -dire de 630 - 190 = 440 mm dans l'appareil n° 1 et de 225 - 190 = 35 mm dans l'appareil n° 6 note 181_1. Posant le problĂšme sous sa forme gĂ©nĂ©rale ; pour que la roue ne dĂ©vie pas, il faut que y y. l = Ă©cartement des rails. Dans le triangle OAC, on a , on doit avoir . Exprimons tout en fonction de , il vient ou et comme , on a posons a = 48 mm, l = 1,435 m, d'oĂč l-a = 1,387 m, on a et, pour cela, il faut que c'est-Ă -dire ou > 1/3,7. Comme un croisement d'angle aussi Ă©levĂ© est exceptionnel, il y a donc presque toujours danger. En rĂ©sumĂ©, le contrerail n'est efficace que dans une certaine mesure. La zone dangereuse dans les traversĂ©es obliques correspond Ă la valeur y - z. Evidemment, au passage de la lacune, la roue continuera sa trajectoire et n'en dĂ©viera qu'Ă l'intervention d'une cause extĂ©rieure, telle qu'un coup de lacet, une pierre engagĂ©e dans le croisement, un boulon d'Ă©clisse Ă©garĂ©, une piĂšce tombĂ©e d'un vĂ©hicule. On peut augmenter la protection en surĂ©levant le contrerail au-dessus du plan de roulement du rail fig. 229. 2x devient 2x' quand le surhaussement du contrerail est h note 184. D'ordinaire h = 40 mm ; de toutes façons, le surhaussement ne peut dĂ©passer 50 mm par suite des limites imposĂ©es par le gabarit du matĂ©riel roulant. On considĂšre qu'il est dangereux d'adopter un angle plus aigu que Ă cause du risque de dĂ©raillement Ă droite et Ă gauche au passage des lacunes. On donne Ă la largeur des orniĂšres entre les pointes et les rails coudĂ©s fig. 231, de 40 Ă 50 mm comme dans les croisements Ă la S. N. C. B. 40 mm. B. - TraversĂ©es rectangulaires et Ă grand angle. Deux cas sont Ă envisager 1er cas. - Les deux voies qui se coupent sont l'une et l'autre de peu d'importance. Dans ce cas, on interrompt les rails des deux voies pour le passage des mentonnets des roues fig. 233. On installe des contrerails pour Ă©viter les chocs contre les bouts des rails sectionnĂ©s. Les contrerails font complĂštement dĂ©faut en regard des lacunes, mais la longueur de celles-ci n'est que de l'ordre de 40 mm alors que dans les croisements, on atteint jusqu'Ă 630 mm voir page 180. 2me cas. - Si l'une des voies est importante et parcourue par des trains rapides, tandis que l'autre est une voie vicinale ou une voie de tramway, on sacrifie la voie secondaire en conservant la continuitĂ© des rails de la voie la plus importante fig. 234 et 235. Comme les mentonnets des vĂ©hicules de la ligne secondaire doivent passer au-dessus des rails de la voie principale, la voie de la ligne secondaire est relevĂ©e par des plans inclinĂ©s mĂ©nagĂ©s de part et d'autre de la voie principale et les roues roulent sur leurs mentonnets. Les rails de la voie secondaire doivent prĂ©senter une orniĂšre de largeur suffisante pour laisser passer, non seulement les mentonnets des roues de la voie principale, mais la largeur du bandage lui-mĂȘme. Fig. 235. - TraversĂ©e d'une voie de la S. N. C. B, par une ligne vicinale. 3me cas. - Les deux voies sont importantes. Si la vitesse est faible, on fait usage du type reprĂ©sentĂ© fig. 233, soit en rails assemblĂ©s, soit en acier au manganĂšse. Si la vitesse est grande, on crĂ©e un saut de mouton. C. - Construction des croisements et des traversĂ©es. Les croisements et les traversĂ©es se font en rails assemblĂ©s fig. 236 ou bien ces appareils sont coulĂ©s en acier spĂ©cial au manganĂšse fig. 237 Ă 240. Les appareils en acier moulĂ© sont d'un coĂ»t beaucoup plus Ă©levĂ© que ceux en rails assemblĂ©s, mais ils sont beaucoup plus rĂ©sistants Ă l'usure. Fig. 236. - Croisement en rails assemblĂ©s. Pour les appareils de voie croisements et traversĂ©es situĂ©s en voie trĂšs parcourue, la S. N. C. B., ainsi que bon nombre de compagnies Ă©trangĂšres, utilisent l'acier au manganĂšse du type Hadfield Ă 12 Ă 14 % de Mn avec teneur en carbone de 1 % minimum. Cet acier est austĂ©nitique note 186_1, il n'est donc pas dur, il ne le devient que par Ă©crouissage. Sa duretĂ© aprĂšs trempe Ă l'eau ne dĂ©passe pas le chiffre Brinell de 207 diamĂštre 4,2 mm. Sa grande rĂ©sistance Ă l'usure n'est obtenue que sur les surfaces de roulement oĂč l'austĂ©nite se transforme en martensite sur une faible couche et au fur et Ă mesure de l'Ă©crouissage. Fig. 237 Ă 240. - Croisement coulĂ© en acier spĂ©cial au manganĂšse. La duretĂ© Brinell relevĂ©e Ă la surface dĂ©passe alors couramment 400 diamĂštre 3,05 mm correspondant Ă une rĂ©sistance d'environ 150 kg/mmÂČ. Ce type d'acier au Mn est inusinable par les moyens habituels note 186_2 et le calibrage des parties Ă travailler doit se faire au moyen de meules appropriĂ©es. Les SociĂ©tĂ©s de Tramways utilisent Ă©galement beaucoup l'acier au manganĂšse pour les aiguillages et appareils situĂ©s en pavage pour Ă©viter les interruptions de la circulation routiĂšre provoquĂ©es par les remplacements frĂ©quents auxquels conduit l'emploi d'acier ordinaire. Les Compagnies de Tramways utilisent aussi pour leurs appareils sur une Ă©chelle assez large, les aciers au Nickel-Chrome qui, aprĂšs traitement thermique, donnent des duretĂ©s en surface comparables Ă celles des aciers spĂ©ciaux au Mn et qui, au surplus, se prĂȘtent Ă la soudure et au rechargement par mĂ©tal d'apport. A la S. N. C. B., certaines traversĂ©es Ă niveau ont Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©es en acier Nickel-Chrome, notamment la traversĂ©e Ă niveau des voies de la S. N. C. B. par celles des Tramways Bruxellois au passage Ă niveau de la rue Belliard Bruxelles-Quartier-LĂ©opold. Tous les appareils sont soudĂ©s entre eux de sorte que les rails de la S. N. C. B. ne comportent aucun joint dans toute l'Ă©tendue du pavage du passage Ă niveau note 186_3. D. - Les traversĂ©es-jonctions. Supposons qu'il s'agisse de faire communiquer entre elles deux voies AB, CD, fig. 241 de telle maniĂšre que, de A, on puisse aller vers C ou vers B et, de B, vers D ou vers A. On pourra installer une double liaison 1-2, 3-4. On aura ainsi 4 branchements comportant chacun 1 changement de voie et 1 croisement et 4 appareils de manĆuvre. C'est une premiĂšre solution qui rĂ©clame une longueur l1 ; mais on peut recourir Ă une bretelle 1-2, 3-4 fig. 242 qui comporte Ă©galement deux liaisons 1-2, 3-4 mais ces liaisons se coupent, ce qui permet de rĂ©duire l'encombrement en longueur de l1 Ă l2. Fig. 243. - DĂ©tail de la bretelle. Remarquons cependant que pour ĂȘtre rĂ©alisĂ©e en matĂ©riel standard, la bretelle exige une surlargeur d'entrevoie 0,80 m minimum en Belgique, ce qui fait perdre une partie du bĂ©nĂ©fice rĂ©sultant du raccourcissement. Mais il faut Ă©galement 4 branchements et 4 appareils de manĆuvre, mais en plus une traversĂ©e complĂšte, comportant 2 croisements et 2 traversĂ©es simples fig. 243, c'est-Ă -dire un appareil plus compliquĂ©. TraversĂ©e-jonction T. J. ou traversĂ©e anglaise. A la diffĂ©rence de la bretelle qui rĂ©unit deux voies parallĂšles, la traversĂ©e-jonction Ă©tablit fig. 244 et 245 une communication directe entre deux voies AB et CD qui se croisent. Dans ce but, dans chacun des deux angles obtus de la traversĂ©e, on dispose deux rails courbes rr' et on introduit quatre changements de voies 1-2, 5-6, 3-4, 7-8. On obtient ainsi une traversĂ©e-jonction double. Ce double systĂšme d'aiguilles permet d'Ă©tablir entre les deux voies qui se coupent toutes les communications dĂ©sirables et cela, avec une concentration des appareils sur un espace relativement petit. Fig. 244. - SchĂ©ma montrant la naissance d'une traversĂ©e-jonction. Fig. 245. - TraversĂ©e-jonction double. Remarquons que les rails extĂ©rieurs r, r sont continus. Si le raccordement n'Ă©tait rĂ©alisĂ© que d'un seul cĂŽtĂ©, on aurait une traversĂ©e-jonction simple fig. 246. La traversĂ©e-jonction double de la figure 245 peut ĂȘtre figurĂ©e simplement comme le montre le schĂ©ma de la figure 247. A la S. N. C. B. sur les plans, on adopte le schĂ©ma figure 248. Fig. 246. - TraversĂ©e-jonction simple. Pour une traversĂ©e-jonction simple, le schĂ©ma est celui de la figure 249. Remarquons qu'un branchement correspond Ă une traversĂ©e dont on a supprimĂ© l'une des branches fig. 250. Quand aura-t-on recours Ă la traversĂ©e-jonction fig. 247 plutĂŽt qu'Ă deux branchements disposĂ©s pointe Ă pointe schĂ©ma 251 ? Si l'une des voies est plus importante que l'autre, par exemple AA, c'est-Ă -dire si elle est utilisĂ©e par des trains rapides et est trĂšs parcourue, la voie BB Ă©tant secondaire, on adoptera, Ă moins que la place fasse dĂ©faut, le schĂ©ma plus Ă©conomique de la figure 251. Mais si les deux voies AA et BB sont Ă©galement importantes, on aura recours Ă la traversĂ©e-jonction fig. 248. Fig. 252 Les traversĂ©es-jonctions sont trĂšs employĂ©es dans les grandes gares oĂč elles simplifient et accĂ©lĂšrent les manĆuvres et diminuent l'espace occupĂ© par les appareils de changement de voies. En Ă©tablissant, par exemple fig. 252, en travers des voies parallĂšles 1, 2, 3, 4 deux voies en bretelle AB, CD munies de traversĂ©es-jonctions T. J. Ă leur intersection avec les voies 2 et 3, on pourra diriger un train de l'une quelconque des voies 1 Ă 4 sur une autre quelconque et cela dans les deux sens. Si l'on rĂ©alisait les mĂȘmes communications au moyen de changements de voie ordinaires fig. 253, d'une part, il faudrait un dĂ©veloppement plus grand en longueur et, d'autre part, on aurait sur les transversales, des sinuositĂ©s dĂ©favorables Ă la circulation. Fig. 253 Il ne faut cependant jamais perdre de vue qu'une traversĂ©e-jonction double complĂšte pose comprise coĂ»te frs environ, en voie secondaire et frs environ, en voie principale prix de 1950 ; il est donc prudent, avant de dĂ©cider de son installation, de supputer son rendement probable note 190_1. Lorsqu'on examine le croquis de la figure 245, on constate que pour loger le double aiguillage entre les deux croisements aigus a, a' de la traversĂ©e-jonction fig. 245 sans donner aux rails courbes rr' une courbure trop prononcĂ©e, la distance aa' devrait ĂȘtre la plus longue possible, mais cette grande longueur conduit Ă des croisements a, a' trĂšs aigus qui n'assurent pas la couverture de la lacune. Si, pour diminuer le danger du passage des lacunes aux croisements a et a', on adopte pour ceux-ci un grand angle, le rayon des rails courbes rr' diminue et la circulation dans ces courbes raides est dĂ©fectueuse. Par ailleurs, l'angle de dĂ©viation des aiguilles augmente. Mais, en fait, la limite infĂ©rieure de l'angleest dĂ©terminĂ©e par la traversĂ©e installĂ©e entre r et r' et la limite supĂ©rieure de cet angle par le rayon r. r'. A la S. N. C. B., il existe deux types de traversĂ©e-jonction l'une correspond Ă l'angle H3 = 6°11'55" dont la tangente est Ă©gale Ă 0, et l'autre Ă l'angle H4 = 7°7'30", tangente 0, Les deux changements de voie de chaque extrĂ©mitĂ© de la traversĂ©e-jonction sont manĆuvrĂ©s par un seul levier, il y a donc deux leviers par traversĂ©e-jonction. Fig. 254. - TraversĂ©e-jonction double. La manĆuvre se fait dans des conditions telles que 1er cas les deux aiguilles intĂ©rieures, par exemple, 2 et 3 fig. 245, se meuvent dans des sens opposĂ©s, autrement dit, la manĆuvre les rapproche l'une de l'autre ou les Ă©loigne l'une de l'autre. 2me cas les deux aiguilles intĂ©rieures 2 et 3 se dĂ©placent dans le mĂȘme sens c'est-Ă -dire que leurs courses sont parallĂšles fig. 254. Dans ce dernier cas, il suffit de rĂ©server pour la manĆuvre un espace E sensiblement moitiĂ© moindre que dans le 1er cas. Dans le 1er cas, il faut, en effet, disposer d'un espace 2E fig. 255, Ă©gal Ă deux fois la course l, plus deux fois la largeur e de l'aiguille elle-mĂȘme ; dans le 2me cas fig. 256, une fois la course, plus deux fois la largeur de l'aiguille. Comme d'autre part, on est enfermĂ© dans le losange aa' formĂ© par la traversĂ©e, il faut, dans le 1er cas, pour loger l'espace minimum indispensable 2E, ramener les pointes des aiguilles vers le centre du losange alors que le tracĂ© le meilleur demande au contraire que les pointes se rapprochent le plus possible du sommet des angles aa'. Fig. 257. - TraversĂ©e-jonction double en rails de 50 kg/m, angle de 6°11'55", tg= 0, Le seul avantage du 1er cas fig. 245, c'est que l'on peut circuler sur la traversĂ©e-jonction selon deux itinĂ©raires successifs diffĂ©rents par exemple, sens AD, puis sens CB sans devoir manĆuvrer la traversĂ©e-jonction, ce qui n'est pas possible dans le dispositif de la figure 254. Pour la clartĂ© du dessin, l'angle de la traversĂ©e-jonction a Ă©tĂ© fortement exagĂ©rĂ© sur les figures 245 et 254 ; mais nous reproduisons Ă l'Ă©chelle, figure 257, une traversĂ©e-jonction double en rails de 50 kg/m telle qu'elle se prĂ©sente sous un angle de 6°11'55". Le tableau ci-dessous donne les caractĂ©ristiques des traversĂ©es proprement dites des appareils du genre de ceux qui se font vis-Ă -vis au centre de la figure 257. TraversĂ©es en rails de 50 kg/m. Types Longueur des appareils Angle Tangente V3 3,950m 6°11'55" 0, V4 3,450 7° 7'30" 0, V5 3,400 8°57' 1" 0, V6 3,300 11°18'40" 0, V7 3,200 12°23'50" 0, V8 3,000 14°15' 0" 0, Il existe sur certains rĂ©seaux, notamment en Allemagne, une traversĂ©e-jonction Ă changements de voie extĂ©rieurs E fig. 258 placĂ©s en dehors du losange aa'. Fig. 258. - TraversĂ©e-jonction Ă aiguilles extĂ©rieures au losange aa'. Ce type prĂ©sente l'avantage de pouvoir s'appliquer Ă des angles plus grands ou, inversement, d'obtenir des rayons plus grands. Il a l'inconvĂ©nient d'exiger des piĂšces trĂšs spĂ©ciales, par exemple, 3 cĆurs de croisements combinĂ©s et un rail R doublement concave. Enfin, ce dispositif est trĂšs encombrant. CHAPITRE IVAppareils de manĆuvre des aiguillages A. - Appareils de manĆuvre sur place Quand la manĆuvre des aiguilles se fait sur place, la tringle de connexion t fig. 259 qui rĂ©unit les deux pointes est prolongĂ©e par une tringle de manĆuvre reliĂ©e elle-mĂȘme au levier de manĆuvre OA fig. 260. Un rĂ©gulateur de connexion permet de rĂ©gler la longueur de la connexion de maniĂšre que les aiguilles s'appliquent bien contre les rails contre-aiguilles. C'est un simple manchon dont les extrĂ©mitĂ©s sont taraudĂ©es en sens inverse et dans lesquelles viennent s'engager les filets des tringles de connexion. Fig. 259 Un contrepoids C, fixĂ© au levier de manĆuvre, maintient l'aiguille fixe dans la position qu'on lui a donnĂ©e. Le levier de manĆuvre est Ă simple action ou Ă double action. A. - Le levier Ă simple action fig. 260 n'a qu'une position d'Ă©quilibre OA ; amenĂ© dans sa position renversĂ©e OB, il revient dans sa position normale dĂšs qu'on l'abandonne Ă lui-mĂȘme. Fig. 260. - Levier de manĆuvre Ă simple action. On l'emploie lorsque le changement de voie doit occuper normalement une direction dĂ©terminĂ©e qui correspond Ă la position d'Ă©quilibre du levier, par exemple, en voie principale, pour la manĆuvre des aiguillages pris normalement par la pointe par les trains en marche ou encore, sur les lignes Ă simple voie, pour la manĆuvre des aiguillages qui donnent accĂšs Ă la voie dĂ©doublĂ©e dans les stations ou enfin, sur les lignes Ă double voie, aux aiguillages donnant accĂšs aux voies principales. La manĆuvre du levier Ă simple action ainsi conçu n'est pas sans danger ; en effet, pour donner la position renversĂ©e, l'agent doit exercer un effort continu et fatigant pour tenir le contrepoids relevĂ© et cela, pendant tout le temps du passage de tous les vĂ©hicules un train de marchandises peut comporter 60 wagons, plus le fourgon et plus la ou les locomotives. Pour peu qu'il relĂąche son effort, l'aiguille s'entrebĂąille et les vĂ©hicules qui l'abordent reprennent la voie normale alors que les premiers ont pris l'autre voie, d'oĂč dĂ©raillement. B. - Le levier Ă double action se maintient indiffĂ©remment dans la position normale ou renversĂ©e dans laquelle on l'abandonne. On l'utilise notamment pour la manĆuvre des aiguillages en voie principale pris par le talon par des trains en marche. Fig. 261. - Levier de manĆuvre du systĂšme RhĂ©nan Ă double action. Il permet le talonnement du changement de voie, c'est-Ă -dire qu'un vĂ©hicule abordant l'aiguillage par le talon, peut Ă©carter la pointe de l'aiguille suffisamment pour la franchir sans la briser et sans la laisser entrebaillĂ©e aprĂšs son passage. La figure 261 reprĂ©sente le levier de manĆuvre systĂšme RhĂ©nan Ă double action. Quand l'aiguilleur tourne le contrepoids de la position normale dans la position diamĂ©tralement opposĂ©e, le contrepoids fait basculer le levier, ce qui provoque le changement de voie. On peut transformer le levier systĂšme RhĂ©nan de double en simple action, simplement en empĂȘchant la rotation du contrepoids en le fixant par une broche b sur le levier L ; mais alors, il prĂ©sente le danger signalĂ© ci-dessus. Levier systĂšme Vanneste. Ce levier peut agir Ă simple ou Ă double action selon les positions respectives donnĂ©es Ă ses Ă©lĂ©ments constitutifs fig. 262 Ă 265. Fig. 264. - Levier de manĆuvre systĂšme Vanneste Ă simple action. Le levier principal AGB de l'appareil fig. 262 et 263 est construit de telle maniĂšre que le levier secondaire CD peut ĂȘtre montĂ© obliquement sur le levier principal, cas du levier Ă simple action ou dans le prolongement de l'axe du levier principal, cas du levier Ă double action. Pour la simple action, le support EF du contrepoids fait avec le levier secondaire un angle plus petit que 90° 90° - 11°30' ; pour la double action, un angle plus grand que 90° 90° + 11°30'. Montage Ă simple action. - Pour renverser l'aiguillage fig. 264, l'agent amĂšne le contrepoids dans la position diamĂ©tralement opposĂ©e 2 par un simple mouvement de rotation. Dans cette position 2, le contrepoids provoque le basculement du levier et vient en 3. A l'inverse du systĂšme RhĂ©nan, l'aiguilleur maintient sans fatigue le contrepoids dans cette position 3. Mais, dĂšs qu'il l'abandonne, la gravitĂ© ramĂšne le contrepoids de 3 en 4 par un mouvement de rotation, puis de 4 en 1 par un basculement du levier qui ramĂšne l'aiguillage dans la position normale. Fig. 265. - Levier de manĆuvre systĂšme Vanneste Ă double action. Montage Ă double action fig. 265. - Pour renverser le levier, le contrepoids est amenĂ© de 1 en 2, la gravitĂ© le fait tomber en 3, le levier bascule entraĂźnant l'aiguillage. En tant que levier Ă double action, le levier Vanneste n'accuse aucun avantage sur le systĂšme RhĂ©nan ; au contraire, il coĂ»te plus cher. Enfin, le systĂšme RhĂ©nan a Ă©tĂ© modifiĂ© par les chemins de fer belges comme l'indique la figure 266 en vue d'Ă©viter les difficultĂ©s et les risques de l'appareil utilisĂ© comme levier Ă simple action. La tige du levier est coudĂ©e suivant un angle de 23° Ă partir de son axe de rotation. La tige du contrepoids fait un angle de 78°30' 90° - 11°30' avec la tige du levier. L'appareil ainsi agencĂ© fonctionne comme levier Ă simple action. Le maintien du levier dans la position renversĂ©e est assurĂ© dans les mĂȘmes conditions qu'avec le levier Vanneste, sans fatigue et sans risque. Dans l'appareil RhĂ©nan, Ă double action, du type nouveau fig. 267, la tige du levier n'est pas coudĂ©e mais l'emmanchement de la tige du contrepoids sur le levier proprement dit est tel que l'angle des deux tiges est Ă©gal Ă 101°30' 90° + 11°30'. B. - ManĆuvre des aiguilles Ă distance La manĆuvre des aiguilles sur place n'est pas possible dans les gares importantes oĂč le nombre des aiguilles est considĂ©rable. Les aiguilleurs devraient courir d'une aiguille Ă l'autre pour les placer successivement dans la position convenable. Ces agents devraient ĂȘtre nombreux et seraient continuellement exposĂ©s aux dangers graves de la circulation Ă travers les voies. On amĂ©liore dĂ©jĂ la situation en concentrant un certain nombre de leviers au mĂȘme endroit poste Ă terre », d'oĂč un seul agent donne, sans se dĂ©placer, la position dĂ©sirĂ©e aux aiguilles. Mais la solution complĂšte du problĂšme consiste Ă rĂ©unir dans une cabine le plus grand nombre possible de leviers d'aiguilles. On y concentre aussi les leviers de manĆuvre des signaux qui commandent ou protĂšgent la circulation des trains ou des manĆuvres dans la gare. Cette concentration des leviers d'aiguilles et des leviers de signaux dans un mĂȘme poste permet d'Ă©tablir entre eux les solidaritĂ©s ou enclenchements note 198 nĂ©cessaires pour garantir la sĂ©curitĂ©. De ce poste central, la manĆuvre Ă distance des aiguilles peut se faire par transmission mĂ©canique ou par fluide eau sous pression, air comprimĂ©, Ă©lectricitĂ©. Mais quel que soit le systĂšme employĂ©, il est indispensable que l'agent du poste central de manĆuvre ait la certitude que les aiguilles en campagne suivent bien le mouvement des leviers en cabine et qu'elles sont parfaitement appliquĂ©es contre les rails contre-aiguilles. Il importe encore que l'aiguilleur soit mis dans l'impossibilitĂ© de dĂ©placer les aiguilles pendant qu'elles sont parcourues par les trains. Pour satisfaire Ă ces conditions, l'appareillage central de la manĆuvre doit donc comporter, non seulement des transmissions, mais encore ce que l'on appelle des sĂ©curitĂ©s ». 1. - Transmissions mĂ©caniques Ces transmissions sont du type rigide ou du type funiculaire. A. - Transmissions rigides ± 185 m. Les transmissions rigides sont constituĂ©es par des tuyaux Ă gaz note 199 assemblĂ©s bout Ă bout comme le montre la figure 268. Les transmissions sont supportĂ©es par des poulies ou par des galets fig. 269 ; d'autres galets empĂȘchent leur soulĂšvement. Des leviers coudĂ©s renvoient le mouvement soit dans un plan horizontal, soit dans un plan vertical. Fig. 270. - Compensateur pour transmission rigide. La course des transmissions par tringles varie de 22 Ă 28 centimĂštres. Les variations de tempĂ©rature pourraient provoquer l'entrebĂąillement des aiguilles ; pour y obvier, on intercale un compensateur dans la transmission dĂšs que sa longueur dĂ©passe 30 mĂštres fig. 270. Ce compensateur peut ĂȘtre constituĂ© par un balancier BB' Ă bras Ă©gaux, dont les extrĂ©mitĂ©s sont reliĂ©es aux deux parties de la tringle de transmission par deux bielles AB, A'B', de mĂȘme longueur. Le pivot P du balancier est au mĂȘme niveau que l'axe des tringles et les extrĂ©mitĂ©s de celles-ci sont soutenues par des galets g, g'. Les deux extrĂ©mitĂ©s du tringlage Ă©tant fixes d'une part, le levier ; d'autre part, l'aiguillage, les variations de longueur se reportent sur les points B et B'. Le compensateur doit naturellement ĂȘtre installĂ© Ă mi-longueur de la transmission. L'intercalation d'un compensateur a nĂ©cessairement pour effet de renverser le sens du mouvement de la transmission. Fig. 271. - Compensation partielle de la dilatation. Il faut aussi tenir compte de l'influence des Ă©querres de renvoi qui, dans certains cas, peuvent jouer le rĂŽle de compensateurs. Dans le cas de la figure 271, bien que la transmission ait 35 m de longueur, il ne faut pas de compensateur parce que les variations de longueur sur les 35 m sont compensĂ©es sur 10 m par l'Ă©querre de renvoi BOC et la tringle DC. Mais pour qu'il y ait possibilitĂ© de compensation du chef de la dilatation, il faut que, partant des points fixes A levier et D aiguille, les allongements aient pour tendance de faire tourner les deux bras BO et CO de l'Ă©querre de renvoi dans le mĂȘme sens et non en des sens opposĂ©s. Fig. 272 - Cas oĂč un compensateur est nĂ©cessaire. La figure 272 montre un cas oĂč un compensateur est nĂ©cessaire, une compensation automatique Ă©tant impossible car sous l'effet des dilatations le levier coudĂ© BOG est sollicitĂ© dans des sens opposĂ©s. B. - Transmissions funiculaires ± 600 m. Une transmission funiculaire ne peut agir que par traction alors qu'une transmission rigide peut transmettre l'effort dans les deux sens par traction et par poussĂ©e. Comme les aiguilles doivent ĂȘtre dĂ©placĂ©es dans les deux sens, il faut un double fil pour commander le mouvement fig. 273. Le fil diamĂštre 5 mm doit prĂ©senter une grande rĂ©sistance Ă la rupture 100 Ă 125 kg/mmÂČ et un trĂšs faible allongement 5 % maximum mesurĂ© sur 200 mm. Fig. 273. - ManĆuvre d'un aiguillage par transmission Ă double fil. Au point de dĂ©part, en cabine, une chaĂźne, rattachĂ©e au fil de manĆuvre, s'enroule sur une poulie P1 Ă laquelle elle est attachĂ©e de sorte qu'en dĂ©plaçant, vers le haut ou vers le bas, le levier de manĆuvre solidaire de la poulie, l'on tire sur l'un ou l'autre brin du fil. Le levier doit ĂȘtre maintenu fixe dans ses deux positions extrĂȘmes et la poulie doit suivre tous ses mouvements. A l'autre extrĂ©mitĂ©, en campagne, les deux brins de la transmission aboutissent aux extrĂ©mitĂ©s de la chaĂźne qui actionne la poulie P2 commandant les aiguilles fig. 273. Cette poulie, logĂ©e dans une cuve en fonte, tourne autour d'un axe vertical. Elle porte sur chacune de ses faces un verrou circulaire V ; un galet d'entraĂźnement C ; une bielle B pourvue d'une coulisse E. Par la rotation de la poulie, le galet C s'engage dans la coulisse de la bielle et commande le mouvement de celle-ci. La bielle B, situĂ©e sur la face supĂ©rieure de la poulie, actionne l'aiguille de droite A ; la bielle B' situĂ©e sous la poulie actionne l'aiguille de gauche A'. Au repos, en position normale, la bielle actionnant l'aiguille A prise en pointe est verrouillĂ©e par le verrou V qui pĂ©nĂštre dans l'encoche correspondante de la bielle. Remarquons que les deux aiguilles ne se meuvent pas simultanĂ©ment, celle de gauche commence Ă se mouvoir au moment oĂč celle de droite commence Ă se dĂ©verrouiller ; celle de droite se meut encore pendant que celle de gauche se verrouille. Talonnement. Dans le cas oĂč le premier essieu d'un vĂ©hicule talonne l'aiguillage fig. 274, la roue de droite Rd attaque immĂ©diatement l'aiguille A ouverte de droite alors que l'aiguille A' fermĂ©e de gauche n'est pas encore en prise avec la roue de gauche Rg. Fig. 274. - Talonnement de lâaiguillage L'essieu roulant du talon de l'aiguille vers la pointe, l'aiguille de droite se dĂ©place, agit sur la bielle B qui actionne le galet C et par consĂ©quent la poulie. Ce dĂ©placement se poursuivant jusqu'Ă ce que l'aiguille considĂ©rĂ©e soit en contact avec le rail contre-aiguille, la poulie effectue une rotation complĂšte. Quant Ă l'aiguille de gauche A', elle a Ă©tĂ© entraĂźnĂ©e par la poulie. Naturellement, la transmission funiculaire, reliant la poulie au levier de commande de l'aiguillage, a suivi ce mouvement et l'a communiquĂ© Ă la poulie de ce levier. Mais celui-ci n'est pas rigidement liĂ© Ă la poulie. Compensateurs. Des prĂ©cautions doivent ĂȘtre prises en cas de variation de tempĂ©rature car les deux fils doivent rester tendus malgrĂ© la dilatation. Lorsque la longueur n'est pas trop considĂ©rable, on intercale des tendeurs Ă main, l'un prĂšs du levier, l'autre prĂšs de l'aiguillage. Lorsque la distance dĂ©passe 200 mĂštres, ce moyen ne suffit plus. On compense alors l'effet de la dilatation en faisant agir sur la transmission un poids tendeur C fig. 275 qui descend quand le fil s'allonge sous l'effet d'une Ă©lĂ©vation de tempĂ©rature et qui remonte quand le fil se contracte. Une prĂ©caution supplĂ©mentaire doit ĂȘtre prise le renversement du levier de manĆuvre pourrait simplement soulever le poids tendeur C sans qu'il y ait mouvement correspondant de l'aiguillage. Pour transmettre intĂ©gralement Ă l'appareil Ă manĆuvrer toute la course du levier, on est donc amenĂ© Ă complĂ©ter le compensateur par un dispositif qui cale le poids tendeur dĂšs que le levier de manĆuvre est mis en mouvement et l'immobilise pendant toute la durĂ©e de ce mouvement. Fig. 275 et 276. - Compensateur Ă brins inclinĂ©s et poulie hĂ©licoĂŻdale. Le calage du poids tendeur s'obtient Ă l'intervention d'une crĂ©maillĂšre fig. 275 et 276. Les deux fils de la transmission passent sous les poulies fixes P1 Ă l'entrĂ©e du chevalet compensateur, puis sur les poulies mobiles Q, pour sortir en passant sous les poulies fixes P2. L'action du compensateur peut s'exercer de plusieurs maniĂšres compensateurs Ă brins inclinĂ©s et poulie hĂ©licoĂŻdale ; compensateurs Ă brins parallĂšles et poulie diffĂ©rentielle. a Dans le systĂšme Ă brins inclinĂ©s et poulie hĂ©licoĂŻdale, les poulies mobiles sont suspendues Ă une chaĂźnette qui, aprĂšs avoir passĂ© sur le tambour T, se relie Ă une poulie Ă gorge hĂ©licoĂŻdale H calĂ©e sur le mĂȘme arbre que la poulie circulaire B sur laquelle s'enroule la chaĂźne du contrepoids C. La fonction fondamentale du compensateur est de maintenir constante la tension malgrĂ© les variations de la tempĂ©rature. Si la force C du contrepoids est constante, la direction des fils f et fâ varie, il s'ensuit que l'action du contrepoids varie suivant la position en hauteur de l'Ă©trier, position qui modifie l'angle formĂ© par les deux brins f, fâ. Pour que la tension reste constante dans la transmission, l'effort du contrepoids doit varier suivant l'ouverture de cet angle ; quand les brins se rapprochent de l'horizontale, la tension dans la chaĂźnette doit ĂȘtre faible et, alors, l'Ă©trier agit sur le grand rayon de la poulie hĂ©licoĂŻdale ; lorsque les brins se rencontrent sous un angle trĂšs aigu, c'est le petit rayon de la poulie qui intervient. Si R = le rayon uniforme de la poulie supportant le contrepoids constant et = le rayon variable de la poulie hĂ©licoĂŻdale retenant l'Ă©trier, l'Ă©quation des moments donne contrepoids x R = tension x par consĂ©quent Ă une tension faible de la chaĂźnette brins horizontaux doit correspondre le grand rayon de la poulie. L'Ă©trier pend entre deux guides dont les faces, taillĂ©es en crĂ©maillĂšre, peuvent immobiliser l'Ă©trier quand ses extrĂ©mitĂ©s infĂ©rieures, taillĂ©es en biseau, viennent en contact avec elles. Lorsque la transmission est au repos, les deux fils ont une tension Ă©gale et l'Ă©trier ne vient pas en contact avec ses guides fig. 277. DĂšs lors, lorsque la tempĂ©rature varie, l'Ă©trier se dĂ©place verticalement sous l'action du poids tendeur. Mais, dĂšs que le levier de manĆuvre agit sur la transmission et que, par consĂ©quent, l'un des fils se dĂ©tend pendant que l'autre se surtend fig. 278 l'Ă©trier s'incline Ă droite ou Ă gauche, une de ses extrĂ©mitĂ©s biseautĂ©es mord dans la crĂ©maillĂšre et il s'immobilise dans le sens vers le bas oĂč s'exerce la traction. Ce rĂ©glage dans la position du fil sur la poulie hĂ©licoĂŻdale selon la tempĂ©rature rĂ©clame une prĂ©cision difficilement rĂ©alisable dans la pratique. C'est pourquoi, Ă la S. N. C. B., on a renoncĂ© aux brins inclinĂ©s pour adopter les brins parallĂšles. b Compensateurs Ă brins parallĂšles et poulie diffĂ©rentielle fig. 279. Ici la tension reste constante et la poulie hĂ©licoĂŻdale peut ĂȘtre supprimĂ©e. La chaĂźnette du contrepoids s'enroule alors sur une poulie diffĂ©rentielle D de rapport 1,6/1 pour les transmissions infĂ©rieures Ă mĂštres et de rapport 2/1 pour celles supĂ©rieures Ă mĂštres, la poulie diffĂ©rentielle n'ayant d'autre raison d'ĂȘtre que de diminuer l'importance du contrepoids. La chaĂźne supportant l'Ă©trier mobile se rattache au petit tambour, la chaĂźne supportant le contrepoids est fixĂ©e sur le grand tambour. Fig. 279. - Compensateur Ă brins parallĂšles et poulie diffĂ©rentielle. ; Le calage du contrepoids se produit de la mĂȘme maniĂšre qu'avec les brins inclinĂ©s. Champ dâaction du compensateur. Tout compensateur possĂšde un rayon d'action maximum calculĂ© en tenant compte des Ă©carts maxima de tempĂ©rature, -20° et + 40°, par exemple. Fig. 280. - Champ d'action du compensateur. Appelons h fig. 280, la course maximum de l'Ă©trier le long des crĂ©maillĂšres ; h dĂ©pend donc de la construction du compensateur. 2h = l'allongement que le compensateur peut racheter. Si = l'Ă©cart de tempĂ©rature le plus considĂ©rable, C = 0, le coefficient de dilatation linĂ©aire de l'acier, L = le champ d'action du compensateur, On aura d'oĂč note 205 . Pour h = 1 centimĂštre, on a Lm = X 0,01 m, d'oĂč Lm = 27,78 m. par consĂ©quent, chaque centimĂštre de longueur de course de l'Ă©trier compense 27,780 mĂštres de transmission. Si L = 600 mĂštres, h doit ĂȘtre Ă©gale Ă . Si l'on veut Ă©viter de devoir installer plus d'un compensateur dans une mĂȘme transmission, on sera amenĂ© Ă crĂ©er plusieurs types de compensateurs ayant des champs d'action de plus en plus Ă©tendus. ** * Pour supporter et guider les fils de transmission, on emploie des poulies Ă gorge montĂ©es sur potelets dont l'Ă©cartement ne doit pas dĂ©passer 10 mĂštres dans les parties rectilignes. Aux changements de direction de plus de 5°, le fil n'ayant pas la flexibilitĂ© voulue, on fait passer la transmission sur une poulie horizontale ou verticale et on intercale dans le fil un bout de cĂąble ou de chaĂźnette qui s'enroule sur la poulie. Dans les transmissions funiculaires, le levier de commande de l'aiguillage est du mĂȘme type que celui employĂ© pour les signaux fig. 273, page 201. En position normale, il est inclinĂ© vers le bas ; pour le renverser, il faut lui faire dĂ©crire vers le haut un angle de 144° et entraĂźner dans ce mouvement la poulie, ce qui communique au fil une course de 500 mm. Mais alors que le levier de signal est invariablement fixĂ© Ă la poulie, il ne peut en ĂȘtre ainsi avec le levier d'aiguillage parce que l'on s'impose d'ordinaire la condition que, en cas de talonnement de l'aiguillage, l'appareil de manĆuvre ne subisse aucune avarie. La manĆuvre Ă double fil permet la commande des aiguillages Ă la distance de 600 mĂštres. L'appareil central Ă commande funiculaire se prĂȘte fort bien aux relations d'enclenchement Ă rĂ©aliser entre les leviers des signaux et ceux des aiguillages, les champs rĂ©cepteurs et transmetteurs de l'appareil de block. C'est une des raisons pour lesquelles il se substitue de plus en plus Ă l'appareil central Saxby Ă commande par tringle note 206. Comparaison des systĂšmes rigide et funiculaire. Les transmissions rigides prĂ©sentent les avantages suivants elles comportent des compensateurs de construction simple et de fonctionnement plus certain ; elles offrent une grande sĂ©curitĂ© aux courtes distances, mais elles prĂ©sentent certains inconvĂ©nients elles sont plus coĂ»teuses ; elles demandent plus d'entretien. On estime que les charges annuelles d'entretien et d'amortissement des transmissions par tringles sont de 8 Ă 10 fois supĂ©rieures Ă celles des transmissions par fil ; aux grandes distances, elles sont moins sĂ»res que les transmissions par fil. Effectivement, quand une rupture de tringle se produit Ă une grande distance de la cabine, il peut arriver que l'aiguilleur renverse le levier de manĆuvre sans s'apercevoir que le dĂ©placement du tringlage n'a pas suivi son mouvement, la diminution de rĂ©sistance n'Ă©tant pas suffisamment sensible, parce que la plus grande partie de la rĂ©sistance est celle offerte par le dĂ©placement des tringles sur les galets. Dans le cas de la transmission funiculaire, une rupture de fil se fait immĂ©diatement sentir Ă l'appareil de manĆuvre, l'appareillage devient inerte. La commande des aiguillages par tringles n'est possible que si la distance ne dĂ©passe pas 485 mĂštres, alors que la transmission par double fil permet d'atteindre 600 mĂštres. Aussi, Ă la S. N. C. B., quand on renouvelle un poste de concentration Ă transmission rigide, le remplace-t-on par un poste central Ă transmission funiculaire. 2. - Transmissions par fluide La manĆuvre mĂ©canique ne convient pas pour les installations Ă©tendues des grandes gares, l'aiguilleur devant dĂ©ployer des efforts importants pour renverser successivement les trĂšs nombreux et lourds leviers. Il est indispensable que les postes centraux soient desservis par des agents se dĂ©pensant trĂšs peu physiquement, faisant office en quelque sorte de prĂ©parateurs du mouvement, une source d'Ă©nergie spĂ©ciale manĆuvrant les aiguillages. L'agent, ainsi soulagĂ©, peut prĂȘter toute son attention aux itinĂ©raires Ă Ă©tablir. On a utilisĂ© des transmissions hydrodynamiques, pneumatiques, hydropneumatiques, Ă©lectriques, mais ces derniĂšres ont rapidement dĂ©trĂŽnĂ© toutes les autres. L'Ă©lectricitĂ©, en tant qu'agent de transport de force, prĂ©sente des qualitĂ©s trĂšs prĂ©cieuses les canalisations sont peu encombrantes, elles se posent aisĂ©ment, elles s'accommodent des diffĂ©rences de niveau, elles contournent les obstacles, elles sont insensibles aux variations de tempĂ©rature, les pertes dues Ă l'emmagasinement et Ă la distribution de l'Ă©nergie peuvent ĂȘtre aisĂ©ment rĂ©duites, la transmission du mouvement est instantanĂ©e, le champ d'action est pratiquement illimitĂ©. ManĆuvre Ă©lectrique des aiguillages note 208. Les appareils mĂ©caniques de manĆuvre ont un champ d'action restreint, leurs leviers sont volumineux, les bĂątis occupent beaucoup de place et l'aiguilleur doit dĂ©ployer de grands efforts. La manĆuvre Ă©lectrique supprime tous ces inconvĂ©nients. A la S. N. C. B., on s'impose les conditions suivantes Les aiguillages doivent pouvoir ĂȘtre manĆuvrĂ©s individuellement, c'est-Ă -dire chacun par un petit levier spĂ©cial ou par une manette distincte. L'agent, en cabine, doit pouvoir se rendre compte de la position de l'aiguillage en campagne ; il s'ensuit que les positions concordantes du levier et de l'aiguillage doivent ĂȘtre contrĂŽlĂ©es par un courant. Aucun contact accidentel de fils ne peut donner lieu Ă une indication fausse en cabine. Les aiguillages doivent ĂȘtre talonnables, sauf dans les cas oĂč il s'agit d'aiguillages Ă©lastiques. Tous les appareils de contrĂŽle doivent ĂȘtre concentrĂ©s dans la cabine. Pour pouvoir mettre au passage un signal donnant accĂšs Ă un itinĂ©raire, il faut que tous les aiguillages de cet itinĂ©raire se trouvent dans la position convenable. L'aiguillage est manĆuvrĂ© par un moteur Ă©lectrique sĂ©rie Ă courant continu sous tension de 120 volts, muni de deux enroulements inducteurs bobinĂ©s en sens inverse de maniĂšre Ă permettre de faire tourner l'induit dans les deux sens. Un jeu d'engrenages et une vis sans fin transforment le mouvement de rotation de l'induit en mouvement de translation transmis Ă l'aiguillage au moyen d'une crĂ©maillĂšre fig. 294 et 295. En cas de suppression de courant, le moteur peut ĂȘtre manĆuvrĂ© Ă la main par une manivelle que l'on adapte directement sur l'axe du moteur. Un cĂąble Ă deux conducteurs relie le moteur Ă la cabine, d'oĂč l'aiguillage est commandĂ© au moyen d'une manette, dite de champ d'aiguille, disposĂ©e dans l'appareil central. Chaque manette d'aiguillage peut occuper deux positions extrĂȘmes inclinĂ©e vers la droite, la manette se trouve dans sa position normale qui correspond Ă la position normale de l'aiguillage ; inclinĂ©e vers la gauche, elle se trouve dans sa position renversĂ©e qui correspond Ă la position renversĂ©e de l'aiguillage. A. - Appareil Siemens pour la manĆuvre des aiguillages. Le schĂ©ma dĂ©finitif est reprĂ©sentĂ© figures 290 Ă 292, nous allons le dĂ©composer et le dĂ©crire par Ă©tapes note 209. Par la rotation de la manette fig. 283, on dĂ©place le commutateur de manĆuvre C, qui met l'un ou l'autre des deux fils de manĆuvre du cĂąble en relation avec la source d'Ă©lectricitĂ© selon que l'aiguillage doit ĂȘtre renversĂ© ou ramenĂ© dans sa position normale. On utilise le courant continu Ă 120 volts. Pour permettre la rotation du moteur dans les deux sens, l'enroulement inducteur I2 est inverse de l'enroulement I1. Chacune de ces connexions comporte un interrupteur m1 m2 manĆuvrĂ© par la crĂ©maillĂšre actionnĂ©e par le moteur d'aiguille i fig. 295. Cet interrupteur est disposĂ© de telle sorte que le circuit de manĆuvre est coupĂ© aussitĂŽt que l'aiguillage se trouve dans la position extrĂȘme correspondant Ă celle de la manette en cabine et par consĂ©quent, Ă ce moment, le moteur s'arrĂȘte. Les figures 284, 285 et 286 montrent en traits forts le schĂ©ma des circuits empruntĂ©s par le courant de 120 volts dans chacune des trois positions en position normale. Les positions du commutateur C et de l'interrupteur m2 sont telles que le courant de commande de 120 volts ne peut passer aux inducteurs du moteur de manĆuvre fig. 284 ; pendant la course du moteur. Les positions du commutateur C et de l'interrupteur m1 permettent au courant de 120 volts d'arriver au moteur fig. 285 ; en position renversĂ©e. Le circuit du moteur est coupĂ© par m1 fig. 286 note 210. 1° ContrĂŽle. A chaque instant, il doit exister une relation entre la position de l'aiguillage en campagne et la position de la manette de manĆuvre en cabine, relation qui ne peut exister que s'il y a concordance entre les positions de la manette et de l'aiguillage. Cette relation est rĂ©alisĂ©e au moyen d'un courant de contrĂŽle qui n'excite l'Ă©lectro-aimant de contrĂŽle E du champ d'aiguille que lorsque cette concordance existe. Ce n'est que dans ce cas que l'on peut mettre le signal Ă voie libre. Dans le cas oĂč lâĂ©lectro-aimant de contrĂŽle E n'est pas excitĂ©, une sonnerie de contrĂŽle retentit en cabine. ComplĂ©tons les schĂ©mas des fig. 284 Ă 286 comme indiquĂ© aux fig. 287 Ă 289. Nous constatons que pour Ă©tablir le circuit de contrĂŽle E, les interrupteurs m1 et m2 du moteur sont en rĂ©alitĂ© des commutateurs, de sorte que, Ă la fin de la course de la crĂ©maillĂšre, le courant de manĆuvre de 120 volts ne passe plus par le moteur, il est dĂ©rivĂ© par des fils spĂ©ciaux de maniĂšre Ă exciter l'Ă©lectro-aimant de contrĂŽle E. Il s'ensuit que le circuit de contrĂŽle n'est Ă©tabli que si l'appareil de manĆuvre est arrivĂ© Ă fond de course et a manĆuvrĂ© le commutateur de moteur correspondant m2. L'interrupteur n est manĆuvrĂ© par les tringles de contrĂŽle solidaires du mouvement des aiguilles. Afin d'Ă©viter de fausses indications de contrĂŽle en cas de mĂ©lange de fils, les fils de contrĂŽle sont reliĂ©s Ă la terre dĂšs qu'ils ne doivent plus ĂȘtre parcourus par un courant. Le commutateur a contrĂŽle la concordance de la position mĂȘme de la manette par rapport Ă celle du commutateur de manĆuvre. Ce commutateur est montĂ© sur l'axe mĂȘme de la manette, mais il faut compter avec un bris possible de piĂšce. LĂ©gende C commutateur commandĂ© par la manette de manĆuvre de l'aiguillage, m1, m2 commutateurs commandĂ©s par la crĂ©maillĂšre actionnĂ©e par le moteur, crĂ©maillĂšre qui manĆuvre les aiguilles, n, n - interrupteurs commandĂ©s par les tringles de contrĂŽle de la position des aiguilles. 2° Commutateur d'Ă©conomie. Si, pour la manĆuvre de l'aiguillage, un courant de 120 volts est nĂ©cessaire, 25 volts suffisent pour le courant de contrĂŽle. C'est pourquoi, dĂšs que le courant de contrĂŽle est Ă©tabli, un commutateur d'Ă©conomie e fig. 290 substitue automatiquement au courant de manĆuvre de 120 volts un courant de 25 volts. Ce commutateur, disposĂ© normalement de façon Ă relier la batterie de 25 volts au circuit de contrĂŽle, est manĆuvrĂ© par la manette du champ d'aiguille, de façon Ă relier le circuit de manĆuvre Ă la batterie de 120 volts dĂšs le commencement de la course du moteur. A la fin de la course de l'aiguillage, dĂšs que l'Ă©lectro de contrĂŽle est excitĂ© par le courant de 120 volts, il attire son armature qui renverse automatiquement le commutateur d'Ă©conomie e, de façon Ă Ă©tablir la connexion du circuit de contrĂŽle avec la batterie de 25 volts. Pour Ă©viter la manĆuvre intempestive d'un aiguillage, en cas de contact entre la source de 120 volts et le fil en relation avec le moteur, le commutateur d'Ă©conomie manĆuvre, en outre, un contact t fig. 290 qui relie Ă la terre le fil de manĆuvre du moteur non parcouru par un courant. Le schĂ©ma dĂ©finitif des connexions d'un aiguillage dans l'appareil Siemens est dĂšs lors reprĂ©sentĂ© par les figures 290 Ă 292. ManĆuvre des deux aiguillages d'une liaison AB fig. 293. Fig. 293 Deux aiguillages formant liaison sont manĆuvrĂ©s par un seul champ d'aiguille. La manĆuvre se fait en parallĂšle et le contrĂŽle se fait en sĂ©rie. B. - Appareil des Ateliers de Constructions Ălectriques de Charleroi pour la manĆuvre des aiguillages. Les figures 294 et 295 reprĂ©sentent la disposition d'ensemble du moteur de manĆuvre avec sa dĂ©multiplication. La crĂ©maillĂšre C actionne deux contacts 7 et 6. Fig. 294. - SchĂ©ma de l'appareil de manĆuvre des aiguilles systĂšme A. C. E. C. Deux tringles de contrĂŽle T et T" sont reliĂ©es chacune Ă une des pointes d'aiguille. Lorsque les deux tringles occupent l'une des positions extrĂȘmes, l'un des deux interrupteurs 8-9 est fermĂ©, soit 8. Lorsque les deux tringles occupent l'autre position extrĂȘme, l'autre interrupteur, soit 9, est fermĂ©. Fig. 295. - ManĆuvre des aiguilles systĂšme A. C. E. C. Fonctionnement. Le moteur actionne la crĂ©maillĂšre qui manĆuvre l'aiguillage. Au cours de la rotation du moteur, le contact 7 s'inverse en vue de prĂ©parer le circuit de 120 volts pour la manĆuvre dans l'autre sens. Quant aux contacts 8 et 9, Ă la fin de la course, ils ont Ă©galement pris la position inverse Ă©tablissant le circuit de contrĂŽle de 25 volts pour la position correspondante de l'aiguillage. Fig. 296 Un embrayage Ă tournevis E embrayage avec jeu permet au moteur de dĂ©marrer Ă vide fig. 296. Enfin, deux cĂŽnes F et F' dont la pression est rĂ©glĂ©e par le ressort Ă boudin r, jouent le rĂŽle de frein aux fins de course. Renversement de l'aiguillage. Pour renverser la manette d'aiguillage, le cabinier agit sur l'interrupteur d'Ă©conomie P fig. 297. S'il n'y a aucun vĂ©hicule sur le rail ri, isolĂ© Ă©lectriquement Ă ses deux extrĂ©mitĂ©s note 214_1, l'Ă©lectro A s'excite, attire son armature qui libĂšre la manette de commande et permet la manĆuvre de cette derniĂšre. S'il y avait un essieu sur le rail isolĂ©, cet essieu mettrait en court-circuit les deux rails auxquels aboutissent les connexions de l'Ă©lectro A. Fig. 297 En mĂȘme temps qu'il manĆuvre l'interrupteur d'Ă©conomie P, le cabinier tourne la manette d'aiguillage, ce qui a pour effet de renverser mĂ©caniquement les contacts 1, 2 et 3 fig. 298 solidaires de l'armature de lâĂ©lectro-sĂ©rie C note 214_2 et les met dans la position indiquĂ©e fig. 299, ainsi que les contacts 4 et 5 situĂ©s sur un tambour entraĂźnĂ© par la manette et les met dans la position indiquĂ©e sur cette mĂȘme figure. Le courant Ă 120 volts est dĂšs lors admis dans l'enroulement 1 du moteur qui se met Ă tourner en entraĂźnant l'aiguillage dans la position renversĂ©e fig. 299. Remarquons que l'armature de l'Ă©lectro C est, Ă la fin de la rotation de la manette de commande, mĂ©caniquement libĂ©rĂ©e par le dispositif spĂ©cial qui en avait produit le soulĂšvement ; mais, pendant la rotation du moteur, l'Ă©lectro-sĂ©rie C est excitĂ©, son armature reste donc collĂ©e et la position des contacts 1, 2 et 3 est maintenue. Les contacts 7 et 6 de la crĂ©maillĂšre, actionnĂ©s mĂ©caniquement par le moteur sont respectivement renversĂ©s au commencement et Ă la fin de la course. De ce fait, le circuit de 120 volts vers le moteur est fig. 300 coupĂ© par 6 qui est actionnĂ© Ă la fin de la course par la crĂ©maillĂšre de manĆuvre de l'aiguillage, l'Ă©lectro C se dĂ©sexcite et les contacts 1, 2 et 3 reprennent leur position premiĂšre de la figure 298. ContrĂŽle. Les contacts 8 et 9, actionnĂ©s par les deux tringles de contrĂŽle T, T" qui suivent le mouvement des aiguilles fig. 294 et 295 se renversent si ces derniĂšres occupent bien la position correspondant Ă celle de la manette en cabine et se trouvent, l'une contre le rail avec un jeu infĂ©rieur Ă 5 mm et d'autre dans sa position extrĂȘme d'ouverture avec une tolĂ©rance de 20 mm. DĂšs lors fig. 300, le circuit de contrĂŽle de 25 volts est Ă©tabli comme suit 3, 8, 6, 4, 1 et Ă©lectro B. Ce dernier s'excite Ă la condition que tous les contacts soient convenablement Ă©tablis. Un voyant mĂ» par l'armature de l'Ă©lectro B donne au cabinier l'indication que l'aiguillage a obĂ©i au mouvement du moteur. Remise de l'aiguillage en position normale. Le cabinier remet la manette d'aiguille en position normale en mĂȘme temps qu'il manĆuvre l'interrupteur d'Ă©conomie P de façon Ă exciter lâĂ©lectro A, dont l'armature maintenait la manette enclenchĂ©e dans sa position renversĂ©e. Par suite du jeu des contacts 1 et 7, et aussi des contacts 4 et 5 entraĂźnĂ©s par le tambour de la manette fig. 300, le courant Ă 120 volts passe dans l'enroulement inducteur 2, lequel, Ă©tant inverse de l'enroulement 1, provoque la rotation du moteur en sens contraire et ramĂšne l'aiguillage dans la position normale. ContrĂŽle. A la fin de la course du moteur, lors de la remise en position normale, tous les contacts sont ramenĂ©s dans la position reprĂ©sentĂ©e Ă la figure 298, ce qui Ă©tablit le circuit de contrĂŽle de 25 volts comme suit contacts 3, 9, 7, 5, 1 et Ă©lectro B. Remarque. Les contacts 1, 2, 3, 4 et 5 suivent le mouvement de la manette de manĆuvre mais, grĂące Ă un dispositif spĂ©cial, les contacts 1, 2 et 3, qui dĂ©pendent de l'Ă©lectro-sĂ©rie C reprennent la position de la figure 298 dĂšs que le moteur a terminĂ© sa course dans un sens ou dans l'autre. Dispositif de talonnement. Il en existe plusieurs, nous dĂ©crirons le plus simple. Le plus grand des engrenages fig. 295 se compose d'une couronne dentĂ©e cd qui engrĂšne avec le petit pignon p. La partie centrale de cette couronne est constituĂ©e par un plateau calĂ© sur le mĂȘme axe que l'engrenage attaquant directement la crĂ©maillĂšre. Un galet G, se logeant dans une encoche mĂ©nagĂ©e dans le bord intĂ©rieur de la couronne dentĂ©e, rend celle-ci normalement solidaire du plateau et cela, grĂące Ă la pression de deux ressorts Ă boudin fixĂ©s au plateau. Fig. 301 En cas de talonnement, la crĂ©maillĂšre en se dĂ©plaçant brusquement agit sur le plateau central, les ressorts Ă boudin se compriment, le galet sort de son encoche et le choc se traduit simplement par un dĂ©placement du plateau par rapport Ă la couronne dentĂ©e restĂ©e immobile. ManĆuvre d'une liaison. La succession des opĂ©rations pour la manĆuvre d'une liaison est identique Ă celle dĂ©crite pour la manĆuvre d'un aiguillage simple. La manette de commande d'une liaison est enclenchĂ©e dans ses positions normale et renversĂ©e par les armatures de deux Ă©lectros A et A' fig. 301. En manĆuvrant l'interrupteur d'Ă©conomie P, les Ă©lectros A et A' sont simultanĂ©ment excitĂ©s si aucun rail isolĂ© n'est occupĂ© par un essieu. Les contacts 4 et 5 fig. 302 et 303 des circuits des deux moteurs sont situĂ©s sur un mĂȘme tambour solidaire de la manette de commande. Les contacts 1 et 2 sont solidaires de l'armature d'un mĂȘme Ă©lectro-sĂ©rie C. Un seul Ă©lectro de contrĂŽle B est nĂ©cessaire. En suivant le jeu des contacts fig. 303, on voit que les moteurs marchent en parallĂšle. Quant au circuit de contrĂŽle de 25 volts, il se fait en sĂ©rie, il se ferme par les contacts 9 de contrĂŽle de pointes d'aiguilles dans la position de la figure 302, position normale, et par les contacts 8 dans la position renversĂ©e. C. - Commande Ă©lectrique d'aiguille des Transports Urbains de l'agglomĂ©ration bruxelloise. Description. Une commande Ă©lectrique d'aiguille comporte 3 Ă©lĂ©ments principaux un contacteur de ligne, un relais sĂ©lecteur, un dispositif moteur commandant le dĂ©placement de l'aiguillage. Ces Ă©lĂ©ments sont connectĂ©s Ă©lectriquement comme indiquĂ© au schĂ©ma simplifiĂ© figure 304. 1. Le contacteur de ligne est fixĂ© sur le fil de trolley mais complĂštement isolĂ© de ce dernier. Il est constituĂ© par des lattes mĂ©talliques parallĂšles rĂ©alisant un chemin de roulement adaptĂ© au profil des roulettes de trolley. Quand la roulette aborde le contacteur, elle quitte le fil de trolley et roule sur le contacteur. Fig. 304. - Commande Ă©lectrique d'aiguille des Transports Urbains de l'agglomĂ©ration bruxelloise. 2. Le relais sĂ©lecteur est installĂ© sur poteau ou sur façade. Il consiste en un Ă©lectro E actionnant un doigt de contact c. Lors du passage d'une roulette de trolley sur le contacteur, l'Ă©lectro E se trouve insĂ©rĂ©, de par la construction mĂȘme du contacteur, dans le circuit des moteurs de la voiture. Le doigt de contact Ă©tablit, au repos, le contact d et, dans sa position levĂ©e, le contact g ; il n'est attirĂ© sur le contact g que pour autant que le courant d'excitation de l'Ă©lectro E soit supĂ©rieur Ă 15 ampĂšres. 3. Le dispositif moteur, commandant le dĂ©placement de l'aiguillage, est constituĂ© par 2 solĂ©noĂŻdes G et D et par un noyau magnĂ©tique commun N, tous trois logĂ©s dans un coffre hermĂ©tique et parfaitement Ă©tanche Ă l'eau. Ce sont ces solĂ©noĂŻdes qui actionnent l'aiguille par leur noyau commun comme le montre schĂ©matiquement la figure. Fonctionnement. En principe, les wattmen des voitures allant Ă droite » doivent passer sous le contacteur avec controller ouvert, c'est-Ă -dire sans courant, et les wattmen des voitures allant Ă gauche », avec controller fermĂ© sur le 2me ou 3me plot sĂ©rie - Ă©ventuellement frein lĂ©gĂšrement serrĂ© - de telle maniĂšre que le courant voiture » soit supĂ©rieur Ă 15 ampĂšres. A. Fonctionnement pour une voiture allant Ă droite » controller ouvert, courant moteurs » nul. Roulette en position 1 l'Ă©lectro E du relais sĂ©lecteur n'est pas excitĂ©, le doigt de contact c reste dans sa position de repos, sur le contact d. Roulette en position 2 par ses joues, la roulette Ă©tablit un contact entre les lattes A et B du contacteur, le solĂ©noĂŻde D du dispositif moteur est mis sous tension, l'aiguille s'Ă©carte du rail de droite pour livrer le passage Ă droite. Roulette en position 3 le circuit de l'Ă©lectro D est coupĂ©. B. Fonctionnement pour une voiture allant a Ă gauche » controller fermĂ©, courant moteurs » supĂ©rieur Ă 15 ampĂšres. Roulette en position 1 l'Ă©lectro E, excitĂ© par le courant moteurs », attire le doigt de contact c sur le contact g. Roulette en position 2 par ses joues, la roulette Ă©tablit un contact entre les lattes A et B du contacteur, le solĂ©noĂŻde G du dispositif moteur est mis sous tension, l'aiguille est refoulĂ©e contre le rail de droite assurant le passage Ă gauche. Roulette en position 3 le circuit du solĂ©noĂŻde G est coupĂ©. Roulette en position 4 le doigt de contact c reprend sa position de repos, sur le contact d. CHAPITRE VLes SĂ©curitĂ©s A. - GĂ©nĂ©ralitĂ©s La manĆuvre Ă distance des aiguillages quand ils sont abordĂ©s par la pointe comporte nĂ©cessairement des dispositifs de sĂ©curitĂ©. En effet, l'aiguilleur en cabine, Ă©loignĂ© des appareils qu'il manĆuvre, est dans l'incertitude sur la position rĂ©ellement occupĂ©e par les aiguilles du changement de voie. La course des aiguilles dĂ©pend de la course des transmissions, or, celle-ci est sujette Ă des variations de longueur par suite de l'usure des articulations, de l'extension Ă©lastique, d'un Ă©quilibrage imparfait des dilatations. Il se peut mĂȘme que la transmission soit interrompue accidentellement. Il s'ensuit que les aiguilles peuvent n'obĂ©ir qu'incomplĂštement ou mĂȘme pas du tout Ă la commande. L'aiguilleur ignore donc si l'aiguille colle contre le rail contre-aiguille, de quel cĂŽtĂ© elle colle, ou si l'aiguille occupe une position intermĂ©diaire. Si l'aiguilleur doit avoir la garantie que la position des aiguilles en campagne correspond bien Ă celle du levier de manĆuvre ou de la manette de commande en cabine ; il doit, en outre, ĂȘtre empĂȘchĂ© de mettre le signal Ă voie libre si les aiguilles ne se trouvent pas effectivement dans la position qui donne la direction indiquĂ©e par le signal au passage. Les dispositifs de sĂ©curitĂ© sont les verrous de calage des aiguilles, les dĂ©tecteurs de pointe et les pĂ©dales de calage. 1. Les verrous de calage des aiguilles. Le premier appareil de sĂ©curitĂ© employĂ© pour renseigner l'aiguilleur est le verrou de calage qui ne peut ĂȘtre introduit dans sa gĂąche que si les aiguilles sont bien placĂ©es d'un cĂŽtĂ© ou de l'autre. Le verrou cale l'aiguillage et en empĂȘche tout dĂ©placement aussi longtemps qu'il est engagĂ©. Le verrou n'a aucune relation avec le signal, il est intercalĂ© dans la transmission de commande de l'aiguillage ou bien il est manĆuvrĂ© par une transmission indĂ©pendante. En somme, le verrou n'a qu'un rĂŽle bloquer l'aiguillage. 2. Les dĂ©tecteurs de pointe. Le fait que l'on peut engager un verrou de calage constitue dĂ©jĂ une dĂ©tection, mais ce n'est qu'une dĂ©tection Ă©lĂ©mentaire car l'aiguilleur ignore de quel cĂŽtĂ© l'aiguille est collĂ©e. C'est l'appareil dĂ©tecteur qui renseigne l'aiguilleur sur la position rĂ©elle de l'aiguille collĂ©e Ă droite ou Ă gauche ou dans une position intermĂ©diaire. Le dĂ©tecteur donnera non seulement une indication de position, mais il devra, en outre, empĂȘcher la mise au passage du signal correspondant si l'aiguille ne colle pas dans la position que donne la direction autorisĂ©e par l'ouverture de ce signal. A la diffĂ©rence du verrou, le dĂ©tecteur est intercalĂ© dans la transmission de commande du signal ou bien il libĂšre un petit levier ou une manette dont le renversement dĂ©gage lui-mĂȘme le levier de commande du signal. 3. Les pĂ©dales de calage. Le cabinier, opĂ©rant Ă distance, doit ĂȘtre mis dans l'impossibilitĂ© de manĆuvrer l'aiguillage pendant qu'un vĂ©hicule ou un train est engagĂ© sur l'appareil ; sinon, il s'ensuivrait un dĂ©raillement. Les dispositifs qui rĂ©pondent Ă ce but sont les pĂ©dales de calage. B. - Les appareils de verrouillage 1. Appareils de verrouillage indĂ©pendants du levier de manĆuvre du changement de voie. a Verrou Saxby. Le lançant peut ĂȘtre poussĂ© dans l'une ou l'autre des lumiĂšres de la tringle lorsque l'aiguillage occupe l'une ou l'autre de ses positions extrĂȘmes. Aussi longtemps que le verrou est engagĂ©, il est impossible de manĆuvrer l'aiguillage. Si, pour une cause quelconque, l'aiguillage n'achevait pas sa course, le lançant du verrou buterait contre la partie pleine de la tringle de connexion et le cabinier, ne parvenant pas Ă amener son levier Ă fond, serait averti de l'incident. Pour Ă©viter que le verrou puisse forcer sur la tringle de connexion et y pĂ©nĂ©trer avant que l'aiguille ait parcouru toute sa course, le verrou ne peut se terminer en pointe et son extrĂ©mitĂ© ne peut ĂȘtre arrondie. Remarquons cependant que si, aprĂšs le retrait du verrou, la connexion entre le verrou et son levier de manĆuvre venait Ă ĂȘtre rompue, le verrou n'obĂ©irait plus Ă la manĆuvre du levier. La sĂ©curitĂ© n'est donc assurĂ©e que si le verrou est complĂ©tĂ© par un dĂ©tecteur. b Verrou circulaire manĆuvrĂ© par transmission Ă double fil. Fig. 307 Le verrou circulaire Ă manĆuvre par double fil se compose essentiellement fig. 307 Ă 311 d'une cuve portant en son centre un axe de rotation A autour duquel tourne une poulie Ă gorge P. Cette poulie porte sur sa face supĂ©rieure une nervure saillante de forme circulaire N. Enfin, dans la gorge de la poulie s'enroulent les chaĂźnettes reliĂ©es Ă la transmission spĂ©ciale qui commande le verrou, de deux barres B1-B2, placĂ©es au-dessus de la poulie, coulissant dans deux coussinets C1-C2 portĂ©s par la cuve. Fig. 308 La barre B1 est reliĂ©e Ă l'une des deux aiguilles, la barre B2 Ă l'autre aiguille. Ces barres sont indĂ©pendantes des tringles de commande du mouvement des aiguilles, elles n'intĂ©ressent que le verrouillage. Chacune de ces barres porte deux encoches ; l'une mesure 36 mm, l'autre 22 mm. L'encoche la plus Ă©troite correspond Ă la position de l'aiguille collĂ©e contre son rail contre-aiguille, position pour laquelle le verrouillage doit ĂȘtre trĂšs prĂ©cis ; l'encoche la plus large se rapporte Ă la position de l'aiguille ouverte pour laquelle le verrouillage supporte une certaine tolĂ©rance. Fonctionnement. En position normale fig. 308, la nervure N est retirĂ©e des encoches des barres et son extrĂ©mitĂ© vient jusqu'Ă proximitĂ© de la barre B1. Il s'ensuit que les deux aiguilles peuvent se dĂ©placer librement quand l'aiguilleur manĆuvre le levier du changement de voie. Fig. 309 Pour verrouiller l'aiguillage, il suffit de manĆuvrer la transmission spĂ©ciale qui commande la poulie P, celle-ci tourne, la nervure saillante N s'engage dans les encoches des barres B1-B2, immobilisant les deux aiguilles fig. 309. La figure 310 montre 1 le verrouillage de l'aiguille reliĂ©e Ă la barre B1 lorsqu'elle est collĂ©e contre son rail contre-aiguille fig. 309 ; 2 le verrouillage de l'aiguille reliĂ©e Ă B2 lorsqu'elle est dans sa position d'ouverture maximum fig. 309. La figure 311 reprĂ©sente le verrouillage des aiguilles dans la position renversĂ©e c'est-Ă -dire aiguille B1 ouverte, aiguille B2 fermĂ©e. Remarque. - Les aiguillages pourvus d'un verrou de calage indĂ©pendant du levier de manĆuvre du changement de voie ne sont pas talonnables, c'est-Ă -dire que, lorsqu'ils sont verrouillĂ©s, ils ne peuvent ĂȘtre parcourus du talon vers la pointe sans qu'il en rĂ©sulte un bris ou une dĂ©formation des parties constituantes. 2. Appareils de verrouillage dĂ©pendant du levier de manĆuvre de l'aiguillage. Avantages Ils ne demandent qu'une seule transmission pour manĆuvrer et verrouiller les aiguilles. Leur rĂ©glage est sensiblement indĂ©pendant de la transmission. On les range en deux catĂ©gories les appareils non talonnables, les appareils talonnables. a Appareils non talonnables. Verrous-aiguilles. Sous l'action de l'unique levier, le mouvement du verrou se dĂ©compose en trois phases fig. 312 dĂ©verrouillage de l'aiguillage, dĂ©placement des aiguilles, verrouillage de l'aiguillage dans sa nouvelle position. La transmission attaque une plaque prĂ©sentant une coulisse composĂ©e de deux rainures parallĂšles Ă la voie et reliĂ©es par une rainure oblique. La distance des axes des deux rainures parallĂšles est Ă©gale Ă la course de l'aiguillage. Fig. 312. - Verrou-aiguille. Un bouton, solidaire de la tringle de commande des aiguilles, coulisse dans la rainure et selon que ce bouton se trouve dans l'une des deux rainures parallĂšles ou dans la partie oblique, l'aiguille est dans une de ses positions extrĂȘmes ou dans une position intermĂ©diaire. Le dĂ©placement de la plaque manĆuvre l'aiguille et cale celle-ci. La figure reprĂ©sente la position de fin de course dans le sens indiquĂ© par la flĂšche. GrĂące Ă la surcourse mĂ©nagĂ©e dans la coulisse, la position de l'aiguille n'est pas influencĂ©e par les variations de longueur de la transmission. b Appareils talonnables. 1. - Appareil de manĆuvre et de verrouillage Ă disque pour transmission Ă double fil. Nous ne dĂ©crirons que l'appareil Ă deux bielles. Il comporte fig. 313 Ă 317 a Une cuve C qui supporte une poulie ou disque P, La poulie porte sur chacune de ses faces supĂ©rieure indices 1 et infĂ©rieure indices 2, un galet d'entraĂźnement G1-G2 et une nervure circulaire en saillie N1-N2. La gorge de la poulie reçoit les chaĂźnettes constituant les extrĂ©mitĂ©s de la transmission. Ces chaĂźnettes sont attachĂ©es Ă la poulie par deux broches. Fig. 313 Fig. 314 Fig. 315 Fig. 316 Fig. 317 Fig. 313 Ă 317. - Appareil de manĆuvre et de verrouillage Ă disque pour transmission Ă double fil. La partie gauche de la figure reprĂ©sente la face infĂ©rieure de la poulie, la partie droite correspond Ă la face supĂ©rieure. b Deux bielles de manĆuvre B1-B2 sont placĂ©es, l'une au-dessus, l'autre au-dessous de la poulie. Ces bielles sont indĂ©pendantes l'une de l'autre. Chaque bielle comprend une partie Ă©largie, entaillĂ©e jusqu'Ă mi-Ă©paisseur, de maniĂšre Ă former une coulisse R, assez longue et destinĂ©e Ă recevoir le galet d'entraĂźnement G1 ou G2. Une seconde coulisse plus courte R2 est prĂ©vue pour recevoir la nervure N1 ou N2 de la poulie, nervure qui jouera le rĂŽle de verrou. Les deux bielles doivent ĂȘtre montĂ©es de maniĂšre que la face pourvue de coulisse soit tournĂ©e vers la poulie. Fonctionnement. Le fonctionnement se fait en trois temps. Au repos, eu position normale fig. 313, l'aiguille de gauche A, reliĂ©e Ă la bielle supĂ©rieure B1, se trouve, par exemple, appliquĂ©e contre le rail de gauche. On voit que le galet supĂ©rieur G1 est sorti de la coulisse R1 mais que la nervure N1 est engagĂ©e dans la coulisse R2. L'aiguille de gauche est donc maintenue collĂ©e contre le rail par cette nervure qui constitue en fait un verrou circulaire. A la face infĂ©rieure de la poulie, le galet G2 reste au contraire engagĂ© dans la coulisse R1 de la bielle B2 reliĂ©e Ă l'aiguille de droite B laquelle est Ă©cartĂ©e de 165 mm du rail ; la nervure infĂ©rieure N2 heurte une butĂ©e de fin de course. - Premier temps de la manĆuvre fig. 314. Lorsque l'on actionne la transmission, la poulie P tourne dans le sens de la flĂšche indiquĂ©e sur la figure 313, on constate que l'effet obtenu est diffĂ©rent suivant que l'on considĂšre la face supĂ©rieure ou la face infĂ©rieure. A la face supĂ©rieure fig. 314, la premiĂšre partie de la rotation de la poulie a pour rĂ©sultat de dĂ©gager la nervure N1 de la coulisse R2 et d'engager le galet G1 dans la coulisse R1 ; la bielle supĂ©rieure B1 reste immobile, car le galet ne l'attaque pas encore. A la face infĂ©rieure, le galet G2, Ă©tant engagĂ© dans la coulisse R1 de la bielle B2, entraĂźne immĂ©diatement celle-ci. Le premier temps de la manĆuvre a donc pour effet de dĂ©verrouiller l'aiguille de gauche A, sans la dĂ©placer et de commencer le dĂ©placement de l'aiguille de droite B. - DeuxiĂšme temps de la manĆuvre fig. 315. Les deux galets G1 et G2 Ă©tant maintenant engagĂ©s tous deux dans les coulisses R1 correspondantes des bielles B1 et B2, la rotation de la poulie a pour rĂ©sultat d'entraĂźner les deux bielles simultanĂ©ment par les galets G. Pendant le deuxiĂšme temps de la manĆuvre les deux aiguilles se dĂ©placent donc ensemble. - TroisiĂšme temps de la manĆuvre fig. 316. L'aiguille de droite B ayant commencĂ© son mouvement de translation avant l'aiguille de gauche A, arrivera avant celle-ci Ă la fin de sa course, c'est-Ă -dire contre le rail de droite. A ce moment, Ă la face infĂ©rieure, le galet G2 se dĂ©gage de la coulisse R1 de la bielle infĂ©rieure B2, tandis que la nervure N2 pĂ©nĂštre dans la coulisse R2 de cette mĂȘme bielle ; le mouvement de translation de celle-ci s'arrĂȘte donc et son verrouillage commence. A la face supĂ©rieure, le galet G1 reste au contraire encore engagĂ© dans la coulisse R1 de la bielle B1 qui continue Ă se dĂ©placer ; en fin de course fig. 317, la nervure N1 vient s'arrĂȘter contre la butĂ©e de fin de course. L'aiguille ouverte se trouve alors Ă 165 mm du rail. Le troisiĂšme temps de la manĆuvre a donc pour effet d'assurer le verrouillage de l'aiguille de droite B et d'achever le mouvement d'ouverture de l'aiguille de gauche A. Remarques. Tous ces mouvements sont rĂ©versibles ; lorsque l'appareil de manĆuvre est actionnĂ© en sens inverse, l'aiguillage reprend sa position primitive en passant par les mĂȘmes phases. Les deux aiguilles ne se dĂ©plaçant pas simultanĂ©ment, elles doivent ĂȘtre absolument indĂ©pendantes l'une de l'autre et par consĂ©quent elles ne peuvent ĂȘtre reliĂ©es entre elles par des tringles d'Ă©cartement. TĂątonnement. Dans le cas oĂč le premier essieu d'un vĂ©hicule vient talonner un aiguillage reliĂ© Ă un appareil de manĆuvre Ă deux bielles fig. 313 page 225 et fig. 274 page 202 on remarque que l'aiguille ouverte B est touchĂ©e la premiĂšre par le mentonnet de la roue correspondante ; or, cette aiguille est reliĂ©e Ă la bielle B2 non verrouillĂ©e et dont la coulisse est en contact avec le galet ; elle peut donc se dĂ©placer en entraĂźnant la poulie ce qui a pour rĂ©sultat de dĂ©verrouiller et de commencer le mouvement d'ouverture de l'aiguille collĂ©e A et cela avant que cette derniĂšre soit touchĂ©e par le mentonnet de l'autre roue du premier essieu, donc sans dĂ©formation ou bris de piĂšces. 2. - Appareil de manĆuvre avec calage des aiguilles par crochets systĂšme BĂŒssing. Les pointes des aiguilles a1 a2 fig. 318 Ă 321 sont rĂ©unies par une liaison articulĂ©e P101 et O2P2. Dans chaque position terminale de l'aiguillage, l'un des deux crochets de verrouillage C1 ou C2, solidaires des bielles P1O1, P2O2, saisit un coussinet A ou B fixĂ© au rail contre-aiguille R1 ou R2 de maniĂšre Ă maintenir la pointe de l'aiguille solidement appliquĂ©e contre le rail. Quand le levier de commande de l'aiguillage passe d'une position limite Ă l'autre, la tringle t se dĂ©place de 22 cm. Si, partant de la position de repos fig. 318, la tringle t se dĂ©place vers la gauche, le crochet C1 glisse sur la face du coussinet A et entraĂźne la pointe d'aiguille a1. La figure 319 reprĂ©sente la position de l'aiguillage quand la tringle a parcouru le tiers de sa course. On voit que le crochet C2 est libĂ©rĂ©. Fig. 318 Fig. 319 Fig. 320 Fig. 321 Fig. 318 Ă 321. - Appareil de calage d'aiguilles par crochets systĂšme BĂŒssing. AprĂšs le deuxiĂšme tiers de course fig. 320, le crochet C1 est prĂȘt Ă saisir son coussinet A1 tandis que C2 aborde la face de glissement du coussinet B. AprĂšs le dernier tiers de course fig. 321, l'aiguille a1 est appliquĂ©e contre son rail contre-aiguille ; en mĂȘme temps, le crochet C1 est complĂštement verrouillĂ© fixant solidement l'aiguille dans cette position. Talonnement. Fig. 322. - Talonnement de l'appareil de calage par crochets systĂšme BĂŒssing. Lorsqu'un vĂ©hicule roulant dans le sens de la flĂšche 2 talonne l'aiguillage fig. 322, l'essieu d'avant appuie d'abord contre l'aiguille a2 fig. 321, celle-ci se rapproche du rail contre-aiguille R2 fig. 320, le patin du crochet C2 glisse comme on l'a vu sur son coussinet B. Le dĂ©placement de l'aiguille a2 n'entraĂźne donc pas l'aiguille a1 ; celle-ci ne bouge pas, mais le dĂ©placement de a2 dĂ©verrouille le crochet C1, la bielle O2P2 pivotant autour de P2 fig. 320 et 322. Les deux aiguilles se dĂ©placent ensuite simultanĂ©ment fig. 319 jusqu'au moment oĂč a2 colle contre le rail R2 ; a2 reste alors immobile, mais l'aiguille a1 continue Ă se dĂ©placer, ce qui dĂ©termine le verrouillage de l'aiguille a2 fig. 318. Dans ces conditions, aucune action destructrice ne se produit. C. - Les dĂ©tecteurs Les dĂ©tecteurs permettent de contrĂŽler Ă distance que les aiguillages se trouvent dans la position convenable pour les trains attendus. Ils sont intercalĂ©s dans les transmissions des signaux, de telle sorte que ceux-ci ne peuvent ĂȘtre mis Ă voie libre que si les aiguilles auxquelles ils donnent accĂšs sont dans la position convenable. Les dĂ©tecteurs sont appliquĂ©s aussi parfois Ă des aiguilles manĆuvrĂ©es sur place aussi bien qu'aux aiguilles manĆuvrĂ©es Ă distance note 229. Lorsque les deux aiguilles sont reliĂ©es par une connexion rigide, on peut se contenter d'appliquer un dĂ©tecteur Ă l'une d'elles. Mais la dĂ©tection est alors imparfaite puisqu'elle n'avertit pas le cabinier en cas de bris de la tringle d'Ă©cartement. Quand les aiguilles sont talonnables, on applique un dĂ©tecteur Ă chaque aiguille et chacun de ces dĂ©tecteurs contrĂŽle, d'une part, si l'aiguille est appliquĂ©e contre son rail d'applique et, d'autre part, si, dans l'autre position, l'aiguille prĂ©sente l'ouverture voulue. A la S. N. C. B., les dĂ©tecteurs, mĂȘme pour aiguillages reliĂ©s par connexion rigide, comportent toujours deux tringles de contrĂŽle, une pour chaque aiguille. On rencontre des dĂ©tecteurs mĂ©caniques et des dĂ©tecteurs Ă©lectriques. 1. DĂ©tecteurs mĂ©caniques. a Le bolt-lock verrou-serrure, fig. 323 et 324. Ce dĂ©tecteur mĂ©canique de pointes est rĂ©alisĂ© de la maniĂšre suivante en face de l'aiguillage, une barre de fer AB de section rectangulaire est insĂ©rĂ©e dans la transmission tt qui relie le signal Ă son levier de manĆuvre. Cette barre peut glisser parallĂšlement Ă la voie dans deux guides appropriĂ©s. Elle porte une entaille E dans laquelle peut coulisser une barre CD disposĂ©e perpendiculairement Ă la voie, barre rattachĂ©e Ă la pointe de l'aiguille et se dĂ©plaçant avec elle. Cette derniĂšre barre CD prĂ©sente deux encoches e1, e2. Quand l'aiguille est Ă fond de course d'un cĂŽtĂ© ou de l'autre, l'une des deux encoches e1, e2 vient se placer sous l'entaille E du bolt-lock AB. Dans ces conditions, le levier du signal peut ĂȘtre manĆuvrĂ© par la transmission tt, mais il ne peut l'ĂȘtre que pour autant que l'aiguillage occupe effectivement l'une de ses positions extrĂȘmes. En outre, le bolt-lock Ă©tant intercalĂ© dans la transmission qui relie le signal Ă son levier de manĆuvre, le signaleur ne peut mettre le signal Ă voie libre que si l'aiguillage donne la direction qui correspond Ă ce signal au passage. Vers la transmission du signal et parallĂšle Ă la voie. Solidaire de l'aiguille et perpendiculaire Ă la voie. Fig. 323 et 324. - Bolt-lock. A la S. N. C. B., le bolt-lock n'est employĂ© que pour dĂ©tecter, dans sa position normale, l'aiguille donnant accĂšs Ă la voie de dĂ©doublement des stations intermĂ©diaires des lignes Ă voie unique. Dans ce cas, la barre CD ne comporte qu'une seule entaille. b La poulie de verrouillage, employĂ©e comme dĂ©tecteur mĂ©canique, s'apparente dans son principe au bolt-lock. Comme lui, elle comporte une barre telle que CD fig. 323 et 324 disposĂ©e perpendiculairement Ă la voie ; cette barre est fixĂ©e Ă la pointe de l'aiguille et se dĂ©place avec elle. Elle prĂ©sente aussi deux encoches telles que e1, e2 fig. 325 et 326 mais les ouvertures de celles-ci sont orientĂ©es vers le bas et non vers le haut comme dans le bolt-lock. La barre CD passe en effet au-dessus d'une poulie Ă gorge sur laquelle s'enroule la transmission Ă double fil qui commande la mise au passage du signal correspondant Ă l'aiguillage. La poulie porte une nervure semi-circulaire qui, lorsque l'aiguille est dans la position correcte, peut s'engager dans l'une des deux encoches de la barre CD. Il s'ensuit que le cabinier peut alors manĆuvrer le levier du signal pour mettre celui-ci Ă voie libre. Pour toute autre position de l'aiguille, la nervure semi-circulaire butera contre la partie pleine de la barre CD, s'opposant Ă la rotation de la poulie et immobilisant ainsi la commande du signal. Remarque. - Lorsqu'ils sont intercalĂ©s dans la transmission du signal commandant l'aiguillage, les dĂ©tecteurs mĂ©caniques donnent lieu Ă des rĂ©sistances passives supplĂ©mentaires qui peuvent nuire au bon fonctionnement de la transmission. Quand ils sont montĂ©s isolĂ©ment, ils imposent l'emploi de connexions et de leviers spĂ©ciaux ; il en rĂ©sulte une dĂ©pense et un encombrement supplĂ©mentaires ; leur efficacitĂ© est nulle en cas de bris de la transmission qui les commande. Les dĂ©tecteurs Ă©lectriques suppriment ces inconvĂ©nients. 2. Les dĂ©tecteurs Ă©lectriques fig. 327 et 328. Deux piĂšces de contact a et A sont solidaires chacune du mouvement de l'aiguillage. Chaque fois que l'aiguille se trouve Ă fond de course, d'un cĂŽtĂ© ou de l'autre, ces piĂšces de contact ferment des circuits Ă©lectriques. Fig. 327 et 328. - DĂ©tecteur Ă©lectrique d'aiguilles. Quand l'aiguille n'est pas dans la position convenable, les contacts ne se produisent pas, le courant fait dĂ©faut et le levier de signal en cabine est immobilisĂ© par l'armature d'un Ă©lectro-aimant E1 ou E2 dĂ©sexcitĂ©. La barre solidaire du levier ne comporte qu'une encoche parce que l'on n'immobilise le signal que dans une position, la position normale signal Ă l'arrĂȘt. D. - Les pĂ©dales de calage Les pĂ©dales de calage empĂȘchent le cabinier de manĆuvrer un aiguillage pris par la pointe avant le passage complet du train. Il existe des pĂ©dales mĂ©caniques et des pĂ©dales Ă©lectriques. 1. PĂ©dales mĂ©caniques ou lattes de calage fig. 329. La pĂ©dale mĂ©canique ou latte de calage est constituĂ©e par une barre en fer corniĂšre placĂ©e le long d'un des rails, Ă l'intĂ©rieur de la voie et en avant de la pointe de l'aiguille. Cette barre est supportĂ©e par de petites manivelles, mobiles autour d'axes S fixĂ©s par des consoles au patin du rail fig. 330. Elle peut donc s'abaisser ou se relever dans un plan vertical. Fig. 329. - PĂ©dale mĂ©canique ou latte de calage. Une bielle et un renvoi la relient Ă l'aiguille ou au verrou d'aiguille fig. 331 et rendent son dĂ©placement solidaire de l'aiguille ou du verrou. Fig. 330. - Manivelle de manĆuvre de la pĂ©dale de calage. - PĂ©dale abaissĂ©e. Lorsque l'appareil occupe l'une ou l'autre de ses positions extrĂȘmes, la table supĂ©rieure de la barre se trouve Ă 50 mm environ au-dessous du niveau de la table de roulement du rail. Pour pouvoir manĆuvrer l'aiguille et retirer le verrou, il faut soulever la pĂ©dale, mais aussi longtemps qu'une roue se trouve au-dessus de celle-ci, le mentonnet du bandage maintient la pĂ©dale abaissĂ©e et rend ainsi impossible le dĂ©placement de l'aiguille. Fig. 331. - PĂ©dale mĂ©canique de calage reliĂ©e au verrou d'aiguille. On place la pĂ©dale le plus prĂšs possible de la pointe de l'aiguille et on lui donne une longueur supĂ©rieure au plus grand Ă©cartement entre deux essieux consĂ©cutifs d'un wagon ou d'une voiture. 2. PĂ©dales Ă©lectriques de calage. Avec l'accroissement de la longueur des vĂ©hicules, l'Ă©cartement des essieux a atteint jusqu'Ă 15 mĂštres, les pĂ©dales mĂ©caniques deviennent alors trĂšs lourdes, elles se montent difficilement, la manĆuvre des leviers devient dure, les pĂ©dales se dĂ©tĂ©riorent frĂ©quemment, aussi cĂšdent-elles de plus en plus la place aux dispositifs Ă©lectriques auxquels, par extension de la signification du mot, on a conservĂ© le nom de pĂ©dales de calage fig. 332. Une pĂ©dale Ă©lectrique de calage comporte essentiellement la prĂ©sence en amont de l'aiguillage d'un rail R1 isolĂ© Ă©lectriquement des deux rails contigus. Pour rĂ©aliser l'isolement d'un rail, on intercale dans les deux joints d'extrĂ©mitĂ© une fourrure isolante cuir de bĆuf imbibĂ© d'huile de lin et les Ă©clisses ordinaires sont remplacĂ©es par des Ă©clisses en bois crĂ©osote ou en mĂ©tal garni de fibre isolante. Fig. 332. - PĂ©dale Ă©lectrique de calage d'aiguilles. Deux circuits 1-2 relient le rail isolĂ© R1 Ă la cabine, le circuit 1 comprend une source de courant et un interrupteur d'Ă©conomie i ; le circuit 2, un Ă©lectro-aimant dont l'armature, lorsqu'elle est abandonnĂ©e, enclenche le levier L de manĆuvre de l'aiguille ou du verrou. Lorsqu'il n'y a pas d'essieu sur le rail isolĂ©, le courant de la pile emprunte le rail isolĂ© suivant ab et, parcourant le circuit 2, excite l'Ă©lectro dont l'armature en se relevant libĂšre le levier de manĆuvre. Mais lorsqu'un essieu se trouve sur le rail isolĂ©, le courant de la pile passe directement Ă la terre au travers de cet essieu suivant ac et l'Ă©lectro dĂ©sexcitĂ© lĂąche son armature qui verrouille le levier. L'interrupteur i permet au cabinier de ne faire agir le courant qu'au moment de la manĆuvre du levier. Le rail isolĂ© doit avoir une longueur de 15 Ă 18 mĂštres. CINQUIĂME PARTIEVirage et translation des vĂ©hicules de chemins de fer A. - Plaques tournantes pour wagons et voitures Les plaques tournantes servent Ă faire passer les vĂ©hicules d'une voie sur une autre, que ces voies soient convergentes ou parallĂšles. Elles ne permettent que le passage d'un vĂ©hicule Ă la fois. Si on les subit dans les installations anciennes, on tend de plus en plus Ă les remplacer par des liaisons par aiguillages et on ne les emploie plus guĂšre que dans les installations Ă©triquĂ©es, aux abords des magasins, des ateliers ou dans les raccordements industriels. Fig. 333 La plaque tournante se compose d'un plateau mobile sur un pivot central et soutenu Ă la circonfĂ©rence par des galets qui roulent sur un chemin circulaire en acier. L'ensemble repose dans une cuve cylindrique encastrĂ©e dans la fondation. Fig. 334 Le plateau mobile est formĂ© de quatre poutres disposĂ©es en croix, reliĂ©es entre elles et supportant les rails ; les intervalles sont remplis par un plancher en bois ou en tĂŽle. Fig. 335 Quand les plaques sont placĂ©es Ă l'intersection des voies et des traversĂ©es rectangulaires fig. 333, elles portent deux voies Ă angle droit, de maniĂšre que ni la voie ni la traversĂ©e ne soient jamais interrompues. Des verrous immobilisent la plaque quand elle est abordĂ©e par les vĂ©hicules. La figure 335 montre que le mentonnet de la roue intercepte une longueur de rail 2 a ; dans le cas d'une roue de 1 mĂštre de diamĂštre, cette longueur est Ă©gale Ă 190 mm page 180. Dans ces conditions, le diamĂštre D de la plaque tournante en fonction de la jauge e de la voie et de l'empattement l du vĂ©hicule fig. 334 et 335, est donnĂ© par la formule . D'autre part fig. 333, la largeur minimum de l'entrevoie L est Ă©gale Ă L = D-e. Ainsi, pour D = 6 mĂštres, la largeur minimum de l'entrevoie sera de 4,50 m, si le dĂ©placement latĂ©ral doit se faire normalement aux voies L = 6 m - 1,50 m. Si l'entrevoie ne peut dĂ©passer trois mĂštres, les plaques tournantes chevauchent fig. 336. Fig. 336 Si D = 6 mĂštres, le dĂ©calage x est Ă©gal Ă . A la S. N. C. B., il existe encore quelques plaques tournantes de 4,80 m, mais le type normal est de 6 mĂštres. B. - Circuits de virage et ponts tournants Parvenues au point terminus de leur parcours, les locomotives doivent ĂȘtre virĂ©es bout pour bout pour reprendre la remorque, cheminĂ©e en avant, d'un autre train circulant en sens inverse. On utilise Ă cet effet les circuits de virage et les ponts tournants. 1. Circuits de virage. On leur donne des formes diverses avec la prĂ©occupation de rĂ©aliser l'encombrement le plus rĂ©duit compatible, d'une part, avec le terrain disponible et, d'autre part, avec le rayon au-dessous duquel on ne dĂ©sire pas descendre pour les courbes de circulation. On s'inspire Ă©galement du souci de rĂ©aliser le maximum de rapiditĂ© dans les manĆuvres. 1° La raquette fig. 337. Fig. 337. - La raquette. C'est la solution la plus simple et la plus complĂšte. Il n'y a pas de rebroussement, par consĂ©quent les pertes de temps sont rĂ©duites au minimum et l'on peut virer toute une rame de vĂ©hicules en une fois. L'aiguille est toujours orientĂ©e dans la mĂȘme direction et ne nĂ©cessite l'intervention d'aucun agent. L'espace nĂ©cessaire s'inscrit dans un rectangle de surface L x l ; on a l = 2R et L = CO + OB = R + 2R cos 30° et comme cos 30° = , on a . La place occupĂ©e par cette solution est trĂšs considĂ©rable car si l'on s'impose, par exemple, que le rayon R ne peut descendre au-dessous de 150 mĂštres, on aura L = 409 mĂštresl = 300 mĂštres. Fig. 338. - Dispositif Ă rebroussement unique. 2° Le dispositif Ă rebroussement unique ABC de la figure 338. Il suppose que, d'une part, l'installation soit Ă©tablie sur la voie principale AB et, d'autre part, que la locomotive virĂ©e puisse repartir de B sans devoir revenir au point de dĂ©part A. Il comporte deux arcs de cercle de rayon R et un cul de sac CD dont la longueur l est dĂ©terminĂ©e par celle du vĂ©hicule ou de la rame Ă tourner bout pour bout. La longueur L n'est plus que de 2 R au lieu de et la largeur de R + l au lieu de 2R, mais la largeur est Ă prendre tout entiĂšre du mĂȘme cĂŽtĂ©. 3° Le triangle curviligne de virage fig. 339. Le triangle de virage ABC comporte deux rebroussements, d'oĂč pertes de temps pour arrĂȘts et remises en marche. Fig. 339. - Triangle de virage. Sous sa forme la plus rĂ©guliĂšre, il se prĂ©sente comme le montre la figure 339, avec des culs de sac BD et CE de longueur l pour les rebroussements. L = R + 2l cos 30°, or cos 30° = , . Si R = 150 mĂštres et l = 24 mĂštres, on aura . Sans doute cet encombrement est encore sĂ©rieux, mais il ne faut pas perdre de vue que le triangle de virage ne doit pas nĂ©cessairement se trouver au centre des installations mais qu'il peut ĂȘtre refoulĂ© Ă un endroit propice. L'aiguille, manĆuvrĂ©e par un levier Ă simple action page 194, est prise par le talon dans un sens et revient d'elle-mĂȘme dans la position convenable pour l'autre sens. Le chauffeur de la locomotive peut, par ailleurs, s'assurer de la bonne position de l'aiguille et Ă©ventuellement la manĆuvrer. La S. N. C. B. a installĂ© de nombreux triangles de virage. 4° Circuit de virage Ă fleuron ou Ă©toilĂ© fig. 340 Ă 343. Dans la solution prĂ©cĂ©dente, les voies parcourues ne se recoupent pas. Si l'on admet le recoupement, on peut diminuer l'encombrement en adoptant les figures Ă fleuron ou Ă©toilĂ©es note 237. Fig. 340. - Triangle de virage Ă fleuron. Dans la pratique, il y a souvent une dimension pour laquelle on n'est pas gĂȘnĂ© et la difficultĂ© n'existe que pour la dimension perpendiculaire. Or celle-ci peut ĂȘtre sensiblement rĂ©duite dans le cas du triangle curviligne en adoptant la forme de fleuron fig. 340. L'encombrement minimum sera donnĂ© par x = y. La figure 341 reprĂ©sente le triangle de virage Ă fleuron installĂ© en 1926 Ă la gare belge d'Esschen proche de la frontiĂšre hollandaise. Le dispositif Ă fleuron a Ă©tĂ© adoptĂ© parce que l'on ne disposait que d'une bande de terrain de 150 m de largeur seulement. Fig. 341. - Triangle de virage Ă fleuron de la gare frontiĂšre belge d'Esschen. Avec les figures Ă©toilĂ©es, plus grand sera le nombre de sommets, plus rĂ©duit sera l'encombrement. Mais pratiquement, on ne peut songer Ă dĂ©passer le pentagone Ă©toilĂ© fig. 342 lequel comporte trois rebroussements. Un pentagone Ă©toilĂ© ABCDE a Ă©tĂ© Ă©tabli Ă Roulers par la S. N. C. B. en 1920, mais il a Ă©tĂ© supprimĂ© en 1947 pour permettre l'agrandissement d'un atelier. Le pentagone Ă©toile a Ă©tĂ© remplacĂ© par une plaque tournante de 22 m de diamĂštre. Fig. 342. - Pentagone de virage Ă©toilĂ© ABCDE de Roulers. La figure 343 reprĂ©sente le pentagone Ă©toile rĂ©alisĂ© Ă la station italienne de Brennero. En ce point frontiĂšre de la ligne du Brenner, tous les trains changent de locomotives. L'Ă©tablissement d'un pont tournant y aurait Ă©tĂ© trĂšs onĂ©reux, il aurait fallu le protĂ©ger contre la neige en raison de l'altitude m. D'autre part, l'espace dont on disposait entre une route et la montagne 104 m Ă©tait insuffisant pour installer un triangle de virage ordinaire. Le problĂšme fut rĂ©solu par l'emploi d'une sorte de polygone Ă©toilĂ© Ă cinq branches. Le rayon minimum des courbes est de 142 m. Pour Ă©viter toute dĂ©pense de personnel, les aiguilles sont talonnables, un contre-poids fixe les ramenant toujours en position normale. Fig. 343. - Pentagone Ă©toilĂ© de virage de la station italienne de Brennero. La longueur totale du dispositif de pointe Ă pointe des aiguilles extrĂȘmes est de 220 m, sa largeur de 90 m. Le virage d'une locomotive demande 4 minutes environ. Remarque. - Les circuits de virage permettent la circulation des locomotives accouplĂ©es sous condition de donner aux culs de sac une longueur adĂ©quate. 2. Ponts tournants pour locomotives. Les ponts tournants se diffĂ©rencient des plaques tournantes en ce qu'ils ne comportent que les poutres portant les rails et n'ont pas de plateforme extĂ©rieurement Ă ces poutres pour recouvrir la fosse. Ponts tournants Ă Ă©quilibrage central. Dans ce systĂšme, la charge porte entiĂšrement sur le pivot central et les galets d'extrĂ©mitĂ© ne sont lĂ que pour s'opposer au basculement du pont au moment oĂč la locomotive l'aborde ou le quitte. La position Ă donner Ă la locomotive sur le pont n'est pas indiffĂ©rente, la locomotive doit toujours ĂȘtre convenablement centrĂ©e de maniĂšre que le centre de gravitĂ© de l'ensemble locomotive et tender tombe le mieux possible Ă l'aplomb du pivot. Le moment moteur pour la rotation du pont est rĂ©duit au minimum en concentrant les forces de frottement le plus prĂšs possible du pivot afin de leur donner un bras de levier minimum. La longueur des locomotives et par suite leur poids augmentant sans cesse, les ponts tournants sont toujours, Ă l'heure actuelle, Ă©quipĂ©s d'un tracteur Ă©lectrique suffisamment lourd pour que son adhĂ©rence sur le rail circulaire, placĂ© Ă la pĂ©riphĂ©rie de la fosse, suffise pour entraĂźner le pont tournant. Le diamĂštre des ponts tournants modernes varie de 22 Ă 30 mĂštres ; il en existe mĂȘme en AmĂ©rique qui mesurent 41 mĂštres pour le virage de locomotives de 537 tonnes. On se rend compte de l'importance que prennent les fondations du pivot des ponts tournants servant au virage des lourdes locomotives modernes. Il faut aussi considĂ©rer les fondations des culĂ©es qui ont Ă rĂ©sister aux plus lourdes charges avec chocs. Dans la dĂ©termination des charges statiques assimilĂ©es, on recommande de multiplier le poids de l'essieu abordant par le coefficient 7,5. Les charges des extrĂ©mitĂ©s du pont tournant abordĂ© doivent normalement porter entiĂšrement sur les sabots de calage, mais il peut arriver que les charges portent partiellement oĂč mĂȘme totalement sur les galets de roulement et, dans le calcul des fondations des culĂ©es, il convient d'avoir Ă©gard Ă cette derniĂšre hypothĂšse. La longueur et le poids croissants des locomotives, la nĂ©cessitĂ© Ă©conomique de plus en plus impĂ©rieuse d'un virage rapide ont soulignĂ© certains inconvĂ©nients des ponts Ă Ă©quilibrage central. Fig. 344 Pour assurer le portage sur le pivot malgrĂ© la flexion des poutres, il faut mĂ©nager sous les extrĂ©mitĂ©s un jeu important qui oblige Ă placer les rails du pont Ă un niveau plus Ă©levĂ© que celui des voies aboutissantes fig. 344, d'oĂč rĂ©sultent des chocs importants au passage des locomotives. Il faut caler les extrĂ©mitĂ©s du pont avant que la locomotive puisse l'aborder, les dĂ©caler sous charge avant le virage et les recaler au moment oĂč la locomotive quitte le pont fig. 345. Le sabot de calage soutient le pont au moment oĂč la locomotive l'aborde, le verrou empĂȘche le pont de dĂ©vier Ă droite ou Ă gauche sous l'effet du choc d'abordage. Pour rĂ©aliser l'Ă©quilibre, le pont Ă Ă©quilibrage central exige un diamĂštre plus grand que l'empattement de la locomotive et de son tender ; en effet, il faut, avant le virage, perdre du temps Ă faire aller et venir la locomotive pour que son centre de gravitĂ© tombe le mieux possible Ă l'aplomb du pivot. Les ponts Ă Ă©quilibrage central se dĂ©rĂšglent facilement ce qui rend la manĆuvre parfois difficile. Les rĂ©parations sont frĂ©quentes. Fig. 345. - Verrouillage et calage d'un pont tournant Ă Ă©quilibrage = verrou,S = sabot de calage,L = levier unique de manĆuvre du verrou et du sabot. Il existe d'autres types de ponts tournants qui suppriment ces inconvĂ©nients en rĂ©partissant la charge de la locomotive entre le pivot central et le chemin de roulement. Selon leur conception, on les range en deux catĂ©gories les ponts Ă poutres continues Ă trois appuis, parmi lesquels se classent les ponts Ă©tudiĂ©s par l'ingĂ©nieur Mundt des chemins de fer nĂ©erlandais ; les ponts composĂ©s de deux poutres Ă deux appuis, rĂ©unies par une articulation au droit du pivot. Ces conceptions Ă©liminent tout basculement ou jeu entre galets et cercle de roulement et rĂ©duisent les chocs sur le pont lorsqu'une locomotive aborde celui-ci ou le quitte. DĂšs lors, ces ponts ne doivent plus ĂȘtre calĂ©s, ni dĂ©calĂ©s, mais simplement verrouillĂ©s et dĂ©verrouillĂ©s. Pour le cas oĂč la charge porterait uniquement sur la travĂ©e opposĂ©e au galet moteur, les poutres principales du pont Mundt sont rendues plus flexibles dans la zone du pivot que vers le milieu des deux travĂ©es de maniĂšre Ă obtenir une adhĂ©rence suffisante Ă l'extrĂ©mitĂ© motrice pour les plus mauvaises conditions de charge. Avec le pont Mundt Ă poutres principales continues, lorsque le pont est soumis Ă une charge Ă©quilibrĂ©e, le poids est pour les 5/8 supportĂ© par le pivot central et le surplus est uniformĂ©ment rĂ©parti entre les galets d'extrĂ©mitĂ©. Avec un pont articulĂ©, chargĂ© d'une maniĂšre analogue, la moitiĂ© du poids repose sur le pivot et un quart sur chacun des deux jeux de galets. Les poutres de ces ponts tournants sont sensiblement moins hautes et partant moins lourdes, il s'ensuit que la cuve peut ĂȘtre moins profonde que pour le type ordinaire. Enfin, la rĂ©partition de la charge permanente permet d'employer des fondations moins importantes. Le temps de virage est rĂ©duit puisqu'il n'est plus nĂ©cessaire d'Ă©quilibrer la locomotive sur le pont. De ce chef aussi, et toutes choses Ă©gales, le diamĂštre du pont peut ĂȘtre plus petit. La S. N. C. B. a installĂ© un pont Mundt de 20 mĂštres Ă Gouvy, un de 24 mĂštres Ă Stockem, Bruxelles-Nord, Bruxelles-Midi et Forest. Des ponts du type continu, lĂ©gĂšrement diffĂ©rents du type Mundt, ont Ă©tĂ© installĂ©s rĂ©cemment Ă Kinkempois et Ă Haine St Pierre. Remarque. - ComparĂ©s aux circuits de virage, les ponts tournants sont des ouvrages d'art coĂ»teux soumis Ă des fatigues considĂ©rables et exigeant des fondations exceptionnelles. N'insistons pas sur la gravitĂ© d'une chute Ă©ventuelle de la locomotive dans la fosse par suite de nĂ©gligence dans le verrouillage du pont. C. - Transbordeurs Les transbordeurs peuvent servir au transfert des wagons, voitures et locomotives d'une voie sur une autre voie parallĂšle. On construit 1° Des transbordeurs avec fosse ou transbordeurs Ă voies interrompues fig. 346. En France, dans certaines gares de coĂŻncidence, il existe des transbordeurs servant Ă faire passer certaines voitures d'un train dans un autre sans devoir passer par la tĂȘte du faisceau. En Belgique, aux anciens quais du Sud du port d'Anvers, de part et d'autre du Steen, il existe encore des transbordeurs Ă fosse pour le classement des wagons Ă quai note 242, mais partout ailleurs au port, on a recours aux liaisons de voies par aiguillages. Fig. 346. - Transbordeur Ă fosse. 2° Des transbordeurs sans fosse. Parmi ceux-ci, on distingue les transbordeurs surĂ©levĂ©s plus spĂ©cialement rĂ©servĂ©s au dĂ©placement des voitures et des wagons ; les transbordeurs mi-surbaissĂ©s affectĂ©s au dĂ©placement des vĂ©hicules lourds tels que les locomotives. En dehors des cas signalĂ©s ci-dessus, les transbordeurs sont surtout utilisĂ©s dans les remises Ă locomotives et dans les ateliers de rĂ©paration du matĂ©riel roulant. La description de ces appareils ne rentre pas dans le cadre de cet ouvrage. U. LAMALLE. FĂ©vrier 1951. Notes note 002_1 En Russie 1,524 m, en Espagne et au Portugal 1,676 m. note 002_2 Pour le rail belge de 50 kg/m, par exemple, la distance d'axe en axe des rails est de 1,507 m voir Fascicule II, Pose de la Voie en Courbe, troisiĂšme Ă©dition, 1949, page 2. note 002_3 En alignement droit, avec 2 mĂštres d'entrevoie, le gabarit belge du matĂ©riel roulant, avec portiĂšre ouverte, empiĂšte sur le gabarit voisin, portiĂšre fermĂ©e, de 17 cm. Lorsqu'une portiĂšre s'ouvre en marche, elle tend Ă se rabattre complĂštement contre la paroi, en vertu de l'inertie et de la vitesse. Quand le train s'arrĂȘte, elle tend au contraire Ă se refermer. L'accrochage par ouverture de portiĂšre suppose qu'un train croise au moment mĂȘme oĂč la portiĂšre s'ouvrant, elle occupe la position normale Ă la paroi ou lorsqu'elle tend Ă se refermer lors d'un ralentissement ou d'un arrĂȘt. Quoi qu'il en soit, en Belgique, la tendance est d'augmenter la largeur de l'entrevoie de 15 Ă 20 cm. note 006 Les cendrĂ©es des fours Ă zinc exceptĂ©es. note 008 Le petit granit » belge n'est qu'un calcaire dur. note 010 Le ballast 20 X 40 mm, devenu trĂšs cher parce qu'on l'utilise Ă d'autres fins bĂ©ton, n'est plus guĂšre employĂ© Ă la S. N. C. B. note 012 ConfĂ©rence du 11-10-1935 par Ch. Driessen Ă l'Institut royal des ingĂ©nieurs hollandais. note 013 Rail maintenu sous tension. note 015 Die Reichsbahn - 10 octobre 1928. note 016 Une mĂšche de coton trempĂ©e dans cette solution mixte de chlorate et de carbonate, puis sĂ©chĂ©e, brĂ»le huit fois moins vite que si elle a Ă©tĂ© trempĂ©e dans la solution de chlorate pur. Les vĂȘtements ou chaussures mouillĂ©s par la solution deviennent, lorsqu'ils sont secs, extrĂȘmement inflammables. Il faut les laver Ă grande eau s'ils ont Ă©tĂ© Ă©claboussĂ©s. Il est prudent de pourvoir les ouvriers de bottes et de tabliers en caoutchouc. Les souliers Ă clous qui pourraient provoquer des Ă©tincelles, sont Ă proscrire. Pour permettre de dĂ©celer la prĂ©sence de solution herbicide sur les vĂȘtements, on peut colorer cette solution. Enfin, les ouvriers ne doivent pas oublier que le chlorate est un poison. note 018 Locomotive type 1 4-6-2 de la S. N. C. B. note 019_1 C'D' = 2 0,40 + 0,90 + 0,30 = 3,20 m. note 019_2 Avec les charges de 36 tonnes par essieu des locomotives amĂ©ricaines, l'Ă©cartement des traverses est rĂ©duit Ă 50 cm. note 024 La distillation fractionnĂ©e du goudron de houille donne, selon la tempĂ©rature d'Ă©bullition, les distillats suivants huiles lĂ©gĂšres benzol, benzine, huiles moyennes benzine lourde, naphtaline, huiles lourdes huile de crĂ©osote, anthracĂšne. note 025 Une traverse de 2,60 m x 0,28 m x 0,14 m = 100 dĂ©cimÂł. Pour une traverse en chĂȘne, absorbant 4 kg de crĂ©osote, on obtient un taux d'imprĂ©gnation de 40 grammes par dĂ©cimÂł ; si la traverse est en hĂȘtre et absorbe 15 kg de crĂ©osote, le taux monte Ă 150 gr par dĂ©cimÂł. note 028_1 Le procĂ©dĂ© Bethell peut cependant ĂȘtre utilisĂ© Ă©galement pour le sulfate de cuivre et pour le chlorure de zinc. note 028_2 On emploie Ă©galement, mais sur une beaucoup moindre Ă©chelle, le chlorure de zinc avec le systĂšme RĂŒping. note 029 Dans les chantiers de crĂ©osotage des chemins de fer belges Ă Wondelgem, chaque cylindre mesure 23 m de longueur sur 2,50 m de diamĂštre et l'on peut y enfourner une rame entiĂšre de wagonnets chargĂ©s au total d'environ 360 traverses, soit environ 90 traverses par wagonnet. note 032 Dans le chĂȘne, le cĆur est Ă peu prĂšs rĂ©fractaire Ă la pĂ©nĂ©tration. note 034 La charge dynamique au droit d'un essieu moteur peut ĂȘtre prĂšs du double de la charge statique. note 041 Tome II - Exploitation technique - 3° Ă©dition, 1949, page 102. note 042_1 Voir page 34, paragraphe 6. note 042_2 Selle mĂ©tallique d'appui pour voie en courbe avec attaches type Angleur. note 044 Pour Ă©viter cet inconvĂ©nient, dans certaines selles, le rebord est abattu complĂštement Ă l'emplacement de la tĂšte du tirefond de fixation du rail selle de 50 kg modĂšle 28. note 045 Voir 3e partie Les Rails, chapitre IX. note 046 Deux rails de 27 mĂštres soudĂ©s. note 047_1 Tome III - Fascicule II, 3e Ă©dition, 1949 - Pose de la voie en courbe - page 9. note 047_2 36 t x fr la tonne par exemple = fr/km. note 051_1 Avantages propres aux traverses en bois page 41. note 051_2 En 1922, les usines d'OugrĂ©e-Marihaye laminaient des traverses mĂ©talliques sans trou. Le rail Ă©tait fixĂ© par selle Ă crochet, crapaud et boulon dont la tĂȘte se logeait dans un creux embouti dans la table de la traverse. La selle elle-mĂȘme embrassait la table formant encorbellement et s'accrochait des deux cĂŽtĂ©s par un dispositif en queue d'aronde. Une cale complĂ©tait l'assemblage. Revue Universelle des mines - 16 juin 1923 - GĂ©nie Civil - 8 octobre 1922. note 051_3 Bulletin de documentation de l'Ossature mĂ©tallique - janvier-fĂ©vrier 1933. note 052 Voir 3me partie Les Rails - Chapitre IV Pose des rails de grande longueur ». note 054 Avec les traverses d'OugrĂ©e et d'Angleur, on ne pose pas d'anticheminants, sauf lors de la pose de la voie, c'est-Ă -dire pendant le rodage » et ce provisoirement. note 056_1 Par suite de la prĂ©sence de pyrites FeS dans le charbon dont proviennent les cendrĂ©es. note 056_2 Circuit de voie et block automatique - voir tome II, l'Exploitation technique - 3me Ă©dition - Signalisation - 2me partie - p. 102. note 057_1 La Suisse, par exemple, n'a que trĂšs peu de chĂȘne. note 057_2 Soufflage, voir le chapitre Entretien de la Voie. note 058 L'Italie consomme 3 millions de traverses en bois par an, l'Angleterre 5 millions, la France 5 millions et la Belgique ± La disproportion entre les besoins et les ressources s'aggrave d'annĂ©e en annĂ©e. note 059 Circuits de voie voir tome II. L'Exploitation technique - 3me Ă©dition - La Signalisation - 2me partie - p. 102. note 061_1 Bulletin du CongrĂšs International des Chemins de fer. Novembre 1921 - R. DESPRETS. Juin 1921 - DINO LEVI DE VEALI. note 061_2 M. VAGNEUX, IngĂ©nieur en chef Ă l'ancienne compagnie française du P. L. M. note 072 On appelle traverse danseuse», une traverse qui, retenue par les attaches, est suspendue au rail Ă la suite d'un affaissement du moule ». Au passage de chaque essieu, elle s'abaisse puis se relĂšve. Le moule » est la partie du ballast qui supporte directement la traverse. note 074_1 Niveau Van den Berghe de la S. N. C. B. ; il se compose d'une piĂšce mĂ©tallique formant pont entre les deux rails. Cette piĂšce porte en son milieu un secteur circulaire graduĂ© R = 1,30 m sur lequel glisse un niveau. Celui-ci, Ă©tant amenĂ© dans la position horizontale bulle entre les repĂšres, on lit directement sur la graduation du secteur, la dĂ©nivellation d'un rail par rapport Ă l'autre. note 074_2 Le viseur se compose d'une lunette ordinaire, Ă lecture renversĂ©e. La lunette comporte un rĂ©ticule Ă deux fils horizontal et vertical. Un dispositif de rĂ©glage et un niveau permettent de rendre le rĂ©ticule parfaitement horizontal et de faire des visĂ©es dans un plan horizontal. Le viseur est fixĂ© au rail par deux pinces Ă griffes, il peut pivoter autour de son axe vertical pour les visĂ©es dans les courbes. Une Ă©chelle graduĂ©e permet de fixer le viseur Ă une hauteur dĂ©terminĂ©e au-dessus du rail. note 074_3 La mire est composĂ©e d'un cadre ajourĂ© portant trois Ă©chelles verticales graduĂ©es identiques. Elle se met en station sur le rail au moyen de pinces. Un niveau assure la parfaite horizontalitĂ© de la ligne des zĂ©ros. Sous les zĂ©ros, la mire est peinte en noir pour Ă©viter toute confusion de lecture. Une Ă©chelle graduĂ©e, placĂ©e sur la tige support, permet de rĂ©gler en hauteur la ligne des zĂ©ros. note 077 Diplorry ensemble de deux trucks lorry indĂ©pendants, composĂ©s chacun d'un chĂąssis montĂ© sur deux paires de roues et soutenant une traverse porteuse. La solidarisation des deux trucks se fait par le poids du chargement. note 080 Le mot anglais rail » signifie barre » d'oĂč l'expression railways » chemins en barres. note 082 Le Great Western Railway » avait cependant adoptĂ© la voie de 2,34 m 7 pieds anglais et l'a conservĂ©e longtemps. note 085 Voir chapitre IX Le cheminement des rails. note 086 Les rails Ă patin furent prĂ©conisĂ©s aux Ătats-Unis vers 1832 par Stevens et introduits en Europe en 1836 par l'anglais Vignole. note 088_1 C'est pourquoi les rĂšglements prescrivent des pesĂ©es pĂ©riodiques des locomotives, pour s'assurer que les essieux ont bien leur charge normale, notamment les essieux d'avant et d'arriĂšre qui sont appelĂ©s Ă guider la locomotive en courbe. note 088_2 Nous traiterons la question de l'usure au chapitre VII. note 091 Cas du rail belge de 52 kg/m. note 093 Le patin, se refroidissant plus vite que le bourrelet, met d'abord le bourrelet en tension par effet de retrait mais, au fur et Ă mesure du refroidissement, c'est l'inverse qui se produit ; le patin est alors mis en tension et la cambrure finale se forme avec patin Ă l'extĂ©rieur de la courbe. note 096 U. V. F. 3. - Union des voies ferrĂ©es. - Profil n° 3. U. V. F. 3 R. - Union des voies ferrĂ©es. - Profil n° 3 renforcĂ©. note 098 Nous reparlerons ultĂ©rieurement du rail Compound ». note 100_1 TempĂ©rature en degrĂ©s centigrades prise sur le rail au moment de la pose. note 100_2 Si l'on touche un rail exposĂ© en plein soleil, on constate que le patin est moins chaud que le bourrelet. Sous un soleil ardent, les rails atteignent une tempĂ©rature telle qu'il est presque impossible d'y poser la main. note 100_3 Les chemins de fer vicinaux belges posent leurs rails Ă orniĂšre et mĂȘme leurs rails Vignole sans joint de dilatation traverses recouvertes de ballast. note 102 Notamment, sur les fortes dĂ©clivitĂ©s et dans les rĂ©gions de freinage. note 104 Bulletin de l'Association internationale des Chemins de fer - fĂ©vrier 1921. Le calcul des rails » par M. DESPRETS, IngĂ©nieur en chef Ă la S. N. C. B. note 108_1 Voir L'Ă©tat de la question des rails en acier Thomas sur le rĂ©seau de la S. N. C. B. » par J. SERVAIS - Bulletin du CongrĂšs des Chemins de fer - janvier 1951. note 108_2 Retassure phĂ©nomĂšne physique cavitĂ©, souvent en forme d'entonnoir, qui se produit dans la rĂ©gion supĂ©rieure des lingots par suite de retrait qui accompagne la solidification. note 108_3 SĂ©grĂ©gation phĂ©nomĂšne chimique dĂ©faut dĂ» Ă l'accumulation des impuretĂ©s sulfureuses et phosphoreuses, etc., au centre et vers le sommet du lingot c'est-Ă -dire dans la partie qui se solidifie en dernier lieu. note 109_1 Une flĂšche dont la pointe indique le cĂŽtĂ© des rails correspondant Ă la tĂȘte » du lingot est laminĂ©e en relief sur l'Ăąme des rails. Pour le rail 50 kg/m, le choc se donne au moyen d'un mouton de 1000 kg tombant librement de 6 m de hauteur sur coupons de rails reposant par le patin sur appuis espacĂ©s d'un mĂštre. AprĂšs chaque choc, la flĂšche est relevĂ©e. Toutes les chutes de tĂȘte doivent rĂ©sister Ă un choc sans se briser. note 109_2 Les Ă©prouvettes sont prĂ©levĂ©es dans la chute de culasse en nombre correspondant Ă 25 % du nombre total des coulĂ©es. note 109_3 La rĂ©silience est la force vive ou travail absorbĂ© par l'Ă©prouvette pour provoquer sa rupture sous l'effet du mouton pendule. Elle s'exprime par le nombre de kgm nĂ©cessaires pour produire la rupture mais ce nombre est rapportĂ© au cmÂČ de la section exposĂ©e Ă la rupture 10 mm x 8 mm. Pour l'Ă©prouvette Mesnager, le nombre de kgm nĂ©cessaire Ă la rupture reprĂ©sente donc les 8/10 de la rĂ©silience. Les essais se pratiquent sur 20 % des coulĂ©es. note 109_4 Les bonnes fabrications donnent un pourcentage de rĂ©siliences, Ă©gales ou supĂ©rieures Ă 3 kgm, d'au moins 70 % du nombre total d'Ă©prouvettes. note 110_1 Essai de duretĂ©. - L'essai de duretĂ© Brinell consiste Ă pratiquer une empreinte par pĂ©nĂ©tration, Ă la surface de l'acier Ă essayer, au moyen d'une pression P de 3000 kg exercĂ©e progressivement et maintenue pendant 15 secondes sur une bille en acier trempĂ© de 10 mm de diamĂštre. Le diamĂštre de l'empreinte ainsi obtenue est relevĂ© au moyen d'un microscope graduĂ©. Si S est la surface en mmÂČ de la calotte sphĂ©rique de l'empreinte laissĂ©e par la bille, le rapport P/S donne le chiffre de duretĂ© Brinell. Si D est le diamĂštre de la bille, d celui de l'empreinte relevĂ©e, on a . Des tables donnent directement le chiffre de duretĂ© Brinell correspondant aux empreintes obtenues. Pour les rails ordinaires nuance 70 Ă 80 kg/mmÂČ les chiffres de duretĂ© seront compris entre 200 et 242. Pour les mĂ©taux, on peut se faire une idĂ©e suffisamment approchĂ©e de la rĂ©sistance Ă la rupture en kg/mmÂČ en se servant du chiffre de duretĂ© et en le multipliant par un coefficient qui pour les aciers est de 0,35. Les tables donnent Ă©galement les rĂ©sistances correspondant aux diamĂštres d'empreintes et aux chiffres de duretĂ©. note 110_2 Prise d'une empreinte Baumann distribution du soufre sur une section bien dressĂ©e et passĂ©e Ă la lime douce. Le papier photographique au bromure ou au citrate d'argent est au prĂ©alable imprĂ©gnĂ© d'une solution d'acide sulfurique Ă 3° BaumĂ©, puis appliquĂ© sur la surface Ă explorer. Il y a dĂ©gagement d'hydrogĂšne sulfurĂ© sous l'action de l'acide sulfurique et des taches de sulfure d'argent apparaissent lĂ oĂč existent des sulfures dans le mĂ©tal. Lorsque l'image est suffisamment nette, on lave et on fixe par l'hyposulfite de soude comme s'il s'agissait d'une reproduction photographique. note 110_3 La plus ou moins grande aptitude Ă la surchauffe est fonction de la grosseur du grain austĂ©nitique primaire propre Ă chaque coulĂ©e d'acier. Voir La grosseur du grain austĂ©nitique de l'acier » par W. MEERT, IngĂ©nieur civil mĂ©tallurgiste - Bulletin de l'Union des IngĂ©nieurs de Louvain - FĂ©vrier 1946. note 111 La dĂ©formation des barres due au retrait aprĂšs refroidissement provient de l'inĂ©galitĂ© relative des masses entre bourrelet, Ăąme et patin des rails. note 115_1 On constate Ă©galement en courbe une tendance Ă l'Ă©crasement du rail le plus chargĂ©, Ă©crasement qui se traduit par la formation de bavures mĂ©talliques, rĂ©sultant de l'Ă©coulement latĂ©ral du mĂ©tal. note 115_2 Bulletin du CongrĂšs des Chemins de fer - janvier 1940 - JACOPS, IngĂ©nieur de la note 115_3 Sinon les mentonnets des roues heurteraient les Ă©clisses de joints. note 117_1 Pour le procĂ©dĂ© de fabrication des rails compound», voir la Verkehrstechnik» du 5-X-1940. note 117_2 Initiation Ă l'Ă©tude de la constitution physico-chimique des aciers de construction - Traitements thermiques - J. SERVAIS, chef du service des essais de la voie Ă la - 2e Ă©dition, 1942. note 118 D'aprĂšs leur teneur en carbone, on distingue dans les alliages fer carbone la classification suivante le fer contenant de 0 Ă 0,04 % de C, les aciers ordinaires contenant de 0,04 Ă 0,9 % thĂ©oriquement jusqu'Ă 1,7 % de carbone aciers doux de 0,04 Ă 0,20 % de C ; aciers demi durs 0,20 Ă 0,35 % de C ; aciers durs de 0,35 Ă 0,9 % de C, la fonte contenant plus de 1,7 % de C. Les aciers de construction profilĂ©s divers, fers marchands, tĂŽles et larges plats sont en acier doux. Les piĂšces de forge sont en acier doux ou en acier demi dur. Les outils de coupe sont en acier au carbone trĂšs dur ou en acier spĂ©cial. Les aciers sont obtenus par affinage de la fonte dĂ©carburation et Ă©limination des Ă©lĂ©ments Ă©trangers par des procĂ©dĂ©s divers Affinage par le vent dans les convertisseurs Bessemer Ă revĂȘtement intĂ©rieur Ă rĂ©action acide revĂȘtement siliceux, Ă revĂȘtement Ă rĂ©action basique dolomie calcinĂ©e = carbonate naturel de chaux et de magnĂ©sie ; c'est le procĂ©dĂ© Thomas appliquĂ© aux fontes phosphoreuses le plus usuel en Belgique note 118_1. Affinage de la fonte sur la sole d'un four Martin Ă revĂȘtement acide, Ă revĂȘtement basique. L'acier est encore fabriquĂ© aux fours Ă©lectriques et aux fours Ă creusets. Il existe aussi des procĂ©dĂ©s mixtes Talbot, Bertrand-Thiel, Duplex. La cĂ©mentite est un carbure de fer Fe3C qui, considĂ©rĂ©e en tant qu'Ă©lĂ©ment indĂ©pendant, contient 6,7 % de C. Les proportions relatives de ferrite et de perlite varient selon la teneur en C de l'alliage, de sorte que, entre les limites de 0 Ă 0,9 % de C des aciers usuels Ă 0 % de C, il n'y a que de la ferrite, Ă 0,9 % de C, il n'y a que de la perlite eutectoĂŻde fig. 141. PropriĂ©tĂ©s mĂ©caniques des constituants La ferrite est tendre. La cĂ©mentite Fe3C est un corps trĂšs dur et trĂšs cassant ; incorporĂ©e dans le fer, elle lui communique ses propriĂ©tĂ©s suivant la proportion absorbĂ©e. La ferrite faible rĂ©sistance Ă la traction 28 Ă 35 kg/mmÂČ, grande ductilitĂ© ± 35 % d'allongement. La perlite agrĂ©gat de ferrite et de cĂ©mentite grande rĂ©sistance Ă la traction 85 Ă 90 kg/mmÂČ, faible ductilitĂ© ± 8 % d'allongement. Il s'ensuit que la rĂ©sistance Ă la traction des aciers croĂźt avec la proportion de perlite, laquelle est fonction de la teneur en C, tandis que le pourcentage d'allongement diminue dans les limites de 0 Ă 0,9 % de C. L'austĂ©nite est une solution solide» homogĂšne de carbure de fer dans le fer gamma. Il n'est pratiquement pas possible d'obtenir la structure austĂ©nitique avec l'acier au C sans alliage parce que le refroidissement n'est pas assez rapide. Pour obtenir l'austĂ©nite seule, il faut tremper des aciers spĂ©ciaux Ă forte teneur en Mn ou en Ni ou bien tremper dans l'eau glacĂ©e un acier trĂšs carburĂ© 1 % de C par exemple et renfermant 2 de Mn. La martensite. - Si l'acier est fortement chauffĂ© c'est-Ă -dire jusqu'au-dessus du point critique supĂ©rieur tout le carbone se dissout et reste en solution aprĂšs refroidissement rapide trempe et forme la martensite. La martensite, trĂšs dure et trĂšs fragile, est la caractĂ©ristique de l'Ă©tat trempĂ© des aciers ordinaires suffisamment carburĂ©s. Pour obtenir cet Ă©tat trempĂ©, il faut empĂȘcher toute dĂ©composition avant d'atteindre les tempĂ©ratures basses auxquelles prend naissance la martensite, c'est-Ă -dire, franchir rapidement les zones oĂč cette dĂ©composition de l'austĂ©nite s'opĂšre Ă grande vitesse. L'apparition de la martensite est donc accompagnĂ©e d'une augmentation de la duretĂ©. La troostite. - Quand, avant trempe, on part d'une tempĂ©rature infĂ©rieure Ă celle qui donnerait la structure martensitique, on obtient de la troostite. Celle-ci est donc le constituant obtenu par la trempe douce de l'acier suffisamment carburĂ©. La sorbite. - C'est la structure obtenue par revenu, pratiquĂ© aprĂšs trempe, d'un acier martensitique. Lorsque les piĂšces Ă traiter tels les rails doivent avoir une duretĂ© diffĂ©rente en profondeur Ă partir de la surface, on peut pratiquer le revenu par conductibilitĂ©, c'est-Ă -dire, qu'on rĂ©chauffe les piĂšces jusqu'Ă la tempĂ©rature de trempe et l'on trempe seulement la partie pour laquelle on recherche la duretĂ©. La chaleur rĂ©siduelle du restant de la piĂšce rĂ©chauffe alors la partie trempĂ©e jusqu'Ă la tempĂ©rature du revenu. Selon la tempĂ©rature du revenu, la martensite subsiste ou disparaĂźt complĂštement. Au-dessous de 400°, la martensite disparaĂźt complĂštement et, avec elle, ses propriĂ©tĂ©s caractĂ©ristiques ; Ă partir de ce moment, la sorbite possĂšde les propriĂ©tĂ©s de la perlite. La sorbite caractĂ©rise donc les aciers trempĂ©s et revenus. note 118_1 Par suite des facilitĂ©s d'approvisionnement en minerais phosphoreux des bassins de Briey et du Luxembourg. note 119 La teneur de 0,9 % de C correspond Ă l'eutectoĂŻde. On appelle eutectoĂŻde l'eutectique qui se forme aux dĂ©pens d'une masse solide, l'appellation eutectique » Ă©tant rĂ©servĂ©e Ă la structure qui prend naissance aux dĂ©pens d'un liquide. Un eutectique comporte des teneurs bien dĂ©finies de constituants. Il se caractĂ©rise, en outre, par le fait qu'il fond Ă une tempĂ©rature nettement plus basse que celles auxquelles fondent les constituants. note 122_1 Sans rĂ©chauffage. note 122_2 Sans rĂ©chauffage. note 123_1 MesurĂ©e sur Ă©prouvette de 13,8 mm de diamĂštre dont le centre est Ă 10 mm de la surface de roulement. note 123_2 MaximilianshĂŒtte Ă Rosenberg BaviĂšre. note 123_3 Sans rĂ©chauffage. note 125_1 Bulletin de l'Association Internationale du CongrĂšs des Chemins de fer - J. SERVAIS - avril 1936. note 125_2 Le mĂ©canisme par lequel les abouts des rails sont martelĂ©s par les roues au moment du franchissement du joint est encore assez obscur. Il semble qu'il se produise un choc direct sur le rail d'aval en mĂȘme temps qu'un rebondissement de la roue. Ce phĂ©nomĂšne provoque tantĂŽt l'Ă©crasement de l'extrĂ©mitĂ© du rail, tantĂŽt la formation d'une cuvette dont la position est variable mais qui paraĂźt s'Ă©loigner du joint d'autant plus que la vitesse est plus grande fig. 143. Fig. 143 note 126_1 La Locomotive par U. LAMALLE et F. LEGEIN - 4e Ă©dition 1948 - page 587. note 126_2 La Locomotive par U. LAMALLE et F. LEGEIN - 4e Ă©dition 1948 - page 550. Pose de la voie en courbe - Tome III du cours d'exploitation des chemins de fer, fascicule II, 1949 - U. LAMALLE. note 127 Voir, page 90, l'Ă©tude des portĂ©es d'Ă©clissage. note 128 Ancien type d'Ă©clissage. L'Ă©clissage actuel est reprĂ©sentĂ© figure 120, page 91. note 130_1 Largeur du patin ± 1 mm ; hauteur, largeur du bourrelet et Ă©paisseur de l'Ăąme ± 0,5 mm ; ouvertures des portĂ©es d'Ă©clissage + 0 mm, - 0,5 mm. note 130_2 Pour les Ă©clisses, tolĂ©rance sur le profil de la chambre d'Ă©clissage ± 0,5 mm sur les dimen-sions. Aucune tolĂ©rance n'est admise sur l'angle formĂ© par les portĂ©es d'Ă©clissage. note 131_1 Le rematriçage consiste Ă refouler du mĂ©tal Ă la presse et Ă chaud vers le milieu de la portĂ©e supĂ©rieure des Ă©clisses de maniĂšre Ă obtenir une forme bombĂ©e de la portĂ©e supĂ©rieure d'Ă©clissage, Ă©pousant de trĂšs prĂšs et, en tous cas, mieux que des Ă©clisses neuves, la portĂ©e usĂ©e des rails. note 131_2 Le traitement thermique a, comme nous le disons page 132, l'avantage de durcir les portĂ©es d'Ă©clissage et de les rendre moins vulnĂ©rables Ă l'usure. note 132 Par limite Ă©lastique, il faut entendre ici la limite Ă©lastique apparente accusĂ©e par le commencement de la dĂ©formation permanente de l'Ă©prouvette. note 133 Bulletin de l'Association internationale du CongrĂšs des Chemins de fer - janvier 1938 - E. DESORGHER, IngĂ©nieur en chef Ă la S. N. C. B. note 134_1 Bulletin de l'Association internationale du CongrĂšs des Chemins de fer - janvier 1938 - E. DESORGHER, IngĂ©nieur en chef Ă la S. N. C. B. note 134_2 Union internationale des Tramways, etc. CongrĂšs de Zurich - Berne - juillet 1939. Voie progrĂšs rĂ©cents en matiĂšre de soudure et d'appareils de voie - H. D'OULTREMONT. note 137 Autrefois appliquĂ© sur la ligne de Ciney Ă Statte. note 140 Quais de dĂ©part d'une station ou au pied d'un signal oĂč les trains sont frĂ©quemment arrĂȘtĂ©s. note 141 Au printemps de 1922, sur le plan inclinĂ© d'Ans Ă LiĂšge, du chef du cheminement combinĂ© Ă la dilatation due Ă une hausse subite de tempĂ©rature, la voie a serpentĂ© au point de dĂ©placer de 40 centimĂštres l'axe de la voie. note 142 Voir page 132. note 148 Voir fascicule II Pose de la Voie en courbe - 3e Ă©dition, 1949 - page 25. note 149 Les vĂ©hicules au repos ne peuvent occuper les branchements. note 150 Tome III, fascicule II - 3e Ă©dition, 1949 - Pose de la Voie en courbe - page 1. note 151 Circulaire n° 61 du 18 avril 1931 - Service du MatĂ©riel de la S. N. C. B. note 153 Nous parlerons ultĂ©rieurement des aiguilles flexibles. note 155_1 A la S. N. C. B., il existe des croisements Ă branche courbe pour les petits angles. note 155_2 d = l tg fig. 178. ; si= 30'et d = 120 mm, on a . note 157_1 On est limitĂ© par la course du levier et par sa dĂ©multiplication. note 157_2 MAY Les appareils de la voie - Branchements et traversĂ©es. note 160_1 fig. 187 l" =QV+VD, l" =TXsin+XDsin or TX=XD dâoĂč formule 1 d'autre part donc et comme, voir formule 1 il vient note 160_2 On peut Ă©galement dĂ©terminer R directement. On a, fig. 188 lâ = BN + ND, BN = PM sin, ND = MD sin d'oĂč l' = PM sin + MD sin mais PM = MD, on a lâ = MD sin + sin d'autre part donc d'oĂč note 162 Tome III, La Voie - Fascicule II. Pose de la voie en courbe - 3e Ă©dition, 1949 - Surlargeur pages 2 Ă 9. note 163 MASUY GEORGES, IngĂ©nieur Principal du Service de la Voie Ă la S. N. C. B. note 170 Aanleg en Berekening van Wissels en Kruisingen in Gebogen Spoor Technisch-Wetenschappelijk Tijdschrift, nr 2, 1943, door A. JACOPS, Eerste IngĂ©nieur bij de N. M. B. S. note 172_1 Pour le calcul, une traversĂ©e complĂšte se subdivise en deux parties, comprenant chacune un croisement et une traversĂ©e simple c'est ce qu'on appelle une demi-traversĂ©e. note 172_2 Inutile de prĂ©ciser en principe s'il s'agit d'un changement de voie, d'un cĆur de croisement ou d'une demi-traversĂ©e le raisonnement mathĂ©matique est gĂ©nĂ©ral. note 178 note 181_1 Avec une orniĂšre de 40 mm au lieu de 45 mm, on a pour l'appareil n° 1, en rails de 40,650 kg, y = 40 mm x 14 = 560 mm, et pour l'appareil n° 6, y = 40mm x 5 = 200 mm. La roue n'est pas guidĂ©e sur une longueur de 560 - 190 = 370 mm dans l'appareil n° 1 et 200 - 190 = 10 mm dans l'appareil n° 6. note 181_2 Avec une orniĂšre de 40 mm au lieu de 45 mm et . note 184 , nĂ©gligeant h devant 2r + e, et tenant compte de ce que page 180, on a , mettant en Ă©vidence dans le second terme, on a e d'oĂč . Si h = 40 mm, x' = x x 1,45 = 275 mm ; mais si h = 50 mm, x' = x x 1,55 = 295 mm. Rappelons que x = 190 mm. note 186_1 Voir 3e partie Les Rails - Chapitre VI, page 120. note 186_2 En essayant d'entamer le mĂ©tal, l'outil l'Ă©crouit et transforme sa surface austĂ©nitique en martensite. note 186_3 Les voies des Tramways Ă©tant trĂšs parcourues Ă cet endroit alors que les trains de la S. N. C. B. n'y circulent qu'Ă faible vitesse courbe de 250 m de rayon, les deux voies ont Ă©tĂ© considĂ©rĂ©es comme Ă©tant de mĂȘme importance. note 190_1 On peut dĂ©terminer le rendement d'une T. J. au moyen d'un graphique d'utilisation note 190_2 Ă©tabli Ă priori ou Ă posteriori. - Par ailleurs, si l'on constate que les surfaces de roulement des rails d'une T. J. sont rouillĂ©es, on peut en dĂ©duire que son maintien en service est discutable. note 190_2 Graphique pour faciliter l'Ă©tude de l'utilisation intensive des voies des gares Ă voyageurs. - R. DEVOOGHT, IngĂ©nieur principal de la S. N. C. B. - Bulletin du CongrĂšs des Chemins de fer - novembre 1934. note 198 Le chapitre Enclenchements» relĂšve de l'Exploitation technique, du tome II note 199 DiamĂštre extĂ©rieur de 33 Ă 45 mm - Ăpaisseur 4 mm. note 205 Ce calcul thĂ©orique ne tient pas compte des tensions initiales. note 206 La description de l'appareil central relĂšve de l'Exploitation technique du tome II. note 208 La manĆuvre Ă©lectrique des signaux repose sur les mĂȘmes principes. note 209 Symboles figure 281 le courant Ă©lectrique circule suivant ABC et est coupĂ© suivant ABD. figure 282 le courant Ă©lectrique passe suivant ABD et est interrompu suivant ABC. note 210 Remarque. - En rĂ©alitĂ©, dans la position de la figure 283, Ă©tant donnĂ©es les positions de C, m1 et m2 le courant de 120 volts ne peut passer au moteur ; c'est le courant de contrĂŽle de 25 volts qui emprunte le circuit abcd fig. 284. note 214_1 Rail isolĂ© - Voir Tome II, l'Exploitation technique - 3e Ă©dition, 1944 - page 168. note 214_2 Ălectro de faible rĂ©sistance, montĂ© en sĂ©rie. note 229 Notamment lorsque l'aiguillage n'est pas visitĂ© avant d'ĂȘtre pris en pointe par un train. note 237 Annales des Ponts de ChaussĂ©es de France - par GOUPIL - septembre 1908. note 242 La longueur de ces transbordeurs varie de 9 Ă 16,50 mĂštres, la distance de translation de M Ă 63 mĂštres.
Action Thriller. 80. De tous les rape and revenge qui ont pullulĂ© aprĂšs La DerniĂšre Maison sur la gauche, le plus scandaleux est peut-ĂȘtre Crime Ă froid, film d'exploitation crapuleux qui a
Emile Zola L'Argent I Onze heures venaient de sonner Ă la Bourse, lorsque Saccard entra chez Champeaux, dans la salle blanc et or, dont les deux hautes fenĂÂȘtres donnent sur la place. D'un coup d'oeil, il parcourut les rangs de petites tables, oĂÂč les convives affamĂ©s se serraient coude Ă coude ; et il parut surpris de ne pas voir le visage qu'il cherchait. Comme, dans la bousculade du service, un garçon passait, chargĂ© de plats " Dites donc, M. Huret n'est pas venu ? - Non, monsieur, pas encore. " Alors, Saccard se dĂ©cida, s'assit Ă une table que quittait un client, dans l'embrasure d'une des fenĂÂȘtres. Il se croyait en retard ; et, tandis qu'on changeait la serviette, ses regards se portĂšrent au-dehors, Ă©piant les passants du trottoir. MĂÂȘme, lorsque le couvert fut rĂ©tabli, il ne commanda pas tout de suite, il demeura un moment les yeux sur la place, toute gaie de cette claire journĂ©e des premiers jours de mai. A cette heure oĂÂč le monde dĂ©jeunait, elle Ă©tait presque vide sous les marronniers, d'une verdure tendre et neuve, les bancs restaient inoccupĂ©s ; le long de la grille, Ă la station des voitures, la file des fiacres s'allongeait, d'un bout Ă l'autre ; et l'omnibus de la Bastille s'arrĂÂȘtait au bureau, Ă l'angle du jardin, sans laisser ni prendre de voyageurs. Le soleil tombait d'aplomb, le monument en Ă©tait baignĂ©, avec sa colonnade, ses deux statues, son vaste perron, en haut duquel il n'y avait encore que l'armĂ©e des chaises, en bon ordre. Mais Saccard, s'Ă©tant tournĂ©, reconnut Mazaud, l'agent de change, Ă la table voisine de la sienne Il tendit la main. " Tiens ! c'est vous. Bonjour ! - Bonjour ! " rĂ©pondit Mazaud, en donnant une poignĂ©e de main distraite. Petit, brun, trĂšs vif, joli homme, il venait d'hĂ©riter de la charge d'un de ses oncles, Ă trente-deux ans. Et il semblait tout au convive qu'il avait en face de lui, un gros monsieur Ă figure rouge et rasĂ©e, le cĂ©lĂšbre Amadieu, que la Bourse vĂ©nĂ©rait, depuis son fameux coup sur les Mines de Selsis. Lorsque les titres Ă©taient tombĂ©s Ă quinze francs, et que l'on considĂ©rait tout acheteur comme un fou, il avait mis dans l'affaire sa fortune, deux cent mille francs, au hasard, sans calcul ni flair, par un entĂÂȘtement de brute chanceuse. Aujourd'hui que la dĂ©couverte de filons rĂ©els et considĂ©rables avait fait dĂ©passer aux titres le cours de mille francs, il gagnait une quinzaine de millions ; et son opĂ©ration imbĂ©cile qui aurait dĂ» le faire enfermer autrefois, le haussait maintenant au rang des vastes cerveaux financiers. Il Ă©tait saluĂ©, consultĂ© surtout. D'ailleurs, il ne donnait plus d'ordres, comme satisfait, trĂÂŽnant dĂ©sormais dans son coup de gĂ©nie unique et lĂ©gendaire. Mazaud devait rĂÂȘver sa clientĂšle. Saccard, n'ayant pu obtenir d'Amadieu mĂÂȘme un sourire, salua la table d'en face, oĂÂč se trouvaient rĂ©unis trois spĂ©culateurs de sa connaissance, Pillerault, Moser et Salmon. " Bonjour ! ça va bien ? - Oui, pas mal... Bonjour ! " Chez ceux-ci encore, il sentit la froideur, l'hostilitĂ© presque. Pillerault pourtant, trĂšs grand, trĂšs maigre, avec des gestes saccadĂ©s et un nez en lame de sabre, dans un visage osseux de chevalier errant, avait d'habitude la familiaritĂ© d'un joueur qui Ă©rigeait en principe le casse-cou, dĂ©clarant qu'il culbutait dans des catastrophes, chaque fois qu'il s'appliquait Ă rĂ©flĂ©chir. Il Ă©tait d'une nature exubĂ©rante de haussier, toujours tournĂ© Ă la victoire, tandis que Moser, au contraire, de taille courte, le teint jaune, ravagĂ© par une maladie de foie, se lamentait sans cesse, en proie Ă de continuelles craintes de cataclysme. Quant Ă Salmon, un trĂšs bel homme luttant contre la cinquantaine, Ă©talant une barbe superbe, d'un noir d'encre, il passait pour un gaillard extraordinairement fort. Jamais il ne parlait, il ne rĂ©pondait que par des sourires, on ne savait dans quel sens il jouait, ni mĂÂȘme s'il jouait ; et sa façon d'Ă©couter impressionnait tellement Moser, que souvent celui-ci, aprĂšs lui avoir fait une confidence, courait changer un ordre, dĂ©montĂ© per son silence. Dans cette indiffĂ©rence qu'on lui tĂ©moignait, Saccard Ă©tait restĂ© les regards fiĂ©vreux et provocants, achevant le tour de la salle. Et il nĂąâŹâąĂ©changea plus un signe de tĂÂȘte qu'avec un grand jeune homme, assis a trois tables de distance, le beau Sabatani, un Levantin, Ă la face longue et brune, qu'Ă©clairaient des yeux noirs magnifiques, mais qu'une bouche mauvaise, inquiĂ©tante, gĂÂątait. L'amabilitĂ© de ce garçon acheva de l'irriter quelque exĂ©cutĂ© d'une Bourse Ă©trangĂšre, un de ces gaillards mystĂ©rieux aimĂ© des femmes, tombĂ© depuis le dernier automne sur le marchĂ©, qu'il avait dĂ©jĂ vu Ă l'oeuvre comme prĂÂȘte-nom dans un dĂ©sastre de banque, et qui peu Ă peu conquĂ©rait la confiance de la corbeille et de la coulisse, par beaucoup de correction et une bonne grĂÂące infatigable, mĂÂȘme pour les plus tarĂ©s. Un garçon Ă©tait debout devant Saccard. " Qu'est-ce que monsieur prend ? - Ah ! oui... Ce que vous voudrez, une cĂÂŽtelette, des asperges. " Puis, il rappela le garçon. " Vous ĂÂȘtes sĂ»r que M. Huret n'est pas venu avant moi et n'est pas reparti ? - Oh ! absolument sĂ»r ! " Ainsi, il en Ă©tait lĂ , aprĂšs la dĂ©bĂÂącle qui, en octobre, l'avait forcĂ© une fois de plus Ă liquider sa situation, Ă vendre son hĂÂŽtel du parc Monceau, pour louer un appartement les Sabatanis seuls le saluaient, son entrĂ©e dans un restaurant, oĂÂč il avait rĂ©gnĂ©, ne faisait plus tourner toutes les tĂÂȘtes, tendre toutes les mains. Il Ă©tait beau joueur, il restait sans rancune, Ă la suite de cette derniĂšre affaire de terrains, scandaleuse et dĂ©sastreuse, dont il n'avait guĂšre sauvĂ© que sa peau. Mais une fiĂšvre de revanche s'allumait dans son ĂÂȘtre ; et l'absence d'Huret qui avait formellement promis d'ĂÂȘtre lĂ , dĂšs onze heures, pour lui rendre compte de la dĂ©marche dont il s'Ă©tait chargĂ© prĂšs de son frĂšre Rougon, le ministre alors triomphant, l'exaspĂ©rait surtout contre ce dernier. Huret, dĂ©putĂ© docile, crĂ©ature du grand homme, n'Ă©tait qu'un commissionnaire. Seulement, Rougon, lui qui pouvait tout, Ă©tait-ce possible qu'il l'abandonnĂÂąt ainsi ? Jamais il ne s'Ă©tait montrĂ© bon frĂšre. Qu'il se fĂ»t fĂÂąchĂ© aprĂšs la catastrophe, qu'il eĂ»t rompu ouvertement pour n'ĂÂȘtre point compromis lui-mĂÂȘme, cela s'expliquait ; mais, depuis six mois, n'aurait-il pas dĂ» lui venir secrĂštement en aide et, maintenant, allait-il avoir le coeur de refuser le suprĂÂȘme coup d'Ă©paule qu'il lui faisait demander par un tiers, n'osant le voir en personne, craignant quelque crise de colĂšre qui l'emporterait ? Il n'avait qu'un mot Ă dire, il le remettrait debout, avec tout ce lĂÂąche et grand Paris sous les talons. " Quel vin dĂ©sire monsieur ? demanda le sommelier. - Votre bordeaux ordinaire. " Saccard, qui laissait refroidir sa cĂÂŽtelette, absorbĂ©, sans faim, leva les yeux, en voyant une ombre passer sur la nappe. C'Ă©tait Massias, un gros garçon rougeaud, un remisier qu'il avait connu besogneux, et qui se glissait entre les tables, sa cote Ă la main. Il fut ulcĂ©rĂ© de le voir filer devant lui, sans s'arrĂÂȘter, pour aller tendre la cote Ă Pillerault et Ă Moser. Distraits, engagĂ©s dans une discussion, ceux-ci y jetĂšrent Ă peine un coup d'oeil non, ils n'avaient pas d'ordre Ă donner, ce serait pour une autre fois, Massias, n'osant s'attaquer au cĂ©lĂšbre Amadieu, penchĂ© au-dessus d'une salade de homard, en train de causer Ă voix basse avec Mazaud, revint vers Salmon, qui prit la cote, l'Ă©tudia longuement, puis la rendit, sans un mot. La salle s'animait. D'autres remisiers, Ă chaque minute, en faisaient battre les portes. Des paroles hautes s'Ă©changeaient de loin, toute une passion d'affaires montait, Ă mesure que s'avançait l'heure. Et Saccard, dont les regards retournaient sans cesse au-dehors, voyait aussi la place se remplir peu Ă peu, les voitures et les piĂ©tons affluer ; tandis que, sur les marches de la Bourse, Ă©clatantes de soleil, des taches noires, des hommes se montraient dĂ©jĂ , un Ă un. " Je vous rĂ©pĂšte, dit Moser de sa voix dĂ©solĂ©e, que ces Ă©lections complĂ©mentaires du 20 mars sont un symptĂÂŽme des plus inquiĂ©tants... Enfin, c'est aujourd'hui Paris tout entier acquis Ă l'opposition. " Mais Pillerault haussait les Ă©paules. Carnot et Garnier-PagĂ©s de plus sur les bancs de la gauche, quĂąâŹâąest-ce que ça pouvait faire ? " C'est comme la question des duchĂ©s, reprit Moser, eh bien, elle est grosse de complications... Certainement ! vous avez beau rire. Je ne dis pas que nous devions faire la guerre Ă la Prusse, pour l'empĂÂȘcher de s'engraisser aux dĂ©pens du Danemarck ; seulement, il y avait des moyens d'action... Oui, oui, lorsque les gros se mettent Ă manger les petits, on ne sait jamais oĂÂč ça s'arrĂÂȘte... Et, quant au Mexique... Pillerault, qui Ă©tait dans un de ses jours de satisfaction universelle, l'interrompit d'un Ă©clat de rire " Ah ! non, mon cher, ne vous ennuyez plus, avec vos terreurs sur le Mexique... Le Mexique, ce sera la page glorieuse du rĂšgne... OĂÂč diable prenez-vous que lĂąâŹâąempire soit malade ? Est-ce qu'en janvier l'emprunt de trois cents millions n'a pas Ă©tĂ© couvert plus de quinze fois ? Un succĂšs Ă©crasant !... Tenez ! je vous donne rendez-vous en 67, oui, dans trois ans d'ici, lorsqu'on ouvrira l'Exposition universelle que l'empereur vient de dĂ©cider. - Je vous dis que tout va mal ! affirma dĂ©sespĂ©rĂ©ment Moser. - Eh ! fichez-nous la paix, tout va bien ! " Salmon les regardait l'un aprĂšs l'autre, en souriant de son air profond. Et Saccard, qui les avait Ă©coutĂ©s, ramenait aux difficultĂ©s de sa situation personnelle cette crise oĂÂč l'empire semblait entrer. Lui, une fois encore, Ă©tait par terre est-ce que cet empire, qui l'avait fait, allait comme lui culbuter, croulant tout d'un coup de la destinĂ©e la plus haute Ă la plus misĂ©rable ? Ah ! depuis douze ans, qu'il l'avait aimĂ© et dĂ©fendu, ce rĂ©gime oĂÂč il s'Ă©tait senti vivre, pousser, se gorger de sĂšve, ainsi que l'arbre dont les racines plongent dans le terreau qui lui convient. Mais, si son frĂšre voulait l'en arracher, si on le retranchait de ceux qui Ă©puisaient le sol gras des jouissances, que tout fĂ»t donc emportĂ©, dans la grande dĂ©bĂÂącle finale des nuits de fĂÂȘte ! Maintenant, il attendait ses asperges, absent de la salle oĂÂč l'agitation croissait sans cesse, envahi par des souvenirs. Dans une large glace, en face, il venait d'apercevoir son image ; et elle l'avait surpris. L'ĂÂąge ne mordait pas sur sa petite personne, ses cinquante ans n'en paraissaient guĂšre que trente-huit, il gardait une maigreur, une vivacitĂ© de jeune homme. MĂÂȘme, avec les annĂ©es, son visage noir et creusĂ© de marionnette, au nez pointu, aux minces yeux luisants, s'Ă©tait comme arrangĂ©, avait pris le charme de cette jeunesse persistante, si souple, si active, les cheveux touffus encore, sans un fil blanc. Et, invinciblement, il se rappelait son arrivĂ©e Ă Paris, au lendemain du coup d'Etat, le soir d'hiver oĂÂč il Ă©tait tombĂ© sur le pavĂ©, les poches vides, affamĂ©, ayant toute une rage d'appĂ©tits Ă satisfaire. Ah ! cette premiĂšre course Ă travers les rues, lorsque, avant mĂÂȘme de dĂ©faire sa malle, il avait eu le besoin de se lancer par la ville, avec ses bottes Ă©culĂ©es, son paletot graisseux, pour la conquĂ©rir ! Depuis cette soirĂ©e, il Ă©tait souvent montĂ© trĂšs haut, un fleuve de millions avait coulĂ© entre ses mains, sans que jamais il eĂ»t possĂ©dĂ© la fortune en esclave, ainsi qu'une chose Ă soi, dont on dispose, qu'on tient sous clef, vivante, matĂ©rielle. Toujours le mensonge, la fiction avait habitĂ© ses caisses, que des trous inconnus semblaient vider de leur or. Puis, voilĂ qu'il se retrouvait sur le pavĂ©, comme Ă l'Ă©poque lointaine du dĂ©part, aussi jeune, aussi affamĂ©, inassouvi toujours, torturĂ© du mĂÂȘme besoin de jouissances et de conquĂÂȘtes. Il avait goĂ»tĂ© Ă tout, et il ne s'Ă©tait pas rassasiĂ©, n'ayant pas eu l'occasion ni le temps, croyait-il, de mordre assez profondĂ©ment dans les personnes et dans les choses. A cette heure, il se sentait cette misĂšre d'ĂÂȘtre, sur le pavĂ©, moins qu'un dĂ©butant, qu'auraient soutenu l'illusion et l'espoir. Et une fiĂšvre le prenait de tout recommencer pour tout reconquĂ©rir, de monter plus haut qu'il n'Ă©tait jamais montĂ©, de poser enfin le pied sur la citĂ© conquise. Non plus la richesse menteuse de la façade, mais l'Ă©difice solide de la fortune, la vraie royautĂ© de l'or trĂÂŽnant sur des sacs pleins ! La voix de Moser qui s'Ă©levait de nouveau, aigre et trĂšs aiguĂ, tira un instant Saccard de ses rĂ©flexions. " L'expĂ©dition du Mexique coĂ»te quatorze millions par mois, c'est Thiers qui l'a prouvĂ©... Et il faut vraiment ĂÂȘtre aveugle pour ne pas voir que, dans la Chambre, la majoritĂ© est Ă©branlĂ©e. Ils sont trente et quelques maintenant, Ă gauche. L'empereur lui-mĂÂȘme comprend bien que le pouvoir absolu devient impossible, puisqu'il se fait le promoteur de la libertĂ©. " Pillerault ne rĂ©pondait plus, se contentait de ricaner d'un air de mĂ©pris. " Oui, je sais, le marchĂ© vous paraĂt solide, les affaires marchent. Mais attendez la fin... On a trop dĂ©moli et trop reconstruit, Ă Paris, voyez-vous ! Les grands travaux ont Ă©puisĂ© l'Ă©pargne. Quant aux puissantes maisons de crĂ©dit qui vous semblent si prospĂšres, attendez qu'une d'elles fasse le saut, et vous les verrez toutes culbuter Ă la file... Sans compter que le peuple se remue. Cette Association internationale des travailleurs, qu'on vient de fonder pour amĂ©liorer la condition des ouvriers, m'effraie beaucoup, moi. Il y a, en France, une protestation, un mouvement rĂ©volutionnaire qui s'accentue chaque jour... Je vous dis que le ver est dans le fruit. Tout crĂšvera. " Alors ce fut une protestation bruyante. Ce sacrĂ© Moser avait sa crise de foie, dĂ©cidĂ©ment. Mais lui-mĂÂȘme, en parlant, ne quittait pas des yeux la table voisine, oĂÂč Mazaud et Amadieu continuaient, dans le bruit, Ă causer trĂšs bas. Peu Ă peu, la salle entiĂšre s'inquiĂ©tait de ces longues confidences. Qu'avaient-ils Ă se dire, pour chuchoter ainsi ? Sans doute, Amadieu donnait des ordres, prĂ©parait un coup. Depuis trois jours, de mauvais bruits couraient sur les travaux de Suez. Moser cligna les yeux, baissa Ă©galement la voix. " Vous savez, les Anglais veulent empĂÂȘcher qu'on travaille lĂ -bas. On pourrait bien avoir la guerre. " Cette fois, Pillerault fut Ă©branlĂ©, par l'Ă©normitĂ© mĂÂȘme de la nouvelle. C'Ă©tait incroyable, et tout de suite le mot vola de table en table, acquĂ©rant la force d'une certitude l'Angleterre avait envoyĂ© un ultimatum, demandant la cessation immĂ©diate des travaux. Amadieu, Ă©videmment, ne causait que de ça avec Mazaud, Ă qui il donnait l'ordre de vendre tous ses Suez. Un bourdonnement de panique s'Ă©leva dans l'air chargĂ© d'odeurs grasses, au milieu du bruit croissant des vaisselles remuĂ©es. Et, Ă ce moment, ce qui porta l'Ă©motion Ă son comble, ce fut l'entrĂ©e brusque d'un commis de l'agent de change, le petit Flory, un garçon Ă figure tendre, mangĂ©e d'une Ă©paisse barbe chĂÂątaine. Il se prĂ©cipita, un paquet de fiches Ă la main, et les remit au patron, en lui parlant Ă l'oreille. " Bon ! " rĂ©pondit simplement Mazaud, qui classa les fiches dans son carnet. Puis, tirant sa montre " BientĂÂŽt midi ! Dites Ă Berthier de m'attendre. Et soyez lĂ vous- mĂÂȘme, montez chercher les dĂ©pĂÂȘches. " Lorsque Flory s'en fut allĂ©, il reprit sa conversation avec Amadieu, tira d'autres fiches de sa poche, qu'il posa sur la nappe, Ă cĂÂŽtĂ© de son assiette ; et, Ă chaque minute, un client qui partait se penchait au passage, lui disait un mot, qu'il inscrivait rapidement sur un des bouts de papier, entre deux bouchĂ©es. La fausse nouvelle, venue on ne savait d'oĂÂč, nĂ©e de rien, grossissait comme une nuĂ©e d'orage. " Vous vendez, n'est-ce pas ? " demanda Moser Ă Salmon.. Mais le muet sourire de ce dernier fut si aiguisĂ© de finesse, qu'il en resta anxieux, doutant maintenant de cet ultimatum de l'Angleterre, qu'il ne savait mĂÂȘme pas avoir inventĂ©. " Moi, j'achĂšte tant qu'on voudra " , conclut Pillerault, avec sa tĂ©mĂ©ritĂ© vaniteuse de joueur sans mĂ©thode. Les tempes chauffĂ©es par la griserie du jeu, que fouettait cette fin bruyante de dĂ©jeuner, dans l'Ă©troite salle, Saccard s'Ă©tait dĂ©cidĂ© Ă manger ses asperges, en s'irritant de nouveau contre Huret, sur lequel il ne comptait plus. Depuis des semaines, lui, si prompt Ă se rĂ©soudre, il hĂ©sitait, combattu d'incertitudes. Il sentait bien l'impĂ©rieuse nĂ©cessitĂ© de faire peau neuve, et il avait rĂÂȘvĂ© d'abord une vie toute nouvelle, dans la haute administration ou dans la politique. Pourquoi le Corps lĂ©gislatif ne lĂąâŹâąaurait-il pas menĂ© au conseil des ministres, comme son frĂšre ? Ce qu'il reprochait Ă la spĂ©culation, c'Ă©tait la continuelle instabilitĂ©, les grosses sommes aussi vite perdues que gagnĂ©es jamais il n'avait dormi sur le million rĂ©el, ne devant rien Ă personne. Et, Ă cette heure oĂÂč il faisait son examen de conscience, il se disait qu'il Ă©tait peut-ĂÂȘtre trop passionnĂ© pour cette bataille de l'argent, qui demandait tant de sang-froid. Cela devait expliquer comment, aprĂšs une vie si extraordinaire de luxe et de gĂÂȘne, il sortait vidĂ©, brĂ»lĂ©, de ces dix annĂ©es de formidables trafics sur les terrains du nouveau Paris, dans lesquels tant d'autres, plus lourds, avaient ramassĂ© de colossales fortunes. Oui, peut-ĂÂȘtre s'Ă©tait-il trompĂ© sur ses vĂ©ritables aptitudes, peut-ĂÂȘtre triompherait-il d'un bond, dans la bagarre politique, avec son activitĂ©, sa foi ardente. Tout allait dĂ©pendre de la rĂ©ponse de son frĂšre. Si celui-ci le repoussait, le rejetait au gouffre de l'agio, eh bien ! ce serait sans doute tant pis pour lui et les autres, il risquerait le grand coup dont il ne parlait encore Ă personne, l'affaire Ă©norme qu'il rĂÂȘvait depuis des semaines et qui l'effrayait lui-mĂÂȘme, tellement elle Ă©tait vaste, faite, si elle rĂ©ussissait ou si elle croulait, pour remuer le monde. Pillerault Ă©levait la voix. " Mazaud, est-ce fini, l'exĂ©cution de Schlosser ? - Oui, rĂ©pondit l'agent de change, l'affiche sera mise aujourd'hui... Que voulez-vous ? c'est toujours ennuyeux, mais j'avais reçu les renseignements les plus inquiĂ©tants et je l'ai escomptĂ© le premier. Il faut bien, de temps Ă autre, donner un coup de balai. - On m'a affirmĂ©, dit Moser, que vos collĂšgues, Jacoby et Delarocque, y Ă©taient pour des sommes rondes. " L'agent eut un geste vague. " Bah ! c'est la part du feu... Ce Schlosser devait ĂÂȘtre d'une bande, et il en sera quitte pour aller Ă©cumer la Bourse de Berlin ou de Vienne. " Les yeux de Saccard s'Ă©taient portĂ©s sur Sabatani, dont un hasard lui avait rĂ©vĂ©lĂ© l'association secrĂšte avec Schlosser tous deux jouaient le jeu connu, l'un Ă la hausse, l'autre Ă la baisse sur une mĂÂȘme valeur, celui qui perdait en Ă©tant quitte pour partager le bĂ©nĂ©fice de l'autre, et disparaĂtre. Mais le jeune homme payait tranquillement l'addition du dĂ©jeuner fin qu'il venait de faire. Puis, avec sa grĂÂące caressante d'Oriental mĂÂątinĂ© d'Italien, il vint serrer la main de Mazaud, dont il Ă©tait le client. Il se pencha, donna un ordre, que celui-ci Ă©crivit sur une fiche. " Il vend ses Suez " , murmura Moser. Et, tout haut, cĂ©dant Ă un besoin, malade de doute " Hein ? que pensez-vous du Suez ? " Un silence se fit dans le brouhaha des voix, toutes les tĂÂȘtes des tables voisines se tournĂšrent. La question rĂ©sumait lĂąâŹâąanxiĂ©tĂ© croissante. Mais le dos dĂąâŹâąArnadieu qui avait simplement invitĂ© Mazaud pour lui recommander un de ses neveux, restait impĂ©nĂ©trable, n'ayant rien Ă dire ; tandis que l'agent, que les ordres de vente qu'il recevait commençaient Ă Ă©tonner, se contentait de hocher la tĂÂȘte, par une habitude professionnelle de discrĂ©tion. " Le Suez, c'est trĂšs bon ! " dĂ©clara de sa voix chantante Sabatani, qui, avant de sortir, se dĂ©rangea de son chemin, pour serrer galamment la main de Saccard. Et Saccard garda un moment la sensation de cette poignĂ©e de main, si souple, si fondante, presque fĂ©minine.. Dans son incertitude de la route Ă prendre, de sa vie Ă refaire, il les traitait tous de filous, ceux qui Ă©taient lĂ . Ah ! si on l'y forçait, comme il les traquerait, comme il les tondrait, les Moser trembleurs, les Pillerault vantards, et ces Salmon plus creux que des courges, et ces Amadieu dont le succĂšs a fait le gĂ©nie ! Le bruit des assiettes et des verres avait repris, les voix s'enrouaient, les portes battaient plus fort, dans la hĂÂąte qui les dĂ©vorait tous d'ĂÂȘtre lĂ -bas, au jeu, si une dĂ©bĂÂącle devait se produire sur le Suez. Et, par la fenĂÂȘtre, au milieu de la place sillonnĂ©e de fiacres, encombrĂ©e de piĂ©tons, il voyait les marches ensoleillĂ©es de la Bourse comme mouchetĂ©es maintenant d'une montĂ©e continue d'insectes humains, des hommes correctement vĂÂȘtus de noir, qui peu Ă peu garnissaient la colonnade ; pendant que, derriĂšre les grilles, apparaissaient quelques femmes, vagues, rĂÂŽdant sous les marronniers. Brusquement, au moment oĂÂč il entamait le fromage qu'il venait de commander, une grosse voix lui fit lever la tĂÂȘte. " Je vous demande pardon, mon cher. Il mĂąâŹâąa Ă©tĂ© impossible de venir plus tĂÂŽt. " Enfin, cĂąâŹâąĂ©tait Huret, un normand du Calvados, une figure Ă©paisse et large de paysan rusĂ©, qui jouait lĂąâŹâąhomme simple. Tout de suite, il se fit servir nĂąâŹâąimporte quoi, le plat du jour, avec un lĂ©gume. " Eh bien " demanda sĂšchement Saccard, qui se contenait. Mais lĂąâŹâąautre ne se pressait pas, le regardait en homme finassier et prudent. Puis, en se mettant Ă manger, avançant la face et baissant la voix " Et bien, jĂąâŹâąai vu le grand homme... Oui, chez lui, ce matin... Oh ! il a Ă©tĂ© trĂšs gentil, trĂšs gentil pour vous. " Il sĂąâŹâąarrĂÂȘta, but un grand verre de vin, se mit une pomme de terre dans la bouche. " Alors ? - Alors, mon cher, voici... Il veut bien faire pour vous tout ce quĂąâŹâąil pourra, il vous trouvera une trĂšs jolie situation, mais pas en France... Ainsi, par exemple, gouverneur dans une de nos colonies, une des bonnes. Vous y seriez le maĂtre, un vrai petit prince. " Saccard Ă©tait devenu blĂÂȘme. " Dites donc, cĂąâŹâąest pour rire, vous vous fichez du monde !... Pourquoi pas tout de suite la dĂ©portation !... Ah ! Il veut se dĂ©barrasser de moi. QuĂąâŹâąil prenne garde que je finisse par le gĂÂȘner pour de bon ! " Huret restait la bouche pleine, conciliant. " Voyons, voyons, on ne veut que votre bien, laissez-nous faire. - Que je me laisse supprimer, nĂąâŹâąest-ce pas ?... Tenez ! tout Ă lĂąâŹâąheure, on disait que lĂąâŹâąempire nĂąâŹâąaurait bientĂÂŽt plus une faute Ă commettre. Oui, la guerre dĂąâŹâąItalie, le Mexique, lĂąâŹâąattitude vis-Ă -vis de la Prusse. Ma parole, cĂąâŹâąest la vĂ©ritĂ© !... Vous ferez tant de bĂÂȘtises et de folies, que la France entiĂšre se lĂšvera pour vous flanquer dehors " Du coup, le dĂ©putĂ©, la fidĂšle crĂ©ature du ministre, sĂąâŹâąinquiĂ©ta, palissant, regardant autour de lui. " Ah ! permettez, permettez, je ne peux pas vous suivre... Rougon est un honnĂÂȘte homme, il n'y a pas de danger, tant qu'il sera lĂ ... Non, n'ajoutez rien, vous le mĂ©connaissez, je tiens Ă le dire. " Violemment, Ă©touffant sa voix entre ses dents serrĂ©es, Saccard l'interrompit. " Soit, aimez-le, faites votre cuisine ensemble... Oui ou non, veut- il me patronner ici, Ă Paris ? - A Paris, jamais ! " Sans ajouter un mot, il se leva, appela le garçon, pour payer, tandis que, trĂšs calme, Huret, qui connaissait ses colĂšres, continuait Ă avaler de grosses bouchĂ©es de pain et le laissait aller, de peur d'un esclandre. Mais, Ă ce moment, dans la salle, il y eut une forte Ă©motion. Gundermann venait d'entrer, le banquier roi, le maĂtre de la Bourse et du monde, un homme de soixante ans, dont l'Ă©norme tĂÂȘte chauve, au nez Ă©pais, aux yeux ronds, Ă fleur de tĂÂȘte, exprimait un entĂÂȘtement et une fatigue immenses. Jamais il n'allait Ă la Bourse, affectant mĂÂȘme de n'y pas envoyer de reprĂ©sentant officiel ; jamais non plus il ne dĂ©jeunait dans un lieu public. Seulement, de loin en loin, il lui arrivait, comme ce jour-lĂ , de se montrer au restaurant Champeaux, oĂÂč il s'asseyait Ă une des tables pour se faire simplement servir un verre d'eau de Vichy, sur une assiette. Souffrant depuis vingt ans d'une maladie d'estomac, il ne se nourrissait absolument que de lait. Tout de suite, le personnel fut en l'air pour apporter le verre d'eau, et tous les convives prĂ©sents s'aplatirent. Moser, l'air anĂ©anti, contemplait cet homme qui savait les secrets, qui faisait Ă son grĂ© la hausse ou la baisse, comme Dieu fait le tonnerre. Pillerault lui-mĂÂȘme le saluait, n'ayant foi qu'en la force irrĂ©sistible du milliard. Il Ă©tait midi et demi, et Mazaud, qui lĂÂąchait vivement Amadieu, revint, se courba devant le banquier, dont il avait parfois l'honneur de recevoir un ordre. Beaucoup de boursiers Ă©taient ainsi en train de partir, qui restĂšrent debout, entourant le dieu, lui faisant une cour dĂąâŹâąĂ©chines respectueuses, au milieu de la dĂ©bandade des nappes salies ; et ils le regardaient avec vĂ©nĂ©ration prendre le verre d'eau, d'une main tremblante, et le porter Ă ses lĂšvres dĂ©colorĂ©es. Autrefois, dans les spĂ©culations sur les terrains de la plaine Monceau ; Saccard avait eu des discussions, toute une brouille mĂÂȘme avec Gundermann. Ils ne pouvaient sĂąâŹâąentendre, l'un passionnĂ© et jouisseur, l'autre sobre et dĂąâŹâąune froide logique. Aussi le premier, dans sa colĂšre, exaspĂ©rĂ© encore par cette entrĂ©e triomphale, sĂąâŹâąen allait-il, lorsque l'autre l'appela. " Dites donc, mon bon ami, est-ce vrai ? vous les affaires... Ma foi, vous faites bien, ça vaut mieux. " Ce fut, pour Saccard, un coup de fouet en plein visage. Il redressa sa petite taille, il rĂ©pliqua d'une voie aiguĂ comme une Ă©pĂ©e " Je fonde une maison de crĂ©dit au capital de vingt-cinq millions, et je compte aller vous voir bientĂÂŽt. " Et il sortit, laissant derriĂšre lui le brouhaha ardent de la salle, oĂÂč tout le monde se bousculait, pour ne pas manquer l'ouverture de la Bourse. Ah ! rĂ©ussir enfin, remettre le talon sur ces gens qui lui tournaient lui tournaient le dos, et lutter de puissance avec ce roi de l'or, et l'abattre peut-ĂÂȘtre un jour ! Il n'Ă©tait pas dĂ©cidĂ© Ă lancer sa grande affaire, il demeurait surpris de la phrase que le besoin de rĂ©pondre lui avait tirĂ©e. Mais pourrait-il tenter la fortune ailleurs, maintenant que son frĂšre l'abandonnait et que les hommes et les choses le blessaient pour le rejeter Ă la lutte, comme le taureau saignant est ramenĂ© dans l'arĂšne ? Un instant, il resta frĂ©missant, au bord du trottoir. C'Ă©tait l'heure active oĂÂč la vie de Paris semble affluer sur cette place centrale, entre la rue Montmartre et la rue Richelieu, les deux artĂšres engorgĂ©es qui charrient la foule. Des quatre carrefours, ouverts aux quatre angles de la place, des flots ininterrompus de voitures coulaient, sillonnant le pavĂ©, au milieu des remous d'une cohue de piĂ©tons. Sans arrĂÂȘt, les deux files de fiacres de la station, le long des grilles, se rompaient et se reformaient ; tandis que, sur la rue Vivienne, les victorias des remisiers s'allongeaient en un rang pressĂ©, que dominaient les cochers, guides en main, prĂÂȘts Ă fouetter au premier ordre. Envahis, les marches et le pĂ©ristyle Ă©taient noirs d'un fourmillement de redingotes ; et, de la coulisse, installĂ©e dĂ©jĂ sous l'horloge et fonctionnant, montait la clameur de l'offre et de la demande, ce bruit de marĂ©e de l'agio, victorieux du grondement de la ville. Des passants tournaient la tĂÂȘte, dans le dĂ©sir et la crainte de ce qui se faisait lĂ , ce mystĂšre des opĂ©rations financiĂšres oĂÂč peu de cervelles françaises pĂ©nĂštrent, ces ruines, ces fortunes brusques, qu'on ne s'expliquait pas, parmi cette gesticulation et ces cris barbares. Et lui, au bord du ruisseau, assourdi par les voix lointaines, coudoyĂ© par la bousculade des gens pressĂ©s, il rĂÂȘvait une fois de plus la royautĂ© de l'or, dans ce quartier de toutes les fiĂšvres, oĂÂč la Bourse, d'une heure Ă trois, bat comme un coeur Ă©norme, au milieu. Mais, depuis sa dĂ©confiture, il n'avait point osĂ© rentrer Ă la Bourse ; et, ce jour-lĂ encore, un sentiment de vanitĂ© souffrante, la certitude d'y ĂÂȘtre accueilli, en vaincu, l'empĂÂȘchait de monter les marches. Comme les amants chassĂ©s de l'alcĂÂŽve d'une maĂtresse, qu'ils dĂ©sirent davantage, mĂÂȘme en croyant l'exĂ©crer, il revenait fatalement lĂ , il faisait le tour de la colonnade sous des prĂ©textes, traversant le jardin, marchant d'un pas de promeneur, Ă lĂąâŹâąombre des marronniers. Dans cette sorte de square poussiĂ©reux, sans gazon ni fleurs, oĂÂč grouillait sur les bancs, parmi les urinoirs et les kiosques Ă journaux, un mĂ©langĂ© de spĂ©culateurs louches et de femmes du quartier, en cheveux, allaitant des poupons, il affectait une flĂÂąnerie dĂ©sintĂ©ressĂ©e, levait les yeux, guettait, avec la furieuse pensĂ©e qu'il faisait le siĂšge du monument, qu'il l'enserrait d'un cercle Ă©troit, pour y rentrer un jour en triomphateur. Il pĂ©nĂ©tra dans l'angle de droite, sous les arbres qui font face Ă la rue de la Banque, et tout de suite il tomba sur la petite bourse des valeurs dĂ©classĂ©es les " Pieds humides " , comme on appelle avec un ironique mĂ©pris ces joueurs de la brocante, qui cotent en plein vent, dans la boue des jours pluvieux, les titres des compagnies mortes. Il y avait lĂ , en un groupe tumultueux, toute une juiverie malpropre, de grasses faces luisantes, des profils dessĂ©chĂ©s d'oiseaux voraces, une extraordinaire rĂ©union de nez typiques, rapprochĂ©s les uns des autres, ainsi que sur une proie, s'acharnant au milieu de cris gutturaux, et comme prĂšs de se dĂ©vorer entre eux. Il passait, lorsqu'il aperçut un peu Ă l'Ă©cart un gros homme, en train de regarder au soleil un rubis, qu'il levait en l'air, dĂ©licatement, entre ses doigts Ă©normes et sales. " Tiens, Busch !... Vous me faites songer que je voulais monter chez vous. " Busch, qui tenait un cabinet d'affaires, rue Feydeau, au coin de la rue Vivienne, lui avait, Ă plusieurs reprises, Ă©tĂ© d'une utilitĂ© grande, en des circonstances difficiles. Il restait extasiĂ©, Ă examiner l'eau de la pierre prĂ©cieuse, sa large face plate renversĂ©e, ses gros yeux gris comme Ă©teints par la lumiĂšre vive ; et l'on voyait, roulĂ©e en corde, la cravate blanche qu'il portait toujours ; tandis que sa redingote d'occasion, anciennement superbe, mais extraordinairement rĂÂąpĂ©e et, maculĂ©e de taches, remontait jusque dans ses cheveux pĂÂąles, qui tombaient en mĂšches rares et rebelles de son crĂÂąne nu. Son chapeau, roussi par le soleil, lavĂ© par les averses, n'avait plus d'ĂÂąge. Enfin, il se dĂ©cida Ă redescendre sur terre. " Ah ! monsieur Saccard, vous faites un petit tour par ici.. - Oui... C'est une lettre en langue russe, une lettre d'un banquier russe, Ă©tabli Ă Constantinople. Alors, j'ai pensĂ© Ă votre frĂšre, pour me la traduire. " Busch, qui, d'un mouvement inconscient et tendre, roulait toujours le rubis dans sa main droite, tendit la gauche, en disant que, le soir mĂÂȘme, la traduction serait envoyĂ©e. Mais Saccard expliqua qu'il s'agissait seulement de dix lignes. " Je vais monter, votre frĂšre me lira ça tout de suite... " Et il fut interrompu par l'arrivĂ©e d'une femme Ă©norme, Mme MĂ©chain, bien connue des habituĂ©s de la Bourse, une de ces enragĂ©es et misĂ©rables joueuses, dont les mains grasses tripotent dans toutes sortes de louches besognes. Son visage de pleine lune, bouffi et rouge, aux minces yeux bleus, au petit nez perdu, Ă la petite bouche d'oĂÂč sortait une voix flĂ»tĂ©e d'enfant, semblait dĂ©border du vieux chapeau mauve, nouĂ© de travers par des brides grenat ; et la gorge gĂ©ante, et le ventre hydropique, crevaient la robe de popeline verte, mangĂ©e de boue, tournĂ©e au jaune. Elle tenait au bras un antique sac de cuir noir, immense, aussi profond qu'une valise, qu'elle ne quittait jamais. Ce jour-lĂ , le sac gonflĂ©, plein Ă crever, la tirait Ă droite, penchĂ©e comme un arbre. " Vous voilĂ , dit Busch qui devait l'attendre. - Oui, et j'ai reçu les papiers de VendĂÂŽme, je les apporte. - Bon ! filons chez moi... Rien Ă faire aujourd'hui, ici " Saccard avait eu un regard vacillant sur le vaste sac de cuir. Il savait que, fatalement, allaient tomber lĂ les titres dĂ©lassĂ©s, les actions des sociĂ©tĂ©s mises en faillite, sur lesquelles les Pieds humides agiotent encore, des actions de cinq cents francs qu'ils se disputent Ă vingt sous, Ă dix sous, dans le vague espoir d'un relĂšvement improbable, ou plus pratiquement comme une marchandise scĂ©lĂ©rate, qu'ils cĂšdent avec bĂ©nĂ©fice aux banquiers dĂ©sireux de gonfler leur passif. Dans les batailles meurtriĂšres de la finance, la MĂ©chain Ă©tait le corbeau qui suivait les armĂ©es en marche ; pas une compagnie, pas une grande maison de crĂ©dit ne se fondait, sans qu'elle apparĂ»t, avec son sac, sans qu'elle flairĂÂąt l'air, attendant les cadavres, mĂÂȘme aux heures prospĂšres des Ă©missions triomphantes ; car elle savait bien que la dĂ©route Ă©tait fatale, que le jour du massacre viendrait, oĂÂč il y aurait des morts Ă manger, des titres Ă ramasser pour rien dans la boue et dans le sang. Et lui, qui roulait son grand projet d'une banque, eut un lĂ©ger frisson, fut traversĂ© d'un pressentiment, Ă voir ce sac, ce charnier des valeurs dĂ©prĂ©ciĂ©es, dans lequel passait tout le sale papier balayĂ© de la Bourse. Comme Busch emmenait la vieille femme, Saccard le retint. " Alors, je puis monter, je suis certain de trouver votre frĂšre ? " Les yeux du juif s'adoucirent, exprimĂšrent une surprise inquiĂšte. " Mon frĂšre, mais certainement ! OĂÂč voulez-vous quĂąâŹâąil soit ? - TrĂšs bien, Ă tout Ă l'heure ! " Et, Saccard, les laissant s'Ă©loigner, poursuivit sa marche lente, le long des arbres, vers la rue Notre-Dame des Victoires. Ce cĂÂŽtĂ© de la place est un des plus frĂ©quentĂ©s, occupĂ© par des fonds de commerce, des industries en chambre, dont les enseignes d'or flambaient sous le soleil. Des stores battaient aux balcons, toute une famille de province restait bĂ©ante, Ă la fenĂÂȘtre d'un hĂÂŽtel meublĂ©. Machinalement, il avait levĂ© la tĂÂȘte, regardĂ© ces gens dont l'ahurissement le faisait sourire, en le rĂ©confortant par cette pensĂ©e qu'il y aurait toujours, dans les dĂ©partements, des actionnaires. DerriĂšre son dos, la clameur de la Bourse, le bruit de la marĂ©e lointaine continuait, l'obsĂ©dait, ainsi qu'une menace d'engloutissement qui allait le rejoindre. Mais une nouvelle rencontre l'arrĂÂȘta. " Comment, Jordan, vous Ă la Bourse ? " s'Ă©cria-t-il, en serrant la main d'un grand jeune homme brun, aux petites moustaches, Ă l'air dĂ©cidĂ© et volontaire. Jordan, dont le pĂšre, un banquier de Marseille, s'Ă©tait autrefois suicidĂ©, Ă la suite de spĂ©culations dĂ©sastreuses, battait depuis dix ans le pavĂ© de Paris, enragĂ© de littĂ©rature, dans une lutte brave contre la misĂšre noire. Un de ses cousins, installĂ© Ă Plassans, oĂÂč il connaissait la famille de Saccard, l'avait autrefois recommandĂ© Ă ce dernier, lorsque celui-ci recevait tout Paris, dans son hĂÂŽtel du parc Monceau. " Oh ! Ă la Bourse, jamais ! " rĂ©pondĂt le jeune homme, avec un geste violent, comme s'il chassait le souvenir tragique de son pĂšre. Puis, se remettant Ă sourire " Vous savez que je me suis mariĂ©... Oui, avec une petite amie d'enfance. On nous avait fiancĂ©s aux jours oĂÂč j'Ă©tais riche, et elle s'est entĂÂȘtĂ©e Ă vouloir quand mĂÂȘme du pauvre diable que je suis devenu. - Parfaitement, j'ai reçu la lettre de faire part, dit Saccard. Et imaginez-vous que j'ai Ă©tĂ© en rapport, autrefois, avec votre beau-pĂšre, M. Maugendre, lorsqu'il avait sa manufacture de bĂÂąches, Ă la Villette. Il a dĂ» y gagner une jolie fortune. " Cette conversation avait lieu prĂ©s d'un banc, et Jordan lĂąâŹâąinterrompit, pour prĂ©senter un monsieur gros et court, Ă l'aspect militaire, qui se trouvait assis, et avec lequel il causait, lors de la rencontre. " Monsieur le capitaine Chave, un oncle de ma femme... Mme Maugendre, ma belle-mĂšre, est une Chave, de Marseille " Le capitaine s'Ă©tait levĂ©, et Saccard salua. Celui-ci connaissait de vue cette figure apoplectique, au cou raidi par l'usage du col de crin, un de ces types d'infimes joueurs au comptant, qu'on Ă©tait certain de rencontrer tous les jours lĂ , d'une heure Ă trois. C'est un jeu de gagne-petit, un gain presque assurĂ© de quinze Ă vingt francs, qu'il faut rĂ©aliser dans la mĂÂȘme Bourse. Jordan avait ajoutĂ© avec son bon rire expliquant sa prĂ©sence " Un boursier fĂ©roce, mon oncle, dont je ne fais, parfois, que serrer la main en passant. - Dame ! dit simplement le capitaine, il faut bien jouer, puisque le gouvernement, avec sa pension, me laisse crever de faim. " Ensuite, Saccard, que le jeune homme intĂ©ressait par sa bravoure Ă vivre, lui demanda si les choses de la littĂ©rature marchaient. Et Jordan, s'Ă©gayant encore, raconta l'installation de son pauvre mĂ©nage Ă un cinquiĂšme de l'avenue de Clichy ; car les Maugendre, qui se dĂ©fiaient d'un poĂšte, croyant avoir beaucoup fait en consentant au mariage, n'avaient rien donnĂ©, sous le prĂ©texte que leur fille, aprĂšs eux, aurait leur fortune intacte, engraissĂ©e d'Ă©conomies. Non, la littĂ©rature ne nourrit pas son homme, il avait en projet un roman qu'il ne trouvait pas le temps d'Ă©crire, et il Ă©tait entrĂ© forcĂ©ment dans le journalisme, oĂÂč il bĂÂąclait tout ce qui concernait son Ă©tat, depuis des chroniques, jusqu'Ă des comptes rendus de tribunaux et mĂÂȘme des faits divers. " Eh bien, dit Saccard, si je monte ma grande affaire, j'aurai peut- ĂÂȘtre besoin de vous. Venez donc me voir. " AprĂšs avoir saluĂ©, il tourna derriĂšre la Bourse. LĂ , enfin, la clameur lointaine, les abois du jeu cessĂšrent, ne furent qu'une rumeur vague, perdue dans le grondement de la place. De ce cĂÂŽtĂ©, les marches Ă©taient Ă©galement envahies de monde ; mais le cabinet des agents de change, dont on voyait les tentures rouges par les hautes fenĂÂȘtres, isolait du vacarme de la grande salle la colonnade, oĂÂč des spĂ©culateurs, les dĂ©licats, les riches, s'Ă©taient assis commodĂ©ment Ă l'ombre, quelques-uns seuls, d'autres par petits groupes, transformant en une sorte de club ce vaste pĂ©ristyle ouvert au plein ciel. C'Ă©tait un peu, ce derriĂšre du monument, comme l'envers d'un thĂ©ĂÂątre, l'entrĂ©e des artistes, avec la rue louche et relativement tranquille, cette rue Notre-Dame-des-Victoires, occupĂ©e toute par des marchands de vin, des cafĂ©s, des brasseries, des tavernes, grouillant d'une clientĂšle spĂ©ciale, Ă©trangement mĂÂȘlĂ©e. Les enseignes indiquaient aussi la vĂ©gĂ©tation mauvaise, poussĂ©e au bord d'un grand cloaque voisin des compagnies d'assurances mal famĂ©es, des journaux financiers de brigandage, des sociĂ©tĂ©s, des banques, des agences, des comptoirs, la sĂ©rie entiĂšre des modestes coupe-gorge, installĂ©s dans des boutiques ou Ă des entresols, larges comme la main. Sur les trottoirs, au milieu de la chaussĂ©e partout, des hommes rĂÂŽdaient, attendaient, ainsi qu'Ă la corne d'un bois. Saccard s'Ă©tait arrĂÂȘtĂ© Ă l'intĂ©rieur des grilles. Levant les yeux sur la porte qui conduit au cabinet des agents de d'ange, avec le regard aigu d'un chef d'armĂ©e examinant sous toutes ses faces la place dont il veut tenter l'assaut, lorsquĂąâŹâąun grand gaillard, qui sortait d'une taverne, traversa la rue et vint s'incliner trĂšs bas. " Ah ! monsieur Saccard, n'avez-vous rien pour moi ? J'ai quittĂ© dĂ©finitivement le CrĂ©dit mobilier, je cherche une situation. " Jantrou Ă©tait un ancien professeur, venu de Bordeaux Ă Paris, Ă la suite d'une histoire restĂ©e louche. ObligĂ© de quitter l'UniversitĂ©, dĂ©classĂ©, mais beau garçon avec sa barbe noire en Ă©ventail et sa calvitie prĂ©coce, d'ailleurs lettrĂ©, intelligent et aimable, il Ă©tait dĂ©barquĂ© Ă la Bourse vers vingt-huit ans, s'y Ă©tait traĂnĂ© et sali pendant dix annĂ©es comme remisier, en n'y gagnant guĂšre que l'argent nĂ©cessaire a ses vices. Et, aujourd'hui, tout Ă fait chauve, se dĂ©solant ainsi qu'une fille dont les rides menacent le gagne-pain, il attendait toujours l'occasion qui devait le lancer au succĂšs, Ă la fortune. Saccard, Ă le voir si humble, se rappela avec amertume, le salut de Sabatani, chez Champeaux dĂ©cidĂ©ment, les tarĂ©s et les ratĂ©s seuls lui restaient. Mais il n'Ă©tait pas sans estime pour l'intelligence vive de celui-ci, et il savait bien qu'on fait les troupes les plus braves avec les dĂ©sespĂ©rĂ©s, ceux qui osent tout, ayant tout Ă gagner. Il se montra bonhomme. " Une situation, rĂ©pĂ©ta-t-il. Eh ! ça peut se trouver. Venez me voir. - Rue Saint-Lazare, maintenant, n'est-ce pas ? - Oui, rue Saint-Lazare. Le matin. " Ils causĂšrent. Jantrou Ă©tait trĂšs animĂ© contre la Bourse, rĂ©pĂ©tant qu'il fallait ĂÂȘtre un coquin pour y rĂ©ussir, avec la rancune d'un homme qui n'avait pas eu la coquinerie chanceuse. C'Ă©tait fini, il voulait tenter autre chose, il lui semblait que, grĂÂące Ă sa culture universitaire, Ă sa connaissance du monde, il pouvait se faire une belle place dans lĂąâŹâąadministration. Saccard l'approuvait d'un hochement de tĂÂȘte. Et, comme ils Ă©taient sortis des grilles, longeant le trottoir jusqu'Ă la rue Brongniart, tous deux s'intĂ©ressĂšrent Ă un coupĂ© sombre, d'un attelage trĂšs correct, qui Ă©tait arrĂÂȘtĂ© dans cette rue, le cheval tournĂ© vers la rue Montmartre. Tandis que le dos du cocher, haut perchĂ©, demeurait d'une immobilitĂ© de pierre, ils avaient remarquĂ© qu'une tĂÂȘte de femme, Ă deux reprises, paraissait a la portiĂšre et disparaissait, vivement. Tout d'un coup, la tĂÂȘte se pencha, s'oublia, avec un long regard d'impatience en arriĂšre, du cĂÂŽtĂ© de la Bourse. " La baronne Sandorff " , murmura Saccard. C'Ă©tait une tĂÂȘte brune trĂšs Ă©trange, des yeux noirs brĂ»lants sous des paupiĂšres meurtries, un visage de passion Ă la bouche saignante, et que gĂÂątait seulement un nez trop long. Elle semblait fort jolie, d'une maturitĂ© prĂ©coce, pour ses vingt-cinq ans, avec son air de bacchante habillĂ©e par les grands couturiers du rĂšgne. " Oui, la baronne, rĂ©pĂ©ta Jantrou. Je l'ai connue, quand elle Ă©tait jeune fille, chez son pĂšre, le comte de Ladricourt. Oh ! un enragĂ© joueur, et d'une brutalitĂ© rĂ©voltante. J'allais prendre ses ordres chaque matin, il a failli me battre un jour. Je ne l'ai pas pleurĂ©, celui-lĂ , quand il est mort d'un coup de sang, ruinĂ©, Ă la suite d'une sĂ©rie de liquidations lamentables... La petite alors Ă dĂ» se rĂ©soudre Ă Ă©pouser le baron Sandorff, conseiller Ă l'ambassade d'Autriche, qui avait trente-cinq ans de plus qu'elle, et qu'elle avait positivement rendu fou, avec ses regards de feu. - Je sais " , dit simplement Saccard. De nouveau, la tĂÂȘte de la baronne avait replongĂ© dans le coupĂ©. Mais, presque aussitĂÂŽt, elle reparut, plus ardente, le cou tordu pour voir au loin, sur la place. " Elle joue, n'est-ce pas ? - Oh ! comme une perdue ! Tous les jours de crise, on peut la voir la, dans sa voiture, guettant les cours, prenant fiĂ©vreusement des notes sur son carnet, donnant des ordres... Et, tenez ! c'Ă©tait Massias qu'elle attendait le voici qui la rejoint. " En effet, Massias courait de toute la vitesse de ses jambes courtes, sa cote a la main, et ils le virent qui s'accoudait a la portiĂšre du coupĂ©, y plongeant la tĂÂȘte a son tour, en grande confĂ©rence avec la baronne. Puis, comme ils s'Ă©cartaient un peu, pour ne pas ĂÂȘtre surpris dans leur espionnage, et comme le remisier revenait, toujours courant, ils l'appelĂšrent. Lui, d'abord, jeta un regard de cĂÂŽtĂ©, s'assurant que le coin de la rue le cachait ; ensuite, il s'arrĂÂȘta net, essoufflĂ©, son visage fleuri congestionnĂ©, gai quand mĂÂȘme, avec ses gros yeux bleus d'une limpiditĂ© enfantine. " Mais qu'est-ce qu'ils ont ? cria-t-il. VoilĂ le Suez qui dĂ©gringole. On parle d'une guerre avec l'Angleterre. Une nouvelle qui les rĂ©volutionne, et qui vient on ne sait d'oĂÂč... Je vous le demande un peu, la guerre ! qui est-ce qui peut bien avoir inventĂ© ça ? A moins que ça ne se soit inventĂ© tout seul... Enfin, un vrai coup de chien. " Jantrou cligna des yeux. " La dame mord toujours ? - Oh ! enragĂ©e ! Je porte ses ordres a Nathansohn. " Saccard, qui Ă©coutait, fit tout haut une rĂ©flexion. " Tiens ! c'est vrai, on m'a dit que Nathansohn Ă©tait entrĂ© Ă la coulisse. - Un garçon trĂšs gentil, Nathansohn, dĂ©clara Jantrou, et qui mĂ©rite de rĂ©ussir. Nous avons Ă©tĂ© ensemble au CrĂ©dit mobilier... Mais il arrivera, lui, car il est juif. Son pĂšre, un Autrichien, est Ă©tabli Ă Besançon, horloger, je crois... Vous savez que ça l'a pris un jour, lĂ - bas, au CrĂ©dit, en voyant comment ça se manigançait. Il s'est dit que ce n'Ă©tait pas si malin, qu'il n'y avait qu'Ă avoir une chambre et Ă ouvrir un guichet ; et il a ouvert un guichet... Vous ĂÂȘtes content, vous, Massias ? - Oh ! content ! Vous y avez passĂ©, vous avez raison de dire qu'il faut ĂÂȘtre juif ; sans ça, inutile de chercher Ă comprendre, on n'y a pas la main, c'est la dĂ©veine noire... Quel sale mĂ©tier ! Mais on y est, on y reste. Et puis, j'ai encore de bonnes jambes, jĂąâŹâąespĂšre tout de mĂÂȘme. " Et il repartit, courant et riant. On le disait fils d'un magistrat de Lyon, frappĂ© d'indignitĂ©, tombĂ© lui-mĂÂȘme Ă la Bourse, aprĂšs la disparition de son pĂšre, n'ayant pas voulu continuer ses Ă©tudes de droit. Saccard et Jantrou, Ă petits pas, revinrent vers la rue Brongniart ; et ils y retrouvĂšrent le coupĂ© de la baronne ; mais les glaces Ă©taient levĂ©es, la voiture mystĂ©rieuse paraissait vide, tandis que l'immobilitĂ© du cocher semblait avoir grandi, dans cette attente qui se prolongeait souvent jusqu'au dernier cours. " Elle est diablement excitante, reprit brutalement Saccard. Je comprends le vieux baron. " Jantrou eut un sourire singulier. " Oh ! le baron, il y a longtemps qu'il en a assez, je crois. Il est trĂšs ladre, dit-on... Alors, vous savez avec qui elle s'est mise, pour payer ses factures, le jeu ne suffisant jamais ? - Non. - Avec Delcambre. - Delcambre, le procureur gĂ©nĂ©ral ! ce grand homme sec, si jaune, si rigide !... Ah ! je voudrais bien les voir ensemble ! " Et tous deux, trĂšs Ă©gayĂ©s, trĂšs allumĂ©s, se sĂ©parĂšrent avec une vigoureuse poignĂ©e de main, aprĂšs que lĂąâŹâąun ait rappelĂ© Ă l'autre qu'il se permettrait d'aller le voir prochainement. DĂšs qu'il se retrouva seul, Saccard fut repris par la voix haute de la Bourse, qui dĂ©ferlait avec lĂąâŹâąentĂÂȘtement du flux Ă son retour. Il avait tournĂ© le coin, il descendait vers la rue Vivienne, par ce cĂÂŽtĂ© de la place que l'absence de cafĂ©s rend sĂ©vĂšre. Il longea commerce, le bureau de poste, les grandes agences dĂąâŹâąannonces, de plus en plus assourdi et enfiĂ©vrĂ©, Ă mesure quĂąâŹâąil revenait devant la façade principale ; et, quand il put enfiler le pĂ©ristyle d'un regard oblique, il fit une nouvelle pause comme s'il ne voulait pas encore achever le tour de la colonnade, cette sorte d'investissement passionnĂ© dont il l'enserrait. LĂ , sur cet Ă©largissement du pavĂ©, la vie s'Ă©talait, Ă©clatait un flot de consommateurs envahissait les cafĂ©s, la boutique du pĂÂątissier ne dĂ©semplissait pas, les Ă©talages attroupaient la foule, celui dĂąâŹâąun orfĂšvre surtout, flambant de grosses piĂšces d'argenterie. Et, par les quatre angles, les quatre carrefours, il semblait que le fleuve des fiacres et des piĂ©tons augmentĂÂąt, dans un enchevĂÂȘtrement inextricable ; tandis que le bureau des omnibus aggravait les embarras et que les voitures des remisiers, en ligne, barraient le trottoir presque dĂąâŹâąun bout Ă l'autre de la grille. Mais ses yeux sĂąâŹâąĂ©taient fixĂ©s sur les marches hautes, oĂÂč des redingotes sĂąâŹâąĂ©grenaient au plein soleil. Puis, ils remontĂšrent vers les colonnes dans la masse compacte, un grouillement noir, Ă peine Ă©clairĂ© par les taches pĂÂąles des visages. Tous Ă©taient debout, on ne voyait pas les chaises, le rond que faisait la coulisse, assise sous l'horloge, ne se devinait quĂąâŹâąĂ une sorte de bouillonnement, une furie de gestes et de paroles dont l'air frĂ©missait. Vers la gauche, le groupe des banquiers occupĂ©s Ă des arbitrages, Ă des opĂ©rations sur le change et sur les chĂšques anglais, restait plus calme, sans cesse traversĂ© par la queue de monde qui entrait, allant au tĂ©lĂ©graphe. Jusque sous les galeries latĂ©rales, les spĂ©culateurs dĂ©bordaient, s'Ă©crasaient ; et, entre les colonnes, appuyĂ©s aux rampes de fer, il y en avait qui prĂ©sentaient le ventre ou le dos, comme chez eux, contre le velours d'une loge. La trĂ©pidation, le grondement de machine sous vapeur, grandissait, agitait la Bourse entiĂšre, dans un vacillement de flamme. Brusquement, il reconnut le remisier Massias qui descendait les marches Ă toutes jambes, puis qui sauta dans sa voiture, dont le cocher lança le cheval au galop. Alors, Saccard sentit ses poings se serrer. Violemment, il s'arracha, il tourna dans la rue Vivienne, traversant la chaussĂ©e pour gagner le coin de la rue Feydeau, oĂÂč se trouvait la maison de Busch. Il venait de se rappeler la lettre russe qu'il avait Ă se faire traduire. Mais, comme il entrait, un jeune homme, plantĂ© devant la boutique du papetier qui occupait le rez-de-chaussĂ©e, le salua ; et il reconnut Gustave SĂ©dille, le fils d'un fabricant de soie de la rue des JeĂ»neurs, que son pĂšre avait placĂ© chez Mazaud, pour Ă©tudier le mĂ©canisme des affaires financiĂšres. Il sourit paternellement Ă ce grand garçon Ă©lĂ©gant, se doutant bien de ce qu'il faisait lĂ , en faction. La papeterie Conin fournissait de carnets toute la Bourse, depuis que la petite Mme Conin y aidait son mari, le gros Conin, qui, lui, ne sortait jamais de son arriĂšre-boutique, s'occupait de la fabrication, tandis qu'elle, toujours, allait et venait, servant au comptoir, faisant les courses dehors. Elle Ă©tait grasse, blonde, rose, un vrai petit mouton frisĂ©, avec des cheveux de soie pĂÂąle, trĂšs gracieuse, trĂšs cĂÂąline, et d'une continuelle gaietĂ©. Elle aimait bien son mari, disait-on, ce qui ne l'empĂÂȘchait pas, quand un boursier de la clientĂšle lui plaisait, d'ĂÂȘtre tendre ; mais pas pour de l'argent, uniquement pour le plaisir, et une seule fois, dans une maison amie du voisinage, Ă ce que racontait la lĂ©gende. En tout cas, les heureux qu'elle faisait devaient se montrer discrets et reconnaissants, car elle restait adorĂ©e, fĂÂȘtĂ©e, sans un vilain bruit autour d'elle. Et la papeterie continuait de prospĂ©rer, c'Ă©tait un coin de vrai bonheur. En passant, Saccard aperçut Mme Conin qui souriait Ă Gustave Ă travers les vitres. Quel joli petit mouton ! Il en eut une sensation dĂ©licieuse de caresse. Enfin ; il monta. Depuis vingt ans, Busch occupait tout en haut, au cinquiĂšme Ă©tage, un Ă©troit logement composĂ© de deux chambres et d'une cuisine. NĂ© Ă Nancy, de parents allemands, il Ă©tait dĂ©barquĂ© lĂ de sa ville natale, il y avait peu Ă peu Ă©tendu son cercle d'affaires, d'une extraordinaire complication, sans Ă©prouver le besoin d'un cabinet plus grand, abandonnant Ă son frĂšre Sigismond la piĂšce sur la rue, se contentant de la petite piĂšce sur la cour, oĂÂč les paperasses ; les dossiers, les paquets de toutes sortes s'empilaient tellement, que la place d'une unique chaise, contre le bureau, se trouvait rĂ©servĂ©e. Une de ses grosses affaires Ă©tait bien le trafic sur les valeurs dĂ©prĂ©ciĂ©es ; il les centralisait, il servait dĂąâŹâąintermĂ©diaire entre la petite Bourse et les " Pieds humides " et les banqueroutiers, qui ont des trous Ă combler dans leur bilan ; aussi suivait-il les cours, achetant directement parfois, alimentĂ© surtout par les stocks qu'on lui apportait. Mais, outre l'usure et tout un commerce cachĂ© sur les bijoux et les pierres prĂ©cieuses, il s'occupait particuliĂšrement de l'achat des crĂ©ances. C'Ă©tait lĂ ce qui emplissait son cabinet Ă en faire craquer les murs, ce qui le lançait dans Paris, aux quatre coins, flairant, guettant, avec des intelligences dans tous les mondes. DĂšs qu'il apprenait une faillite, il accourait, rĂÂŽdait autour du syndic, finissait par acheter tout ce dont on ne pouvait rien tirer de bon immĂ©diatement. Il surveillait les Ă©tudes de notaire, attendait les ouvertures de successions difficiles, assistait aux adjudications des crĂ©ances dĂ©sespĂ©rĂ©es. Lui-mĂÂȘme publiait des annonces, attirait les crĂ©anciers impatients qui aimaient mieux toucher quelques sous tout de suite que de courir le risque de poursuivre leurs dĂ©biteurs. Et, de ces sources multiples, du papier arrivait, de vĂ©ritables hottes, le tas sans cesse accru d'un chiffonnier de la dette billets impayĂ©s, traitĂ©s inexĂ©cutĂ©s, reconnaissances restĂ©es vaines, engagements non tenus. Puis, lĂ -dedans, commençait le triage, le coup de fourchette dans cet arlequin gĂÂątĂ©, ce qui demandait un flair spĂ©cial, trĂšs dĂ©licat. Dans cette mer de crĂ©anciers disparus ou insolvables, il fallait faire un choix, pour ne pas trop Ă©parpiller son effort. En principe, il professait que toute crĂ©ance, mĂÂȘme la plus compromise, peut redevenir bonne, et il avait une sĂ©rie de dossiers admirablement classĂ©s, auxquels correspondait un rĂ©pertoire des noms, qu'il relisait de temps Ă autre, pour s'entretenir la mĂ©moire. Mais, parmi les insolvables, il suivait naturellement de plus prĂšs ceux qu'il sentait avoir des chances de fortune prochaine son enquĂÂȘte dĂ©nudait les gens, pĂ©nĂ©trait les secrets de famille, prenait note des parentĂ©s riches, des moyens d'existence, des nouveaux emplois surtout, qui permettaient de lancer des oppositions. Pendant des annĂ©es souvent, il laissait ainsi mĂ»rir un homme, pour l'Ă©trangler au premier succĂšs. Quant aux dĂ©biteurs disparus, ils le passionnaient plus encore, le jetaient dans une fiĂšvre de recherches continuelles, l'oeil sur les enseignes et sur les noms que les journaux imprimaient, quĂÂȘtant les adresses comme un chien quĂÂȘte le gibier. Et, dĂšs qu'il les tenait, les disparus et les insolvables, il devenait fĂ©roce, les mangeait de frais, les vidait jusqu'au sang, tirant cent francs de ce qu'il avait payĂ© dix sous, en expliquant brutalement ses risques de joueur, forcĂ© de gagner avec ceux qu'il empoignait ce qu'il prĂ©tendait perdre sur ceux qui lui filaient entre les doigts, ainsi qu'une fumĂ©e. Dans cette chasse aux dĂ©biteurs, la MĂ©chain Ă©tait une des aides que Busch aimait le mieux Ă employer ; car, s'il devait avoir ainsi une petite troupe de rabatteurs Ă ses ordres, il vivait dans la dĂ©fiance de ce personnel, mal famĂ© et affamĂ© ; tandis que la MĂ©chain avait pignon sur rue, possĂ©dait derriĂšre la butte Montmartre toute une citĂ©, la CitĂ© de Naples, un vaste terrain plantĂ© de huttes branlantes qu'elle louait au mois un coin d'Ă©pouvantable misĂšre, des meurt-de-faim en tas dans l'ordure, des trous Ă pourceau qu'on se disputait et dont elle balayait sans pitiĂ© les locataires avec leur fumier, dĂšs qu'ils ne payaient plus. Ce qui la dĂ©vorait, ce qui lui mangeait les bĂ©nĂ©fices de sa citĂ©, c'Ă©tait sa passion malheureuse du jeu. Et elle avait aussi le goĂ»t des plaies d'argent, des ruines, des incendies, au milieu desquels on peut voler des bijoux fondus. Lorsque Busch la chargeait d'un renseignement Ă prendre, d'un dĂ©biteur Ă dĂ©loger, elle y mettait parfois du sien, se dĂ©pensait pour le plaisir. Elle se disait veuve, mais personne n'avait connu son mari. Elle venait on ne savait d'oĂÂč, et elle paraissait avoir eu toujours cinquante ans, dĂ©bordante, avec sa mince voix de petite fille. Ce jour-lĂ , dĂšs que la MĂ©chain se trouva assise sur l'unique chaise, le cabinet fut plein, comme bouchĂ© par ce dernier paquet de chair, tombĂ© Ă cette place. Devant son bureau, Busch, prisonnier, semblait enfoui, ne laissant Ă©merger que sa tĂÂȘte carrĂ©e, au-dessus de la mer des dossiers. " Voici, dit-elle en vidant son vieux sac de l'Ă©norme tas de papiers qui le gonflait, voici ce que Fayeux m'envoie de VendĂÂŽme... Il a tout achetĂ© pour vous, dans cette faillite Charpier que vous m'aviez dit de lui signaler... Cent dix francs. Fayeux, qu'elle appelait son cousin, venait d'installer lĂ -bas un bureau de receveur de rentes. Il avait pour nĂ©goce avouĂ© de toucher les coupons des petits rentiers du pays ; et, dĂ©positaire de ces coupons et de l'argent, il jouait frĂ©nĂ©tiquement. " ĂâĄa ne vaut pas grand-chose, la province, murmura Busch, mais on y fait des trouvailles tout de mĂÂȘme. " Il flairait les papiers, les triait dĂ©jĂ d'une main experte, les classait en gros d'aprĂšs une premiĂšre estimation, Ă l'odeur. Sa face plate se rembrunissait, il eut une moue dĂ©sappointĂ©e. " Hum ! il n'y a pas gras, rien Ă mordre. Heureusement que ça n'a pas coĂ»tĂ© cher... Voici des billets... Encore des billets... Si ce sont des jeunes gens, et s'ils sont venus Ă Paris, nous les rattraperons peut- ĂÂȘtre... " Mais il eut une lĂ©gĂšre exclamation de surprise. " Tiens ! qu'est-ce que c'est que ça ? " Il venait de lire, au bas d'une feuille de papier timbre, la signature du comte de Beauvilliers, et la feuille ne portait que trois lignes, d'une grosse Ă©criture sĂ©nile. " Je m'engage Ă payer la somme de dix mille francs mademoiselle LĂ©onie Cron, le jour de sa majoritĂ©. " " Le comte de Beauvilliers, reprit-il lentement, rĂ©flĂ©chissant tout haut, oui, il a eu des fermes, tout un domaine, du cĂÂŽtĂ© de VendĂÂŽme... Il est mort d'un accident de chasse, il a laissĂ© une femme et deux enfants dans la gĂÂȘne. J'ai eu des billets autrefois, qu'ils ont payĂ©s difficilement... Un farceur, un pas-grand-chose... " Tout d'un coup, il Ă©clata d'un gros rire, reconstruisant l'histoire. " Ah ! le vieux filou, c'est lui qui a fichu dedans la petite !... Elle ne voulait pas, et il l'aura dĂ©cidĂ©e avec ce chiffon de papier, qui Ă©tait lĂ©galement sans valeur. Puis, il est mort... Voyons, c'est datĂ© de 1854, il y a dix ans. La fille doit ĂÂȘtre majeure, que diable ! Comment cette reconnaissance pouvait-elle se trouver entre les mains de Charpier ?... Un marchand de grains, ce Charpier, qui prĂÂȘtait Ă la petite semaine. Sans doute la fille lui a laissĂ© ça en dĂ©pĂÂŽt pour quelques Ă©cus ; ou bien peut-ĂÂȘtre s'Ă©tait-il chargĂ© du recouvrement... - Mais, interrompit la MĂ©chain, c'est trĂšs bon, ça, un vrai coup ! Busch haussa dĂ©daigneusement les Ă©paules. " Eh ! non, je vous dis qu'en droit ça ne vaut rien... Que je prĂ©sente ça aux hĂ©ritiers, et ils peuvent m'envoyer promener, car il faudrait faire la preuve que l'argent est rĂ©ellement dĂ»... Seulement, si nous retrouvons la fille, j'espĂšre les amener Ă ĂÂȘtre gentils et Ă s'entendre avec nous, pour Ă©viter un tapage dĂ©sagrĂ©able... Comprenez- vous ? cherchez cette LĂ©onie Cron, Ă©crivez Ă Fayeux pour qu'il nous dĂ©niche lĂ -bas. Ensuite, nous verrons Ă rire. " Il avait fait des papiers deux tas qu'il se promettait d'examiner Ă fond, quand il serait seul, et il restait immobile, les mains ouvertes, une sur chaque tas. AprĂšs un silence, la MĂ©chain reprit " Je me suis occupĂ©e des billets Jordan... J'ai bien cru que j'avais retrouvĂ© notre homme. Il a Ă©tĂ© employĂ© quelque part, il Ă©crit maintenant dans les journaux. Mais on vous reçoit si mal, dans les journaux ; on refuse de vous donner les adresses. Et puis, je crois qu'il ne signe pas ses articles de son vrai nom. " Sans une parole, Busch avait allongĂ© le bras pour prendre, Ă sa place alphabĂ©tique, le dossier Jordan. C'Ă©taient six billets de cinquante francs, datĂ©s de cinq annĂ©es dĂ©jĂ et Ă©chelonnĂ©s de mois en mois, une somme totale de trois cents francs, que le jeune homme avait souscrite Ă un tailleur, aux jours de misĂšre. ImpayĂ©s Ă leur prĂ©sentation, les billets s'Ă©taient grossis de frais Ă©normes, et le dossier dĂ©bordait d'une formidable procĂ©dure. A cette heure, la dette atteignait sept cent trente francs quinze centimes. " Si c'est un garçon d'avenir, murmura Busch, nous le pincerons toujours. " Puis, une liaison d'idĂ©es se faisant sans doute en lui, il s'Ă©cria " Et dites donc, l'affaire Sicardot, nous l'abandonnons ? " La MĂ©chain leva au ciel ses gros bras Ă©plorĂ©s. Toute sa monstrueuse personne en eut un remous de dĂ©sespoir. " Ah ! Seigneur Dieu ! gĂ©mit-elle de sa voix de flĂ»te, j'y laisserai ma peau ! " L'affaire Sicardot Ă©tait toute une histoire romanesque qu'elle aimait conter. Une petite-cousine Ă elle, Rosalie Chavaille, la fille tardive d'une soeur de son pĂšre avait Ă©tĂ© prise Ă seize ans, un soir, sur les marches de l'escalier, dans une maison de la rue de la Harpe, oĂÂč elle et sa mĂšre occupaient un petit logement au sixiĂšme. Le pis Ă©tait que le monsieur, un homme mariĂ©, dĂ©barquĂ© depuis huit jours Ă peine, avec sa femme, dans une chambre que sous-louait une dame du second, s'Ă©tait montrĂ© si amoureux, que la pauvre Rosalie, renversĂ©e d'une main trop prompte contre l'angle d'une marche, avait eu l'Ă©paule dĂ©mise. De lĂ , juste colĂšre de la mĂšre, qui avait failli faire un esclandre affreux, malgrĂ© les larmes de la petite, avouant qu'elle avait bien voulu, que c'Ă©tait un accident et qu'elle aurait trop de peine, si l'on envoyait le monsieur en prison. Alors, la mĂšre, se taisant, s'Ă©tait contentĂ©e d'exiger de celui-ci une somme de six cents francs, rĂ©partie en douze billets, cinquante francs par mois, pendant une annĂ©e ; et il n'avait pas eu de marchĂ© vilain, cĂąâŹâąĂ©tait mĂÂȘme modeste, car sa fille, qui finissait son apprentissage de couturiĂšre, ne gagnait plus rien, malade, au lit, coĂ»tant gros, si mal soignĂ©e d'ailleurs, que, les muscles de son bras s'Ă©tant rĂ©tractĂ©s, elle devenait infirme. Avant la fin du premier mois, le monsieur avait disparu, sans laisser son adresse. Et les malheurs continuaient, tapaient dru comme grĂÂȘle " Rosalie accouchait d'un garçon, perdait sa mĂšre, tombait Ă une sale vie, Ă une misĂšre noire. EchouĂ©e Ă la CitĂ© de Naples, chez sa petite-cousine, elle avait traĂnĂ© les rues jusqu'Ă vingt-six ans, ne pouvant se servir de son bras, vendant parfois des citrons aux Halles, disparaissant pendant des semaines avec des hommes, qui la renvoyaient ivre et bleue de coups. Enfin, l'annĂ©e d'auparavant, elle avait eu la chance de crever, des suites d'une bordĂ©e plus aventureuse que les autres. Et la MĂ©chain avait dĂ» garder l'enfant, Victor ; et il ne restait de toute cette aventure que les douze billets unpayĂ©s, signĂ©s Sicardot. On n'avait jamais pu en savoir davantage le monsieur s'appelait Sicardot. DĂąâŹâąun nouveau geste, Busch prit le dossier Sicardot, une mince chemise de papier gris. Aucun frais n'avait Ă©tĂ© fait, il n'y avait lĂ que les douze billets. " Encore si Victor Ă©tait gentil ! expliquait lamentablement la vieille femme. Mais imaginez-vous, un enfant Ă©pouvantable... Ah ! c'est dur de faire des hĂ©ritages pareils, un gamin qui finira sur l'Ă©chafaud, et ces morceaux de papier dont jamais je ne tirerai rien ! " Busch tenait ses gros yeux pĂÂąles obstinĂ©ment fixĂ©s sur les billets. Que de fois il les avait Ă©tudiĂ©s ainsi, espĂ©rant, dans un dĂ©tail inaperçu, dans la forme des lettres, jusque dans le grain du papier timbrĂ©, dĂ©couvrir un indice. Il prĂ©tendait que cette Ă©criture pointue et fine ne devait pas lui ĂÂȘtre inconnue. " C'est curieux, rĂ©pĂ©tait-il une fois encore, j'ai certainement vu dĂ©jĂ des a et des o pareils, si allongĂ©s, qu'ils ressemblent Ă des i . " Juste Ă ce moment, on frappa ; et il pria la MĂ©chain d'allonger la main pour ouvrir ; car la piĂšce donnait directement sur l'escalier. Il fallait la traverser si l'on voulais gagner l'autre, celle qui avait vue sur la rue. Quant Ă la cuisine, un trou sans air, elle se trouvait de l'autre cĂÂŽtĂ© du palier. " Entrez, monsieur. " Et ce fut Saccard qui entra. Il souriait, Ă©gayĂ© intĂ©rieurement par la plaque de cuivre, vissĂ©e sur la porte et portant en grosses lettres noires le mot Contentieux. " Ah ! oui, monsieur Saccard, vous venez pour cette traduction... Mon frĂšre est lĂ , dans l'autre piĂšce... Entrez, entrez donc. " Mais la MĂ©chain bouchait absolument le passage, et elle dĂ©visageait le nouveau venu, l'air de plus en plus surpris. Il fallut tout une manoeuvre lui recula dans l'escalier, elle-mĂÂȘme sortit, s'effaçant sur le palier, de façon qu'il pĂ»t entrer et gagner enfin la chambre voisine, oĂÂč il disparut. Pendant ces mouvements compliquĂ©s, elle ne l'avait pas quittĂ© des yeux. " Oh ! souffla-t-elle, oppressĂ©e, ce M. Saccard, je ne l'avais jamais tant vu... Victor est tout son portrait. " Busch sans comprendre d'abord, la regardait. Puis, une brusque illumination se fit, il eut un juron Ă©touffĂ©. " Tonnerre de Dieu ! c'est ça, je savais bien que j'avais vu ça quelque part ! " Et, cette fois, il se leva, bouleversa les dossiers, finit par trouver une lettre que Saccard lui avait Ă©crite, l'annĂ©e prĂ©cĂ©dente, pour lui demander du temps en faveur d'une dame insolvable. Vivement, il compara l'Ă©criture des billets Ă celle de cette lettre c'Ă©taient bien les mĂÂȘmes a et les mĂÂȘmes o , devenus avec le temps plus aigus encore et il y avait aussi une identitĂ© de majuscules Ă©vidente. " C'est lui, c'est lui, rĂ©pĂ©tait-il. Seulement, voyons, pourquoi Sicardot, pourquoi pas Saccard ? " Mais, dans sa mĂ©moire, une histoire confuse sĂąâŹâąĂ©veillait, le passĂ© de Saccard, qu'un agent d'affaires Larsonneau, millionnaire aujourd'hui, lui avait contĂ©. Saccard tombant Ă Paris au lendemain du coup dĂąâŹâąEtat, venant exploiter la puissance naissante de son frĂšre Rougon, et dĂąâŹâąabord sa misĂšre dans les rues noires de lĂąâŹâąancien Quartier latin, et ensuite sa fortune rapide, Ă la faveur d'un louche mariage quand il avait eu la chance dĂąâŹâąenterrer sa femme. C'Ă©tait lors de ces dĂ©buts difficiles quĂąâŹâąil avait changĂ© son nom de Rougon contre celui de Saccard, en transformant simplement le nom de cette premiĂšre femme, qui se nommait Sicardot. " Oui, oui, Sicardot, je me souviens parfaitement, murmura Busch. Il a eu le front de signer le nom du nom de sa femme. Sans doute le mĂ©nage avait donnĂ© ce nom, en descendant rue de la Harpe. Et puis, le bougre prenait toutes sortes de prĂ©cautions, devait dĂ©mĂ©nager Ă la moindre alerte... Ah ! il ne guettait pas que les Ă©cus, il culbutait aussi les gamines dans les escaliers ! C'est bĂÂȘte, ça finira par lui jouer un vilain tour. - Chut ! chut, reprit la MĂ©chain. Nous le tenons, et on peut bien dire qu'il y a un bon Dieu. Enfin, je vas donc ĂÂȘtre rĂ©compensĂ©e de tout ce que j'ai fait pour ce pauvre petit Victor, que j'aime bien tout de mĂÂȘme, allez, quoiqu'il soit indĂ©crottable. " Elle rayonnait, ses yeux minces pĂ©tillaient dans la graisse fondante de son visage. Mais Busch, aprĂšs le coup de fiĂšvre de cette solution longtemps cherchĂ©e, que le hasard lui apportait, se refroidissait Ă la rĂ©flexion, hochait la tĂÂȘte. Sans doute Saccard, bien que ruinĂ© pour le moment, Ă©tait encore bon Ă tondre. On pouvait tomber sur un pĂšre moins avantageux. Seulement, il ne se laisserait pas ennuyer, il avait la dent terrible. Et puis, quoi ? il ne savait certainement pas lui-mĂÂȘme qu'il avait un fils, il pourrait nier, malgrĂ© cette ressemblance extraordinaire qui stupĂ©fiait la MĂ©chain. Du reste, il Ă©tait une seconde fois veuf, libre, il ne devait compte de son passĂ© Ă personne, de sorte que, mĂÂȘme s'il acceptait le petit, aucune peur, aucune menace n'Ă©tait Ă exploiter contre lui. Quant Ă ne tirer de sa paternitĂ© que les six cents francs des billets, c'Ă©tait en vĂ©ritĂ© trop misĂ©rable, ça ne valait pas la peine d'avoir Ă©tĂ© si miraculeusement aidĂ© par le hasard. Non, non ! il fallait rĂ©flĂ©chir, nourrir ça, trouver le moyen de couper la moisson en pleine maturitĂ©. " Ne nous pressons pas, conclut Busch. D'ailleurs, il est par terre, laissons-lui le temps de se relever. " Et, avant de congĂ©dier la MĂ©chain, il acheva d'examiner avec elle les menues affaires dont elle Ă©tait chargĂ©e, une jeune femme qui avait engagĂ© ses bijoux pour un amant, un gendre dont la dette serait payĂ©e par sa belle-mĂšre, sa maĂtresse, si l'on savait s'y prendre, enfin les variĂ©tĂ©s les plus dĂ©licates du recouvrement si complexe et si difficile des crĂ©ances. Saccard, en entrant dans la chambre voisine, Ă©tait restĂ© quelques secondes Ă©bloui par la clartĂ© blanche de la fenĂÂȘtre, aux vitres ensoleillĂ©es, sans rideaux. Cette piĂšce, tapissĂ©e d'un papier pĂÂąle Ă fleurettes bleues, Ă©tait nue simplement un petit lit de fer dans un coin, une table de sapin au milieu, et deux chaises de paille. Le long de la cloison de gauche, des planches Ă peine rabotĂ©es servaient de bibliothĂšque, chargĂ©es de livres, de brochures, de journaux, de papiers de toutes sortes. Mais la grande lumiĂšre du ciel, Ă ces hauteurs, mettait dans cette nuditĂ© comme une gaietĂ© de jeunesse, un rire de fraĂcheur ingĂ©nue. Et le frĂšre de Busch, Sigismond, un garçon de trente- cinq ans, imberbe, aux cheveux chĂÂątains, longs et rares, se trouvait lĂ , assis devant la table, son vaste front bossu dans sa maigre main, si absorbĂ© par la lecture d'un manuscrit, qu'il ne tourna point la tĂÂȘte, n'ayant pas entendu la porte s'ouvrir. C'Ă©tait une intelligence, ce Sigismond, Ă©levĂ© dans les universitĂ©s allemandes, qui, outre le français, sa langue maternelle, parlait l'allemand, l'anglais et le russe. En 1849, Ă Cologne, il avait connu Karl Marx, Ă©tait devenu le rĂ©dacteur le plus aimĂ© de sa Nouvelle Gazette rhĂ©nane ; et, dĂšs ce moment, sa religion s'Ă©tait fixĂ©e, il professait le socialisme avec une foi ardente, ayant fait le don de sa personne entiĂšre Ă l'idĂ©e d'une prochaine rĂ©novation sociale, qui devait assurer le bonheur des pauvres et des humbles. Depuis que son maĂtre, banni d'Allemagne, forcĂ© de s'exiler de Paris Ă la suite des journĂ©es de Juin, vivait Ă Londres, Ă©crivait, s'efforçait d'organiser le parti, lui vĂ©gĂ©tait de son cĂÂŽtĂ©, dans ses rĂÂȘves, tellement insoucieux de sa vie matĂ©rielle, qu'il serait sĂ»rement mort de faim, si son frĂšre ne l'avait recueilli, rue Feydeau, prĂšs de la Bourse, en lui donnant la pensĂ©e d'utiliser sa connaissance des langues pour s'Ă©tablir traducteur. Ce frĂšre aĂnĂ© adorait son cadet, d'une passion maternelle, loup fĂ©roce aux dĂ©biteurs, trĂšs capable de voler dix sous dans le sang d'un homme, mais tout de suite attendri aux larmes, d'une tendresse passionnĂ©e et minutieuse de femme, dĂšs qu'il s'agissait de ce grand garçon distrait, restĂ© enfant. Il lui avait donnĂ© la belle chambre sur la rue, il le servait comme une bonne, menait leur Ă©trange mĂ©nage, balayant, faisant les lits, s'occupant de la nourriture qu'un petit restaurant du voisinage montait deux fois par jour. Lui, si actif, la tĂÂȘte bourrĂ©e de mille affaires, le tolĂ©rait oisif, car les traductions ne marchaient pas, entravĂ©es de travaux personnels ; et il lui dĂ©fendait mĂÂȘme de travailler, inquiet d'une petite toux mauvaise ; et malgrĂ© son dur amour de l'argent, sa cupiditĂ© assassine qui mettait dans la conquĂÂȘte de l'argent l'unique raison de vivre, il souriait indulgemment des thĂ©ories du rĂ©volutionnaire, il lui abandonnait le capital comme un joujou Ă un gamin, quitte Ă le lui voir briser. Sigismond, de son cĂÂŽtĂ©, ne savait mĂÂȘme pas ce que son frĂšre faisait dans la piĂšce voisine. Il ignorait tout de cet effroyable nĂ©goce sur les valeurs dĂ©classĂ©es et sur l'achat des crĂ©ances, il vivait plus haut, dans un songe souverain de justice. L'idĂ©e de charitĂ© le blessait, le jetait hors de lui la charitĂ©, c'Ă©tait l'aumĂÂŽne, l'inĂ©galitĂ© consacrĂ©e par la bontĂ© ; et il n'admettait que la justice ; les droits de chacun reconquis, posĂ©s en immuables principes de la nouvelle organisation sociale. Aussi, Ă la suite de Karl Marx, avec lequel il Ă©tait en continuelle correspondance, Ă©puisait-il ses jours Ă Ă©tudier cette organisation, modifiant, amĂ©liorant sans cesse sur le papier la sociĂ©tĂ© de demain, couvrant de chiffres d'immenses pages, basant sur la science l'Ă©chafaudage compliquĂ© de l'universel bonheur. Il retirait le capital aux uns pour le rĂ©partir entre tous les autres, il remuait les milliards, dĂ©plaçait d'un trait de plume la fortune du monde ; et cela, dans cette chambre nue, sans une autre passion que son rĂÂȘve, sans un besoin de jouissance Ă satisfaire, d'une frugalitĂ© telle, que son frĂšre devait se fĂÂącher pour qu'il bĂ»t du vin et mangeĂÂąt de la viande. Il voulait que le travail de tout homme, mesurĂ© selon ses forces, assurĂÂąt le contentement de ses appĂ©tits lui, se tuait Ă la besogne et vivait de rien. Un vrai sage, exaltĂ© dans l'Ă©tude, dĂ©gagĂ© de la vie matĂ©rielle, trĂšs doux et trĂšs pur. Depuis le dernier automne, il toussait de plus en plus, la phtisie l'envahissant qu'il daignĂÂąt mĂÂȘme s'en apercevoir et se soigner. Mais Saccard ayant fait un mouvement, Sigismond enfin leva ses grands yeux vagues, et s'Ă©tonna, bien qu'il connĂ»t le visiteur. " C'est pour une lettre Ă traduire. " La surprise du jeune homme augmentait, car il avait dĂ©couragĂ© les clients, les banquiers, les spĂ©culateurs, les agents de change, tout ce monde de la Bourse, qui reçoit particuliĂšrement d'Angleterre et d'Allemagne, une correspondance nombreuse, des circulaires, des statuts de sociĂ©tĂ©. " Oui, une lettre en langue russe. Oh ! dix lignes seulement. " Alors, il tendit la main, le russe Ă©tant restĂ© sa spĂ©cialitĂ©, lui seul le traduisant couramment, au milieu des autres traducteurs du quartier, qui vivaient de l'allemand et de l'anglais. La raretĂ© des documents russes, sur le marchĂ© de Paris, expliquait ses longs chĂÂŽmages. Tout haut, il lut la lettre, en français. C'Ă©tait, en trois phrases, une rĂ©ponse favorable d'un banquier de Constantinople, un simple oui, dans une affaire. " Ah ! merci " , s'Ă©cria Saccard, qui parut enchantĂ©. Et il pria Sigismond d'Ă©crire les quelques lignes de la traduction au revers de la lettre. Mais celui-ci fut pris d'un terrible accĂšs de toux, qu'il Ă©touffa dans son mouchoir, pour ne pas dĂ©ranger son frĂšre, qui accourait, dĂšs qu'il l'entendait tousser ainsi. Puis, la crise passĂ©e, il se leva, alla ouvrir la fenĂÂȘtre toute grande, Ă©touffant, voulant respirer l'air. Saccard, qui l'avait suivi, jeta un coup d'oeil dehors, eut une lĂ©gĂšre exclamation. " Tiens ! vous voyez la Bourse. Oh ! qu'elle est drĂÂŽle, dĂąâŹâąici " Jamais, en effet, il ne l'avait vue sous un si singulier aspect, Ă vol d'oiseau, avec les quatre vastes pentes de zinc de sa toiture, extraordinairement dĂ©veloppĂ©es, hĂ©rissĂ©es d'une forĂÂȘt de tuyaux. Les pointes des paratonnerres se dressaient, pareilles Ă des lances gigantesques menaçant le ciel. Et le monument lui-mĂÂȘme n'Ă©tait plus qu'un cube de pierre, striĂ© rĂ©guliĂšrement par les colonnes, un cube d'un gris sale, nu et laid, plantĂ© d'un drapeau en loques. Mais, surtout, les marches et le pĂ©ristyle l'Ă©tonnaient, piquetĂ©s de fourmis noires, toute une fourmiliĂšre en rĂ©volution, s'agitant, se donnant un mouvement Ă©norme, qu'on ne s'expliquait plus, de si haut, et qu'on prenait en pitiĂ©. " Comme ça rapetisse ! reprit-il. On dirait qu'on va tous les prendre dans la main, d'une poignĂ©e. " Puis, connaissant les idĂ©es de son interlocuteur, il ajouta en riant " Quand balayez-vous tout ça, d'un coup de pied ? " Sigismond haussa les Ă©paules. " A quoi bon ? vous vous dĂ©molissez bien vous-mĂÂȘmes. " Et, peu Ă peu, il s'anima, il dĂ©borda du sujet dont il Ă©tait plein. Un besoin de prosĂ©lytisme le lançait, au moindre mot, dans l'exposition de son systĂšme. " Oui, oui, vous travaillez pour nous, sans vous en douter... Vous ĂÂȘtes lĂ quelques usurpateurs, qui expropriez la masse du peuple ; et quand vous serez gorgĂ©s, nous n'aurons qu'Ă vous exproprier Ă notre tour... Tout accaparement, toute centralisation conduit au collectivisme. Vous nous donnez une leçon pratique, de mĂÂȘme que les grandes propriĂ©tĂ©s absorbant les lopins de terre, les grands producteurs dĂ©vorant les ouvriers en chambre, les grandes maisons de crĂ©dit et les grands magasins tuant toute concurrence, s'engraissant de la ruine des petites banques et des petites boutiques, sont un acheminement lent, mais certain, vers le nouvel Ă©tat social... Nous attendons que tout craque, que le mode de production actuelle ait abouti au malaise intolĂ©rable des ses derniĂšres consĂ©quences. Alors, les bourgeois et les paysans eux-mĂÂȘmes nous aideront. " Saccard, intĂ©ressĂ©, le regardait avec une vague inquiĂ©tude, bien quĂąâŹâąil le prĂt pour un fou. " Mais enfin, expliquez-moi, quĂąâŹâąest-ce que cĂąâŹâąest que votre collectivisme ? Le collectivisme, cĂąâŹâąest la transformation des capitaux privĂ©s, vivant des luttes de la concurrence, en un capital social unitaire, exploitĂ© par le travail de tous.... Imaginez une sociĂ©tĂ© oĂÂč les instruments de la production sont la propriĂ©tĂ© de tous, oĂÂč tout le monde travaille selon son intelligence et sa vigueur, et oĂÂč les produits de cette coopĂ©ration sociale sont distribuĂ©s Ă chacun, au prorata de son effort. Rien nĂąâŹâąest plus simple, nĂąâŹâąest-ce pas ? une production commune dans les usines, les chantiers et les ateliers de la nation ; puis, un Ă©change, un paiement en nature. Si il y a surcroĂt de production, on le met dans des entrepĂÂŽts publics, dĂąâŹâąoĂÂč il est repris pour combler les dĂ©ficits qui peuvent se produire. C'est une balance Ă faire... Et cela, comme dĂąâŹâąun coup de hache, abat lĂąâŹâąarbre pourri. Plus de concurrence, plus de capital privĂ©, donc plus dĂąâŹâąaffaires dĂąâŹâąaucune sorte, ni commerce, ni marchĂ©s, ni Bourses. LĂąâŹâąidĂ©e de gain nĂąâŹâąa plus aucun sens. Les sources de la spĂ©culation, les rentes gagnĂ©es sans travail, sont taries. Oh ! oh ! interrompit Saccard, ça changerait diablement les habitudes de bien du monde ! Mais ceux qui ont des rentes aujourdĂąâŹâąhui, quĂąâŹâąen faite vous ? Ainsi, Gundermann, vous lui prenez son milliard ? - Nullement, nous ne sommes pas des voleurs. Nous le rachĂšterions son milliard, toutes ses valeurs, ses titres de rente, par de bons de jouissance, divisĂ©s en annuitĂ©s. Et vous imaginez-vous ce capital immense remplacĂ© ainsi par une richesse suffocante de moyens de consommation en moins de cent annĂ©es, les descendants de votre Gundermann seraient rĂ©duits, comme les autres citoyens, au travail personnel ; car les annuitĂ©s finiraient bien par s'Ă©puiser, et ils n'auraient pu capitaliser leurs Ă©conomies forcĂ©es, le trop-plein de cet Ă©crasement de provisions, en admettant mĂÂȘme qu'on conserve intact le droit d'hĂ©ritage... Je vous dis que cela balaie d'un coup, non seulement les affaires individuelles, les sociĂ©tĂ©s d'actionnaires, les associations de capitaux privĂ©s, mais encore toutes les sources indirectes de rentes, tous les systĂšmes de crĂ©dit, prĂÂȘts, loyers, fermages... Il n'y a plus, comme mesure de la valeur, que le travail. Le salaire se trouve naturellement supprimĂ©, n'Ă©tant pas, dans l'Ă©tat capitaliste actuel, Ă©quivalent au produit exact du travail, puisqu'il ne reprĂ©sente jamais que ce qui est strictement nĂ©cessaire au travailleur pour son entretien quotidien. Et il faut reconnaĂtre que l'Ă©tat actuel est seul coupable, que le patron le plus honnĂÂȘte est bien forcĂ© de suivre la dure loi de la concurrence, d'exploiter ses ouvriers, s'il veut vivre. C'est notre systĂšme social entier Ă dĂ©truire... Ah ! Gundermann Ă©touffant sous l'accablement de ses bons de jouissance ! les hĂ©ritiers de Gundermann n'arrivant pas Ă tout manger, obligĂ©s de donner aux autres et de reprendre la pioche ou l'outil, comme les camarades ! " Et Sigismond Ă©clata d'un bon rire d'enfant en rĂ©crĂ©ation, toujours debout prĂšs de la fenĂÂȘtre, les regards sur la Bourse, oĂÂč grouillait la noire fourmiliĂšre du jeu. Des rougeurs ardentes montaient Ă ses pommettes, il n'avait d'autre amusement que de s'imaginer ainsi les plaisantes ironies de la justice de demain. Le malaise de Saccard avait grandi. Si ce rĂÂȘveur Ă©veillĂ© disait vrai, pourtant ? s'il avait devinĂ© l'avenir ? Il expliquait des choses qui semblaient trĂšs claires et sensĂ©es. " Bah ! murmura-t-il pour se rassurer, tout ça n'arrivera pas l'annĂ©e prochaine. - Certes ! reprit le jeune homme, redevenu grave et las. Nous sommes dans la pĂ©riode transitoire, la pĂ©riode d'agitation. Peut-ĂÂȘtre y aura-t- il des violences rĂ©volutionnaires, elles sont souvent inĂ©vitables. Mais les exagĂ©rations, les emportements sont passagers... Oh ! je ne me dissimule pas les grandes difficultĂ©s immĂ©diates. Tout cet avenir rĂÂȘvĂ© semble impossible, on n'arrive pas Ă donner aux gens une idĂ©e raisonnable de cette sociĂ©tĂ© future, cette sociĂ©tĂ© de juste travail, dont les moeurs seront si diffĂ©rentes des nĂÂŽtres. C'est comme un autre monde dans une autre planĂšte... Et puis, il faut bien le confesser, la rĂ©organisation n'est pas prĂÂȘte, nous cherchons encore. Moi, qui ne dors plus guĂšre, j'y Ă©puise mes nuits. Par exemple, il est certain qu'on peut nous dire " Si les choses sont ce qu'elles sont, c'est que la logique des faits humains les a faites ainsi. " DĂšs lors, quel labeur pour ramener le fleuve Ă sa source et le diriger dans une autre vallĂ©e !... Certainement, l'Ă©tat social actuel a dĂ» sa prospĂ©ritĂ© sĂ©culaire au principe individualiste, que l'Ă©mulation, l'intĂ©rĂÂȘt personnel rend d'une fĂ©conditĂ© de production sans cesse renouvelĂ©e. Le collectivisme arrivera-t-il jamais Ă cette fĂ©conditĂ©, et par quel moyen activer la fonction productive du travailleur, quand l'idĂ©e de gain sera dĂ©truite ? LĂ est, pour moi, le doute, l'angoisse, le terrain faible oĂÂč il faut que nous nous battions, si nous voulons que la victoire du socialisme s'y dĂ©cide un jour... Mais nous vaincrons, parce que nous sommes la justice. Tenez ! vous voyez ce monument devant vous... Vous le voyez ? " - La Bourse ? dit Saccard. Parbleu ! oui, je la vois ! - Eh bien, ce serait bĂÂȘte de la faire sauter, qu'on la rebĂÂątirait ailleurs... Seulement, je vous prĂ©dis qu'elle sautera d'elle-mĂÂȘme, quand l'Etat l'aura expropriĂ©e, devenu logiquement l'unique et universelle banque de la nation ; et, qui sait ? elle servira alors d'entrepĂÂŽt public Ă nos richesses trop grandes, un des greniers d'abondance oĂÂč nos petits-fils trouveront le luxe de leurs jours de fĂÂȘte ! " D'un geste large, Sigismond ouvrait cet avenir de bonheur gĂ©nĂ©ral et moyen. Et il s'Ă©tait tellement exaltĂ©, qu'un nouvel accĂšs de toux le secoua, revenu Ă sa table, les coudes parmi ses papiers, la tĂÂȘte entre les mains, pour Ă©touffer le rĂÂąle dĂ©chirĂ© de sa gorge. Mais, cette fois, il ne se calmait pas. Brusquement, la porte s'ouvrit, Busch accourut, ayant congĂ©diĂ© la MĂ©chain, l'air bouleversĂ©, souffrant lui-mĂÂȘme de cette toux abominable. Tout de suite, il s'Ă©tait penchĂ©, avait pris son frĂšre dans ses grands bras, comme un enfant dont on berce la douleur. " Voyons, mon petit, qu'est-ce que tu as encore, Ă t'Ă©trangler ? Tu sais, je veux que tu fasses venir un mĂ©decin. Ce n'est pas raisonnable... Tu auras trop causĂ©, cĂąâŹâąest sĂ»r. " Et il regardait d'un oeil oblique Saccard, restĂ© au milieu de la piĂšce, dĂ©cidĂ©ment bousculĂ© par ce qu'il venait d'entendre, dans la bouche de ce grand diable, si passionnĂ© et si malade, qui, de sa fenĂÂȘtre, lĂ -haut, devait jeter un sort sur la Bourse, avec ses histoires de tout balayer pour tout reconstruire. " Merci, je vous laisse, dit le visiteur, ayant hĂÂąte d'ĂÂȘtre dehors. Envoyez-moi ma lettre, avec les dix lignes de traduction... J'en attends d'autres, nous rĂ©glerons le tout ensemble. " Mais, la crise Ă©tant finie, Busch le retint un instant encore. " A propos, la dame qui Ă©tait lĂ tout Ă lĂąâŹâąheure vous a connu autrefois, oh, il y a longtemps. - Ah ! OĂÂč donc ? - Rue de la harpe, en 52 " Si maĂtre qu'il fĂ»t de lui, Saccard devint pĂÂąle. Un tic nerveux tira sa bouche. Ce n'Ă©tait point qu'il se rappelĂÂąt Ă cette minute, la gamine culbutĂ©e dans l'escalier il ne lĂąâŹâąavait mĂÂȘme pas sue enceinte, il ignorait l'existence de l'enfant. Mais le rappel des misĂ©rables annĂ©es de ses dĂ©buts lui Ă©tait toujours dĂ©sagrĂ©able. " Rue de la Harpe, oh ! je n'y ai habitĂ© que huit jours lors de mon arrivĂ©e Ă Paris, le temps de rechercher un logement... Au revoir ! ! - Au revoir ! " accentua Busch, qui se trompa, voyant un aveu dans cet embarras, et qui dĂ©jĂ cherchait de quelle façon large il exploiterait l'aventure. De nouveau dans la rue, Saccard retourna machinalement vers la place de la Bourse. Il Ă©tait tout frissonnant, il ne regarda mĂÂȘme pas la petite Mme Conin, dont la jolie figure blonde souriait, Ă la porte de la papeterie. Sur la place, l'agitation avait grandi, la clameur du jeu venait battre les trottoirs grouillant de monde, avec la violence dĂ©bridĂ©e d'une marĂ©e haute. C'Ă©tait le coup de gueule de trois heures moins un quart, la bataille des derniers cours, l'enragement Ă savoir qui s'en irait les mains pleines. Et, debout Ă l'angle de la rue de la Bourse en face du pĂ©ristyle, il croyait reconnaĂtre, dans la bousculade confuse, sous les colonnes, le baissier Moser et le haussier Pillerault, tous les deux aux prises ; tandis quĂąâŹâąil s'imaginait entendre, sortie du fond de la grande salle, la voix aiguĂ de l'agent de change Mazaud, que couvraient par moments les Ă©clats de Nathansohn, assis sous lĂąâŹâąhorloge, Ă la coulisse. Mais une voiture, qui rasait le ruisseau, faillit l'Ă©clabousser. Massias sauta, avant mĂÂȘme que le cocher eĂ»t arrĂÂȘtĂ©, monta les marches d'un bond, apportant, hors d'haleine, le dernier ordre d'un client. Et lui, toujours immobile et debout, les yeux sur la mĂÂȘlĂ©e, lĂ -haut, remĂÂąchait sa vie, hantĂ© par le souvenir de ses dĂ©buts, que la question de Busch venait de rĂ©veiller. Il se rappelait la rue de la Harpe, puis la rue Saint-Jacques, oĂÂč il avait traĂnĂ© ses bottes Ă©culĂ©es d'aventurier conquĂ©rant, dĂ©barquĂ© Ă Paris pour le soumettre ; et une fureur le reprenait, Ă l'idĂ©e qu'il ne l'avait pas soumis encore, qu'il Ă©tait de nouveau sur le pavĂ©, guettant la fortune, inassouvi, torturĂ© d'une faim de jouissance telle, que jamais il n'en avait souffert davantage. Ce fou de Sigismond le disait avec raison le travail ne peut faire vivre, les misĂ©rables et les imbĂ©ciles travaillent seuls, pour engraisser les autres. Il n'y avait que le jeu, le jeu qui, du soir au lendemain, donne d'un coup le bien- ĂÂȘtre, le luxe, la vie large, la vie tout entiĂšre. Si ce vieux monde social devait crouler un jour, est-ce qu'un homme comme lui n'allait pas encore trouver le temps et la place de combler ses dĂ©sirs, avant l'effondrement ? Mais un passant le coudoya, qui ne se retourna mĂÂȘme pas pour s'excuser. Il reconnut Gundermann faisant sa petite promenade de santĂ©, il le regarda entrer chez un confiseur, d'oĂÂč ce roi de l'or rapportait parfois une boĂte de bonbons d'un franc Ă ses petites-filles. Et ce coup de coude, Ă cette minute, dans la fiĂšvre dont lĂąâŹâąaccĂšs montait en lui, depuis qu'il tournait ainsi autour de la Bourse, coude, Ă cette minute, dans la fiĂšvre dont l'accĂšs montait fut comme le cinglement, la poussĂ©e derniĂšre qui le dĂ©cida. Il avait achevĂ© d'enserrer la place, il donnerait l'assaut. C'Ă©tait le serment d'une lutte sans merci il ne quitterait pas la France, il braverait son frĂšre, il jouerait la partie suprĂÂȘme, une bataille de terrible audace, qui lui mettrait Paris sous les talons, ou qui le jetterait au ruisseau, les reins cassĂ©s. Jusqu'Ă la fermeture, Saccard s'entĂÂȘta, debout Ă son poste d'observation et de menace. Il regarda le pĂ©ristyle se vider, les marches se couvrir de la lente dĂ©bandade de tout ce monde Ă©chauffĂ© et las. Autour de lui, l'encombrement du pavĂ© et des trottoirs continuait, un flot ininterrompu de gens, l'Ă©ternelle foule Ă exploiter, les actionnaires de demain, qui ne pouvaient passer devant cette grande loterie de la spĂ©culation, sans tourner la tĂÂȘte, dans le dĂ©sir et la crainte de ce qui se faisait lĂ , ce mystĂšre des opĂ©rations financiĂšres, d'autant plus attirant pour les cervelles françaises, que trĂšs peu d'entre elles le pĂ©nĂštrent. II - AprĂšs sa derniĂšre et dĂ©sastreuse affaire de terrains, lorsque Saccard dut quitter son palais du parc Monceau, qu'il abandonnait Ă ses crĂ©anciers, pour Ă©viter une catastrophe plus grande, son idĂ©e fut d'abord de se rĂ©fugier chez son fils Maxime. Celui-ci, depuis la mort de sa femme, qui dormait dans un petit cimetiĂšre de la Lombardie, occupait seul un hĂÂŽtel de l'avenue de l'ImpĂ©ratrice, oĂÂč il avait organisĂ© sa vie avec un sage et fĂ©roce Ă©goĂÂŻsme ; il y mangeait la fortune de la morte sans une faute, en garçon de faible santĂ© que le vice avait prĂ©cocement mĂ»ri ; et, d'une voix nette, il refusa Ă son pĂšre de le prendre chez lui, pour continuer Ă vivre tous deux en bon accord, expliquait-il de son air souriant et avisĂ©. DĂšs lors, Saccard songea Ă une autre retraite. Il allait louer une petite maison Ă Passy, un asile bourgeois de commerçant retirĂ©, lorsqu'il se souvint que le rez-de-chaussĂ©e et le premier Ă©tage de l'hĂÂŽtel d'Orviedo, rue Saint-Lazare, n'Ă©taient toujours pas occupĂ©s, portes et fenĂÂȘtres closes. La princesse d'Orviedo, installĂ©e dans trois chambres du second depuis la mort de son mari, n'avait pas mĂÂȘme fait mettre d'Ă©criteau Ă la porte cochĂšre, que les herbes envahissaient. Une porte basse, Ă l'autre bout de la façade, menait au deuxiĂšme Ă©tage, par un escalier de service. Et, souvent en rapport d'affaires avec la princesse, dans les visites qu'il lui rendait, il s'Ă©tait Ă©tonnĂ© de la nĂ©gligence qu'elle apportait Ă tirer un parti convenable de son immeuble. Mais elle hochait la tĂÂȘte, elle avait sur les choses de l'argent des idĂ©es Ă elle. Pourtant, lorsqu'il se prĂ©senta pour louer en son nom, elle consentit tout de suite, elle lui cĂ©da, moyennant un loyer dĂ©risoire de dix mille francs, ce rez-de-chaussĂ©e et ce premier Ă©tage somptueux, d'installation princiĂšre, qui en valait certainement le double. On se souvenait du faste affichĂ© par le prince d'Orviedo. C'Ă©tait dans le coup de fiĂšvre de son immense fortune financiĂšre, lorsqu'il Ă©tait venu d'Espagne, dĂ©barquant Ă Paris au milieu d'une pluie de millions, qu'il avait achetĂ© et fait rĂ©parer cet hĂÂŽtel, en l'attendant le palais de marbre et d'or dont il rĂÂȘvait d'Ă©tonner le monde. La construction datait du siĂšcle dernier, une de ces maisons de plaisance, bĂÂąties au milieu de vastes jardins par des seigneurs galants ; mais, dĂ©molie en partie, rebĂÂątie dans de plus sĂ©vĂšres proportions, elle n'avait gardĂ©, de son parc d'autrefois, qu'une large cour bordĂ©e d'Ă©curies et de remises, que la rue projetĂ©e du Cardinal-Fesch allait sĂ»rement emporter. Le prince la tenait de la succession d'une demoiselle Saint-Germain, dont la propriĂ©tĂ© s'Ă©tendait jadis jusqu'Ă la rue des Trois-FrĂšres, l'ancien prolongement de la rue Taitbout. D'ailleurs, l'hĂÂŽtel avait conservĂ© son entrĂ©e sur la rue Saint-Lazare, cĂÂŽte Ă cĂÂŽte avec une grande bĂÂątisse de la mĂÂȘme Ă©poque, la Folie-Beauvilliers d'autrefois, que les Beauvilliers occupaient encore, Ă la suite d'une ruine lente ; et eux possĂ©daient un reste d'admirable jardin, des arbres magnifiques, condamnĂ©s aussi Ă disparaĂtre, dans le bouleversement prochain du quartier. Au milieu de son dĂ©sastre, Saccard traĂnait une queue de serviteurs, les dĂ©bris de son trop nombreux personnel un valet de chambre, un chef de cuisine et sa femme, chargĂ©e de la lingerie, une autre femme restĂ©e on ne savait pourquoi, un cocher et deux palefreniers ; et il encombra les Ă©curies et les remises, y mit deux chevaux, trois voitures, installa au rez-de-chaussĂ©e un rĂ©fectoire pour ses gens. C'Ă©tait l'homme qui n'avait pas cinq cents francs solides dans sa caisse, mais qui vivait sur un pied de deux ou trois cent mille francs par an. Aussi trouva-t-il le moyen de remplir de sa personne les vastes appartements du premier Ă©tage, les trois salons, les cinq chambres Ă coucher, sans compter l'immense salle Ă manger, oĂÂč l'on dressait une table de cinquante couverts. LĂ , autrefois, une porte ouvrait sur un escalier intĂ©rieur, conduisant au second Ă©tage, dans une autre salle Ă manger, plus petite ; et la princesse, qui avait rĂ©cemment louĂ© cette partie du second Ă un ingĂ©nieur, M. Hamelin, un cĂ©libataire vivant avec sa soeur, s'Ă©tait contentĂ©e de faire condamner la porte, Ă l'aide de deux fortes vis. Elle partageait ainsi l'ancien escalier de service avec ce locataire, tandis que Saccard avait seul la jouissance du grand escalier. Il meubla en partie quelques piĂšces de ses dĂ©pouilles du parc Monceau, laissa les autres vides, parvint quand mĂÂȘme Ă rendre la vie Ă cette enfilade de murailles tristes et nues, dont une main obstinĂ©e semblait avoir arrachĂ© jusqu'aux moindres bouts de tenture, dĂšs le lendemain de la mort du prince. Et il put recommencer le rĂÂȘve d'une grande fortune. La princesse d'Orviedo Ă©tait alors une des curieuses physionomies de Paris. Il y avait quinze ans, elle s'Ă©tait rĂ©signĂ©e Ă Ă©pouser le prince, qu'elle n'aimait point, pour obĂ©ir Ă un ordre formel de sa mĂšre, la duchesse de Combeville. A cette Ă©poque, cette jeune fille de vingt ans avait un grand renom de beautĂ© et de sagesse, trĂšs religieuse, un peu trop grave, bien qu'aimant le monde avec passion. Elle ignorait les singuliĂšres histoires qui couraient sur le prince, les origines de sa royale fortune Ă©valuĂ©e Ă trois cents millions, toute une vie de vols effroyables, non plus au coin des bois, Ă main armĂ©e, comme les nobles aventuriers de jadis, mais en correct bandit moderne, au clair soleil de la Bourse, dans la poche du pauvre monde crĂ©dule, parmi les effondrements et la mort. LĂ -bas en Espagne, ici en France, le prince s'Ă©tait, pendant vingt annĂ©es, fait sa part du lion dans toutes les grandes canailleries restĂ©es lĂ©gendaires. Bien que ne soupçonnant rien de la boue et du sang oĂÂč il venait de ramasser tant de millions, elle avait Ă©prouvĂ© pour lui, dĂšs la premiĂšre rencontre, une rĂ©pugnance que sa religion devait rester impuissante Ă vaincre ; et, bientĂÂŽt, une rancune sourde, grandissante, s'Ă©tait jointe Ă cette antipathie, celle de n'avoir pas un enfant de ce mariage subi par obĂ©issance. La maternitĂ© lui aurait suffi, elle adorait les enfants, elle en arrivait Ă la haine contre cet homme qui, aprĂšs avoir dĂ©sespĂ©rĂ© l'amante, ne pouvait mĂÂȘme contenter la mĂšre. C'Ă©tait Ă ce moment qu'on avait vu la princesse se jeter dans un luxe inouĂÂŻ, aveugler Paris de l'Ă©clat de ses fĂÂȘtes, mener un train fastueux, que les Tuileries, disait-on, jalousaient. Puis, brusquement, au lendemain de la mort du prince, foudroyĂ© par une apoplexie, l'hĂÂŽtel de la rue Saint-Lazare Ă©tait tombĂ© Ă un silence absolu, Ă une nuit complĂšte. Plus une lumiĂšre, plus un bruit, les portes et les fenĂÂȘtres demeuraient closes, et la rumeur se rĂ©pandait que la princesse, aprĂšs avoir dĂ©mĂ©nagĂ© violemment le rez-de-chaussĂ©e et le premier Ă©tage, s'Ă©tait retirĂ©e comme une recluse, dans trois petites piĂšces du second, avec une ancienne femme de chambre de sa mĂšre, la vielle Sophie, qui l'avait Ă©levĂ©e. Quand elle avait reparu, elle Ă©tait vĂÂȘtue d'une simple robe de laine noire, les cheveux cachĂ©s sous un fichu de dentelle, petite et grasse toujours, avec son front Ă©troit, son joli visage rond aux dents de perles entre des lĂšvres serrĂ©es, mais ayant dĂ©jĂ le teint jaune, le visage muet, enfoncĂ© dans une volontĂ© unique, d'une religieuse cloĂtrĂ©e depuis longtemps. Elle venait d'avoir trente ans, elle n'avait plus vĂ©cu depuis lors que pour des oeuvres immenses de charitĂ©. Dans Paris, la surprise Ă©tait grande, et il circula toutes sortes d'histoires extraordinaires. La princesse avait hĂ©ritĂ© de la fortune totale, les fameux trois cents millions dont la chronique des journaux eux-mĂÂȘmes s'occupait. Et la lĂ©gende qui finit par s'Ă©tablir fut romantique. Un homme, un inconnu vĂÂȘtu de noir, racontait-on, comme la princesse allait se mettre au lit, Ă©tait un soir apparu tout d'un coup dans sa chambre, sans qu'elle eĂ»t jamais compris par quelle porte secrĂšte il avait pu entrer ; et ce que cet homme lui avait dit, personne au monde ne le savait ; mais il devait lui avoir rĂ©vĂ©lĂ© l'origine abominable des trois cents millions, en exigeant peut-ĂÂȘtre d'elle le serment de rĂ©parer tant d'iniquitĂ©s, si elle voulait Ă©viter d'affreuses catastrophes. Ensuite, l'homme avait disparu. Depuis cinq ans qu'elle se trouvait veuve, Ă©tait-ce en effet pour obĂ©ir Ă un ordre venu de l'au- delĂ , Ă©tait-ce plutĂÂŽt dans une simple rĂ©volte d'honnĂÂȘtetĂ©, lorsqu'elle avait eu en main le dossier de sa fortune ? la vĂ©ritĂ© Ă©tait qu'elle ne vivait plus que dans une ardente fiĂšvre de renoncement et de rĂ©paration. Chez cette femme qui n'avait pas Ă©tĂ© amante et qui n'avait pu ĂÂȘtre mĂšre, toutes les tendresses refoulĂ©es, surtout l'amour avortĂ© de l'enfant, s'Ă©panouissaient en une vĂ©ritable passion pour les pauvres, pour les faibles, les dĂ©shĂ©ritĂ©s, les souffrants, ceux dont elle croyait dĂ©tenir les millions volĂ©s, ceux Ă qui elle jurait de les restituer royalement, en pluie d'aumĂÂŽnes. DĂšs lors, l'idĂ©e fixe s'empara d'elle, le clou de l'obsession entra dans son crĂÂąne elle ne se considĂ©ra plus que comme un banquier, chez qui les pauvres avaient dĂ©posĂ© trois cents millions, pour qu'ils fussent employĂ©s au mieux de leur usage ; elle ne fut plus qu'un comptable, un homme d'affaires, vivant dans les chiffres, au milieu d'un peuple de notaires, d'ouvriers et d'architectes. Au-dehors, elle avait installĂ© tout un vaste bureau avec une vingtaine d'employĂ©s. Chez elle, dans ses trois piĂšces Ă©troites, elle ne recevait que quatre ou cinq intermĂ©diaires, ses lieutenants ; et elle passait lĂ ses journĂ©es, Ă un bureau, comme un directeur de grandes entreprises, cloĂtrĂ©e loin des importuns, parmi un amoncellement paperasses qui la dĂ©bordait. Son rĂÂȘve Ă©tait de soulager toutes les misĂšres, depuis l'enfant qui souffre d'ĂÂȘtre nĂ© jusqu'au vieillard qui ne peut mourir sans souffrance. Pendant ces cinq annĂ©es, jetant l'or Ă pleines mains, elle avait fondĂ©, Ă la Villette, la CrĂšche Sainte-Marie, avec des berceaux blancs pour les tout-petits, des lits bleus pour les plus grands, une vaste et claire installation que frĂ©quentaient dĂ©jĂ trois cents enfants ; un orphelinat Ă Saint-MandĂ©, l'Orphelinat Saint-Joseph, oĂÂč cent garçons et cent filles recevaient une Ă©ducation et une instruction telles qu'on les donne dans les familles bourgeoises ; enfin, un asile pour les vieillards Ă ChĂÂątillon, pouvant admettre cinquante hommes et cinquante femmes, et un hĂÂŽpital de deux cents lits dans un faubourg, l'HĂÂŽpital Saint-Marceau, dont on venait seulement d'ouvrir les salles. Mais son oeuvre prĂ©fĂ©rĂ©e, celle qui absorbait en ce moment tout son coeur, Ă©tait l'Oeuvre du Travail, une crĂ©ation Ă elle, une maison qui devait remplacer la maison de correction, oĂÂč trois cents enfants, cent cinquante filles et cent cinquante garçons, ramassĂ©s sur le pavĂ© de Paris, dans la dĂ©bauche et dans le crime, Ă©taient rĂ©gĂ©nĂ©rĂ©s par de bons soins et par l'apprentissage d'un mĂ©tier. Ces diverses fondations, des dons considĂ©rables, une prodigalitĂ© folle dans la charitĂ©, lui avaient dĂ©vorĂ© prĂšs de cents millions en cinq ans. Encore quelques annĂ©es de ce train, et elle serait ruinĂ©e, sans avoir rĂ©servĂ© mĂÂȘme la petite rente nĂ©cessaire au pain et au lait dont elle vivait maintenant. Lorsque sa vieille bonne, Sophie, sortant de son continuel silence, la grondait d'un mot rude, en lui prophĂ©tisant qu'elle mourrait sur la paille, elle avait un faible sourire, le seul qui parĂ»t dĂ©sormais sur ses lĂšvres dĂ©colorĂ©es, un divin sourire d'espĂ©rance. Ce fut justement Ă l'occasion de l'Oeuvre du Travail que Saccard fit la connaissance de la princesse d'Orviedo. Il Ă©tait un des propriĂ©taires du terrain qu'elle acheta pour cette oeuvre, un ancien jardin plantĂ© de beaux arbres, qui touchait au parc de Neuilly et qui se trouvait en bordure, le long du boulevard Bineau. Il l'avait sĂ©duite par la façon vive dont il traitait les affaires, elle voulut le revoir, Ă la suite de certaines difficultĂ©s avec ses entrepreneurs. Lui-mĂÂȘme s'Ă©tait intĂ©ressĂ© aux travaux, l'imagination prise, charmĂ© du plan grandiose qu'elle imposait Ă l'architecte deux ailes monumentales, l'une pour les garçons, l'autre pour les filles, reliĂ©es entre elles par un corps de logis, contenant la chapelle, la communautĂ©, l'administration, tous les services ; et chaque aile avait son prĂ©au immense, ses ateliers, ses dĂ©pendances de toutes sortes. Mais surtout ce qui le passionnait, dans son propre goĂ»t du grand et du fastueux, c'Ă©tait le luxe dĂ©ployĂ©, la construction Ă©norme et faite de matĂ©riaux Ă dĂ©fier les siĂšcles, les marbres prodiguĂ©s, une cuisine revĂÂȘtue de faĂÂŻence oĂÂč l'on aurait fait cuire un boeuf, des rĂ©fectoires gigantesques aux riches lambris de chĂÂȘne, des dortoirs inondĂ©s de lumiĂšre, Ă©gayĂ©s de claires peintures, une lingerie, une salle de bains, une infirmerie installĂ©es avec des raffinements excessifs ; et, partout, des dĂ©gagements vastes, des escaliers, des corridors, aĂ©rĂ©s l'Ă©tĂ©, chauffĂ©s l'hiver ; et la maison entiĂšre baignant dans le soleil, une gaietĂ© de jeunesse, un bien-ĂÂȘtre de grosse fortune. Quand l'architecte, inquiet, trouvant toute cette magnificence inutile, parlait de la dĂ©pense, la princesse l'arrĂÂȘtait d'un mot elle avait eu le luxe, elle voulait le donner aux pauvres, pour qu'ils en jouissent Ă leur tour, eux qui font le luxe des riches. Son idĂ©e fixe Ă©tait faite de ce rĂÂȘve combler les misĂ©rables, les coucher dans les lits, les asseoir Ă la table des heureux de ce monde, non plus l'aumĂÂŽne d'une croĂ»te de pain, d'un grabat de hasard, mais la vie large au travers de palais oĂÂč ils seraient chez eux, prenant leur revanche, goĂ»tant les jouissances des triomphateurs. Seulement, dans ce gaspillage, au milieu des devis Ă©normes, elle Ă©tait abominablement volĂ©e ; une nuĂ©e d'entrepreneurs vivaient d'elle, sans compter les pertes dues Ă la mauvaise surveillance ; on dilapidait le bien des pauvres. Et ce fut Saccard qui lui ouvrit les yeux, en la priant de le laisser tirer les comptes au clair, absolument dĂ©sintĂ©ressĂ© d'ailleurs, pour l'unique plaisir de rĂ©gler cette folle danse de millions qui l'enthousiasmait. Jamais il ne s'Ă©tait montrĂ© si scrupuleusement honnĂÂȘte. Il fut, dans cette affaire colossale et compliquĂ©e, le plus actif, le plus probe des collaborateurs, donnant son temps, son argent mĂÂȘme, simplement rĂ©compensĂ© par cette joie des sommes considĂ©rables qui lui passaient entre les mains. On ne connaissait guĂšre que lui Ă l'Oeuvre du Travail, oĂÂč la princesse n'allait jamais, pas plus qu'elle n'allait visiter ses autres fondations, cachĂ©e au fond de ses trois petites piĂšces, comme la bonne dĂ©esse invisible ; et lui, adorĂ©, il y Ă©tait bĂ©ni, accablĂ© de toute la reconnaissance dont elle semblait ne pas vouloir. Sans doute, depuis cette Ă©poque, Saccard nourrissait un vague projet, qui, tout d'un coup, lorsqu'il fut installĂ© dans l'hĂÂŽtel d'Orviedo comme locataire, prit la nettetĂ© aiguĂ d'un dĂ©sir. Pourquoi ne se consacrerait-il pas tout entier Ă l'administration des bonnes oeuvres de la princesse ? Dans l'heure de doute oĂÂč il Ă©tait, vaincu de la spĂ©culation, ne sachant quelle fortune refaire, cela lui apparaissait comme une incarnation nouvelle, une brusque montĂ©e d'apothĂ©ose devenir le dispensateur de cette royale charitĂ©, canaliser ce flot d'or qui coulait sur Paris. Il restait deux cents millions, quelles oeuvres Ă crĂ©er encore, quelle citĂ© du miracle Ă faire sortir du sol ! Sans compter que, lui, les ferait fructifier, ces millions, les doublerait, les triplerait, saurait si bien les employer qu'il en tirerait un monde. Alors, avec sa passion, tout s'Ă©largit, il ne vĂ©cut plus que de cette pensĂ©e grisante, les rĂ©pandre en aumĂÂŽnes sans fin, en noyer la France heureuse ; et il s'attendrissait, car il Ă©tait d'une probitĂ© parfaite, pas un sou ne lui demeurait aux doigts. Ce fut, dans son crĂÂąne de visionnaire, une idylle gĂ©ante, l'idylle d'un inconscient, oĂÂč ne se mĂÂȘlait aucun dĂ©sir de racheter ses anciens brigandages financiers. D'autant plus que, tout de mĂÂȘme, au bout, il y avait le rĂÂȘve de sa vie entiĂšre, sa conquĂÂȘte de Paris. Etre le roi de la charitĂ©, le Dieu adorĂ© de la multitude des pauvres, devenir unique et populaire, occuper de lui le monde, cela dĂ©passait son ambition. Quels prodiges ne rĂ©aliserait-il pas, s'il employait Ă ĂÂȘtre bon ses facultĂ©s d'homme d'affaires, sa ruse, son obstination, son manque complet de prĂ©jugĂ©s ! Et il aurait la force irrĂ©sistible qui gagne les batailles, l'argent, l'argent Ă pleins coffres, l'argent qui fait tant de mal souvent et qui ferait tant de bien, le jour oĂÂč l'on mettrait Ă donner son orgueil et son plaisir ! Puis, agrandissant encore son projet, Saccard en arriva Ă se demander pourquoi il n'Ă©pouserait pas la princesse d'Orviedo. Cela fixerait les positions, empĂÂȘcherait les interprĂ©tations mauvaises. Pendant un mois, il manoeuvra adroitement, exposa des plans superbes, crut se rendre indispensable ; et un jour, d'une voix tranquille, redevenu naĂÂŻf, il fit sa proposition, dĂ©veloppa son grand projet. C'Ă©tait une vĂ©ritable association qu'il offrait, il se donnait comme le liquidateur des sommes volĂ©es par le prince, il s'engageait Ă les rendre aux pauvres, dĂ©cuplĂ©es. D'ailleurs, la princesse, dans son Ă©ternelle robe noire, avec son fichu de dentelle sur la tĂÂȘte, l'Ă©couta attentivement, sans qu'une Ă©motion quelconque animĂÂąt sa face jaune. Elle Ă©tait trĂšs frappĂ©e des avantages que pourrait avoir une association pareille, indiffĂ©rente, du reste, aux autres considĂ©rations. Puis, ayant remis sa rĂ©ponse au lendemain, elle finit par refuser sans doute elle avait rĂ©flĂ©chi qu'elle ne serait plus seule maĂtresse de ses aumĂÂŽnes, et elle entendait en disposer en souveraine absolue, mĂÂȘme follement. Mais elle expliqua qu'elle serait heureuse de le garder comme conseiller, elle montra combien prĂ©cieuse elle estimait sa collaboration, en le priant de continuer Ă s'occuper de l'Oeuvre du Travail, dont il Ă©tait le vĂ©ritable directeur. Toute une semaine, Saccard Ă©prouva un violent chagrin, ainsi qu'Ă la perte d'une idĂ©e chĂšre ; non pas qu'il se sentĂt retomber au gouffre du brigandage ; mais, de mĂÂȘme qu'une romance sentimentale met des larmes aux yeux des ivrognes les plus abjects, cette colossale idylle du bien fait Ă coups de millions avait attendri sa vieille ĂÂąme de corsaire. Il tombait une fois encore, et de trĂšs haut il lui semblait ĂÂȘtre dĂ©trĂÂŽnĂ©. Par l'argent, il avait toujours voulu, en mĂÂȘme temps que la satisfaction de ses appĂ©tits, la magnificence d'une vie princiĂšre ; et jamais il ne l'avait eue, assez haute. Il s'enrageait, Ă mesure que chacune de ses chutes emportait un espoir. Aussi, lorsque son projet croula devant le refus tranquille et net de la princesse, se trouva-t-il rejetĂ© Ă une furieuse envie de bataille. Se battre, ĂÂȘtre le plus fort dans la dure guerre de la spĂ©culation, manger les autres pour ne pas qu'ils vous mangent, c'Ă©tait, aprĂšs sa soif de splendeur et de jouissance, la grande cause, l'unique cause de sa passion des affaires. S'il ne thĂ©saurisait pas, il avait l'autre joie, la lutte des gros chiffres, les fortunes lancĂ©es comme des corps d'armĂ©e, les chocs des millions adverses, avec les dĂ©routes, avec les victoires, qui le grisaient. Et tout de suite reparut sa haine de Gundermann, son effrĂ©nĂ© besoin de revanche abattre Gundermann, cela le hantait d'un dĂ©sir chimĂ©rique, chaque fois qu'il Ă©tait par terre, vaincu. S'il sentait l'enfantillage d'une pareille tentative, ne pourrait-il du moins l'entamer, se faire une place en face de lui, le forcer au partage, comme ces monarques de contrĂ©es voisines et d'Ă©gale puissance, qui se traitent de cousins ? Ce fut alors que, de nouveau, la Bourse l'attira, la tĂÂȘte emplie d'affaires Ă lancer, sollicitĂ© en tous sens par des projets contraires, dans une telle fiĂšvre, qu'il ne sut que dĂ©cider, jusqu'au jour oĂÂč une idĂ©e suprĂÂȘme, dĂ©mesurĂ©e, se dĂ©gagea des autres et s'empara peu Ă peu de lui tout entier. Depuis qu'il habitait l'hĂÂŽtel d'Orviedo, Saccard apercevait parfois la soeur de l'ingĂ©nieur Hamelin qui habitait le petit appartement du second, une femme d'une taille admirable, Mme Caroline, comme on la nommait familiĂšrement. Surtout, ce qui l'avait frappĂ©, Ă la premiĂšre rencontre, c'Ă©tait ses cheveux blancs superbes, une royale couronne de cheveux blancs, d'un si singulier effet sur ce front de femme jeune encore, ĂÂągĂ©e de trente-six ans Ă peine. DĂšs vingt-cinq ans, elle Ă©tait ainsi devenue toute blanche. Ses sourcils, restĂ©s noirs et trĂšs fournis, gardaient une jeunesse, une Ă©trangetĂ© vive Ă son visage encadrĂ© d'hermine. Elle n'avait jamais Ă©tĂ© jolie, avec son menton et son nez trop forts, sa bouche large dont les grosses lĂšvres exprimaient une bontĂ© exquise. Mais, certainement, cette toison blanche, cette blancheur envolĂ©e de fins cheveux de soie, adoucissait sa physionomie un peu dure, lui donnait un charme souriant de grand-mĂšre, dans une fraĂcheur et une force de belle amoureuse. Elle Ă©tait grande, solide, la dĂ©marche franche et trĂšs noble. Chaque fois qu'il la rencontrait, Saccard, plus petit qu'elle, la suivait des yeux, intĂ©ressĂ©, enviant sourdement cette taille haute, cette carrure saine. Et, peu Ă peu, par l'entourage, il connut toute l'histoire des Hamelin. Ils Ă©taient, Caroline et Georges, les enfants d'un mĂ©decin de Montpellier, savant remarquable, catholique exaltĂ©, mort sans fortune. Lorsque le pĂšre s'en alla, la fille avait dix-huit ans, le garçon dix-neuf ; et, comme celui-ci venait d'entrer Ă l'Ecole polytechnique, elle le suivit Ă Paris, oĂÂč elle se plaça institutrice. Ce fut elle qui lui glissa des piĂšces de cent sous, qui l'entretint d'argent de poche, pendant les deux annĂ©es de cours ; plus tard, lorsque, sorti dans un mauvais rang, il dut battre le pavĂ©, ce fut elle encore qui le soutint, en attendant qu'il trouvĂÂąt une situation. Ces deux enfants s'adoraient, faisaient le rĂÂȘve de ne se quitter jamais. Pourtant, un mariage inespĂ©rĂ© s'Ă©tant prĂ©sentĂ©, la bonne grĂÂące et l'intelligence vive de la jeune fille ayant conquis un brasseur millionnaire, dans la maison oĂÂč elle Ă©tait en place, Georges voulut qu'elle acceptĂÂąt ce dont il se repentit cruellement, car, au bout de quelques annĂ©es de mĂ©nage, Caroline fut obligĂ©e d'exiger une sĂ©paration pour ne pas ĂÂȘtre tuĂ©e par son mari, qui buvait et la poursuivait avec un couteau, dans des crises d'imbĂ©cile jalousie. Elle Ă©tait alors ĂÂągĂ©e de vingt-six ans, elle se retrouvait pauvre, s'Ă©tant obstinĂ©e Ă ne rĂ©clamer aucune pension de l'homme qu'elle quittait. Mais son frĂšre avait enfin, aprĂšs bien des tentatives, mis la main sur une besogne qui lui plaisait il allait partir pour l'Egypte, avec la Commission chargĂ©e des premiĂšres Ă©tudes du canal de Suez ; et il emmena sa soeur, elle s'installa vaillamment Ă Alexandrie, recommença Ă donner des leçons, pendant que lui courait le pays. Ils restĂšrent ainsi en Egypte jusqu'en 1859, ils assistĂšrent aux premiers coups de pioche sur la plage de Port- SaĂÂŻd une maigre Ă©quipe de cent cinquante terrassiers Ă peine, perdue au milieu des sables, commandĂ©e par une poignĂ©e d'ingĂ©nieurs. Puis, Hamelin, envoyĂ© en Syrie pour assurer les approvisionnements, y resta, Ă la suite d'une fĂÂącherie avec ses chefs. Il fit venir Caroline Ă Beyrouth, oĂÂč d'autres Ă©lĂšves l'attendaient, il se lança dans une grosse affaire, patronnĂ©e par une compagnie française, le tracĂ© d'une route carrossable de Beyrouth Ă Damas, la premiĂšre, l'unique voie ouverte Ă travers les gorges du Liban ; et ils vĂ©curent encore trois annĂ©es lĂ , jusqu'Ă l'achĂšvement de la route, lui visitant les montagnes, s'absentant deux mois pour un voyage Ă Constantinople, Ă travers le Taurus, elle le suivant dĂšs qu'elle pouvait s'Ă©chapper, Ă©pousant les projets de rĂ©veil qu'il faisait, Ă battre cette vieille terre endormie sous la cendre des civilisations mortes. Il avait amassĂ© tout un portefeuille dĂ©bordant d'idĂ©es et de plans, il sentait l'impĂ©rieuse nĂ©cessitĂ© de rentrer en France, s'il voulait donner un corps Ă ce vaste ensemble d'entreprises, former des sociĂ©tĂ©s, trouver des capitaux. Et, aprĂšs neuf annĂ©es de sĂ©jour en Orient, ils partirent, ils eurent la curiositĂ© de repasser par l'Egypte, oĂÂč les travaux du canal de Suez les enthousiasmĂšrent une ville avait poussĂ© en quatre ans dans les sables de la plage de Port-SaĂÂŻd, tout un peuple s'agitait lĂ , les fourmis humaines s'Ă©taient multipliĂ©es, changeaient la face de la terre. Mais, Ă Paris, une malchance noire attendait Hamelin. Depuis quinze mois, il s'y dĂ©battait avec ses projets, sans pouvoir communiquer sa foi Ă personne, trop modeste, peu bavard, Ă©chouĂ© Ă ce deuxiĂšme Ă©tage de l'hĂÂŽtel d'Orviedo, dans un petit appartement de cinq piĂšces qu'il louait douze cents francs, plus loin du succĂšs que lorsqu'il courait les monts et les plaines de l'Asie. Leurs Ă©conomies s'Ă©puisaient rapidement, le frĂšre et la soeur en arrivaient Ă une grande gĂÂȘne. Ce fut mĂÂȘme ce qui intĂ©ressa Saccard, cette tristesse croissante de Mme Caroline, dont la belle gaietĂ© s'assombrissait du dĂ©couragement oĂÂč elle voyait tomber son frĂšre. Dans leur mĂ©nage, elle Ă©tait un peu l'homme. Georges, qui lui ressemblait beaucoup physiquement, en plus frĂÂȘle, avec des facultĂ©s de travail rares ; mais il s'absorbait dans ses Ă©tudes, il ne fallait point l'en sortir. Jamais il n'avait voulu se marier, n'en Ă©prouvant pas le besoin, adorant sa soeur, ce qui lui suffisait. Il devait avoir des maĂtresses d'un jour, qu'on ne connaissait pas. Et cet ancien piocheur de l'Ecole polytechnique, aux conceptions si vastes, d'un zĂšle si ardent pour tout ce qu'il entreprenait, montrait parfois une telle naĂÂŻvetĂ©, qu'on l'aurait jugĂ© un peu sot. ElevĂ© dans le catholicisme le plus Ă©troit, il avait gardĂ© sa religion d'enfant, il pratiquait, trĂšs convaincu ; tandis que sa soeur s'Ă©tait reprise par une lecture immense, par toute la vaste instruction qu'elle se donnait Ă son cĂÂŽtĂ©, aux longues heures oĂÂč il s'enfonçait dans ses travaux techniques. Elle parlait quatre langues, elle avait lu les Ă©conomistes, les philosophes, passionnĂ©e un instant pour les thĂ©ories socialistes et Ă©volutionnistes ; mais elle s'Ă©tait calmĂ©e, elle devait surtout Ă ses voyages, Ă son long sĂ©jour parmi des civilisations lointaines, une grande tolĂ©rance, un bel Ă©quilibre de sagesse. Si elle ne croyait plus, elle demeurait trĂšs respectueuse de la foi de son frĂšre. Entre eux, il y avait eu une explication, et jamais ils n'en avaient reparlĂ©. Elle Ă©tait une intelligence, dans sa simplicitĂ© et sa bonhomie ; et, d'un courage Ă vivre extraordinaire, d'une bravoure joyeuse qui rĂ©sistait aux cruautĂ©s du sort, elle avait coutume de dire qu'un seul chagrin Ă©tait restĂ© saignant en elle, celui de n'avoir pas eu d'enfant. Saccard put rendre Ă Hamelin un service, un petit travail qu'il lui procura, des commanditaires qui avaient besoin d'un ingĂ©nieur pour un rapport sur le rendement d'une machine nouvelle. Et il força ainsi l'intimitĂ© du frĂšre et de la soeur, il monta frĂ©quemment passer une heure entre eux, dans leur salon, leur seule grande piĂšce, qu'ils avaient transformĂ©e en cabinet de travail. Cette piĂšce restait d'une nuditĂ© absolue, meublĂ©e seulement d'une longue table Ă dessiner, d'une autre table plus petite, encombrĂ©e de papiers, et d'une demi-douzaine de chaises. Sur la cheminĂ©e, des livres s'empilaient. Mais, aux murs, une dĂ©coration improvisĂ©e Ă©gayait ce vide, une sĂ©rie de plans, une suite d'aquarelles claires, chaque feuille fixĂ©e avec quatre clous. C'Ă©tait son portefeuille de projets qu'Hamelin avait ainsi Ă©talĂ©, les notes prises en Syrie, toute sa fortune future ; et les aquarelles Ă©taient de Mme Caroline, des vues de lĂ -bas, des types, des costumes, ce qu'elle avait remarquĂ© et croquĂ© en accompagnant son frĂšre, avec un sens trĂšs personnel de coloriste, sans aucune prĂ©tention d'ailleurs. Deux larges fenĂÂȘtres, ouvrant sur le jardin de l'hĂÂŽtel Beauvilliers, Ă©clairaient d'une lumiĂšre vive cette dĂ©bandade de dessins, qui Ă©voquait une vie autre, le rĂÂȘve d'une antique sociĂ©tĂ© tombant en poudre, que les Ă©pures, aux lignes fermes et mathĂ©matiques, semblaient vouloir remettre debout, comme sous l'Ă©tayement du solide Ă©chafaudage de la science moderne. Et quand il se fut rendu utile, avec cette dĂ©pense d'activitĂ© qui le faisait charmant, Saccard s'oublia surtout devant les plans et les aquarelles, sĂ©duit, demandant sans cesse de nouvelles explications. Dans sa tĂÂȘte, tout un vaste lançage germait dĂ©jĂ . Un matin, il trouva Mme Caroline seule, assise Ă la petite table dont elle avait fait son bureau. Elle Ă©tait mortellement triste, les mains abandonnĂ©es parmi les papiers. " Que voulez-vous ? cela tourne dĂ©cidĂ©ment mal... je suis brave pourtant. Mais tout va nous manquer Ă la fois ; et ce qui me navre, c'est l'impuissance ou le malheur rĂ©duit mon pauvre frĂšre, car il n'est vaillant, il n'a de force qu'au travail... J'avais songĂ© Ă me replacer institutrice quelque part, pour l'aider au moins. J'ai cherchĂ© et je n'ai rien trouvĂ©... Pourtant, je ne puis pas me mettre Ă faire des mĂ©nages. " Jamais Saccard ne l'avait vue ainsi dĂ©montĂ©e, abattue. " Que diable ! vous n'en ĂÂȘtes pas lĂ ! " cria-t-il. Elle hocha la tĂÂȘte, elle se montrait amĂšre contre la vie, qu'elle acceptait d'habitude si gaillardement, mĂÂȘme mauvaise. Et Hamelin Ă©tant rentrĂ© Ă ce moment, rapportant la nouvelle d'un dernier Ă©chec, elle eut de grosses larmes lentes, elle ne parla plus, les poings serrĂ©s, Ă sa table, les yeux perdus devant elle. " Et dire, laissa Ă©chapper Hamelin, qu'il y a, lĂ -bas, des millions qui nous attendent, si quelqu'un voulait seulement m'aider Ă les gagner ! " Saccard s'Ă©tait plantĂ© devant une Ă©pure reprĂ©sentant l'Ă©lĂ©vation d'un pavillon construit au centre de vastes magasins. " Qu'est-ce donc ? demanda-t-il. - Oh ! je me suis amusĂ©, expliqua l'ingĂ©nieur. C'est un projet d'habitation " lĂ -bas, Ă Beyrouth, pour le directeur de la Compagnie que j'ai rĂÂȘvĂ©e, vous savez, la Compagnie gĂ©nĂ©rale des Paquebots rĂ©unis. " Il s'animait, il donna de nouveaux dĂ©tails. Pendant son sĂ©jour en Orient, il avait constatĂ© combien le service des transports Ă©tait dĂ©fectueux. Les quelques sociĂ©tĂ©s, installĂ©es Ă Marseille, se tuaient par la concurrence, n'arrivaient pas Ă avoir le matĂ©riel suffisant et confortable ; et une de ses premiĂšres idĂ©es, Ă la base mĂÂȘme de tout l'ensemble de ses entreprises, Ă©tait de syndiquer ces sociĂ©tĂ©s, de les rĂ©unir en une vaste Compagnie, pourvue de millions, qui exploiterait la MĂ©diterranĂ©e entiĂšre et s'en assurerait la royautĂ©, en Ă©tablissant des lignes pour tous les ports de l'Afrique, de l'Espagne, de l'Italie, de la GrĂšce, de l'Egypte, de l'Asie, jusqu'au fond de la mer Noire. Rien n'Ă©tait Ă la fois, d'un organisateur de plus de flair, ni d'un meilleur citoyen c'Ă©tait l'Orient conquis, donnĂ© Ă la France, sans compter qu'il rapprochait ainsi la Syrie, oĂÂč allait s'ouvrir le vaste champ de ses opĂ©rations. " Les syndicats, murmura Saccard, l'avenir semble ĂÂȘtre lĂ , aujourd'hui... C'est une forme si puissante de l'association ! Trois ou quatre petites entreprises, qui vĂ©gĂštent isolĂ©ment, deviennent d'une vitalitĂ© et d'une prospĂ©ritĂ© irrĂ©sistibles, si elles se rĂ©unissent... Oui, demain est aux gros capitaux, aux efforts centralisĂ©s des grandes masses. Toute l'industrie, tout le commerce finiront par n'ĂÂȘtre qu'un immense bazar unique, oĂÂč l'on s'approvisionnera de tout. " Il s'Ă©tait arrĂÂȘtĂ© encore, debout cette fois devant une aquarelle qui reprĂ©sentait un site sauvage, une gorge aride, que bouchait un Ă©croulement gigantesque de rochers, couronnĂ©s de broussailles. " Oh ! oh ! reprit-il, voici le bout du monde. On ne doit pas ĂÂȘtre coudoyĂ© par les passants dans ce coin-lĂ . - Une gorge du Carmel, rĂ©pondit Hamelin Ma soeur a pris ça, pendant les Ă©tudes que j'ai faites de ce cĂÂŽtĂ©. " Et il ajouta simplement " Tenez ! entre les calcaires crĂ©tacĂ©s et les porphyres qui ont relevĂ© ces calcaires, sur tout le flanc de la montagne, il y a lĂ un filon d'argent sulfurĂ© considĂ©rable, oui ! une mine d'argent dont l'exploitation, d'aprĂšs mes calculs, assurerait des bĂ©nĂ©fices Ă©normes. - Une mine d'argent " , rĂ©pĂ©ta vivement Saccard. Mme Caroline, les yeux toujours au loin, dans sa tristesse, avait entendu ; et, comme si une vision se fĂ»t Ă©voquĂ©e " Le Carmel, ah ! quel dĂ©sert, quelles journĂ©es de solitude ! C'est plein de myrtes et de genĂÂȘts, cela sent bon l'air tiĂšde en est embaumĂ©. Et il y a des aigles, sans cesse, qui planent trĂšs haut... Mais tout cet argent qui dort dans ce sĂ©pulcre, Ă cĂÂŽtĂ© de tant de misĂšre. On voudrait des foules heureuses, des chantiers, des villes naissantes, un peuple rĂ©gĂ©nĂ©rĂ© par le travail. - Une route serait facilement ouverte du Carmel Ă Saint-Jean-d'Acre, continua Hamelin. Et je crois bien qu'on dĂ©couvrirait Ă©galement du fer, car il abonde dans les montagnes du pays... J'ai aussi Ă©tudiĂ© un nouveau mode d'extraction, qui rĂ©aliserait d'importantes Ă©conomies. Tout est prĂÂȘt, il ne s'agit plus que de trouver des capitaux. - La SociĂ©tĂ© des mines d'argent du Carmel ! " murmura Saccard. Mais c'Ă©tait maintenant l'ingĂ©nieur qui, les regards levĂ©s, allait d'un plan Ă l'autre, repris par le labeur de toute sa vie, enfiĂ©vrĂ© Ă la pensĂ©e de l'avenir Ă©clatant qui dormait lĂ , pendant que la gĂÂȘne le paralysait. " Et ce ne sont que les petites affaires du dĂ©but, reprit-il. Regardez cette sĂ©rie de plans, c'est ici le grand coup, tout un systĂšme de chemins de fer traversant l'Asie Mineure, de part en part... Le manque de communications commodes et rapides, telle est la cause premiĂšre de la stagnation oĂÂč croupit ce pays si riche. Vous n'y trouveriez pas une voie carrossable, les voyages et les transports s'y font toujours Ă dos de mulet ou de chameau... Imaginez alors quelle rĂ©volution, si des lignes ferrĂ©es pĂ©nĂ©traient jusqu'aux confins du dĂ©sert ! Ce serait l'industrie et le commerce dĂ©cuplĂ©s, la civilisation victorieuse, l'Europe s'ouvrant enfin les portes de l'Orient... Oh ! pour peu que cela vous intĂ©resse, nous en causerons en dĂ©tail. Et vous verrez, vous verrez ! " Tout de suite, du reste, il ne put s'empĂÂȘcher d'entrer dans des explications. C'Ă©tait surtout pendant son voyage Ă Constantinople, qu'il avait Ă©tudiĂ© le tracĂ© de son systĂšme de chemins de fer. La grande, l'unique difficultĂ© se trouvait dans la traversĂ©e des monts Taurus ; mais il avait parcouru les diffĂ©rents cols, il affirmait la possibilitĂ© d'un tracĂ© direct et relativement peu dispendieux. D'ailleurs, il ne songeait pas Ă exĂ©cuter d'un coup le systĂšme complet. Lorsqu'on aurait obtenu du sultan la concession totale, il serait sage de n'entreprendre d'abord que la branche mĂšre, la ligne de Brousse Ă Beyrouth par Angora et Alep. Plus tard, on songerait Ă l'embranchement de Smyrne Ă Angora, et Ă celui de TrĂ©bizonde Ă Angora, par Erzeroum et Sivas. " Plus tard, plus tard encore... " , continua-t-il. Et il n'acheva pas, il se contentait de sourire, n'osant dire jusqu'oĂÂč il avait poussĂ© l'audace de ses projets. C'Ă©tait le rĂÂȘve. " Ah ! les plaines au pied du Taurus, reprit Mme Caroline de sa voix lente de dormeuse Ă©veillĂ©e, quel paradis dĂ©licieux ! On n'a qu'Ă gratter la terre, les moissons poussent, dĂ©bordantes. Les arbres fruitiers, les pĂÂȘchers, les cerisiers, les figuiers, les amandiers, cassent sous les fruits. Et quels champs d'oliviers et de mĂ»riers, pareils Ă de grands bois ! Et quelle existence naturelle et facile, dans cet air lĂ©ger, constamment bleu ! " Saccard se mit Ă rire, de ce rire aigu de bel appĂ©tit, qu'il avait lorsqu'il flairait la fortune. Et, comme Hamelin parlait encore d'autres projets, notamment de la crĂ©ation d'une banque Ă Constantinople, en disant un mot des relations toutes-puissantes qu'il y avait laissĂ©es, surtout prĂšs du grand vizir, il l'interrompit gaiement. " Mais c'est un pays de cocagne, on en vendrait ! " Puis, trĂšs familier, appuyant les deux mains aux Ă©paules de Mme Caroline, toujours assise " Ne vous dĂ©sespĂ©rez donc pas, madame ! Je vous aime bien, vous verrez que je ferai avec votre frĂšre quelque chose de trĂšs bon pour nous tous... Ayez de la patience. Attendez. " Pendant le mois qui suivit, Saccard procura de nouveau Ă l'ingĂ©nieur quelques petits travaux ; et, s'il ne reparlait plus des grandes affaires, il devait y penser constamment, prĂ©occupĂ©, hĂ©sitant devant l'ampleur Ă©crasante des entreprises. Mais ce qui resserra davantage le lien naissant de leur intimitĂ©, ce fut la façon toute naturelle dont Mme Caroline vint Ă s'occuper de son intĂ©rieur d'homme seul, dĂ©vorĂ© de frais inutiles, d'autant plus mal servi qu'il avait davantage de serviteurs. Lui, si habile au-dehors, rĂ©putĂ© pour sa main vigoureuse et adroite dans le gĂÂąchis des grands vols, laissait aller chez lui tout Ă la dĂ©bandade, insoucieux du coulage effrayant qui triplait ses dĂ©penses ; et l'absence d'une femme se faisait aussi cruellement sentir, jusque dans les plus petites choses. Lorsque Mme Caroline s'aperçut du pillage, elle lui donna d'abord des conseils, puis finit par s'entremettre et lui faire rĂ©aliser deux ou trois Ă©conomies ; si bien qu'en riant, un jour, il lui offrit d'ĂÂȘtre son intendante pourquoi pas ? elle avait cherchĂ© une place d'institutrice, elle pouvait bien accepter une situation honorable pour elle, qui lui permettrait d'attendre. L'offre, faite en maniĂšre de plaisanterie, devint sĂ©rieuse. N'Ă©tait-ce pas une façon de s'occuper, de soulager son frĂšre, avec les trois cents francs que Saccard voulait donner par mois ? Et elle accepta, elle rĂ©forma la maison en huit jours, renvoya le chef et sa femme pour ne prendre qu'une cuisiniĂšre, qui, avec le valet de chambre et le cocher, devait suffire au service. Elle ne garda aussi qu'un cheval et une voiture, prit la haute main sur tout, examina les comptes avec un soin si scrupuleux, qu'Ă la fin de la premiĂšre quinzaine elle avait obtenu une rĂ©duction de moitiĂ©. Il Ă©tait ravi, il plaisantait en disant que c'Ă©tait lui qui la volait maintenant, et qu'elle aurait dĂ» exiger un tant pour cent sur tous les bĂ©nĂ©fices qu'elle lui faisait faire. Alors, une vie trĂšs Ă©troite avait commencĂ©. Saccard venait d'avoir l'idĂ©e de faire enlever les vis qui condamnaient la porte de communication entre les deux appartements, et l'on remontait librement, d'une salle Ă manger dans l'autre, par l'escalier intĂ©rieur ; de sorte que, pendant que son frĂšre travaillait en haut, enfermĂ© du matin au soir pour mettre en ordre ses dossiers d'Orient, Mme Caroline, laissant son propre mĂ©nage aux soins de l'unique bonne qui les servait, descendait Ă chaque heure de la journĂ©e, donner des ordres, comme chez elle. C'Ă©tait devenu la joie de Saccard, la continuelle apparition de cette grande belle femme, qui traversait les piĂšces de son pas solide et superbe, avec la gaietĂ© toujours inattendue de ses cheveux blancs, envolĂ©s autour de son jeune visage. Elle Ă©tait de nouveau trĂšs gaie, elle avait retrouvĂ© sa bravoure Ă vivre, depuis qu'elle se sentait utile, occupant ses heures, continuellement debout. Sans affectation de simplicitĂ©, elle ne portait plus qu'une robe noire, dans la poche de laquelle on entendait la sonnerie claire du trousseau de clefs ; et cela l'amusait certainement, elle la savante, la philosophe, de n'ĂÂȘtre plus qu'une bonne femme de mĂ©nage, la gouvernante d'un prodigue, qu'elle se mettait Ă aimer, comme on aime les enfants mauvais sujets. Lui, un instant trĂšs sĂ©duit, calculant qu'il n'y avait aprĂšs tout qu'une diffĂ©rence de quatorze ans entre eux, s'Ă©tait demandĂ© ce qu'il arriverait, s'il la prenait un beau soir entre ses bras. Etait-il admissible que, depuis dix ans, depuis sa fuite forcĂ©e de chez son mari, dont elle avait reçu autant de coups que de caresses, elle eĂ»t vĂ©cu en guerriĂšre voyageuse, sans voir un homme ? Peut-ĂÂȘtre les voyages l'avaient-ils protĂ©gĂ©e. Cependant, il savait qu'un ami de son frĂšre, un M. Beaudoin, un nĂ©gociant restĂ© Ă Beyrouth, et dont le retour Ă©tait prochain, l'avait beaucoup aimĂ©e, au point d'attendre pour l'Ă©pouser la mort de son mari, qu'on venait d'enfermer dans une maison de santĂ©, fou d'alcoolisme. Evidemment, ce mariage n'aurait fait que rĂ©gulariser une situation bien excusable, presque lĂ©gitime. DĂšs lors, puisqu'il devait y en avoir eu un, pourquoi n'aurait-il pas Ă©tĂ© le second ? Mais Saccard en restait au raisonnement, la trouvant si bonne camarade, que la femme souvent disparaissait. Lorsque, Ă la voir passer, avec sa taille admirable, il se posait sa question savoir ce qu'il arriverait s'il l'embrassait, il se rĂ©pondait qu'il arriverait des choses fort ordinaires, ennuyeuses peut-ĂÂȘtre ; et il remettait l'expĂ©rience Ă plus tard, il lui donnait des poignĂ©es de main vigoureuses, heureux de sa cordialitĂ©. Puis, tout d'un coup, Mme Caroline retomba Ă un grand chagrin. Un matin, elle descendit abattue, trĂšs pĂÂąle, les yeux gros ; et il ne put rien apprendre d'elle ; il cessa de l'interroger devant son obstination Ă dire qu'elle n'avait rien, qu'elle Ă©tait comme tous les jours. Ce fut le lendemain seulement qu'il comprit, en trouvant en haut une lettre de faire part, la lettre qui annonçait le mariage de M. Beaudoin avec la fille d'un consul anglais, trĂšs jeune et immensĂ©ment riche. Le coup avait dĂ» ĂÂȘtre d'autant plus dur, que la nouvelle Ă©tait arrivĂ©e par cette lettre banale, sans aucune prĂ©paration, sans mĂÂȘme un adieu. C'Ă©tait tout un Ă©croulement dans l'existence de la malheureuse femme, la perte de l'espoir lointain oĂÂč elle se raccrochait, aux heures de dĂ©sastre. Et, le hasard ayant, lui aussi, des cruautĂ©s abominables, elle avait justement appris, l'avant-veille, que son mari Ă©tait mort, elle venait enfin de croire, pendant quarante-huit heures, Ă la rĂ©alisation prochaine de son rĂÂȘve. Sa vie s'effondrait, elle en restait anĂ©antie. Le soir mĂÂȘme, une autre stupeur l'attendait comme, Ă son habitude, avant de remonter se coucher, elle entrait chez Saccard causer des ordres du lendemain, il lui parla de son malheur, si doucement, qu'elle Ă©clata en sanglots ; puis, dans cet attendrissement invincible, dans une sorte de paralysie de sa volontĂ©, elle se trouva entre ses bras, elle lui appartint, sans joie ni pour l'un ni pour l'autre. Quand elle se reprit, elle n'eut pas de rĂ©volte, mais sa tristesse en fut accrue, Ă l'infini. Pourquoi avait- elle laissĂ© s'accomplir cette chose ? elle n'aimait pas cet homme, lui- mĂÂȘme ne devait pas l'aimer. Ce n'Ă©tait point qu'il lui parĂ»t d'un ĂÂąge et d'une figure indignes de tendresse ; sans beautĂ© certes, et vieux dĂ©jĂ , il l'intĂ©ressait par la mobilitĂ© de ses traits, par l'activitĂ© de toute sa petite personne noire ; et, l'ignorant encore, elle voulait le croire serviable, d'une intelligence supĂ©rieure, capable de rĂ©aliser les grandes entreprises de son frĂšre, avec l'honnĂÂȘtetĂ© moyenne de tout le monde. Seulement, quelle chute imbĂ©cile ! Elle, si sage, si instruite par la dure expĂ©rience, si maĂtresse d'elle-mĂÂȘme, avoir ainsi succombĂ©, sans savoir pourquoi ni comment, dans une crise de larmes, en grisette sentimentale ! Le pis Ă©tait qu'elle le sentait, autant qu'elle, Ă©tonnĂ©, presque fĂÂąchĂ© de l'aventure. Lorsque, cherchant Ă la consoler, il lui avait parlĂ© de M. Beaudoin comment d'un amant ancien, dont la basse trahison ne mĂ©ritait que l'oubli, et qu'elle s'Ă©tait rĂ©criĂ©e, en jurant que jamais rien ne s'Ă©tait passĂ© entre eux, il avait d'abord cru qu'elle mentait, par une fiertĂ© de femme ; mais elle Ă©tait revenue sur ce serment avec tant de force, elle montrait des yeux si beaux, si clairs de franchise, qu'il avait fini par ĂÂȘtre convaincu de la vĂ©ritĂ© de cette histoire, elle par droiture et dignitĂ© se gardant pour le jour des noces, l'homme patientant deux annĂ©es, puis se lassant et en Ă©pousant une autre, quelque occasion trop tentante de jeunesse et de richesse. Et le singulier Ă©tait que cette dĂ©couverte, cette conviction qui aurait dĂ» passionner Saccard, l'emplissait au contraire d'une sorte d'embarras, tellement il comprenait la fatalitĂ© sotte de sa bonne fortune. Du reste, ils ne recommencĂšrent pas, puisque ni l'un ni l'autre ne paraissait en avoir l'envie. Pendant quinze jours, Mme Caroline resta ainsi affreusement triste. La force de vivre, cette impulsion qui fait de la vie une nĂ©cessitĂ© et une joie, l'avait abandonnĂ©e. Elle vaquait Ă ses occupations si multiples, mais comme absente, sans s'illusionner mĂÂȘme sur la raison et l'intĂ©rĂÂȘt des choses. C'Ă©tait la machine humaine travaillant dans le dĂ©sespoir du nĂ©ant de tout. Et, au milieu de ce naufrage de sa bravoure et de sa gaietĂ©, elle ne goĂ»tait qu'une distraction, celle de passer toutes ses heures libres le front aux vitres d'une fenĂÂȘtre du grand cabinet de travail, les regards fixĂ©s sur le jardin de l'hĂÂŽtel voisin, cet hĂÂŽtel Beauvilliers, oĂÂč, depuis les premiers jours de son installation, elle devinait une dĂ©tresse, une de ces misĂšres cachĂ©es, si navrantes dans leur effort Ă sauvegarder les apparences. Il y avait lĂ aussi des ĂÂȘtres qui souffraient, et son chagrin Ă©tait comme trempĂ© de ces larmes, elle agonisait de mĂ©lancolie, jusqu'Ă se croire insensible et morte dans la douleur des autres. Ces Beauvilliers, qui autrefois, sans compter leurs immenses domaines de la Touraine et de l'Anjou, possĂ©daient, rue de Grenelle, un hĂÂŽtel magnifique, n'avaient plus Ă Paris que cette ancienne maison de plaisance, bĂÂątie en dehors de la ville au commencement du siĂšcle dernier, et qui se trouvait aujourd'hui enclavĂ©e parmi les constructions noires de la rue Saint-Lazare. Les quelques beaux arbres du jardin restaient lĂ comme au fond d'un puits, la mousse mangeait les marches du perron, Ă©miettĂ© et fendu. On eĂ»t dit un coin de nature mis en prison, un coin doux et morne, d'une muette dĂ©sespĂ©rance, oĂÂč le soleil ne descendait plus qu'en un jour verdĂÂątre, dont le frisson glaçait les Ă©paules. Et, dans cette paix humide de cave, en haut de ce perron disjoint, la premiĂšre personne que Mme Caroline avait aperçue Ă©tait la comtesse de Beauvilliers, une grande femme maigre de soixante ans, toute blanche, l'air trĂšs noble, un peu surannĂ©e. Avec son grand nez droit, ses lĂšvres minces, son cou particuliĂšrement long, elle avait l'air d'un cygne trĂšs ancien, d'une douceur dĂ©solĂ©e. Puis, derriĂšre elle, presque aussitĂÂŽt, s'Ă©tait montrĂ©e sa fille, Alice de Beauvilliers, ĂÂągĂ©e de vingt-cinq ans, mais si appauvrie, qu'on l'aurait prise pour une fillette, sans le teint gĂÂątĂ© et les traits dĂ©jĂ tirĂ©s du visage. C'Ă©tait la mĂšre encore, chĂ©tive, moins l'aristocratique noblesse, le cou allongĂ© jusqu'Ă la disgrĂÂące, n'ayant plus que le charme pitoyable d'une fin de grande race. Les deux femmes vivaient seules, depuis que le fils, Ferdinand de Beauvilliers, s'Ă©tait engagĂ© dans les zouaves pontificaux, Ă la suite de la bataille de Castelfidardo, perdue par LamoriciĂšre. Tous les jours, lorsqu'il ne pleuvait pas, elles apparaissaient ainsi, l'une derriĂšre l'autre, elles descendaient le perron, faisaient le tour de l'Ă©troite pelouse centrale, sans Ă©changer une parole ; il n'y avait que des bordures de lierre, les fleurs n'auraient pas poussĂ©, ou peut-ĂÂȘtre auraient-elles coĂ»tĂ© trop cher. Et cette promenade lente, sans doute une simple promenade de santĂ©, par ces deux femmes si pĂÂąles, sous ces arbres centenaires qui avaient vu tant de fĂÂȘtes et que les bourgeoises maisons du voisinage Ă©touffaient, prenait une mĂ©lancolique douleur, comme si elles eussent promenĂ© le deuil des vieilles choses mortes. Alors, intĂ©ressĂ©e, Mme Caroline avait guettĂ© ses voisines par une sympathie tendre, sans curiositĂ© mauvaise ; et, peu Ă peu, dominant le jardin, elle pĂ©nĂ©tra leur vie, qu'elles cachaient avec un soin jaloux, sur la rue. Il y avait toujours un cheval dans l'Ă©curie, une voiture sous la remise, que soignait un vieux domestique, Ă la fois valet de chambre, cocher et concierge ; de mĂÂȘme qu'il y avait une cuisiniĂšre, qui servait aussi de femme de chambre ; mais, si la voiture sortait de la grand-porte, correctement attelĂ©e, menant ces dames Ă leurs courses, si la table gardait un certain luxe, l'hiver, aux dĂners de quinzaine oĂÂč venaient quelques amis, par quels longs jeĂ»nes, par quelles sordides Ă©conomies de chaque heure Ă©tait achetĂ©e cette apparence menteuse de fortune ! Dans un petit hangar, Ă l'abri des yeux, c'Ă©taient de continuels lavages, pour rĂ©duire la note de la blanchisseuse, de pauvres nippes usĂ©es par le savon, rapiĂ©cĂ©es fil Ă fil ; c'Ă©taient quatre lĂ©gumes Ă©pluchĂ©s pour le repas du soir, du pain qu'on faisait rassir sur une planche, afin d'en manger moins ; c'Ă©taient toutes sortes de pratiques avaricieuses, infimes et touchantes, le vieux cocher recousant les bottines trouĂ©es de mademoiselle, la cuisiniĂšre noircissant a l'encre les bouts de gants trop dĂ©fraĂchis de madame ; et les robes de la mĂšre qui passaient Ă la fille aprĂšs d'ingĂ©nues transformations, et les chapeaux qui duraient des annĂ©es, grĂÂące Ă des Ă©changes de fleurs et de rubans. Lorsqu'on n'attendait personne, les salons de rĂ©ception, au rez-de-chaussĂ©e, Ă©taient fermĂ©s soigneusement, ainsi que les grandes chambres du premier Ă©tage ; car, de toute cette vaste habitation, les deux femmes n'occupaient plus qu'une Ă©troite piĂšce, dont elles avaient fait leur salle Ă manger et leur boudoir. Quand la fenĂÂȘtre s'entrouvrait, on pouvait apercevoir la comtesse raccommodant son linge, comme une petite bourgeoise besogneuse ; tandis que la jeune fille, entre son piano et sa boĂte d'aquarelle, tricotait des bas et des mitaines pour sa mĂšre. Un jour de gros orage, toutes deux furent vues descendant au jardin, ramassant le sable que la violence de la pluie emportait. Maintenant, Mme Caroline savait leur histoire. La comtesse de Beauvilliers avait beaucoup souffert de son mari, qui Ă©tait un dĂ©bauchĂ©, et dont elle ne s'Ă©tait jamais plainte. Un soir, on le lui avait rapportĂ©, Ă VendĂÂŽme, rĂÂąlant, avec un coup de feu au travers du corps. On avait parlĂ© d'un accident de chasse quelque balle envoyĂ©e par un garde jaloux, dont il devait avoir pris la femme ou la fille. Et le pis Ă©tait que s'anĂ©antissait avec lui cette fortune des Beauvilliers, autrefois colossale, assise sur des terres immenses, des domaines royaux, que la RĂ©volution avait dĂ©jĂ trouvĂ©e amoindrie, et que son pĂšre et lui venaient d'achever. De ces vastes biens fonciers, une seule ferme demeurait, les Aublets, Ă quelques lieues de VendĂÂŽme, rapportant environ quinze mille francs de rente, l'unique ressource de la veuve et de ses deux enfants. L'hĂÂŽtel de la rue de Grenelle Ă©tait depuis longtemps vendu, celui de la rue Saint-Lazare mangeait la grosse part des quinze mille francs de la ferme, Ă©crasĂ© d'hypothĂšques, menacĂ© d'ĂÂȘtre mis en vente Ă son tour, si l'on ne payait pas les intĂ©rĂÂȘts ; et il ne restait guĂšre que six ou sept mille francs pour l'entretien de quatre personnes, ce train d'une noble famille qui ne voulait pas abdiquer. Il y avait dĂ©jĂ huit ans, lorsqu'elle Ă©tait devenue veuve, avec un garçon de vingt ans et une fille de dix-sept, au milieu de l'Ă©croulement de sa maison, la comtesse s'Ă©tait raidie dans son orgueil nobiliaire, en se jurant qu'elle vivrait de pain plutĂÂŽt que de dĂ©choir. DĂšs lors, elle n'avait plus eu qu'une pensĂ©e, se tenir debout Ă son rang, marier sa fille Ă un homme d'Ă©gale noblesse, faire de son fils un soldat. Ferdinand lui avait causĂ© d'abord de mortelles inquiĂ©tudes, Ă la suite de quelques folies de jeunesse, des dettes qu'il fallut payer ; mais, averti de leur situation en un solennel entretien, il n'avait pas recommencĂ©, coeur tendre au fond, simplement oisif et nul, Ă©cartĂ© de tout emploi, sans place possible dans la sociĂ©tĂ© contemporaine. Maintenant, soldat du pape, il Ă©tait toujours pour elle une cause d'angoisse secrĂšte, car il manquait de santĂ©, dĂ©licat sous son apparence fiĂšre, de sang Ă©puisĂ© et pauvre, ce qui lui rendait le climat de Rome dangereux. Quant au mariage d'Alice, il tardait tellement, que la triste mĂšre en avait les yeux pleins de larmes, quand elle la regardait, vieillie dĂ©jĂ , se flĂ©trissant Ă attendre. Avec son air d'insignifiance mĂ©lancolique, elle n'Ă©tait point sotte, elle aspirait ardemment Ă la vie, Ă un homme qui l'aurait aimĂ©e, Ă du bonheur ; mais, ne voulant pas dĂ©soler davantage la maison, elle feignait d'avoir renoncĂ© Ă tout, plaisantant le mariage, disant qu'elle avait la vocation d'ĂÂȘtre vieille fille ; et, la nuit, elle sanglotait dans son oreiller, elle croyait mourir de la douleur d'ĂÂȘtre seule. La comtesse, par ses miracles d'avarice, Ă©tait pourtant arrivĂ©e Ă mettre de cĂÂŽtĂ© vingt mille francs, toute la dot d'Alice ; elle avait Ă©galement sauvĂ© du naufrage quelques bijoux, un bracelet, des bagues, des boucles d'oreilles, qu'on pouvait estimer Ă une dizaine de mille francs ; dot bien maigre, corbeille de noces dont elle n'osait mĂÂȘme parler, Ă peine de quoi faire face aux dĂ©penses immĂ©diates, si l'Ă©pouseur attendu se prĂ©sentait. Et, cependant, elle ne voulait pas dĂ©sespĂ©rer, luttant quand mĂÂȘme, n'abandonnant pas un des privilĂšges de sa naissance, toujours aussi haute et de fortune convenable, incapable de sortir Ă pied et de retrancher un entre-mets un soir de rĂ©ception, mais rognant sur sa vie cachĂ©e, se condamnant Ă des semaines de pommes de terre sans beurre, pour ajouter cinquante francs Ă la dot Ă©ternellement insuffisante de sa fille. C'Ă©tait un douloureux et puĂ©ril hĂ©roĂÂŻsme quotidien, tandis que, chaque jour, la maison croulait un peu plus sur leurs tĂÂȘtes. Cependant, jusque-lĂ , Mme Caroline n'avait point eu l'occasion de parler Ă la comtesse et Ă sa fille. Elle finissait par connaĂtre les dĂ©tails les plus intimes de leur vie, ceux qu'elles croyaient cacher au monde entier, et il n'y avait eu encore entre elles que des Ă©changes de regards, ces regards qui se tournent dans une brusque sensation de sympathie, derriĂšre soi. La princesse d'Orviedo devait les rapprocher. Elle avait eu l'idĂ©e de crĂ©er, pour son Oeuvre du Travail, une sorte de commission de surveillance, composĂ©e de dix dames, qui se rĂ©unissaient deux fois par mois, visitaient l'Oeuvre en dĂ©tail, contrĂÂŽlaient tous les services. Comme elle s'Ă©tait rĂ©servĂ© de choisir elle-mĂÂȘme ces dames, elle avait dĂ©signĂ©, parmi les premiĂšres, Mme de Beauvilliers, une de ses grandes amies d'autrefois, devenue simplement sa voisine, aujourd'hui qu'elle s'Ă©tait retirĂ©e du monde. Et il Ă©tait arrivĂ© que, la commission de surveillance ayant brusquement perdu son secrĂ©taire, Saccard, qui gardait la haute main sur l'administration de l'Ă©tablissement, venait d'avoir l'idĂ©e de recommander Mme Caroline, comme un secrĂ©taire modĂšle, qu'on ne trouverait nulle part en effet, la besogne Ă©tait assez pĂ©nible, il y avait beaucoup d'Ă©critures, mĂÂȘme des soins matĂ©riels qui rĂ©pugnaient un peu Ă ces dames ; et, dĂšs le dĂ©but, Mme Caroline s'Ă©tait rĂ©vĂ©lĂ©e une hospitaliĂšre admirable, que sa maternitĂ© inassouvie, son amour dĂ©sespĂ©rĂ© des enfants, enflammait d'une tendresse active pour tous ces pauvres ĂÂȘtres, qu'on tĂÂąchait de sauver du ruisseau parisien. Donc, Ă la derniĂšre sĂ©ance de la commission, elle s'Ă©tait rencontrĂ©e avec la comtesse de Beauvilliers ; mais celle-ci ne lui avait adressĂ© qu'un salut un peu froid, cachant sa secrĂšte gĂÂȘne, ayant sans doute la sensation qu'elle avait en elle un tĂ©moin de sa misĂšre. Toutes deux, maintenant, se saluaient, chaque fois que leurs yeux se rencontraient et qu'il y aurait eu une trop grosse impolitesse Ă feindre de ne pas se reconnaĂtre. Un jour, dans le grand cabinet, pendant qu'Hamelin rectifiait un plan d'aprĂšs de nouveaux calculs, et que Saccard, debout, suivait son travail, Mme Caroline, devant la fenĂÂȘtre, comme Ă son habitude, regardait la comtesse et sa fille faire leur tour de jardin. Ce matin- lĂ , elle leur voyait, aux pieds, des savates qu'une chiffonniĂšre n'aurait pas ramassĂ©es contre une borne. " Ah ! les pauvres femmes ! murmura-t-elle, que cela doit ĂÂȘtre terrible, cette comĂ©die du luxe qu'elles se croient forcĂ©es de jouer. " Et elle se reculait, se cachait derriĂšre le rideau de vitrage, de peur que la mĂšre ne l'aperçût et ne souffrit davantage d'ĂÂȘtre ainsi guettĂ©e. Elle-mĂÂȘme s'Ă©tait apaisĂ©e, depuis trois semaines qu'elle s'oubliait, chaque matin, Ă cette fenĂÂȘtre le grand chagrin de son abandon s'endormait, il semblait que la vue du dĂ©sastre des autres lui fit accepter plus courageusement le sien, cet Ă©croulement qu'elle avait cru ĂÂȘtre celui de toute sa vie. De nouveau, elle se surprenait Ă rire. Un instant encore, elle suivit les deux femmes dans le jardin vert de mousse, d'un air de profonde songerie. Puis, se retournant vers Saccard, vivement " Dites-moi donc pourquoi je ne peux pas ĂÂȘtre triste... Non, ça ne dure pas, ça n'a jamais durĂ©, je ne peux pas ĂÂȘtre triste, quoi qu'il m'arrive... Est-ce de l'Ă©goĂÂŻsme ? Vraiment, je ne crois pas. Ce serait trop vilain, et d'ailleurs j'ai beau ĂÂȘtre gaie, j'ai le coeur fendu tout de mĂÂȘme au spectacle de la moindre douleur. Arrangez cela, je suis gaie et je pleurerais sur tous les malheurs qui passent, si je ne me retenais, comprenant que le moindre morceau de pain ferait bien mieux leur affaire que mes larmes inutiles. " En disant cela, elle riait de son beau rire de bravoure, en vaillante qui prĂ©fĂ©rait l'action aux apitoiements bavards. " Dieu sait pourtant, continua-t-elle, si j'ai eu lieu de dĂ©sespĂ©rer de tout. Ah ! la chance ne m'a pas gĂÂątĂ©e jusqu'ici... AprĂšs mon mariage, dans l'enfer oĂÂč je suis tombĂ©e, injuriĂ©e, battue, j'ai bien cru qu'il ne me restait qu'Ă me jeter Ă l'eau. Je ne m'y suis pas jetĂ©e, j'Ă©tais vibrante d'allĂ©gresse, gonflĂ©e d'un espoir immense, quinze jours aprĂšs, quand je suis partie avec mon frĂšre pour l'Orient... Et, lors de notre retour Ă Paris, lorsque tout a failli nous manquer, j'ai eu des nuits abominables, oĂÂč je nous voyais mourant de faim sur nos beaux projets. Nous ne sommes pas morts, je me suis remise Ă rĂÂȘver des choses Ă©normes, des choses heureuses qui me faisaient rire parfois toute seule... Et, derniĂšrement, quand j'ai reçu ce coup affreux dont je n'ose parler encore, mon coeur a Ă©tĂ© comme dĂ©racinĂ© ; oui, je l'ai positivement senti qui ne battait plus ; je l'ai cru fini, je me suis crue finie, anĂ©antie moi-mĂÂȘme. Puis, pas du tout ! voici que l'existence me reprend, je ris aujourd'hui, demain, j'espĂ©rerai ! je voudrai vivre encore, vivre toujours... Est-ce extraordinaire, de ne pas pouvoir ĂÂȘtre triste longtemps ! " Saccard, qui riait lui aussi, haussa les Ă©paules. " Bah ! vous ĂÂȘtes comme tout le monde. C'est l'existence, ça. - Croyez-vous, s'Ă©cria-t-elle, Ă©tonnĂ©e. Il me semble, Ă moi, qu'il y a des gens si tristes, qui ne sont jamais gais, qui se rendent la vie impossible, tellement ils se la peignent en noir... Oh ! ce n'est pas que je m'abuse sur la douceur et la beautĂ© qu'elle offre. Elle a Ă©tĂ© trop dure, je l'ai trop vue de prĂšs, partout et librement. Elle est exĂ©crable, quand elle n'est pas ignoble. Mais, que voulez-vous ! je l'aime. Pourquoi ? je n'en sais rien. Autour de moi, tout a beau pĂ©ricliter, s'effondrer, je suis quand mĂÂȘme, dĂšs le lendemain, gaie et confiante sur les ruines... J'ai pensĂ© souvent que mon cas est, en petit, celui de l'humanitĂ©, qui vit, certes, dans une misĂšre affreuse, mais que ragaillardit la jeunesse de chaque gĂ©nĂ©ration. A la suite de chacune des crises qui m'abattent, c'est comme jeunesse nouvelle, un printemps dont les promesses de sĂšve me rĂ©chauffent et me relĂšvent le coeur. Cela est tellement vrai, que, aprĂšs une grosse peine, si je sors dans la rue, au soleil, tout de suite je me remets Ă aimer, Ă espĂ©rer, Ă ĂÂȘtre heureuse. Et l'ĂÂąge n'a pas de prise sur moi, j'ai la naĂÂŻvetĂ© de vieillir sans m'en apercevoir... Voyez-vous, j'ai beaucoup trop lu pour une femme, je ne sais plus du tout oĂÂč je vais, pas plus, d'ailleurs, que ce vaste monde ne le sait lui-mĂÂȘme. Seulement, c'est malgrĂ© moi, il me semble que je vais, que nous allons tous Ă quelque chose de trĂšs bien et de parfaitement gai. " Elle finissait par tourner Ă la plaisanterie, Ă©mue pourtant, voulant cacher l'attendrissement de son espoir ; tandis que son frĂšre, qui avait levĂ© la tĂÂȘte, la regardait avec une adoration pleine de gratitude. " Oh ! toi, dĂ©clara-t-il, tu es faite pour les catastrophes, tu es l'amour de la vie ! " Dans ces quotidiennes causeries du matin, une fiĂšvre s'Ă©tait peu Ă peu dĂ©clarĂ©e, et si Mme Caroline retournait Ă cette joie naturelle, inhĂ©rente Ă sa santĂ© mĂÂȘme, cela provenait du courage que leur apportait Saccard, avec sa flamme active des grandes affaires. C'Ă©tait chose presque dĂ©cidĂ©e, on allait exploiter le fameux portefeuille. Sous les Ă©clats de sa voix aiguĂ, tout s'animait, s'exagĂ©rait. D'abord, on mettait la main sur la MĂ©diterranĂ©e, on la conquĂ©rait, par la Compagnie gĂ©nĂ©rale des Paquebots rĂ©unis ; et il Ă©numĂ©rait les ports de tous les pays du littoral oĂÂč l'on crĂ©erait des stations, et il mĂÂȘlait des souvenirs classiques effacĂ©s Ă son enthousiasme d'agioteur, cĂ©lĂ©brant cette mer, la seule que le monde ancien eĂ»t connue, cette mer bleue autour de laquelle la civilisation a fleuri, dont les flots ont baignĂ© les antiques villes, AthĂšnes, Rome, Tyr, Alexandrie, Carthage, Marseille, toutes celles qui ont fait l'Europe. Puis, lorsqu'on s'Ă©tait assurĂ© ce vaste chemin de l'Orient, on dĂ©butait lĂ -bas, en Syrie, par la petite affaire de la SociĂ©tĂ© des mines d'argent du Carmel, rien que quelques millions Ă gagner en passant, mais un excellent lançage, car cette idĂ©e d'une mine d'argent, de l'argent trouvĂ© dans la terre, ramassĂ© Ă la pelle, Ă©tait toujours passionnante pour le public, surtout quand on pouvait y accrocher l'enseigne d'un nom prodigieux et retentissant comme celui du Carmel. Il y avait aussi lĂ -bas des mines de charbon, du charbon Ă fleur de roche, qui vaudrait de l'or, lorsque le pays se couvrirait d'usines ; sans compter les autres menues entreprises qui serviraient d'entractes, des crĂ©ations de banques, des syndicats pour les industries florissantes, une exploitation des vastes forĂÂȘts du Liban, dont les arbres gĂ©ants pourrissent sur place, faute de routes. Enfin, il arrivait au gros morceau, Ă la Compagnie des chemins de fer d'Orient, et lĂ , il dĂ©lirait, car ce rĂ©seau de lignes ferrĂ©es, jetĂ© d'un bout Ă l'autre sur l'Asie Mineure, comme un filet, c'Ă©tait pour lui la spĂ©culation, la vie de l'argent, prenant d'un coup ce vieux monde, ainsi qu'une proie nouvelle, encore intacte, d'une richesse incalculable, cachĂ©e sous l'ignorance et la crasse des siĂšcles. Il en flairait le trĂ©sor, il hennissait comme un cheval de guerre, Ă l'odeur de la bataille. Mme Caroline, d'un bon sens si solide, trĂšs rĂ©fractaire d'habitude aux imaginations trop chaudes, se laissait pourtant aller Ă cet enthousiasme, n'en voyait plus nettement l'outrance. A la vĂ©ritĂ©, cela caressait en elle sa tendresse pour l'Orient, son regret de cet admirable pays, oĂÂč elle s'Ă©tait crue heureuse ; et, sans calcul, par un contre-effet logique, c'Ă©tait elle, ses descriptions colorĂ©es, ses renseignements dĂ©bordants, qui fouettaient de plus en plus la fiĂšvre de Saccard. Quand elle parlait de Beyrouth, elle avait habitĂ© trois ans, elle ne tarissait pas Beyrouth, au pied du Liban, sur sa langue de terre, entre des grĂšves de sable rouge et des Ă©croulements de rochers, Beyrouth avec ses maisons en amphithĂ©ĂÂątre, au milieu de vastes jardins, un paradis dĂ©licieux plantĂ© d'orangers, de citronniers et de palmiers. Puis, c'Ă©taient toutes les villes de la cĂÂŽte, au nord Antioche, dĂ©chue de sa splendeur, au sud Saida, l'ancienne Sidon, Saint-Jean-d'Acre, Jaffa et Tyr, la Sour actuelle, qui les rĂ©sume toutes, Tyr dont les marchands Ă©taient des rois, dont les marins avaient fait le tour de l'Afrique, et qui, aujourd'hui, avec son port comblĂ© par les sables, n'est plus qu'un champ de ruines, une poussiĂšre de palais, oĂÂč ne se dressent, misĂ©rables et Ă©parses, que quelques cabanes de pĂ©cheurs. Elle avait accompagnĂ© son frĂšre partout, elle connaissait Alep, Angora, Brousse, Smyrne, jusqu'Ă TrĂ©zibonde ; elle avait vĂ©cu un mois Ă JĂ©rusalem, endormie dans le trafic des lieux saints, puis deux autres mois Ă Damas, la reine de l'Orient, au centre de sa vaste plaine, la ville commerçante et industrielle, dont les caravanes de La Mecque et de Bagdad font un centre grouillant de foule. Elle connaissait aussi les vallĂ©es et les montagnes, les villages des Maronites et des Druses perchĂ©s sur les plateaux, perdus au fond des gorges, les champs cultivĂ©s et les champs stĂ©riles. Et, des moindres coins, des dĂ©serts muets comme des grandes villes, elle avait rapportĂ© la mĂÂȘme admiration pour l'inĂ©puisable, la luxuriante nature, la mĂÂȘme colĂšre contre les hommes stupides et mauvais. Que de richesses naturelles dĂ©daignĂ©es ou gĂÂąchĂ©es ! Elle disait les charges qui Ă©crasent le commerce et l'industrie, cette loi imbĂ©cile qui empĂÂȘche de consacrer les capitaux Ă l'agriculture, au- delĂ d'un certain chiffre, et la routine qui laisse aux mains du paysan la charrue dont on se sert avant JĂ©sus-Christ, et l'ignorance oĂÂč croupissent encore de nos jours ces millions d'hommes, pareils Ă des enfants idiots, arrĂÂȘtĂ©s dans leur croissance. Autrefois, la cĂÂŽte se trouvait trop petite, les villes se touchaient ; maintenant, la vie s'en est allĂ©e vers l'Occident, il semble qu'on traverse un immense cimetiĂšre abandonnĂ©. Pas d'Ă©coles, pas de routes, le pire des gouvernements, la justice vendue, un personnel administratif exĂ©crable, des impĂÂŽts trop lourds, des lois absurdes, la paresse, le fanatisme ; sans compter les continuelles secousses des guerres viles, des massacres qui emportent des villages entiers. Alors, elle se fĂÂąchait, elle demandait s'il Ă©tait permis de gĂÂąter ainsi l'oeuvre de la nature, une terre bĂ©nie, d'un charme exquis, oĂÂč tous les climats se retrouvaient, les plaines ardentes, les flancs tempĂ©rĂ©s des montagnes, les neiges Ă©ternelles des hauts sommets. Et son amour de la vie, sa vivace espĂ©rance la faisaient se passionner, Ă l'idĂ©e du coup de baguette tout-puissant dont la science et la spĂ©culation pouvaient frapper cette vieille terre endormie, pour la rĂ©veiller. " Tenez ! criait Saccard, cette gorge du Carmel, que vous avez dessinĂ©e lĂ , oĂÂč il n'y a que des pierres et des lentisques, eh bien, dĂšs que la mine d'argent sera en exploitation, il y poussera d'abord un village, puis une ville... Et tous ces ports encombrĂ©s de sable, nous les nettoierons, nous les protĂ©gerons de fortes jetĂ©es. Des navires de haut bord stationneront oĂÂč des barques n'osent s'amarrer aujourd'hui... Et, dans ces plaines dĂ©peuplĂ©es, ces cols dĂ©serts, que nos lignes ferrĂ©es traverseront, vous verrez toute une rĂ©surrection, oui ! les champs se dĂ©fricher, des routes et des canaux s'Ă©tablir, des citĂ©s nouvelles sortir du sol, la vie enfin revenir comme elle revient Ă un corps malade, lorsque, dans les veines appauvries, on active la circulation d'un sang nouveau... Oui ! l'argent fera des prodiges. " Et, devant l'Ă©vocation de cette voix perçante, Mme Caroline voyait rĂ©ellement se lever la civilisation prĂ©dite. Ces Ă©pures sĂšches, ces tracĂ©s linĂ©aires s'animaient, se peuplaient c'Ă©tait le rĂÂȘve qu'elle avait fait parfois d'un Orient dĂ©barbouillĂ© de sa crasse, tirĂ© de son ignorance, jouissant du sol fertile, du ciel charmant, avec tous les raffinement de la science. DĂ©jĂ , elle avait assistĂ© au miracle, ce Port- SaĂÂŻd qui, en si peu d'annĂ©es, venait de pousser sur une plage nue, d'abord des cabanes pour abriter les quelques ouvriers de la premiĂšre heure, puis la citĂ© de deux mille ĂÂąmes, la citĂ© de dix mille ĂÂąmes, des maisons, des magasins immenses, une jetĂ©e gigantesque, de la vie et du bien-ĂÂȘtre créés avec entĂÂȘtement par les fourmis humaines. Et c'Ă©tait bien cela qu'elle voyait se dresser de nouveau, la marche en avant, irrĂ©sistible, la poussĂ©e sociale qui se rue au plus de bonheur possible, le besoin d'agir, d'aller devant soi, sans savoir au juste oĂÂč l'on va, mais d'aller plus Ă l'aise, dans des conditions meilleures ; et le globe bouleversĂ© par la fourmiliĂšre qui refait sa maison, et le continuel travail, de nouvelles jouissances conquises, le pouvoir de l'homme dĂ©cuplĂ©, la terre lui appartenant chaque jour davantage. L'argent, aidant la science, faisait le progrĂšs. Hamelin, qui Ă©coutait en souriant, avait eu alors un mot sage. " Tout cela, c'est la poĂ©sie des rĂ©sultats, et nous n'en sommes mĂÂȘme pas Ă la prose de la mise en oeuvre. " Mais Saccard ne s'Ă©chauffait que par l'outrance de ses conceptions, et ce fut pis le jour oĂÂč, s'Ă©tant mis Ă lire des livres sur l'Orient, il ouvrit une histoire de l'expĂ©dition d'Egypte. DĂ©jĂ , le souvenir des Croisades le hantait, ce retour de l'Occident vers l'Orient, son berceau, ce grand mouvement qui avait ramenĂ© l'extrĂÂȘme Europe aux pays d'origine, en pleine floraison encore, et oĂÂč il y avait tant Ă apprendre. Seulement, la haute figure de NapolĂ©on le frappa davantage, allant guerroyer lĂ -bas, dans un but grandiose et mystĂ©rieux. S'il parlait de conquĂ©rir l'Egypte, d'y installer un Ă©tablissement français, de donner ainsi Ă la France le commerce du Levant, il ne disait certainement pas tout ; et Saccard voulait voir, dans le cĂÂŽtĂ© de l'expĂ©dition qui est restĂ© vague et Ă©nigmatique, il ne savait au juste quel projet de colossale ambition, un immense empire reconstruit, NapolĂ©on couronnĂ© Ă Constantinople, empereur d'Orient et des Indes, rĂ©alisant le rĂÂȘve d'Alexandre, plus grand que CĂ©sar et Charlemagne. Ne disait-il pas, Ă Sainte-HĂ©lĂšne, en parlant de Sidney, le gĂ©nĂ©ral anglais qui l'avait arrĂÂȘtĂ© devant Saint-Jean-d'Acre " Cet homme m'a fait manquer ma fortune ? " Et ce que les Croisades avaient tentĂ©, ce que NapolĂ©on n'avait pu accomplir, c'Ă©tait cette pensĂ©e gigantesque de la conquĂÂȘte de l'Orient qui enflammait Saccard, mais une conquĂÂȘte raisonnĂ©e, rĂ©alisĂ©e par la double force de la science et de l'argent. Puisque la civilisation Ă©tait allĂ©e de l'est en l'ouest, pourquoi donc ne reviendrait-elle pas vers l'est, retournant au premier jardin de l'humanitĂ©, Ă cet Eden de la presqu'Ăle hindoustanique, qui dormait dans la fatigue des siĂšcles ? Ce serait une nouvelle jeunesse, il galvanisait le paradis terrestre, le refaisait habitable par la vapeur et l'Ă©lectricitĂ©, replaçait l'Asie Mineure comme centre du vieux monde, comme point de croisement des grands chemins naturels qui relient les continents. Ce n'Ă©taient plus des millions Ă gagner, mais des milliards et des milliards. DĂšs lors, chaque matin, Hamelin et lui eurent de longues confĂ©rences. Si l'espoir Ă©tait vaste, les difficultĂ©s se prĂ©sentaient, nombreuses, Ă©normes. L'ingĂ©nieur, qui justement Ă©tait Ă Beyrouth, en 1862, pendant l'horrible boucherie que les Druses firent des chrĂ©tiens maronites, et qui nĂ©cessita l'intervention de la France, ne cachait pas les obstacles qu'on rencontrerait parmi ces populations en continuelle bataille, livrĂ©es au bon plaisir des autoritĂ©s locales. Seulement, il avait, Ă Constantinople, de puissantes relations, il s'Ă©tait assurĂ© l'appui du grand vizir, Fuad-Pacha, homme de rĂ©el mĂ©rite, partisan dĂ©clarĂ© des rĂ©formes ; et il se flattait d'obtenir de lui toutes les concessions nĂ©cessaires. D'autre part, bien qu'il prophĂ©tisĂÂąt la banqueroute fatale de l'empire Ottoman, il voyait plutĂÂŽt une circonstance favorable dans ce besoin effrĂ©nĂ© d'argent, ces emprunts qui se suivaient d'annĂ©e en annĂ©e un gouvernement besogneux, s'il n'offre pas de garantie personnelle, est tout prĂÂȘt Ă s'entendre avec les entreprises particuliĂšres, dĂšs qu'il y trouve le moindre bĂ©nĂ©fice. Et n'Ă©tait-ce pas une maniĂšre pratique de trancher l'Ă©ternelle et encombrante question d'Orient, en intĂ©ressant l'empire Ă de grands travaux civilisateurs, en l'amenant au progrĂšs, pour qu'il ne fĂ»t plus cette monstrueuse borne, plantĂ©e entre l'Europe et l'Asie ? Quel beau rĂÂŽle patriotique joueraient lĂ des compagnies françaises ! Puis, un matin, tranquillement, Hamelin aborda le programme secret auquel il faisait parfois allusion, ce qu'il appelait, en souriant, le couronnement de l'Ă©difice. " Alors, quand nous serons les maĂtres, nous referons le royaume de Palestine, et nous y mettrons le pape... D'abord, on pourra se contenter de JĂ©rusalem, avec Jaffa comme port de mer. Puis, la Syrie sera dĂ©clarĂ©e indĂ©pendante, et on la joindra... Vous savez que les temps sont proches oĂÂč la papautĂ© ne pourra rester dans Rome, sous les rĂ©voltantes humiliations qu'on lui prĂ©pare. C'est pour ce jour-lĂ qu'il nous faudra ĂÂȘtre prĂÂȘts. " Saccard, bĂ©ant, l'Ă©coutait dire ces choses d'une voix simple, avec sa foi profonde de catholique. Lui-mĂÂȘme ne reculait pas devant les imaginations extravagantes, mai jamais il ne serait allĂ© jusqu'Ă celle- ci. Cet homme de science, d'apparence si froide, le stupĂ©fiait. Il cria " C'est fou ! La Porte ne donnera pas JĂ©rusalem. - Oh ! pourquoi ? reprit paisiblement Hamelin. Elle a tant besoin d'argent ! JĂ©rusalem l'ennuie, ce sera un bon dĂ©barras. Souvent, elle ne sait quel parti prendre, entre les diverses communions qui se disputent la possession des sanctuaires... D'ailleurs, le pape aurait en Syrie un vĂ©ritable appui parmi les Maronites, car vous n'ignorez pas qu'il a installĂ©, Ă Rome, un collĂšge pour leurs prĂÂȘtres... Enfin, j'ai bien rĂ©flĂ©chi, j'ai tout prĂ©vu, et ce sera l'Ăšre nouvelle, l'Ăšre triomphale du catholicisme. Peut-ĂÂȘtre dira-t-on que c'est aller trop loin, que le pape se trouvera comme sĂ©parĂ©, dĂ©sintĂ©ressĂ© des affaires de l'Europe. Mais de quel Ă©clat, de quelle autoritĂ© ne rayonnera-t-il pas, lorsqu'il trĂÂŽnera aux lieux saints, parlant au nom du Christ, de la terre sacrĂ©e oĂÂč le Christ a parlĂ© ! C'est lĂ qu'est son patrimoine, c'est lĂ que doit ĂÂȘtre son royaume. Et, soyez tranquille, nous le ferons puissant et solide, ce royaume, nous le mettrons Ă l'abri des perturbations politiques, en basant son budget, avec la garantie des ressources du pays, sur une vaste banque dont les catholiques du monde entier se disputeront les actions. " Saccard, qui s'Ă©tait mis a sourire, dĂ©jĂ sĂ©duit par l'Ă©normitĂ© du projet, sans ĂÂȘtre convaincu, ne put s'empĂÂȘcher de baptiser cette banque, dans un cri joyeux de trouvaille. " Le trĂ©sor du Saint-SĂ©pulcre, hein ? superbe ! l'affaire est lĂ ! " Mais il rencontra le regard raisonnable de Mme Caroline, qui souriait elle aussi, sceptique, un peu fĂÂąchĂ©e mĂÂȘme ; et il eut honte de son enthousiasme. " N'importe, mon cher Hamelin, nous ferons bien de tenir secret ce couronnement de l'Ă©difice, comme vous dites. On se moquerait de nous. Et puis, notre programme est dĂ©jĂ terriblement chargĂ©, il est bon d'en rĂ©server les consĂ©quences extrĂÂȘmes, la fin glorieuse, aux seuls initiĂ©s. - Sans doute, telle a toujours Ă©tĂ© mon intention, dĂ©clara l'ingĂ©nieur. Ceci sera le mystĂšre. " Et ce fut sur ce mot, ce jour-lĂ , que l'exploitation du portefeuille, la mise en oeuvre de toute l'Ă©norme sĂ©rie des projets fut dĂ©finitivement rĂ©solue. On commencerait par crĂ©er une modeste maison de crĂ©dit pour lancer les premiĂšres affaires ; puis, le succĂšs aidant, peu Ă peu on se rendrait maĂtre du marchĂ©, on conquerrait le monde. Le lendemain, comme Saccard Ă©tait montĂ© chez la princesse d'Orviedo, pour prendre un ordre au sujet de l'Oeuvre du Travail, le souvenir lui revint du rĂÂȘve qu'il avait caressĂ© un moment, d'ĂÂȘtre le prince Ă©poux de cette reine de l'aumĂÂŽne, simple dispensateur et administrateur de la fortune des pauvres. Et il sourit, car il trouvait cela un peu niais, Ă cette heure. Il Ă©tait bĂÂąti pour faire de la vie et non pour panser les blessures que la vie a faites. Enfin, il allait se retrouver sur son chantier, en plein dans la bataille des intĂ©rĂÂȘts, dans cette course au bonheur qui a Ă©tĂ© la marche mĂÂȘme de l'humanitĂ©, de siĂšcle en siĂšcle, vers plus de joie et plus de lumiĂšre. Ce mĂÂȘme jour, il trouva Mme Caroline seule, dans le cabinet aux Ă©pures. Elle Ă©tait debout devant une des fenĂÂȘtres, retenue lĂ par une apparition de la comtesse de Beauvilliers et de sa fille, dans le jardin voisin, Ă une heure inaccoutumĂ©e. Les deux femmes lisaient une lettre, d'un air de grande tristesse sans doute une lettre du fils, de Ferdinand, dont la situation ne devait pas ĂÂȘtre brillante, Ă Rome. " Regardez, dit Mme Caroline, en reconnaissant Saccard. Encore quelque chagrin pour ces malheureuses. Les pauvresses, dans la rue, me font moins de peine. - Bah ! s'Ă©cria-t-il gaiement, vous les prierez de venir me voir. Nous les enrichirons, elles aussi, puisque nous allons faire la fortune de tout le monde. " Et, dans sa fiĂšvre heureuse, il chercha ses lĂšvres, pou les baiser. Mais, d'un mouvement brusque, elle avait retirĂ© la tĂÂȘte, devenue grave et pĂÂąlie d'un involontaire malaise. " Non, je vous en prie. " C'Ă©tait la premiĂšre fois qu'il tentait de la reprendre, depuis qu'elle s'Ă©tait abandonnĂ©e Ă lui, dans une minute de complĂšte inconscience. Les affaires sĂ©rieuses arrangĂ©es, il pensait Ă sa bonne fortune, voulant aussi, de ce cĂÂŽtĂ©, rĂ©gler la situation. Ce vif mouvement de recul l'Ă©tonna. " Bien vrai, cela vous ferait de la peine ? - Oui, beaucoup de peine. " Elle se calmait, elle souriait Ă son tour. " D'ailleurs, avouez que vous-mĂÂȘme n'y tenez guĂšre. - Oh ! moi, je vous adore. - Non, ne dites pas ça, vous allez ĂÂȘtre si occupĂ© ! Et puis, je vous assure que je suis prĂÂȘte Ă avoir de la vraie amitiĂ© pour vous, si vous ĂÂȘtes l'homme actif que je crois, et si vous faites toutes les grandes choses que vous dites... Voyons, c'est bien meilleur, l'amitiĂ© ! " Il l'Ă©coutait, souriant toujours, gĂÂȘnĂ© et combattu pourtant. Elle le refusait, c'Ă©tait ridicule de ne l'avoir eue qu'une fois, par surprise. Mais sa vanitĂ© seule en souffrait. " Alors ? amis seulement ? - Oui, je serai votre camarade, je vous aiderai... Amis, grands amis ! " Elle tendit ses joues, et, conquis, trouvant qu'elle avait raison, il y posa deux gros baisers. III - La lettre du banquier russe de Constantinople, que Sigismond avait traduite, Ă©tait une rĂ©ponse favorable, attendue pour mettre Ă Paris l'affaire en branle ; et, dĂšs le sur-lendemain, Saccard, Ă son rĂ©veil, eut l'inspiration qu'il fallait agir ce jour-lĂ mĂÂȘme, qu'il devait avoir, d'un, coup, avant la nuit, formĂ© le syndicat dont il voulait ĂÂȘtre sĂ»r, pour placer Ă l'avance les cinquante mille actions de cinq cents francs de sa sociĂ©tĂ© anonyme, lancĂ©e au capital de vingt-cinq millions. En sautant du lit, il venait de trouver enfin le titre de cette sociĂ©tĂ©, l'enseigne qu'il cherchait depuis longtemps. Les mots la Banque universelle, avaient brusquement flambĂ© devant lui, comme en caractĂšres de feu, dans la chambre encore noire. " La Banque universelle, ne cessa-t-il de rĂ©pĂ©ter, tout en s'habillant, la Banque universelle, c'est simple, c'est grand, ça englobe tout, ça couvre le monde... Oui, oui, excellent ! la Banque universelle ! " Jusqu'Ă neuf heures et demie, il marcha Ă travers les vastes piĂšces, absorbĂ©, ne sachant par oĂÂč il commencerait sa chasse aux millions, dans Paris. Vingt-cinq millions, cela se trouve encore au tournant d'une rue ; mĂÂȘme, c'Ă©tait l'embarras du choix qui le faisait rĂ©flĂ©chir, car il y voulait mettre quelque mĂ©thode. Il but une tasse de lait, il ne se fĂÂącha pas, lorsque le cocher monta lui expliquer que le cheval n'Ă©tait pas bien, Ă la suite d'un refroidissement sans doute, et qu'il serait plus sage de faire venir le vĂ©tĂ©rinaire. " C'est bon, faites... Je prendrai un fiacre. " Mais, sur le trottoir, il fut surpris par le vent aigre qui soufflait un brusque retour de l'hiver, dans ce mai si doux la veille encore. Il ne pleuvait pourtant pas, de gros nuages montaient Ă l'horizon. Et il ne prit pas de fiacre, pour se rĂ©chauffer en marchant ; il se dit qu'il descendrait d'abord Ă pied chez Mazaud, l'agent de change, rue de la Banque ; car l'idĂ©e lui Ă©tait venue de le sonder sur Daigremont, le spĂ©culateur bien connu, l'homme heureux de tous les syndicats, seulement, rue Vivienne, du ciel envahi de nuĂ©es livides, une telle giboulĂ©e creva, mĂÂȘlĂ©e de grĂÂȘle, qu'il se rĂ©fugia sous une porte cochĂšre. Depuis une minute, Saccard Ă©tait lĂ , Ă regarder tomber l'averse, lorsque, dominant le roulement de l'eau, une claire sonnerie de piĂšces d'or lui fit dresser l'oreille. Cela semblait sortir des entrailles de la terre, continu, lĂ©ger et musical, comme dans un conte des Mille et une Nuits . Il tourna la tĂÂȘte, se reconnut, vit qu'il se trouvait sous la porte de la maison Kolb, un banquier qui s'occupait surtout d'arbitrages sur l'or, achetant le numĂ©raire dans les Etats oĂÂč il Ă©tait Ă bas cours, puis le fondant, pour vendre les lingots ailleurs, dans les pays oĂÂč l'or Ă©tait en hausse ; et, du matin au soir, les jours de fonte, montait du sous-sol ce bruit cristallin des piĂšces d'or, remuĂ©es Ă la pelle, prises dans des caisses, jetĂ©es dans le creuset. Les passants du trottoir en ont les oreilles qui tintent, d'un bout de l'annĂ©e Ă l'autre. Maintenant, Saccard souriait complaisamment Ă cette musique, qui Ă©tait comme la voix souterraine de ce quartier de la Bourse, il y vit un heureux prĂ©sage. La pluie ne tombait plus, il traversa la place, se trouva tout de suite chez Mazaud. Par une exception, le jeune agent de change avait son domicile personnel, au premier Ă©tage, dans la maison mĂÂȘme oĂÂč les bureaux de sa charge Ă©taient installĂ©s, occupant tout le second. Il avait simplement repris l'appartement de son oncle, lorsque, Ă la mort de celui-ci, il s'Ă©tait entendu avec ses cohĂ©ritiers pour racheter la charge. Dix heures sonnaient, et Saccard monta directement aux bureaux, Ă la porte desquels il se rencontra avec Gustave SĂ©dille. " Est-ce que M. Mazaud est lĂ ? - Je ne sais pas, monsieur, j'arrive. " Le jeune homme souriait, toujours en retard, prenant Ă l'aise son emploi de simple amateur, qu'on ne payait pas, rĂ©signĂ© Ă passer lĂ un an ou deux pour faire plaisir Ă son pĂšre, le fabricant de soie de la rue des JeĂ»neurs. Saccard traversa la caisse, saluĂ© par le caissier d'argent et par le caissier des titres ; puis, il entra dans le cabinet des deux fondĂ©s de pouvoirs, oĂÂč il ne trouva que Berthier, celui des deux qui Ă©tait chargĂ© des relations avec les clients et qui accompagnait le patron Ă la Bourse. " Est-ce que M. Mazaud est lĂ ? - Mais je le pense, je sors de son cabinet... Tiens non, il n'y est plus... C'est qu'il est dans le bureau du comptant. " Il avait poussĂ© une porte voisine, il faisait du regard le tour d'une assez vaste piĂšce, oĂÂč cinq employĂ©s travaillaient, sous les ordres du premier commis. " Non, c'est particulier !... Voyez donc vous-mĂÂȘme Ă la liquidation, lĂ , Ă cĂÂŽtĂ©. " Saccard entra dans le bureau de la liquidation. C'Ă©tait lĂ que le liquidateur, le pivot de la charge, aidĂ© de sept employĂ©s, dĂ©pouillait le carnet que lui remettait l'agent chaque jour, aprĂšs la Bourse, puis appliquait aux clients les affaires faites selon les ordres reçus, en s'aidant de fiches, conservĂ©es pour savoir les noms ; car le carnet ne porte pas les noms, ne contient que l'indication brĂšve de l'achat ou de la vente telle valeur, telle quantitĂ©, tel cours, de tel agent. " Est-ce que vous avez vu M. Mazaud ? " demanda Saccard. Mais on ne lui rĂ©pondit mĂÂȘme pas. Le liquidateur Ă©tant sorti, trois employĂ©s lisaient leur journal, deux autres regardaient en l'air ; tandis que l'entrĂ©e de Gustave SĂ©dille venait d'intĂ©resser vivement le petit Flory, qui, le matin, faisait des Ă©critures, Ă©changeait des engagements, et qui, l'aprĂšs-midi, Ă la Bourse, Ă©tait chargĂ© des tĂ©lĂ©grammes. NĂ© Ă Saintes, d'un pĂšre employĂ© Ă l'enregistrement, d'abord commis Ă Bordeaux chez un banquier, tombĂ© ensuite Ă Paris chez Mazaud, vers la fin du dernier automne, il n'y avait d'autre avenir que d'y doubler peut-ĂÂȘtre ses appointements, en dix annĂ©es. Jusque-lĂ , il s'y Ă©tait bien conduit, rĂ©gulier, consciencieux. Seulement depuis un mois que Gustave Ă©tait entrĂ© Ă la charge, il se dĂ©rangeait, entraĂnĂ© par son nouveau camarade, trĂšs Ă©lĂ©gant, trĂšs lancĂ©, pourvu d'argent, et qui lui avait fait connaĂtre des femmes. Flory, le visage mangĂ© de barbe, avait lĂ -dessous un nez Ă passions, une bouche aimable, des yeux tendres ; et il en Ă©tait aux petites parties fines, pas chĂšres, avec Mlle Chuchu, une figurante des VariĂ©tĂ©s, une maigre sauterelle du pavĂ© parisien, la fille ensauvĂ©e d'une concierge de Montmartre, amusante avec sa figure de papier mĂÂąchĂ©, oĂÂč luisaient de grands yeux bruns admirables. Gustave, avant mĂÂȘme d'ĂÂŽter son chapeau, lui contait sa soirĂ©e. " Oui, mon cher, j'ai bien cru que Germaine me flanquerait dehors, parce que Jacoby est venu. Mais c'est lui qu'elle a trouvĂ© le moyen de mettre Ă la porte, ah ! je ne sais comment, par exemple ! Et je suis restĂ©. " Tous deux s'Ă©touffĂšrent de rire. Il s'agissait de Germaine Coeur, une superbe fille de vingt-cinq ans, un peu indolente et molle, dans l'opulence de sa gorge, qu'un collĂšgue de Mazaud, le juif Jacoby, entretenait au mois. Elle avait toujours Ă©tĂ© avec des boursiers, et toujours au mois, ce qui est commode pour des hommes trĂšs occupĂ©s, la tĂÂȘte embarrassĂ©e de chiffres, payant l'amour comme le reste, sans trouver le temps d'une vraie passion. Elle Ă©tait agitĂ©e d'un souci unique, dans son petit appartement de la rue de la MichodiĂšre, celui d'Ă©viter les rencontres entre les messieurs qui pouvaient se connaĂtre. " Dites donc, questionna Flory, je croyais que vous vous rĂ©serviez pour la jolie papetiĂšre ? " Mais cette allusion Ă Mme Conin rendit Gustave sĂ©rieux. Celle-ci, on la respectait c'Ă©tait une femme honnĂÂȘte ; et, quand elle voulait bien, il n'y avait pas d'exemple qu'un homme se fĂ»t montrĂ© bavard, tellement on restait bons amis. Aussi, ne voulant pas rĂ©pondre, Gustave posa-t-il Ă son tour une question. " Et Chuchu, vous l'avez menĂ©e Ă Mabille ? - Ma foi, non ! c'est trop cher. Nous sommes rentrĂ©s, nous avons fait du thĂ©. " DerriĂšre les jeunes gens, Saccard avait entendu ces noms de femme, qu'ils chuchotaient d'une voix rapide. Il eut un sourire. Il s'adressa Ă Flory. " Est-ce que vous n'avez pas vu M. Mazaud ? - Si, monsieur, il est venu me donner un ordre, et il est redescendu Ă son appartement... Je crois que son petit garçon est malade, on l'a averti que le docteur Ă©tait lĂ ... Vous devriez sonner chez lui, car il peut trĂšs bien sortir, sans remonter. " Saccard remercia, se hĂÂąta de descendre un Ă©tage. Mazaud Ă©tait un des plus jeunes agents de change, comblĂ© par le sort, ayant eu cette chance de la mort de son oncle, qui l'avait rendu titulaire d'une des plus fortes charges de Paris, Ă un ĂÂąge oĂÂč l'on apprend encore les affaires. Dans sa petite taille, il Ă©tait de figure agrĂ©able, avec de minces moustaches brunes, des yeux noirs perçants ; et il montrait une grande activitĂ©, l'intelligence trĂšs alerte, elle aussi. On le citait dĂ©jĂ , Ă la corbeille, pour cette vivacitĂ© d'esprit et de corps, si nĂ©cessaire dans le mĂ©tier, et qui, jointe Ă beaucoup de flair, Ă une intuition remarquable, allait le mettre au premier rang ; sans compter qu'il avait une voix aiguĂ, des renseignements de Bourses Ă©trangĂšres de premiĂšre main, des relations chez tous les grands banquiers, enfin un arriĂšre- cousin, disait-on, Ă l'agence Havas. Sa femme, Ă©pousĂ©e par amour, lui avait apportĂ© douze cent mille francs de dot, une jeune femme charmante dont il avait dĂ©jĂ deux enfants, une fillette de trois ans et un petit garçon de dix-huit mois. Justement, Mazaud reconduisait jusqu'au palier le docteur, qui le rassurait, en riant. " Entrez donc, dit-il Ă Saccard. C'est vrai, avec ces petits ĂÂȘtres, on s'inquiĂšte tout de suite, on les croit perdus pour le moindre bobo. " Et il l'introduisit ainsi dans le salon, oĂÂč sa femme se trouvait encore, tenant le bĂ©bĂ© sur ses genoux, tandis que la petite fille, heureuse de voir sa mĂšre gaie, se haussait pour l'embrasser. Tous les trois Ă©taient blonds, d'une fraĂcheur de lait, la jeune mĂšre d'air aussi dĂ©licat et ingĂ©nu que les enfants. Il lui mit un baiser sur les cheveux. " Tu vois bien que nous Ă©tions fous. - Ah ! ça ne fait rien, mon ami, je suis si contente qu'il nous ait rassurĂ©s ! " Devant ce grand bonheur, Saccard s'Ă©tait arrĂÂȘtĂ©, en saluant. La piĂšce, luxueusement meublĂ©e, sentait bon la vie heureuse de ce mĂ©nage, que rien encore n'avait dĂ©suni ; Ă peine, depuis quatre ans qu'il Ă©tait mariĂ©, donnait-on Ă Mazaud une courte curiositĂ© pour une chanteuse de l'opĂ©ra-Comique. Il restait un mari fidĂšle, de mĂÂȘme qu'il avait la rĂ©putation de ne pas encore trop jouer pour son compte, malgrĂ© la fougue de sa jeunesse. Et cette bonne odeur de chance, de fĂ©licitĂ© sans nuage, se respirait rĂ©ellement dans la paix discrĂšte des tapis et des tentures, dans le parfum dont un gros bouquet de roses, dĂ©bordant d'un vase de Chine, avait imprĂ©gnĂ© toute la piĂšce. Mme Mazaud, qui connaissait un peu Saccard, lui dit gaiement " N'est-ce pas, monsieur, qu'il suffit de le vouloir pour ĂÂȘtre toujours heureux ? - J'en suis convaincu, madame, rĂ©pondit-il. Et puis, il y a des personnes si belles et si bonnes, que le malheur n'ose jamais les toucher. " Elle s'Ă©tait levĂ©e, rayonnante. Elle embrassa Ă son tour son mari, elle s'en alla, emportant le petit garçon, suivie de la fillette, qui s'Ă©tait pendue au cou de son pĂšre. Celui-ci, voulant cacher son Ă©motion, se retourna vers le visiteur, avec un mot de blague parisienne. " Vous voyez, on ne s'embĂÂȘte pas, ici. " Puis, vivement " Vous avez quelque chose Ă me dire ?... Montons, voulez-vous ? nous serons mieux. " En haut, devant la caisse, Saccard reconnut Sabatani, qui venait toucher des diffĂ©rences ; et il fut surpris de la poignĂ©e de main cordiale que l'agent Ă©changea avec son client. D'ailleurs, dĂšs qu'il fut assis dans le cabinet, il expliqua sa visite, en le questionnant sur, les formalitĂ©s, pour faire admettre une valeur Ă la cote officielle. NĂ©gligemment, il dit l'affaire qu'il allait lancer, la Banque universelle, au capital de vingt-cinq millions. Oui, une maison de crĂ©dit créée surtout dans le but de patronner de grandes entreprises, qu'il indiqua d'un mot. Mazaud l'Ă©coutait, ne bronchait pas ; et, avec une obligeance parfaite, il expliqua les formalitĂ©s Ă remplir. Mais il n'Ă©tait pas dupe, il se doutait que Saccard ne se serait pas dĂ©rangĂ© pour si peu. Aussi, lorsque ce dernier prononça enfin le nom de. Daigremont, eut-il un sourire involontaire. Certes, Daigremont avait l'appui d'une fortune colossale ; on disait bien qu'il n'Ă©tait pas d'une fidĂ©litĂ© trĂšs sĂ»re ; seulement, qui Ă©tait fidĂšle, en affaires et en amour ? personne ! Du reste, lui, Mazaud, se serait fait un scrupule de dire la vĂ©ritĂ© sur Daigremont, aprĂšs leur rupture, qui avait occupĂ© toute la Bourse. Celui-ci, maintenant, donnait la plupart de ses ordres Ă Jacoby, un juif de Bordeaux, un grand gaillard de soixante ans, Ă large figure gaie, dont la voix mugissante Ă©tait cĂ©lĂšbre, mais qui devenait lourd, le ventre empĂÂątĂ© ; et c'Ă©tait comme une rivalitĂ© qui se posait entre les deux agents, le jeune favorisĂ© par la chance, le vieux arrivĂ© Ă l'anciennetĂ©, ancien fondĂ© de pouvoirs Ă qui des commanditaires avaient enfin permis d'acheter la charge de son patron, d'une pratique et d'une ruse extraordinaires, perdu malheureusement par une passion du jeu, toujours Ă la veille d'une catastrophe, malgrĂ© des gains considĂ©rables. Tout se fondait dans les liquidations. Germaine Coeur ne lui coĂ»tait que quelques billets de mille francs, et on ne voyait jamais sa femme. " Enfin, dans cette affaire de Caracas, conclut Mazaud, cĂ©dant Ă la rancune malgrĂ© sa grande correction, il est certain que Daigremont a trahi et qu'il a raflĂ© les bĂ©nĂ©fices... Il est trĂšs dangereux. " Puis, aprĂšs un silence " Mais pourquoi ne vous adressez-vous pas Ă Gundermann ? - Jamais ! " cria Saccard, que la passion emportait. A ce moment, Berthier, le fondĂ© de pouvoirs, entra et chuchota quelques mots Ă l'oreille de l'agent. C'Ă©tait la baronne Sandorff qui venait payer des diffĂ©rences et qui soulevait toutes sortes de chicanes, pour rĂ©duire son compte. D'habitude, Mazaud s'empressait, recevait lui-mĂÂȘme la baronne ; mais, quand elle avait perdu, il l'Ă©vitait comme la peste, certain d'un trop rude assaut Ă sa galanterie. Il n'y a pires clientes que les femmes, d'une mauvaise foi plus absolue, dĂšs qu'il s'agit de payer. " Non, non, dites que je n'y suis pas, rĂ©pondit-il avec humeur. Et ne faites pas grĂÂące d'un centime, entendez-vous ! " Et, lorsque Berthier fut parti, voyant au sourire de Saccard qu'il avait entendu. " C'est vrai, mon cher, elle est trĂšs gentille, celle-lĂ , mais vous n'avez pas idĂ©e de cette rapacitĂ©... Ah ! les clients, comme ils nous aimeraient, s'ils gagnaient toujours ! Et plus ils sont riches, plus ils sont du beau monde, Dieu me pardonne ! plus je me mĂ©fie, plus je tremble de n'ĂÂȘtre pas payĂ©... Oui, il y a des jours oĂÂč, en dehors des grandes maisons, j'aimerais mieux n'avoir qu'une clientĂšle de province. " La porte s'Ă©tait rouverte, un employĂ© lui remit un dossier qu'il avait demandĂ© le matin, et sortit. " Tenez ! ça tombe bien. Voici un receveur de rentes, installĂ© Ă VendĂÂŽme, un sieur Fayeux... Eh bien, vous n'avez pas idĂ©e de la quantitĂ© d'ordres que je reçois de ce correspondant. Sans doute, ces ordres sont de peu d'importance, venant de petits bourgeois, de petits commerçants, de fermiers. Mais il y a le nombre... En vĂ©ritĂ©, le meilleur de nos maisons, le fond mĂÂȘme est fait des joueurs modestes, de la grande foule anonyme qui joue. " Une association d'idĂ©es se fit, Saccard se rappela Sabatani au guichet de la caisse. " Vous avez donc Sabatani, maintenant ? demanda-t-il. - Depuis un an, je crois, rĂ©pondit l'agent d'un air d'aimable indiffĂ©rence. C'est un gentil garçon, n'est-ce pas ? il a commencĂ© petitement, il est trĂšs sage et il fera quelque chose. " Ce qu'il ne disait point, ce dont il ne se souvenait mĂÂȘme plus, c'Ă©tait que Sabatani avait seulement dĂ©posĂ© chez lui une couverture de deux mille francs. De lĂ le jeu si modĂ©rĂ© du dĂ©but. Sans doute, comme tant d'autres, le Levantin attendait que la mĂ©diocritĂ© de cette garantie fĂ»t oubliĂ©e ; et il donnait des preuves de sagesse, il n'augmentait que graduellement l'importance de ses ordres, en attendant le jour oĂÂč, culbutant dans une grosse liquidation, il disparaĂtrait. Comment montrer de la dĂ©fiance vis-Ă -vis d'un charmant garçon dont on est devenu l'ami ? comment douter de sa solvabilitĂ©, lorsqu'on le voit gai, d'apparence riche, avec cette tenue Ă©lĂ©gante qui est indispensable, comme l'uniforme mĂÂȘme du vol Ă la Bourse ? " TrĂšs gentil, trĂšs intelligent " rĂ©pĂ©ta Saccard, qui prit soudain la rĂ©solution de songer Ă Sabatani, le jour oĂÂč il aurait besoin d'un gaillard discret et sans scrupules. Puis, se levant et prenant congĂ© " Allons, adieu !... Lorsque nos titres seront prĂÂȘts, je vous reverrai, avant de tĂÂącher de les faire admettre Ă la cote. " Et comme Mazaud, sur le seuil du cabinet, lui serrait la main, en disant " Vous avez tort, voyez donc Gundermann pour votre syndicat. - Jamais ! " cria-t-il de nouveau, l'air furieux. Enfin, il sortait, lorsqu'il reconnut devant le guichet de la caisse Moser et Pillerault le premier empochait d'un air navrĂ© son gain de la quinzaine, sept ou huit billets de mille francs ; tandis que l'autre, qui avait perdu, payait une dizaine de mille francs, avec des Ă©clats de voix, l'air agressif et superbe, comme aprĂšs une victoire. L'heure du dĂ©jeuner et de la Bourse approchait, la charge allait se vider en partie ; et, la porte du bureau de la liquidation s'Ă©tant entrouverte, des rires s'en Ă©chappĂšrent, le rĂ©cit que Gustave faisait Ă Flory d'une partie de canot, dans laquelle la barreuse, tombĂ©e Ă la Seine, avait perdu jusqu'Ă ses bas. Dans la rue, Saccard regarda sa montre. Onze heures, que de temps perdu ! Non, il n'irait pas chez Daigremont ; et, bien qu'il se fĂ»t emportĂ© au seul nom de Gundermann, il se dĂ©cida brusquement Ă monter le voir. D'ailleurs, ne l'avait-il pas prĂ©venu de sa visite, chez Champeaux, en lui annonçant sa grande affaire, pour lui clouer aux lĂšvres son mauvais rire ? Il se donna mĂÂȘme comme excuse qu'il n'en voulait rien tirer, qu'il dĂ©sirait seulement le braver, triompher de lui, qui affectait de le traiter en petit garçon. Et, une nouvelle giboulĂ©e s'Ă©tant mise Ă battre le pavĂ© d'un ruissellement de fleuve, il sauta dans un fiacre, il cria l'adresse au cocher, rue de Provence. Gundermann occupait lĂ un immense hĂÂŽtel, tout juste assez grand pour son innombrable famille. Il avait cinq filles et quatre garçons, dont trois filles et trois garçons mariĂ©s, qui lui avaient dĂ©jĂ donnĂ© quatorze petits-enfants. Lorsque, au repas du soir, cette descendance se trouvait rĂ©unie, ils Ă©taient, en les comptant, sa femme et lui, trente et un Ă table. Et, Ă part deux de ses gendres qui n'habitaient pas l'hĂÂŽtel, tous les autres avaient lĂ leurs appartements, dans les ailes de gauche et de droite, ouvertes sur le jardin ; tandis que le bĂÂątiment central Ă©tait pris entiĂšrement par l'installation des vastes bureaux de la banque. En moins d'un siĂšcle, la monstrueuse fortune d'un milliard Ă©tait nĂ©e, avait poussĂ©, dĂ©bordĂ© dans cette famille, par l'Ă©pargne, par l'heureux concours aussi des Ă©vĂ©nements. Il y avait lĂ comme une prĂ©destination, aidĂ©e d'une intelligence vive, d'un travail acharnĂ©, d'un effort prudent et invincible, continuellement tendu vers le mĂÂȘme but. Maintenant, tous les fleuves de l'or allaient Ă cette mer, les millions se perdaient dans ces millions, c'Ă©tait un engouffrement de la richesse publique au fond de cette richesse d'un seul, toujours grandissante ; et Gundermann Ă©tait le vrai maĂtre, le roi tout-puissant, redoutĂ© et obĂ©i de Paris et du monde. Pendant que Saccard montait le large escalier de pierre, aux marches usĂ©es par le continuel va-et-vient de la foule, plus usĂ©es dĂ©jĂ que le seuil des vieilles Ă©glises, il se sentait contre cet homme un soulĂšvement d'une inextinguible haine. Ah ! le juif ! il avait contre le juif l'antique rancune de race, qu'on trouve surtout dans le midi de la France ; et c'Ă©tait comme une rĂ©volte de sa chair mĂÂȘme, une rĂ©pulsion de peau qui, Ă l'idĂ©e du moindre contact, l'emplissait de dĂ©goĂ»t et de violence, en dehors de tout raisonnement, sans qu'il pĂ»t se vaincre. Mais le singulier Ă©tait que lui, Saccard, ce terrible brasseur d'affaires, ce bourreau d'argent aux mains louches, perdait la conscience de lui-mĂÂȘme, dĂšs qu'il s'agissait d'un juif, en parlait avec une ĂÂąpretĂ©, avec des indignations vengeresses d'honnĂÂȘte homme, vivant du travail de ses bras, pur de tout nĂ©goce usuraire. Il dressait le rĂ©quisitoire contre la race, cette race maudite qui n'a plus de patrie, plus de prince, qui vit en parasite chez les nations, feignant de reconnaĂtre les lois, mais en rĂ©alitĂ© n'obĂ©issant qu'Ă son Dieu de vol, de sang et de colĂšre ; et il la montrait remplissant partout la mission de fĂ©roce conquĂÂȘte que ce Dieu lui a donnĂ©e, s'Ă©tablissant chez chaque peuple, comme l'araignĂ©e au centre de sa toile, pour guetter sa proie, sucer le sang de tous, s'engraisser de la vie des autres. Est-ce qu'on a jamais vu un juif faisant oeuvre de ses dix doigts ? est-ce qu'il y a des juifs paysans, des juifs ouvriers ? Non, le travail dĂ©shonore, leur religion le dĂ©fend presque, n'exalte que l'exploitation du travail d'autrui. Ah ! les gueux ! Saccard semblait pris d'une rage d'autant plus grande, qu'il les admirait, qu'il leur enviait leurs prodigieuses facultĂ©s financiĂšres, cette science innĂ©e des chiffres, cette aisance naturelle dans les opĂ©rations les plus compliquĂ©es, ce flair et cette chance qui assurent le triomphe de tout ce qu'ils entreprennent. A ce jeu de voleurs, disait-il, les chrĂ©tiens ne sont pas de force, ils finissent toujours par se noyer ; tandis que prenez un juif qui ne sache mĂÂȘme pas la tenue des livres, jetez-le dans l'eau trouble de quelque affaire vĂ©reuse, et il se sauvera, et il emportera tout le gain sur son dos. C'est le don de la race, sa raison d'ĂÂȘtre Ă travers les nationalitĂ©s qui se font et se dĂ©font. Et il prophĂ©tisait avec emportement la conquĂÂȘte finale de tous les peuples par les juifs, quand ils auront accaparĂ© la fortune totale du globe, ce qui ne tarderait pas, puisqu'on leur laissait chaque jour Ă©tendre librement leur royautĂ©, et qu'on pouvait dĂ©jĂ voir, dans Paris, un Gundermann rĂ©gner sur un trĂÂŽne plus solide et plus respectĂ© que celui de l'empereur. En haut, au moment d'entrer dans la vaste antichambre, Saccard eut un mouvement de recul, en la voyant pleine de remisiers, de solliciteurs, d'hommes, de femmes, de tout un grouillement tumultueux de foule. Les remisiers surtout luttaient Ă qui arriverait le premier, dans l'espoir improbable d'emporter un ordre ; car le grand banquier avait ses agents Ă lui ; mais c'Ă©tait dĂ©jĂ un honneur, une recommandation que d'ĂÂȘtre reçu, et chacun d'eux voulait pouvoir s'en vanter. Aussi l'attente n'Ă©tait-elle jamais longue, les deux garçons de bureau ne servaient guĂšre qu'Ă organiser le dĂ©filĂ©, un dĂ©filĂ© incessant, un vĂ©ritable galop, par les portes battantes. Et, malgrĂ© la foule, Saccard presque tout de suite fut introduit dans le flot. Le cabinet de Gundermann Ă©tait une immense piĂšce, dont il n'occupait qu'un petit coin, au fond, prĂšs de la derniĂšre fenĂÂȘtre. Assis devant un simple bureau d'acajou, il se plaçait de façon Ă tourner, le dos Ă la lumiĂšre, il avait le visage complĂštement dans l'ombre. LevĂ© dĂšs cinq heures, il Ă©tait au travail, lorsque Paris dormait encore ; et quand, vers neuf heures, la bousculade des appĂ©tits se ruait, galopant devant lui, sa journĂ©e dĂ©jĂ Ă©tait faite. Au milieu du cabinet, Ă des bureaux plus vastes, deux de ses fils et un de ses gendres l'aidaient, rarement assis, s'agitant au milieu des allĂ©es et venues d'un monde d'employĂ©s. Mais c'Ă©tait lĂ le fonctionnement intĂ©rieur de la maison. La rue traversait toute la piĂšce, n'allait qu'Ă lui, au maĂtre, dans son coin modeste ; tandis que, durant des heures, jusqu'au dĂ©jeuner, l'air impassible et morne, il recevait, souvent d'un signe, parfois d'un mot, s'il voulait se montrer trĂšs aimable. DĂšs que Gundermann aperçut Saccard, sa figure s'Ă©claira d'un faible sourire goguenard. " Ah ! c'est vous, mon bon ami... Asseyez-vous donc un instant, si vous avez quelque chose Ă me dire. Je suis Ă vous tout Ă l'heure. " Ensuite, il affecta de l'oublier. Saccard, du reste, ne s'impatientait pas, intĂ©ressĂ© par le dĂ©filĂ© des remisiers, qui, les uns sur les talons des autres, entraient avec le mĂÂȘme salut profond, tiraient de leur redingote correcte le mĂÂȘme petit carton, leur cote portant les cours de la Bourse, qu'ils prĂ©sentaient au banquier du mĂÂȘme geste suppliant et respectueux. Il en passait dix, il en passait vingt. Le banquier, chaque fois, prenait la cote, y jetait un coup d'oeil, puis la rendait ; et rien n'Ă©galait sa patience, si ce n'Ă©tait son indiffĂ©rence complĂšte, sous cette grĂÂȘle d'offres. Mais Massias se montra, avec son air gai et inquiet de bon chien battu. On le recevait si mal parfois, qu'il en aurait pleurĂ©. Ce jour- lĂ , sans doute il Ă©tait Ă bout d'humilitĂ©, car il se permit une insistance inattendue. " Voyez donc, monsieur, le Mobilier est trĂšs bas... Combien faut-il que je vous en achĂšte ? " Gundermann, sans prendre la cote, leva ses yeux glauques sur ce jeune homme si familier. Et, rudement " Dites donc, mon ami, croyez-vous que ça m'amuse de vous recevoir ? - Mon Dieu ! monsieur, reprit Massias devenu pĂÂąle, ça m'amuse encore moins de venir chaque matin pour rien, depuis trois mois. - Eh bien, ne revenez pas. " Le remisier salua et se retira, aprĂšs avoir Ă©changĂ©, avec Saccard, le coup d'oeil furieux et navrĂ© d'un garçon qui avait la brusque conscience qu'il ne ferait jamais fortune. Saccard se demandait, en effet, quel intĂ©rĂÂȘt Gundermann pouvait avoir Ă recevoir tout ce monde. Evidemment, il avait une facultĂ© d'isolement spĂ©ciale, il s'absorbait, il continuait de penser ; sans compter qu'il devait y avoir lĂ une discipline, une façon de procĂ©der chaque matin Ă une revue du marchĂ©, dans laquelle il trouvait toujours un gain Ă faire, si minime fut-il. TrĂšs ĂÂąprement, il rabattit quatre-vingts francs Ă un coulissier, qu'il avait chargĂ© d'un ordre la veille, et qui le volait d'ailleurs. Puis, un marchand de curiositĂ©s arriva, avec une boite en or Ă©maillĂ© du dernier siĂšcle, un objet refait en partie, dont le banquier flaira immĂ©diatement le truquage. Ensuite, ce furent deux dames, une vieille Ă nez d'oiseau de nuit, une jeune, brune, trĂšs belle, qui avaient Ă lui montrer, chez elles, une commode Louis XV, qu'il refusa nettement d'aller voir. Il vint encore un bijoutier avec des rubis, deux inventeurs, des Anglais, des Allemands, des Italiens, toutes les langues, tous les sexes. Et le dĂ©filĂ© des remisiers se poursuivait quand mĂÂȘme, coupant les autres visites, s'Ă©ternisant, avec la reproduction du mĂÂȘme geste, la prĂ©sentation mĂ©canique de la cote ; pendant que le flot des employĂ©s, Ă mesure que l'heure de la Bourse approchait, traversait la piĂšce plus nombreux, apportant des dĂ©pĂÂȘches, venant demander des signatures. Mais ce fut le comble au tapage un petit garçon de cinq ou six ans, Ă cheval sur un bĂÂąton, fit irruption dans le cabinet en jouant de la trompette ; et, coup sur coup, il vint encore deux enfants, deux fillettes, l'une de trois ans, l'autre de huit, qui assiĂ©gĂšrent le fauteuil du grand-pĂšre, lui tirĂšrent les bras, se pendirent Ă son cou ; ce qu'il laissa faire placidement, les baisant lui-mĂÂȘme avec cette passion juive de la famille, de la lignĂ©e nombreuse qui fait la force et qu'on dĂ©fend. Tout d'un coup, il parut se souvenir de Saccard. " Ah ! mon bon ami, vous m'excuserez, vous voyez que je n'ai pas une minute Ă moi... Vous allez m'expliquer votre affaire. " Et il commençait Ă l'Ă©couter, lorsqu'un employĂ© qui avait introduit un grand monsieur blond, vint lui dire un nom Ă l'oreille, il se leva aussitĂÂŽt, sans hĂÂąte pourtant, alla confĂ©rer avec le monsieur devant une autre des fenĂÂȘtres, tandis qu'un de ses fils continuait Ă recevoir les remisiers et les coulissiers Ă sa place. MalgrĂ© sa sourde irritation, Saccard commençait Ă ĂÂȘtre envahi d'un respect. Il avait reconnu le monsieur blond, le reprĂ©sentant d'une des grandes puissances, plein de morgue aux Tuileries, ici la tĂÂȘte lĂ©gĂšrement inclinĂ©e, souriant en solliciteur. D'autres fois, c'Ă©taient de hauts administrateurs, des ministres de l'empereur eux-mĂÂȘmes, qui Ă©taient reçus ainsi debout dans cette piĂšce, publique comme une place, emplie d'un vacarme d'enfants. Et lĂ s'affirmait la royautĂ© universelle de cet homme qui avait des ambassadeurs Ă lui dans toutes les cours du monde, des consuls dans toutes les provinces, des agences dans toutes les villes et des vaisseaux sur toutes les mers. Il n'Ă©tait point un spĂ©culateur, un capitaine d'aventures, manoeuvrant les millions des autres, rĂÂȘvant, Ă l'exemple de Saccard, des combats hĂ©roĂÂŻques oĂÂč il vaincrait, oĂÂč il gagnerait pour lui un colossal butin, grĂÂące Ă l'aide de l'or mercenaire, engagĂ© sous ses ordres ; il Ă©tait, comme il le disait avec bonhomie, un simple marchand d'argent, le plus habile, le plus zĂ©lĂ© qui pĂ»t ĂÂȘtre. Seulement, pour asseoir sa puissance, il lui fallait bien dominer la Bourse ; et c'Ă©tait ainsi, Ă chaque liquidation, une nouvelle bataille, oĂÂč la victoire lui restait infailliblement, par la vertu dĂ©cisive des gros bataillons. Un instant, Saccard, qui le regardait, resta accablĂ© sous cette pensĂ©e que tout cet argent qu'il faisait mouvoir Ă©tait Ă lui, qu'il avait Ă lui, dans ses caves, sa marchandise inĂ©puisable, dont il trafiquait en commerçant rusĂ© et prudent, en maĂtre absolu, obĂ©i sur un coup d'oeil, voulant tout entendre, tout voir, tout faire par lui-mĂÂȘme. Un milliard Ă soi, ainsi manoeuvrĂ©, est une force inexpugnable. " Nous n'aurons pas une minute, mon bon ami, revint dire Gundermann. Tenez ! je vais dĂ©jeuner, passez donc avec moi dans la salle voisine. On nous laissera tranquilles peut-ĂÂȘtre. " C'Ă©tait la petite salle Ă manger de l'hĂÂŽtel celle du matin, oĂÂč la famille ne se trouvait jamais au complet. Ce jour-lĂ , ils n'Ă©taient que dix-neuf Ă table, dont huit enfants. Le banquier occupait le milieu, et il n'avait devant lui qu'un bol de lait. Il resta un instant les yeux fermĂ©s, Ă©puisĂ© de fatigue, la face trĂšs pĂÂąle et contractĂ©e, car il souffrait du foie et des reins ; puis, lorsqu'il eut, de ses mains tremblantes portĂ© le bol Ă ses lĂšvres et bu une gorgĂ©e, il soupira " Ah ! je suis Ă©reintĂ©, aujourd'hui ! - Pourquoi ne vous reposez-vous pas ? " demanda Saccard. Gundermann tourna vers lui des yeux stupĂ©faits ; et, naĂÂŻvement " Mais je ne peux pas ! " En effet, on ne le laissait pas mĂÂȘme boire son lait tranquille, car la rĂ©ception des remisiers avait repris, le galop maintenant traversait la salle Ă manger, tandis que les personnes de la famille, les hommes, les femmes, habituĂ©s Ă cette bousculade, riaient, mangeaient fortement des viandes froides et des pĂÂątisseries, et que les enfants excitĂ©s par deux doigts de vin pur, menaient un vacarme assourdissant. Et Saccard, qui le regardait toujours, s'Ă©merveillait de le voir avaler son lait Ă lentes gorgĂ©es, d'un tel effort, qu'il semblait ne devoir jamais atteindre le fond du bol. On l'avait mis au rĂ©gime du lait, il ne pouvait mĂÂȘme plus toucher Ă une viande, ni Ă un gĂÂąteau. Alors, Ă quoi bon un milliard ? Jamais non plus les femmes ne l'avaient tentĂ© durant quarante ans, il Ă©tait restĂ© d'une fidĂ©litĂ© stricte Ă la sienne, et, aujourd'hui, sa sagesse Ă©tait forcĂ©e, irrĂ©vocablement dĂ©finitive. Pourquoi donc se lever dĂšs cinq heures, faire ce mĂ©tier abominable, s'Ă©craser de cette fatigue immense, mener une vie de galĂ©rien que pas un loqueteux n'aurait acceptĂ©e, la mĂ©moire bourrĂ©e de chiffres, le crĂÂąne Ă©clatant de tout un monde de prĂ©occupations ? Pourquoi cet or inutile ajoutĂ© Ă tant d'or, lorsqu'on ne peut acheter et manger dans la rue une livre de cerises, emmener Ă une guinguette au bord de l'eau la fille qui passe, jouir de tout ce qui se vend, de la paresse et de la libertĂ© ? Et Saccard, qui, dans ses terribles appĂ©tits, faisait cependant la part de l'amour dĂ©sintĂ©ressĂ© de l'argent, pour la puissance qu'il donne, se sentait pris d'une sorte de terreur sacrĂ©e, Ă voir se dresser cette figure, non plus de l'avarice classique qui thĂ©saurise, mais de l'ouvrier impeccable, sans besoin de chair, devenu comme abstrait dans sa vieillesse souffreteuse, qui continuait Ă Ă©difier obstinĂ©ment sa tour de millions, avec l'unique rĂÂȘve de la lĂ©guer aux siens pour qu'ils la grandissent encore, jusqu'Ă ce qu'elle dominĂÂąt la terre. Enfin, Gundermann se pencha, se fit expliquer Ă demi-voix la crĂ©ation projetĂ©e de la Banque universelle. D'ailleurs, Saccard fut sobre de dĂ©tails, ne fit qu'une allusion aux projets du portefeuille d'Hamelin, ayant senti, dĂšs les premiers mots, que le banquier cherchait Ă le confesser, rĂ©solu d'avance Ă l'Ă©conduire ensuite. " Encore une banque, mon bon ami, encore une banque ! rĂ©pĂ©ta-t-il de son air narquois. Mais une affaire oĂÂč je mettrais plutĂÂŽt de l'argent, ce serait dans une machine, oui, une guillotine Ă couper le cou Ă toutes ces banques qui se fondent... Hein ? un rĂÂąteau Ă nettoyer la Bourse. Votre ingĂ©nieur n'a pas ça, dans ses papiers ? " Puis, affectant de se faire paternel, avec une cruautĂ© tranquille " Voyons, soyez raisonnable, vous savez ce que je vous ai dit... Vous avez tort de rentrer dans les affaires, c'est un vrai service que je vous rends, en refusant de lancer votre syndicat... Infailliblement, vous ferez la culbute, c'est mathĂ©matique, ça ; car vous ĂÂȘtes beaucoup trop passionnĂ©, vous avez trop d'imagination ; puis, ça finit toujours mal, quand on trafique avec l'argent des autres... Pourquoi votre frĂšre ne vous trouve-t-il pas une bonne place, hein ? une prĂ©fecture, ou bien une recette ; non, pas une recette, c'est trop dangereux... MĂ©fiez-vous, mĂ©fiez-vous, mon bon ami. " Saccard s'Ă©tait levĂ©, frĂ©missant. " C'est bien dĂ©cidĂ©, vous ne prendrez pas d'actions, vous ne voulez pas ĂÂȘtre avec nous ? - Avec vous, jamais de la vie !... Vous serez mangĂ© avant trois ans. " Il y eut un silence, gros de batailles, un Ă©change aigu de regards qui se dĂ©fiaient. " Alors, bonsoir... Je n'ai pas encore dĂ©jeunĂ© et j'ai trĂšs faim. Faudra voir qui est-ce qui sera mangĂ©. " Et il le laissa, au milieu de sa tribu qui finissait de se bourrer bruyamment de pĂÂątisseries, recevant les derniers courtiers attardĂ©s, fermant par instants les yeux de lassitude, pendant qu'il achevait son bol Ă petits coups, les lĂšvres toutes blanches de lait. Saccard se jeta dans son fiacre, en donnant l'adresse de la rue Saint-Lazare. Une heure sonnait, c'Ă©tait une journĂ©e perdue, il rentrait dĂ©jeuner, hors de lui. Ah ! le sale juif ! en voilĂ un, dĂ©cidĂ©ment, qu'il aurait eu du plaisir Ă casser d'un coup de dents, comme un chien casse un os ! Certes, le manger, c'Ă©tait un morceau terrible et trop gros. Mais est-ce qu'on savait ? les plus grands empires s'Ă©taient bien Ă©croulĂ©s, il y a toujours une heure oĂÂč les puissants succombent. Non, pas le manger, l'entamer d'abord, lui arracher des lambeaux de son milliard ; ensuite, le manger, oui ! pourquoi pas ? les dĂ©truire, dans leur roi incontestĂ©, ces juifs qui se croyaient les maĂtres du festin ! Et ces rĂ©flexions, cette colĂšre qu'il emportait de chez Gundermann, soulevaient Saccard d'un furieux zĂšle, d'un besoin de nĂ©goce, de succĂšs immĂ©diat il aurait voulu bĂÂątir d'un geste sa maison de banque, la faire fonctionner, triompher, Ă©craser les maisons rivales. Brusquement, le souvenir de Daigremont lui revint ; et, sans discuter, d'un mouvement irrĂ©sistible, il se pencha, il cria au cocher de monter la rue La Rochefoucauld. S'il voulait voir Daigremont, il devait se hĂÂąter, quitte Ă dĂ©jeuner plus tard, car il savait que celui-ci sortait vers une heure. Sans doute, ce chrĂ©tien-lĂ valait deux juifs, et il passait pour un ogre dĂ©vorateur des jeunes affaires qu'on mettait en garde chez lui. Mais, Ă cette minute, Saccard aurait traitĂ© avec Cartouche, pour la conquĂÂȘte, mĂÂȘme Ă la condition de partager. Plus tard, on verrait bien, il serait le plus fort. Cependant, le fiacre, qui montait avec peine la rude cĂÂŽte de la rue, s'arrĂÂȘta devant la haute porte monumentale d'un des derniers grands hĂÂŽtels de ce quartier, qui en a comptĂ© de fort beaux. Le corps de bĂÂątiments, au fond d'une vaste cour pavĂ©e, avait un air de royale grandeur ; et le jardin qui le suivait, plantĂ© encore d'arbres centenaires, restait un vĂ©ritable parc, isolĂ© des rues populeuses. Tout Paris connaissait cet hĂÂŽtel pour ses fĂÂȘtes splendides, surtout pour l'admirable collection de tableaux, que pas un grand-duc en voyage ne manquait de visiter. MariĂ© Ă une femme cĂ©lĂšbre par sa beautĂ©, comme ses tableaux, et qui remportait dans le monde de vifs succĂšs de cantatrice, le maĂtre du logis menait un train princier, Ă©tait aussi glorieux de son Ă©curie de course que de sa galerie, appartenait Ă un des grands clubs, affichait les femmes les plus coĂ»teuses, avait loge Ă l'OpĂ©ra, chaise Ă l'hĂÂŽtel Drouot et petit banc dans les lieux louches Ă la mode. Et toute cette large vie, ce luxe flambant dans une apothĂ©ose de caprice et d'art, Ă©tait uniquement payĂ© par la spĂ©culation, une fortune sans cesse mouvante, qui semblait infinie comme la mer, mais qui en avait le flux et le reflux, des diffĂ©rences de deux et trois cent mille francs, Ă chaque liquidation de quinzaine. Lorsque Saccard eut gravi le majestueux perron, un valet l'annonça, lui fit traverser trois salons encombrĂ©s de merveilles, jusqu'Ă un petit fumoir, oĂÂč Daigremont achevait un cigare, avant de sortir. AgĂ© dĂ©jĂ de quarante-cinq ans, celui-ci luttait contre l'embonpoint, de haute taille, trĂšs Ă©lĂ©gant avec sa coiffure soignĂ©e, ne portant que les moustaches et la barbiche, en fanatique des Tuileries. Il affectait une grande amabilitĂ©, d'une confiance absolue en soi, certain de vaincre. Tout de suite, il se prĂ©cipita. " Ah ! mon cher ami, que devenez-vous ? Je pensais encore Ă vous, l'autre jour... Mais n'ĂÂȘtes-vous pas mon voisin " Pourtant, il se calma, renonça Ă cette effusion qu'il gardait pour le troupeau, lorsque Saccard, jugeant les finesses de transition inutiles, aborda immĂ©diatement le but de sa visite. Il dit sa grande affaire, expliqua qu'avant de crĂ©er la Banque universelle, au capital de vingt- cinq millions, il cherchait Ă former un syndicat d'amis, de banquiers, d'industriels, qui assurerait Ă l'avance le succĂšs de l'Ă©mission, en s'engageant Ă prendre les quatre cinquiĂšmes de cette Ă©mission, soit quarante mille actions au moins. Daigremont Ă©tait devenu trĂšs sĂ©rieux, l'Ă©coutait, le regardait, comme s'il l'eĂ»t fouillĂ© jusqu'au fond de la cervelle, pour voir quel effort, quel travail utile Ă lui-mĂÂȘme, il pourrait encore tirer de cet homme, qu'il avait connu si actif, si plein de merveilleuses qualitĂ©s, dans sa fiĂšvre brouillonne. D'abord, il hĂ©sita. " Non, non, je suis accablĂ©, je ne veux rien entreprendre de nouveau. " Puis, tentĂ© pourtant, il posa des questions, voulut connaĂtre les projets que patronnerait la nouvelle maison de crĂ©dit, projets dont son interlocuteur avait la prudence de ne parler qu'avec la plus extrĂÂȘme rĂ©serve. Et, lorsqu'il connut la premiĂšre affaire qu'on lancerait, cette idĂ©e de syndiquer toutes les compagnies de transports de la MĂ©diterranĂ©e, sous la raison sociale de Compagnie gĂ©nĂ©rale des Paquebots rĂ©unis, il parut trĂšs frappĂ©, il cĂ©da tout d'un coup. - Eh bien, je consens Ă en ĂÂȘtre. Seulement, c'est Ă une condition... Comment ĂÂȘtes-vous avec votre frĂšre le ministre ? " Saccard, surpris, eut la franchise de montrer son amertume. " Avec mon frĂšre... Oh ! il fait ses affaires, et je fais les miennes. Il n'a pas la corde trĂšs fraternelle, mon frĂšre. " - Alors, tant pis ! dĂ©clara nettement Daigremont. Je ne veux ĂÂȘtre avec vous que si votre frĂšre y est aussi... Vous entendez bien, je ne veux pas que vous soyez fĂÂąchĂ©s. " D'un geste colĂšre d'impatience, Saccard protesta. Est-ce qu'on avait besoin de Rougon ? est-ce que ce n'Ă©tait pas aller chercher des chaĂnes, pour se lier pieds et mains ? Mais, en mĂÂȘme temps, une voix de sagesse, plus forte que son irritation, lui disait qu'il fallait au moins s'assurer de la neutralitĂ© du grand homme. Cependant, il refusait brutalement. " Non, non, il a toujours Ă©tĂ© trop cochon avec moi. Jamais je ne ferai le premier pas. - Ecoutez, reprit Daigremont j'attends Huret Ă cinq heures, pour une commission dont il s'est chargĂ©... Vous allez courir au Corps lĂ©gislatif, vous prendrez Huret dans un coin, vous lui conterez votre affaire, il en parlera tout de suite Ă Rougon, il saura ce que ce dernier en pense, et nous aurons la rĂ©ponse ici, Ă cinq heures... Hein ! rendez-vous Ă cinq heures ? " La tĂÂȘte basse, Saccard rĂ©flĂ©chissait. " Mon Dieu ! si vous y tenez ! - Oh ! absolument ! sans Rougon, rien ; avec Rougon, tout ce que vous voudrez. - C'est bon, j'y vais. " Il partait, aprĂšs une vigoureuse poignĂ©e de main, lorsque que l'autre le rappela. " Ah ! dites donc, si vous sentez que les choses s'emmanchent, passez donc, en revenant, chez le marquis de Bohain et chez SĂ©dille, faites- leur savoir que j'en suis et demandez-leur d'en ĂÂȘtre... Je veux qu'ils en soient ! " A la porte, Saccard retrouva son fiacre, qu'il avait gardĂ©, bien qu'il n'eĂ»t qu'Ă descendre le bout de la rue, pour ĂÂȘtre chez lui. Il le renvoya, comptant qu'il pourrait faire atteler, l'aprĂšs-midi ; et il rentra vivement dĂ©jeuner. On ne l'attendait plus, ce fut la cuisiniĂšre qui lui servit elle-mĂÂȘme un morceau de viande froide, qu'il dĂ©vora, tout en se querellant avec le cocher ; car, celui-ci, qu'il avait fait monter, lui ayant rendu compte de la visite du vĂ©tĂ©rinaire, il en rĂ©sultait qu'il fallait laisser le cheval se reposer trois ou quatre jours. Et, la bouche pleine, il accusait le cocher de mauvais soins, il le menaçait de Mme Caroline, qui mettrait ordre Ă tout ça. Enfin, il lui cria d'aller au moins chercher un fiacre. De nouveau, une ondĂ©e diluvienne balayait la rue, il dut attendre plus d'un quart d'heure la voiture, dans laquelle il monta, sous des torrents d'eau, en jetant l'adresse " Au Corps lĂ©gislatif ! " Son plan Ă©tait d'arriver avant la sĂ©ance, de façon Ă prendre Huret au passage et Ă l'entretenir tranquillement. Par malheur, on redoutait ce jour-lĂ un dĂ©bat passionnĂ©, car un membre de la gauche devait soulever l'Ă©ternelle question du Mexique ; et Rougon, sans doute, serait forcĂ© de rĂ©pondre. Comme Saccard entrait dans la salle des Pas-Perdus, il eut la chance de tomber sur le dĂ©putĂ©. Il l'entraĂna au fond d'un des petits salons voisins, ils s'y trouvĂšrent seuls, grĂÂące Ă la grosse Ă©motion qui rĂ©gnait dans les couloirs. L'opposition devenait de plus en plus redoutable, le vent de catastrophe commençait Ă souffler, qui devait grandir et tout abattre. Aussi, Huret, prĂ©occupĂ©, ne comprit-il pas d'abord, et se fit- il expliquer Ă deux reprises la mission dont on le chargeait. Son effarement s'en augmenta. " Oh ! mon cher ami, y pensez-vous ! parler Ă Rougon en ce moment ! il m'enverra coucher, c'est sĂ»r. " Puis, l'inquiĂ©tude de son intĂ©rĂÂȘt personnel se fit jour. Il n'existait, lui, que par le grand homme, Ă qui il devait sa candidature officielle, son Ă©lection, sa situation de domestique bon Ă tout faire, vivant des miettes de la faveur du maĂtre. A ce mĂ©tier, depuis deux ans, grĂÂące aux pots-de-vin, aux gains prudents ramassĂ©s sous la table, il arrondissait ses vastes terres du Calvados, avec la pensĂ©e de s'y retirer et d'y trĂÂŽner aprĂšs la dĂ©bĂÂącle. Sa grosse face de paysan malin s'Ă©tait assombrie, exprimait l'embarras oĂÂč le jetait cette demande d'intervention, sans qu'on lui donnĂÂąt le temps de se rendre compte s'il y aurait lĂ , pour lui, bĂ©nĂ©fice ou dommage. " Non, non ! je ne peux pas... Je vous ai transmis la volontĂ© de votre frĂšre, je ne peux pas aller le relancer encore. Que diable ! songez un peu Ă moi. Il n'est guĂšre tendre, quand on l'embĂÂȘte ; et, dame ! je n'ai pas envie de payer pour vous, en y laissant mon crĂ©dit. " Alors, Saccard, comprenant, ne s'attacha plus qu'Ă le convaincre des millions qu'il y aurait Ă gagner, dans le lancement de la Banque universelle. A larges traits, avec sa parole ardente qui transformait une affaire d'argent en un conte de poĂšte, il expliqua les entreprises superbes, le succĂšs certain et colossal. Daigremont, enthousiasmĂ©, se mettait Ă la tĂÂȘte du syndicat. Bohain et SĂ©dille avaient dĂ©jĂ demandĂ© d'en ĂÂȘtre. Il Ă©tait impossible que lui, Huret, n'en fĂ»t pas ces messieurs le voulaient absolument avec eux, Ă cause de sa haute situation politique. MĂÂȘme on espĂ©rait bien qu'il consentirait Ă faire partie du conseil d'administration, parce que son nom signifiait ordre et probitĂ©. A cette promesse d'ĂÂȘtre nommĂ© membre du conseil, le dĂ©putĂ© le regarda bien en face. " Enfin, qu'est-ce que vous dĂ©sirez de moi, quelle rĂ©ponse voulez- vous que je tire de Rougon ? - Mon Dieu ! reprit Saccard, moi, je me serais passĂ© volontiers de mon frĂšre. Mais c'est Daigremont qui exige que je me rĂ©concilie. Peut- ĂÂȘtre a-t-il raison... Alors, je crois que vous devez simplement parler de notre affaire au terrible homme, et obtenir, sinon qu'il nous aide, du moins qu'il ne soit pas contre nous. " Huret, les yeux Ă demi fermĂ©s, ne se dĂ©cidait toujours pas. " VoilĂ ! si vous apportez un mot gentil, rien qu'un mot gentil, entendez-vous ! Daigremont s'en contentera, et nous bĂÂąclons ce soir la chose Ă nous trois. - Eh bien, je vais essayer, dĂ©clara brusquement le dĂ©putĂ©, en affectant une rondeur paysanne ; mais il faut que ce soit pour vous, car il n'est pas commode, oh ! non, surtout quand la gauche le taquine... A cinq heures. - A cinq heures ! " Saccard resta prĂšs d'une heure encore, trĂšs inquiet des bruits de lutte qui couraient. Il entendit un des grands orateurs de l'opposition annoncer qu'il prendrait la parole. A cette nouvelle, il eut un instant l'envie de retrouver Huret, pour lui demander s'il ne serait pas sage de remettre au lendemain l'entretien avec Rougon. Puis, fataliste, croyant Ă la chance, il trembla de tout compromettre, s'il changeait ce qui Ă©tait arrĂÂȘtĂ©. Peut-ĂÂȘtre, dans la bousculade, son frĂšre lĂÂącherait-il plus facilement le mot attendu. Et, pour laisser aller les choses, il partit, il remonta dans son fiacre, qui reprenait dĂ©jĂ le pont de la Concorde, lorsqu'il se souvint du dĂ©sir exprimĂ© par Daigremont. " Cocher, rue de Babylone. " C'Ă©tait rue de Babylone que demeurait le marquis de Bohain. Il occupait les anciennes dĂ©pendances d'un grand hĂÂŽtel, un pavillon qui avait abritĂ© le personnel des Ă©curies, et dont on avait fait une trĂšs confortable maison moderne. L'installation Ă©tait luxueuse, avec un bel air d'aristocratie coquette. On ne voyait, du reste, jamais sa femme, souffrante, disait-il, retenue dans son appartement par des infirmitĂ©s. Cependant, la maison, les meubles Ă©taient Ă elle, il logeait en garni chez elle, n'ayant Ă lui que ses effets, une malle qu'il aurait pu emporter sur un fiacre, sĂ©parĂ© de biens depuis qu'il vivait du jeu. Dans deux catastrophes dĂ©jĂ , il avait refusĂ© nettement de payer ses diffĂ©rences, et le syndic, aprĂšs s'ĂÂȘtre rendu compte de la situation, ne s'Ă©tait pas mĂÂȘme donnĂ© la peine de lui envoyer du papier timbrĂ©. On passait l'Ă©ponge, simplement. Il empochait, tant qu'il gagnait. Puis, dĂšs qu'il perdait, il ne payait pas on le savait et on s'y rĂ©signait. Il avait un nom illustre, il Ă©tait extrĂÂȘmement dĂ©coratif dans les conseils d'administration ; aussi les jeunes compagnies, en quĂÂȘte d'enseignes dorĂ©es, se le disputaient-elles jamais il ne chĂÂŽmait. A la Bourse, il avait sa chaise, du cĂÂŽtĂ© de la rue Notre-Dame-des-Victoires, le cĂÂŽtĂ© de la spĂ©culation riche, qui affectait de se dĂ©sintĂ©resser des petits bruits du jour. On le respectait, on le consultait beaucoup. Souvent il avait influencĂ© le marchĂ©. Enfin, tout un personnage. Saccard, qui le connaissait bien, fut quand mĂÂȘme impressionnĂ© par la rĂ©ception hautement polie de ce beau vieillard de soixante ans, Ă la tĂÂȘte trĂšs petite posĂ©e sur un corps de colosse, la face blĂÂȘme, encadrĂ©e d'une perruque brune, du plus grand air. " Monsieur le marquis, je viens en vĂ©ritable solliciteur... " Il dit le motif de la visite, sans entrer d'abord dans les dĂ©tails. D'ailleurs, dĂšs les premiers mots, le marquis l'arrĂÂȘta. " Non, non, tout mon temps est pris, j'ai en ce moment dix propositions que je dois refuser. " Puis, comme Saccard, souriant, ajoutait " C'est Daigremont qui m'envoie, il a songĂ© Ă vous. " Il s'Ă©cria aussitĂÂŽt " Ah ! vous avez Daigremont lĂ -dedans... Bon ! bon ! si Daigremont en est, j'en suis. Comptez sur moi. " Et le visiteur ayant alors voulu lui fournir au moins quelques renseignements, pour lui apprendre dans quelle sorte d'affaire il allait entrer, il lui ferma la bouche, avec la dĂ©sinvolture aimable d'un grand seigneur qui ne descend pas Ă ces dĂ©tails et qui a une confiance naturelle dans la probitĂ© des gens. " Je vous en prie, n'ajoutez pas un mot... Je ne veux pas savoir. Vous avez besoin de mon nom, je vous le prĂÂȘte, et j'en suis trĂšs heureux, voilĂ tout... Dites seulement Ă Daigremont qu'il arrange ça comme il lui plaira. " En remontant dans son fiacre, Saccard, Ă©gayĂ©, riait d'un rire intĂ©rieur. " Il nous coĂ»tera cher, pensait-il, mais il est vraiment trĂšs bien. " Puis, Ă voix haute " Cocher, rue des JeĂ»neurs. " La maison SĂ©dille avait lĂ ses magasins et ses bureaux, tenant, au fond d'une cour, tout un vaste rez-de-chaussĂ©e. AprĂšs trente ans de travail, SĂ©dille, qui Ă©tait de Lyon et qui avait gardĂ© lĂ -bas des ateliers, venait enfin de faire de son commerce de soie un des mieux connus et des plus solides de Paris, lorsque la passion du jeu, Ă la suite d'un incident de hasard, s'Ă©tait dĂ©clarĂ©e et propagĂ©e en lui avec la violence destructive d'un incendie. Deux gains considĂ©rables, coup sur coup, l'avaient affolĂ©. A quoi bon donner trente ans de sa vie, pour gagner un pauvre million, lorsque, en une heure, par une simple opĂ©ration de Bourse, on peut le mettre dans sa poche ? DĂšs lors, il s'Ă©tait dĂ©sintĂ©ressĂ© peu Ă peu de sa maison qui marchait par la force acquise ; il ne vivait plus que dans l'espoir d'un coup d'agio triomphant ; et, comme la dĂ©veine Ă©tait venue, persistante, il engloutissait lĂ tous les bĂ©nĂ©fices de son commerce. A cette fiĂšvre, le pis est qu'on se dĂ©goĂ»te du gain lĂ©gitime, qu'on finit mĂÂȘme par perdre la notion exacte de l'argent. Et la ruine Ă©tait fatalement au bout, si les ateliers de Lyon rapportaient deux cent mille francs, lorsque le jeu en emportait trois cent mille. Saccard trouva SĂ©dille agitĂ©, inquiet, car celui-ci Ă©tait un joueur sans flegme, sans philosophie. Il vivait dans le remords, toujours espĂ©rant, toujours abattu, malade d'incertitude, et cela parce qu'il restait honnĂÂȘte au fond. La liquidation de la fin d'avril venait de lui ĂÂȘtre dĂ©sastreuse. Pourtant, sa face grasse, aux gros favoris blonds, se colora, dĂšs les premiĂšres paroles. " Ah ! mon cher, si c'est la chance que vous m'apportez, soyez le bienvenu ! " Ensuite, il fut pris d'une terreur. " Non, non ! ne me tentez pas. Je ferais mieux de m'enfermer avec mes piĂšces de soie et de ne plus bouger de mon comptoir. " Voulant le laisser se calmer, Saccard lui parla de son fils Gustave, qu'il dit avoir vu le matin, chez Mazaud. Mais c'Ă©tait, pour le nĂ©gociant, un autre sujet de chagrin, car il avait rĂÂȘvĂ© de se dĂ©charger de sa maison sur ce fils, et celui-ci mĂ©prisait le commerce, ĂÂąme de joie et de fĂÂȘte, apportant les dents blanches des fils de parvenu, bonnes seulement Ă croquer les fortunes faites. Son pĂšre l'avait mis chez Mazaud pour voir s'il mordrait aux questions de finance. " Depuis la mort de sa pauvre mĂšre, murmura-t-il, il m'a donnĂ© bien peu de satisfaction. Enfin, peut-ĂÂȘtre apprendra-t-il lĂ -bas, Ă la charge, des choses qui me seront utiles. - Eh bien, reprit brusquement Saccard, ĂÂȘtes-vous avec nous ? Daigremont m'a dit de venir vous dire qu'il en Ă©tait. " SĂ©dille leva au ciel des bras tremblants. Et, la voix altĂ©rĂ©e de dĂ©sir et de crainte " Mais oui ! j'en suis ! vous savez bien que je ne peux pas faire autrement que d'en ĂÂȘtre ! si je refusais et que votre affaire marchĂÂąt, j'en serais malade de regret... Dites Ă Daigremont que j'en suis. " Lorsque Saccard se retrouva dans la rue, il tira sa montre et vit qu'il Ă©tait Ă peine quatre heures. Le temps qu'il avait devant lui, l'envie qu'il Ă©prouvait de marcher un peu, lui firent lĂÂącher son fiacre. Il s'en repentit presque tout de suite, car il n'Ă©tait pas au boulevard, qu'une nouvelle averse, un dĂ©luge mĂÂȘlĂ© de grĂÂȘle, le força de nouveau Ă se rĂ©fugier sous une porte. Quel chien de temps, lorsqu'on avait Paris Ă battre ! AprĂšs avoir regardĂ© l'eau tomber pendant un quart d'heure, l'impatience le prit, il hĂ©la une voiture vide qui passait. C'Ă©tait une victoria, il eut beau ramener sur ses jambes le tablier de cuir, il arriva trempĂ© rue La Rochefoucauld, et en avance d'une grande demi- heure. Dans le fumoir oĂÂč le valet le laissa, en disant que monsieur n'Ă©tait pas rentrĂ© encore, Saccard marcha Ă petits pas, regardant les tableaux. Mais une voix de femme superbe, un contralto d'une puissance mĂ©lancolique et profonde, s'Ă©tant Ă©levĂ©e dans le silence de l'hĂÂŽtel, il s'approcha de la fenĂÂȘtre restĂ©e ouverte, pour Ă©couter c'Ă©tait madame qui rĂ©pĂ©tait, au piano, un morceau qu'elle devait sans doute chanter le soir, dans quelque salon. Puis, bercĂ© par cette musique, il en vint Ă songer aux histoires extraordinaires que l'on contait de Daigremont l'histoire de l'Hadamantine surtout, cet emprunt de cinquante millions dont il avait gardĂ© en main le stock entier, le faisant vendre et revendre cinq fois par des courtiers Ă lui, jusqu'Ă ce qu'il eĂ»t créé un marchĂ©, Ă©tabli un prix ; puis, la vente sĂ©rieuse, la dĂ©gringolade fatale de trois cents francs Ă quinze francs, les bĂ©nĂ©fices Ă©normes sur tout un petit monde de naĂÂŻfs, ruinĂ©s du coup. Ah ! il Ă©tait fort, un terrible monsieur ! La voix de dame continuait, exhalant une plainte de tendresse, Ă©perdue, d'une ampleur tragique ; tandis que Saccard, revenu au milieu de la piĂšce, s'Ă©tait arrĂÂȘtĂ© devant un Meissonier, qu'il estimait cent mille francs. Mais quelqu'un entra, et il fut surpris de reconnaĂtre Huret. " Comment, c'est dĂ©jĂ vous ? il n'est pas cinq heures... La sĂ©ance est donc finie ? - Ah ! oui, finie... Ils se chamaillent. " Et il expliqua que, le dĂ©putĂ© de l'opposition parlant toujours, Rougon, certainement, ne pourrait rĂ©pondre que le lendemain. Alors, quand il avait vu ça, il s'Ă©tait risquĂ© Ă relancer le ministre, pendant une courte suspension de sĂ©ance, entre deux portes. " Eh bien, demanda Saccard, nerveusement, qu'a-t-il dit, mon illustre frĂšre ? " Huret ne rĂ©pondit pas tout de suite. " Oh ! il Ă©tait d'une humeur de dogue... Je vous avoue que je comptais sur l'exaspĂ©ration oĂÂč je le voyais, espĂ©rant bien qu'il allait simplement m'envoyer promener... Donc, je lui ai lĂÂąchĂ© votre affaire, je lui ai dit que vous ne vouliez rien entreprendre sans son approbation. - Et alors ? - Alors, il m'a saisi par les deux bras, il m'a secouĂ©, en me criant dans la figure " Qu'il aille se faire pendre ! " Et il m'a plantĂ© lĂ . " Saccard, devenu blĂÂȘme, eut un rire forcĂ©. " C'est gentil. - Dame ! oui, c'est gentil, reprit le dĂ©putĂ©, d'un ton convaincu. Je n'en demandais pas tant... Avec ça, nous pouvons marcher. " Et, comme il entendit, dans le salon voisin, le pas de Daigremont qui rentrait, il ajouta tout bas " Laissez-moi faire. " Evidemment, Huret avait la plus grande envie de voir se fonder la Banque universelle, et d'en ĂÂȘtre. Sans doute, il s'Ă©tait dĂ©jĂ rendu compte du rĂÂŽle qu'il y pourrait jouer. Aussi, dĂšs qu'il eut serrĂ© la main de Daigremont, prit-il un visage rayonnant, en agitant un bras en l'air. " Victoire ! cria-t-il, victoire ! - Ah ! vraiment. Contez-moi donc ça. - Mon Dieu ! le grand homme a Ă©tĂ© ce qu'il devait ĂÂȘtre. Il m'a rĂ©pondu " Que mon frĂšre rĂ©ussisse ! " Du coup. Daigremont se pĂÂąma, trouva le mot charmant. " Qu'il rĂ©ussisse ! " ça contenait tout qu'il ne fasse pas la bĂÂȘtise de ne pas rĂ©ussir, ou je le lĂÂąche ; mais qu'il rĂ©ussisse, je l'aiderai. Exquis, en vĂ©ritĂ© ! " Et, mon cher Saccard, nous rĂ©ussirons, soyez tranquille... Nous allons faire tout ce qu'il faudra pour ça " Puis, comme les trois hommes s'Ă©taient assis, afin d'arrĂÂȘter les points principaux, Daigremont se releva et alla fermer la fenĂÂȘtre ; car la voix de madame, peu Ă peu enflĂ©e, jetait un sanglot d'une dĂ©sespĂ©rance infinie, qui les empĂÂȘchait de s'entendre. Et, mĂÂȘme la fenĂÂȘtre close, cette lamentation Ă©touffĂ©e les accompagna, pendant qu'ils dĂ©cidaient la crĂ©ation d'une maison de crĂ©dit, la Banque universelle, au capital de vingt-cinq millions, divisĂ© en cinquante mille actions de cinq cents francs. Il Ă©tait en outre entendu que Daigremont, Huret, SĂ©dille, le marquis de Bohain et quelques-uns de leurs amis, formaient un syndicat, qui, d'avance, prenait et se partageait les quatre cinquiĂšmes des actions, soit quarante mille ; de sorte que le succĂšs de l'Ă©mission Ă©tait assurĂ©, et que, plus tard, dĂ©tenant les titres, les rendant rares sur le marchĂ©, ils pourraient les faire monter Ă leur grĂ©. Seulement, tout faillit ĂÂȘtre rompu, lorsque Daigremont exigea une prime de quatre cent mille francs, Ă rĂ©partir sur les quarante mille actions, soit dix francs par action. Saccard se rĂ©cria, dĂ©clara qu'il n'Ă©tait pas raisonnable de faire crier la vache avant mĂÂȘme que de la traire. Les commencements seraient difficiles, pourquoi embarrasser la situation davantage ? Pourtant, il dut cĂ©der, devant l'attitude d'Huret qui, tranquillement, trouvait la chose toute naturelle, disant que ça se faisait toujours. Ils se sĂ©paraient, en prenant un rendez-vous pour le lendemain, rendez-vous auquel l'ingĂ©nieur Hamelin devait assister, lorsque Daigremont se frappa brusquement le front, d'un air de dĂ©sespoir. " Et Kolb que j'oubliais ! Oh ! il ne me le pardonnerait pas il faut qu'il en soit... Mon petit Saccard, si vous Ă©tiez gentil, vous iriez chez lui tout de suite. Il n'est pas six heures, vous le trouveriez encore... Oui, vous-mĂÂȘme, et pas demain, ce soir, parce que ça le touchera et qu'il peut nous ĂÂȘtre utile. " Docilement, Saccard se remit en marche, sachant que les journĂ©es de chance ne se recommencent pas. Mais il avait de nouveau renvoyĂ© son fiacre, espĂ©rant rentrer chez lui, Ă deux pas ; et, la pluie ayant l'air enfin de cesser, il descendit Ă pied, heureux de sentir sous ses talons ce pavĂ© de Paris, qu'il reconquĂ©rait. Rue Montmartre, quelques gouttes d'eau lui firent prendre par les passages. Il enfila le passage Verdeau, le passage Jouffroy ; puis, dans le passage des Panoramas, comme il suivait une galerie latĂ©rale pour raccourcir et tomber rue Vivienne, il fut surpris de voir sortir d'une allĂ©e obscure Gustave SĂ©dille, qui disparut, sans s'ĂÂȘtre retournĂ©. Lui, s'Ă©tait arrĂÂȘtĂ©, regardant la maison, un discret hĂÂŽtel meublĂ©, lorsque, dans une petite femme blonde, voilĂ©e, qui sortait Ă son tour, il reconnut positivement Mme Conin, la jolie papetiĂšre. C'Ă©tait donc lĂ , quand elle avait un coup de tendresse, qu'elle amenait ses amants d'un jour, tandis que son bon gros garçon de mari la croyait en course pour des factures ! Ce coin de mystĂšre, au beau milieu du quartier, Ă©tait fort gentiment choisi, et un hasard seul venait de livrer le secret. Saccard souriait, trĂšs Ă©gayĂ©, enviant Gustave Germaine Coeur le matin, Mme Conin l'aprĂšs-midi, il mettait les morceaux doubles, le jeune homme ! Et, Ă deux reprises, il regarda encore la porte, afin de la bien reconnaĂtre, tentĂ© d'en ĂÂȘtre, lui aussi. Rue Vivienne, au moment oĂÂč il entrait chez Kolb, Saccard tressaillit et s'arrĂÂȘta de nouveau. Une musique lĂ©gĂšre, cristalline, qui sortait du sol, pareille Ă la voix des fĂ©es lĂ©gendaires, l'enveloppait ; et il reconnut la musique de l'or, la continuelle sonnerie de ce quartier du nĂ©goce et de la spĂ©culation, entendue dĂ©jĂ le matin. La fin de la journĂ©e en rejoignait le commencement. Il s'Ă©panouit, Ă la caresse de cette voix, comme si elle lui confirmait le bon prĂ©sage. Justement, Kolb se trouvait en bas, Ă l'atelier de fonte ; et, en ami de la maison, Saccard descendit l'y rejoindre. Dans le sous-sol nu, que de larges flammes de gaz Ă©clairaient Ă©ternellement, les deux fondeurs vidaient Ă la pelle les caisses doublĂ©es de zinc, pleines, ce jour-lĂ , de piĂšces espagnoles, qu'ils jetaient au creuset, sur le grand fourneau carrĂ©. La chaleur Ă©tait forte, il fallait parler haut pour s'entendre, au milieu de cette sonnerie d'harmonica, vibrante sous la voĂ»te basse. Des lingots fondus, des pavĂ©s d'or, d'un Ă©clat vif de mĂ©tal neuf, s'alignaient le long de la table du chimiste-essayeur, qui en arrĂÂȘtait les titres. Et, depuis le matin, plus de six millions avaient passĂ© lĂ , assurant au banquier un bĂ©nĂ©fice de trois ou quatre cents francs Ă peine ; car l'arbitrage sur l'or, cette diffĂ©rence rĂ©alisĂ©e entre deux cours, Ă©tant des plus minimes, s'apprĂ©ciant par milliĂšmes, ne peut donner un gain que sur des quantitĂ©s considĂ©rables de mĂ©tal fondu. De lĂ , ce tintement d'or, ce ruissellement d'or, du matin au soir, d'un bout de l'annĂ©e Ă l'autre, au fond de cette cave, oĂÂč l'or venait en piĂšces monnayĂ©es, d'oĂÂč il partait en lingots, pour revenir en piĂšces et repartir en lingots, indĂ©finiment, dans l'unique but de laisser aux mains du trafiquant quelques parcelles d'or. DĂšs que Kolb, un homme petit, trĂšs brun, dont le nez en bec d'aigle, sortant d'une grande barbe, dĂ©celait l'origine juive, eut compris l'offre de Saccard, que l'or courrait d'un bruit de grĂÂȘle, il accepta. " Parfait ! cria-t-il. TrĂšs heureux d'en ĂÂȘtre, si Daigremont en est ! Et merci de ce que vous vous ĂÂȘtes dĂ©rangĂ© ! " Mais ils s'entendaient Ă peine, ils se turent, restĂšrent lĂ un instant encore, Ă©tourdis, bĂ©ats dans cette sonnerie si claire et exaspĂ©rĂ©e, dont leur chair frĂ©missait toute, comme d'une note trop haute tenue sans fin sur les violons, jusqu'au spasme. Dehors, malgrĂ© le beau temps revenu, une limpide soirĂ©e de mai, Saccard, brisĂ© de fatigue, reprit un fiacre pour rentrer. Une rude journĂ©e, mais bien remplie ! IV - Des difficultĂ©s surgirent, l'affaire traĂna, cinq mois s'Ă©coulĂšrent sans que rien pĂ»t se conclure. On Ă©tait dĂ©jĂ aux derniers jours de septembre, et Saccard enrageait de voir que, malgrĂ© son zĂšle, de continuels obstacles renaissaient, toute une sĂ©rie de questions secondaires, qu'il fallait rĂ©soudre d'abord, si l'on voulait fonder quelque chose de sĂ©rieux et de solide. Son impatience devint telle, qu'il fut un moment sur le point d'envoyer promener le syndicat, hantĂ© et sĂ©duit par la brusque idĂ©e de faire l'affaire avec la princesse d'Orviedo, toute seule. Elle avait les millions nĂ©cessaires au premier lancement, pourquoi ne les mettrait-elle pas dans cette opĂ©ration superbe, quitte Ă laisser venir la petite clientĂšle, lors des futures augmentations du capital, qu'il projetait dĂ©jĂ ? Il Ă©tait d'une bonne foi absolue, il avait la conviction de lui apporter un placement oĂÂč elle dĂ©cuplerait sa fortune, cette fortune des pauvres, qu'elle rĂ©pandrait en aumĂÂŽnes plus larges encore. Donc, un matin, Saccard monta chez la princesse, et, en ami doublĂ© d'un homme d'affaires, il lui expliqua la raison d'ĂÂȘtre et le mĂ©canisme de la banque qu'il rĂÂȘvait. Il dit tout, Ă©tala le portefeuille d'Hamelin, n'omit pas une des entreprises d'Orient. MĂÂȘme, cĂ©dant Ă cette facultĂ© qu'il avait de se griser de son propre enthousiasme, d'arriver Ă la foi par son dĂ©sir brĂ»lant de rĂ©ussir, il lĂÂącha le rĂÂȘve fou de la papautĂ© Ă JĂ©rusalem, il parla du triomphe dĂ©finitif du catholicisme, le pape trĂÂŽnant aux lieux saints, dominant le monde, assurĂ© d'un budget royal, grĂÂące Ă la crĂ©ation du TrĂ©sor du Saint-SĂ©pulcre. La princesse, d'une ardente dĂ©votion, ne fut guĂšre frappĂ©e que de ce projet suprĂÂȘme, ce couronnement de l'Ă©difice, dont la grandeur chimĂ©rique flattait en elle l'imagination dĂ©rĂ©glĂ©e qui lui faisait jeter ses millions en bonnes oeuvres d'un luxe colossal et inutile. Justement, les catholiques de France venaient d'ĂÂȘtre atterrĂ©s et irritĂ©s de la convention que l'empereur avait conclu avec le roi d'Italie, par laquelle il s'engageait, sous de certaines conditions de garantie, Ă retirer le corps de troupes français occupant Rome ; il Ă©tait bien certain que c'Ă©tait Rome livrĂ©e Ă l'Italie, on voyait dĂ©jĂ le pape chassĂ©, rĂ©duit Ă l'aumĂÂŽne, errant par les villes avec le bĂÂąton des mendiants ; et quel dĂ©nouement prodigieux, le pape se retrouvant pontife et roi Ă JĂ©rusalem, installĂ© lĂ et soutenu par une banque dont les chrĂ©tiens du monde entier tiendraient Ă honneur d'ĂÂȘtre les actionnaires ! C'Ă©tait si beau, que la princesse dĂ©clara l'idĂ©e la plus grande du siĂšcle, digne de passionner toute personne bien nĂ©e ayant de la religion. Le succĂšs lui semblait assurĂ©, foudroyant. Son estime s'en accrut pour l'ingĂ©nieur Hamelin, qu'elle traitait avec considĂ©ration, ayant su qu'il pratiquait. Mais elle refusa nettement d'ĂÂȘtre de l'affaire, elle entendait rester fidĂšle au serment qu'elle avait fait de rendre ses millions aux pauvres, sans jamais plus tirer d'eux un centime d'intĂ©rĂÂȘt, voulant que cet argent du jeu se perdĂt fĂ»t bu par la misĂšre, comme une eau empoisonnĂ©e qui devait disparaĂtre. L'argument que les pauvres profiteraient de la spĂ©culation ne la touchait pas, l'irritait mĂÂȘme. Non, non ! la source maudite serait tarie, elle ne s'Ă©tait pas donnĂ© d'autre mission. Saccard, dĂ©concertĂ©, ne put qu'utiliser sa sympathie pour obtenir d'elle une autorisation, vainement sollicitĂ©e jusque-lĂ . Il avait eu la pensĂ©e, dĂšs que la Banque universelle serait fondĂ©e, de l'installer dans l'hĂÂŽtel mĂÂȘme ; ou du moins c'Ă©tait Mme Caroline qui lui avait soufflĂ© cette idĂ©e, car, lui, voyait plus grand, aurait voulu tout de suite un palais. On se contenterait de vitrer la cour, pour servir de hall central ; on amĂ©nagerait en bureaux tout le rez-de-chaussĂ©e, les Ă©curies, les remises ; au premier Ă©tage, il donnerait son salon qui deviendrait la salle du conseil, sa salle Ă manger et six autres piĂšces dont on ferait des bureaux encore, ne garderait qu'une chambre Ă coucher et un cabinet de toilette, quitte Ă vivre en haut avec les Hamelin, mangeant, passant les soirĂ©es chez eux ; de sorte qu'Ă peu de frais on installerait la banque d'une façon un peu Ă©troite mais fort sĂ©rieuse. La princesse, comme propriĂ©taire, avait d'abord refusĂ©, dans sa haine de tout trafic d'argent jamais son toit n'abriterait cette abomination. Puis, ce jour-lĂ , mettant la religion dans l'affaire, Ă©mue de la grandeur du but, elle consentit. C'Ă©tait une concession extrĂÂȘme, elle se sentait prise d'un petit frisson, lorsqu'elle songeait Ă cette machine infernale d'une maison de crĂ©dit, d'une maison de Bourse et d'agio, dont elle laissait ainsi Ă©tablir sous elle les rouages de ruine et de mort. Enfin, une semaine aprĂšs cette tentative avortĂ©e, Saccard eut la joie de voir l'affaire, si empĂÂȘtrĂ©e d'obstacles, se bĂÂącler brusquement, en quelques jours. Daigremont vint un matin lui dire qu'il avait toutes les adhĂ©sions, qu'on pouvait marcher. DĂšs lors, on Ă©tudia une derniĂšre fois le projet des statuts, on rĂ©digea l'acte de sociĂ©tĂ©. Et il Ă©tait grand temps aussi pour les Hamelin, Ă qui la vie commençait Ă redevenir dure. Lui, depuis des annĂ©es, n'avait qu'un rĂÂȘve, ĂÂȘtre l'ingĂ©nieur-conseil d'une grande maison de crĂ©dit comme il le disait, il se chargerait d'amener l'eau au moulin. Aussi, peu Ă peu, la fiĂšvre de Saccard l'avait-elle gagnĂ©, brĂ»lant du mĂÂȘme zĂšle et de la mĂÂȘme impatience. Au contraire, Mme Caroline, aprĂšs s'ĂÂȘtre enthousiasmĂ©e Ă l'idĂ©e des belles et utiles choses qu'on allait accomplir, semblait plus froide, l'air songeur, depuis qu'on entrait dans les broussailles et les fondriĂšres de l'exĂ©cution. Son grand bon sens, sa nature droite flairaient toutes sortes de trous obscurs et malpropres ; et elle tremblait surtout pour son frĂšre, qu'elle adorait, qu'elle traitait parfois en riant de " grosse bĂÂȘte " , malgrĂ© sa science ; non qu'elle soupçonnĂÂąt le moins du monde l'honnĂÂȘtetĂ© parfaite de leur ami, qu'elle voyait si dĂ©vouĂ© Ă leur fortune ; mais elle avait une singuliĂšre sensation de terrain mouvant, une inquiĂ©tude de chute et d'engloutissement, au premier faux pas. Ce matin-lĂ , Saccard, lorsque Daigremont l'eut quittĂ©, monta rayonnant Ă la salle des Ă©pures. " Enfin, c'est fait ! " cria-t-il. Hamelin, saisi, les yeux humides, vĂnt lui serrer les mains, Ă les briser. Et, comme Mme Caroline s'Ă©tait simplement tournĂ©e vers lui, un peu pĂÂąle, il ajouta " Eh bien, quoi donc ; c'est tout ce que vous me dites ?... ĂâĄa ne vous fait pas plus de plaisir, Ă vous ?... " Elle eut un bon sourire. " Mais si, je suis trĂšs contente, trĂšs contente, je vous assure. " Puis, quand il eut donnĂ© Ă son frĂšre des dĂ©tails sur le syndicat, dĂ©finitivement formĂ©, elle intervint de son air paisible. " Alors, c'est permis, n'est-ce pas ? de se rĂ©unir ainsi Ă plusieurs, pour se distribuer les actions d'une banque, avant mĂÂȘme que l'Ă©mission soit faite ? " Violemment, il eut un geste d'affirmation. " Mais, certainement, c'est permis !... Est-ce que vous nous croyez assez niais, pour risquer un Ă©chec ? Sans compter que nous avons besoin de gens solides, maĂtres du marchĂ©, si les dĂ©buts sont difficiles... VoilĂ toujours les quatre cinquiĂšmes de nos titres placĂ©s en des mains sĂ»res. On va pouvoir aller signer l'acte de sociĂ©tĂ© chez le notaire. " Elle osa lui tenir tĂÂȘte. " Je croyais que la loi exigeait la souscription intĂ©grale du capital social. " Cette fois, trĂšs surpris, il la regarda en face. " Vous lisez donc le Code ? " Et elle rougit lĂ©gĂšrement, car il avait devinĂ© la veille, cĂ©dant Ă son malaise, cette peur sourde et sans cause prĂ©cise, elle avait lu la loi sur les sociĂ©tĂ©s. Un instant, elle fut sur le point de mentir. Puis, avouant, riant " C'est vrai, j'ai lu le Code, hier. J'en suis sortie, en tĂÂątant mon honnĂÂȘtetĂ© et celle des autres, comme on sort des livres de mĂ©decine, avec toutes les maladies. " Mais lui se fĂÂąchait, car ce fait d'avoir voulu se renseigner, la lui montrait mĂ©fiante, prĂÂȘte Ă le surveiller, de ses yeux de femme, fureteurs et intelligents. " Ah ! reprit-il avec un geste qui jetait bas les vains scrupules, si vous croyez que nous allons nous conformer aux chinoiseries du Code ! Mais nous ne pourrions faire deux pas, nous serions arrĂÂȘtĂ©s par des entraves, Ă chaque enjambĂ©e, tandis que les autres, nos rivaux, nous devanceraient, Ă toutes jambes !... Non, non, je n'attendrai certainement pas que tout le capital soit souscrit ; je prĂ©fĂšre, d'ailleurs, nous rĂ©server des titres, et je trouverai un homme Ă nous auquel j'ouvrirai un compte, qui sera notre prĂÂȘte-nom enfin. - C'est dĂ©fendu, dĂ©clara-t-elle simplement de sa belle voix grave. - Eh ! oui, c'est dĂ©fendu, mais toutes les sociĂ©tĂ©s le font. - Elles ont tort, puisque c'est mal. " Saccard, se calmant par un brusque effort de volontĂ©, crut alors devoir se tourner vers Hamelin, qui, gĂÂȘnĂ©, Ă©coutait, sans intervenir. " Mon cher ami, j'espĂšre que vous ne doutez pas de moi... Je suis un vieux routier de quelque expĂ©rience, vous pouvez vous remettre entre mes mains, pour le cĂÂŽtĂ© financier de l'affaire. Apportez-moi de bonnes idĂ©es, et je me charge de tirer d'elles tout le bĂ©nĂ©fice dĂ©sirable, en courant le moins de risques possible. Je crois qu'un homme pratique ne peut pas dire mieux. " L'ingĂ©nieur, avec son fond invincible de timiditĂ© et de faiblesse, tourna la chose en plaisanterie, pour Ă©viter de rĂ©pondre directement. " Oh ! vous aurez, dans Caroline, un vrai censeur. Elle est nĂ©e maĂtre d'Ă©cole. - Mais je veux bien aller Ă sa classe " , dĂ©clara galamment Saccard. Mme Caroline elle-mĂÂȘme s'Ă©tait remise Ă rire. Et la conversation continua sur un ton de familiĂšre bienveillance. " C'est que j'aime beaucoup mon frĂšre, c'est que je vous aime vous- mĂÂȘme plus que vous ne pensez, et cela me ferait un gros chagrin de vous voir vous engager dans des trafics louches, oĂÂč il n'y a, au bout, que dĂ©sastre et que tristesse... Ainsi, tenez ! puisque nous en sommes lĂ - dessus, la spĂ©culation, le jeu Ă la Bourse, eh bien ! j'en ai une terreur folle. J'Ă©tais si heureuse, dans le projet de statuts, que vous m'avez fait recopier, d'avoir lu, Ă l'article 8, que la sociĂ©tĂ© s'interdisait rigoureusement toute opĂ©ration Ă terme. C'Ă©tait s'interdire le jeu, n'est-ce pas ? Et puis, vous m'avez dĂ©senchantĂ©e, en vous moquant de moi, en m'expliquant que c'Ă©tait lĂ un simple article d'apparat, une formule de style que toutes les sociĂ©tĂ©s tenaient Ă honneur d'inscrire et que pas une n'observait... Vous ne savez pas ce que je voudrais, moi ? ce serait qu'Ă la place de ces actions, ces cinquante mille actions que vous allez lancer, vous n'Ă©mettiez que des obligations. Oh ! vous voyez que je suis trĂšs forte, depuis que je lis le Code, je n'ignore plus qu'on ne joue pas sur une obligation, qu'un obligataire est un simple prĂÂȘteur qui touche tant pour cent sur son prĂÂȘt, sans ĂÂȘtre intĂ©ressĂ© dans les bĂ©nĂ©fices, tandis que l'actionnaire est un associĂ© courant la chance des bĂ©nĂ©fices et des pertes... Dites, pourquoi pas des obligations, ça me rassurerait tant, je serais si heureuse ! " Elle outrait plaisamment la supplication de sa requĂÂȘte, pour cacher sa rĂ©elle inquiĂ©tude. Et Saccard rĂ©pondit sur le mĂÂȘme ton, avec un emportement comique. " Des obligations, des obligations ! mais jamais !... Que voulez-vous fiche avec des obligations ? C'est de la matiĂšre morte... Comprenez donc que la spĂ©culation, le jeu est le rouage central, le coeur mĂÂȘme, dans une vaste affaire comme la nĂÂŽtre. Oui ! il appelle le sang, il le prend partout par petits ruisseaux, l'amasse, le renvoie en fleuves dans tous les sens, Ă©tablit une Ă©norme circulation d'argent, qui est la vie mĂÂȘme des grandes affaires. Sans lui, les grands mouvements de capitaux, les grands travaux civilisateurs qui en rĂ©sultent, sont radicalement impossibles... C'est comme pour les sociĂ©tĂ©s anonymes, a-t-on assez criĂ© contre elles, a-t-on assez rĂ©pĂ©tĂ© qu'elles Ă©taient des tripots et des coupe-gorge. La vĂ©ritĂ© est que, sans elles, nous n'aurions ni les chemins de fer, ni aucune des Ă©normes entreprises modernes, qui ont renouvelĂ© le monde ; car pas une fortune n'aurait suffi Ă les mener Ă bien, de mĂÂȘme que pas un individu, ni mĂÂȘme un groupe d'individus, n'aurait voulu en courir les risques. Les risques, tout est lĂ , et la grandeur du but aussi. Il faut un projet vaste, dont l'ampleur saisisse l'imagination ; il faut l'espoir d'un gain considĂ©rable, d'un coup de loterie qui dĂ©cuple la mise de fonds, quand elle ne l'emporte pas ; et alors les passions s'allument, la vie afflue, chacun apporte son argent, vous pouvez repĂ©trir la terre. Quel mal voyez-vous lĂ ? Les risques courus sont volontaires, rĂ©partis sur un nombre infini de personnes, inĂ©gaux et limitĂ©s selon la fortune et l'audace de chacun. On perd, mais on gagne, on espĂšre un bon numĂ©ro, mais on doit s'attendre toujours Ă en tirer un mauvais, et l'humanitĂ© n'a pas de rĂÂȘve plus entĂÂȘtĂ© ni plus ardent, tenter le hasard, obtenir tout de son caprice, ĂÂȘtre roi, ĂÂȘtre dieu ! " Peu Ă peu, Saccard ne riait plus, se redressait sur ses petites jambes, s'enflammait d'une ardeur lyrique, avec des gestes qui jetaient ses paroles aux quatre coins du ciel. " Tenez, nous autres, avec notre Banque universelle, n'allons-nous pas couvrir l'horizon le plus large, toute une trouĂ©e sur le vieux monde de l'Asie, un champ sans limite Ă la pioche du progrĂšs et Ă la rĂÂȘverie des chercheurs d'or. Certes, jamais ambition n'a Ă©tĂ© plus colossale, et, je l'accorde, jamais non plus conditions de succĂšs ou d'insuccĂšs n'ont Ă©tĂ© plus obscures. Mais c'est justement pour cela que nous sommes dans les termes mĂÂȘmes du problĂšme, et que nous dĂ©terminerons, j'en ai la conviction, un engouement extraordinaire dans le public, dĂšs que nous serons connus... Notre Banque universelle, mon Dieu ! elle va ĂÂȘtre d'abord la maison classique qui traitera de toutes affaires de banque, de crĂ©dit et d'escompte, recevra des fonds en comptes courants, contractera, nĂ©gociera ou Ă©mettra des emprunts. Seulement, l'outil que j'en veux faire surtout, c'est une machine Ă lancer les grands projets de votre frĂšre lĂ sera son vĂ©ritable rĂÂŽle, ses bĂ©nĂ©fices croissants, sa puissance peu Ă peu dominatrice. Elle est fondĂ©e, en somme, pour prĂÂȘter son concours Ă des sociĂ©tĂ©s financiĂšres et industrielles, que nous Ă©tablirons dans les pays Ă©trangers, dont nous placerons les actions, qui nous devront la vie et nous assurerons la souverainetĂ©... Et, devant cet avenir aveuglant de conquĂÂȘtes, vous venez me demander s'il est permis de se syndiquer et d'avantager d'une prime les syndicataires, quitte Ă la porter au compte de premier Ă©tablissement ; vous vous inquiĂ©tez des petites irrĂ©gularitĂ©s fatales, des actions non souscrites, que la sociĂ©tĂ© fera bien de garder, sous le couvert d'un prĂÂȘte-nom ; enfin, vous partez en guerre contre le jeu, contre le jeu, Seigneur ! qui est l'ĂÂąme mĂÂȘme, le foyer, la flamme de cette gĂ©ante mĂ©canique que je rĂÂȘve !... Sachez donc que ce n'est rien encore, tout ça ! que ce pauvre petit capital de vingt-cinq millions est un simple fagot jetĂ© sous la machine, pour le premier coup de feu ! que j'espĂšre bien le doubler, le quadrupler, le quintupler, Ă mesure que nos opĂ©rations s'Ă©largiront ! qu'il nous faut la grĂÂȘle des piĂšces d'or, la danse des millions, si nous voulons, lĂ -bas, accomplir les prodiges annoncĂ©s !... Ah ! dame ! je ne rĂ©ponds pas de la casse, on ne remue pas le monde, sans Ă©craser les pieds de quelques passants. " Elle le regardait, et, dans son amour de la vie, de tout ce qui Ă©tait fort et actif, elle finissait par le trouver beau, sĂ©duisant de verve et de foi. Aussi, sans se rendre Ă ses thĂ©ories qui rĂ©voltaient la droiture de sa claire intelligence, feignit-elle d'ĂÂȘtre vaincue. " C'est bon, mettons que je ne sois qu'une femme et que les batailles de l'existence m'effraient... Seulement, n'est-ce pas ? tĂÂąchez d'Ă©craser le moins de monde possible, et surtout n'Ă©crasez personne de ceux que j'aime. " Saccard, grisĂ© de son accĂšs d'Ă©loquence, et qui triomphait de ce vaste plan exposĂ©, comme si la besogne Ă©tait faite, se montra tout Ă fait bonhomme. " N'ayez donc pas peur ! Je fais l'ogre, c'est pour rire... Tout le monde sera trĂšs riche. " Ils causĂšrent ensuite tranquillement des dispositions Ă prendre, et il fut convenu que, le lendemain mĂÂȘme de la constitution dĂ©finitive de la sociĂ©tĂ©, Hamelin se rendrait Ă Marseille, puis de lĂ en Orient, pour hĂÂąter la mise en oeuvre des grandes affaires. Mais dĂ©jĂ , sur le marchĂ© de Paris, des bruits se rĂ©pandaient, une rumeur ramenait le nom de Saccard, du fond trouble oĂÂč il s'Ă©tait noyĂ© un instant ; et les nouvelles, d'abord chuchotĂ©es, peu Ă peu dites Ă voix plus haute, sonnaient si clairement le succĂšs prochain, que, de nouveau, comme au parc Monceau jadis, son antichambre s'emplissait de solliciteurs, chaque matin. Il voyait Mazaud monter, par hasard, pour lui serrer la main et causer des nouvelles du jour ; il recevait d'autres agents de change, le juif Jacoby, avec sa voix tonitruante, et son beau-frĂšre Delarocque, un gros roux, qui rendait sa femme si malheureuse. La coulisse venait aussi, dans la personne de Nathansohn, un petit blond trĂšs actif, que la chance portait. Et quant Ă Massias, rĂ©signĂ© Ă sa dure besogne de remisier malchanceux, il se prĂ©sentait dĂ©jĂ chaque jour, bien qu'il n'y eĂ»t pas encore d'ordres Ă recevoir. C'Ă©tait toute une foule montante. Un matin, dĂšs neuf heures, Saccard trouva l'antichambre pleine. N'ayant pas arrĂÂȘtĂ© encore de personnel spĂ©cial, il Ă©tait fort mal secondĂ© par son valet de chambre et, le plus souvent, il se donnait la peine d'introduire les gens lui-mĂÂȘme. Ce jour-lĂ , comme il ouvrait la porte de son cabinet, Jantrou voulut entrer ; mais il avait aperçu Sabatani, qu'il faisait chercher depuis deux jours. " Pardon, mon ami " , dit-il en arrĂÂȘtant l'ancien professeur, pour recevoir d'abord le Levantin. Sabatani, avec son inquiĂ©tant sourire de caresse, sa souplesse de couleuvre, laissa parler Saccard ; qui, trĂšs nettement d'ailleurs, en homme qui le connaissait, lui fit sa proposition. " Mon cher, j'ai besoin de vous... Il nous faut un prĂÂȘte-nom. Je vous ouvrirai un compte, je vous ferai acheteur d'un certain nombre de nos titres, que vous paierez simplement par un jeu d'Ă©critures... Vous voyez que je vais droit au but et que je vous traite en ami. " Le jeune homme le regardait de ses beaux yeux de velours, si doux dans sa longue face brune. " La loi, cher maĂtre, exige d'une façon formelle le versement en espĂšces... Oh ! ce n'est pas pour moi que je vous dis ça. Vous me traitez en ami, et j'en suis trĂšs fier... Tout ce que vous voudrez ! " Alors, Saccard, pour lui ĂÂȘtre agrĂ©able, lui dit l'estime oĂÂč le tenait Mazaud, qui avait fini par prendre ses ordres, sans ĂÂȘtre couvert. Puis, il le plaisanta sur Germaine Coeur, avec laquelle il l'avait rencontrĂ© la veille, faisant allusion crĂ»ment au bruit qui le douait d'un vĂ©ritable prodige, une exception gĂ©ante, dont rĂÂȘvaient les filles du monde de la Bourse, tourmentĂ©es de curiositĂ©. Et Sabatani ne niait pas, riait de son rire Ă©quivoque sur ce sujet scabreux oui, oui ! ces dames Ă©taient trĂšs drĂÂŽles Ă courir aprĂšs lui, elles voulaient voir. " Ah ! Ă propos, interrompit Saccard, nous aurons aussi besoin de signatures, pour rĂ©gulariser certaines opĂ©rations, les transferts, par exemple... Pourrai-je envoyer chez vous les paquets de papiers Ă signer ? - Mais certainement, cher maĂtre. Tout ce que vous voudrez ! " Il ne soulevait mĂÂȘme pas la question de paiement, sachant que cela est sans prix, lorsqu'on rend de pareils services ; et, comme l'autre ajoutait qu'on lui donnerait un franc par signature, pour le dĂ©dommager de sa perte de temps, il acquiesça d'un simple mouvement de tĂÂȘte. Puis, avec son sourire " J'espĂšre aussi, cher maĂtre, que vous ne me refuserez pas des conseils. Vous allez ĂÂȘtre si bien placĂ©, je viendrai aux renseignements. - C'est ça, conclut Saccard, qui comprit. Au revoir... MĂ©nagez-vous, ne cĂ©dez pas trop Ă la curiositĂ© des dames. " Et, s'Ă©gayant de nouveau, il le congĂ©dia par une porte de dĂ©gagement, qui lui permettait de renvoyer les gens, sans leur faire retraverser la salle d'attente. Ensuite, Saccard, Ă©tant allĂ© rouvrir l'autre porte, appela Jantrou. D'un coup d'oeil, il le vit ravagĂ©, sans ressources, avec une redingote dont les manches s'Ă©taient usĂ©es sur les tables des cafĂ©s, Ă attendre une situation. La Bourse continuait d'ĂÂȘtre une marĂÂątre, et il portait beau pourtant, la barbe en Ă©ventail, cynique et lettrĂ©, lĂÂąchant encore de temps Ă autre une phrase fleurie d'ancien universitaire. " Je vous aurais Ă©crit prochainement, dit Saccard. Nous dressons la liste de notre personnel, oĂÂč je vous ai inscrit un des premiers, et je crois bien que je vous appellerai au bureau des Ă©missions. " Jantrou l'arrĂÂȘta d'un geste. " Vous ĂÂȘtes bien aimable, je vous remercie... Mais j'ai une affaire Ă vous proposer. " Il ne s'expliqua pas tout de suite, dĂ©buta par des gĂ©nĂ©ralitĂ©s, demanda quelle serait la part des journaux, dans le lancement de la Banque universelle. L'autre prit feu aux premiers mots, dĂ©clara qu'il Ă©tait pour la publicitĂ© la plus large, qu'il y mettrait tout l'argent disponible. Pas une trompette n'Ă©tait Ă dĂ©daigner, mĂÂȘme les trompettes de deux sous, car il posait en axiome que tout bruit Ă©tait bon, en tant que bruit. Le rĂÂȘve serait d'avoir tous les journaux Ă soi ; seulement, ça coĂ»terait trop cher. " Tiens ! est-ce que vous auriez l'idĂ©e de nous organiser notre publicitĂ©. Ce ne serait peut-ĂÂȘtre pas bĂÂȘte. Nous en causerons. " Oui, plus tard, si vous voulez.. Mais qu'est-ce que vous diriez d'un journal Ă vous, complĂštement Ă vous, dont je serais le directeur. Chaque matin, une page vous serait rĂ©servĂ©e, des articles qui chanteraient vos louanges, de simples notes rappelant l'attention sur vous, des allusions dans des Ă©tudes complĂštement Ă©trangĂšres aux finances, enfin une campagne en rĂšgle, Ă propos de tout et de rien, vous exaltant sans relĂÂąche sur l'hĂ©catombe de vos rivaux... Est-ce que ça vous tente ? - Dame ! si ça ne coĂ»tait pas les yeux de la tĂÂȘte. - Non, le prix serait raisonnable. " Et il nomma enfin le journal L'EspĂ©rance , une feuille fondĂ©e, depuis deux ans, par un petit groupe de personnalitĂ©s catholiques, les violents du parti, qui faisaient Ă l'empire une guerre fĂ©roce. Le succĂšs Ă©tait, d'ailleurs, absolument nul, et le bruit de la disparition du journal courait chaque matin. Saccard se rĂ©cria. " Oh ! il ne tire pas Ă deux mille ! - ĂâĄa, ce sera notre affaire, d'arriver Ă un plus gros tirage. - Et puis, c'est impossible il traĂne mon frĂšre dans la boue, je ne peux pas me fĂÂącher avec mon frĂšre dĂšs le dĂ©but. " Jantrou haussa doucement les Ă©paules. " Il ne faut se fĂÂącher avec personne... Vous savez comme moi que, lorsqu'une maison de crĂ©dit a un journal, peu importe qu'il soutienne ou attaque le gouvernement s'il est officieux, la maison est certaine de faire partie de tous les syndicats que forme le ministre des Finances pour assurer le succĂšs des emprunts de l'Etat et des communes ; s'il est opposant, le mĂÂȘme ministre a toutes sortes d'Ă©gards pour la banque qu'il reprĂ©sente, un dĂ©sir de le dĂ©sarmer et de l'acquĂ©rir, qui se traduit souvent par plus de faveurs encore... Ne vous inquiĂ©tez donc pas de la couleur de L'EspĂ©rance . Ayez un journal, c'est une force. " Un instant silencieux, Saccard, avec cette vivacitĂ© d'intelligence qui lui faisait d'un coup s'approprier l'idĂ©e d'un autre, la fouiller, l'adapter Ă ses besoins, au point qu'il la rendait complĂštement sienne, dĂ©veloppait tout un plan. Il achetait L'EspĂ©rance , en Ă©teignait les polĂ©miques acerbes, la mettait aux pieds de son frĂšre qui Ă©tait bien forcĂ© de lui en avoir de la reconnaissance, mais lui conservait son odeur catholique, la gardait comme une menace, une machine toujours prĂÂȘte Ă reprendre sa terrible campagne, au nom des intĂ©rĂÂȘts de la religion. Et, si l'on n'Ă©tait pas aimable avec lui, il brandissait Rome, il risquait le grand coup de JĂ©rusalem. Ce serait un joli tour, pour finir. " Serions-nous libres ? demanda-t-il brusquement. - Absolument libres. Ils en ont assez, le journal est tombĂ© entre les mains d'un gaillard besogneux qui nous le livrera pour une dizaine de mille francs. Nous en ferons ce qu'il nous plaira. " Une minute encore, Saccard rĂ©flĂ©chit. " Eh bien, c'est fait. Prenez rendez-vous, amenez-moi votre homme ici... Vous serez directeur, et je verrai Ă centraliser entre vos mains toute notre publicitĂ©, que je veux exceptionnelle, Ă©norme, oh ! plus tard, quand nous aurons de quoi chauffer sĂ©rieusement la machine. " Il s'Ă©tait levĂ©. Jantrou se leva Ă©galement, cachant sa joie de trouver du pain, sous son rire blagueur de dĂ©classĂ©, las de la boue parisienne. " Enfin, je vais donc rentrer dans mon Ă©lĂ©ment, mes chĂšres belles- lettres ! - N'engagez personne encore, reprit Saccard en le reconduisant. Et, pendant que j'y songe, prenez donc note d'un protĂ©gĂ© Ă moi, de Paul Jordan, un jeune homme Ă qui je trouve un talent remarquable, et dont vous ferez un excellent rĂ©dacteur littĂ©raire. Je vais lui Ă©crire d'aller vous voir. " Jantrou sortait par la porte de dĂ©gagement, lorsque cette heureuse disposition des deux issues le frappa. " Tiens ! c'est commode, dit-il avec sa familiaritĂ©. On escamote le monde... Quand il vient de belles dames, comme celle que j'ai saluĂ©e tout Ă l'heure dans l'anti-chambre, la baronne Sandorff... " Saccard ignorait qu'elle fĂ»t lĂ ; et d'un haussement d'Ă©paules, il voulut dire son indiffĂ©rence ; mais l'autre ricanait, refusait de croire Ă ce dĂ©sintĂ©ressement. Les deux hommes Ă©changĂšrent une vigoureuse poignĂ©e de main. Lorsqu'il fut seul, Saccard, instinctivement, se rapprocha de la glace, releva ses cheveux, oĂÂč pas un fil blanc n'apparaissait encore. Il n'avait pourtant pas menti, les femmes ne le prĂ©occupaient guĂšre, depuis que les affaires le reprenaient tout entier ; et il ne cĂ©dait qu'Ă l'involontaire galanterie qui fait qu'un homme, en France, ne peut se trouver seul avec une femme, sans craindre de passer pour un sot, s'il ne la conquiert pas. DĂšs qu'il eut fait entrer la baronne, il se montra trĂšs empressĂ©. " Madame, je vous en prie, veuillez vous asseoir... " Jamais il ne l'avait vue si Ă©trangement sĂ©duisante, avec ses lĂšvres rouges, ses yeux brĂ»lants, aux paupiĂšres meurtries, enfoncĂ©s sous les sourcils Ă©pais. Que pouvait-elle lui vouloir ? et il demeura surpris, presque dĂ©senchantĂ©, lorsqu'elle lui eut expliquĂ© le motif de sa visite. " Mon Dieu ! monsieur, je vous demande pardon de vous dĂ©ranger, inutilement pour vous ; mais, entre gens du mĂÂȘme monde, il faut bien se rendre de ces petits services... Vous avez eu derniĂšrement un chef de cuisine, que mon mari est sur le point d'engager. Je viens donc tout simplement aux renseignements. " Alors, il se laissa questionner, rĂ©pondit avec la plus grande obligeance, tout en ne la quittant pas du regard ; car il croyait deviner que c'Ă©tait lĂ un prĂ©texte elle se moquait bien du chef de cuisine, elle venait pour autre chose, Ă©videmment. Et, en effet, elle manoeuvra, finit par nommer un ami commun, le marquis de Bohain, qui lui avait parlĂ© de la Banque universelle. On avait tant de peine Ă placer son argent, Ă trouver des valeurs solides ! Enfin, il comprit qu'elle prendrait volontiers des actions, avec la prime de dix pour cent abandonnĂ©e aux syndicataires ; et il comprit mieux encore que, s'il lui ouvrait un compte, elle ne paierait pas. " J'ai ma fortune personnelle, mon mari ne s'en mĂÂȘle jamais. ĂâĄa me donne beaucoup de tracas, ça m'amuse aussi un peu, je l'avoue... N'est- ce pas ? lorsqu'on voit me femme s'occuper d'argent, surtout une jeune femme, ça Ă©tonne, on est tentĂ© de l'en blĂÂąmer... Il y a des jours oĂÂč je suis dans le plus mortel embarras, n'ayant pas d'amis qui veuillent me conseiller. L'autre quinzaine encore, faute d'un renseignement, j'ai perdu une somme considĂ©rable... Ah ! maintenant que vous allez ĂÂȘtre en si bonne position pour savoir, si vous Ă©tiez assez gentil, si vous vouliez... " La joueuse perçait sous la femme du monde, la joueuse ĂÂąpre, enragĂ©e, cette fille des Ladricourt dont un ancĂÂȘtre avait pris Antioche, cette femme d'un diplomate saluĂ©e trĂšs bas par la colonie Ă©trangĂšre de Paris, et que sa passion promenait en solliciteuse louche chez tous les gens de finance. Ses lĂšvres saignaient, ses yeux flambaient davantage, son dĂ©sir Ă©clatait, soulevait la femme ardente qu'elle semblait ĂÂȘtre. Et il eut la naĂÂŻvetĂ© de croire qu'elle Ă©tait venue s'offrir, simplement pour ĂÂȘtre de sa grande affaire et avoir, Ă l'occasion, d'utiles renseignements de Bourse. " Mais, cria-t-il, je ne demande pas mieux, madame, que de mettre Ă vos pieds mon expĂ©rience. " Il avait rapprochĂ© sa chaise, il lui prit la main. Du coup, elle parut dĂ©grisĂ©e. Ah ! non, elle n'en Ă©tait pas encore lĂ , il serait toujours temps qu'elle payĂÂąt d'une nuit la communication d'une dĂ©pĂÂȘche. C'Ă©tait dĂ©jĂ , pour elle, une corvĂ©e abominable que sa liaison avec le procureur gĂ©nĂ©ral Delcambre, cet homme si sec et si jaune, que la ladrerie de son mari l'avait forcĂ©e d'accueillir. Et son indiffĂ©rence sensuelle, le mĂ©pris secret oĂÂč elle tenait l'homme, venait de se montrer en une lassitude blĂÂȘme, sur son visage de fausse passionnĂ©e, que l'espoir du jeu seul enflammait. Elle se leva, dans une rĂ©volte de sa race et de son Ă©ducation, qui lui faisaient encore manquer des affaires. " Alors, monsieur, vous dites que vous Ă©tiez content de ce chef de cuisine ? " EtonnĂ©, Saccard se mit debout Ă son tour. Qu'avait-elle donc espĂ©rĂ© ? qu'il l'inscrirait et la renseignerait pour rien ? DĂ©cidĂ©ment, il fallait se mĂ©fier des femmes, elles apportaient dans les marchĂ©s la plus insigne mauvaise foi. Et, bien qu'il eĂ»t envie de celle-ci, il n'insista pas, il s'inclina avec un sourire qui signifiait " A votre aise, chĂšre madame, quand il vous plaira " , tandis que, tout haut, il disait " TrĂšs content, je vous le rĂ©pĂšte. Une question de rĂ©forme intĂ©rieure m'a seule dĂ©cidĂ© Ă me sĂ©parer de lui. " La baronne Sandorff eut une hĂ©sitation d'une seconde Ă peine, non qu'elle regrettĂÂąt sa rĂ©volte, mais sans doute elle sentait combien il Ă©tait naĂÂŻf de venir chez un Saccard, avant d'ĂÂȘtre rĂ©signĂ©e aux consĂ©quences. Cela l'irritait contre elle-mĂÂȘme, car elle avait la prĂ©tention d'ĂÂȘtre une femme sĂ©rieuse. Elle finit par rĂ©pondre d'une simple inclinaison de tĂÂȘte au respectueux salut dont il la congĂ©diait ; et il l'accompagnait jusqu'Ă la petite porte, lorsque celle-ci fut brusquement ouverte, d'une main familiĂšre. C'Ă©tait Maxime, qui dĂ©jeunait chez son pĂšre, ce matin-lĂ , et qui arrivait en intime, par le couloir. Il s'effaça, salua Ă©galement, pour laisser sortir la baronne. Puis, quand elle fut partie, il eut un lĂ©ger rire. " ĂâĄa commence, ton affaire ? tu touches tes primes ? " MalgrĂ© sa grande jeunesse encore, il avait un aplomb d'homme d'expĂ©rience, incapable de se dĂ©penser inutilement dans un plaisir hasardeux. Son pĂšre comprit son attitude de supĂ©rioritĂ© ironique. " Non, justement, je n'ai rien touchĂ© du tout, et ce n'est point par sagesse, car, mon petit je suis aussi fier d'avoir toujours vingt ans que tu parais l'ĂÂȘtre d'en avoir soixante. " Le rire de Maxime s'accentua, son ancien rire perlĂ© de fille, dont il avait gardĂ© le roucoulement Ă©quivoque, dans l'attitude correcte qu'il s'Ă©tait faite de garçon rangĂ©, dĂ©sireux de ne pas gĂÂąter sa vie davantage. Il affectait la plus grande indulgence, pourvu que rien de lui ne fĂ»t menacĂ©. " Ma foi, tu as bien raison, du moment que ça ne te fatigue pas... Moi, tu sais, j'ai dĂ©jĂ des rhumatismes. " Et, s'installant Ă l'aise dans un fauteuil, prenant un journal " Ne t'occupe pas de moi, finis de recevoir, si je ne te gĂÂȘne pas... Je suis venu trop tĂÂŽt, parce que j'avais Ă passer chez mon mĂ©decin et que je ne l'ai pas trouvĂ©. " A ce moment, le valet de chambre entrait dire que Mme la comtesse de Beauvilliers demandait Ă ĂÂȘtre reçue. Saccard, un peu surpris, bien qu'il eĂ»t dĂ©jĂ rencontrĂ© Ă l'Oeuvre du Travail sa noble voisine, comme il la nommait, donna l'ordre de l'introduire immĂ©diatement ; puis, rappelant le valet, il lui commanda de renvoyer tout le monde, fatiguĂ©, ayant trĂšs faim. Lorsque la comtesse entra, elle n'aperçut mĂÂȘme pas Maxime, que le dossier du grand fauteuil cachait. Et Saccard s'Ă©tonna davantage, en voyant qu'elle avait amenĂ© avec elle sa fille Alice. Cela donnait plus de solennitĂ© Ă la dĂ©marche ces deux femmes si tristes et si pĂÂąles, la mĂšre mince, grande, toute blanche, Ă l'air surannĂ©, la fille vieillie dĂ©jĂ , le cou trop long, jusqu'Ă la disgrĂÂące. Il avança des siĂšges, d'une politesse agitĂ©e, pour mieux montrer sa dĂ©fĂ©rence. " Madame, je suis extrĂÂȘmement honorĂ©... Si j'avais le bonheur de pouvoir vous ĂÂȘtre utile... " D'une grande timiditĂ©, sous son allure hautaine, la comtesse finit par expliquer le motif de sa visite. " Monsieur, c'est Ă la suite d'une conversation avec mon amie, Mme la princesse d'Orviedo, que la pensĂ©e m'est venue de me prĂ©senter chez vous... Je vous avoue que j'ai hĂ©sitĂ© d'abord, car on ne refait pas facilement ses idĂ©es Ă mon ĂÂąge et j'ai toujours eu grand-peur des choses d'aujourd'hui que je ne comprends pas... Enfin, j'en ai causĂ© avec ma fille, je crois qu'il est de mon devoir de passer sur mes scrupules pour tenter d'assurer le bonheur des miens. " Et elle continua, elle dit comment la princesse lui avait parlĂ© de la Banque universelle, certes une main de crĂ©dit telle que les autres, aux yeux des profanes, mais qui, aux yeux des initiĂ©s, allait avoir une excuse sans rĂ©plique, un but tellement mĂ©ritoire et haut, qu'il devait imposer silence aux consciences les plus timorĂ©es. Elle ne prononça ni le nom du pape ni celui de JĂ©rusalem c'Ă©tait lĂ ce qu'on ne disait pas, ce qu'on chuchotait Ă peine entre fidĂšles, le mystĂšre qui passionnait ; mais, de chacune de ses paroles, de ses allusions et de ses sous-entendus, un espoir et une foi se dĂ©gageaient, qui mettaient toute une flamme religieuse dans sa croyance au succĂšs de la nouvelle banque. Saccard lui-mĂÂȘme fut Ă©tonnĂ© de son Ă©motion contenue, du tremblement de sa voix. Il n'avait encore parlĂ© de JĂ©rusalem que dans l'excĂšs lyrique de sa fiĂšvre, il se mĂ©fiait au fond de ce projet fou, y flairant quelque ridicule, disposĂ© Ă l'abandonner et Ă en rire, si des plaisanteries l'accueillaient. Et la dĂ©marche Ă©mue de cette sainte femme qui amenait sa fille, la façon profonde dont elle donnait Ă entendre qu'elle et tous les siens, toute la noblesse française croirait et s'engouerait, le frappait vivement, donnait un corps Ă une rĂÂȘverie pure, Ă©largissait Ă l'infini son champ d'Ă©volution. C'Ă©tait donc vrai qu'il y avait lĂ un levier, dont l'emploi allait lui permettre de soulever le monde ! Avec son assimilation si rapide, il entra d'un coup dans la situation, parla lui-aussi en termes mystĂ©rieux de ce triomphe final qu'il poursuivrait en silence ; et sa parole Ă©tait pĂ©nĂ©trĂ©e de ferveur, il venait rĂ©ellement d'ĂÂȘtre touchĂ© de la foi, de la foi en l'excellence du moyen d'action que la crise traversĂ©e par la papautĂ© lui mettait aux mains. Il avait la facultĂ© heureuse de croire, dĂšs que l'exigeait l'intĂ©rĂÂȘt de ses plans. " Enfin, monsieur, continuait la comtesse, je suis dĂ©cidĂ©e Ă une chose qui m'a rĂ©pugnĂ© jusqu'ici... Oui, l'idĂ©e de faire travailler de l'argent, de le placer Ă intĂ©rĂÂȘts, ne m'est jamais entrĂ©e dans la tĂÂȘte des façons anciennes d'entendre la vie, des scrupules qui deviennent un peu sots, je le sais ; mais, que voulez-vous ? on ne va point aisĂ©ment contre les croyances qu'on a sucĂ©es avec le lait, et je m'imaginais que la terre seule, la grande propriĂ©tĂ© devait nourrir des gens tels que nous... Malheureusement, la grande propriĂ©tĂ©... " Elle rougit faiblement, car elle en arrivait Ă l'aveu de cette ruine qu'elle dissimulait avec tant de soin. " La grande propriĂ©tĂ© n'existe plus guĂšre... Nous autres avons Ă©tĂ© trĂšs Ă©prouvĂ©s... Il ne nous reste plus qu'une ferme. " Saccard, alors, pour lui Ă©viter toute gĂÂȘne, renchĂ©rit, s'enflamma. " Mais, madame, personne ne vit plus de la terre... L'ancienne fortune domaniale est une forme caduque de la richesse, qui a cessĂ© d'avoir sa raison d'ĂÂȘtre. Elle Ă©tait la stagnation mĂÂȘme de l'argent, dont nous avons dĂ©cuplĂ© la valeur, en le jetant dans la circulation, et par le papier-monnaie, et par les titres de toutes sortes, commerciaux et financiers. C'est ainsi que le monde va ĂÂȘtre renouvelĂ©, car rien n'Ă©tait possible sans l'argent, l'argent liquide qui coule, qui pĂ©nĂštre partout, ni les applications de la science, ni la paix finale, universelle... Oh ! la fortune domaniale ! elle est allĂ©e rejoindre les pataches. On meurt avec un million de terres, on vit avec le quart de ce capital placĂ© dans de bonnes affaires, Ă quinze, vingt et mĂÂȘme trente pour cent. " Doucement, avec sa tristesse infinie, la comtesse hocha la tĂÂȘte. " Je ne vous entends guĂšre, et, je vous l'ai dit, je suis restĂ©e d'une Ă©poque oĂÂč ces choses effrayaient, comme des choses mauvaises et dĂ©fendues... Seulement, je ne suis pas seule, je dois surtout songer Ă ma fille. Depuis quelques annĂ©es, j'ai rĂ©ussi Ă mettre de cĂÂŽtĂ©, oh ! une petite somme... " Sa rougeur reparaissait. " Vingt mille francs qui dorment chez moi, dans un tiroir. Plus tard, j'aurais peut-ĂÂȘtre un remords de les avoir laissĂ©s ainsi improductifs ; et, puisque votre oeuvre est bonne, ainsi que me l'a confiĂ© mon amie, puisque vous allez travailler Ă ce que nous souhaitons tous ; de nos voeux les plus ardents, je me risque... Enfin je vous serai reconnaissante, si vous pouvez me rĂ©server des actions de votre banque, pour une somme de dix Ă douze mille francs. J'ai tenu Ă ce que ma fille m'accompagnĂÂąt, car je ne vous cache pas que cet argent est Ă elle. " Jusque-lĂ , Alice n'avait pas ouvert la bouche, l'air effacĂ©, malgrĂ© son vif regard d'intelligence. Elle eut un geste de reproche tendre. " Oh ! Ă moi ! maman, est-ce que j'ai quelque chose Ă moi qui ne soit pas Ă vous ? - Et ton mariage, mon enfant ? - Mais vous savez bien que je ne veux pas me marier ! " Elle avait dit cela trop vite, le chagrin de sa solitude criait dans sa voix grĂÂȘle. Sa mĂšre la fit taire d'un coup d'oeil navrĂ© ; et toutes deux se regardĂšrent un instant, ne pouvant se mentir, dans le partage quotidien de ce qu'elles avaient Ă souffrir et Ă cacher. Saccard Ă©tait trĂšs Ă©mu. " Madame, il n'y aurait plus d'actions, que j'en trouverais quand mĂÂȘme pour vous. Oui, s'il le faut, j'en prendrai sur les miennes... Votre dĂ©marche me touche infiniment, je suis trĂšs honorĂ© de votre confiance... " Et, Ă cet instant, il croyait rĂ©ellement faire la fortune de ces malheureuses, il les associait, pour une part, Ă la pluie d'or qui allait pleuvoir sur lui et autour de lui. Ces dames s'Ă©taient levĂ©es et se retiraient. A la porte seulement, la comtesse se permit une allusion directe Ă la grande affaire dont on ne parlait pas. " J'ai reçu de mon fils Ferdinand, qui est Ă Rome, une lettre dĂ©solante sur la tristesse produite lĂ -bas par l'annonce du retrait de nos troupes. - Patience ! dĂ©clara Saccard avec conviction, nous sommes lĂ pour tout sauver. " Il y eut de profonds saluts, et il les accompagna jusqu'au palier, en passant cette fois Ă travers l'antichambre, qu'il croyait libre. Mais, comme il revenait, il aperçut, assis sur une banquette, un homme d'une cinquantaine d'annĂ©es, grand et sec, vĂÂȘtu en ouvrier endimanchĂ©, qui avait avec lui une jolie fille de dix-huit ans, mince et pĂÂąle. " Quoi ? que voulez-vous ? " La jeune fille s'Ă©tait levĂ©e la premiĂšre, et l'homme, intimidĂ© par cet accueil brusque, se mit Ă bĂ©gayer une explication confuse. " J'avais donnĂ© l'ordre de renvoyer tout le monde ! Pourquoi ĂÂȘtes- vous lĂ ?... Dites-moi votre nom ; au moins. - Dejoie, monsieur, et je viens avec ma fille Nathalie... " De nouveau, il s'embrouilla, si bien que Saccard, impatientĂ©, allait le pousser Ă la porte, lorsqu'il comprit enfin que c'Ă©tait Mme Caroline qui le connaissait depuis longtemps et qui lui avait dit d'attendre. " Ah ! vous ĂÂȘtes recommandĂ© par Mme Caroline. Il fallait le dire tout de suite... Entrez et dĂ©pĂÂȘchez-vous, car j'ai trĂšs faim. Dans le cabinet, il laissa Dejoie et Nathalie debout, ne s'assit pas lui-mĂÂȘme, pour les expĂ©dier plus vite. Maxime qui, Ă la sortie de la comtesse, avait quittĂ© son fauteuil, n'eut plus la discrĂ©tion de s'Ă©carter, dĂ©visageant les nouveaux venus, l'air curieux. Et Dejoie, longuement, racontait son affaire. " Voici, monsieur... J'ai fait mon congĂ©, puis je suis entrĂ© comme garçon de bureau chez M. Durieu, le mari de Mme Caroline, quand il vivait et qu'il Ă©tait brasseur. Puis, je suis entrĂ© chez M. Lamberthier, le facteur Ă la halle. Puis, je suis entrĂ© chez M. Blaisot, un banquier que vous connaissez bien il s'est fait sauter la cervelle, il y a deux mois, et alors je suis sans place... Il faut vous dire, avant tout, que je m'Ă©tais mariĂ©. Oui, j'avais Ă©pousĂ© ma femme JosĂ©phine, quand j'Ă©tais justement chez M. Durieu, et qu'elle Ă©tait, elle, cuisiniĂšre, chez la belle-soeur de monsieur, Mme LĂ©vĂÂȘque, que Mme Caroline a bien connue. Ensuite, quand j'ai Ă©tĂ© chez M. Lamberthier, elle n'a pas pu y entrer, elle s'est placĂ©e chez un mĂ©decin de Grenelle, M. Renaudin. Ensuite, elle est allĂ©e au magasin des Trois-FrĂšres, rue Rambuteau, oĂÂč, comme par un guignon, il n'y a jamais eu de place pour moi... - Bref, interrompit Saccard, vous venez me demander un emploi, n'est-ce pas ? " Mais Dejoie tenait Ă expliquer le chagrin de sa vie, la mauvaise chance qui lui avait fait Ă©pouser une cuisiniĂšre, sans que jamais il eĂ»t rĂ©ussi Ă se placer dans les mĂÂȘmes maisons qu'elle. C'Ă©tait quasiment comme si l'on n'avait pas Ă©tĂ© mariĂ©, n'ayant jamais une chambre Ă tous les deux, se voyant chez les marchands de vin, s'embrassant derriĂšre les portes des cuisines. Et une fille Ă©tait nĂ©e, Nathalie, qu'il avait fallu laisser en nourrice jusqu'Ă huit ans, jusqu'au jour oĂÂč le pĂšre, ennuyĂ© d'ĂÂȘtre seul, l'avait reprise dans son Ă©troit cabinet de garçon. Il Ă©tait ainsi devenu la vraie mĂšre de la petite, l'Ă©levant, la menant Ă l'Ă©cole, la surveillant avec des soins infinis, le coeur dĂ©bordant d'une adoration grandissante. " Ah ! je puis bien dire, monsieur, qu'elle m'a donnĂ© de la satisfaction. C'est instruit, c'est honnĂÂȘte... Et, vous la voyez, il n'y a pas sa pareille pour la gentillesse. " En effet, Saccard la trouvait charmante, cette fleur blonde du pavĂ© parisien, avec sa grĂÂące chĂ©tive, ses larges yeux sous les petits frisons de ses cheveux pĂÂąles. Elle se laissait adorer par son pĂšre, sage encore, n'ayant eu aucun intĂ©rĂÂȘt Ă ne pas l'ĂÂȘtre, d'un fĂ©roce et tranquille Ă©goĂÂŻsme, dans cette clartĂ© si limpide de ses yeux. " Alors donc, monsieur, la voici en ĂÂąge de se marier, et il y a justement un beau parti qui se prĂ©sente, le fils du cartonnier, notre voisin. Seulement, c'est un garçon qui veut s'Ă©tablir, et il demande six mille francs. ĂâĄa n'est pas trop, il pourrait prĂ©tendre Ă une fille qui aurait davantage... Il faut vous dire que j'ai perdu ma femme, il y a quatre ans, et qu'elle nous a laissĂ© des Ă©conomies, ses petits bĂ©nĂ©fices de cuisiniĂšre, n'est-ce pas ?... J'ai quatre mille francs ; mais ça ne fait pas six mille, et le jeune homme est pressĂ©, Nathalie aussi... " La jeune fille qui Ă©coutait, souriante, avec son clair regard si froid et si dĂ©cidĂ©, eut une brusque affirmation du menton. " Bien sĂ»r... Je ne m'amuse pas, je veux en finir, d'une maniĂšre ou d'une autre. " De nouveau, Saccard les interrompit. Il avait jugĂ© l'homme, bornĂ©, mais trĂšs adroit, trĂšs bon, rompu Ă la discipline militaire. Puis, il suffisait qu'il se prĂ©sentĂÂąt au nom de Mme Caroline. " C'est parfait, mon ami... Je vais avoir un journal, je vous prends comme garçon de bureau... Laissez-moi votre adresse, et au revoir. " Cependant, Dejoie ne s'en allait point. Il continua, avec embarras " Monsieur est bien obligeant, j'accepte la place avec reconnaissance, parce qu'il faudra que je travaille, quand j'aurai casĂ© Nathalie... Mais j'Ă©tais venu pour autre chose. Oui, j'ai su, par Mme Caroline et par d'autres personnes encore, que monsieur va se trouver dans de grandes affaires et qu'il pourra faire gagner tout ce qu'il voudra Ă ses amis et connaissances... Alors, si monsieur voulait bien s'intĂ©resser Ă nous, si monsieur consentait Ă nous donner de ses actions... " Saccard, une seconde fois, fut Ă©mu, plus Ă©mu qu'il ne venait de l'ĂÂȘtre, la premiĂšre lorsque la comtesse lui avait confiĂ©, elle aussi, la dot de sa fille. Cet homme simple, ce tout petit capitaliste aux Ă©conomies grattĂ©es sou Ă sou, n'Ă©tait-ce pas la foule croyante, confiante, la grande foule qui fait les clientĂšles nombreuses et solides, l'armĂ©e fanatisĂ©e qui arme une maison de crĂ©dit d'une force invincible ? si ce brave homme accourait ainsi, avant toute publicitĂ©, que serait-ce lorsque les guichets seraient ouverts ? Son attendrissement souriait Ă ce premier petit actionnaire, il voyait lĂ le prĂ©sage d'un gros succĂšs. " Entendu, mon ami, vous aurez des actions. " La face de Dejoie rayonna, comme Ă l'annonce d'une grĂÂące inespĂ©rĂ©e. " Monsieur est trop bon... N'est-ce pas ? en six mois, de façon Ă complĂ©ter la somme... Et, puisque monsieur je puis bien, avec mes quatre mille, en gagner deux mille, y consent, j'aime mieux rĂ©gler ça tout de suite. J'ai apportĂ© l'argent. " Il se fouilla, tira une enveloppe, qu'il tendit Ă Saccard, immobile, silencieux, saisi d'une admiration charmĂ©e, Ă ce dernier trait. Et le terrible corsaire, qui avait dĂ©jĂ Ă©cumĂ© tant de fortunes, finit par Ă©clater d'un bon rire, rĂ©solu honnĂÂȘtement Ă l'enrichir aussi, cet homme de foi. " Mais, mon brave, ça ne se fait point ainsi... Gardez votre argent, je vous inscrirai, et vous paierez en temps et lieu. " Cette fois, il les congĂ©dia, aprĂšs que Dejoie l'eut tait remercier par Nathalie, dont un sourire de contentement Ă©clairait les beaux yeux durs et candides. Lorsque Maxime se retrouva enfin seul avec son pĂšre, il dit, de son air d'insolence moqueuse " VoilĂ que tu dotes les jeunes filles, maintenant. - Pourquoi pas ? rĂ©pondit gaiement Saccard. C'est un bon placement que le bonheur des autres. " Il rangeait quelques papiers, avant de quitter son cabinet. Puis, brusquement " Et toi, tu n'en veux pas, des actions ? " Maxime, qui marchait Ă petits pas, se retourna d'un sursaut, se planta devant lui. " Ah ! non, par exemple ! Est-ce que tu me prends pour un imbĂ©cile ? " Saccard eut un geste de colĂšre, trouvant la rĂ©ponse d'un irrespect et d'un esprit dĂ©plorables, prĂÂȘt Ă lui crier que l'affaire Ă©tait rĂ©ellement superbe, qu'il le jugeait vraiment trop bĂÂȘte, s'il le croyait un simple voleur, comme les autres. Mais, en le regardant, une pitiĂ© lui vint de son pauvre garçon, Ă©puisĂ© Ă vingt-cinq ans, rangĂ©, avare mĂÂȘme, si vieilli de vices, si inquiet de sa santĂ©, qu'il ne risquait plus une dĂ©pense ni une jouissance, sans en avoir rĂ©glementĂ© le bĂ©nĂ©fice. Et, tout consolĂ©, tout fier de l'imprudence passionnĂ©e de ses cinquante ans, il se remit Ă rire, il lui tapa sur l'Ă©paule. " Tiens ! allons dĂ©jeuner, mon pauvre petit, et soigne tes rhumatismes. Ce fut le surlendemain, le 5 octobre, que Saccard, assistĂ© d'Hamelin et de Daigremont, se rendit chez maĂtre Lelorrain, notaire, rue Sainte- Anne ; et l'acte fut reçu, qui constituait, sous la dĂ©nomination de sociĂ©tĂ© de la Banque universelle, une sociĂ©tĂ© anonyme, au capital de vingt-cinq millions, divisĂ© en cinquante mille actions de cinq cents francs chacune, dont le quart seul Ă©tait exigible. Le siĂšge de la sociĂ©tĂ© Ă©tait fixĂ© rue Saint-Lazare, Ă l'hĂÂŽtel d'Orviedo. Un exemplaire des statuts, dressĂ©s suivant l'acte, fut dĂ©posĂ© en l'Ă©tude de maĂtre Lelorrain. Il faisait, ce jour-lĂ , un trĂšs clair soleil d'automne, et ces messieurs, lorsqu'ils sortirent de chez le notaire, allumĂšrent des cigares, remontĂšrent doucement par le boulevard et la rue de la ChaussĂ©e-d'Antin, heureux de vivre, s'Ă©gayant comme des collĂ©giens Ă©chappĂ©s. L'assemblĂ©e gĂ©nĂ©rale constitutive n'eut lieu que la semaine suivante, rue Blanche, dans la salle d'un petit bal qui avait fait faillite, et oĂÂč un industriel tĂÂąchait d'organiser des expositions de peinture. DĂ©jĂ , les syndicataires avaient placĂ© celles des actions souscrites par eux, qu'ils ne gardaient pas ; et il vint cent vingt-deux actionnaires, reprĂ©sentant prĂšs de quarante mille actions, ce qui aurait dĂ» donner un total de deux mille voix, le chiffre de vingt actions Ă©tant nĂ©cessaire pour avoir le droit de siĂ©ger et de voter. Cependant, comme un actionnaire ne pouvait exprimer plus de dix voix, quel que fĂ»t le chiffre de ses titres, le nombre exact des suffrages fut de seize cent quarante-trois. Saccard tint absolument Ă ce qu'Hamelin prĂ©sidĂÂąt. Lui, s'Ă©tait volontairement perdu dans le troupeau, il avait inscrit l'ingĂ©nieur, et s'Ă©tait inscrit lui-mĂÂȘme, chacun pour cinq cents actions, qu'il devait payer par un jeu d'Ă©critures. Tous les syndicataires Ă©taient lĂ Daigremont, Huret, SĂ©dille, Kolb, le marquis de Bohain, chacun avec le groupe d'actionnaires qui marchait sous ses ordres. On remarquait Ă©galement Sabatani, un des plus gros souscripteurs, ainsi que Jantrou, au milieu de plusieurs des hauts employĂ©s de la banque, en fonctions depuis l'avant-veille. Et toutes les dĂ©cisions Ă prendre avaient Ă©tĂ© si bien prĂ©vues et rĂ©glĂ©es d'avance, que jamais assemblĂ©e constitutive ne fut si belle de calme, de simplicitĂ© et de bonne entente. A l'unanimitĂ© des voix, on reconnut sincĂšre la dĂ©claration de la souscription intĂ©grale du capital, ainsi que celle du versement des cent vingt-cinq francs par action. Puis, solennellement, on dĂ©clara la sociĂ©tĂ© constituĂ©e. Le conseil d'administration fut ensuite nommĂ© il devait se composer de vingt membres qui, outre les jetons de prĂ©sence, chiffrĂ©s Ă un total annuel de cinquante mille francs, auraient Ă toucher, d'aprĂšs un article des statuts, le dix pour cent sur les bĂ©nĂ©fices. Cela n'Ă©tant pas Ă dĂ©daigner, chaque syndicataire avait exigĂ© de faire partie du conseil ; et Daigremont, Huret, SĂ©dille, Kolb, le marquis de Bohain ainsi qu'Hamelin, que l'on voulait porter Ă la prĂ©sidence, passĂšrent naturellement en tĂÂȘte de liste, avec quatorze autres de moindre importance, triĂ©s parmi les plus obĂ©issants et les plus dĂ©coratifs des actionnaires. Enfin, Saccard, restĂ© dans l'ombre jusque-lĂ , apparut lorsque, le moment de choisir un directeur Ă©tant arrivĂ©, Hamelin le proposa. Un murmure sympathique accueillit son nom, il obtint lui aussi l'unanimitĂ©. Et il n'y avait plus qu'Ă Ă©lire les deux commissaires censeurs, chargĂ©s de prĂ©senter Ă l'assemblĂ©e un rapport sur le bilan et de contrĂÂŽler ainsi les comptes fournis par les administrateurs fonction dĂ©licate autant qu'inutile, pour laquelle Saccard avait dĂ©signĂ© un sieur Rousseau et un sieur LavigniĂšre, le premier complĂštement infĂ©odĂ© au second, celui-ci grand, blond, trĂšs poli, approuvant toujours, dĂ©vorĂ© de l'envie d'entrer plus tard dans le conseil, lorsqu'on serait content de ses services. Rousseau et LavigniĂšre nommĂ©s, on allait lever la sĂ©ance, lorsque le prĂ©sident crut devoir parler de la prime de dix pour cent accordĂ©e aux syndicataires, en tout quatre cent mille francs, que l'assemblĂ©e, sur sa proposition, passa aux frais de premier Ă©tablissement. C'Ă©tait une vĂ©tille, il fallait bien faire la part du feu ; et, laissant la foule des petits actionnaires s'Ă©couler avec le piĂ©tinement d'un troupeau, les gros souscripteurs restĂšrent les derniers, Ă©changĂšrent encore sur le trottoir des poignĂ©es de main, l'air souriant. DĂšs le lendemain, le conseil se rĂ©unit Ă l'hĂÂŽtel d'Orviedo, dans l'ancien salon de Saccard, transformĂ© en salle des sĂ©ances. Une vaste table, recouverte d'un tapis de velours vert, entourĂ©e de vingt fauteuils tendus de la mĂÂȘme Ă©toffe, en occupait le centre ; et il n'y avait pas d'autres meubles que deux corps de bibliothĂšque, aux vitres garnies Ă l'intĂ©rieur de petits rideaux de soie Ă©galement verte. Les tentures d'un rouge foncĂ© assombrissaient la piĂšce, dont les trois fenĂÂȘtres ouvraient sur le jardin de l'hĂÂŽtel Beauvilliers. Il ne venait de lĂ qu'un jour crĂ©pusculaire, comme une paix de vieux cloĂtre, endormi sous l'ombre verte de ses arbres. Cela Ă©tait sĂ©vĂšre et noble, on entrait dans une honnĂÂȘtetĂ© antique. Le conseil se rĂ©unissait pour former son bureau ; et il se trouva presque tout de suite au grand complet, comme sonnaient quatre heures. Le marquis de Bohain, avec sa grande taille, sa petite tĂÂȘte blĂÂȘme et aristocratique, Ă©tait vraiment trĂšs vieille France ; tandis que Daigremont, affable, reprĂ©sentait la haute fortune impĂ©riale, dans son succĂšs fastueux. SĂ©dille, moins tourmentĂ© que de coutume, causait avec Kolb d'un mouvement imprĂ©vu qui venait de se produire sur le marchĂ© de Vienne ; et, autour d'eux, les deux autres administrateurs, la bande, Ă©coutaient, tĂÂąchaient de saisir un renseignement, ou bien s'entretenaient aussi de leurs occupations personnelles, n'Ă©tant lĂ que pour faire nombre et pour ramasser leur part, les jours de butin. Ce fut, comme toujours, Huret qui arriva en retard, essoufflĂ©, Ă©chappĂ© Ă la derniĂšre minute d'une commission de la Chambre. Il s'excusa, et l'on s'assit sur les fauteuils, entourant la table. Le doyen d'ĂÂąge, le marquis de Bohain, avait pris place au fauteuil prĂ©sidentiel, un fauteuil plus haut et plus dorĂ© que les autres. Saccard, comme directeur, s'Ă©tait placĂ© en face de lui. Et, immĂ©diatement, lorsque le marquis eut dĂ©clarĂ© qu'on allait procĂ©der Ă la nomination du prĂ©sident, Hamelin se leva, pour dĂ©cliner toute candidature il croyait savoir que plusieurs de ces messieurs avaient songĂ© Ă lui pour la prĂ©sidence ; mais il leur faisait remarquer qu'il devait partir dĂšs le lendemain pour l'Orient, qu'il Ă©tait en outre d'une inexpĂ©rience absolue en matiĂšre de comptabilitĂ©, de banque et de Bourse, qu'enfin il y avait lĂ une responsabilitĂ© dont il ne pouvait accepter le poids. TrĂšs surpris, Saccard l'Ă©coutait, car, la veille encore, la chose Ă©tait entendue ; et il devinait l'influence de Mme Caroline sur son frĂšre, sachant que, le matin, ils avaient eu une longue conversation ensemble. Aussi, ne voulant pas d'un autre prĂ©sident qu'Hamelin, quelque indĂ©pendant qui le gĂÂȘnerait peut-ĂÂȘtre, se permit-il d'intervenir, en expliquant que la fonction Ă©tait surtout honorifique, qu'il suffisait que le prĂ©sident fĂt acte de prĂ©sence, au moment des assemblĂ©es gĂ©nĂ©rales, pour appuyer les propositions du conseil et prononcer les discours d'usage. D'ailleurs, on allait Ă©lire un vice-prĂ©sident qui donnerait les signatures. Et, pour le reste, pour la partie purement technique, la comptabilitĂ©, la Bourse, les mille dĂ©tails intĂ©rieurs d'une grande maison de crĂ©dit, est-ce qu'il ne serait pas lĂ , lui, Saccard, le directeur, justement nommĂ© Ă cet effet ? Il devait, d'aprĂšs les statuts, diriger le travail des bureaux, effectuer les recettes et les dĂ©penses, gĂ©rer les affaires courantes, assurer les dĂ©libĂ©rations du conseil, ĂÂȘtre en un mot le pouvoir exĂ©cutif de la sociĂ©tĂ©. Ces raisons semblaient bonnes. Hamelin ne s'en dĂ©battit pas moins longtemps encore, il fallut que Daigremont et Huret insistassent eux-mĂÂȘmes de la maniĂšre la plus pressante. Majestueux, le marquis de Bohain se dĂ©sintĂ©ressait. Enfin, l'ingĂ©nieur cĂ©da, il fut nommĂ© prĂ©sident, et l'on choisit pour vice-prĂ©sident un obscur agronome, ancien conseiller d'Etat, le vicomte de Robin-Chagot, homme doux et ladre, excellente machine Ă signatures. Quant au secrĂ©taire, il fut pris en dehors du conseil, dans le personnel des bureaux de la banque, le chef du service des Ă©missions. Et, comme la nuit venait, dans la grande piĂšce grave, une ombre verdie d'une infinie tristesse, on jugea la besogne bonne et suffisante, on se sĂ©para aprĂšs avoir rĂ©glĂ© les sĂ©ances Ă deux par mois, le petit conseil le quinze, et le grand conseil le trente. Saccard et Hamelin remontĂšrent ensemble dans la salle des Ă©pures, oĂÂč Mme Caroline les attendait. Elle vit bien tout de suite, Ă l'embarras de son frĂšre, qu'il venait de cĂ©der une fois encore, par faiblesse ; et, un instant, elle en fut trĂšs fĂÂąchĂ©e. " Mais, voyons, ce n'est pas raisonnable ! cria Saccard. Songez que le prĂ©sident touche trente mille francs, chiffre qui sera doublĂ©, lorsque nos affaires s'Ă©tendront. Vous n'ĂÂȘtes pas assez riches pour dĂ©daigner cet avantage... Et que craignez-vous, dites ? - Mais je crains tout, rĂ©pondit Mme Caroline. Mon frĂšre ne sera pas lĂ , moi-mĂÂȘme je n'entends rien Ă l'argent... Tenez ! ces cinq cents actions que vous avez inscrites pour lui sans qu'il les paie tout de suite, eh bien, n'est-ce pas irrĂ©gulier, ne serait-il pas en faute, si l'opĂ©ration tournait mal ? " Il s'Ă©tait mis Ă rire. " Une belle histoire ! cinq cents actions, un premier versement de soixante-deux mille cinq cents francs ! Si, au premier bĂ©nĂ©fice, avant six mois, il ne pouvait rembourser cela, autant vaudrait-il nous aller jeter sur-le-champ Ă la Seine, plutĂÂŽt que de nous donner le souci de rien entreprendre... Non, vous pouvez ĂÂȘtre tranquille, la spĂ©culation ne dĂ©vore que les maladroits. " Elle restait sĂ©vĂšre, dans l'ombre croissante de la piĂšce. Mais on apporta deux lampes, et les murs furent largement Ă©clairĂ©s, les vastes plans, les aquarelles vives, qui la faisaient si souvent rĂÂȘver des pays de lĂ -bas. La plaine encore Ă©tait nue, les montagnes barraient l'horizon, elle Ă©voquait la dĂ©tresse de ce vieux monde endormi sur ses trĂ©sors, et que la science alliait rĂ©veiller dans sa crasse et dans son ignorance. Que de grandes et belles et bonnes choses Ă accomplir ! Peu Ă peu, une vision lui montrait des gĂ©nĂ©rations nouvelles, toute une humanitĂ© plus forte et plus heureuse poussant de l'antique sol, labourĂ© Ă nouveau par le progrĂšs. " La spĂ©culation, la spĂ©culation, rĂ©pĂ©ta-t-elle machinalement, combattue de doute. Ah ! j'en ai le coeur troublĂ© d'angoisse. " Saccard, qui connaissait bien ses habituelles pensĂ©es, avait suivi sur son visage cet espoir de l'avenir. " Oui, la spĂ©culation. Pourquoi ce mot vous fait-il peur ?... Mais la spĂ©culation, c'est l'appĂÂąt mĂÂȘme de la vie, c'est l'Ă©ternel dĂ©sir qui force Ă lutter et Ă vivre... Si j'osais une comparaison, je vous convaincrais... " Il riait de nouveau, pris d'un scrupule de dĂ©licatesse. Puis, il osa tout de mĂÂȘme, volontiers brutal devant les femmes. " Voyons, pensez-vous que sans... comment dirai-je ? sans la luxure, on ferait beaucoup d'enfants ?... Sur cent enfants qu'on manque de faire, il arrive qu'on en fabrique un Ă peine. C'est l'excĂšs qui amĂšne le nĂ©cessaire, n'est-ce pas ? - Certes, rĂ©pondit-elle, gĂÂȘnĂ©e. - Eh bien, sans la spĂ©culation, on ne ferait pas d'affaires, ma chĂšre amie... Pourquoi diable voulez-vous que je sorte mon argent, que je risque ma fortune, si vous ne me promettez pas une jouissance extraordinaire, un brusque bonheur qui m'ouvre le ciel ?... Avec la rĂ©munĂ©ration lĂ©gitime et mĂ©diocre du travail, le sage Ă©quilibre des transactions quotidiennes, c'est un dĂ©sert d'une platitude extrĂÂȘme que l'existence, un marais oĂÂč toutes les forces dorment et croupissent ; tandis que, violemment, faites flamber un rĂÂȘve Ă l'horizon, promettez qu'avec un sou on en gagnera cent, offrez Ă tous ces endormis de se mettre Ă la chasse de l'impossible, des millions conquis en deux heures, au milieu des plus effroyables casse-cou ; et la course commence, les Ă©nergies sont dĂ©cuplĂ©es, la bousculade est telle, que, tout en suant uniquement pour leur plaisir, les gens arrivent parfois Ă faire des enfants, je veux dire des choses vivantes, grandes et belles... Ah ! dame ! il y a beaucoup de saletĂ©s inutiles, mais certainement le monde finirait sans elles. " Mme Caroline s'Ă©tait dĂ©cidĂ©e Ă rire, elle aussi ; car elle n'avait point de pruderie. " Alors, dit-elle, votre conclusion est qu'il faut s'y rĂ©signer, puisque cela est dans le plan de la nature... Vous avez raison, la vie n'est pas propre. " Et une vĂ©ritable bravoure lui Ă©tait venue, Ă cette idĂ©e que chaque pas en avant s'Ă©tait fait dans le sang et la boue. Il fallait vouloir. Le long des murs, ses yeux n'avaient pas quittĂ© les plans et les dessins, et l'avenir s'Ă©voquait, des ports, des canaux, des routes, des chemins de fer, des campagnes aux fermes immenses et outillĂ©es comme des usines, des villes nouvelles, saines, intelligentes, oĂÂč l'on vivait trĂšs vieux et trĂšs savant. " Allons, reprit-elle gaiement, il faut bien que je cĂšde, comme toujours... TĂÂąchons de faire un peu de bien pour qu'on nous pardonne. " Son frĂšre, restĂ© silencieux, s'Ă©tait approchĂ© et l'embrassait. Elle le menaça du doigt. " Oh ! toi, tu es un cĂÂąlin. Je te connais... Demain, quand tu nous auras quittĂ©s, tu ne t'inquiĂ©teras guĂšre de savoir ce qui se passe ici ; et, lĂ -bas, dĂšs que tu te seras enfoncĂ© dans tes travaux, tout ira bien, tu rĂÂȘveras de triomphe, pendant que l'affaire craquera sous nos pieds peut-ĂÂȘtre. - Mais, cria plaisamment Saccard, puisqu'il est entendu qu'il vous laisse prĂšs de moi comme un gendarme, pour m'empoigner, si je me conduis mal ! " Tous trois Ă©clatĂšrent. " Et vous pouvez y compter, que je vous empoignerais !... Rappelez- vous ce que vous nous avez promis Ă nous d'abord, puis Ă tant d'autres, par exemple Ă mon brave Dejoie, que je vous recommande bien... Ah ! et Ă nos voisines aussi, ces pauvres dames de Beauvilliers, que j'ai vues aujourd'hui surveillant le lavage de quelques nippes fait par leur cuisiniĂšre, sans doute pour diminuer le compte de la blanchisseuse. " Un instant encore, ils causĂšrent trĂšs amicalement tous trois, et le dĂ©part d'Hamelin fut rĂ©glĂ© d'une façon dĂ©finitive. Comme Saccard redescendait Ă son cabinet, le valet de chambre lui dit qu'une femme s'Ă©tait obstinĂ©e Ă l'attendre, bien qu'il lui eĂ»t rĂ©pondu qu'il y avait conseil et que monsieur ne pourrait sans doute pas la recevoir. D'abord, fatiguĂ©, il s'emporta, donna l'ordre de la renvoyer ; puis, la pensĂ©e qu'il se devait au succĂšs, la crainte de changer la veine, s'il fermait sa porte, le firent se raviser. Le flot des solliciteurs augmentait chaque jour, et cette foule lui apportait une ivresse. Une seule lampe Ă©clairait le cabinet, il ne voyait pas bien la visiteuse. " C'est M. Busch qui m'envoie, monsieur... " La colĂšre le tint debout, et il ne lui dit mĂÂȘme pas de s'asseoir. Cette voix grĂÂȘle, dans ce corps dĂ©bordant, venait de lui faire reconnaĂtre Mme MĂ©chain. Une jolie actionnaire, cette acheteuse d'actions Ă la livre ! Elle, tranquillement, expliquait que Busch l'envoyait pour avoir des renseignements sur l'Ă©mission de la Banque universelle. Restait-il des titres disponibles ? Pouvait-on espĂ©rer en obtenir, avec la prime accordĂ©e aux syndicataires ? Mais ce n'Ă©tait lĂ , sĂ»rement, qu'un prĂ©texte, une façon d'entrer, de voir la maison, d'espionner ce qu'il s'y faisait, et de le tĂÂąter lui-mĂÂȘme ; car ses yeux minces percĂ©s Ă la vrille dans la graisse de son visage, furetaient partout, revenaient sans cesse le fouiller jusqu'Ă l'ĂÂąme. Busch, aprĂšs avoir patientĂ© longtemps, mĂ»rissant la fameuse affaire de l'enfant abandonnĂ©, se dĂ©cidait Ă agir et l'envoyait en Ă©claireur. " Il n'y a plus rien " , rĂ©pondit brutalement Saccard. Elle sentit qu'elle n'en apprendrait pas davantage, qu'il serait imprudent de tenter quelque chose. Aussi, ce jour-lĂ , sans lui laisser le temps de la pousser dehors, fit-elle d'elle-mĂÂȘme un pas vers la porte. " Pourquoi ne me demandez-vous pas des actions pour vous ? " reprit- il, voulant ĂÂȘtre blessant. De sa voix zĂ©zayante, sa voix pointue qui avait l'air de se moquer, elle rĂ©pondit " Oh ! moi, ce n'est pas mon genre d'opĂ©rations... Moi, j'attends. " Et, Ă cette minute, ayant aperçu le vaste sac de cuir usĂ©, qui ne la quittait point, il fut traversĂ© d'un frisson. Un jour oĂÂč tout avait marchĂ© Ă souhait, le jour oĂÂč il Ă©tait si heureux de voir naĂtre enfin la maison de crĂ©dit tant dĂ©sirĂ©e, est-ce que cette vieille coquine allait ĂÂȘtre la fĂ©e mauvaise, celle qui jette un sort sur les princesses au berceau ? Il le sentait plein de valeurs dĂ©prĂ©ciĂ©es, de titres dĂ©classĂ©s, ce sac qu'elle venait promener dans les bureaux de sa banque naissante ; il croyait comprendre qu'elle menaçait d'attendre aussi longtemps qu'il serait nĂ©cessaire, pour y enterrer Ă leur tour ses actions Ă lui, quand la maison croulerait. C'Ă©tait le cri du corbeau qui part avec l'armĂ©e en marche, la suit jusqu'au soir du carnage, plane et s'abat, sachant qu'il y aura des morts Ă manger. " Au revoir, monsieur " , dit la MĂ©chain en se retirant, essoufflĂ©e et trĂšs polie. V - Un mois plus tard, dans les premiers jours de novembre, l'installation de la Banque universelle n'Ă©tait pas terminĂ©e. Il y avait encore des menuisiers qui posaient des boiseries, des peintres qui achevaient de mastiquer l'Ă©norme toiture vitrĂ©e dont on avait couvert la cour. Cette lenteur venait de Saccard, qui, mĂ©content de la mesquinerie de l'installation, prolongeait les travaux par des exigences de luxe ; et, ne pouvant repousser les murs, pour contenter son continuel rĂÂȘve de l'Ă©norme, il avait fini par se fĂÂącher et par se dĂ©charger sur Mme Caroline du soin de congĂ©dier enfin les entrepreneurs. Celle-ci surveillait donc la pose des derniers guichets. Il y avait un nombre de guichets extraordinaire ; la cour, transformĂ©e hall central, en Ă©tait entourĂ©e guichets grillagĂ©s, sĂ©vĂšres et dignes, surmontĂ©s de belles plaques de cuivre, portant les indications en lettres noires. En somme, l'amĂ©nagement, bien que rĂ©alisĂ© dans un local un peu Ă©troit, Ă©tait d'une disposition heureuse au rez-de-chaussĂ©e, les services qui devaient ĂÂȘtre en relation suivie avec le public, les diffĂ©rentes caisses, les Ă©missions, toutes les opĂ©rations courantes de banque ; et, en haut, le mĂ©canisme en quelque sorte intĂ©rieur, la direction, la correspondance, la comptabilitĂ©, les bureaux du contentieux et du personnel. Au total, dans un espace si resserrĂ©, s'agitaient lĂ plus de deux cent employĂ©s. Et ce qui frappait dĂ©jĂ , en entrant, mĂÂȘme au milieu de la bousculade des ouvriers, finissant de taper leurs clous, c'Ă©tait cet air de sĂ©vĂ©ritĂ©, un air de probitĂ© antique, fleurant vaguement la sacristie, qui provenait sans doute du local, de ce vieil hĂÂŽtel humide et noir, silencieux, Ă l'ombre des arbres du jardin voisin. On avait la sensation de pĂ©nĂ©trer dans une maison dĂ©vote. Un aprĂšs-midi, revenant de la Bourse, Saccard lui-mĂÂȘme eut cette sensation, qui le surprit. Cela le consola des dorures absentes. Il tĂ©moigna de son contentement Ă Mme Caroline. " Eh bien, tout de mĂÂȘme, pour commencer, c'est gentil. On a l'air en famille, une vraie petite chapelle. Plus tard, on verra... Merci, ma belle amie, de la peine que vous vous donnez, depuis que votre frĂšre est absent. Et, comme il avait pour principe d'utiliser les circonstances imprĂ©vues, il s'ingĂ©nia dĂšs lors Ă dĂ©velopper cette apparence austĂšre de la maison, il exigea de ses employĂ©s une tenue de jeunes officiants, on ne parla plus que d'une voix mesurĂ©e, on reçut et on donna l'argent avec une discrĂ©tion toute clĂ©ricale. Jamais Saccard, dans sa vie tumultueuse, ne s'Ă©tait dĂ©pensĂ© avec autant d'activitĂ©. Le matin, dĂšs sept heures, avant tous les employĂ©s, et avant mĂÂȘme que le garçon de bureau eĂ»t allumĂ© le feu, il Ă©tait dans son cabinet, Ă dĂ©pouiller le courrier, Ă rĂ©pondre dĂ©jĂ aux lettres les plus pressĂ©es. Puis, c'Ă©tait, jusqu'Ă onze heures, un interminable galop, les amis et les clients considĂ©rables, les agents de change, les coulissiers, les remisiers, toute la nuĂ©e de la finance ; sans compter le dĂ©filĂ© des chefs de service de la maison venant aux ordres. Lui-mĂÂȘme, dĂšs qu'il avait une minute de rĂ©pit, se levait, faisait une rapide inspection des divers bureaux, oĂÂč les employĂ©s vivaient dans la terreur de ses apparitions brusques, qui se produisaient Ă des heures sans cesse diffĂ©rentes. A onze heures il montait dĂ©jeuner avec Mme Caroline, mangeait largement, buvait de mĂÂȘme, avec une aisance d'homme maigre, sans en ĂÂȘtre incommodĂ© ; et l'heure pleine qu'il employait lĂ n'Ă©tait pas perdue, car c'Ă©tait le moment oĂÂč, comme il le disait, il confessait sa belle amie, c'est-Ă -dire oĂÂč il lui demandait son avis sur les hommes et sur les choses, quitte Ă ne pas savoir le plus souvent profiter de sa grande sagesse. A midi, il sortait, allait Ă la Bourse, voulant y ĂÂȘtre un des premiers, pour voir et causer. Du reste, il ne jouait pas ouvertement, se trouvait lĂ ainsi qu'Ă un rendez-vous naturel, oĂÂč il Ă©tait certain de rencontrer les clients de sa banque. Pourtant, son influence s'y indiquait dĂ©jĂ , il y Ă©tait rentrĂ© en victorieux, en homme solide, appuyĂ© dĂ©sormais sur de vrais millions ; et les malins se parlaient Ă voix basse en le regardant, chuchotaient des rumeurs extraordinaires, lui prĂ©disaient la royautĂ©. Vers trois heures et demie, il Ă©tait toujours rentrĂ©, il s'attelait Ă la fastidieuse besogne des signatures, tellement entraĂnĂ© Ă cette course mĂ©canique de la main, qu'il mandait des employĂ©s, donnait des rĂ©ponses, rĂ©glait des affaires, la tĂÂȘte libre et parlant Ă l'aise, sans discontinuer de signer. Jusqu'Ă six heures, il recevait encore des visites, terminait le travail du jour, prĂ©parait celui du lendemain. Et, quand il remontait prĂšs de Mme Caroline, c'Ă©tait pour un repas plus copieux que celui de onze heures, des poissons fins et du gibier surtout, avec des caprices de vins qui le faisaient dĂner au bourgogne, au bordeaux, au champagne, selon l'heureux emploi de sa journĂ©e. " Dites que je ne suis pas sage ! s'Ă©criait-il parfois, en riant. Au lieu de courir les femmes, les cercles, les thĂ©ĂÂątres, je vis lĂ , en bon bourgeois, prĂšs de vous... Il faut Ă©crire cela Ă votre frĂšre, pour le rassurer. " Il n'Ă©tait pas si sage qu'il le prĂ©tendait, ayant eu, Ă cette Ă©poque, la fantaisie d'une petite chanteuse des Bouffes ! et il s'Ă©tait mĂÂȘme un jour oubliĂ©, Ă son tour, chez Germaine Coeur, oĂÂč il n'avait trouvĂ© aucune satisfaction. La vĂ©ritĂ© Ă©tait que, le soir, il tombait de fatigue. Il vivait, d'ailleurs, dans un tel dĂ©sir, dans une telle anxiĂ©tĂ© du succĂšs, que ses autres appĂ©tits allaient en rester comme diminuĂ©s et paralysĂ©s, tant qu'il ne se sentirait pas triomphant, maĂtre indiscutĂ© de la fortune. " Bah ! rĂ©pondait gaiement Mme Caroline, mon frĂšre a toujours Ă©tĂ© si sage, que la sagesse est pour lui une condition de nature, et non un mĂ©rite... Je lui ai Ă©crit hier que je vous avais dĂ©terminĂ© Ă ne pas faire redorer la salle du conseil. Cela lui fera plus de plaisir. " Ce fut donc par un aprĂšs-midi trĂšs froid des premiers jours de novembre, au moment oĂÂč Mme Caroline donnait au maĂtre peintre l'ordre de lessiver simplement les peintures de cette salle, qu'on lui apporta une carte, en lui disant que la personne insistait beaucoup pour la voir. La carte, malpropre, portait le nom de Busch, imprimĂ© grossiĂšrement. Elle ne connaissait pas ce nom, elle donna l'ordre de faire monter chez elle, dans le cabinet de son frĂšre, oĂÂč elle recevait. Si Busch, depuis bientĂÂŽt six grands mois, patientait, n'utilisait pas l'extraordinaire dĂ©couverte qu'il avait faite d'un fils naturel de Saccard, c'Ă©tait d'abord pour les raisons qu'il avait pressenties, le mĂ©diocre rĂ©sultat qu'il y aurait Ă tirer seulement de lui les six cents francs de billets souscrits Ă la mĂšre, la difficultĂ© extrĂÂȘme de le faire chanter pour en obtenir davantage, une somme raisonnable de quelques milliers de francs. Un homme veuf, libre de toutes entraves, que le scandale n'effrayait guĂšre, comment le terroriser, lui faire payer cher ce vilain cadeau d'un enfant de hasard, poussĂ© dans la boue, graine de souteneur et d'assassin ? Sans doute, la MĂ©chain avait laborieusement dressĂ© un gros compte de frais, environ six mille francs des piĂšces de vingt sous prĂÂȘtĂ©es Ă Rosalie Chavaille, sa cousine, la mĂšre du petit, puis ce que lui avait coĂ»tĂ© la maladie de la malheureuse, son enterrement, l'entretien de sa tombe, enfin ce qu'elle dĂ©pensait pour Victor lui-mĂÂȘme depuis qu'il Ă©tait tombĂ© Ă sa charge, la nourriture, les vĂÂȘtements, un tas de choses. Mais, dans le cas oĂÂč Saccard n'aurait point la paternitĂ© tendre, n'Ă©tait-il pas croyable qu'il allait les envoyer promener ? car rien au monde ne la prouverait, cette paternitĂ©, sinon la ressemblance de l'enfant ; et ils ne tireraient toujours de lui que l'argent des billets, encore s'il n'invoquait pas la prescription. D'autre part, si Busch avait tant tardĂ©, c'Ă©tait qu'il venait de passer des semaines d'affreuse inquiĂ©tude, prĂšs de son frĂšre Sigismond, couchĂ©, terrassĂ© par la phtisie. Pendant quinze jours surtout, ce terrible remueur d'affaires avait tout nĂ©gligĂ©, tout oubliĂ© des mille pistes enchevĂÂȘtrĂ©es qu'il suivait, ne paraissant plus Ă la Bourse, ne traquant plus un dĂ©biteur, ne quittant pas le chevet du malade, qu'il veillait, soignait, changeait, comme une mĂšre. Devenu prodigue, lui d'une ladrerie immonde, il appelait les premiers mĂ©decins de Paris, aurait voulu payer les remĂšdes plus cher au pharmacien, pour qu'ils fussent plus efficaces ; et, comme les mĂ©decins avaient dĂ©fendu tout travail, et que Sigismond s'entĂÂȘtait, il lui cachait ses papiers, ses livres. Entre eux, c'Ă©tait devenu une guerre de ruses. DĂšs que, vaincu par la fatigue, son gardien s'endormait, le jeune homme, trempĂ© de sueur, dĂ©vorĂ© de fiĂšvre, retrouvait un bout de crayon, une marge de journal, se remettait Ă des calculs, distribuant la richesse selon son rĂÂȘve de justice, assurant Ă chacun sa part de bonheur et de vie. Et Busch, Ă son rĂ©veil, s'irritait de le voir plus malade, le coeur crevĂ© de ce qu'il donnait ainsi Ă sa chimĂšre le peu qu'il lui restait d'existence. Faire joujou avec ces bĂÂȘtises-lĂ , il le lui permettait, comme on permet des pantins Ă un enfant, lorsqu'il Ă©tait en bonne santĂ© ; mais s'assassiner avec des idĂ©es folles, impraticables, vraiment c'Ă©tait imbĂ©cile ! Enfin, ayant consenti Ă ĂÂȘtre sage, par affection pour son grand frĂšre, Sigismond avait repris quelque force, et il commençait Ă se lever. Ce fut alors que Busch, se remettant Ă ses besognes, dĂ©clara qu'il fallait liquider l'affaire Saccard, d'autant plus que Saccard Ă©tait rentrĂ© en conquĂ©rant Ă la Bourse et qu'il redevenait un personnage d'une solvabilitĂ© indiscutable. Le rapport de Mme MĂ©chain, qu'il avait envoyĂ©e rue Saint-Lazare, Ă©tait excellent. Cependant, il hĂ©sitait encore Ă attaquer son homme de face, il temporisait en cherchant par quelle tactique il le vaincrait, lorsqu'une parole Ă©chappĂ©e Ă la MĂ©chain sur Mme Caroline, cette dame qui tenait la maison, dont tous les fournisseurs du quartier lui avaient parlĂ©, le lança dans un nouveau plan de campagne. Est-ce que, par hasard, cette dame Ă©tait la vraie maĂtresse, celle qui avait la clef des armoires et du coeur ? Il obĂ©issait assez souvent Ă ce qu'il appelait le coup de l'inspiration, cĂ©dant Ă une divination brusque, partant en chasse sur une simple indication de son flair, quitte ensuite Ă tirer des faits une certitude et une rĂ©solution. Et ce fut ainsi qu'il se rendit rue Saint-Lazare, pour voir Mme Caroline. En haut, dans la salle des Ă©pures, Mme Caroline resta surprise devant ce gros homme mal rasĂ©, Ă la figure plate et sale, vĂÂȘtu d'une belle redingote graisseuse et cravatĂ© de blanc. Lui-mĂÂȘme la fouillait jusqu'Ă l'ĂÂąme, la trouvait telle qu'il la souhaitait, si grande, si saine, avec ses admirables cheveux blancs, qui Ă©clairaient de gaietĂ© et de douceur son visage restĂ© jeune ; et il Ă©tait surtout frappĂ© par l'expression de la bouche un peu forte, une telle expression de bontĂ©, que tout de suite il se dĂ©cida. " Madame, dit-il, j'aurais dĂ©sirĂ© parler Ă M. Saccard, mais on vient de me rĂ©pondre qu'il Ă©tait absent... " Il mentait, il ne l'avait mĂÂȘme pas demandĂ©, car il savait fort bien qu'il n'y Ă©tait point, ayant guettĂ© son dĂ©part pour la Bourse. " Et je me suis alors permis de m'adresser Ă vous, prĂ©fĂ©rant cela au fond, n'ignorant pas Ă qui je m'adresse... Il s'agit d'une communication si grave, si dĂ©licate... " Mme Caroline, qui, jusque-lĂ , ne lui avait pas dit de s'asseoir, lui indiqua un siĂšge, avec un empressement inquiet. " Parlez, monsieur, je vous Ă©coute. " Busch, en relevant avec soin les pans de sa redingote, qu'il semblait craindre de salir, se posa Ă lui-mĂÂȘme, comme un point acquis, qu'elle couchait avec Saccard. " C'est que, madame, ce n'est point commode Ă dire, et je vous avoue qu'au dernier moment je me demande si je fais bien de vous confier une pareille chose... J'espĂšre que vous verrez, dans ma dĂ©marche, l'unique dĂ©sir de permettre Ă M. Saccard de rĂ©parer d'anciens torts... " D'un geste, elle le mit Ă l'aise, ayant compris de son cĂÂŽtĂ© Ă quel personnage elle avait affaire, dĂ©sirant abrĂ©ger les protestations inutiles. Du reste, il n'insista pas, conta longuement l'ancienne histoire, Rosalie sĂ©duite rue de la Harpe, l'enfant naissant aprĂšs la disparition de Saccard, et la mĂšre morte dans la dĂ©bauche, et Victor laissĂ© Ă la charge d'une cousine trop occupĂ©e pour le surveiller, poussant au milieu de l'abjection. Elle l'Ă©couta, Ă©tonnĂ©e d'abord par ce roman qu'elle n'attendait point, car elle s'Ă©tait imaginĂ© qu'il s'agissait de quelque louche aventure d'argent ; puis, visiblement, elle s'attendrit, Ă©mue du triste sort de la mĂšre et de l'abandon du petit, profondĂ©ment remuĂ©e dans sa maternitĂ© de femme restĂ©e stĂ©rile. " Mais, dit-elle, ĂÂȘtes-vous certain, monsieur, des faits que vous me racontez ?... Il faut des preuves bien fortes, absolues, dans ces sortes d'histoires. " Il eut un sourire. " Oh ! madame, il y a une preuve aveuglante, la ressemblance extraordinaire de l'enfant... Puis, les dates sont lĂ , tout s'accorde et prouve les faits jusqu'Ă la derniĂšre Ă©vidence. " Elle demeurait tremblante, et il l'observait. AprĂšs un silence, il continua " Vous comprenez maintenant, madame, combien j'Ă©tais embarrassĂ© pour m'adresser directement Ă M. Saccard. Moi, je n'ai aucun intĂ©rĂÂȘt lĂ - dedans, je ne viens qu'au nom de Mme MĂ©chain, la cousine, qu'un hasard seul a mise sur la trace du pĂšre tant cherchĂ© ; car j'ai eu l'honneur de vous dire que les douze billets de cinquante francs, donnĂ©s Ă la malheureuse Rosalie, Ă©taient signĂ©s du nom de Sicardot, chose que je ne me permets pas de juger, excusable, mon Dieu ! dans cette terrible vie de Paris. Seulement, n'est-ce pas ? M. Saccard aurait pu se mĂ©prendre sur le caractĂšre de mon intervention... Et c'est alors que j'ai eu l'inspiration de vous voir la premiĂšre, madame, pour m'en remettre complĂštement Ă vous sur la marche Ă suivre, sachant quel intĂ©rĂÂȘt vous portez Ă M. Saccard... VoilĂ ! vous avez notre secret, pensez-vous que je doive l'attendre et lui tout dire, dĂšs aujourd'hui ? " Mme Caroline montra une Ă©motion croissante. " Non, non, plus tard. " Mais elle-mĂÂȘme ne savait que faire, dans l'Ă©trangetĂ© de la confidence. Il continuait de l'Ă©tudier, satisfait de la sensibilitĂ© extrĂÂȘme qui la lui livrait, achevant de bĂÂątir son plan, certain dĂ©sormais de tirer d'elle plus que Saccard n'aurait jamais donnĂ©. " C'est que, murmura-t-il, il faudrait prendre un parti. - Eh bien, j'irai... Oui, j'irai Ă cette citĂ©, j'irai voir cette Mme MĂ©chain et l'enfant... Cela vaut mieux, beaucoup mieux que je me rende d'abord compte des choses. " Elle pensait tout haut, la rĂ©solution lui venait de faire une soigneuse enquĂÂȘte, avant de rien dire au pĂšre. Ensuite, si elle Ă©tait convaincue, il serait temps de l'avertir. N'Ă©tait-elle pas lĂ pour veiller sur sa maison et sur sa tranquillitĂ© ? " Malheureusement, ça presse, reprit Busch, l'amenant peu Ă peu oĂÂč il voulait. Le pauvre gamin souffre. Il est dans un milieu abominable. " Elle s'Ă©tait levĂ©e. " Je mets un chapeau et j'y vais Ă l'instant. " A son tour, il dut quitter sa chaise, et nĂ©gligemment " Je ne vous parle pas du petit compte qu'il y aura Ă rĂ©gler. L'enfant a coĂ»tĂ©, naturellement ; et il y a aussi de l'argent prĂÂȘtĂ©, du vivant de la mĂšre... Oh ! moi, je ne sais pas au juste. Je n'ai voulu me charger de rien. Tous les papiers sont lĂ -bas. - Bon ! je vais voir. " Alors, il parut s'attendrir lui-mĂÂȘme. " Ah ! madame, si vous saviez toutes les drĂÂŽles de choses que je vois, dans les affaires ! Ce sont les gens les plus honnĂÂȘtes qui ont Ă souffrir plus tard de leurs passions, ou, ce qui est pis, des passions de leurs parents... Ainsi, je pourrais vous citer un exemple. Vos infortunĂ©es voisines, ces dames de Beauvilliers... " D'un mouvement brusque, il s'Ă©tait approchĂ© d'une des fenĂÂȘtres, il plongeait ses regards ardemment curieux dans le jardin voisin. Sans doute, depuis qu'il Ă©tait entrĂ©, il mĂ©ditait ce coup d'espionnage, aimant Ă connaĂtre ses terrains de bataille. Dans l'affaire de la reconnaissance de dix mille francs, signĂ©e par le comte Ă la fille LĂ©onie Cron, il avait devinĂ© juste, les renseignements envoyĂ©s de VendĂÂŽme disaient l'aventure prĂ©vue la fille sĂ©duite, restĂ©e sans un sou, Ă la mort du comte, avec son chiffon de papier inutile, et dĂ©vorĂ©e de l'envie dĂ© venir Ă Paris, et finissant par laisser le papier en nantissement Ă l'usurier Charpier, pour cinquante francs peut-ĂÂȘtre. Seulement, s'il avait tout de suite retrouvĂ© les Beauvilliers, il faisait battre Paris depuis six mois par la MĂ©chain, sans pouvoir mettre la main sur LĂ©onie. Elle y Ă©tait tombĂ©e bonne Ă tout faire, chez un huissier, et il la suivait dans trois places ; puis, chassĂ©e pour inconduite notoire, elle disparaissait, il avait en vain fouillĂ© tous les ruisseaux. Cela l'exaspĂ©rait d'autant plus, qu'il ne pouvait rien tenter sur la comtesse, tant qu'il n'aurait pas la fille comme une menace vivante de scandale. Mais il n'en nourrissait pas moins l'affaire, il Ă©tait heureux, debout devant la fenĂÂȘtre, de connaĂtre le jardin de l'hĂÂŽtel, dont il n'avait vu encore que la façade, sur la rue. " Est-ce que ces dames seraient Ă©galement menacĂ©es de quelque ennui ? " demanda Mme Caroline, avec une inquiĂšte sympathie. Il fit l'innocent. " Non, je ne crois pas... Je voulais parler simplement de la triste situation oĂÂč les a laissĂ©es la mauvaise conduite du comte... Oui, j'ai des amis Ă VendĂÂŽme, je sais leur histoire. " Et, comme il se dĂ©cidait enfin Ă quitter la fenĂÂȘtre, il eut, dans l'Ă©motion qu'il jouait, un brusque et singulier retour sur lui-mĂÂȘme. " Encore, quand ce ne sont que des plaies d'argent ! mais c'est lorsque la mort entre dans une maison ! " Cette fois, de vraies larmes mouillaient ses yeux. Il venait de songer Ă son frĂšre, il Ă©touffait. Elle crut qu'il avait rĂ©cemment perdu un des siens, elle ne le questionna pas, par discrĂ©tion. Jusque-lĂ , elle ne s'Ă©tait pas trompĂ©e sur les basses besognes du personnage, Ă la rĂ©pugnance qu'il lui inspirait ; et ces larmes inattendues la dĂ©terminaient davantage que la plus savante des tactiques son dĂ©sir s'accrut de courir tout de suite Ă la citĂ© de Naples. " Madame, je compte donc sur vous. - Je pars Ă l'instant. " Une heure plus tard, Mme Caroline, qui avait pris une voiture, errait derriĂšre la butte Montmartre, sans pouvoir trouver la citĂ©. Enfin, dans une des rues dĂ©sertes qui se relient Ă la rue Marcadet, une vieille femme la dĂ©signa au cocher. C'Ă©tait, Ă l'entrĂ©e, comme un chemin de campagne, dĂ©foncĂ©, obstruĂ© de boue et de dĂ©tritus, s'enfonçant au milieu d'un terrain vague ; et l'on ne distinguait qu'aprĂšs un coup d'oeil attentif les misĂ©rables constructions, faites de terre, de vieilles planches et de vieux zinc, pareilles Ă des tas de dĂ©molitions, rangĂ©s autour de la cour intĂ©rieure. Sur la rue, une maison Ă un Ă©tage, bĂÂątie en moellons, celle-lĂ , mais d'une dĂ©crĂ©pitude et d'une crasse repoussantes, semblait commander l'entrĂ©e, ainsi qu'une geĂÂŽle. Et, en effet, Mme MĂ©chain demeurait lĂ , en propriĂ©taire vigilante, sans cesse aux aguets, exploitant elle-mĂÂȘme son petit peuple de locataires affamĂ©s. DĂšs que Mme Caroline fut descendue de voiture, elle la vit apparaĂtre sur le seuil, Ă©norme, la gorge et le ventre coulant dans une ancienne robe de soie bleue, limĂ©e aux plis, craquĂ©e aux coutures, les joues si bouffies et si rouges, que le nez petit, disparu, semblait cuire entre deux brasiers. Elle hĂ©sitait, prise de malaise, lorsque la voix trĂšs douce, d'un charme aigrelet de pipeau champĂÂȘtre, la rassura. " Ah ! madame, c'est M. Busch qui vous envoie. Vous venez pour le petit Victor... Entrez, entrez donc. Oui, c'est bien ici la citĂ© de Naples. La rue n'est pas classĂ©e, nous n'avons pas encore de numĂ©ros... Entrez, il faut causer de tout ça, d'abord. Mon Dieu ! c'est si ennuyeux, c'est si triste ! " Et Mme Caroline dut accepter une chaise dĂ©paillĂ©e, dans une salle Ă manger noire de graisse, oĂÂč un poĂÂȘle rouge entretenait une chaleur et une odeur asphyxiantes. La MĂ©chain, maintenant, se rĂ©criait sur la chance que la visiteuse avait de la rencontrer, car elle avait tant d'affaires dans Paris, elle ne remontait guĂšre avant six heures. Il fallut l'interrompre. " Pardon, madame, je venais pour ce malheureux enfant. - Parfaitement, madame, je vais vous le montrer... Vous savez que sa mĂšre Ă©tait ma cousine. Ah ! je puis dire que j'ai fait mon devoir... Voici les papiers, voici les comptes. " D'un buffet, elle tirait un dossier, bien en ordre, classĂ© dans une chemise bleue, comme chez un agent d'affaires. Et elle ne tarissait plus sur la pauvre Rosalie sans doute elle avait fini par mener une vie tout Ă fait dĂ©goĂ»tante, allant avec le premier venu, rentrant ivre et en sang, aprĂšs des bordĂ©es de huit jours ; seulement, n'est-ce pas ? Il fallait comprendre, car elle Ă©tait bonne ouvriĂšre avant que le pĂšre lui eĂ»t dĂ©mis l'Ă©paule, le jour oĂÂč il l'avait prise sur l'escalier ; et ce n'Ă©tait pas, avec son infirmitĂ©, en vendant des citrons aux Halles, qu'elle pouvait vivre sage. " Vous voyez, madame, c'est par vingt sous, par quarante sous, que je lui ai prĂÂȘtĂ© tout ça. Les dates y sont le 20 juin, vingt sous ; le 27 juin, encore vingt sous ; le 3 juillet, quarante sous. Et, tenez ! elle a dĂ» ĂÂȘtre malade Ă cette Ă©poque, parce que voici des quarante sous Ă n'en plus finir... Puis, il y avait Victor que j'habillais. J'ai mis un V devant toutes les dĂ©penses faites pour le gamin... Sans compter que, lorsque Rosalie a Ă©tĂ© morte, oh ! bien salement, dans une maladie qui Ă©tait une vraie pourriture, il est tombĂ© complĂštement Ă ma charge. Alors, regardez, j'ai mis cinquante francs par mois. C'est trĂšs raisonnable. Le pĂšre est riche, il peut bien donner cinquante francs par mois pour son garçon... Enfin, ça fait cinq mille quatre cent trois francs ; et, si nous ajoutons les six cents francs des billets, nous arrivons au total de six mille francs... Oui, tout pour six mille francs, voilĂ ! " MalgrĂ© la nausĂ©e qui la pĂÂąlissait, Mme Caroline fit une rĂ©flexion. " Mais les billets ne vous appartiennent pas, ils sont la propriĂ©tĂ© de l'enfant. - Ah ! pardon, reprit la MĂ©chain, aigrement, j'ai avancĂ© de l'argent dessus. Pour rendre service Ă Rosalie, je les lui ai escomptĂ©s. Vous voyez derriĂšre mon endos... C'est encore gentil de ma part de ne pas rĂ©clamer des intĂ©rĂÂȘts... On rĂ©flĂ©chira, ma bonne dame, on ne voudra pas faire perdre un sou Ă une pauvre femme comme moi. " Sur un geste las de la bonne dame, qui acceptait le compte, elle se calma. Et elle retrouva sa petite voix flĂ»tĂ©e pour dire " Maintenant, je vais faire appeler Victor. " Mais elle eut beau envoyer coup sur coup trois mioches qui rĂÂŽdaient, se planter sur le seuil, faire de grands gestes il fut acquis que Victor refusait de se dĂ©ranger. Un des mioches rapporta mĂÂȘme, pour toute rĂ©ponse, un mot ignoble. Alors, elle s'Ă©branla, disparut comme pour aller le chercher par une oreille. Puis, elle reparut seule, ayant rĂ©flĂ©chi, trouvant bon sans doute de le montrer dans toute son horreur. " Si madame veut bien prendre la peine de me suivre. " Et, en marchant, elle fournit des dĂ©tails sur la citĂ© de Naples, que son mari tenait d'un oncle. Ce mari devait ĂÂȘtre mort, personne ne l'avait connu, et elle n'en parlait jamais que pour expliquer la provenance de sa propriĂ©tĂ©. Une mauvaise affaire qui la tuerait, disait- elle, car elle y trouvait plus de soucis que de profits, surtout depuis que la prĂ©fecture la tracassait, lui envoyait des inspecteurs qui exigeaient des rĂ©parations, des amĂ©liorations, sous le prĂ©texte que les gens crevaient chez elle comme des mouches. D'ailleurs, elle se refusait Ă©nergiquement Ă dĂ©penser un sou. Est-ce qu'on n'allait pas bientĂÂŽt exiger des cheminĂ©es ornĂ©es de glaces, dans des chambres qu'elle louait deux francs par semaine ! Et ce qu'elle ne disait point, c'Ă©tait son ĂÂąpretĂ© Ă toucher ses loyers, jetant les familles Ă la rue, dĂšs qu'on ne lui donnait pas d'avance ses deux francs, faisant elle-mĂÂȘme sa police, si redoutĂ©e, que les mendiants sans asile n'auraient osĂ© dormir pour rien contre un de ses murs. Le coeur serrĂ©, Mme Caroline examinait la cour, un terrain ravagĂ©, creusĂ© de fondriĂšres, que les ordures accumulĂ©es transformaient en un cloaque. On jetait tout lĂ , il n'y avait ni fosse ni puisard, c'Ă©tait un fumier sans cesse accru, empoisonnant l'air ; et heureusement qu'il faisait froid, car la peste s'en dĂ©gageait, sous les grands soleils. D'un pied inquiet, elle cherchait Ă Ă©viter les dĂ©bris de lĂ©gumes et les os, en promenant ses regards aux deux bords, sur les habitations, des sortes de taniĂšres sans nom, des rez-de-chaussĂ©e effondrĂ©s Ă demi, masures en ruine consolidĂ©es avec les matĂ©riaux les plus hĂ©tĂ©roclites. Plusieurs Ă©taient simplement couvertes de papier goudronnĂ©. Beaucoup n'avaient pas de porte, laissaient entrevoir des trous noirs de cave, d'oĂÂč sortait une haleine nausĂ©abonde de misĂšre. Des familles de huit et dix personnes s'entassaient dans ces charniers, sans mĂÂȘme avoir un lit souvent, les hommes, les femmes, les enfants se pourrissant les uns les autres, comme les fruits gĂÂątĂ©s, livrĂ©s dĂšs la petite enfance Ă l'instinctive luxure par la plus monstrueuse des promiscuitĂ©s. Aussi des bandes de mioches, hĂÂąves, chĂ©tifs, mangĂ©s de la scrofule et de la syphilis hĂ©rĂ©ditaires, emplissaient-elles sans cesse la cour, pauvres ĂÂȘtres poussĂ©s sur ce fumier ainsi que des champignons vĂ©reux, dans le hasard d'une Ă©treinte, sans qu'on sĂ»t au juste quel pouvait ĂÂȘtre le pĂšre. Lorsqu'une Ă©pidĂ©mie de fiĂšvre typhoĂÂŻde ou de variole soufflait, elle balayait d'un coup au cimetiĂšre la moitiĂ© de la citĂ©. " Je vous expliquais donc, Madame, reprit la MĂ©chain, que Victor n'a pas eu de trop bons exemples sous les yeux, et qu'il serait temps de songer Ă son Ă©ducation, car le voilĂ qui achĂšve ses douze ans... Du vivant de sa mĂšre, n'est-ce pas ? il voyait des choses pas trĂšs convenables, attendu qu'elle ne se gĂÂȘnait guĂšre, quand elle Ă©tait soĂ»le. Elle amenait les hommes, et tout ça se passait devant lui... Ensuite, moi, je n'ai jamais eu le temps de le surveiller d'assez prĂšs, Ă cause de mes affaires dans Paris. Il courait toute la journĂ©e sur les fortifications. Deux fois, j'ai dĂ» aller le rĂ©clamer, parce qu'il avait volĂ©, oh ! des bĂÂȘtises seulement. Et puis, dĂšs qu'il a pu, ç'a Ă©tĂ© avec les petites filles, tant sa pauvre mĂšre lui en avait montrĂ©. Avec ça, vous allez le voir, Ă douze ans, c'est dĂ©jĂ un homme. Enfin, pour qu'il travaille un peu, je l'ai donnĂ© Ă la mĂšre Eulalie, une femme qui vend Ă Montmartre des lĂ©gumes au panier. Il l'accompagne Ă la Halle, il lui porte un de ses paniers. Le malheur est qu'en ce moment elle a des abcĂšs Ă la cuisse... Mais nous y voici, madame, veuillez entrer. " Mme Caroline eut un mouvement de recul. C'Ă©tait, au fond de la cour, derriĂšre une vĂ©ritable barricade d'immondices, un des trous les plus puants, une masure Ă©crasĂ©e dans le sol, pareille Ă un tas de gravats que des bouts de planches soutenaient. Il n'y avait pas de fenĂÂȘtre. Il fallait que la porte, une ancienne porte vitrĂ©e, doublĂ©e d'une feuille de zinc, restĂÂąt ouverte, pour qu'on vĂt clair ; et le froid entrait, terrible. Dans un coin, elle aperçut une paillasse, jetĂ©e simplement sur la terre battue. Aucun autre meuble n'Ă©tait reconnaissable, parmi le pĂÂȘle-mĂÂȘle de tonneaux Ă©clatĂ©s, de treillages arrachĂ©s, de corbeilles Ă demi pourries, qui devaient servir de siĂšges et de tables. Les murs suintaient, d'une humiditĂ© gluante. Une crevasse, une fente verte dans le plafond noir, laissait couler la pluie, juste au pied de la paillasse. Et l'odeur, l'odeur surtout Ă©tait affreuse, l'abjection humaine dans l'absolu dĂ©nuement. " MĂšre Eulalie, cria la MĂ©chain, c'est une dame qui veut du bien Ă Victor... Qu'est-ce qu'il a, ce crapaud, Ă ne pas venir, quand on l'appelle ? " Un paquet de chair informe grouilla sur la paillasse, dans un lambeau de vieille indienne qui servait de drap ; et Mme Caroline distingua une femme d'une quarantaine d'annĂ©es, toute nue lĂ -dedans, faute de chemise, semblable Ă une outre Ă moitiĂ© vide, tant elle Ă©tait molle et coupĂ©e de plis. La tĂÂȘte n'Ă©tait point laide, fraĂche encore, encadrĂ©e de petits cheveux blonds frisĂ©s. " Ah ! geignit-elle, qu'elle entre, si c'est pour notre bien, car il n'est pas Dieu possible que ça continue !... Quand on pense, madame, que voilĂ quinze jours que je n'ai pu me lever, Ă cause de ces saletĂ©s de gros boutons qui me font des trous dans la cuisse !... Alors, il n'y a plus un sou, naturellement. Impossible de continuer le commerce. J'avais deux chemises que Victor est allĂ© vendre ; et je crois bien que, ce soir, nous serions claquĂ©s de faim. " Puis, haussant la voix " C'est bĂÂȘte, Ă la fini sors donc de lĂ , petit... La dame ne veut pas te faire du mal. " Et Mme Caroline tressaillit, en voyant se dresser d'un panier un paquet, qu'elle avait pris pour un tas de loques. C'Ă©tait Victor, vĂÂȘtu des restes d'un pantalon et d'une veste de toile, par les trous desquels sa nuditĂ© passait. Il se trouvait en plein dans la clartĂ© de la porte, elle restait bĂ©ante, stupĂ©fiĂ©e de son extraordinaire ressemblance avec Saccard. Tous ses doutes s'en allĂšrent, la paternitĂ© Ă©tait indĂ©niable. " Je veux pas, moi, dĂ©clara-t-il, qu'on m'embĂÂȘte pour aller Ă l'Ă©cole. " Mais elle le regardait toujours envahie d'un malaise croissant. Dans cette ressemblance qui la frappait, il Ă©tait inquiĂ©tant, ce gamin, avec toute une moitiĂ© de la face plus grosse que l'autre, le nez tordu Ă droite, la tĂÂȘte comme Ă©crasĂ©e sur la marche oĂÂč sa mĂšre, violentĂ©e, l'avait conçu. En outre, il paraissait prodigieusement dĂ©veloppĂ© pour son ĂÂąge, pas trĂšs grand, trapu, entiĂšrement formĂ© Ă douze ans, dĂ©jĂ poilu, ainsi qu'une bĂÂȘte prĂ©coce. Les yeux hardis, dĂ©vorants, la bouche sensuelle, Ă©taient d'un homme. Et, dans cette grande enfance, au teint si pur encore, avec certains coins dĂ©licats de fille, cette virilitĂ©, si brusquement Ă©panouie gĂÂȘnait et effrayait, ainsi qu'une monstruositĂ©. " L'Ă©cole vous fait donc bien peur mon petit ami ? finit par dire Mme Caroline. Vous y seriez pourtant mieux qu'ici... OĂÂč couchez-vous ? " D'un geste, il montra la paillasse. " LĂ , avec elle. " ContrariĂ©e de cette rĂ©ponse franche, la mĂšre Eulalie s'agita, cherchant une explication. " Je lui avais fait un lit avec un petit matelas ; et puis, il a fallu le vendre... On couche comme on peut, n'est-ce pas ? quand tout a filĂ©. " La MĂ©chain crut devoir intervenir, bien qu'elle n'ignorĂÂąt rien de ce qui se passait. " Ce n'est tout de mĂÂȘme pas convenable, Eulalie... Et toi, garnement, tu aurais bien pu venir coucher chez moi, au lieu de coucher avec elle. " Mais Victor se planta sur ses courtes et fortes jambes, se carrant dans sa prĂ©cocitĂ© de mĂÂąle. " Pourquoi donc, c'est ma femme ! " Alors, la mĂšre Eulalie, vautrĂ©e dans sa molle graisse, prit le parti de rire, tĂÂąchant de sauver l'abomination, en en parlant d'un air de plaisanterie. Et une admiration tendre perçait en elle. " Oh ! ça, bien sĂ»r que je ne lui confierais pas ma fille, si j'en avais une... C'est un vrai petit homme. " Mme Caroline frĂ©mit. Le coeur lui manquait, dans une nausĂ©e affreuse. Eh quoi ? ce gamin de douze ans, ce petit monstre, avec cette femme de quarante, ravagĂ©e et malade, sur cette paillasse immonde, au milieu de ces tessons et de cette puanteur ! Ah ! misĂšre, qui dĂ©truit et pourrit tout ! Elle laissa vingt francs, se sauva, revint se rĂ©fugier chez la propriĂ©taire, pour prendre un parti et s'entendre dĂ©finitivement avec celle-ci. Une idĂ©e s'Ă©tait Ă©veillĂ©e en elle, devant un tel abandon, celle de l'Oeuvre du Travail n'avait-elle pas Ă©tĂ© justement créée, cette oeuvre, pour des dĂ©chĂ©ances pareilles, les misĂ©rables enfants du ruisseau qu'on tĂÂąchait de rĂ©gĂ©nĂ©rer par de l'hygiĂšne et un mĂ©tier ? Au plus vite, il fallait enlever Victor de ce cloaque, le mettre lĂ -bas, lui refaire une existence. Elle en Ă©tait restĂ©e toute tremblante. Et, dans cette dĂ©cision, il lui venait une dĂ©licatesse de femme ne rien dire encore Ă Saccard, attendre d'avoir dĂ©crassĂ© un peu le monstre, avant de le lui montrer ; car elle Ă©prouvait comme une pudeur pour lui de cet effroyable rejeton, elle souffrait de la honte qu'il en aurait eue. Quelques mois suffiraient sans doute, elle parlerait ensuite, heureuse de sa bonne action. La MĂ©chain comprit difficilement. " Mon Dieu, madame, comme il vous plaira... Seulement, je veux mes six mille francs tout de suite. Victor ne bougera pas de chez moi, si je n'ai pas mes six mille francs. " Cette exigence dĂ©sespĂ©ra Mme Caroline. Elle n'avait pas la somme, elle ne voulait pas la demander au pĂšre, naturellement. En vain, elle discuta, supplia. " Non, non ! si je n'avais plus mon gage, je pourrais me fouiller. Je connais ça. " Enfin, voyant que la somme Ă©tait grosse et qu'elle n'obtiendrait rien, elle fit un rabais. " Eh bien, donnez-moi deux mille francs tout de suite. J'attendrai pour le reste. " Mais l'embarras de Mme Caroline restait le mĂÂȘme, et elle se demandait oĂÂč prendre ces deux mille francs, lorsque la pensĂ©e lui vint de s'adresser Ă Maxime. Elle ne voulut pas la discuter. Il consentirait bien Ă ĂÂȘtre du secret, il ne refuserait pas l'avance de ce peu d'argent, que certainement son pĂšre lui rembourserait. Et elle s'en alla en annonçant qu'elle reviendrait prendre Victor le lendemain. Il n'Ă©tait que cinq heures, elle avait une telle fiĂšvre d'en finir, qu'en remontant dans son fiacre, elle donna au cocher l'adresse de Maxime, avenue de l'impĂ©ratrice. Quand elle arriva, le valet de chambre lui dit que monsieur Ă©tait Ă sa toilette, mais qu'il allait tout de mĂÂȘme l'annoncer. Un instant, elle Ă©touffa, dans le salon oĂÂč elle attendait. C'Ă©tait un petit hĂÂŽtel installĂ© avec un raffinement exquis de luxe et de bien-ĂÂȘtre. Les tentures, les tapis s'y trouvaient prodiguĂ©s ; et une odeur fine, ambrĂ©e, s'exhalait, dans le tiĂšde silence des piĂšces. Cela Ă©tait joli, tendre et discret, bien qu'il n'y eĂ»t pas lĂ de femme ; car le jeune veuf, enrichi par la mort de la sienne, avait rĂ©glĂ© sa vie pour l'unique culte de lui-mĂÂȘme, fermant sa porte, en garçon d'expĂ©rience, Ă tout nouveau partage. Cette jouissance de vivre, qu'il devait Ă une femme, il n'entendait pas qu'une autre femme la lui gĂÂątĂÂąt. DĂ©sabusĂ© du vice, il ne continuait Ă en prendre que comme d'un dessert qui lui Ă©tait dĂ©fendu, Ă cause de son estomac dĂ©plorable. Il avait abandonnĂ© depuis longtemps son idĂ©e d'entrer au Conseil d'Etat, il ne faisait mĂÂȘme plus courir, les chevaux l'ayant rassasiĂ© comme les filles. Et il vivait seul, oisif, parfaitement heureux, mangeant sa fortune avec art et prĂ©caution, d'une fĂ©rocitĂ© de beau-fils pervers et entretenu, devenu sĂ©rieux. " Si madame veut me suivre, revint dire le valet. Monsieur la recevra tout de suite dans sa chambre. " Mme Caroline avait avec Maxime des rapports familiers, depuis qu'il la voyait installĂ©e en intendante fidĂšle, chaque fois qu'il allait dĂner chez son pĂšre. En entrant dans la chambre, elle trouva les rideaux fermĂ©s, six bougies brĂ»lant sur la cheminĂ©e et sur un guĂ©ridon, Ă©clairant d'une flamme tranquille ce nid de duvet et de soie, une chambre trop douillette de belle dame Ă vendre, avec ses siĂšges profonds, son immense lit, d'une mollesse de plumes. C'Ă©tait la piĂšce aimĂ©e, oĂÂč il avait Ă©puisĂ© les dĂ©licatesses, les meubles et les bibelots prĂ©cieux, des merveilles du siĂšcle dernier, fondus, perdus dans le plus dĂ©licieux fouillis d'Ă©toffes qui se pĂ»t voir. Mais la porte donnant sur le cabinet de toilette Ă©tait grande ouverte, et il parut, disant " Quoi donc, qu'est-il arrivĂ© ?... Papa n'est pas mort ? " Au sortir du bain, il venait de passer un Ă©lĂ©gant costume de flanelle blanche, la peau fraĂche et embaumĂ©e, avec sa jolie tĂÂȘte de fille, dĂ©jĂ fatiguĂ©e, les yeux bleus et clairs sur le vide du cerveau. Par la porte, on entendait encore l'Ă©gouttement d'un des robinets de la baignoire, tandis qu'un parfum de violente fleur montait, dans la douceur de l'eau tiĂšde. " Non, non, ce n'est pas si grave, rĂ©pondit-elle, gĂÂȘnĂ©e par le ton tranquillement plaisant de la question. Et ce que j'ai Ă vous dire pourtant m'embarrasse un peu... Vous m'excuserez de tomber ainsi chez vous... - C'est vrai, je dĂne en ville, mais j'ai bien le temps de m'habiller... Voyons, qu'y a-t-il ? " Il attendait, et elle hĂ©sitait maintenant, balbutiait, saisie de ce grand luxe, de ce raffinement jouisseur, qu'elle sentait autour d'elle. Une lĂÂąchetĂ© la prenait, elle ne retrouvait plus son courage Ă tout dire. Etait-ce possible que l'existence, si dure Ă l'enfant de hasard, lĂ -bas, dans le cloaque de la citĂ© de Naples, se fĂ»t montrĂ©e si prodigue, pour celui-ci, au milieu de cette savante richesse ? Tant de saletĂ©s ignobles, la faim et l'ordure inĂ©vitable d'un cĂÂŽtĂ©, et de l'autre une telle recherche de l'exquis, l'abondance, la vie belle ! L'argent serait-il donc l'Ă©ducation, la santĂ©, l'intelligence ? Et, si la mĂÂȘme boue humaine restait dessous, toute la civilisation n'Ă©tait-elle pas dans cette supĂ©rioritĂ© de sentir bon et de bien vivre ? " Mon Dieu ! c'est une histoire. Je crois que je fais bien en vous la racontant... Du reste, j'y suis forcĂ©e, j'ai besoin de vous. " Maxime l'Ă©couta, d'abord debout ; puis, il s'assit devant elle, les jambes cassĂ©es par la surprise. Et, lorsqu'elle se tut " Comment ! comment ! je ne suis pas tout seul de fils, voilĂ un affreux petit frĂšre qui me tombe du ciel, sans crier gare ! " Elle le crut intĂ©ressĂ©, fit une allusion Ă la question d'hĂ©ritage. " Oh ! l'hĂ©ritage de papa ! " Et il eut un geste d'insouciance ironique, qu'elle ne comprit pas. Quoi ? que voulait-il dire ? Ne croyait-il pas aux grandes qualitĂ©s, Ă la fortune certaine de son pĂšre ? " Non, non, mon affaire est faite, je n'ai besoin de personne... Seulement, en vĂ©ritĂ©, c'est si drĂÂŽle, ce qui arrive, que je ne puis m'empĂÂȘcher d'en rire. " Il riait, en effet, mais vexĂ©, inquiet sourdement, ne songeant qu'Ă lui, n'ayant pas encore eu le temps d'examiner ce que l'aventure pouvait lui apporter de bon ou de mauvais. Il se sentit Ă l'Ă©cart, il lĂÂącha un mot ou, brutalement, il se mit tout entier. " Au fond, je m'en fiche, moi ! " S'Ă©tant levĂ©, il passa dans le cabinet de toilette, en revint tout de suite avec un polissoir d'Ă©caille, dont il se frottait doucement les ongles. " Et qu'est-ce que vous allez en faire, de votre monstre ? On ne peut pas le mettre Ă la Bastille, comme le Masque de fer. " Elle parla alors des comptes de la MĂ©chain, expliqua son idĂ©e de faire entrer Victor Ă l'Oeuvre du Travail, et lui demanda les deux mille francs. " Je ne veux pas que votre pĂšre sache rien encore, je n'ai que vous Ă qui m'adresser, il faut que vous fassiez cette avance. Mais il refusa net. " A papa, jamais de la vie ! pas un sou !... Ecoutez, c'est un serment, papa aurait besoin d'un sou pour passer un pont que je ne le lui prĂÂȘterais pas... Comprenez donc ! il y a des bĂÂȘtises trop bĂÂȘtes, je ne veux pas ĂÂȘtre ridicule ! " De nouveau, elle le regardait, troublĂ©e des choses vilaines qu'il insinuait. En ce moment de passion, elle n'avait ni le dĂ©sir ni le temps de le faire causer. " Et Ă moi, reprit-elle d'une voix brusque, me les prĂÂȘterez-vous, ces deux mille francs ? - A vous, Ă vous... " Il continuait de se polir les ongles, d'un mouvement joli et lĂ©ger, tout en l'examinant de ses yeux clairs, qui fouillaient les femmes jusqu'au sang du coeur. " A vous, tout de mĂÂȘme, je veux bien.. Vous ĂÂȘtes une gobeuse, vous me les ferez rendre. " Puis, quand il fut allĂ© chercher les deux billets dans un petit meuble, et qu'il les lui eut remis, il lui prit les mains, les garda un instant entre les siennes, d'un air de gaietĂ© amicale, en beau-fils qui a de la sympathie pour sa belle-maman. " Vous avez des illusions sur papa, vous !... Oh ! ne vous en dĂ©fendez pas, je ne vous demande pas vos affaires... Les femmes, c'est si bizarre, ça se distrait parfois Ă se dĂ©vouer ; et, naturellement, elles ont bien raison de prendre leur plaisir oĂÂč elles le trouvent... N'importe, si un jour vous en Ă©tiez mal rĂ©compensĂ©e, venez donc me voir, nous causerons. " Lorsque Mme Caroline se retrouva dans son fiacre, Ă©touffĂ©e encore par la tiĂ©deur molle du petit hĂÂŽtel, par le parfum d'hĂ©liotrope qui avait pĂ©nĂ©trĂ© ses vĂÂȘtements, elle Ă©tait frissonnante comme au sortir d'un lieu suspect, effrayĂ©e aussi de ces rĂ©ticences, de ces plaisanteries du fils sur le pĂšre, qui aggravaient son soupçon de l'inavouable passĂ©. Mais elle ne voulait rien savoir, elle avait l'argent, elle se calma en combinant sa journĂ©e du lendemain, de façon que, dĂšs le soir, l'enfant fĂ»t sauvĂ© de son vice. Aussi, le matin, dut-elle se mettre en course, car elle avait toutes sortes de formalitĂ©s Ă remplir, pour ĂÂȘtre certaine que son protĂ©gĂ© serait accueilli Ă l'Oeuvre du Travail. Sa situation de secrĂ©taire du conseil de surveillance, que la princesse d'Orviedo, la fondatrice, avait composĂ© de dix dames du monde, lui facilita d'ailleurs ces formalitĂ©s ; et, l'aprĂšs-midi, elle n'eut plus qu'Ă aller chercher Victor Ă la citĂ© de Naples. Elle avait emportĂ© des vĂÂȘtements convenables, elle n'Ă©tait pas au fond sans inquiĂ©tude sur la rĂ©sistance que le petit allait leur opposer, lui qui ne voulait pas entendre parler de l'Ă©cole. Mais la MĂ©chain, Ă qui elle avait envoyĂ© une dĂ©pĂÂȘche et qui l'attendait, lui apprit dĂšs le seuil une nouvelle, dont elle Ă©tait bouleversĂ©e elle-mĂÂȘme dans la nuit, brusquement, la mĂšre Eulalie Ă©tait morte, sans que le mĂ©decin eĂ»t pu dire au juste de quoi, une congestion peut-ĂÂȘtre, quelque ravage du sang gĂÂątĂ© ; et l'effrayant, c'Ă©tait que le gamin, couchĂ© avec elle, ne s'Ă©tait aperçu de la mort, dans l'obscuritĂ©, qu'en la sentant contre lui devenir toute froide. Il avait fini sa nuit chez la propriĂ©taire, hĂ©bĂ©tĂ© de ce drame, travaillĂ© d'une sourde peur, si bien qu'il se laissa habiller et qu'il parut content, Ă l'idĂ©e de vivre dans une maison qui avait un beau jardin. Rien ne le retenait plus lĂ , puisque la grosse, comme il disait, allait pourrir dans le trou. Cependant, la MĂ©chain, en Ă©crivant son reçu des deux mille francs, posait ses conditions. " C'est bien entendu, n'est-ce pas ? vous complĂ©terez les six mille en un seul paiement, Ă six mois... Autrement, je m'adresserai Ă M. Saccard. - Mais, dit Mme Caroline, c'est M. Saccard lui-mĂÂȘme qui vous paiera... Aujourd'hui, je le remplace, simplement. " Les adieux de Victor et de la vieille cousine furent sans tendresse un baiser sur les cheveux, une hĂÂąte du petit Ă monter dans la voiture, tandis qu'elle, grondĂ©e par Busch d'avoir consenti Ă ne recevoir qu'un acompte, continuait Ă mĂÂącher sourdement son ennui de voir ainsi son gage lui Ă©chapper. " Enfin, madame, soyez honnĂÂȘte avec moi, autrement je vous jure que je saurai bien vous en faire repentir. " De la citĂ© de Naples Ă l'Oeuvre du Travail, boulevard Bineau, Mme Caroline ne put tirer que des monosyllabes de Victor, dont les yeux luisants dĂ©voraient la route, les larges avenues, les passants et les maisons riches. Il ne savait pas Ă©crire, Ă peine lire, ayant toujours dĂ©sertĂ© l'Ă©cole pour des bordĂ©es sur les fortifications ; et, de sa face d'enfant mĂ»ri trop vite, ne sortaient que les appĂ©tits exaspĂ©rĂ©s de sa race, une hĂÂąte, une violence Ă jouir, aggravĂ©es par le terreau de misĂšre et d'exemples abominables dans lequel il avait grandi. Boulevard Bineau, ses yeux de jeune fauve Ă©tincelĂšrent davantage, lorsque, descendu de voiture, il traversa la cour centrale, que le bĂÂątiment des garçons et celui des filles bordaient Ă droite et Ă gauche. DĂ©jĂ , il avait fouillĂ© d'un regard les vastes prĂ©aux plantĂ©s de beaux arbres, les cuisines revĂÂȘtues de faĂÂŻence, dont les fenĂÂȘtres ouvertes exhalaient des odeurs de viandes, les rĂ©fectoires ornĂ©s de marbre, longs et hauts comme des nefs de chapelle, tout ce luxe royal que la princesse, s'entĂÂȘtant Ă ses restitutions, voulait donner aux pauvres. Puis, arrivĂ© au fond, dans le corps de logis que l'administration occupait, promenĂ© de service en service pour ĂÂȘtre admis avec les formalitĂ©s d'usage, il Ă©couta sonner ses souliers neufs le long des immenses corridors, des larges escaliers, de ces dĂ©gagements inondĂ©s d'air et de lumiĂšre, d'une dĂ©coration de palais. Ses narines frĂ©missaient, tout cela allait ĂÂȘtre Ă lui. Mais, comme Mme Caroline, redescendue au rez-de-chaussĂ©e pour la signature d'une piĂšce, lui faisait suivre un nouveau couloir, elle l'amena devant une porte vitrĂ©e, et il put voir un atelier oĂÂč des garçons de son ĂÂąge, debout devant des Ă©tablis, apprenaient la sculpture sur bois. " Vous voyez, mon petit ami, dit-elle, on travaille ici parce qu'il faut travailler, si l'on veut ĂÂȘtre bien portant et heureux... Le soir, il y a des classes, et je compte, n'est-ce pas ? que vous serez sage, que vous Ă©tudierez bien... C'est vous qui allez dĂ©cider de votre avenir, un avenir tel que vous ne l'avez jamais rĂÂȘvĂ©. " Un pli sombre avait coupĂ© le front de Victor. Il ne rĂ©pondit pas, et ses yeux de jeune loup ne jetĂšrent plus sur ce luxe Ă©talĂ©, prodiguĂ©, que des regards obliques de bandit envieux avoir tout ça, mais sans rien faire ; le conquĂ©rir, s'en repaĂtre, Ă la force des ongles et des dents. DĂšs lors, il ne fut plus lĂ qu'en rĂ©voltĂ©, qu'en prisonnier qui rĂÂȘve de vol et d'Ă©vasion. " Maintenant, tout est rĂ©glĂ©, reprit Mme Caroline. Nous allons monter Ă la salle de bains. " L'usage Ă©tait que chaque nouveau pensionnaire, Ă son entrĂ©e, prenait un bain ; et les baignoires se trouvaient en haut, dans des cabinets attenant Ă l'infirmerie, qui elle-mĂÂȘme, composĂ©e de deux petits dortoirs, l'un pour les garçons, l'autre pour les filles, Ă©tait voisine de la lingerie. Les six soeurs de la communautĂ© rĂ©gnaient lĂ , dans cette lingerie superbe, tout en Ă©rable verni, Ă trois Ă©tages de profondes armoires, dans cette infirmerie modĂšle, d'une clartĂ©, d'une blancheur sans tache, gaie et propre comme la santĂ©. Souvent aussi, les dames du conseil de surveillance venaient y passer une heure de l'aprĂšs-midi, moins pour contrĂÂŽler que pour donner Ă l'oeuvre l'appui de leur dĂ©vouement. Et, justement, la comtesse de Beauvilliers se trouvait lĂ , avec sa fille Alice, dans la salle qui sĂ©parait les deux infirmeries. Souvent, elle l'amenait ainsi pour la distraire, en lui donnant le plaisir de la charitĂ©. Ce jour-lĂ , Alice aidait une des soeurs Ă faire des tartines de confiture, pour deux petites convalescentes, Ă qui on avait permis de goĂ»ter. " Ah ! dit la comtesse, Ă la vue de Victor qu'on venait de faire asseoir en attendant son bain, voici un nouveau. " D'habitude, elle restait cĂ©rĂ©monieuse Ă l'Ă©gard de Mme Caroline, ne la saluant que d'un signe de tĂÂȘte, sans jamais lui adresser la parole, de crainte peut-ĂÂȘtre d'avoir Ă lier avec elle des relations de voisinage. Mais ce garçon que celle-ci amenait, l'air d'active bontĂ© dont elle s'occupait de lui, la touchaient sans doute, la faisaient sortir de sa rĂ©serve. Et elles causĂšrent Ă demi-voix. " Si vous saviez, madame, de quel enfer je viens de le tirer ! Je le recommande Ă votre surveillance, comme je l'ai recommandĂ© Ă toutes ces dames et Ă tous ces messieurs. " " Est-ce qu'il a des parents ? Est-ce que vous les connaissez ? - Non, sa mĂšre est morte... Il n'a plus que moi. - Pauvre gamin !... Ah ! que de misĂšre ! " Pendant ce temps, Victor ne quittait pas des yeux les tartines. Ses regards s'Ă©taient allumĂ©s d'une fĂ©roce convoitise ; et, de cette confiture que le couteau Ă©talait, il remontait aux fluettes mains blanches d'Alice, Ă son cou trop, Ă toute sa personne de vierge chĂ©tive, qui s'Ă©maciait l'attente vaine du mariage. S'il s'Ă©tait trouvĂ© seul avec elle, d'un bon coup de tĂÂȘte dans le ventre, comme il l'aurait envoyĂ©e rouler contre le mur, pour lui prendre ses tartines ! Mais la jeune fille avait remarquĂ© ses regards gloutons ; et, d'un coup d'oeil, ayant consultĂ© la religieuse " Est-ce que vous avez faim, mon petit ami ? - Oui. - Et vous ne dĂ©testez pas la confiture ? - Non. - Alors, ça vous irait si je vous faisais deux tartines, que vous mangeriez en sortant du bain ? - Oui. - Beaucoup de confiture sur pas beaucoup de pain, n'est-ce pas ? - Oui. " Elle riait, plaisantait, mais lui restait grave et bĂ©ant, avec ses yeux dĂ©vorateurs qui la mangeaient, elle et ses bonnes choses. A ce moment, des cris de joie, tout un violent tapage monta du prĂ©au des garçons, oĂÂč la rĂ©crĂ©ation de quatre heures commençait. Les ateliers se vidaient, les pensionnaires avaient une demi-heure pour goĂ»ter et se dĂ©gourdir les jambes. " Vous voyez, reprit Mme Caroline, en l'amenant prĂšs d'une fenĂÂȘtre, si l'on travaille, on joue aussi... Vous aimez travailler ? - Non. - Mais vous aimez jouer ? - Oui. - Eh bien, si vous voulez jouer, il faudra travailler... Tout cela s'arrangera, vous serez raisonnable, j'en suis sĂ»re. " Il ne rĂ©pondit pas. Une flamme de plaisir lui avait chauffĂ© la face, Ă la vue de ses camarades lĂÂąchĂ©s, sautant et criant ; et ses regards revinrent vers ses tartines que la jeune fille achevait et posait sur une assiette. Oui ! de la libertĂ©, de la jouissance, tout le temps, il ne voulait rien d'autre. Son bain Ă©tait prĂÂȘt, on l'emmena. " VoilĂ un petit monsieur qui ne sera guĂšre commode, je crois, dit doucement la religieuse. Je me mĂ©fie d'eux, quand ils n'ont pas la figure d'aplomb. - Il n'est pourtant pas laid, celui-ci, murmura Alice, et on lui donnerait dix-huit ans, Ă le voir vous regarder. - C'est vrai, conclut Mme Caroline avec un lĂ©ger frisson, il est trĂšs avancĂ© pour son ĂÂąge. " Et, avant de s'en aller, ces dames voulurent se donner le plaisir de voir les petites convalescentes manger leurs tartines. L'une surtout Ă©tait trĂšs intĂ©ressante, une blonde fillette de dix ans, avec des yeux savants dĂ©jĂ , un air de femme, la chair hĂÂątive et malade des faubourgs parisiens. C'Ă©tait, d'ailleurs, la commune histoire un pĂšre ivrogne qui amenait ses maĂtresses ramassĂ©es sur le trottoir, qui venait de disparaĂtre avec une d'elles ; une mĂšre qui avait pris un autre homme, puis un autre, tombĂ©e elle-mĂÂȘme Ă la boisson ; et la petite, lĂ -dedans, battue par tous ces mĂÂąles, quand ils n'essayaient pas de la violer. Un matin, la mĂšre avait dĂ» la retirer des bras d'un maçon, ramenĂ© par elle, la veille. On lui permettait pourtant, Ă cette mĂšre misĂ©rable, de venir voir son enfant, car c'Ă©tait elle qui avait suppliĂ© qu'on la lui enlevĂÂąt, ayant gardĂ© dans son abjection un ardent amour maternel. Et elle se trouvait prĂ©cisĂ©ment lĂ , une femme maigre et jaune, dĂ©vastĂ©e, avec des paupiĂšres brĂ»lĂ©es de larmes, assise prĂšs du lit blanc, oĂÂč sa gamine, trĂšs propre, le dos appuyĂ© contre des oreillers, mangeait gentiment ses tartines. Elle reconnut Mme Caroline, Ă©tant allĂ©e chez Saccard chercher des secours. " Ah madame, voilĂ encore ma pauvre Madeleine sauvĂ©e une fois. C'est tout notre malheur qu'elle a dans le sang, voyez-vous, et le mĂ©decin m'avait bien dit qu'elle ne vivrait pas, si elle continuait Ă ĂÂȘtre bousculĂ©e chez nous... Tandis qu'ici elle a de la viande, elle a du vin ; et puis, elle respire, elle est tranquille... Je vous en prie, madame, dites bien Ă ce bon monsieur que je ne vis pas une heure de mon existence sans le bĂ©nir. " Un sanglot la suffoqua, son coeur se fondait de reconnaissance. C'Ă©tait de Saccard qu'elle parlait, car elle ne connaissait que lui, comme la plupart des parents qui avaient des enfants Ă l'Oeuvre du Travail. La princesse d'Orviedo ne paraissait point, tandis que lui s'Ă©tait longtemps prodiguĂ©, peuplant l'oeuvre, ramassant toutes les misĂšres du ruisseau pour voir plus vite fonctionner cette machine charitable qui Ă©tait un peu sa crĂ©ation, se passionnant du reste comme toujours, distribuant des piĂšces de cent sous de sa poche aux tristes familles dont il sauvait les petits. Et il restait le seul et vrai bon Dieu, pour tous ces misĂ©rables. " N'est-ce pas ? madame, dites-lui bien qu'il y a quelque part une pauvre femme qui prie pour lui... Oh ! ce n'est pas que j'aie de la religion, je ne veux point mentir, je n'ai jamais Ă©tĂ© hypocrite. Non, les Ă©glises et nous, c'est fini, parce que nous n'y songeons seulement plus, tout ça ne servait Ă rien, d'aller y perdre son temps... Mais ça n'empĂÂȘche qu'il y a tout de mĂÂȘme quelque chose au-dessus de nous, et alors ça soulage, quand quelqu'un a Ă©tĂ© bon, d'appeler sur lui les bĂ©nĂ©dictions du Ciel. " Ses larmes dĂ©bordĂšrent, coulĂšrent sur ses joues flĂ©tries. " Ecoute-moi, Madeleine, Ă©coute... " La fillette, si pĂÂąle dans sa chemise de neige, et qui lĂ©chait la confiture de sa tartine d'un petit bout de langue gourmande, avec des yeux de bonheur, leva la tĂÂȘte, devint attentive, sans cesser son rĂ©gal. " Chaque soir, avant de t'endormir dans ton lit, tu joindras tes mains comme ça, et tu diras " Mon Dieu, " faites que M. Saccard soit rĂ©compensĂ© de sa bontĂ©, qu'il ait de longs jours et qu'il soit heureux. Tu entends, tu me le promets ? - Oui, maman. " Les semaines qui suivirent, Mme Caroline vĂ©cut dans un grand trouble moral. Elle n'avait plus sur Saccard d'idĂ©es nettes. L'histoire de la naissance et de l'abandon de Victor, cette triste Rosalie prise sur une marche d'escalier, si violemment, qu'elle en Ă©tait restĂ©e infirme, et les billets signĂ©s et impayĂ©s, et le malheureux enfant sans pĂšre grandi dans la boue, tout ce passĂ© lamentable lui donnait une nausĂ©e au coeur. Elle Ă©cartait les images de ce passĂ©, de mĂÂȘme qu'elle n'avait pas voulu provoquer les indiscrĂ©tions de Maxime certainement, il y avait lĂ des tares anciennes, qui l'effrayaient, dont elle aurait eu trop de chagrin. Puis, c'Ă©tait cette femme en pleurs, joignant les mains de sa petite fille, la faisant prier pour cet homme ; c'Ă©tait Saccard adorĂ© comme le Dieu de bontĂ©, et vĂ©ritablement bon, et ayant rĂ©ellement sauvĂ© des ĂÂąmes, dans cette activitĂ© passionnĂ©e de brasseur d'affaires, qui se haussait Ă la vertu, lorsque la besogne Ă©tait belle. Aussi arriva-t-elle Ă ne plus vouloir le juger, en se disant, pour mettre en paix sa conscience de femme savante, ayant trop lu et trop rĂ©flĂ©chi, qu'il y avait chez lui, comme chez tous les hommes, du pire et du meilleur. Cependant, elle venait d'avoir un rĂ©veil sourd de honte Ă la pensĂ©e qu'elle lui avait appartenu. Cela la stupĂ©fiait toujours, elle se tranquillisait en se jurant que c'Ă©tait fini que cette surprise d'un moment ne pouvait recommencer. Et trois mois s'Ă©coulĂšrent, pendant lesquels, deux fois par semaine, elle allait voir Victor ; et, un soir, elle se retrouva dans les bras de Saccard, dĂ©finitivement Ă lui, laissant s'Ă©tablir des relations rĂ©guliĂšres. Que se passait-il donc en elle ? Etait-elle, comme les autres, curieuse ? ces troubles amours de jadis, remuĂ©s par elle, lui avaient-ils donnĂ© le sensuel dĂ©sir de savoir ? Ou plutĂÂŽt n'Ă©tait-ce pas l'enfant qui Ă©tait devenu le lien, le rapprochement fatal entre lui, le pĂšre, et elle, la mĂšre de rencontre et d'adoption ? Oui, il ne devait y avoir eu lĂ qu'une perversion sentimentale. Dans son grand chagrin de femme stĂ©rile, cela certainement l'avait attendrie jusqu'Ă la dĂ©bĂÂącle de sa volontĂ©, de s'ĂÂȘtre occupĂ©e du fils de cet homme, au milieu de si poignantes circonstances. Chaque fois qu'elle le revoyait, elle se donnait davantage, et une maternitĂ© Ă©tait au fond de son abandon. D'ailleurs, elle Ă©tait femme de clair bon sens, elle acceptait les faits de la vie, sans s'Ă©puiser Ă tacher de s'en expliquer les mille causes complexes. Pour elle, dans ce dĂ©vidage du coeur et de la cervelle, dans cette analyse raffinĂ©e des cheveux coupĂ©s en quatre, il n'y avait qu'une distraction de mondaines inoccupĂ©es, sans mĂ©nage Ă tenir, sans enfant Ă aimer, des farceuses intellectuelles qui cherchent des excuses Ă leurs chutes, qui masquent de leur science de l'ĂÂąme les appĂ©tits de la chair, communs aux duchesses et aux filles d'auberge. Elle, d'une Ă©rudition trop vaste, qui avait perdu son temps, autrefois, Ă brĂ»ler de connaĂtre le vaste monde et Ă prendre parti dans les querelles des philosophes, en Ă©tait revenue avec le grand dĂ©dain de ces rĂ©crĂ©ations psychologiques, qui tendent Ă remplacer le piano et la tapisserie, et dont elle disait en riant qu'elles ont dĂ©bauchĂ© plus de femmes qu'elles n'en ont corrigĂ©. Aussi, les jours oĂÂč des trous se produisaient en elle, oĂÂč elle sentait une cassure dans son libre arbitre prĂ©fĂ©rait-elle avoir le courage d'accepter les faits, aprĂšs l'avoir constatĂ© ; et elle comptait sur le travail de la vie pour effacer la tare, pour rĂ©parer le mal, de mĂÂȘme que la sĂšve qui monte toujours ferme d'un chĂÂȘne, refait du bois et de l'Ă©corce. Si elle Ă©tait maintenant Ă Saccard sans l'avoir voulu, sans ĂÂȘtre certaine qu'elle l'estimait, elle se relevait de cette dĂ©chĂ©ance en ne le jugeant pas indigne d'elle, sĂ©duite par ses qualitĂ©s d'homme d'action, par son Ă©nergie Ă vaincre, le croyant bon et utile aux autres. Sa honte premiĂšre s'en Ă©tait allĂ©e, dans ce besoin que l'on a de purifier ses fautes, et rien n'Ă©tait en effet plus naturel ni plus tranquille que leur liaison un mĂ©nage de raison simplement, lui heureux de l'avoir lĂ , le soir, quand il ne sortait pas, elle presque maternelle, d'une affection calmante, avec sa vive intelligence et sa droiture. Et c'Ă©tait vraiment, pour ce forban du pavĂ© de Paris, brĂ»lĂ© et tannĂ© dans tous les guets-apens financiers, une chance immĂ©ritĂ©e, une rĂ©compense volĂ©e comme le reste, que d'avoir Ă lui cette adorable femme, si jeune et si saine Ă trente-six ans, sous la neige de son Ă©paisse chevelure blanche, d'un bon sens si brave et d'une sagesse si humaine, dans sa foi Ă la vie, telle qu'elle est, malgrĂ© la boue que le torrent emporte. Des mois se passĂšrent, et il faut dire que Mme Caroline trouva Saccard trĂšs Ă©nergique et trĂšs prudent, durant tous ces pĂ©nibles dĂ©buts de la Banque universelle. Ses soupçons de trafics louches, ses craintes qu'il ne les compromit elle et son frĂšre, se dissipĂšrent mĂÂȘme entiĂšrement, Ă le voir sans cesse en lutte avec les difficultĂ©s, se dĂ©pensant du matin au soir pour assurer le bon fonctionnement de cette grosse mĂ©canique neuve, dont les rouages grinçaient, prĂšs d'Ă©clater ; et elle lui en eut de la reconnaissance, elle l'admira. L'Universelle, en effet, ne marchait pas comme il l'avait espĂ©rĂ©, car elle avait contre elle la sourde hostilitĂ© de la haute banque de mauvais bruits couraient, des obstacles renaissaient, immobilisant le capital, ne permettant pas les grandes tentatives fructueuses. Aussi s'Ă©tait-il fait une vertu de cette lenteur d'allures, Ă laquelle on le rĂ©duisait, n'avançant que pas Ă pas sur un terrain solide, guettant les fondriĂšres, trop occupĂ© Ă Ă©viter une chute pour oser se lancer dans les hasards du jeu. Il se rongeait d'impatience, piĂ©tinant comme une bĂÂȘte de course rĂ©duite Ă un petit trot de promenade ; mais jamais commencements d'une maison de crĂ©dit ne furent plus honorables ni plus corrects ; et la Bourse en causait, Ă©tonnĂ©e. Ce fut de la sorte qu'on atteignit l'Ă©poque de la premiĂšre assemblĂ©e gĂ©nĂ©rale. Elle avait Ă©tĂ© fixĂ©e au 25 avril. DĂšs le 20, Hamelin dĂ©barqua d'Orient, tout exprĂšs pour la prĂ©sider, rappelĂ© en hĂÂąte par Saccard, qui Ă©touffait dans la maison trop Ă©troite. Il rapportait, d'ailleurs, d'excellentes nouvelles les traitĂ©s Ă©taient conclus pour la formation de la Compagnie gĂ©nĂ©rale des Paquebots rĂ©unis et, d'autre part, il avait en poche les concessions qui assuraient Ă une sociĂ©tĂ© française l'exploitation des mines d'argent du Carmel ; sans parler de la Banque nationale turque, dont il venait de jeter les bases Ă Constantinople, et qui serait une vĂ©ritable succursale de l'Universelle. Quant Ă la grosse question des chemins de fer de l'Asie Mineure, elle n'Ă©tait pas mĂ»re, il fallait la rĂ©server ; du reste, il devait retourner lĂ -bas, pour continuer ses Ă©tudes, dĂšs le lendemain de l'assemblĂ©e. Saccard, ravi, eut avec lui une longue conversation, Ă laquelle assistait Mme Caroline, et il leur persuada aisĂ©ment qu'une augmentation du capital social Ă©tait une nĂ©cessitĂ© absolue, si l'on voulait faire face Ă ces entreprises. DĂ©jĂ , les forts actionnaires, Daigremont, Huret, SĂ©dille, Kolb, consultĂ©s avaient approuvĂ© cette augmentation ; de sorte qu'en deux jours la proposition put ĂÂȘtre Ă©tudiĂ©e et prĂ©sentĂ©e au conseil d'administration, la veille mĂÂȘme de la rĂ©union des actionnaires. Ce conseil d'urgence fut solennel, tous les administrateurs y assistĂšrent, dans la salle grave, verdie par le voisinage des grands arbres de l'hĂÂŽtel Beauvilliers. D'ordinaire, il y avait deux conseils par mois le petit, vers le 15, le plus important, celui auquel ne paraissaient que les vrais chefs, les administrateurs d'affaires ; et le grand, vers le 30, la rĂ©union d'apparat, oĂÂč tous venaient, les muets et les dĂ©coratifs, approuver les travaux prĂ©parĂ©s d'avance et donner des signatures. Ce jour-lĂ , le marquis de Bohain, avec sa petite tĂÂȘte aristocratique, arriva un des premiers, apportant avec lui, dans son grand air fatiguĂ©, l'approbation de toute la noblesse française. Et le vicomte de Robin-Chagot, le vice-prĂ©sident, homme doux et ladre, avait charge de guetter les administrateurs qui n'Ă©taient point au courant, les prenait Ă part et leur communiquait d'un mot les ordres du directeur, le vrai maĂtre. Chose entendue, tous promettaient d'obĂ©ir, d'un signe de tĂÂȘte. Enfin, on entra en sĂ©ance. Hamelin fit connaĂtre au conseil le rapport qu'il devait lire devant l'assemblĂ©e gĂ©nĂ©rale. C'Ă©tait le gros travail que Saccard prĂ©parait depuis longtemps, qu'il venait de rĂ©diger en deux jours, augmentĂ© des notes apportĂ©es par l'ingĂ©nieur, et qu'il Ă©coutait modestement, d'un air de vif intĂ©rĂÂȘt, comme s'il n'en avait pas connu un seul mot. D'abord, le rapport parlait des affaires faites par la Banque universelle, depuis sa fondation elles n'Ă©taient que bonnes, de petites affaires au jour le jour, rĂ©alisĂ©es de la veille au lendemain, le courant banal des maisons de crĂ©dit. Pourtant, d'assez gros bĂ©nĂ©fices s'annonçaient sur l'emprunt mexicain, qui venait d'ĂÂȘtre lancĂ© le mois d'auparavant, aprĂšs le dĂ©part de l'empereur Maximilien pour Mexico un emprunt de gĂÂąchis et de primes folles, dans lequel Saccard regrettait mortellement de n'avoir pu barboter davantage, faute d'argent. Tout cela Ă©tait ordinaire, mais ou avait vĂ©cu. Pour le premier exercice, qui ne comprenait que trois mois, du 5 octobre, date de la fondation, 31 dĂ©cembre, l'excĂ©dent des bĂ©nĂ©fices Ă©tait seulement de quatre cent et quelques mille francs, ce qui avait permis d'amortir d'un quart les frais de premier Ă©tablissement, de payer aux actionnaires leur cinq pour cent et de verser dix pour cent au fonds de rĂ©serve ; en outre, les administrateurs avaient prĂ©levĂ© le dix pour cent que leur accordaient les statuts, et il restait une somme d'environ soixante-huit mille francs, qu'on avait portĂ©e Ă l'exercice suivant. Seulement, il n'y avait pas eu de dividende. Rien Ă la fois de plus mĂ©diocre ni de plus honorable. C'Ă©tait comme pour les cours des actions de l'Universelle en Bourse, ils avaient lentement montĂ© de cinq cents Ă six cents francs, sans secousse, d'une façon normale, ainsi que les cours des valeurs de toute banque qui se respecte ; et, depuis deux mois, ils demeuraient stationnaires, n'ayant aucune raison de s'Ă©lever davantage, dans le petit train journalier oĂÂč semblait s'endormir la maison naissante. Puis, le rapport passait Ă l'avenir, et ici c'Ă©tait un brusque Ă©largissement, le vaste horizon ouvert de toute une sĂ©rie de grandes entreprises. Il insistait particuliĂšrement sur la Compagnie gĂ©nĂ©rale des Paquebots rĂ©unis, dont l'Universelle allait avoir Ă Ă©mettre les actions une compagnie au capital de cinquante millions, qui monopoliserait tous les transports de la MĂ©diterranĂ©e, et oĂÂč se trouveraient syndiquĂ©es les deux grandes sociĂ©tĂ©s rivales, la PhocĂ©enne, pour Constantinople, Smyrne et TrĂ©bizonde, par le PirĂ©e et les Dardanelles, et la SociĂ©tĂ© Maritime, pour Alexandrie, par Messine et la Syrie, sans compter des maisons moindres qui entraient dans le syndicat, les Combarel et Cie, pour l'AlgĂ©rie et la Tunisie, la veuve Henri Liotard, pour l'AlgĂ©rie Ă©galement, par l'Espagne et le Maroc, enfin les FĂ©raud-Giraud frĂšres, pour l'Italie, Naples et les villes de l'Adriatique, par Civita-Vecchia. On conquĂ©rait la MĂ©diterranĂ©e entiĂšre, en faisant une seule compagnie de ces sociĂ©tĂ©s et de ces maisons rivales qui se tuaient les unes les autres. GrĂÂące aux capitaux centralisĂ©s, on construirait des paquebots types, d'une vitesse et d'un confort inconnus, on multiplierait les dĂ©parts, on crĂ©erait des escales nouvelles, on ferait de l'Orient le faubourg de Marseille ; et quelle importance prendrait la Compagnie, lorsque, le canal de Suez achevĂ©, il lui serait permis de crĂ©er des services pour les Indes, le Tonkin, la Chine et le Japon ! Jamais affaire ne s'Ă©tait prĂ©sentĂ©e, d'une conception plus large ni plus sĂ»re. Ensuite, viendrait l'appui donnĂ© Ă la Banque nationale turque, sur laquelle le rapport fournissait de longs dĂ©tails techniques, qui en dĂ©montraient l'inĂ©branlable soliditĂ©. Et il terminait cet exposĂ© des opĂ©rations futures, en annonçant que l'Universelle prenait encore sous son patronage la SociĂ©tĂ© française des mines d'argent du Carmel, fondĂ©e au capital de vingt-cinq millions. Des analyses de chimistes indiquaient, dans les Ă©chantillons du minerai, une proportion considĂ©rable d'argent. Mais, plus encore que la science, l'antique poĂ©sie des lieux saints faisait ruisseler cet argent en une pluie miraculeuse, Ă©blouissement divin que Saccard avait mis Ă la fin d'une phrase dont il Ă©tait trĂšs content. Enfin, aprĂšs ces promesses d'un avenir glorieux, le rapport concluait Ă l'augmentation du capital. On le doublait, on l'Ă©levait de vingt-cinq Ă cinquante millions. Le systĂšme d'Ă©mission adoptĂ© Ă©tait le plus simple du monde, pour qu'il entrĂÂąt aisĂ©ment dans toutes les cervelles cinquante mille actions nouvelles seraient créées, et on les rĂ©serverait titre pour titre aux porteurs des cinquante mille actions primitives ; de façon qu'il n'y aurait pas mĂÂȘme de souscription publique. Seulement, ces actions nouvelles seraient de cinq cent vingt francs, dont une prime de vingt francs, formant au total une somme d'un million, qu'on porterait au fonds de rĂ©serve. Il Ă©tait juste et prudent de frapper les actionnaires de ce petit impĂÂŽt, puisqu'on les avantageait. D'ailleurs, le quart seul des actions Ă©tait exigible, plus la prime. Lorsque Hamelin cessa de lire, il se produisit un brouhaha d'approbation. C'Ă©tait parfait, pas une observation Ă faire. Pendant tout le temps qu'avait durĂ© la lecture, Daigremont, trĂšs intĂ©ressĂ© par un examen soigneux de ses ongles, avait souri Ă des pensĂ©es vagues ; et le dĂ©putĂ© Huret, renversĂ© dans son fauteuil, les yeux clos, sommeillait Ă demi, se croyant Ă la Chambre ; tandis que Kolb, le banquier, tranquillement, sans se cacher, s'Ă©tait livrĂ© Ă un long calcul, sur les quelques feuilles de papier qu'il avait devant lui, ainsi que chaque administrateur. Pourtant, SĂ©dille, toujours anxieux et mĂ©fiant, voulut poser une question que deviendraient les actions abandonnĂ©es par ceux des actionnaires qui ne voudraient pas user de leur droit ? la sociĂ©tĂ© les garderait-elle Ă son compte, ce qui Ă©tait illicite, puisque la dĂ©claration lĂ©gale ne pouvait avoir lieu, chez le notaire, que lorsque le capital Ă©tait intĂ©gralement souscrit ? et, si elle s'en dĂ©barrassait, Ă qui et comment comptait-elle les cĂ©der ? Mais, dĂ©s les premiers mots du fabricant de soie, le marquis de Bohain, voyant l'impatience de Saccard, lui coupa la parole, en disant, de son grand air noble, que le conseil s'en remettait de ces dĂ©tails Ă son prĂ©sident et au directeur, tous les deux si compĂ©tents et si dĂ©vouĂ©s. Et il n'y eut plus que des congratulations, la sĂ©ance fut levĂ©e au milieu du ravissement de tous. Le lendemain, l'assemblĂ©e gĂ©nĂ©rale donna lieu Ă des manifestations vraiment touchantes. Elle se tint encore dans la salle de la rue Blanche, oĂÂč un entrepreneur de bals publics avait fait faillite ; et, avant l'arrivĂ©e du prĂ©sident, dans cette salle dĂ©jĂ pleine, couraient les meilleurs bruits, un surtout qu'on se chuchotait Ă oreille violemment attaquĂ© par l'opposition grandissante, Rougon, le ministre, le frĂšre du directeur, Ă©tait disposĂ© Ă favoriser l'Universelle, si le journal de la sociĂ©tĂ©, L'EspĂ©rance , un ancien organe catholique, dĂ©fendait le gouvernement. Un dĂ©putĂ© de la gauche venait de lancer le terrible cri " Le 2 dĂ©cembre est un crime ! " qui avait retenti d'un bout de la France Ă l'autre, comme un rĂ©veil de la conscience publique. Il Ă©tait nĂ©cessaire de rĂ©pondre par de grands actes, la prochaine Exposition universelle dĂ©cuplerait le chiffre des affaires, on allait gagner gros au Mexique et ailleurs, dans le triomphe de l'empire Ă son apogĂ©e. Et, parmi un petit groupe d'actionnaires, qu'endoctrinaient Jantrou et Sabatani, on riait beaucoup d'un autre dĂ©putĂ© qui, lors de la discussion sur l'armĂ©e, avait eu l'extraordinaire fantaisie de proposer d'Ă©tablir en France le systĂšme de recrutement de la Prusse. La Chambre s'en Ă©tait amusĂ©e fallait-il que la terreur de la Prusse troublĂÂąt certaines cervelles, Ă la suite de l'affaire du Danemark et sous le coup de la rancune sourde que nous gardait l'Italie, depuis Solferino ! Mais le bruit des conversations particuliĂšres, le grand murmure de la salle, tomba brusquement, lorsque Hamelin et le bureau parurent. Plus modeste encore que dans le conseil de surveillance, Saccard s'effaçait, perdu au milieu de la foule ; et il se contenta de donner le signal des applaudissements, approuvant le rapport qui soumettait Ă l'assemblĂ©e les comptes du premier exercice, revus et acceptĂ©s par les commissaires- censeurs, LavigniĂšre et Rousseau, et qui lui proposait de doubler le capital. Elle seule Ă©tait compĂ©tente pour autoriser cette augmentation, qu'elle dĂ©cida d'ailleurs d'enthousiasme, absolument grisĂ©e par les millions de la Compagnie gĂ©nĂ©rale des Paquebots rĂ©unis et de la Banque nationale turque, reconnaissant la nĂ©cessitĂ© de mettre le capital en rapport avec l'importance que l'Universelle allait prendre. Quant aux mines d'argent du Carmel, elles furent accueillies par un frĂ©missement religieux. Et, lorsque les actionnaires se furent sĂ©parĂ©s, en votant des remerciements au prĂ©sident, au directeur et aux administrateurs, tous rĂÂȘvĂšrent du Carmel, de cette miraculeuse pluie d'argent, tombant des lieux saints, au milieu d'une gloire. Deux jours aprĂšs, Hamelin et Saccard, accompagnĂ©s cette fois du vice- prĂ©sident, le vicomte de Robin-Chagot, retournĂšrent rue Sainte-Anne, chez maĂtre Lelorrain pour dĂ©clarer l'augmentation du capital, qu'ils affirmaient avoir Ă©tĂ© intĂ©gralement souscrit. La vĂ©ritĂ© Ă©tait que trois mille actions environ, refusĂ©es par les premiers actionnaires Ă qui elles appartenaient de droit, restaient aux mains de la sociĂ©tĂ©, laquelle les passa de nouveau au compte Sabatani, par un jeu d'Ă©critures. C'Ă©tait l'ancienne irrĂ©gularitĂ©, aggravĂ©e, le systĂšme qui consistait Ă dissimuler dans les caisses de l'Universelle une certaine quantitĂ© de ses propres valeurs, une sorte de rĂ©serve de combat, qui lui permettait de spĂ©culer, de se jeter en pleine bataille de Bourse, s'il le fallait, pour soutenir les cours, au cas d'une coalition de baissiers. D'ailleurs, Hamelin, tout en dĂ©sapprouvant cette tactique illĂ©gale, avait fini par s'en remettre complĂštement Ă Saccard, pour les opĂ©rations financiĂšres ; et il y eut une conversation Ă ce sujet, entre eux et Mme Caroline, relative seulement aux cinq cents actions qu'il les avait forcĂ©s de prendre, lors de la premiĂšre Ă©mission, et que la seconde, naturellement, venait de doubler mille actions en tout, reprĂ©sentant, pour le versement du quart et la prime, une somme de cent trente-cinq mille francs, que le frĂšre et la soeur voulurent absolument payer, un hĂ©ritage inattendu d'environ trois cent mille francs leur Ă©tant tombĂ© d'une tante, morte dix jours aprĂšs son fils unique, tous deux emportĂ©s par la mĂÂȘme fiĂšvre. Saccard les laissa faire, sans s'expliquer lui-mĂÂȘme sur la maniĂšre dont il comptait libĂ©rer ses propres actions. " Ah ! cet hĂ©ritage, dit en riant Mme Caroline, c'est la premiĂšre chance qui nous arrive... Je crois bien que vous nous portez bonheur. Mon frĂšre avec ses trente mille francs de traitement, ses frais de dĂ©placement considĂ©rables, et tout cet or qui tombe sur nous, parce que nous n'en avons plus besoin sans doute... Nous voilĂ riches. " Elle regardait Saccard, avec sa gratitude de bon coeur, vaincue dĂ©sormais, confiante en lui, perdant chaque jour de sa clairvoyance, dans la tendresse croissante qu'il lui inspirait. Puis, emportĂ©e tout de mĂÂȘme par sa gaie franchise, elle continua " N'importe, si je l'avais gagnĂ©, cet argent, je vous rĂ©ponds que je ne le risquerais pas dans vos affaires... Mais une tante que nous avons Ă peine connue, un argent auquel nous n'avions jamais pensĂ©, enfin de l'argent trouvĂ© par terre, quelque chose qui ne me semble mĂÂȘme pas trĂšs honnĂÂȘte et dont j'ai un peu honte... Vous comprenez, il ne me tient pas au coeur, je veux bien le perdre. - Justement dit Saccard, plaisantant Ă son tour, il va grossir et vous donner des mimons. Il n'y a rien de tel pour profiter comme l'argent volĂ©.. Avant huit jours, vous verrez, vous verrez la hausse ! " Et, en effet, Hamelin, ayant dĂ» retarder son dĂ©part, assista avec surprise Ă une hausse rapide des actions de l'Universelle. A la liquidation de la fin de mai, le cours de sept cents francs fut dĂ©passĂ©. Il y avait lĂ l'ordinaire rĂ©sultat que produit toute augmentation de capital c'est le coup classique, la façon de cravacher le succĂšs, de donner un temps de galop aux cours, Ă chaque Ă©mission nouvelle. Mais il y avait aussi la rĂ©elle importance des entreprises que la maison allait lancer ; et de grandes affiches jaunes, collĂ©es dans tout Paris, annonçant la prochaine exploitation des mines d'argent du Carmel, achevaient de troubler les tĂÂȘtes, y allumaient un commencement de griserie, cette passion qui devait croĂtre et emporter toute raison. Le terrain Ă©tait prĂ©parĂ©, le terreau impĂ©rial, fait de dĂ©bris en fermentation, chauffĂ© des appĂ©tits exaspĂ©rĂ©s, extrĂÂȘmement favorable Ă une de ces poussĂ©es folles de la spĂ©culation, qui, toutes les dix Ă quinze annĂ©es, obstruent et empoisonnent la Bourse, ne laissant aprĂšs elles que des ruines et du sang. DĂ©jĂ , les sociĂ©tĂ©s vĂ©reuses naissaient comme des champignons, les grandes compagnies poussaient aux aventures financiĂšres, une fiĂšvre intense du jeu se dĂ©clarait, au milieu de la prospĂ©ritĂ© bruyante du rĂšgne, tout un Ă©clat de plaisir et de luxe, dont la prochaine Exposition promettait d'ĂÂȘtre la splendeur finale, la menteuse apothĂ©ose de fĂ©erie. Et, dans le vertige qui frappait la foule, parmi la bousculade des autres belles affaires s'offrant sur le trottoir, l'Universelle enfin se mettait en marche, en puissante machine destinĂ©e Ă tout affoler, Ă tout broyer, et que des mains violentes chauffaient sans mesure, jusqu'Ă l'explosion. Lorsque son frĂšre fut reparti pour l'Orient, Mme Caroline se retrouva seule avec Saccard, reprenant leur Ă©troite vie d'intimitĂ©, presque conjugale. Elle s'entĂÂȘtait Ă s'occuper de sa maison, Ă lui faire rĂ©aliser des Ă©conomies, en intendante fidĂšle, bien que leur fortune Ă tous deux eĂ»t changĂ©. Et, dans sa paix souriante, son humeur toujours Ă©gale, elle n'Ă©prouvait qu'un trouble, son cas de conscience au sujet de Victor, l'hĂ©sitation de savoir si elle devait cacher plus longtemps au pĂšre l'existence de son fils. On Ă©tait trĂšs mĂ©content de ce dernier, Ă l'Oeuvre du Travail, qu'il ravageait. Les six mois d'expĂ©rience Ă©taient Ă©coulĂ©s, allait-elle produire le petit monstre, avant de l'avoir dĂ©crassĂ© de ses vices ? Elle en ressentait parfois une vraie souffrance. Un soir, elle fut sur le point de parler. Saccard, que l'installation mesquine de l'Universelle dĂ©sespĂ©rait, venait de dĂ©cider le conseil Ă louer le rez-de-chaussĂ©e de la maison voisine, pour agrandir les bureaux, en attendant qu'il osĂÂąt proposer la construction de l'hĂÂŽtel luxueux de ses rĂÂȘves. De nouveau, il faisait percer des portes de communication, abattre des cloisons, poser encore des guichets. Et, comme elle revenait du boulevard Bineau, dĂ©sespĂ©rĂ©e d'une abomination de Victor, qui avait presque mangĂ© l'oreille Ă un camarade, elle le pria de monter avec elle, chez eux. " Mon ami, j'ai quelque chose Ă vous dire. " Mais, en haut, quand elle le vit, une Ă©paule couverte de plĂÂątre, enchantĂ© d'une nouvelle idĂ©e d'agrandissement qu'il venait d'avoir, celle de vitrer aussi la cour de la maison voisine, elle n'eut pas le courage de le bouleverser, avec le dĂ©plorable secret. Non, elle attendrait encore, il faudrait bien que l'affreux vaurien se corrigeĂÂąt. Elle Ă©tait sans force devant la peine des autres. " Eh bien, mon ami, c'Ă©tait pour cette cour. J'avais eu justement la mĂÂȘme idĂ©e que vous. " VI - Les bureaux de L'EspĂ©rance , le journal catholique en dĂ©tresse que, sur l'offre de Jantrou, Saccard avait achetĂ©, pour travailler au lancement de l'Universelle, se trouvaient rue Saint-Joseph, dans un vieil hĂÂŽtel noir et humide, dont ils occupaient le premier Ă©tage, au fond de la cour. Un couloir partait de l'antichambre, oĂÂč le gaz brĂ»lait Ă©ternellement ; et il y avait, Ă gauche, le cabinet de Jantrou, le directeur, puis une piĂšce que Saccard s'Ă©tait rĂ©servĂ©e, tandis que s'alignaient, Ă droite, la salle commune de la rĂ©daction, le cabinet du secrĂ©taire, des cabinets destinĂ©s aux diffĂ©rents services. De l'autre cĂÂŽtĂ© du palier, Ă©taient installĂ©es l'administration et la caisse, qu'un couloir intĂ©rieur, tournant derriĂšre l'escalier, reliait Ă la rĂ©daction. Ce jour-lĂ , Jordan, en train d'achever une chronique, dans la salle commune, oĂÂč il s'Ă©tait installĂ© de bonne heure pour n'ĂÂȘtre pas dĂ©rangĂ©, en sortit comme quatre heures sonnaient, et vint trouver Dejoie, le garçon de bureau, qui, Ă la flamme large du gaz, malgrĂ© la radieuse journĂ©e de juin qu'il faisait dehors, lisait avidement le bulletin de la Bourse, qu'on apportait et dont il prenait le premier connaissance. " Dites donc, Dejoie, c'est M. Jantrou qui vient d'arriver ? - Oui, monsieur Jordan. " Le jeune homme eut une hĂ©sitation, un court malaise qui l'arrĂÂȘta pendant quelques secondes. Dans les commencements difficiles de son heureux mĂ©nage, des dettes anciennes Ă©taient tombĂ©es ; et, malgrĂ© sa chance d'avoir trouvĂ© ce journal oĂÂč il plaçait des articles, il traversait une atroce gĂÂȘne, d'autant plus qu'une saisie-arrĂÂȘt Ă©tait mise sur ses appointements et qu'il avait Ă payer, ce jour-lĂ , un nouveau billet, sous la menace de voir ses quatre meubles vendus. DĂ©jĂ , deux fois, il avait demandĂ© vainement une avance au directeur, qui s'Ă©tait retranchĂ© derriĂšre la saisie-arrĂÂȘt faite entre ses mains. Pourtant, il se dĂ©cidait, s'approchait de la porte, lorsque le garçon de bureau reprit " C'est que M. Jantrou n'est pas seul. - Ah !... Avec qui est-il ? - Il est arrivĂ© avec M. Saccard, et M. Saccard m'a bien dit de ne laisser entrer que M. Huret, qu'il attend. " Jordan respira, soulagĂ© par ce dĂ©lai, tant les demandes d'argent lui Ă©taient pĂ©nibles. " C'est bon, je vais finir mon article. Avertissez-moi, quand le directeur sera libre. " Mais, comme il s'en allait, Dejoie le retint, avec un Ă©clat de jubilation extrĂÂȘme. " Vous savez que l'Universelle a fait 750. " D'un geste, le jeune homme dit qu'il s'en moquait bien, et il rentra dans la salle de rĂ©daction. Presque chaque jour, Saccard montait ainsi au journal, aprĂšs la Bourse, et souvent mĂÂȘme il donnait des rendez-vous dans la piĂšce qu'il s'Ă©tait rĂ©servĂ©e, traitant lĂ des affaires spĂ©ciales et mystĂ©rieuses. Jantrou du reste, bien qu'officiellement il ne fĂ»t que directeur de L'EspĂ©rance , oĂÂč il Ă©crivait des articles politiques d'une littĂ©rature universitaire soignĂ©e et fleurie, que ses adversaires eux- mĂÂȘmes reconnaissaient " du plus pur atticisme " , Ă©tait son agent secret, l'ouvrier complaisant des besognes dĂ©licates. Et, entre autres choses, c'Ă©tait lui qui venait d'organiser toute une vaste publicitĂ© autour de l'Universelle. Parmi les petites feuilles financiĂšres qui pullulaient, il en avait choisi et achetĂ© une dizaine. Les meilleures appartenaient Ă de louches maisons de banque, dont la tactique, trĂšs simple, consistait Ă les publier et Ă les donner pour deux ou trois francs par an, somme qui ne reprĂ©sentait mĂÂȘme pas le prix de l'affranchissement ; et elles se rattrapaient d'autre part, trafiquant sur l'argent et les titres des clients que leur amenait le journal. Sous le prĂ©texte de publier les cours de la Bourse, les numĂ©ros sortis des valeurs Ă lots, tous les renseignements techniques, utiles aux petits rentiers, peu Ă peu des rĂ©clames se glissaient, en forme de recommandations et de conseils, d'abord modestes, raisonnables, bientĂÂŽt sans mesure, d'une impudence tranquille, soufflant la ruine parmi les abonnĂ©s crĂ©dules. Dans le tas, au milieu des deux ou trois cents publications qui ravageaient ainsi Paris et la France, son flair venait d'ĂÂȘtre de choisir celles qui n'avaient pas trop menti encore ; qui n'Ă©taient point trop dĂ©considĂ©rĂ©es. Mais la grosse affaire qu'il mĂ©ditait, c'Ă©tait d'acheter une d'elles, La Cote financiĂšre , qui avait dĂ©jĂ douze ans de probitĂ© absolue ; seulement, ça menaçait d'ĂÂȘtre trĂšs cher, une probitĂ© pareille ; et il attendait que l'Universelle fĂ»t plus riche et se trouvĂÂąt dans une de ces situations oĂÂč un dernier coup de trompette dĂ©termine les sonneries assourdissantes du triomphe. Son effort, d'ailleurs, ne s'Ă©tait pas bornĂ© Ă grouper un bataillon docile de ces feuilles spĂ©ciales, cĂ©lĂ©brant dans chaque numĂ©ro la beautĂ© des opĂ©rations de Saccard ; il traitait aussi Ă forfait avec les grands journaux politiques et littĂ©raires, y entretenait un courant de notes aimables, d'articles louangeurs, Ă tant la ligne, s'assurait de leur concours par des cadeaux de titres, lors des Ă©missions nouvelles. Sans parler de la campagne quotidienne menĂ©e sous ses ordres, par L'EspĂ©rance , non point une campagne brutale, violemment approbative, mais des explications, de la discussion mĂÂȘme, une façon lente de s'emparer du public et de l'Ă©trangler, correctement. Ce jour-lĂ , c'Ă©tait pour causer du journal que Saccard s'enfermait avec Jantrou. Il avait trouvĂ©, dans le numĂ©ro du matin, un article d'Huret d'un Ă©loge si outrĂ© sur un discours de Rougon, prononcĂ© la veille Ă la Chambre, qu'il Ă©tait entrĂ© dans une violente colĂšre, et qu'il attendait le dĂ©putĂ©, pour s'en expliquer avec lui. Est-ce qu'on le croyait Ă la solde de son frĂšre ? est-ce qu'on le payait pour qu'il laissĂÂąt compromettre la ligne du journal par une approbation sans rĂ©serve des moindres actes du ministre ? Lorsqu'il l'entendit parler de la ligne du journal, Jantrou eut un muet sourire. D'ailleurs, il l'Ă©coutait, trĂšs calme, en s'examinant les ongles, du moment que l'orage ne menaçait pas de crever sur ses Ă©paules. Lui, avec son cynisme de lettrĂ© dĂ©sabusĂ©, avait le plus parfait dĂ©dain pour la littĂ©rature, pour la une et la deux, comme il disait en dĂ©signant les pages du journal oĂÂč paraissaient les articles, mĂÂȘme les siens ; et il ne commençait Ă s'Ă©mouvoir qu'aux annonces. Maintenant, il Ă©tait tout flambant neuf, serrĂ© dans une Ă©lĂ©gante redingote, la boutonniĂšre fleurie d'une rosette panachĂ©e de couleurs vives, portant l'Ă©tĂ©, sur le bras, un mince pardessus de nuance claire, enfoncĂ© l'hiver dans une fourrure de cent louis, soignant surtout sa coiffure, des chapeaux irrĂ©prochables, d'un luisant de glace. Avec cela, il gardait des trous dans son Ă©lĂ©gance, la vague impression d'une malpropretĂ© persistant en dessous, l'ancienne crasse du professeur dĂ©classĂ©, tombĂ© du lycĂ©e de Bordeaux Ă la Bourse de Paris, la peau pĂ©nĂ©trĂ©e et teinte des saletĂ©s immondes qu'il y avait essuyĂ©es pendant dix ans ; de mĂÂȘme que, dans l'arrogante assurance de sa nouvelle fortune, il avait de basses humilitĂ©s, s'effaçant, pris de la peur brusque de quelque coup de pied au derriĂšre, ainsi qu'autrefois. Il gagnait cent mille francs par an, en mangeait le double, on ne savait Ă quoi, car il n'affichait pas de maĂtresse, tenaillĂ© sans doute par quelque ignoble vice, la cause secrĂšte qui l'avait fait chasser de l'UniversitĂ©. L'absinthe, du reste, le dĂ©vorait peu Ă peu, depuis ses jours de misĂšre, continuant son oeuvre, des infĂÂąmes cafĂ©s de jadis au cercle luxueux d'aujourd'hui, fauchant ses derniers cheveux, plombant son crĂÂąne et sa face, dont sa barbe noire en Ă©ventail demeurait l'unique gloire, une barbe de bel homme qui faisait illusion encore. Et Saccard, ayant de nouveau invoquĂ© la ligne du journal, il l'avait arrĂÂȘtĂ© d'un geste, de l'air fatiguĂ© d'un homme qui, n'aimant point perdre son temps en passion inutile, se dĂ©cidait Ă lui parler d'affaires sĂ©rieuses, puisque Huret se faisait attendre. Depuis quelque temps, Jantrou nourrissait des idĂ©es neuves de publicitĂ©. Il songeait d'abord Ă Ă©crire une brochure, une vingtaine de pages sur les grandes entreprises que lançait l'Universelle, mais en leur donnant l'intĂ©rĂÂȘt d'un petit roman, dramatisĂ© en un style familier ; et il voulait inonder la province de cette brochure, qu'on distribuerait pour rien, au fond des campagnes les plus reculĂ©es. Ensuite, il projetait de crĂ©er une agence qui rĂ©digerait et ferait autographier un bulletin de la Bourse, pour l'envoyer Ă une centaine des meilleurs journaux des dĂ©partements on leur ferait cadeau de ce bulletin, ou ils le paieraient un prix dĂ©risoire, et l'on aurait bientĂÂŽt ainsi dans les mains une arme puissante, une force avec laquelle toutes les maisons de banque rivales seraient obligĂ©es de compter. Connaissant Saccard, il lui soufflait ainsi ses idĂ©es, jusqu'Ă ce que ce dernier les adoptĂÂąt, les fit siennes, les Ă©largĂt au point de les recrĂ©er rĂ©ellement. Les minutes s'Ă©coulaient, tous deux en Ă©taient venus Ă rĂ©gler l'emploi des fonds de la publicitĂ© pour le trimestre, les subventions Ă payer aux grands journaux, le terrible bulletinier d'une maison adverse dont il fallait acheter le silence, une part Ă prendre dans la mise aux enchĂšres de la quatriĂšme page d'une trĂšs ancienne feuille, trĂšs respectĂ©e. Et, de leur prodigalitĂ©, de tout cet argent qu'ils jetaient de la sorte en vacarme, aux quatre coins du ciel, se dĂ©gageait surtout leur dĂ©dain immense du public, le mĂ©pris de leur intelligence d'hommes d'affaires pour la noire ignorance du troupeau, prĂÂȘt Ă croire tous les contes, tellement fermĂ© aux opĂ©rations compliquĂ©es de la Bourse, que les raccrochages les plus Ă©hontĂ©s allumaient les passants et faisaient pleuvoir les millions. Comme Jordan cherchait encore cinquante lignes pour arriver Ă ses deux colonnes, il fut dĂ©rangĂ© par Dejoie, qui l'appelait. " Ah ! dit-il, M. Jantrou est seul ? - Non, monsieur Jordan, pas encore... C'est votre dame qui est lĂ et qui vous demande. " TrĂšs inquiet, Jordan se prĂ©cipita. Depuis quelques mois, depuis que la MĂ©chain avait enfin dĂ©couvert qu'il Ă©crivait sous son nom dans L'EspĂ©rance , il Ă©tait traquĂ© par Busch, pour les six billets de cinquante francs, signĂ©s autrefois Ă un tailleur. La somme de trois cents francs que reprĂ©sentaient les billets, il l'aurait encore payĂ©e ; mais ce qui l'exaspĂ©rait, c'Ă©tait l'Ă©normitĂ© des frais, ce total de sept cent trente francs quinze centimes, auquel Ă©tait montĂ©e la dette. Pourtant, il avait pris un arrangement, s'Ă©tait engagĂ© Ă donner cent francs par mois ; et, comme il ne le pouvait pas, son jeune mĂ©nage ayant des besoins plus pressants, chaque mois les frais montaient davantage, les ennuis recommençaient, intolĂ©rables. En ce moment, il en Ă©tait de nouveau Ă une crise aiguĂ. " Quoi donc ? " demanda-t-il Ă sa femme, qu'il trouva dans l'antichambre. Mais elle n'eut pas le temps de rĂ©pondre, la porte du cabinet du directeur s'ouvrait violemment, et Saccard paraissait, criant " Ah ! ça, Ă la fin ! Dejoie, et M. Huret ? " InterloquĂ©, le garçon de bureau bĂ©gaya. " Dame ! monsieur, il n'est pas lĂ , je ne peux pas le faire venir plus vite, moi. " La porte fut refermĂ©e avec un juron, et Jordan, qui avait emmenĂ© sa femme dans un des cabinets voisins, put l'interroger Ă l'aise. " Quoi donc ? chĂ©rie. " Marcelle, si gaie et si brave d'habitude, dont la petite personne grasse et brune, le clair visage aux yeux rieurs, Ă la bouche saine, exprimait le bonheur, mĂÂȘme dans les heures difficiles, semblait complĂštement bouleversĂ©e. " Oh ! Paul, si tu savais, il est venu un homme, oh ! un vilain homme affreux, qui sentait mauvais et qui avait bu, je crois... Alors, il m'a dit que c'Ă©tait fini, que la vente de nos meubles Ă©tait pour demain... Et il avait une affiche qu'il voulait absolument coller en bas, Ă la porte... - Mais c'est impossible ! cria Jordan. Je n'ai rien reçu, il y a d'autres formalitĂ©s. - Ah ! oui, tu t'y connais encore moins que moi. Quand il vient des papiers, tu ne les lis seulement pas... Alors, pour qu'il ne collĂÂąt pas l'affiche, je lui ai donnĂ© deux francs, et j'ai couru, et j'ai voulu te prĂ©venir tout de suite. " Ils se dĂ©sespĂ©rĂšrent. Leur pauvre petit mĂ©nage de l'avenue de Clichy, ces quatre meubles d'acajou et de reps bleu qu'ils avaient payĂ©s si difficilement Ă tant par mois, dont ils Ă©taient si fiers, bien qu'ils en riaient parfois, le trouvant d'un goĂ»t bourgeois abominable ! Ils l'aimaient, parce qu'il avait fait partie de leur bonheur, dĂšs la nuit des noces, dans ces deux Ă©troites piĂšces, si ensoleillĂ©es, si ouvertes Ă l'espace, lĂ -bas, jusqu'au mont ValĂ©rien ; et lui qui avait plantĂ© tant de clous, et elle qui s'Ă©tait ingĂ©niĂ©e Ă draper de l'andrinople, pour donner au logement un air artiste ! Etait-ce possible qu'on allait leur vendre tout ça, qu'on les chasserait de ce coin gentil, oĂÂč mĂÂȘme la misĂšre leur Ă©tait dĂ©licieuse ? " Ecoute, dit-il, je comptais demander une avance, je vais faire ce que je pourrai, mais je n'ai pas beaucoup d'espoir. " Alors, hĂ©sitante, elle lui confia son idĂ©e. " Moi, voici Ă quoi j'avais songĂ©... Oh ! je ne l'aurais pas fait sans que tu veuilles bien ; et la preuve, c'est que je suis venue pour en causer avec toi... Oui, j'ai envie de m'adresser Ă mes parents. " Vivement, il refusa. " Non, non, jamais ! Tu sais que je ne veux rien leur devoir. " Certes, les Maugendre restaient trĂšs convenables. Mais il gardait sur le coeur leur attitude refroidie, lorsque, aprĂšs le suicide de son pĂšre, dans l'Ă©croulement de sa fortune, ils n'avaient consenti au mariage depuis longtemps projetĂ© de leur fille, que sur la volontĂ© formelle de cette derniĂšre, et en prenant contre lui des prĂ©cautions blessantes, entre autres celle de ne pas donner un sou, convaincus qu'un garçon qui Ă©crivait dans les journaux devait tout manger. Plus tard, leur fille hĂ©riterait. Et tous deux, elle autant que lui d'ailleurs, avaient mis jusque-lĂ une coquetterie Ă crever de faim, sans rien demander aux parents, en dehors du repas qu'ils faisaient chez eux, une fois par semaine, le dimanche soir. " Je t'assure, reprit-elle, c'est ridicule, notre rĂ©serve. Puisqu'ils n'ont que moi d'enfant, puisque tout doit me revenir un jour !... Mon pĂšre rĂ©pĂšte Ă qui veut l'entendre qu'il a gagnĂ© quinze mille francs de rentes, dans son commerce de bĂÂąches, Ă la Villette ; et, en plus, il y a leur petit hĂÂŽtel, avec ce beau jardin, oĂÂč ils se sont retirĂ©s... C'est stupide de nous faire tant de peine, lorsqu'ils regorgent de tout. Ils n'ont jamais Ă©tĂ© mĂ©chants, au fond. Je te dis que je vais aller les voir ! " Elle avait une bravoure souriante, l'air dĂ©cidĂ©, trĂšs pratique dans son dĂ©sir de rendre heureux son cher mari, qui travaillait tant, sans avoir trouvĂ© encore, chez la critique et dans le public, autre chose que beaucoup d'indiffĂ©rence et quelques gifles. Ah ! l'argent, elle aurait voulu en avoir des baquets pour les lui apporter, et il aurait Ă©tĂ© bien bĂÂȘte de faire le dĂ©licat, puisqu'elle l'aimait et qu'elle lui devait tout. C'Ă©tait son conte de fĂ©es, sa Cendrillon Ă elle les trĂ©sors de sa royale famille, qu'elle mettait, de ses petites mains, aux pieds de son prince ruinĂ©, pour l'aider dans sa marche vers la gloire, Ă la conquĂÂȘte du monde. " Voyons, dit-elle gaiement, en l'embrassant, il faut bien que je te serve Ă quelque chose, tu ne peux pas avoir toute la peine. " Il cĂ©da, il fut convenu qu'elle allait tout de suite remonter aux Batignolles, rue Legendre, oĂÂč ses parents demeuraient, et qu'elle reviendrait apporter l'argent, afin qu'il pĂ»t encore essayer de payer, le soir mĂÂȘme. Et, comme il l'accompagnait jusqu'au palier, aussi Ă©mu que si elle Ă©tait partie pour un grand danger, ils durent s'effacer et laisser passer Huret, qui arrivait enfin. Quand il retourna finir sa chronique dans la salle de rĂ©daction, il entendit un violent fracas de voix sortir du cabinet de Jantrou. Saccard, puissant Ă cette heure, redevenu le maĂtre, voulait ĂÂȘtre obĂ©i, sachant qu'il les tenait tous par l'espoir du gain et la terreur de la perte, dans la partie de colossale fortune qu'il jouait avec eux. " Ah ! vous voilĂ donc, cria-t-il en apercevant Huret Est-ce que c'est pour offrir au grand homme votre article encadrĂ©, que vous vous ĂÂȘtes attardĂ© Ă la Chambre ?... J'en ai assez, vous savez, des coups d'encensoir dont vous lui cassez la figure, et je vous ai attendu pour vous dire que c'est fini, qu'il faudra, Ă l'avenir, nous donner autre chose. " InterloquĂ©, Huret regarda Jantrou. Mais celui-ci, bien dĂ©cidĂ© Ă ne pas s'attirer des ennuis en le secourant, s'Ă©tait mis Ă passer les doigts dans sa belle barbe, les yeux perdus. " Comment, autre chose ? finit par rĂ©pondre le dĂ©putĂ©, mais je vous donne ce que vous m'avez demandĂ© !... Quand vous avez pris L'EspĂ©rance , cette feuille avancĂ©e du catholicisme et de la royautĂ©, qui menait une si rude campagne contre Rougon, c'est vous qui m'avez priĂ© d'Ă©crire une sĂ©rie d'articles Ă©logieux, pour montrer Ă votre frĂšre que vous n'entendiez pas lui ĂÂȘtre hostile, et pour bien indiquer ainsi la nouvelle ligne du journal. - La ligne du journal, prĂ©cisĂ©ment, reprit Saccard avec plus de violence, c'est la ligne du journal que je vous accuse de compromettre... Est-ce que vous croyez que je veux m'infĂ©oder Ă mon frĂšre ? Certes, je n'ai jamais marchandĂ© mon admiration et mon affection reconnaissantes Ă l'empereur, je n'oublie pas ce que nous lui devons tous, ce que je lui dois, moi, en particulier. Seulement, ce n'est pas attaquer l'empire, c'est faire au contraire son devoir de sujet fidĂšle, que de signaler les fautes commises... La voilĂ , la ligne du journal dĂ©vouement Ă la dynastie, mais indĂ©pendance entiĂšre Ă l'Ă©gard des ministres, des personnalitĂ©s ambitieuses qui s'agitent et qui se disputent la faveur des Tuileries ! " Et il se livra Ă un examen de la situation politique, pour prouver que l'empereur Ă©tait mal conseillĂ©. Il accusait Rougon de n'avoir plus son Ă©nergie autoritaire, sa foi de jadis au pouvoir absolu, de pactiser enfin avec les idĂ©es libĂ©rales, dans l'unique but de garder son portefeuille. Lui, se tapait du poing contre la poitrine, en se disant immuable, bonapartiste de la premiĂšre heure, croyant du coup d'Etat, convaincu que le salut de la France Ă©tait, aujourd'hui comme autrefois, dans le gĂ©nie et la force d'un seul. Oui, plutĂÂŽt que d'aider Ă l'Ă©volution de son frĂšre, plutĂÂŽt que de laisser l'empereur se suicider par de nouvelles concessions, il rallierait les intransigeants de la dictature, il ferait cause commune avec les catholiques, pour enrayer la chute rapide qu'il prĂ©voyait. Et que Rougon prit garde, car L'EspĂ©rance pouvait reprendre sa campagne en faveur de Rome ! Huret et Jantrou l'Ă©coutaient, stupĂ©faits de sa colĂšre, n'ayant jamais soupçonnĂ© en lui des convictions politiques si ardentes. Le premier s'avisa de vouloir dĂ©fendre les derniers actes du gouvernement. " Dame ! mon cher, si l'empire va Ă la libertĂ©, c'est que toute la France est lĂ qui pousse ferme... L'empereur est entraĂnĂ©, Rougon se trouve bien obligĂ© de le suivre. " Mais Saccard, dĂ©jĂ , sautait Ă d'autres griefs, sans se soucier de mettre quelque logique dans ses attaques. " Et, tenez ! c'est comme notre situation extĂ©rieure, eh bien, elle est dĂ©plorable... Depuis le traitĂ© de Villafranca, aprĂšs Solferino, l'Italie nous garde rancune de ne pas ĂÂȘtre allĂ©s jusqu'au bout de la campagne et de ne pas lui avoir donnĂ© la VĂ©nĂ©tie ; si bien que la voici alliĂ©e avec la Prusse, dans la certitude que celle-ci l'aidera Ă battre l'Autriche... Lorsque la guerre Ă©clatera, vous allez voir la bagarre, et quel ennui sera le nĂÂŽtre ; d'autant plus que nous avons eu grand tort de laisser Bismarck et le roi Guillaume s'emparer des duchĂ©s, dans l'affaire du Danemark, au mĂ©pris d'un traitĂ© que la France avait signĂ© c'est un soufflet, il n'y a pas Ă dire, nous n'avons plus qu'Ă tendre l'autre joue... Ah ! la guerre, elle est certaine, vous vous rappelez la baisse du mois dernier sur les fonds français et italiens, quand on a cru Ă une intervention possible de notre part dans les affaires d'Allemagne. Avant quinze jours peut-ĂÂȘtre, l'Europe sera en feu. " De plus en plus surpris, Huret se passionna, contre son habitude. " Vous parlez comme les journaux de l'opposition, vous ne voulez pourtant pas que L'EspĂ©rance emboĂte le pas derriĂšre Le SiĂšcle et les autres... Il ne vous reste plus qu'Ă insinuer, Ă l'exemple de ces feuilles, que, si l'empereur s'est laissĂ© humilier, dans l'affaire des duchĂ©s, et s'il permet Ă la Prusse de grandir impunĂ©ment, c'est qu'il a immobilisĂ© tout un corps d'armĂ©e, pendant de longs mois, au Mexique. Voyons, soyez de bonne foi, c'est fini, le Mexique, nos troupes reviennent... Et puis, je ne vous comprends pas, mon cher, si vous voulez garder Rome au pape, pourquoi avez-vous l'air de blĂÂąmer la paix hĂÂątive de Villafranca ? La VĂ©nĂ©tie Ă l'Italie, mais c'est les Italiens Ă Rome avant deux ans, vous le savez comme moi ; et Rougon le sait aussi, bien qu'il jure le contraire, Ă la tribune... - Ah ! vous voyez que c'est un fourbe ! cria superbement Saccard. Jamais on ne touchera au pape, entendez-vous ! sans que la France catholique entiĂšre se lĂšve pour le dĂ©fendre... Nous lui porterions notre argent, oui ! tout l'argent de l'Universelle ! J'ai mon projet, notre affaire est lĂ , et vraiment, Ă force de m'exaspĂ©rer, vous me feriez dire des choses que je ne veux pas dire encore ! " Jantrou, trĂšs intĂ©ressĂ©, avait brusquement dressĂ© l'oreille, commençant Ă comprendre, tĂÂąchant de faire son profit d'une parole surprise au passage. " Enfin, reprit Huret, je dĂ©sire savoir Ă quoi m'en tenir, moi, Ă cause de mes articles, et il s'agit de nous entendre... Voulez-vous qu'on intervienne, voulez-vous qu'on n'intervienne pas ? si nous sommes pour le principe des nationalitĂ©s, de quel droit irions-nous nous mĂÂȘler des affaires de l'Italie et de l'Allemagne ?... Voulez-vous que nous fassions une campagne contre Bismarck ? oui ! au nom de nos frontiĂšres menacĂ©es... " Mais Saccard, hors de lui, debout, Ă©clata. " Ce que je veux, c'est que Rougon ne se fiche pas moi davantage !... Comment ! aprĂšs tout ce que j'ai fait ! J'achĂšte un journal, le pire de ses ennemis, j'en fais un organe dĂ©vouĂ© Ă sa politique, je vous laisse pendant des mois y chanter ses louanges. Et jamais ce bougre-lĂ ne nous donnerait un coup d'Ă©paule, j'en suis encore Ă attendre un service de sa part ! " Timidement, le dĂ©putĂ© fit remarquer que, lĂ -bas, en Orient, l'appui du ministre avait singuliĂšrement aidĂ© l'ingĂ©nieur Hamelin, en lui ouvrant toutes les portes, en exerçant une pression sur certains personnages. " Laissez-moi donc tranquille ! Il n'a pas pu faire autrement... Mais est-ce qu'il m'a jamais averti, la veille d'une hausse ou d'une baisse, lui qui est si bien placĂ© pour tout savoir ? Souvenez-vous ! vingt fois je vous ai chargĂ© de le sonder, vous qui le voyez tous les jours, et vous en ĂÂȘtes encore Ă m'apporter un vrai renseignement utile... Ce ne serait pourtant pas si grave, un simple mot que vous me rĂ©pĂ©teriez. - Sans doute, mais il n'aime pas ça, il dit que ce sont des tripotages dont on se repent toujours. - Allons donc ! est-ce qu'il a de ces scrupules avec Gundermann ! Il fait de l'honnĂÂȘtetĂ© avec moi, et il renseigne Gundermann. - Oh ! Gundermann, sans doute ! Ils ont tous besoin de Gundermann, ils ne pourraient pas faire un emprunt sans lui. " Du coup, Saccard triompha violemment, tapant dans ses mains. " Nous y voilĂ donc, vous avouez ! L'empire est vendu aux juifs, aux sales juifs. Tout notre argent est condamnĂ© Ă tomber entre leurs pattes crochues. L'Universelle n'a plus qu'Ă crouler devant leur toute- puissance. " Et il exhala sa haine hĂ©rĂ©ditaire, il reprit ses accusations contre cette race de trafiquants et d'usuriers, en marche depuis des siĂšcles Ă travers les peuples, dont ils sucent le sang, comme les parasites de la teigne et de la gale, allant quand mĂÂȘme, sous les crachats et les coups, Ă la conquĂÂȘte certaine du monde, qu'ils possĂ©deront un jour par la force invincible de l'or. Et il s'acharnait surtout contre Gundermann, cĂ©dant Ă sa rancune ancienne, au dĂ©sir irrĂ©alisable et enragĂ© de l'abattre, malgrĂ© le pressentiment que celui-lĂ Ă©tait la borne oĂÂč il s'Ă©craserait, s'il entrait jamais en lutte. Ah ! ce Gundermann ! un Prussien Ă l'intĂ©rieur, bien qu'il fĂ»t nĂ© en France ! car il faisait Ă©videmment des voeux pour la Prusse, il l'aurait volontiers soutenue de son argent, peut-ĂÂȘtre mĂÂȘme la soutenait-il en secret ! N'avait-il pas osĂ© dire, un soir, dans un salon, que, si jamais une guerre Ă©clatait entre la Prusse et la France, cette derniĂšre serait vaincue ! " J'en ai assez, comprenez-vous, Huret ! et mettez-vous bien ça dans la tĂÂȘte c'est que, si mon frĂšre ne me sert Ă rien, j'entends ne lui servir Ă rien non plus... Quand vous m'aurez apportĂ© de sa part une bonne parole, je veux dire un renseignement que nous puissions utiliser, je vous laisserai reprendre vos dithyrambes en sa faveur. Est-ce clair ? " C'Ă©tait trop clair. Jantrou, qui retrouvait son Saccard, sous le thĂ©oricien politique, s'Ă©tait remis Ă peigner sa barbe du bout de ses doigts. Mais Huret, bousculĂ© dans sa finasserie prudente de paysan normand, paraissait fort ennuyĂ©, car il avait placĂ© sa fortune sur les deux frĂšres, et il aurait bien voulu ne se fĂÂącher ni avec l'un ni avec l'autre. " Vous avez raison, murmura-t-il, mettons une sourdine, d'autant plus qu'il faut voir venir l'Ă©vĂ©nement. Et je vous promets de tout faire pour obtenir les confidences du grand homme. A la premiĂšre nouvelle qu'il m'apprend, je saute dans un fiacre et je vous l'apporte. " DĂ©jĂ , ayant jouĂ© son rĂÂŽle, Saccard plaisantait. " C'est pour vous tous que je travaille, mes bons amis... Moi, j'ai toujours Ă©tĂ© ruinĂ© et j'ai toujours mangĂ© un million par an. " Et, revenant Ă la publicitĂ© " Ah ! dites donc, Jantrou, vous devriez bien Ă©gayer un peu votre bulletin de la Bourse... Oui, vous savez des mots pour rire, des calembours. Le public aime ça, rien ne l'aide comme l'esprit Ă avaler les choses... N'est-ce pas ? des calembours ! " Ce fut le tour du directeur d'ĂÂȘtre contrariĂ©. Il se piquait de distinction littĂ©raire. Mais il dut promettre. Et, comme il inventa une histoire, des femmes trĂšs bien qui lui avaient offert de se faire tatouer des annonces aux endroits les plus dĂ©licats de leur personne, les trois hommes, riant trĂšs fort, redevinrent les meilleurs amis du monde. Cependant, Jordan avait enfin terminĂ© sa chronique, et l'impatience le prenait de voir revenir sa femme. Des rĂ©dacteurs arrivaient, il causa, puis retourna dans l'antichambre. Et, lĂ , il Ă©tait restĂ© un peu scandalisĂ©, de surprendre Dejoie, l'oreille collĂ©e contre la porte du directeur, en train d'Ă©couter, tandis que sa fille Nathalie faisait le guet. " N'entrez pas, balbutia le garçon de bureau, M. Saccard est toujours lĂ ... Je croyais qu'on m'avait appelĂ©... " La vĂ©ritĂ© Ă©tait que, mordu d'un ĂÂąpre dĂ©sir de gain, depuis qu'il avait achetĂ© huit actions entiĂšrement libĂ©rĂ©es de l'Universelle, avec les quatre mille francs d'Ă©conomies laissĂ©es par sa femme, il ne vivait plus que pour l'Ă©motion joyeuse de voir monter ces actions ; et, Ă genoux devant Saccard, recueillant ses moindres mots, comme des paroles d'oracle, il ne pouvait rĂ©sister, quand il le savait lĂ , au besoin de connaĂtre le fond de ses pensĂ©es, ce que disait le dieu dans le secret du sanctuaire. D'ailleurs, cela Ă©tait encore dĂ©gagĂ© de tout Ă©goĂÂŻsme, il ne songeait qu'Ă sa fille, il venait de s'exalter en calculant que ses huit actions, au cours de sept cent cinquante francs, lui donnaient dĂ©jĂ un gain de douze cents francs ce qui, joint au capital, lui faisait cinq mille deux cents francs. Plus que cent francs de hausse, et il avait les six mille francs rĂÂȘvĂ©s, la dot que le cartonnier exigeait pour laisser son fils Ă©pouser la petite. A cette idĂ©e, son coeur se fondait, il regardait avec des larmes cette enfant qu'il avait Ă©levĂ©e, dont il Ă©tait la vraie mĂšre, dans le petit mĂ©nage si heureux qu'ils menaient ensemble, depuis le retour de nourrice. Mais il continua, trĂšs troublĂ©, lĂÂąchant des paroles quelconques, pour cacher son indiscrĂ©tion. " Nathalie, qui est montĂ©e me dire un petit bonjour, vient de rencontrer votre dame, monsieur Jordan. - Oui, expliqua la jeune fille, elle tournait dans la rue Feydeau. Oh ! elle courait ! " Son pĂšre la laissait sortir Ă sa guise, certain d'elle, disait-il. Et il avait raison de compter sur sa bonne conduite, car elle Ă©tait trop froide au fond, trop rĂ©solue Ă faire elle-mĂÂȘme son bonheur, pour compromettre par une sottise le mariage si longuement prĂ©parĂ©. Avec sa taille mince, ses grands yeux dans son joli visage pĂÂąle, elle s'aimait, d'une Ă©goĂÂŻste obstination, l'air souriant. Jordan, surpris, ne comprenant pas, s'Ă©cria " Comment, dans la rue Feydeau ? " Et il n'eut pas le temps de questionner davantage, car Marcelle entra, essoufflĂ©e. Tout de suite, il l'emmena dans le cabinet voisin, y trouva le rĂ©dacteur des tribunaux, dut se contenter de s'asseoir avec elle sur une banquette, au fond du couloir. " Eh bien ? - Eh bien, mon chĂ©ri, c'est fait, mais ça n'a pas Ă©tĂ© sans peine. " Dans son contentement, il voyait qu'elle avait le coeur gros ; et elle lui dit tout, d'une voix basse et rapide, car elle avait beau se promettre de lui cacher certaines choses ; elle ne pouvait avoir de secrets. Depuis quelque temps, les Maugendre changeaient Ă l'Ă©gard de leur fille. Elle les trouvait moins tendres, prĂ©occupĂ©s, lentement envahis d'une passion nouvelle, le jeu. C'Ă©tait la commune histoire le pĂšre, un gros homme calme et chauve, Ă favoris blancs, la mĂšre, sĂšche, active, ayant gagnĂ© sa part de la fortune, tous deux vivant trop grassement dans leur maison, de leurs quinze mille francs de rentes, s'ennuyant Ă ne plus rien faire. Lui, n'avait eu, dĂšs lors, d'autre distraction que de toucher son argent. A cette Ă©poque, il tonnait contre toute spĂ©culation, il haussait les Ă©paules de colĂšre et de pitiĂ©, en parlant des pauvres imbĂ©ciles qui se font dĂ©pouiller, dans un tas de voleries aussi sottes que malpropres. Mais, vers ce temps-lĂ , une somme importante lui Ă©tant rentrĂ©e, il avait eu l'idĂ©e de l'employer en reports ça, ce n'Ă©tait pas de la spĂ©culation, c'Ă©tait un simple placement ; seulement, Ă partir de ce jour, il avait pris l'habitude, aprĂšs son premier dĂ©jeuner, de lire avec soin, dans son journal, la cote de la Bourse, pour suivre les cours. Et le mal Ă©tait parti de lĂ , la fiĂšvre l'avait brĂ»lĂ© peu Ă peu, Ă voir la danse des valeurs, Ă vivre dans cet air empoisonnĂ© du jeu, l'imagination hantĂ©e de millions conquis en une heure, lui qui avait mis trente annĂ©es Ă gagner quelques centaines de mille francs. Il ne pouvait s'empĂÂȘcher d'en entretenir sa femme, pendant chacun de leurs repas quels coups il aurait faits, s'il n'avait pas jurĂ© de ne jamais jouer ! et il expliquait l'opĂ©ration, il manoeuvrait ses fonds avec la savante tactique d'un gĂ©nĂ©ral en chambre, il finissait toujours par battre triomphalement les parties adverses imaginaires, car il se piquait d'ĂÂȘtre devenu de premiĂšre force dans les questions de primes et de reports. Sa femme, inquiĂšte, lui dĂ©clarait qu'elle aimerait mieux se noyer tout de suite, plutĂÂŽt que de lui voir hasarder un sou ; mais il la rassurait, pour qui le prenait-elle ? Jamais de la vie ! Pourtant, une occasion s'Ă©tait prĂ©sentĂ©e, tous deux, depuis longtemps, avaient la folle envie de faire construire dans leur jardin, une petite serre de cinq ou six mille francs ; si bien qu'un soir, les mains tremblantes d'une Ă©motion dĂ©licieuse, il avait posĂ©, sur la table Ă ouvrage de sa femme, les six billets, en disant qu'il venait de gagner ça Ă la Bourse un coup dont il Ă©tait sĂ»r, une dĂ©bauche qu'il promettait bien de ne pas recommencer, qu'il avait risquĂ©e uniquement Ă cause de la serre. Elle, partagĂ©e entre la colĂšre et le saisissement de sa joie, n'avait point osĂ© le gronder. Le mois suivant, il se lançait dans une opĂ©ration Ă primes, en lui expliquant qu'il ne craignait rien, du moment oĂÂč il limitait sa perte. Puis, que diable ! dans le tas, il y avait tout de mĂÂȘme de bonnes affaires, il aurait Ă©tĂ© bien sot de laisser le voisin en profiter. Et, fatalement, il s'Ă©tait mis Ă jouer Ă terme, petitement d'abord, s'enhardissant peu Ă peu, tandis qu'elle, toujours agitĂ©e par ses angoisses de bonne mĂ©nagĂšre, les yeux en flammes pourtant au moindre gain, continuait Ă lui prĂ©dire qu'il mourrait sur la paille. Mais, surtout, le capitaine Chave, le frĂšre de Mme Maugendre, blĂÂąmait son beau-frĂšre. Lui qui ne pouvait se suffire avec les dix-huit cents francs de sa retraite, jouait bien Ă la Bourse ; seulement, il Ă©tait le malin des malins. Il allait lĂ comme un employĂ© va Ă son bureau, n'opĂ©rant que sur le comptant, ravi quand il emportait sa piĂšce de vingt francs le soir des opĂ©rations quotidiennes, faites Ă coup sĂ»r, d'une modestie telle, qu'elles Ă©chappaient aux catastrophes. Sa soeur lui avait offert une chambre chez elle, dans la maison trop vaste, depuis que Marcelle Ă©tait mariĂ©e ; mais il avait refusĂ©, tenant Ă ĂÂȘtre libre, ayant des vices, occupant une seule piĂšce, au fond d'un jardin de la rue Nollet, oĂÂč continuellement se glissaient des jupes. Ses gains devaient passer en bonbons et en gĂÂąteaux pour ses petites amies. Toujours il avait mis en garde Maugendre, lui rĂ©pĂ©tant de ne pas jouer, de faire la vie plutĂÂŽt ; et, quand ce dernier lui criait " Mais vous ? " il avait un geste Ă©nergique oh ! lui, c'Ă©tait diffĂ©rent, il n'avait pas quinze mille francs de rente, sans ça ! S'il jouait, la faute en Ă©tait Ă cette saletĂ© de gouvernement qui marchandait aux vieux braves la joie de leur vieillesse. Son grand argument contre le jeu Ă©tait que, mathĂ©matiquement, le joueur devait toujours perdre s'il gagne, il a Ă dĂ©duire le courtage et le droit de timbre ; s'il perd, il a en plus Ă payer les mĂÂȘmes droits ; de sorte que, mĂÂȘme en admettant qu'il gagne aussi souvent qu'il perd, il sort encore de sa poche le timbre et le courtage. Annuellement, Ă la Bourse de Paris, ces droits produisent l'Ă©norme total de quatre-vingts millions. Et il brandissait ce chiffre, quatre-vingts millions que ramassent l'Etat, les coulissiers et les agents de change. Sur la banquette, au fond du corridor, Marcelle confessait Ă son mari une partie de cette histoire. " Mon chĂ©ri, il faut dire que je suis mal tombĂ©e. Maman faisait une querelle Ă papa, Ă cause d'une perte qu'il a Ă©prouvĂ©e Ă la Bourse... Oui, il parait qu'il n'en sort plus. ĂâĄa m'a l'air si drĂÂŽle, lui qui autrefois n'admettait que le travail... Enfin, ils se disputaient, et il y avait lĂ un journal, La Cote financiĂšre , que maman lui agitait sous le nez, en lui criant qu'il n'y entendait rien, qu'elle avait bien prĂ©vu la baisse, elle. Alors, il est allĂ© chercher autre journal, justement L'EspĂ©rance , et il a voulu lui montrer l'article oĂÂč il avait pris son renseignement... Imagine-toi, c'est plein de journaux chez eux, ils sont fourrĂ©s lĂ -dedans du matin au soir, et je crois, Dieu me pardonne ! que maman commence Ă jouer, elle aussi malgrĂ© son air furieux. " Jordan ne put s'empĂÂȘcher de rire, tellement elle Ă©tait amusante, dans son chagrin Ă mimer la scĂšne. " Bref, je leur ai dit notre gĂÂȘne, je les ai priĂ©s de nous prĂÂȘter deux cents francs, pour arrĂÂȘter les poursuites. Et si tu les avais entendus alors se rĂ©crier deux cents francs, lorsqu'ils en perdaient deux mille Ă la Bourse ! Est-ce que je me moquais d'eux ? est-ce que je voulais les ruiner ?... Jamais je ne les ai vus comme ça. Eux qui Ă©taient si gentils pour moi, qui auraient tout dĂ©pensĂ© pour me faire des cadeaux ! Il faut vraiment qu'ils deviennent fous, car ça n'a pas de bon sens de se gĂÂąter ainsi la vie, lorsqu'ils sont si heureux dans leur belle maison, sans un tracas, n'ayant plus qu'Ă manger Ă l'aise la fortune si durement gagnĂ©e. - J'espĂšre bien que tu n'as pas insistĂ©, dit Jordan. - Mais si, j'ai insistĂ©, et alors ils sont tombĂ©s sur toi... Tu vois que je te dis tout, je m'Ă©tais tant promis de garder ça pour moi, et puis ça m'a Ă©chappĂ©.. Ils m'ont rĂ©pĂ©tĂ© qu'ils l'avaient bien prĂ©vu, que ce n'est pas un mĂ©tier d'Ă©crire dans les journaux, que nous finirions Ă l'hĂÂŽpital... Enfin, comme je me mettais en colĂšre Ă mon tour, j'allais partir, lorsque le capitaine est arrivĂ©. Tu sais qu'il m'a toujours adorĂ©e, l'onde Chave. Et, devant lui, ils sont devenus raisonnables, d'autant plus qu'il triomphait, qu'il demandait Ă papa s'il allait continuer Ă se faire voler... Maman m'a prise Ă l'Ă©cart, m'a glissĂ© cinquante francs dans la main, en me disant qu'avec ça nous obtiendrions quelques jours, le temps de nous retourner. - Cinquante francs ! une aumĂÂŽne ! et tu les as acceptĂ©s ? " Marcelle lui avait tendrement saisi les mains, le calmant de toute sa tranquille raison. " Voyons, ne te fĂÂąche pas... Oui, je les ai acceptĂ©s. Et j'ai si bien compris que jamais tu n'oserais les porter Ă l'huissier, que j'y suis allĂ©e tout de suite moi-mĂÂȘme, chez cet huissier, tu sais, rue Cadet. Mais figure-toi qu'il a refusĂ© de les prendre, en m'expliquant qu'il avait des ordres formels de M. Busch, et que M. Busch seul pouvait arrĂÂȘter les poursuites... Oh ! Ce Busch ! Je ne hais personne, mais ce qu'il m'exaspĂšre et me dĂ©goĂ»te, celui-lĂ ! ĂâĄa ne fait rien, j'ai couru chez lui, rue Feydeau, et il a bien fallu qu'il se contentĂÂąt des cinquante francs et voilĂ ! nous en avons pour quinze jours Ă ne pas ĂÂȘtre tourmentĂ©s. " Une grosse Ă©motion avait contractĂ© le visage de Jordan, tandis que des larmes qu'il retenait mouillaient le bord de ses yeux. " Tu as fait cela, petite femme, tu as fait cela ! - Mais oui, je ne veux pas qu'on t'ennuie davantage, moi ! Qu'est-ce que ça me fait de recevoir des sottises, si on te laisse travailler tranquille ! " Et elle riait maintenant, elle racontait son arrivĂ©e chez Busch, dans la crasse de ses dossiers, la façon brutale dont il l'avait accueillie, ses menaces de ne pas leur laisser une nippe, s'il n'Ă©tait pas payĂ© Ă l'instant de toute la dette. Le drĂÂŽle Ă©tait qu'elle avait pris le rĂ©gal de le mettre hors de lui, en lui contestant la lĂ©gitime propriĂ©tĂ© de cette dette, ces trois cents francs de billets, montĂ©s avec les frais Ă sept cent trente francs quinze centimes, et qui ne lui avaient peut-ĂÂȘtre pas coĂ»tĂ© cent sous, dans quelque lot de vieux chiffons. Il Ă©tranglait de fureur d'abord, il les avait justement achetĂ©s trĂšs cher, ceux-lĂ ; puis, et son temps perdu, et la fatigue des courses qu'il avait faites pendant deux ans pour retrouver le signataire, et l'intelligence qu'il lui fallait dĂ©ployer dans cette chasse Ă l'homme, est-ce qu'il ne devait pas se rembourser, de tout ça ? Tant pis pour ceux qui se laissaient pincer ! Enfin, il avait tout de mĂÂȘme pris les cinquante francs, parce que son systĂšme de prudence Ă©tait de transiger toujours. " Ah ! petite femme, que tu es brave et que je t'aime ! " dit Jordan, qui se laissa aller Ă embrasser Marcelle, bien qu'Ă ce moment le secrĂ©taire de la rĂ©daction passĂÂąt. Puis, baissant la voix " Combien te reste-t-il Ă la maison ? - Sept francs. - Bon ! reprit-il, trĂšs heureux, nous avons de quoi aller deux jours, et je ne vais pas demander une avance, qu'on me refuserait d'ailleurs. ĂâĄa me coĂ»te trop... Demain, j'irai voir si l'on veut me prendre un article au Figaro... Ah ! si j'avais fini mon roman, si ça se vendait un petit peu ! " Marcelle Ă son tour l'embrassait. " Oui, va, ça marchera trĂšs bien !... Tu remontes avec moi n'est-ce pas ? Ce sera gentil et nous achĂšterons, pour demain matin, un hareng saur, au coin de la rue de Clichy, oĂÂč j'en ai vu de superbes. Ce soir, nous avons des pommes de terre au lard. " Jordan aprĂšs avoir priĂ© un camarade de revoir ses Ă©preuves, partit avec sa femme. D'ailleurs, Saccard et Huret s'en allaient, eux aussi. Dans la rue, un coupĂ© s'arrĂÂȘtait justement devant la porte du journal ; et ils en virent descendre la baronne Sandorff, qui les salua d'un sourire, puis qui monta lestement. Parfois, elle rendait ainsi visite Ă Jantrou. Saccard, qu'elle excitait beaucoup, avec ses grands yeux meurtris, fut sur le point de remonter. En haut, dans le cabinet du directeur, la baronne ne voulut mĂÂȘme pas s'asseoir. Un petit bonjour en passant, uniquement l'idĂ©e de lui demander s'il ne savait rien. MalgrĂ© sa brusque fortune, elle le traitait toujours comme Ă l'Ă©poque oĂÂč il venait chaque matin chez son pĂšre, M. de Ladricourt, avec l'Ă©chine basse du remisier en quĂÂȘte d'un ordre. Son pĂšre Ă©tait d'une brutalitĂ© rĂ©voltante, elle ne pouvait oublier le coup de pied dont il l'avait jetĂ© Ă la porte, dans la colĂšre d'une grosse perte. Et, maintenant qu'elle le voyait Ă la source des nouvelles, elle Ă©tait redevenue familiĂšre, elle tĂÂąchait de le confesser. " Eh bien, rien de nouveau ? - Ma foi, non, je ne sais rien. " Mais elle continuait de le regarder en souriant persuadĂ©e qu'il ne voulait rien dire. Alors, pour le forcer aux confidences, elle parla de cette bĂÂȘte de guerre qui allait mettre aux prises l'Autriche, l'Italie et la Prusse. La spĂ©culation s'affolait, une terrible baisse se dĂ©clarait sur les fonds italiens, ainsi que sur toutes les valeurs, du reste. Et elle Ă©tait fort ennuyĂ©e, car elle ignorait jusqu'Ă quel point elle devait suivre ce mouvement, ayant d'assez grosses sommes engagĂ©es pour la liquidation prochaine. " Votre mari ne vous renseigne donc pas ? demanda plaisamment Jantrou. Il est pourtant bien placĂ©, Ă l'ambassade. - Oh ! mon mari, murmura-t-elle avec un geste dĂ©daigneux, mon mari, je n'en tire plus rien. " Il s'Ă©gaya davantage, il poussa les choses jusqu'Ă faire allusion au procureur gĂ©nĂ©ral Delcambre, l'amant qui, disait-on, payait ses diffĂ©rences, quand elle se rĂ©signait Ă les payer. " Et vos amis, ils ne savent donc rien, ni Ă la cour, palais ? " Elle affecta de ne pas comprendre, elle reprit, suppliante, sans le quitter des yeux " Voyons, vous, soyez aimable... Vous savez quelque chose. " DĂ©jĂ une fois, dans son enragement aprĂšs toutes les jupes, malpropres ou Ă©lĂ©gantes, qui l'effleuraient, il avait songĂ© Ă se la payer, comme il disait brutalement, cette joueuse, si familiĂšre avec lui. Mais, au premier mot, au premier geste, elle s'Ă©tait redressĂ©e, si rĂ©pugnĂ©e, si mĂ©prisante, qu'il avait bien jurĂ© de ne pas recommencer. Avec cet homme que son pĂšre recevait Ă coups de pied, ah ! jamais ! Elle n'en Ă©tait pas encore lĂ . " Aimable, pourquoi le serais-je ? dit-il en riant d'un air gĂÂȘnĂ©. Vous ne l'ĂÂȘtes guĂšre avec moi. " Tout de suite, elle redevint grave, les yeux durs. Et elle lui tournait le dos pour s'en aller, lorsque, de dĂ©pit, cherchant Ă la blesser, il ajouta " Vous venez de rencontrer Saccard Ă la porte, n'est-ce pas ? Pourquoi ne l'avez-vous pas interrogĂ© lui, puisqu'il n'a rien Ă vous refuser ? " Elle revint brusquement. " Que voulez-vous dire ? - Dame ! ce qu'il vous plaira de comprendre... Voyons, ne faites donc pas la cachottiĂšre, je vous ai vue chez lui, je le connais ! " Une rĂ©volte la soulevait, tout l'orgueil de sa race, vivant encore, remontait du fond trouble, de la boue oĂÂč sa passion la noyait un peu chaque jour. D'ailleurs, elle ne s'emporta pas, elle dit simplement d'une voix nette et rude " Ah ! ça, mon cher, pour qui me prenez-vous ? Vous ĂÂȘtes fou... Non, je ne suis pas la maĂtresse de votre Saccard, parce que je n'ai pas voulu. " Et lui, alors, avec sa politesse fleurie de lettrĂ©, la salua d'une rĂ©vĂ©rence. " Eh bien, madame, vous avez eu le plus grand tort... Croyez-moi, si c'est Ă recommencer, ne manquez pas l'affaire, parce que, vous qui ĂÂȘtes toujours Ă la chasse des renseignements, vous les trouveriez, sans tant de peine sous le traversin de ce monsieur-lĂ ... Oh ! mon Dieu ! oui, le nid y sera bientĂÂŽt, vous n'aurez qu'Ă y fourrer vos jolis doigts. " Elle prit le parti de rire, comme rĂ©signĂ©e Ă faire la part de son cynisme. Quand elle lui serra la main, il sentit la sienne toute froide. Vraiment, s'en serait-elle tenue Ă sa corvĂ©e avec le glacial et osseux Delcambre. Cette femme aux lĂšvres si rouges, que l'on disait insatiable ? Le mois de juin s'Ă©coula, l'Italie avait dĂ©clarĂ©, le 15, la guerre Ă l'Autriche. D'autre part, la Prusse, en deux semaines Ă peine, par une marche foudroyante, venait d'envahir le Hanovre, de conquĂ©rir les deux Hesses, Bade, la Saxe, en surprenant en pleine paix des populations dĂ©sarmĂ©es. La France n'avait pas bougĂ©, les gens bien informĂ©s chuchotaient tout bas, Ă la Bourse, qu'une entente secrĂšte la liait Ă la Prusse, depuis que Bismarck s'Ă©tait rendu prĂšs de l'empereur, Ă Biarritz ; et l'on parlait mystĂ©rieusement des compensations qui devaient payer sa neutralitĂ©. Mais la baisse ne s'en accentuait pas moins, d'une dĂ©sastreuse façon. Lorsque, le 4 juillet, arriva la nouvelle de Sadowa, ce coup de tonnerre si brusque, ce fut un effondrement de toutes les valeurs. On croyait Ă une continuation acharnĂ©e de la guerre ; car, si l'Autriche Ă©tait battue par la Prusse, elle avait vaincu l'Italie, Ă Custozza ; et l'on disait dĂ©jĂ qu'elle rassemblait les dĂ©bris de son armĂ©e, en abandonnant la BohĂšme Les ordres de vente pleuvaient Ă la corbeille, on ne trouvait plus d'acheteurs. Le 4 juillet, Saccard, qui Ă©tait montĂ© au journal trĂšs tard, vers six heures, n'y trouva pas Jantrou, que ses passions, depuis quelque temps, dĂ©rangeaient des disparitions brusques, des bordĂ©es, d'oĂÂč il revenait anĂ©anti, les yeux troubles, sans qu'on pĂ»t savoir qui, des filles ou de l'alcool, le ravageait davantage. A ce moment-lĂ , le journal se vidait, il ne restait guĂšre que Dejoie, dĂnant sur le coin de sa table, dans l'antichambre. Et Saccard, aprĂšs avoir Ă©crit deux lettres, allait partir, lorsque, le sang au visage, Huret entra en tempĂÂȘte, sans mĂÂȘme prendre le temps de refermer les portes. " Mon bon ami, mon bon ami... " Il Ă©touffait, il mit les deux mains sur sa poitrine. " Je sors de chez Rougon... J'ai couru, parce que je n'avais pas de fiacre. Enfin, j'en ai trouvĂ© un... Rougon a reçu une dĂ©pĂÂȘche de lĂ -bas. Je l'ai vue... Une nouvelle, une nouvelle... D'un geste violent, Saccard l'arrĂÂȘta, et il se prĂ©cipita pour fermer la porte, ayant aperçu Dejoie qui rĂÂŽdait dĂ©jĂ , l'oreille tendue. " Enfin, quoi ? - Eh bien, l'empereur d'Autriche cĂšde la VĂ©nĂ©tie Ă l'empereur des Français, en acceptant sa mĂ©diation, et ce dernier va s'adresser aux rois de Prusse et d'Italie pour amener un armistice. " Il y eut un silence. " C'est la paix, alors ? - Evidemment. " Saccard, saisi, sans idĂ©e encore, laissa Ă©chapper un juron. " Tonnerre de Dieu ! et toute la Bourse qui est Ă la baisse ! " Puis, machinalement " Et cette nouvelle, pas une ĂÂąme ne la sait ? - Non, la dĂ©pĂÂȘche est confidentielle, la note ne paraĂtra pas mĂÂȘme demain matin au Moniteur . Paris ne saura sans doute rien avant vingt-quatre heures. " Alors, ce fut le coup de foudre, l'illumination brusque. Il courut de nouveau Ă la porte, l'ouvrit pour voir si personne n'Ă©coutait. Et il Ă©tait hors de lui, il revint se planter devant le dĂ©putĂ©, le saisit par les deux revers de sa redingote. " Taisez-vous ! pas si haut !... Nous sommes les maĂtres, si Gundermann et sa bande ne sont pas avertis... Entendez-vous ! pas un mot, Ă personne au monde ! ni Ă vos amis, ni Ă votre femme !... Justement, une chance ! Jantrou n'est pas lĂ , nous serons seuls Ă savoir, nous aurons le temps d'agir... Oh ! je ne veux pas travailler que pour moi. Vous en ĂÂȘtes, nos collĂšgues de l'Universelle en sont aussi. Seulement, un secret ne se garde point Ă plusieurs. Tout est perdu, si la moindre indiscrĂ©tion se commet demain, avant la Bourse. " Huret, trĂšs Ă©mu, bouleversĂ© de la grandeur du coup qu'ils allaient tenter, promit d'ĂÂȘtre absolument muet. Et ils se distribuĂšrent la besogne, ils dĂ©cidĂšrent qu'il fallait tout de suite entrer en campagne. Saccard avait dĂ©jĂ son chapeau, quand une question lui vint aux lĂšvres. " Alors, c'est Rougon qui vous a chargĂ© de m'apporter cette nouvelle ? - Sans doute. " Il avait hĂ©sitĂ©, il mentait la dĂ©pĂÂȘche, simplement, traĂnait sur le bureau du ministre, oĂÂč il avait eu l'indiscrĂ©tion de la lire, Ă©tant restĂ© seul une minute. Mais, son intĂ©rĂÂȘt se trouvant dans une entente cordiale des deux frĂšres, ce mensonge lui parut ensuite trĂšs adroit, d'autant plus qu'il les savait peu dĂ©sireux de se voir et de causer de ces choses. " Allons, dĂ©clara Saccard, il n'y a pas Ă dire, il a Ă©tĂ© gentil, cette fois... En route ! " Dans l'antichambre, il n'y avait toujours que Dejoie, qui s'Ă©tait efforcĂ© d'entendre, sans rien saisir de distinct. Ils le sentirent pourtant fiĂ©vreux, ayant flairĂ© la proie Ă©norme qui passait dans l'air, si agitĂ© de cette odeur d'argent, qu'il se mit Ă la fenĂÂȘtre du palier, pour les voir traverser la cour. La difficultĂ© Ă©tait d'agir vivement, avec la plus grande prudence. Aussi se quittĂšrent-ils dans la rue Huret se chargeait de la petite Bourse du soir, tandis que Saccard, malgrĂ© l'heure tardive, se lançait Ă la recherche des remisiers, des coulissiers, des agents de change, pour donner des ordres d'achat. Seulement, ces ordres, il dĂ©sirait les diviser, les Ă©parpiller le plus possible, par crainte d'Ă©veiller un soupçon ; et, surtout, il voulut avoir l'air de rencontrer les gens, au lieu d'aller les relancer chez eux, ce qui aurait paru singulier. Le hasard le servit heureusement, il aperçut sur le boulevard l'agent de change Jacoby, avec qui il plaisanta, et qui chargea d'une forte opĂ©ration, sans trop l'Ă©tonner. Cent pas plus loin, il tombait sur une grande fille blonde, qu'il savait ĂÂȘtre la maĂtresse d'un autre agent, Delarocque, le beau-frĂšre de Jacoby ; et, comme elle disait justement qu'elle l'attendait, cette nuit-lĂ , il la chargea de lui remettre deux mots Ă©crits au crayon sur une carte. Puis, sachant que Mazaud se rendait le soir Ă un banquet d'anciens condisciples, il s'arrangea pour se trouver au restaurant, il changea les positions qu'il l'avait chargĂ© de prendre, le jour mĂÂȘme. Mais sa plus grande chance, au moment oĂÂč il rentrait, vers minuit, ce fut d'ĂÂȘtre accostĂ© par Massias, qui sortait des VariĂ©tĂ©s. Ils remontĂšrent ensemble vers la rue Saint-Lazare, il eut le temps de se poser en original qui croyait Ă la hausse, oh ! pas tout de suite ; si bien qu'il finit par le charger d'ordres d'achat multiples pour Nathansohn et d'autres coulissiers, en disant qu'il agissait au nom d'un groupe d'amis, ce qui Ă©tait vrai en somme. Quand il se coucha, il avait pris position Ă la hausse, pour plus de cinq millions de valeurs. Le lendemain matin, dĂšs sept heures, Huret Ă©tait chez Saccard, lui racontant comment il avait opĂ©rĂ©, Ă la petite Bourse, devant le passage de l'OpĂ©ra, sur le trottoir, oĂÂč il avait fait acheter le plus possible, avec mesure cependant, pour ne pas trop relever les cours. Ses ordres montaient Ă un million, et tous deux, jugeant le coup beaucoup trop modeste encore, rĂ©solurent de rentrer en campagne. Ils avaient la matinĂ©e. Mais, auparavant, ils se jetĂšrent sur les journaux, tremblant d'y trouver la nouvelle, une note, une simple ligne qui ferait crouler leur combinaison. Non ! la presse ne savait rien, elle Ă©tait toute Ă la guerre, encombrĂ©e par des dĂ©pĂÂȘches, par de longs dĂ©tails sur la bataille de Sadowa. Si aucun bruit ne transpirait avant deux heures de l'aprĂšs- midi, s'ils avaient Ă eux une heure de Bourse, une demi-heure seulement, le coup Ă©tait fait, ils opĂ©raient la grande rafle sur la juiverie, comme disait Saccard. Et ils se sĂ©parĂšrent de nouveau, chacun courut de son cĂÂŽtĂ© engager d'autres millions dans la bataille. Cette matinĂ©e-lĂ , Saccard la passa Ă battre le pavĂ©, flairant l'air, ayant un tel besoin de marcher, qu'il avait renvoyĂ© sa voiture, aprĂšs sa premiĂšre course faite, il entra chez Kolb, oĂÂč le tintement de l'or lui fut dĂ©licieux Ă l'oreille, ainsi qu'une promesse de victoire ; et il eut la force de ne rien dire au banquier, qui ne savait rien. Il monta ensuite chez Mazaud, non pour donner un nouvel ordre, simplement pour feindre d'ĂÂȘtre inquiet au sujet de celui qu'il avait donnĂ© la veille. LĂ aussi, on ignorait tout encore. Le petit Flory seul lui causa quelque inquiĂ©tude, par la persistance avec laquelle il tournait autour de lui la cause unique en Ă©tait la profonde admiration du jeune employĂ© pour l'intelligence financiĂšre du directeur de l'Universelle ; et, comme Mlle Chuchu commençait Ă lui coĂ»ter gros il risquait quelques petites opĂ©rations, il rĂÂȘvait de connaĂtre les ordres de son grand homme et de se mettre dans son jeu. Enfin, aprĂšs un dĂ©jeuner rapide chez Champeaux, oĂÂč il avait eu la joie profonde d'entendre les dolĂ©ances pessimistes de Moser et de Pillerault lui-mĂÂȘme, pronostiquant une nouvelle dĂ©gringolade des cours, Saccard, dĂšs midi et demi, se trouva sur la place de la Bourse. Il dĂ©sirait, selon son expression, voir arriver le monde. La chaleur Ă©tait accablante, un soleil ardent tombait d'aplomb, blanchissant les marches, dont la rĂ©verbĂ©ration chauffait le pĂ©ristyle d'un air lourd et embrasĂ© de four ; et les chaises vides craquaient dans ces flammes, tandis que les spĂ©culateurs, debout, cherchaient les minces raies d'ombre des colonnes. Sous un arbre du jardin, il aperçut Busch et la MĂ©chain, qui se mirent Ă causer en le vivement voyant ; mĂÂȘme il lui sembla que tous deux Ă©taient sur le point de l'aborder, puisqu'ils se ravisaient savaient-ils donc quelque chose, ces bas chiffonniers des valeurs tombĂ©es au ruisseau, en continuelle quĂÂȘte ? un instant, il en eut le frisson. Mais une voix l'appela, et il reconnut sur un banc Maugendre et le capitaine Chave, tous les deux en querelle, car le premier, maintenant, Ă©tait plein de moqueries pour le petit jeu misĂ©rable du capitaine, ce louis gagnĂ© sur le comptant, comme au fond d'un cafĂ© de province, aprĂšs des parties de piquet acharnĂ©es voyons, ce jour-lĂ ne pouvait-il risquer Ă coup sĂ»r une opĂ©ration sĂ©rieuse ? la baisse n'Ă©tait-elle pas certaine, aussi Ă©clatante que le soleil ? Et il appelait Saccard Ă tĂ©moin n'est-ce pas qu'on baisserait ? Lui, avait pris Ă la baisse une forte position, si convaincu, qu'il y avait mis sa fortune. Ainsi interrogĂ© directement, Saccard rĂ©pondit par des sourires, des hochements de tĂÂȘte vagues avec le remords de ne pas avertir ce pauvre homme qu'il avait connu si laborieux, d'esprit si net, lorsqu'il vendait des bĂÂąches ; mais il s'Ă©tait jurĂ© le silence absolu, il avait la fĂ©rocitĂ© du joueur qui ne veut pas dĂ©ranger la chance. Puis, Ă ce moment, il eut une distraction le coupĂ© de la baronne Sandorff passait, il le suivit des yeux, le vit s'arrĂÂȘter cette fois rue de la Banque. Tout d'un coup, il songea au baron Sandorff ; conseiller Ă l'ambassade d'Autriche la baronne savait sĂ»rement, elle allait tout perdre par quelque maladresse de femme. DĂ©jĂ , il avait traversĂ© la rue, il rĂÂŽdait autour du coupĂ©, immobile, muet, l'air mort, avec le cocher raidi sur le siĂšge. Pourtant une des glaces s'abaissa, et il salua, s'approcha galamment. " Eh bien, monsieur Saccard, nous baissons encore ? " Il crut Ă un piĂšge. " Mais oui, madame. " Puis, comme elle le regardait anxieusement, avec un vacillement des yeux qu'il connaissait bien chez les joueurs, il comprit qu'elle non plus ne savait rien. Un flot de sang tiĂšde lui remonta au crĂÂąne, l'inonda de dĂ©lices. " Alors, monsieur Saccard, vous n'avez rien Ă me dire ? - Ma foi, madame, rien que vous ne sachiez dĂ©jĂ , sans doute. " Et il la quitta en pensant " Toi, tu n'as pas Ă©tĂ© gentille, ça m'amusera que tu boives un coup. Peut-ĂÂȘtre, une autre fois, ça te rendra-t-il plus aimable. " Jamais elle ne lui avait paru plus dĂ©sirable, il Ă©tait certain de l'avoir Ă son heure. Comme il revenait sur la place de la Bourse, la vue de Gundermann, au loin, dĂ©bouchant de la rue Vivienne, lui donna un nouveau frisson au coeur. Si rapetissĂ© qu'il fĂ»t par l'Ă©loignement, c'Ă©tait bien lui, avec sa marche lente, sa tĂÂȘte qu'il portait droite et blĂÂȘme, sans regarder personne, comme seul, dans sa royautĂ©, au milieu de la foule. Et il le suivait avec terreur, interprĂ©tait chacun de ses mouvements. L'ayant vu aborder Nathansohn, il crut tout perdu. Mais le coulissier se retirait, l'air dĂ©confit, et il reprit espoir. Il trouvait dĂ©cidĂ©ment au banquier son air de tous les jours. Puis, brusquement, son coeur sauta de joie Gundermann venait d'entrer chez le confiseur faire son achat de bonbons pour ses petites filles ; et c'Ă©tait lĂ un signe certain, jamais il n'y entrait, les jours de crise. Une heure sonna, la cloche annonça l'ouverture du marchĂ©. Ce fut une Bourse mĂ©morable, une de ces grandes journĂ©es de dĂ©sastre, d'un de ces dĂ©sastres Ă la hausse, si rares, dont le souvenir reste lĂ©gendaire. Dans l'accablante chaleur, au dĂ©but, les cours baissĂšrent encore. Puis, des achats brusques, isolĂ©s, comme des coups de feu de tirailleurs avant que la bataille s'engage, Ă©tonnĂšrent. Mais les opĂ©rations restaient lourdes quand mĂÂȘme, au milieu de la mĂ©fiance gĂ©nĂ©rale. Les achats se multipliĂšrent, s'allumĂšrent de toutes parts, Ă la coulisse, au parapet ; on n'entendait plus que les voix de Nathansohn sous la colonnade, de Mazaud, de Jacoby, de Delarocque Ă la corbeille, criant qu'ils prenaient toutes les valeurs, Ă tous les prix ; et ce fut alors un frĂ©missement, une houle croissante, sans que personne pourtant osĂÂąt se risquer, dans le dĂ©sarroi de ce revirement inexplicable. Les cours avaient lĂ©gĂšrement montĂ©, Saccard eut le temps de donner de nouveaux ordres Ă Massias, pour Nathansohn. Il pria Ă©galement le petit Flory qui passait en courant, de remettre Ă Mazaud une fiche, oĂÂč il le chargeait d'acheter, d'acheter toujours ; si bien que Flory, ayant lu la fiche, frappĂ© d'un accĂšs de foi, joua le jeu de son grand homme, acheta lui aussi pour son compte. Et ce fut Ă cette minute, Ă deux heures moins un quart, que le tonnerre Ă©clata en pleine Bourse l'Autriche cĂ©dait la VĂ©nĂ©tie Ă l'empereur, la guerre Ă©tait finie. D'oĂÂč venait cette nouvelle ? personne ne le sut, elle sortait de toutes les bouches Ă la fois, des pavĂ©s eux-mĂÂȘmes. Quelqu'un l'avait apportĂ©e, tous la rĂ©pĂ©taient dans une clameur, qui grossissait avec la voix haute d'une marĂ©e d'Ă©quinoxe. Par bonds furieux, les cours se mirent Ă monter, au milieu de l'effroyable vacarme. Avant le coup de cloche de la clĂÂŽture, ils s'Ă©taient relevĂ©s de quarante, de cinquante francs. Ce fut une mĂÂȘlĂ©e inexprimable, une de ces batailles confuses oĂÂč tous se ruent, soldats et capitaines, pour sauver leur peau, assourdis, aveuglĂ©s, n'ayant plus la conscience nette de la situation. Les fronts ruisselaient de sueur, l'implacable soleil qui tapait sur les marches, mettait la Bourse dans un flamboiement d'incendie. Et, Ă la liquidation, lorsqu'on put Ă©valuer le dĂ©sastre, il apparut immense. Le champ de bataille restait jonchĂ© de blessĂ©s et de ruines. Moser, le baissier, Ă©tait parmi les plus atteints. Pillerault expiait durement sa faiblesse, pour l'unique fois qu'il avait dĂ©sespĂ©rĂ© de la hausse. Maugendre perdait cinquante mille francs, sa premiĂšre perte sĂ©rieuse. La baronne Sandorff eut Ă payer de si grosses diffĂ©rences, que Delcambre, disait-on, se refusait Ă les donner ; et elle Ă©tait toute blanche de colĂšre et de haine, au seul nom de son mari, le conseiller d'ambassade, qui avait eu la dĂ©pĂÂȘche entre les mains avant Rougon lui- mĂÂȘme, sans lui en rien dire. Mais la haute banque, la banque juive, surtout, avait essuyĂ© une dĂ©faite terrible, un vrai massacre. On affirmait que Gundermann, simplement pour sa part, y laissait huit millions. Et cela stupĂ©fiait, comment n'avait-il pas Ă©tĂ© averti ? lui le maĂtre indiscutĂ© du marchĂ©, dont les ministres n'Ă©taient que les commis et qui tenait les Etats dans sa souveraine dĂ©pendance ! Il y avait lĂ un de ces concours de circonstances extraordinaires qui font les grands coups du hasard. C'Ă©tait un effondrement imprĂ©vu, imbĂ©cile, en dehors de toute raison et de toute logique. Cependant, l'histoire se rĂ©pandit, Saccard passa grand homme. D'un coup de rĂÂąteau, il venait de ramasser la presque totalitĂ© de l'argent perdu par les baissiers. Personnellement, il avait mis en poche deux millions. Le reste allait entrer dans les caisses de l'Universelle, ou plutĂÂŽt se fondre aux mains des administrateurs. A grand-peine, il finit par persuader Ă Mme Caroline que la part d'Hamelin, dans ce butin si lĂ©gitimement conquis sur les juifs, Ă©tait d'un million. Huret, lui, ayant Ă©tĂ© Ă la besogne, s'Ă©tait taillĂ© son morceau, royalement. Quant aux autres, les Daigremont les marquis de Bohain, ils ne se firent nullement prier. Tous votĂšrent des remerciements et des fĂ©licitations Ă l'Ă©minent directeur. Et un coeur surtout brĂ»lait de gratitude pour Saccard, celui de Flory, qui avait gagnĂ© dix mille francs, une fortune, de quoi habiter avec Chuchu un petit logement de la rue Condorcet et aller ensemble, le soir, rejoindre Gustave SĂ©dille et Germaine Coeur dans des restaurants chers. Au journal, il fallut donner une gratification Ă Jantrou, qui s'emportait de ce qu'on ne l'avait pas prĂ©venu. Seul Dejoie demeurait mĂ©lancolique, car il devait garder l'Ă©ternel regret d'avoir senti, un soir, la fortune passer dans l'air, mystĂ©rieuse et vague, inutilement. Ce premier triomphe de Saccard sembla ĂÂȘtre comme une floraison de l'empire Ă son apogĂ©e. Il entrait dans l'Ă©clat du rĂšgne, il en Ă©tait un des reflets glorieux. Le soir mĂÂȘme oĂÂč il grandissait parmi les fortunes Ă©croulĂ©es, Ă l'heure oĂÂč la Bourse n'Ă©tait plus qu'un champ morne de dĂ©combres, Paris entier se pavoisait, s'illuminait, ainsi que pour une grande victoire ; et des fĂÂȘtes aux Tuileries, des rĂ©jouissances dans les rues, cĂ©lĂ©braient NapolĂ©on III maĂtre de l'Europe si haut, si grand, que les empereurs et les rois le choisissaient comme arbitre dans leurs querelles et lui remettaient des provinces pour qu'il en disposĂÂąt entre eux. A la Chambre, des voix avaient bien protestĂ©, des prophĂštes de malheur annonçaient confusĂ©ment le terrible avenir, la Prusse grandie de tout ce que la France avait tolĂ©rĂ©, l'Autriche battue, l'Italie ingrate. Mais des rires, des cris de colĂšre Ă©touffaient ces voix inquiĂštes, et Paris, centre du monde, flambait par toutes ses avenues et tous ses monuments, au lendemain de Sadowa, en attendant les nuits noires et glacĂ©es, les nuits sans gaz, traversĂ©es par la mĂšche rouge des obus. Ce soir-lĂ , Saccard, dĂ©bordant de son succĂšs, battit les rues, la place de la Concorde, les Champs-ElysĂ©es, tous les trottoirs oĂÂč brĂ»laient des lampions. EmportĂ© dans le flot montant des promeneurs, les yeux aveuglĂ©s par cette clartĂ© de plein jour, il pouvait croire qu'on illuminait pour le fĂÂȘter n'Ă©tait-il pas, lui aussi, le vainqueur inattendu, celui qui s'Ă©levait au milieu des dĂ©sastres ? Un seul ennui venait de gĂÂąter sa joie, la colĂšre de Rougon, qui terrible, avait chassĂ© Huret, quand il avait compris d'oĂÂč venait le coup de Bourse. Ce n'Ă©tait donc pas le grand homme qui s'Ă©tait montrĂ© bon frĂšre, en lui envoyant la nouvelle ? Faudrait-il qu'il se passĂÂąt de ce haut patronage, mĂÂȘme qu'il attaquĂÂąt le tout-puissant ministre ? Brusquement, en face du palais de la LĂ©gion d'honneur, que surmontait une gigantesque croix de feu, brasillant dans le ciel noir, il en prit la rĂ©solution hardie, pour le jour oĂÂč il se sentirait les reins assez forts. Et, grisĂ© par les chants de la foule et les claquements des drapeaux, il revint rue Saint-Lazare, au travers de Paris en flammes. Deux mois aprĂšs, en septembre, Saccard, que sa victoire sur Gundermann rendait audacieux, dĂ©cida qu'il fallait donner un nouvel Ă©lan Ă l'Universelle. Dans l'assemblĂ©e gĂ©nĂ©rale qui avait eu lieu Ă la fin d'avril, le bilan prĂ©sentĂ© portait, pour l'annĂ©e 1864, un bĂ©nĂ©fice de neuf millions, en y comprenant les vingt francs de primes sur chacune des cinquante mille actions nouvelles, lors du doublement du capital. On avait amorti complĂštement le compte de premier Ă©tablissement, servi aux actionnaires leur cinq pour cent et aux administrateurs leur dix pour cent, laissĂ© Ă la rĂ©serve une somme de cinq millions, outre le dix pour cent rĂ©glementaire ; et, avec le million qui restait, on Ă©tait arrivĂ© Ă distribuer un dividende de dix francs par action. C'Ă©tait un beau rĂ©sultat pour une sociĂ©tĂ© qui n'avait pas deux ans d'existence. Mais Saccard procĂ©dait par coups de fiĂšvre, appliquant au terrain financier la mĂ©thode de la culture intensive, chauffant, surchauffant le sol, au risque de brĂ»ler la rĂ©colte ; et il fit accepter, d'abord par le conseil d'administration, ensuite par une assemblĂ©e gĂ©nĂ©rale extraordinaire, qui se rĂ©unit le 15 septembre, une seconde augmentation du capital on le doublait encore, on l'Ă©levait de cinquante Ă cent millions, en crĂ©ant cent mille actions nouvelles, exclusivement rĂ©servĂ©es aux actionnaires, titre pour titre. Seulement, cette fois, les titres Ă©taient Ă©mis Ă 675 francs, soit une prime de 175 francs, destinĂ©e Ă ĂÂȘtre versĂ©e au fonds de rĂ©serve. Les succĂšs croissants, les affaires heureuses dĂ©jĂ faites, surtout les grandes entreprises que l'Universelle allait lancer, Ă©taient les raisons invoquĂ©es pour justifier cette Ă©norme augmentation du capital, doublĂ© ainsi coup sur coup ; car il fallait bien donner Ă la maison une importance et une soliditĂ© en rapport avec les intĂ©rĂÂȘts qu'elle reprĂ©sentait. D'ailleurs, le rĂ©sultat fut immĂ©diat les actions qui, depuis des mois, restaient stationnaires Ă la Bourse, au cours moyen de sept cent cinquante, montĂšrent Ă neuf cents, en trois jours. Hamelin n'avait pu revenir d'Orient, pour prĂ©sider l'assemblĂ©e gĂ©nĂ©rale extraordinaire, et il Ă©crivit Ă sa soeur une lettre inquiĂšte, oĂÂč il exprimait des craintes sur cette façon de mener l'Universelle au galop, d'un train fou. Il devinait bien qu'on avait fait encore, chez maĂtre Lelorrain, des dĂ©clarations mensongĂšres. En effet, toutes les actions nouvelles n'avaient pas Ă©tĂ© lĂ©galement souscrites, la sociĂ©tĂ© Ă©tait restĂ©e propriĂ©taire des titres que refusaient les actionnaires ; et, les versements n'Ă©tant point exĂ©cutĂ©s, un jeu d'Ă©critures avait passĂ© ces titres au compte Sabatani. En outre, d'autres prĂÂȘte-noms, des employĂ©s, des administrateurs, lui avaient permis de souscrire elle-mĂÂȘme Ă sa propre Ă©mission ; de sorte qu'elle dĂ©tenait alors prĂšs de trente mille de ses actions, reprĂ©sentant une somme de dix-sept millions et demi. Outre qu'elle Ă©tait illĂ©gale, la situation pouvait devenir dangereuse, car l'expĂ©rience a dĂ©montrĂ© que toute maison de crĂ©dit qui joue sur ses valeurs est perdue. Mais Mme Caroline n'en rĂ©pondit pas moins gaiement Ă son frĂšre, le plaisantant de ce qu'il devenait trembleur aujourd'hui, au point que c'Ă©tait elle, jadis soupçonneuse, qui devait le rassurer. Elle disait veiller toujours, ne rien voir de louche, ĂÂȘtre Ă©merveillĂ©e, au contraire, des grandes choses, claires et logiques, auxquelles elle assistait. La vĂ©ritĂ© Ă©tait qu'elle ne savait naturellement rien de ce qu'on lui cachait, et que, sur le reste, son admiration pour Saccard, l'Ă©motion de sympathie oĂÂč la jetaient l'activitĂ© et l'intelligence de ce petit homme, l'aveuglaient. En dĂ©cembre, le cours de mille francs fut dĂ©passĂ©. Et alors, en face de l'Universelle triomphante, la haute banque s'Ă©mut, on rencontra Gundermann, sur la place de la Bourse, l'air distrait, entrant acheter des bonbons chez le confiseur, de son pas automatique. Il avait payĂ© ses huit millions de perte sans une plainte, sans qu'un seul de ses familiers eĂ»t surpris sur ses lĂšvres une parole de colĂšre et de rancune. Quand il perdait ainsi, chose rare, il disait d'ordinaire que c'Ă©tait bien fait, que cela lui apprendrait Ă ĂÂȘtre moins Ă©tourdi ; et l'on souriait, car l'Ă©tourderie de Gundermann ne s'imaginait guĂšre. Mais, cette fois, la dure leçon devait lui rester en travers du coeur, l'idĂ©e d'avoir Ă©tĂ© battu par ce casse-cou de Saccard, ce fou passionnĂ©, lui si froid, si maĂtre des faits et des hommes, lui Ă©tait assurĂ©ment insupportable. Aussi, dĂšs cette Ă©poque, se mit-il Ă le guetter, certain de sa revanche. Tout de suite, devant l'engouement qui accueillait l'Universelle, il avait pris position, en observateur convaincu que les succĂšs trop rapides, les prospĂ©ritĂ©s mensongĂšres menaient aux pires dĂ©sastres. Cependant, le cours de mille francs Ă©tait encore raisonnable, et il attendait pour se mettre Ă la baisse. Sa thĂ©orie Ă©tait qu'on ne provoquait pas les Ă©vĂ©nements Ă la Bourse, qu'on pouvait au plus les prĂ©voir et en profiter, quand ils s'Ă©taient produits. La logique seule rĂ©gnait, la vĂ©ritĂ© Ă©tait, en spĂ©culation comme ailleurs, une force toute-puissante. DĂšs que les cours s'exagĂ©reraient par trop, ils s'effondreraient la baisse alors se ferait mathĂ©matiquement, il serait simplement lĂ pour voir son calcul se rĂ©aliser et empocher son gain. Et, dĂ©jĂ , il fixait au cours de quinze cents francs son entrĂ©e en guerre. A quinze cents, il commença donc Ă vendre de l'Universelle, peu d'abord, davantage Ă chaque liquidation, d'aprĂšs un plan arrĂÂȘtĂ© d'avance. Pas besoin d'un syndicat de baissiers, lui seul suffirait, les gens sages auraient la nette sensation de la vĂ©ritĂ© et joueraient son jeu. Cette Universelle bruyante, cette Universelle qui encombrait si rapidement le marchĂ© et qui se dressait comme une menace devant la haute banque juive, il attendait froidement qu'elle se lĂ©zardĂÂąt d'elle-mĂÂȘme, pour la jeter par terre d'un coup d'Ă©paule. Plus tard, on raconta que ce fut mĂÂȘme Gundermann qui, en secret, facilita Ă Saccard l'achat d'une antique bĂÂątisse, rue de Londres, que celui-ci avait l'intention de dĂ©molir, pour Ă©lever Ă la place l'hĂÂŽtel de ses rĂÂȘves, le palais oĂÂč logerait fastueusement son oeuvre. Il Ă©tait parvenu Ă convaincre le conseil d'administration, les ouvriers se mirent au travail, dĂšs le milieu d'octobre. Le jour mĂÂȘme oĂÂč la premiĂšre pierre fut posĂ©e, en grande cĂ©rĂ©monie, Saccard se trouvait au journal, vers quatre heures, Ă attendre Jantrou, qui Ă©tait allĂ© porter des comptes rendus de la solennitĂ© dans les feuilles amies, lorsqu'il reçut la visite de la baronne Sandorff. Elle avait d'abord demandĂ© le rĂ©dacteur en chef, puis Ă©tait tombĂ©e, comme par hasard, sur le directeur de l'Universelle, qui s'Ă©tait mis galamment Ă sa disposition pour tous les renseignements qu'elle dĂ©sirerait, en l'emmenant dans la piĂšce rĂ©servĂ©e, au fond du corridor. Et lĂ , Ă la premiĂšre attaque brutale, elle cĂ©da, sur le divan, ainsi qu'une fille, d'avance rĂ©signĂ©e Ă l'aventure. Mais une complication se produisit, il arriva que Mme Caroline, en course dans le quartier Montmartre, monta au journal. Elle y tombait parfois de la sorte, pour donner une rĂ©ponse Ă Saccard, ou simplement pour prendre des nouvelles. D'ailleurs, elle connaissait Dejoie qu'elle y avait placĂ©, elle s'arrĂÂȘtait toujours Ă causer une minute, heureuse de la gratitude qu'il lui tĂ©moignait. Ce jour-lĂ , ne l'ayant pas trouvĂ© dans l'antichambre, elle enfila le couloir, se heurta contre lui, comme il revenait d'Ă©couter Ă la porte. Maintenant, c'Ă©tait une maladie, il tremblait de fiĂšvre, il collait son oreille Ă toutes les serrures, pour surprendre les secrets de Bourse. Seulement, ce qu'il avait entendu et compris, cette fois, l'avait un peu gĂÂȘnĂ© ; et il souriait d'un air vague. " Il est lĂ , n'est-ce pas ? " dit Mme Caroline, en voulant passer outre. Il l'avait arrĂÂȘtĂ©e, balbutiant, n'ayant pas le temps de mentir. " Oui, il est lĂ , mais vous ne pouvez pas entrer. - Comment, je ne peux pas entrer ? - Non, il est avec une dame. " Elle devint toute blanche, et lui, qui ne savait rien de la situation, clignait les yeux, allongeait le cou, indiquait, par une mimique expressive, l'aventure. " Quelle est cette dame ? " demanda-t-elle d'une voix brĂšve. Il n'avait aucune raison de lui cacher le nom, Ă elle, sa bienfaitrice. Il se pencha Ă son oreille. " La baronne Sandorff... Oh ! il y a longtemps qu'elle tourne autour ! " Mme Caroline resta immobile un instant. Dans l'ombre du couloir, on ne pouvait distinguer la pĂÂąleur livide de son visage. Elle venait d'Ă©prouver, en plein coeur, une douleur si aiguĂ, si atroce, qu'elle ne se souvenait pas d'avoir jamais tant souffert ; et c'Ă©tait la stupeur de cette affreuse blessure qui la clouait lĂ . Qu'allait-elle faire Ă prĂ©sent, enfoncer cette porte, se ruer sur cette femme, les souffleter tous les deux d'un scandale ? Et, comme elle demeurait sans volontĂ© encore, Ă©tourdie, elle fut gaiement abordĂ©e par Marcelle, qui Ă©tait montĂ©e pour prendre son mari. La jeune femme avait derniĂšrement fait sa connaissance. " Tiens ! c'est vous, chĂšre madame... Imaginez-vous que nous allons au thĂ©ĂÂątre, ce soir ! Oh, c'est toute une histoire, il ne faut pas que ça coĂ»te cher... Mais Paul a dĂ©couvert un petit restaurant oĂÂč nous nous rĂ©galons pour trente-cinq sous par tĂÂȘte... " Jordan arrivait, il interrompit sa femme en riant. " Deux plats, un carafon de vin, du pain Ă discrĂ©tion. - Et puis, continua Marcelle, nous ne prenons pas de voiture, c'est si amusant de rentrer Ă pied, quand il est trĂšs tard !... Ce soir, comme nous sommes riches, nous remonterons un gĂÂąteau aux amandes de vingt sous... FĂÂȘte complĂšte, noce Ă tout casser ! " Elle s'en alla, enchantĂ©e, au bras de son mari. Et Mme Caroline, qui Ă©tait revenue avec eux dans l'antichambre, avait retrouvĂ© la force de sourire. " Amusez-vous bien " , murmura-t-elle, la voix tremblante. Puis, elle partit Ă son tour. Elle aimait Saccard, elle en emportait l'Ă©tonnement et la douleur, comme d'une plaie honteuse qu'elle ne voulait pas montrer. VII - Deux mois plus tard, par un aprĂšs-midi gris et doux de novembre, Mme Caroline monta Ă la salle des Ă©pures, tout de suite aprĂšs le dĂ©jeuner, pour se mettre au travail. Son frĂšre, alors Ă Constantinople, oĂÂč il s'occupait de sa grande affaire des chemins de fer d'Orient, l'avait chargĂ©e de revoir toutes les notes prises autrefois par lui, dans leur premier voyage, puis de rĂ©diger une sorte de mĂ©moire, qui serait comme un rĂ©sumĂ© historique de la question ; et, depuis deux grandes semaines, elle tĂÂąchait de s'absorber tout entiĂšre dans cette besogne. Ce jour-lĂ , il faisait si chaud, qu'elle laissa mourir le feu et ouvrit la fenĂÂȘtre, d'oĂÂč elle regarda un instant, avant de s'asseoir, les grands arbres nus de l'hĂÂŽtel Beauvilliers, violĂÂątres sur le ciel pĂÂąle. Il y avait prĂšs d'une demi-heure qu'elle Ă©crivait, lorsque le besoin d'un document l'Ă©gara dans une longue recherche, parmi les dossiers entassĂ©s sur sa table. Elle se leva, alla remuer d'autres papiers, revint s'asseoir, les mains pleines ; et, comme elle classait des feuilles volantes, elle tomba sur des images de saintetĂ©, une vue enluminĂ©e du Saint-SĂ©pulcre, une priĂšre encadrĂ©e des instruments de la Passion, souveraine pour assurer le salut, dans les moments de dĂ©tresse oĂÂč l'ĂÂąme est en danger. Alors, elle se souvint, son frĂšre avait achetĂ© ces images Ă JĂ©rusalem, en grand enfant pieux. Une Ă©motion soudaine la saisit, des larmes mouillĂšrent ses joues. Ah ! ce frĂšre, si intelligent, si longtemps mĂ©connu, qu'il Ă©tait heureux de croire, de ne pas sourire devant ce Saint-SĂ©pulcre naĂÂŻf pour boĂte Ă bonbons, de puiser une sereine force dans sa foi Ă l'efficacitĂ© de cette priĂšre, rimĂ©e en vers de confiseur ! Elle le revoyait trop confiant, trop facile Ă se laisser duper peut-ĂÂȘtre, mais si droit, si tranquille, sans une rĂ©volte, sans une lutte mĂÂȘme. Et elle qui, depuis deux mois, luttait et souffrait, elle qui ne croyait plus, brĂ»lĂ©e de lectures, dĂ©vastĂ©e de raisonnements, avec quelle ardeur elle souhaitait, aux heures de faiblesse, d'ĂÂȘtre restĂ©e simple et ingĂ©nue comme lui, au point de pouvoir endormir son coeur saignant, en rĂ©pĂ©tant trois fois, matin et soir, l'oraison enfantine que les clous et la lance, la couronne et l'Ă©ponge de la Passion entouraient ! Au lendemain du hasard brutal qui lui avait appris la liaison de Saccard et de la baronne Sandorff, elle s'Ă©tait raidie de toute sa volontĂ©, pour rĂ©sister au besoin de les surveiller et de savoir. Elle n'Ă©tait point la femme de cet homme, elle ne voulait point ĂÂȘtre sa maĂtresse passionnĂ©e jalouse jusqu'au scandale ; et sa misĂšre Ă©tait qu'elle continuait Ă ne pas se refuser, dans leur intimitĂ© de chaque heure. Cela venait de la façon paisible, simplement affectueuse, dont elle avait d'abord considĂ©rĂ© leur aventure une amitiĂ© ayant abouti fatalement au don de la personne, comme il arrive entre homme et femme. Elle n'avait plus vingt ans, elle Ă©tait devenue d'une grande tolĂ©rance, aprĂšs la dure expĂ©rience de son mariage. A trente-six ans Ă©tant si sage, se croyant sans illusions, ne pouvait-elle donc fermer les yeux, se conduire plus en mĂšre qu'en amante, Ă l'Ă©gard de cet ami auquel elle s'Ă©tait rĂ©signĂ©e sur le tard, dans une minute d'absence morale, et qui, lui aussi, avait singuliĂšrement dĂ©passĂ© l'ĂÂąge des hĂ©ros ? Parfois, elle rĂ©pĂ©tait qu'on accordait trop d'importance Ă ces rapports des sexes, simples rencontres souvent, dont on embarrassait ensuite l'existence entiĂšre. D'ailleurs, elle souriait la premiĂšre de l'immoralitĂ© de sa remarque, car n'Ă©taient pas alors toutes les fautes permises, toutes les femmes Ă tous les hommes ? Et, pourtant, que de femmes sont raisonnables en acceptant le partage avec une rivale, que la pratique courante l'emporte en heureuse bonhomie sur la jalouse idĂ©e de la possession unique et totale ! Mais ce n'Ă©taient lĂ que des façons thĂ©oriques de rendre la vie supportable, elle avait beau se forcer Ă l'abnĂ©gation, continuer Ă ĂÂȘtre l'intendante dĂ©vouĂ©e, la servante d'intelligence supĂ©rieure qui veut bien donner son corps, quand elle a donnĂ© son coeur et son cerveau une rĂ©volte de sa chair, de sa passion la soulevait, elle souffrait affreusement de ne pas tout savoir, de ne pas rompre violemment, aprĂšs avoir jetĂ© Ă la face de Saccard l'affreux mal qu'il lui faisait. Elle s'Ă©tait domptĂ©e cependant, au point de se taire, de rester calme et souriante, et jamais, dans son existence si rude jusque- lĂ , elle n'avait eu besoin de plus de force. Encore un instant, elle regarda les images de saintetĂ©, qu'elle tenait toujours, avec son sourire douloureux d'incrĂ©dule, tout Ă©mu de tendresse. Mais elle ne les voyait plus, elle reconstruisait ce que Saccard avait pu faire la veille, ce qu'il faisait ce jour-lĂ mĂÂȘme, par un travail involontaire et incessant de son esprit, qui retournait d'instinct Ă cet espionnage, dĂšs qu'elle ne l'occupait plus. Saccard, d'ailleurs, semblait mener sa vie accoutumĂ©e, le matin les tracas de sa direction, l'aprĂšs-midi la Bourse, le soir les invitations Ă dĂner, les premiĂšres reprĂ©sentations, une vie de plaisirs, des filles de thĂ©ĂÂątre dont elle n'Ă©tait point jalouse. Et, cependant, elle sentait bien un nouvel intĂ©rĂÂȘt en lui, une chose qui lui prenait des heures occupĂ©es auparavant d'une autre façon, sans doute cette femme, des rendez-vous dans quelque endroit qu'elle se dĂ©fendait de connaĂtre. Cela la rendait soupçonneuse et mĂ©fiante, elle se remettait malgrĂ© elle Ă " faire le gendarme " , comme disait son frĂšre en riant, mĂÂȘme au sujet des affaires de l'Universelle, qu'elle avait cessĂ© de surveiller, tant sa confiance un moment Ă©tait devenue grande. Des irrĂ©gularitĂ©s la frappaient et la chagrinaient. Puis, elle Ă©tait toute surprise de s'en moquer au fond, de ne pas trouver la force de parler ni d'agir, tellement une seule angoisse la tenait au coeur, cette trahison qu'elle aurait voulu accepter, qui l'Ă©touffait. Et, honteuse de sentir les larmes la gagner de nouveau, elle cacha les images, avec le mortel regret de ne pouvoir aller s'agenouiller et se soulager dans une Ă©glise, en pleurant pendant des heures toutes les larmes de son corps. Depuis dix minutes, Mme Caroline, calmĂ©e, s'Ă©tait remise Ă rĂ©diger le mĂ©moire, lorsque le valet de chambre vint lui dire que Charles, un cocher renvoyĂ© la veille, voulait absolument parler Ă madame. C'Ă©tait Saccard qui, aprĂšs l'avoir engagĂ© lui-mĂÂȘme, l'avait surpris volant sur l'avoine. Elle hĂ©sita, puis consentit Ă le recevoir. Grand, beau garçon, avec la face et le cou rasĂ©s, se dandinant de l'air assurĂ© et fat des hommes que les femmes paient, Charles se prĂ©senta insolemment. " Madame, c'est pour les deux chemises que la blanchisseuse m'a perdues et dont elle refuse de me tenir compte. Sans doute, madame ne pense pas que je puisse faire une perte pareille... Et, comme madame est responsable, je veux que madame me rembourse mes chemises... Oui, je veux quinze francs. " Sur ces questions de mĂ©nage, elle Ă©tait trĂšs sĂ©vĂšre. Peut-ĂÂȘtre aurait-elle donnĂ© les quinze francs, pour Ă©viter toute discussion. Mais l'effronterie de cet homme, pris la veille la main dans le sac, la rĂ©volta. " Je ne vous dois rien, je ne vous donnerai pas un sou... D'ailleurs, monsieur m'a mise en garde et m'a absolument dĂ©fendu de faire quelque chose pour vous. " Alors, Charles s'avança, menaçant. " Ah ! monsieur a dit ça, je m'en doutais, et il a eu tort, monsieur, parce que nous allons rire... Je ne suis pas assez bĂÂȘte pour ne pas avoir remarquĂ© que madame Ă©tait la maĂtresse... " Rougissante, Mme Caroline se leva, voulant le chasser. Mais il ne lui en laissa pas le temps, il continuait plus haut " Et peut-ĂÂȘtre que madame sera contente de savoir oĂÂč va monsieur, de quatre Ă six, deux et trois fois par semaine, quand il est sĂ»r de trouver la personne seule... " Elle Ă©tait redevenue brusquement trĂšs pĂÂąle, tout son sang refluait Ă son coeur. D'un geste violent, elle tenta de lui rentrer dans la gorge ce renseignement qu'elle Ă©vitait d'apprendre depuis deux mois. " Je vous dĂ©fends bien... " Seulement, il criait plus fort qu'elle. " C'est Mme la baronne Sandorff... M. Delcambre l'entretient et a louĂ©, pour l'avoir Ă son aise, un petit rez-de-chaussĂ©e de la rue Caumartin, presque au coin de la rue Saint-Nicolas, dans une maison oĂÂč il y a une fruitiĂšre... Et monsieur y va donc prendre la place toute chaude... " Elle avait allongĂ© le bras vers la sonnette, pour qu'on jetĂÂąt cet homme dehors ; mais il aurait certainement continuĂ© devant les domestiques. " Oh ! quand je dis chaude !... J'ai une amie lĂ -dedans, Clarisse, la femme de chambre, qui les a regardĂ©s ensemble, et qui a vu sa maĂtresse, un vrai glaçon, lui faire un tas de saletĂ©s... - Taisez-vous, malheureux !... Tenez ! voici vos quinze francs. " Et, d'un geste d'indicible dĂ©goĂ»t, elle lui remit l'argent, comprenant que c'Ă©tait la seule façon de le renvoyer. Tout de suite, en effet, il redevint poli. " Moi, je ne veux que le bien de madame... La maison oĂÂč il y a une fruitiĂšre. Le perron au fond de la cour... C'est aujourd'hui jeudi, il est quatre heures, si madame veut les surprendre... " Elle le poussait vers la porte, sans desserrer les lĂšvres, livide. " D'autant plus qu'aujourd'hui madame assisterait peut-ĂÂȘtre bien Ă quelque chose de rigolo... Plus souvent que Clarisse resterait dans une boĂte pareille ! Et, quand on a eu de bons maĂtres, on leur laisse un petit souvenir, n'est-ce pas ?... Bonsoir, madame. " Enfin, il Ă©tait parti. Mme Caroline resta quelques secondes immobile, cherchant, comprenant qu'une scĂšne pareille menaçait Saccard. Puis, sans force, avec un long gĂ©missement, elle vint s'abattre sur sa table de travail ; et les larmes qui l'Ă©touffaient depuis si longtemps ruisselĂšrent. Cette Clarisse, une maigre fille blonde, venait simplement de trahir sa maĂtresse, en offrant Ă Delcambre de la lui faire surprendre avec un autre homme, dans le logement mĂÂȘme qu'il payait. Elle avait d'abord exigĂ© cinq cents francs ; mais, comme il Ă©tait fort avare, elle dut, aprĂšs marchandage, se contenter de deux cents francs, payables de la main Ă la main, au moment oĂÂč elle lui ouvrirait la porte de la chambre. Elle couchait lĂ , dans une petite piĂšce, derriĂšre le cabinet de toilette. La baronne l'avait prise par une dĂ©licatesse, pour ne pas confier le soin du mĂ©nage Ă la concierge. Le plus souvent, elle vivait oisive, n'ayant rien Ă faire entre les rendez-vous, au fond de ce logement vide, s'effaçant du reste, disparaissant, dĂšs que Delcambre ou Saccard arrivait. C'Ă©tait dans la maison qu'elle avait connu Charles qui longtemps Ă©tait venu, la nuit, occuper avec elle le grand lit des maĂtres, encore ravagĂ© par la dĂ©bauche de la journĂ©e ; et mĂÂȘme c'Ă©tait elle qui l'avait recommandĂ© Ă Saccard, comme un trĂšs bon sujet, trĂšs honnĂÂȘte. Depuis son renvoi, elle Ă©pousait sa rancune, d'autant plus que sa maĂtresse lui faisait des " crasses " et qu'elle avait une place oĂÂč elle gagnerait cinq francs de plus par mois. D'abord, Charles voulait Ă©crire au baron Sandorff ; mais elle avait trouvĂ© plus drĂÂŽle et plus lucratif d'organiser, avec Delcambre, une surprise. Et, ce jeudi-lĂ , ayant tout prĂ©parĂ© pour le grand coup, elle attendit. A quatre heures, lorsque Saccard arriva, la baronne Sandorff Ă©tait dĂ©jĂ lĂ , allongĂ©e sur la chaise longue, devant le feu. Elle se montrait d'habitude trĂšs exacte, en femme d'affaires qui sait le prix du temps. Les premiĂšres fois, il avait eu la dĂ©sillusion de ne pas trouver l'ardente amoureuse qu'il espĂ©rait, chez cette femme si brune, aux paupiĂšres bleues, Ă la provocante allure de bacchante en folie. Elle Ă©tait de marbre, lasse de son inutile effort Ă la recherche d'une sensation qui ne venait point, tout entiĂšre prise par le jeu, dont l'angoisse au moins lui chauffait le sang. Puis, l'ayant sentie curieuse, sans dĂ©goĂ»t, rĂ©signĂ©e Ă la nausĂ©e, si elle croyait y dĂ©couvrir un frisson nouveau, il l'avait dĂ©pravĂ©e, obtenant d'elle toutes les caresses. Elle causait Bourse, lui tirait des renseignements ; et, comme le hasard aidant sans doute, elle gagnait depuis sa liaison, elle traitait un peu Saccard en fĂ©tiche, l'objet ramassĂ© que l'on garde et que l'on baise, mĂÂȘme malpropre, pour la chance qu'il vous porte. Clarisse avait fait un si grand feu, ce jour-lĂ , qu'ils ne se mirent pas au lit, par un raffinement de rester devant les hautes flammes, sur la chaise longue. Dehors, la nuit allait se faire. Mais les volets Ă©taient fermĂ©s, les rideaux soigneusement tirĂ©s ; et deux grosses lampes, aux globes dĂ©polis, sans abat-jour, les Ă©clairaient d'une lumiĂšre crue. A peine Saccard Ă©tait-il entrĂ©, que Delcambre, Ă son tour descendit de voiture. Le procureur gĂ©nĂ©ral Delcambre, personnellement liĂ© avec l'empereur, en passe de devenir ministre, Ă©tait un homme maigre et jaune de cinquante ans, Ă la haute taille solennelle, Ă la face rase, coupĂ©e de plis profonds d'une austĂšre sĂ©vĂ©ritĂ©. Son nez dur, en bec d'aigle, semblait sans dĂ©faillance comme sans pardon. Et, lorsqu'il monta le perron, de son pas ordinaire, mesurĂ© et grave, il avait toute sa dignitĂ©, son air froid des grands jours d'audience. Personne ne le connaissait dans la maison, il n'y venait guĂšre qu'Ă la nuit tombĂ©e. Clarisse l'attendait dans l'Ă©troite antichambre. " Si monsieur veut me suivre, et je recommande bien Ă monsieur de ne pas faire de bruit. " Il hĂ©sitait, pourquoi ne pas entrer par la porte qui ouvrait directement sur la chambre ? Mais, Ă voix trĂšs basse, elle lui expliqua que le verrou Ă©tait mis sĂ»rement, qu'il faudrait briser tout et que madame, avertie, aurait le temps de s'arranger. Non ! ce qu'elle voulait, c'Ă©tait la lui faire surprendre telle qu'elle l'avait vue, un jour, en risquant un oeil au trou de la serrure. Pour cela, elle avait imaginĂ© quelque chose de bien simple. Sa chambre, autrefois, communiquait avec le cabinet de toilette par une porte, aujourd'hui fermĂ©e Ă clef ; et, la clef ayant Ă©tĂ© ensuite jetĂ©e au fond d'un tiroir, elle avait eu seulement Ă la reprendre lĂ , puis Ă rouvrir ; de sorte que, grĂÂące Ă cette porte condamnĂ©e, oubliĂ©e, on pouvait maintenant pĂ©nĂ©trer sans bruit dans le cabinet de toilette, qui lui-mĂÂȘme n'Ă©tait sĂ©parĂ© de la chambre que par une portiĂšre. Certainement, madame n'attendait personne de ce cĂÂŽtĂ©. " Que monsieur se confie entiĂšrement Ă moi. J'ai intĂ©rĂÂȘt, n'est-ce pas ? Ă la rĂ©ussite. " Elle se glissa par la porte entrebĂÂąillĂ©e, disparut un instant, laissant Delcambre seul, dans son Ă©troite chambre de bonne, au lit en dĂ©sordre, Ă la cuvette d'eau savonneuse, et dont elle avait dĂ©jĂ dĂ©mĂ©nagĂ© sa malle, le matin, pour filer, dĂšs que le coup serait fait. Puis, elle revint, referma doucement la porte sur elle. " Il faut que monsieur attende un petit peu. Ce n'est pas encore ça. Ils causent. " Delcambre restait digne, sans un mot, debout et immobile sous les regards vaguement blagueurs de cette fille qui le dĂ©visageait. Cependant, il se lassait, un tic nerveux tirait toute la moitiĂ© gauche de son visage, dans la rage contenue dont le flot montait Ă son crĂÂąne. Le furieux mĂÂąle, aux appĂ©tits d'ogre, qu'il y avait en lui, cachĂ© derriĂšre la glaciale sĂ©vĂ©ritĂ© de son masque professionnel, commençait Ă gronder sourdement, irritĂ© de cette chair qu'on lui volait. Faisons vite, faisons vite " , rĂ©pĂ©ta-t-il, sans savoir ce qu'il disait, les mains fiĂ©vreuses. Mais, lorsque Clarisse, disparue de nouveau, revint, un doigt sur les lĂšvres, elle le supplia de patienter encore. " Je vous assure, monsieur, soyez raisonnable, autrement vous perdrez le plus beau... Dans un moment, ça y sera en plein. " Et, Delcambre, les jambes brusquement cassĂ©es, dut s'asseoir sur le petit lit de bonne. La nuit tombait, il resta ainsi dans l'ombre, tandis que la femme de chambre, aux Ă©coutes, ne perdait aucun des bruits lĂ©gers qui venaient de la chambre, et qu'il entendait, lui, dĂ©cuplĂ©s par un tel bourdonnement de ses oreilles, qu'ils lui paraissaient ĂÂȘtre le piĂ©tinement d'une armĂ©e en marche. Enfin, il sentit la main de Clarisse tĂÂątonnant le long de son bras. Il comprit, lui donna, sans une parole, une enveloppe ; oĂÂč il avait glissĂ© les deux cents francs promis. Et elle marcha la premiĂšre, Ă©carta la portiĂšre du cabinet, le poussa dans la chambre, en disant " Tenez ! les v'lĂÂą ! " Devant le grand feu, aux braises ardentes, Saccard Ă©tait sur le dos, couchĂ© au bord de la chaise longue, n'ayant gardĂ© que sa chemise, qui, roulĂ©e, remontĂ©e jusqu'aux aisselles, dĂ©couvrait, de ses pieds Ă ses Ă©paules, sa peau brune, envahie avec l'ĂÂąge d'un poil de bĂÂȘte ; tandis que la baronne, entiĂšrement nue, toute rose des flammes qui la cuisaient, Ă©tait agenouillĂ©e ; et les deux grosses lampes les Ă©clairaient d'une clartĂ© si vive, que les moindres dĂ©tails s'accusaient, avec un relief d'ombre excessif. BĂ©ant, suffoquĂ© par ce flagrant dĂ©lit anormal, Delcambre s'Ă©tait arrĂÂȘtĂ©, pendant que les deux autres, comme foudroyĂ©s, stupides de voir entrer cet homme par le cabinet, ne bougeaient pas, les yeux Ă©largis et fous. " Ah ! cochons ! bĂ©gaya enfin le procureur gĂ©nĂ©ral, cochons ! cochons ! " Il ne trouvait que ce mot, il le rĂ©pĂ©ta sans fin, l'accentua du mĂÂȘme geste saccadĂ©, pour lui donner plus de force. Cette fois, d'un bond, la femme s'Ă©tait levĂ©e, Ă©perdue de sa nuditĂ©, tournant sur elle-mĂÂȘme, cherchant ses vĂÂȘtements, qu'elle avait laissĂ©s dans le cabinet de toilette, oĂÂč elle ne pouvait aller les reprendre ; et, ayant mis la main sur un jupon blanc restĂ© lĂ , elle s'en couvrit les Ă©paules, garda les deux bouts de la ceinture entre les dents, afin de le serrer autour de son cou, contre sa poitrine. L'homme, qui avait quittĂ© aussi la chaise longue, rabattit sa chemise, l'air trĂšs ennuyĂ©. " Cochons ! rĂ©pĂ©ta encore Delcambre, cochons ! dans cette chambre que je paie ! " Et, montrant le poing Ă Saccard, s'affolant de plus en plus, Ă l'idĂ©e que ces ordures se faisaient sur un meuble achetĂ© avec son argent, il dĂ©lira. " Vous ĂÂȘtes ici chez moi, cochon que vous ĂÂȘtes ! Et cette femme est Ă moi, vous ĂÂȘtes un cochon et un voleur ! " Saccard, qui ne se fĂÂąchait pas, aurait voulu le calmer, fort embarrassĂ© d'ĂÂȘtre ainsi en chemise, et tout Ă fait contrariĂ© de l'aventure. Mais le mot de voleur le blessa. " Dame ! monsieur, rĂ©pondit-il, quand on veut avoir une femme Ă soi tout seul, on commence par lui donner ce dont elle a besoin. " Cette allusion Ă son avarice acheva d'enrager Delcambre. Il Ă©tait mĂ©connaissable, effroyable, comme si le bouc humain, tout le priape cachĂ© lui sortait de la peau. Ce visage, si digne et si froid, avait brusquement rougi, et il se gonflait, se tumĂ©fiait, s'avançait en un mufle furieux. L'emportement lĂÂąchait la brute charnelle, dans l'affreuse douleur de cette fange remuĂ©e. " Besoin, besoin, balbutia-t-il, besoin du ruisseau... Ah ! Garce ! " Et il eut vers la baronne un geste si violent, qu'elle prit peur. Elle Ă©tait restĂ©e debout, immobile, ne parvenant Ă se voiler la gorge, avec le jupon, qu'en laissant Ă dĂ©couvert le ventre et les cuisses. Alors, ayant compris que cette nuditĂ© coupable, ainsi Ă©talĂ©e, l'exaspĂ©rait davantage, elle recula jusqu'Ă la chaise, s'y assit en serrant les jambes, en remontant les genoux, de façon Ă cacher tout ce qu'elle pouvait. Puis, elle demeura lĂ , sans un geste, sans un mot, la tĂÂȘte un peu basse, les yeux obliques et sournois sur la bataille en femelle que les hommes se disputent, et qui attend, pour ĂÂȘtre au vainqueur. Saccard, courageusement, s'Ă©tait jetĂ© devant elle. " Vous n'allez pas la battre, peut-ĂÂȘtre ! " Les deux hommes se trouvĂšrent face Ă face. " Enfin, monsieur, reprit-il, il faut en finir. Nous ne pouvons pas nous disputer comme des cochers... C'est trĂšs vrai, je suis l'amant de madame. Et je vous rĂ©pĂšte que, si vous avez payĂ© les meubles ici, moi j'ai payĂ©... - Quoi ? - Beaucoup de choses par exemple, l'autre jour, les dix mille francs de son ancien compte chez Mazaud, que vous aviez absolument refusĂ© de rĂ©gler... J'ai autant de droits que vous. Un cochon, c'est possible ! mais un voleur, ah ! non ! Vous allez retirer le mot. " Hors de lui, Delcambre cria " Vous ĂÂȘtes un voleur, et je vais vous casser la tĂÂȘte, si vous ne dĂ©guerpissez pas Ă l'instant. " Mais Saccard, Ă son tour, s'irritait. Tout en remettant son pantalon, il protesta. " Ah ! ça, dites donc, vous m'embĂÂȘtez, Ă la fin ! Je m'en irai si je veux... Ce n'est pas encore vous que me ferez peur, mon bonhomme ! " Et, quand il eut enfilĂ© ses bottines, il tapa rĂ©solument des pieds sur le tapis, en disant " LĂ , maintenant, je suis d'aplomb, je reste. " Etouffant de rage, Delcambre s'Ă©tait rapprochĂ©, le mufle en avant. " Sale cochon, veux-tu filer ! - Pas avant toi, vieille crapule ! - Et si je te flanque ma main sur la figure ! - Moi, je te plante mon pied quelque part ! " Nez Ă nez, les crocs dehors, ils aboyaient. Oublieux d'eux-mĂÂȘmes, dans cette dĂ©bĂÂącle de leur Ă©ducation, dans ce flot de vase immonde du rut qu'ils se disputaient, le magistrat et le financier en vinrent Ă une querelle de charretiers ivres, Ă des mots abominables, qu'ils se lançaient, avec un besoin croissant de l'ordure, comme des crachats. Leurs voix s'Ă©tranglaient dans leur gorge, ils Ă©cumaient de la boue. Sur sa chaise, la baronne attendait toujours que l'un des deux eĂ»t jetĂ© l'autre dehors. Et, calmĂ©e dĂ©jĂ , arrangeant l'avenir, elle n'Ă©tait plus gĂÂȘnĂ©e que par la prĂ©sence de la femme de chambre, qu'elle devinait derriĂšre la portiĂšre du cabinet de toilette, restĂ©e lĂ pour se faire un peu de bon sang. Cette fille, en effet, ayant allongĂ© la tĂÂȘte, avec un ricanement d'aise, Ă entendre des messieurs se dirent des choses si dĂ©goĂ»tantes, les deux femmes s'aperçurent, la maĂtresse accroupie et nue, la servante droite et correcte, avec son petit col plat ; et elles Ă©changĂšrent un flamboyant regard, la haine sĂ©culaire des rivales, dans cette Ă©galitĂ© des duchesses et des vachĂšres, quand elles n'ont plus de chemise. Mais Saccard, lui aussi, avait vu Clarisse. Il achevait de s'habiller violemment, enfilait son gilet et revenait lĂÂącher une injure dans la figure de Delcambre, passait la manche gauche de sa redingote et en criait une autre, passait la manche droite et en trouvait d'autres, d'autres toujours, Ă pleins baquets, Ă la volĂ©e. Puis, tout d'un coup, pour en finir " Clarisse, venez donc !... Ouvrez les portes, ouvrez les fenĂÂȘtres, pour que toute la maison et toute la rue entendent !... M. le Procureur gĂ©nĂ©ral veut qu'on sache qu'il est ici, et je vais le faire connaĂtre, moi ! " PĂÂąlissant, Delcambre recula, en le voyant se diriger vers une des fenĂÂȘtres, comme s'il voulait en tourner la crĂ©mone. Ce terrible homme Ă©tait trĂšs capable d'exĂ©cuter sa menace, lui qui se moquait du scandale. " Ah ! canaille, canaille ! murmura le magistrat. ĂâĄa fait bien la paire, vous et cette catin. Et je vous la laisse... - C'est ça, dĂ©campez ! On n'a pas besoin de vous... Au moins, ses factures seront payĂ©es, elle ne pleurera plus misĂšre... Tenez ! voulez- vous six sous, pour prendre l'omnibus ? " Sous l'insulte, Delcambre s'arrĂÂȘta un instant, au seuil du cabinet de toilette. Il avait de nouveau sa haute taille maigre, sa face blĂÂȘme, coupĂ©e de plis rigides. Il Ă©tendit le bras, il fit un serment. " Je jure que vous me paierez tout ça... Oh ! je vous retrouverai, prenez garde ! " Puis, il disparut. Tout de suite, derriĂšre lui, on entendit la fuite d'une jupe c'Ă©tait la femme de chambre qui, par crainte d'une explication, se sauvait, trĂšs Ă©gayĂ©e, Ă l'idĂ©e de la bonne farce. Saccard, secouĂ© encore, piĂ©tinant, alla fermer les portes, revint dans la chambre, oĂÂč la baronne Ă©tait restĂ©e ; douĂ©e sur sa chaise. Il se promena Ă grands pas, repoussa dans la cheminĂ©e un tison qui s'Ă©croulait ; et, la voyant seulement alors, si singuliĂšre et si peu couverte, avec ce jupon sur les Ă©paules, il se montra trĂšs convenable. " Habillez-vous donc, ma chĂšre... Et ne vous Ă©motionnez pas. C'est bĂÂȘte, mais ce n'est rien, rien du tout... Nous nous reverrons ici, aprĂšs-demain, pour nous arranger, n'est-ce pas ? Moi, il faut que je file, j'ai un rendez-vous avec Huret. " Et, comme elle remettait enfin sa chemise, et qu'il partait, il lui cria de l'antichambre " Surtout, si vous achetez de l'Italien, pas de bĂÂȘtise ! ne le prenez qu'Ă prime. " Pendant ce temps, Ă la mĂÂȘme heure, Mme Caroline, la tĂÂȘte abattue sur sa table de travail, sanglotait. Le brutal renseignement du cocher, cette trahison de Saccard qu'elle ne pouvait ignorer dĂ©sormais, remuait en elle tous les soupçons, toutes les craintes qu'elle avait voulu y ensevelir. Elle s'Ă©tait forcĂ©e Ă la tranquillitĂ© et Ă l'espoir, dans les affaires de l'Universelle, complice, par l'aveuglement de sa tendresse, de ce qu'on ne lui disait pas, de ce qu'elle ne cherchait pas Ă apprendre. Aussi, maintenant, se reprochait-elle, avec un violent remords, la lettre rassurante qu'elle avait Ă©crite Ă son frĂšre, lors de la derniĂšre assemblĂ©e gĂ©nĂ©rale ; car elle le savait, depuis que sa jalousie lui ouvrait de nouveau les yeux et les oreilles, les irrĂ©gularitĂ©s continuaient, s'aggravaient sans cesse, ainsi le compte Sabatani avait grossi, la sociĂ©tĂ© jouait de plus en plus, sous le couvert de ce prĂÂȘte-nom, sans parler des rĂ©clames Ă©normes et mensongĂšres, des fondations de sable et de boue qu'on donnait Ă la colossale maison, dont la montĂ©e si prompte, comme miraculeuse, la frappait de plus de terreur que de joie. Ce qui surtout l'angoissait, c'Ă©tait ce terrible train, ce galop continu dont on menait l'Universelle, pareille Ă une machine, bourrĂ©e de charbon, lancĂ©e sur des rails diaboliques, jusqu'Ă ce que tout crevĂÂąt et sautĂÂąt, sous un dernier choc. Elle n'Ă©tait point une naĂÂŻve, une nigaude, que l'on pĂ»t tromper ; mĂÂȘme ignorante de la technique des opĂ©rations de banque, elle comprenait parfaitement les raisons de ce surmenage, de cet enfiĂšvrement, destinĂ© Ă griser la foule, Ă l'entraĂner dans cette Ă©pidĂ©mique folie de la danse des millions. Chaque matin devait apporter sa hausse, il fallait faire croire toujours Ă plus de succĂšs, Ă des guichets monumentaux, des guichets enchantĂ©s qui absorbaient des riviĂšres, pour rendre des fleuves, des ocĂ©ans d'or. Son pauvre frĂšre, si crĂ©dule, sĂ©duit, emportĂ©, allait-elle donc le trahir, l'abandonner Ă ce flot qui menaçait, un jour, de les noyer tous ? Elle Ă©tait dĂ©sespĂ©rĂ©e de son inaction et de son impuissance. Cependant, le crĂ©puscule assombrissait la salle des Ă©pures, que le foyer Ă©teint n'Ă©clairait mĂÂȘme pas d'un reflet ; et, dans ces tĂ©nĂšbres accrues, Mme Caroline pleurait plus fort. C'Ă©tait lĂÂąche de pleurer ainsi, car elle sentait bien que tant de larmes ne venaient point de son inquiĂ©tude sur les affaires de l'Universelle. Saccard, certainement, menait Ă lui seul le terrible galop, fouaillait la bĂÂȘte avec une fĂ©rocitĂ©, une inconscience morale extraordinaire, quitte Ă la tuer. Il Ă©tait l'unique coupable, elle avait un frisson Ă tĂÂącher de lire en lui, dans cette ĂÂąme obscure d'un homme d'argent, ignorĂ©e de lui-mĂÂȘme, oĂÂč l'ombre cachait de l'ombre, l'infini boueux de toutes les dĂ©chĂ©ances. Ce qu'elle n'y distinguait pas encore nettement, elle le soupçonnait, elle en tremblait. Mais la dĂ©couverte lente de tant de plaies, la crainte d'une catastrophe possible ne l'auraient pas ainsi jetĂ© sur cette table, pleurante et sans force, l'auraient au contraire redressĂ©e, dans un besoin de lutte et de guĂ©rison. Elle se connaissait, elle Ă©tait une guerriĂšre. Non ! si elle sanglotait si fort, telle qu'une enfant dĂ©bile, c'Ă©tait qu'elle aimait Saccard et que Saccard, Ă cette minute mĂÂȘme, se trouvait avec une autre femme. Et cet aveu qu'elle Ă©tait obligĂ©e de se faire, l'emplissait de honte, redoublait ses pleurs, au point de l'Ă©touffer. " N'avoir pas plus de fiertĂ©, mon Dieu ! balbutiait-elle Ă voix haute. Etre Ă ce point fragile et misĂ©rable ! Ne pas pouvoir, quand on veut ! " A ce moment, dans la piĂšce noire, elle eut l'Ă©tonnement d'entendre une voix. C'Ă©tait Maxime qui, en familier de la maison, venait d'entrer. " Comment ! vous ĂÂȘtes sans lumiĂšre, et vous pleurez ! " Confuse d'ĂÂȘtre ainsi surprise, elle s'efforça de maĂtriser ses sanglots, pendant qu'il ajoutait " Je vous demande pardon, je croyais mon pĂšre revenu de la Bourse... Une dame m'a priĂ© de le lui amener Ă dĂner. " Mais le valet de chambre apportait une lampe, et il se retira, aprĂšs l'avoir posĂ©e sur la table. Toute la vaste piĂšce s'Ă©tait Ă©clairĂ©e de la calme lumiĂšre qui tombait de l'abat-jour. " Ce n'est rien, voulut expliquer Mme Caroline, un bobo de femme, moi qui suis pourtant si peu nerveuse. " Et, les yeux secs, le buste droit, elle souriait dĂ©jĂ , de son air hĂ©roĂÂŻque de combattante. Un instant, le jeune homme la regarda, si fiĂšrement redressĂ©e, avec ses grands yeux clairs, ses fortes lĂšvres, son visage de bontĂ© virile, l'Ă©paisse couronne de ses cheveux blancs avait adouci et pĂ©nĂ©trĂ© d'un grand charme ; et il la trouvait jeune encore, toute blanche ainsi, les dents Ă©galement trĂšs blanches, une femme adorable, devenue belle. Puis il songea Ă son pĂšre, il eut un haussement d'Ă©paules plein d'une mĂ©prisante pitiĂ©. " C'est lui, n'est-ce pas ? qui vous met dans un Ă©tat pareil. " Elle voulut nier, mais elle Ă©tranglait, des larmes remontaient Ă ses paupiĂšres. " Ah ! ma pauvre madame, je vous disais bien que vous aviez des illusions sur papa et que vous en seriez mal rĂ©compensĂ©e... C'Ă©tait fatal, qu'il vous mangeĂÂąt, vous aussi ! " Alors, elle se souvint du jour oĂÂč elle Ă©tait allĂ©e lui emprunter les deux mille francs, pour l'acompte sur la rançon de Victor. Ne lui avait- il pas promis de causer avec elle, lorsqu'elle voudrait savoir ? L'occasion ne s'offrait-elle pas de tout apprendre du passĂ© ? en le questionnant ? Et un irrĂ©sistible besoin la poussait maintenant qu'elle avait commencĂ© de descendre, il lui fallait toucher le fond. Cela seul Ă©tait brave, digne d'elle, utile Ă tous. Mais elle rĂ©pugnait Ă cette enquĂÂȘte, elle prit un dĂ©tour, ayant l'air de rompre la conversation. " Je vous dois toujours deux mille francs, dit-elle. Vous ne m'en voulez pas trop, de vous faire attendre ? " Il eut un geste, pour lui donner tout le temps dĂ©sirable. Puis, brusquement " A propos, et mon petit frĂšre, ce monstre ? - Il me dĂ©sole, je n'ai encore rien dit Ă votre pĂšre... Je voudrais tant dĂ©crasser un peu le pauvre ĂÂȘtre, pour qu'on pĂ»t l'aimer ! " Un rire de Maxime l'inquiĂ©ta, et comme elle l'interrogeait des yeux " Dame ! je crois que vous prenez encore lĂ un souci bien inutile. Papa ne comprendra guĂšre toute cette peine... Il en a tant vu, des ennuis de famille ! " Elle le regardait toujours, si correct dans son Ă©goĂÂŻste jouissance de la vie, si joliment dĂ©sabusĂ© des liens humains, mĂÂȘme de ceux que crĂ©e le plaisir. Il avait souri, goĂ»tant seul la mĂ©chancetĂ© cachĂ©e de sa derniĂšre phrase. Et elle eut conscience qu'elle touchait au secret de ces deux hommes. " Vous avez perdu votre mĂšre de bonne heure ? - Oui, je l'ai Ă peine connue... J'Ă©tais encore Ă Plassans, au collĂšge, lorsqu'elle est morte, ici, Ă Paris... Notre oncle, le docteur Pascal, a gardĂ© lĂ -bas avec lui ma soeur Clotilde que je n'ai jamais revue qu'une fois. - Mais votre pĂšre s'est remariĂ© ? " Il eut une hĂ©sitation. Ses yeux si clairs, si vides, s'Ă©taient troublĂ©s d'une petite fumĂ©e rousse. " Oh ! oui, oui, remariĂ©... La fille d'un magistrat, une BĂ©raud du ChĂÂątel... RenĂ©e, pas une mĂšre pour moi, une bonne amie... " Puis, d'un mouvement familier, s'asseyant prĂšs d'elle " Voyez-vous, il faut comprendre papa. Il n'est pas, mon Dieu ! pire que les autres. Seulement, ses enfants, ses femmes, enfin tout ce qui l'entoure, ça ne passe pour lui qu'aprĂšs l'argent... Oh ! entendons- nous, il n'aime pas l'argent en avare, pour en avoir un gros tas, pour le cacher dans sa cave. Non ! s'il en veut faire jaillir de partout, s'il en puise Ă n'importe quelles sources, c'est pour le voir couler chez lui en torrents, c'est pour toutes les jouissances qu'il en tire, de luxe, de plaisir, de puissance... Que voulez-vous ? il a ça dans le sang, il nous vendrait, vous, moi, n'importe qui, si nous entrions dans quelque marchĂ©. Et cela en homme inconscient et supĂ©rieur, car il est vraiment le poĂšte du million, tellement l'argent le rend fou et canaille, oh ! canaille dans le trĂšs grand ! " C'Ă©tait bien ce que Mme Caroline avait compris, et elle Ă©coutait Maxime, en approuvant d'un hochement de tĂÂȘte. Ah ! l'argent, cet argent pourrisseur, empoisonneur, qui dessĂ©chait les ĂÂąmes, en chassait la bontĂ©, la tendresse, l'amour des autres ! Lui seul Ă©tait le grand coupable, l'entremetteur de toutes les cruautĂ©s et de toutes les saletĂ©s humaines. A cette minute, elle le maudissait, l'exĂ©crait dans la rĂ©volte indignĂ©e de sa noblesse et de sa droiture de femme. D'un geste, si elle en avait eu le pouvoir, elle aurait anĂ©anti tout l'argent du monde, comme on Ă©craserait le mal d'un coup de talon, pour sauver la santĂ© de la terre. " Et votre pĂšre s'est remariĂ© " , rĂ©pĂ©ta-t-elle au bout d'un silence, d'une voix lente et embarrassĂ©e, dans un Ă©veil confus de souvenirs. Qui donc, devant elle, avait fait allusion Ă cette histoire ? Elle n'aurait pu le dire une femme sans doute, quelque amie, aux premiers temps de son installation rue Saint-Lazare, lorsque le nouveau locataire Ă©tait venu habiter le premier Ă©tage. Ne s'agissait-il pas d'un mariage d'argent, de quelque marchĂ© honteux conclu, et, plus tard, le crime n'Ă©tait-il pas tranquillement entrĂ© dans le mĂ©nage, tolĂ©rĂ© et vivant lĂ , un adultĂšre monstrueux, touchant Ă l'inceste ? " RenĂ©e, reprit Maxime trĂšs bas, comme malgrĂ© lui, n'avait que quelques annĂ©es de plus que moi... " Il avait levĂ© la tĂÂȘte, il regardait Mme Caroline ; et, dans un abandon subit, dans une confiance irraisonnĂ©e en cette femme, qui lui semblait si bien portante et si sage, il conta le passĂ©, non pas en phrases suivies, mais par lambeaux, par aveux incomplets, comme involontaire, qu'elle devait coudre. Etait-ce une ancienne rancune contre son pĂšre qu'il soulageait, cette rivalitĂ© qui avait existĂ© entre eux, qui les faisait Ă©trangers, aujourd'hui encore, sans intĂ©rĂÂȘts communs ? Il ne l'accusait pas, semblait incapable de colĂšre ; mais son petit rire tournait au ricanement, il parlait de ces abominations avec la joie mauvaise et sournoise de le salir, en remuant tant de vilenies. Et ce fut ainsi que Mme Caroline apprit tout au long l'effrayante histoire Saccard vendant son nom, Ă©pousant pour de l'argent une fille sĂ©duite ; Saccard, par son argent, sa vie folle et Ă©clatante, achevant de dĂ©traquer cette grande enfant malade ; Saccard, dans un besoin d'argent, ayant Ă obtenir d'elle une signature, tolĂ©rant chez lui les amours de sa femme et de son fils, fermant les yeux en bon patriarche qui veut bien qu'on s'amuse. L'argent, l'argent roi, l'argent Dieu, au- dessus du sang, au-dessus des larmes, adorĂ© plus haut que les vains scrupules humains, dans l'infini de sa puissance ! Et, Ă mesure que l'argent grandissait, que Saccard se rĂ©vĂ©lait Ă elle avec cette diabolique grandeur, Mme Caroline se trouvait prise d'une vĂ©ritable Ă©pouvante, glacĂ©e, Ă©perdue, Ă l'idĂ©e qu'elle Ă©tait au monstre, aprĂšs tant d'autres. " VoilĂ ! dit en s'amusant Maxime. Vous me faites de la peine, il vaut mieux que vous soyez prĂ©venue cela ne vous fĂÂąche pas avec mon pĂšre. J'en serais dĂ©solĂ©, parce que ce serait encore vous qui en pleureriez, et pas lui... Comprenez-vous maintenant pourquoi je refuse de lui prĂÂȘter un sou ? " Comme elle ne rĂ©pondait point, la gorge serrĂ©e, frappĂ©e au coeur, il se leva, donna un coup d'oeil Ă une glace, avec la tranquille aisance d'un joli homme, certain de sa correction dans la vie. Puis, il revint devant elle. " N'est-ce pas ? des exemples pareils vous vieillissent vite... Moi, je me suis rangĂ© tout de suite, j'ai Ă©pousĂ© une jeune fille qui Ă©tait malade et qui est morte, je jure bien aujourd'hui qu'on ne me fera pas refaire des bĂÂȘtises... Non ! voyez-vous, papa est incorrigible, parce qu'il n'a pas de sens moral. " Il lui prit la main, la garda un instant dans la sienne, en la sentant toute froide. " Je m'en vais, puisqu'il ne rentre pas... Mais ne vous faites donc pas de chagrin ! Je vous croyais si forte ! Et dites-moi merci, car il n'y a qu'une chose de bĂÂȘte c'est d'ĂÂȘtre dupe. " Enfin il partait, lorsqu'il s'arrĂÂȘta Ă la porte, riant, ajoutant encore " J'oubliais, dites-lui que Mme de Jeumont veut l'avoir Ă dĂner... Vous savez, Mme de Jeumont, celle qui a couchĂ© avec l'empereur, pour cent mille francs... Et n'ayez pas peur car, si fou que papa soit restĂ©, j'ose espĂ©rer qu'il n'est pas capable de payer une femme ce prix-lĂ . " Seule, Mme Caroline ne bougea pas. Elle demeurait anĂ©antie sur sa chaise, dans la vaste piĂšce tombĂ©e Ă un lourd silence, regardant fixement la lampe, de ses yeux Ă©largis. C'Ă©tait comme un brusque dĂ©chirement du voile ce qu'elle n'avait pas voulu distinguer nettement jusque-lĂ , ce qu'elle ne faisait que soupçonner en tremblant, elle le voyait Ă cette heure dans sa cruditĂ© affreuse, sans complaisance possible. Elle voyait Saccard Ă nu, cette ĂÂąme dĂ©vastĂ©e d'un homme d'argent, compliquĂ©e et trouble dans sa dĂ©composition, il Ă©tait en effet sans liens ni barriĂšres, allant Ă ses appĂ©tits avec l'instinct dĂ©chaĂnĂ© de l'homme qui ne connaĂt d'autre borne que son impuissance. Il avait partagĂ© sa femme avec son fils, vendu son fils, vendu sa femme, vendu tous ceux qui lui Ă©taient tombĂ©s sous la main ; il s'Ă©tait vendu lui- mĂÂȘme, et il la vendrait elle aussi, il vendrait son frĂšre, battrait monnaie avec leurs coeurs et leurs cerveaux. Ce n'Ă©tait plus qu'un faiseur d'argent, qui jetait Ă la fonte les choses et les ĂÂȘtres pour en tirer de l'argent. Dans une brĂšve luciditĂ©, elle vit l'Universelle suer l'argent de toutes parts, un lac, un ocĂ©an d'argent, au milieu duquel, avec un craquement effroyable, tout d'un coup, la maison croulait Ă pic. Ah ! l'argent, l'horrible argent qui salit et dĂ©vore ! D'un mouvement emportĂ©, Mme Caroline se leva. Non, non ! c'Ă©tait monstrueux, c'Ă©tait fini, elle ne pouvait rester davantage avec cet homme. Sa trahison, elle la lui aurait pardonnĂ©e ; mais un Ă©coeurement la prenait de toute cette ordure ancienne, une terreur l'agitait devant la menace des crimes possibles du lendemain. Elle n'avait plus qu'Ă partir sur-le-champ, si elle ne voulait pas elle-mĂÂȘme ĂÂȘtre Ă©claboussĂ©e de boue, Ă©crasĂ©e sous les dĂ©combres. Et le besoin lui venait d'aller loin, trĂšs loin, de rejoindre son frĂšre au fond de l'Orient, plus encore pour disparaĂtre que pour l'avertir. Partir, partir tout de suite ! Il n'Ă©tait pas six heures, elle pouvait prendre le rapide de Marseille, Ă sept heures cinquante-cinq, car cela lui semblait au-dessus de ses forces de revoir Saccard. A Marseille, avant de s'embarquer, elle ferait ses achats. Rien qu'un peu de linge dans une malle, une robe de rechange, et elle partait. En un quart d'heure, elle allait ĂÂȘtre prĂÂȘte. Puis, la vue de son travail, sur la table, le mĂ©moire commencĂ©, l'arrĂÂȘta un instant. A quoi bon emporter cela, puisque tout devait crouler, pourri Ă la base ? Elle se mit pourtant Ă ranger avec soin les documents, les notes, par une habitude de bonne mĂ©nagĂšre qui ne voulait rien laisser en dĂ©sordre derriĂšre elle. Cette besogne lui prit quelques minutes, calma la premiĂšre fiĂšvre de sa dĂ©cision. Et c'Ă©tait dans la pleine possession d'elle-mĂÂȘme qu'elle donnait un dernier coup d'oeil autour de la piĂšce, avant de la quitter, lorsque le valet de chambre reparut et lui remit un paquet de journaux et de lettres. D'un coup d'oeil machinal, Mme Caroline regarda les suscriptions et, dans le tas, reconnut une lettre de son frĂšre, qui lui Ă©tait adressĂ©e. Elle arrivait de Damas, oĂÂč Hamelin se trouvait alors, pour l'embranchement projetĂ©, de cette ville Ă Beyrouth. D'abord, elle commença Ă la parcourir, debout, prĂšs de la lampe, se promettant de la lire lentement, plus tard, dans le train. Mais chaque phrase la retenait, elle ne pouvait plus sauter un mot, elle fini par se rasseoir devant la table et par se donner tout entiĂšre Ă la lecture passionnante de cette longue lettre, qui avait douze pages. Hamelin, justement, Ă©tait dans un de ses jours de gaietĂ©. Il remerciait sa soeur des derniĂšres bonnes nouvelles qu'elle lui avait adressĂ©es de Paris, et il lui envoyait des nouvelles meilleures encore de lĂ -bas, car tout y marchait Ă souhait. Le premier bilan de la Compagnie gĂ©nĂ©rale des Paquebots rĂ©unis s'annonçait superbe, les nouveaux transports Ă vapeur rĂ©alisaient de grosses recettes, grĂÂące Ă leur installation parfaite et Ă leur vitesse plus grande. En plaisantant, il disait qu'on y voyageait pour le plaisir, et il montrait les ports de la cĂÂŽte envahis par le monde de l'Occident, il racontait qu'il ne pouvait faire une course Ă travers les sentiers perdus, sans se trouver nez Ă nez avec quelque Parisien du boulevard. C'Ă©tait rĂ©ellement, comme il l'avait prĂ©vu, l'Orient ouvert Ă la France. BientĂÂŽt, des villes repousseraient aux flancs fertiles du Liban. Mais, surtout, il faisait une peinture trĂšs vive de la gorge Ă©cartĂ©e du Carmel, oĂÂč la mine d'argent Ă©tait en pleine exploitation. Le site sauvage s'humanisait, on avait dĂ©couvert des sources dans l'Ă©croulement gigantesque de rochers qui bouchait le vallon au nord ; et des champs se crĂ©aient, le blĂ© remplaçait les lentisques, tandis que tout un village dĂ©jĂ s'Ă©tait bĂÂąti prĂšs de la mine, d'abord de simples cabanes de bois, un baraquement pour abriter les ouvriers, maintenant de petites maisons de pierre avec des jardins, un commencement de citĂ© qui allait grandir, tant que les filons ne s'Ă©puiseraient pas. Il y avait lĂ prĂšs de cinq cents habitants, une route venait d'ĂÂȘtre achevĂ©e, qui reliait le village Ă Saint-Jean-d'Acre Du matin au soir, les machines d'extraction ronflaient, des chariots s'Ă©branlaient au claquement des fouets sonores, des femmes chantaient, des enfants jouaient et criaient, dans ce dĂ©sert, dans ce silence de mort oĂÂč seuls les aigles autrefois mettaient le bruit lent de leurs ailes. Et les myrtes et les genĂÂȘts embaumaient toujours l'air tiĂšde, d'une dĂ©licieuse puretĂ©. Enfin, Hamelin ne tarissait pas sur la premiĂšre ligne ferrĂ©e qu'il devait ouvrir, de Brousse Ă Beyrouth, par Angora et Alep. Toutes les formalitĂ©s Ă©taient terminĂ©es Ă Constantinople ; certaines modifications heureuses qu'il avait fait subir au tracĂ©, pour le passage difficile des cols du Taurus, l'enchantaient ; et il parlait de ces cols, des plaines qui s'Ă©tendaient au pied des montagnes, avec le ravissement d'un homme de science qui y avait trouvĂ© de nouvelles mines de charbon et qui croyait voir le pays se couvrir d'usines. Ses points de repĂšre Ă©taient posĂ©s, les emplacements des stations choisis, quelques-uns en pleine solitude une ville ici, une ville plus loin, des villes naĂtraient autour de chacune des stations, au croisement des routes naturelles. DĂ©jĂ la moisson des hommes et des grandes choses futures Ă©tait semĂ©e, tout germait, ce serait avant quelques annĂ©es un monde nouveau. Et il finissait en embrassant bien tendrement sa soeur adorĂ©e, heureux de l'associer Ă cette rĂ©surrection d'un peuple, lui disant qu'elle y serait pour beaucoup, elle qui depuis si longtemps l'aidait de sa bravoure et de sa belle santĂ©. Mme Caroline avait achevĂ© sa lecture, la lettre restait ouverte sur la table, et elle songeait, les yeux de nouveau sur la lampe. Puis, machinalement, ses regards se levĂšrent, firent le tour des murs, s'arrĂÂȘtant Ă chacun des plans, Ă chacune des aquarelles. A Beyrouth, le pavillon pour le directeur de la Compagnie des Paquebots rĂ©unis Ă©tait Ă cette heure construit, au milieu de vastes magasins. Au mont Carmel, c'Ă©tait ce fond de gorge sauvage, obstruĂ© de broussailles et de pierres, qui se peuplait, pareil au nid gigantesque d'une population naissante. Dans le Taurus, ces nivellements, ces profils changeaient les horizons, ouvraient un chemin au libre commerce. Et, devant elle, de ces feuilles aux lignes gĂ©omĂ©triques, aux teintes lavĂ©es, que quatre pointes simplement clouaient, toute une Ă©vocation surgissait du lointain pays parcouru autrefois, tant aimĂ© pour son beau ciel Ă©ternellement bleu, pour sa terre si fertile. Elle revoyait les jardins Ă©tagĂ©s de Beyrouth, les vallĂ©es du Liban aux grands bois d'oliviers et de mĂ»riers, les plaines d'Antioche et d'Alep, immenses vergers de fruits dĂ©licieux. Elle se revoyait avec son frĂšre en continuelles courses par cette merveilleuse contrĂ©e, dont les richesses incalculables se perdaient, ignorĂ©es ou gĂÂąchĂ©es, sans routes, sans industrie ni agriculture, sans Ă©coles, dans la paresse et l'ignorance. Mais tout cela, maintenant, se vivifiait, sous une extraordinaire poussĂ©e de sĂšve jeune. L'Ă©vocation de cet Orient de demain dressait dĂ©jĂ devant ses yeux des citĂ©s prospĂšres, des campagnes cultivĂ©es, toute une humanitĂ© heureuse. Et elle les voyait, et elle entendait la rumeur travailleuse des chantiers, et elle constatait que cette vieille terre endormie, rĂ©veillĂ©e enfin, venait d'entrer en enfantement. Alors, Mme Caroline eut la brusque conviction que l'argent Ă©tait le fumier dans lequel poussait cette humanitĂ© de demain. Des phrases de Saccard lui revenaient, des lambeaux de thĂ©ories sur la spĂ©culation. Elle se rappelait cette idĂ©e que, sans la spĂ©culation, il n'y aurait pas de grandes entreprises vivantes et fĂ©condes, pas plus qu'il n'y aurait d'enfants, sans la luxure. Il faut cet excĂšs de la passion, toute cette vie bassement dĂ©pensĂ©e et perdue, Ă la continuation mĂÂȘme de la vie. Si, lĂ -bas, son frĂšre s'Ă©gayait, chantait victoire, au milieu des chantiers qui s'organisaient, des constructions qui sortaient du sol, c'Ă©tait qu'Ă Paris l'argent pleuvait, pourrissait tout, dans la rage du jeu. L'argent, empoisonneur et destructeur, devenait le ferment de toute vĂ©gĂ©tation sociale, servait de terreau nĂ©cessaire aux grands travaux dont l'exĂ©cution rapprocherait les peuples et pacifierait la terre. Elle avait maudit l'argent, elle tombait maintenant devant lui dans une admiration effrayĂ©e lui seul n'Ă©tait-il pas la force qui peut raser une montagne, combler un bras de mer, rendre la terre enfin habitable aux hommes, soulagĂ©s du travail, dĂ©sormais simples conducteurs de machines ? Tout le bien naissait de lui, qui faisait tout le mal. Et elle ne savait plus, Ă©branlĂ©e jusqu'au fond de son ĂÂȘtre, dĂ©cidĂ©e dĂ©jĂ Ă ne pas partir, puisque le succĂšs paraissait complet en Orient et que la bataille Ă©tait Ă Paris, mais incapable encore de se calmer, le coeur saignant toujours. Mme Caroline se leva, vint appuyer son front Ă la vitre d'une des fenĂÂȘtres qui donnaient sur le jardin de l'hĂÂŽtel Beauvilliers. La nuit s'Ă©tait faite, elle ne distinguait qu'une faible lueur dans la petite piĂšce Ă©cartĂ©e oĂÂč la comtesse et sa fille vivaient, pour ne rien salir et ne pas dĂ©penser de feu. Vaguement, derriĂšre la mince mousseline des rideaux, elle distinguait le profil de la comtesse, raccommodant elle- mĂÂȘme quelque nippe, tandis qu'Alice peignait des aquarelles, bĂÂąclĂ©es Ă la douzaine, qu'elle devait vendre en cachette. Un malheur leur Ă©tait arrivĂ©, une maladie de leur cheval, qui pendant deux semaines les avait clouĂ©es chez elles, entĂÂȘtĂ©es Ă ne pas ĂÂȘtre vues Ă pied, et reculant devant une location. Mais, dans cette gĂÂȘne si hĂ©roĂÂŻquement cachĂ©e, un espoir dĂ©sormais les tenait debout, plus vaillantes, la hausse continue des actions de l'Universelle, ce gain dĂ©jĂ trĂšs gros, qu'elles voyaient resplendir et tomber en pluie d'or, le jour oĂÂč elles rĂ©aliseraient, au cours le plus Ă©levĂ©. La comtesse se promettait une robe vraiment neuve, rĂÂȘvait de donner quatre dĂners par mois, l'hiver, sans se mettre pour cela au pain et Ă l'eau pendant quinze jours. Alice ne riait plus, de son air d'indiffĂ©rence affectĂ©e, lorsque sa mĂšre lui parlait mariage, l'Ă©coutait avec un lĂ©ger tremblement des mains, en commençant Ă croire que cela se rĂ©aliserait peut-ĂÂȘtre, qu'elle pourrait avoir, elle aussi, un mari et des enfants. Et Mme Caroline, Ă regarder brĂ»ler la petite lampe qui les Ă©clairait, sentait monter vers elle un grand calme, un attendrissement, frappĂ©e de cette remarque que l'argent encore, rien qu'un espoir d'argent, suffisait au bonheur de ces pauvres crĂ©atures. Si Saccard les enrichissait, ne le bĂ©niraient-elles pas, ne resterait-il pas, pour elles deux, charitable et bon ? La bontĂ© Ă©tait donc partout, mĂÂȘme chez les pires, qui sont toujours bons pour quelqu'un, qui ont toujours, au milieu de l'exĂ©cration d'une foule, d'humbles voix isolĂ©es les remerciant et les adorant. A cette rĂ©flexion, sa pensĂ©e, tandis que ses yeux s'aveuglaient sur les tĂ©nĂšbres du jardin, s'en Ă©tait allĂ©e vers l'Oeuvre du Travail. La veille, de la part de Saccard, elle y avait distribuĂ© des jouets et des dragĂ©es, en rĂ©jouissance d'un anniversaire ; et elle souriait involontairement, au souvenir de la joie bruyante des enfants. Depuis un mois, on Ă©tait plus content de Victor, elle avait lu des notes satisfaisantes chez la princesse d'Orviedo, avec laquelle, deux fois par semaine, elle causait longuement de la maison. Mais, Ă cette image de Victor, qui tout d'un coup apparaissait, elle s'Ă©tonnait de l'avoir oubliĂ©, dans sa crise de dĂ©sespoir, lorsqu'elle voulait partir. Aurait-elle pu l'abandonner ainsi, compromettre la bonne action menĂ©e avec tant de peine ? De plus en plus pĂ©nĂ©trante, une douceur montait de l'obscuritĂ© des grands arbres, un flot d'ineffable renoncement, de tolĂ©rance divine qui lui Ă©largissait le coeur ; tandis que la petite lampe pauvre des dames de Beauvilliers continuait Ă briller lĂ -bas, comme une Ă©toile. Lorsque Mme Caroline revint devant sa table, elle eut un lĂ©ger frisson. Quoi donc ? elle avait froid ! Et cela l'Ă©gaya, elle qui se vantait de passer l'hiver sans feu. Elle Ă©tait comme au sortir d'un bain glacĂ©, rajeunie et forte, le pouls trĂšs calme. Les matins de belle santĂ©, elle se levait ainsi. Puis, elle eut l'idĂ©e de remettre une bĂ»che dans la cheminĂ©e ; et, en voyant que le feu Ă©tait mort, elle s'amusa Ă le rallumer elle-mĂÂȘme, sans vouloir sonner le domestique. Ce fut tout un travail, elle n'avait pas de petit bois, elle parvint Ă embraser les bĂ»ches, simplement avec de vieux journaux, qu'elle brĂ»lait un Ă un. A genoux devant l'ĂÂątre, elle en riait toute seule. Un instant, elle resta lĂ , heureuse et surprise. VoilĂ donc qu'une de ses grandes crises Ă©tait encore passĂ©e, elle espĂ©rait de nouveau, quoi ? elle n'en savait toujours rien, l'Ă©ternel inconnu qui Ă©tait au bout de la vie, au bout de l'humanitĂ©. Vivre, cela devait suffire, pour que la vie lui apportĂÂąt sans cesse la guĂ©rison des blessures que la vie lui faisait. Une fois de plus, elle se rappelait les dĂ©bĂÂącles de son existence, son mariage affreux, sa misĂšre Ă Paris, son abandon par le seul homme qu'elle eĂ»t aimĂ© ; et, Ă chaque Ă©croulement, elle retrouvait la vivace Ă©nergie, la joie immortelle qui la remettait debout, au milieu des ruines. Tout ne venait-il pas de crouler ? Elle restait sans estime pour son amant, en face de son effroyable passĂ©, comme de saintes femmes sont devant les plaies immondes qu'elles pansent matin et soir, sans compter les cicatriser jamais. Elle allait continuer Ă lui appartenir, en le sachant Ă d'autres, en ne cherchant mĂÂȘme pas Ă le leur disputer. Elle allait vivre dans un brasier, dans la forge haletante de la spĂ©culation, sous l'incessante menace d'une catastrophe finale, oĂÂč son frĂšre pouvait laisser son honneur et son sang. Et elle Ă©tait quand mĂÂȘme debout, presque insouciante, ainsi qu'au matin d'un beau jour, goĂ»tant Ă faire face au danger une allĂ©gresse de bataille. Pourquoi ? pour rien raisonnablement, pour le plaisir d'ĂÂȘtre ! Son frĂšre le lui disait, elle Ă©tait l'invincible espoir. Saccard, lorsqu'il rentra, vit Mme Caroline enfoncĂ©e dans son travail, achevant, de sa ferme Ă©criture, une page du mĂ©moire sur les chemins de fer d'Orient. Elle leva la tĂÂȘte, lui sourit d'un air paisible, tandis qu'il effleurait des lĂšvres sa belle et rayonnante chevelure blanche. " Vous avez beaucoup couru, mon ami ? - Oh ! des affaires Ă n'en plus finir ! J'ai vu le ministre des Travaux publics, j'ai fini par rejoindre Huret, j'ai dĂ» retourner chez le ministre, oĂÂč il n'y avait plus qu'un secrĂ©taire... Enfin, j'ai la promesse pour lĂ -bas. " En effet, depuis qu'il avait quittĂ© la baronne Sandorff, il ne s'Ă©tait plus arrĂÂȘtĂ©, tout aux affaires, dans son emportement de zĂšle accoutumĂ©. Elle lui remit la lettre d'Hamelin, qui l'enchanta ; et elle le regardait exulter du prochain triomphe, en se disant que, dĂ©sormais, elle le surveillerait de prĂšs, afin d'empĂÂȘcher les folies certaines. Pourtant, elle ne parvenait pas Ă lui ĂÂȘtre sĂ©vĂšre. " Votre fils est venu vous inviter, au nom de Mme de Jeumont. " Il se rĂ©cria. " Mais elle m'a Ă©crit !... J'ai oubliĂ© de vous dire que j'y allais ce soir... Ce que cela m'assomme, fatiguĂ© comme je suis ! " Et il partit, aprĂšs avoir de nouveau baisĂ© ses cheveux blancs. Elle se remit Ă son travail, avec son sourire amical, plein d'indulgence. N'Ă©tait-elle pas seulement une amie qui se donnait ? La jalousie lui causait une honte, comme si elle eĂ»t sali davantage leur liaison. Elle voulait ĂÂȘtre supĂ©rieure Ă l'angoisse du partage, dĂ©gagĂ©e de l'Ă©goĂÂŻsme charnel de l'amour. Etre Ă lui, le savoir Ă d'autres, cela n'avait pas d'importance. Et elle l'aimait pourtant, de tout son coeur courageux et charitable. C'Ă©tait l'amour triomphant, ce Saccard, ce bandit du trottoir financier, aimĂ© si absolument par cette adorable femme, parce qu'elle le voyait, actif et brave, crĂ©er un monde, faire de la vie. VIII - Ce fut le 1er avril que l'Exposition universelle de 1867 ouvrit, au milieu de fĂÂȘtes, avec un Ă©clat triomphal. La grande saison de l'empire commençait, cette saison de l'empire commençait, cette saison de gala suprĂÂȘme, qui allait faire de Paris l'auberge du monde, auberge pavoisĂ©e, pleine de musiques et de chants, oĂÂč l'on mangeait, oĂÂč l'on forniquait dans toutes les chambres. Jamais rĂšgne, Ă son apogĂ©e, n'avait convoquĂ© les nations Ă une si colossale ripaille. Vers les Tuileries flamboyantes, dans une apothĂ©ose de fĂ©erie, le long dĂ©filĂ© des empereurs, des rois et des princes, se mettait en marche des quatre coins de la terre. Et ce fut Ă la mĂÂȘme Ă©poque, quinze jours plus tard, que Saccard inaugura l'hĂÂŽtel monumental qu'il avait voulu, pour y loger royalement l'Universelle. Six mois venaient de suffire, on avait travaillĂ© jour et nuit, sans perdre une heure, faisant ce miracle qui n'est possible qu'Ă Paris ; et la façade se dressait, fleurie d'ornements, tenant du temple et du cafĂ©-concert, une façade dont le luxe Ă©talĂ© arrĂÂȘtait le monde sur le trottoir. A l'intĂ©rieur, c'Ă©tait une somptuositĂ©, les millions des caisses ruisselant le long des murs. Un escalier d'honneur conduisait Ă la salle du conseil, rouge et or, d'une splendeur de salle d'opĂ©ra. Partout, des tapis, des tentures, des bureaux installĂ©s avec une richesse d'ameublement Ă©clatante. Dans le sous-sol, oĂÂč se trouvait le service des titres, des coffres-forts Ă©taient scellĂ©s, immenses, ouvrant des gueules profondes de four, derriĂšre les glaces sans tain des cloisons, qui permettaient au public de les voir, rangĂ©s comme les tonneaux des contes, oĂÂč dorment les trĂ©sors incalculables des fĂ©es. Et les peuples avec leurs rois, en marche vers l'Exposition, pouvaient venir et dĂ©filer lĂ c'Ă©tait prĂÂȘt, l'hĂÂŽtel neuf les attendait, pour les aveugler, les prendre un Ă un Ă cet irrĂ©sistible piĂšge de l'or, flambant au grand soleil. Saccard trĂÂŽnait dans le cabinet le plus somptueusement installĂ©, un meuble Louis XIV, Ă bois dorĂ©, recouvert de velours de GĂÂȘnes. Le personnel venait d'ĂÂȘtre augmentĂ© encore, il dĂ©passait quatre cents employĂ©s ; et c'Ă©tait maintenant Ă cette armĂ©e que Saccard commandait, avec un faste de tyran adorĂ© et obĂ©i, car il se montrait trĂšs large de gratifications. En rĂ©alitĂ©, malgrĂ© son simple titre de directeur, il rĂ©gnait, au-dessus du prĂ©sident du conseil, au-dessus du conseil d'administration lui-mĂÂȘme, qui ratifiait simplement ses ordres. Aussi Mme Caroline vivait-elle dĂ©sormais dans une continuelle alerte, trĂšs occupĂ©e Ă connaĂtre chacune de ses dĂ©cisions, pour tĂÂącher de se mettre en travers, s'il le fallait. Elle dĂ©sapprouvait cette nouvelle installation, beaucoup trop magnifique, sans pouvoir cependant la blĂÂąmer en principe, ayant reconnu la nĂ©cessitĂ© d'un local plus vaste, aux beaux jours de tendre confiance, lorsqu'elle plaisantait son frĂšre qui s'inquiĂ©tait. Sa crainte avouĂ©e, son argument, pour combattre tout ce luxe, Ă©tait que la maison y perdait son caractĂšre de probitĂ© dĂ©cente, de haute gravitĂ© religieuse. Que penseraient les clients habituĂ©s Ă la discrĂ©tion monacale, au demi-jour recueilli du rez-de-chaussĂ©e de la rue Saint-Lazare, lorsqu'ils entreraient dans ce palais de la rue de Londres, aux grands Ă©tages Ă©gayĂ©s de bruits, inondĂ©s de lumiĂšre ? Saccard rĂ©pondait qu'ils seraient foudroyĂ©s d'admiration et de respect, que ceux qui apportaient cinq francs, en tireraient dix de leur poche, saisis d'amour-propre, grisĂ©s de confiance. Et ce fut lui, dans sa brutalitĂ© du clinquant, qui eut raison. Le succĂšs de l'hĂÂŽtel Ă©tait prodigieux, dĂ©passait en vacarme efficace les plus extraordinaires rĂ©clames de Jantrou. Les petits rentiers dĂ©vots des quartiers tranquilles, les pauvres prĂÂȘtres de campagne dĂ©barquĂ©s le matin du chemin de fer, bĂÂąillaient de bĂ©atitude devant la porte, en ressortaient rouges du plaisir d'avoir des fonds lĂ -dedans. A la vĂ©ritĂ©, ce qui contrariait surtout Mme Caroline, c'Ă©tait de ne plus pouvoir ĂÂȘtre toujours dans la maison mĂÂȘme, Ă exercer sa surveillance. A peine lui Ă©tait-il permis de se rendre rue de Londres, de loin en loin, sous un prĂ©texte. Elle vivait seule Ă prĂ©sent, dans la salle des Ă©pures, elle ne voyait guĂšre Saccard que le soir. Il avait garde lĂ son appartement, mais tout le rez-de-chaussĂ©e restait fermĂ©, ainsi que les bureaux du premier Ă©tage ; et la princesse d'Orviedo, heureuse au fond de ne plus avoir le sourd remords de cette banque, cette boutique d'argent installĂ©e chez elle, ne cherchait pas mĂÂȘme Ă louer, avec son insouciance voulue de tout gain, mĂÂȘme lĂ©gitime. La maison vide, rĂ©sonnante Ă chaque voiture qui passait, semblait un tombeau. Mme Caroline n'entendait plus, au travers des plafonds, monter que ce silence frissonnant des guichets clos, d'oĂÂč, sans relĂÂąche, pendant deux annĂ©es, il lui Ă©tait venu un lĂ©ger tintement d'or. Les journĂ©es lui en paraissaient plus lourdes et plus longues. Elle travaillait pourtant beaucoup, toujours occupĂ©e par son frĂšre, qui, d'Orient, lui envoyait des tĂÂąches d'Ă©critures. Mais, parfois, dans son travail elle s'arrĂÂȘtait, Ă©coutait ; prise d'une anxiĂ©tĂ© instinctive, ayant besoin de savoir ce qui se passait en bas ; et rien, pas un souffle, l'anĂ©antissement des salles dĂ©mĂ©nagĂ©es, vides, noires, fermĂ©es Ă double tour. Alors, un petit froid la prenait, elle s'oubliait quelques minutes, inquiĂšte. Que faisait-on, rue de Londres ? n'Ă©tait-ce point Ă cette seconde prĂ©cise, que se produisait la lĂ©zarde dont pĂ©rirait l'Ă©difice ? Le bruit se rĂ©pandit, vague et lĂ©ger encore, que Saccard prĂ©parait une nouvelle augmentation du capital. De cent millions, il voulait le porter Ă cent cinquante. C'Ă©tait une heure de particuliĂšre excitation, l'heure fatale oĂÂč toutes les prospĂ©ritĂ©s du rĂšgne, les immenses travaux qui avaient transformĂ© la ville, la circulation enragĂ©e de l'argent, les furieuses dĂ©penses du luxe, devaient aboutir Ă une fiĂšvre chaude de la spĂ©culation. Chacun voulait sa part, risquait sa fortune sur le tapis vert, pour se dĂ©cupler et jouir, comme tant d'autres, enrichis en une nuit. Les drapeaux de l'Exposition qui claquaient au soleil les illuminations et les musiques du Champ-de-Mars, les foules du monde entier inondant les rues, achevaient de griser Paris, dans un rĂÂȘve d'inĂ©puisable richesse et de souveraine domination. Par les soirĂ©es claires, de l'Ă©norme citĂ© en fĂÂȘte, attablĂ©e dans les restaurants exotiques, changĂ©e en foire colossale oĂÂč le plaisir se vendait libre ment sous les Ă©toiles, montait le suprĂÂȘme coup de dĂ©mence, la folie joyeuse et vorace des grandes capitales menacĂ©es de destruction. Et Saccard, avec son flair de coupeur de bourses, avait tellement bien senti chez tous cet accĂšs, ce besoin de jeter au vent son argent, de vider ses poches et son corps, qu'il venait de doubler les fonds destinĂ©s Ă la publicitĂ©, en excitant Jantrou au plus assourdissant des tapages. Depuis l'ouverture de l'Exposition, tous les jours, c'Ă©taient, dans la presse, des volĂ©es de cloche en faveur de l'Universelle. Chaque matin amenait son coup de cymbales, pour faire retourner le monde un fait divers extraordinaire, l'histoire d'une dame qui avait oubliĂ© cent actions dans un fiacre ; un extrait d'un voyage en Asie Mineure, oĂÂč il Ă©tait expliquĂ© que NapolĂ©on avait prĂ©dit la maison de la rue de Londres ; un grand article de tĂÂȘte, oĂÂč, politiquement, le rĂÂŽle de cette maison Ă©tait d'Orient ; sans compter les notes continuelles des journaux jugĂ© par rapport Ă la solution prochaine de la question spĂ©ciaux, tous embrigadĂ©s, marchant en masse compacte. Jantrou avait imaginĂ©, avec les petites feuilles financiĂšres, des traitĂ©s Ă l'annĂ©e, qui lui assuraient une colonne dans chaque numĂ©ro ; et il employait cette colonne, avec une fĂ©conditĂ©, une variĂ©tĂ© d'imagination Ă©tonnantes, allant jusqu'Ă attaquer, pour le triomphe de vaincre ensuite. La fameuse brochure qu'il mĂ©ditait venait d'ĂÂȘtre lancĂ©e par le monde entier, Ă un million d'exemplaires. Son agence nouvelle Ă©tait Ă©galement créée, cette agence qui, sous le prĂ©texte d'envoyer un bulletin financier aux journaux de province, se rendait maĂtresse absolue du marchĂ© de toutes les villes importantes. Et L'EspĂ©rance enfin, habilement conduite, prenait de jour en jour une importance politique plus grande. On y avait beaucoup remarquĂ© une sĂ©rie d'articles, Ă la suite du dĂ©cret du 19 janvier, qui remplaçait l'adresse par le droit d'interpellation, nouvelle concession de l'empereur, en marche vers la libertĂ©. Saccard, qui les inspirait, n'y faisait pas encore attaquer ouvertement son frĂšre, restĂ© ministre d'Etat quand mĂÂȘme, rĂ©signĂ©, dans sa passion du pouvoir, Ă dĂ©fendre aujourd'hui ce qu'il condamnait hier ; mais on l'y sentait aux aguets, surveillant la situation fausse de Rougon, pris Ă la Chambre entre le tiers parti affamĂ© de son hĂ©ritage, et les clĂ©ricaux, liguĂ©s avec les bonapartistes autoritaires contre l'empire libĂ©ral ; et les insinuations commençaient dĂ©jĂ , le journal redevenait catholique militant, se montrait plein d'aigreur, Ă chacun des actes du ministre. L'EspĂ©rance passĂ©e Ă l'opposition, c'Ă©tait la popularitĂ©, un vent de fronde achevant de lancer le nom de l'Universelle aux quatre coins de la France et du monde. Alors, sous cette poussĂ©e formidable de publicitĂ©, dans ce milieu exaspĂ©rĂ©, mĂ»r pour toutes les folies, l'augmentation probable du capital, cette rumeur d'une Ă©mission nouvelle de cinquante millions, acheva d'enfiĂ©vrer les plus sages. Des humbles logis aux hĂÂŽtels aristocratiques, de la loge des concierges au salon des duchesses, les tĂÂȘtes prenaient feu, l'engouement tournait Ă la foi aveugle, hĂ©roĂÂŻque et batailleuse. On Ă©numĂ©rait les grandes choses dĂ©jĂ faites par l'Universelle, les premiers succĂšs foudroyants, les dividendes inespĂ©rĂ©s, tels qu'aucune autre sociĂ©tĂ© n'en avait distribuĂ© Ă ses dĂ©buts. On rappelait l'idĂ©e si heureuse de la Compagnie des Paquebots rĂ©unis, si prompte en magnifiques rĂ©sultats, cette Compagnie dont les actions faisaient dĂ©jĂ cent francs de prime ; et la mine d'argent du Carmel, d'un produit miraculeux, Ă laquelle un orateur sacrĂ©, lors du dernier carĂÂȘme de Notre-Dame, avait fait une allusion, en parlant d'un cadeau de Dieu Ă la chrĂ©tientĂ© confiante ; et une autre sociĂ©tĂ© créée pour l'exploitation d'immenses gisements de houille, et celle qui allait mettre en coupes rĂ©glĂ©es les vastes forĂÂȘts du Liban, et la fondation de la Banque nationale turque, Ă Constantinople, d'une soliditĂ© inĂ©branlable. Pas un Ă©chec, un bonheur croissant qui changeait en or tout ce que la maison touchait, dĂ©jĂ un large ensemble de crĂ©ations prospĂšres donnant une base solide aux opĂ©rations futures, justifiant l'augmentation rapide du capital. Puis, c'Ă©tait l'avenir qui s'ouvrait devant les imaginations surchauffĂ©es, cet avenir si gros d'entreprises plus considĂ©rables encore, qu'il nĂ©cessitait la demande des cinquante millions, dont l'annonce suffisait Ă bouleverser ainsi les cervelles. LĂ , le champ des bruits de Bourse et de salons Ă©tait sans limite, mais la grande affaire prochaine de la Compagnie des chemins de fer d'Orient se dĂ©tachait au milieu des autres projets, occupait toutes les conversations, niĂ©e par les uns, exaltĂ©e par les autres. Les femmes surtout se passionnaient, faisaient en faveur de l'idĂ©e une propagande enthousiaste. Dans des coins de boudoir, aux dĂners de gala, derriĂšre les jardiniĂšres en fleur, Ă l'heure tardive du thĂ©, jusqu'au fond des alcĂÂŽves, il y avait des crĂ©atures charmantes, d'une cĂÂąlinerie persuasive, qui catĂ©chisaient les hommes " Comment, vous n'avez pas de l'Universelle ? Mais il n'y a que ça ! achetez vite de l'Universelle, si vous voulez qu'on vous aime ! " C'Ă©tait la nouvelle Croisade, comme elles disaient, la conquĂÂȘte de l'Asie, que les croisĂ©s de Pierre l'Ermite et de Saint Louis n'avaient pu faire, et dont elles se chargeaient, elles, avec leurs petites bourses d'or. Toutes affectaient d'ĂÂȘtre bien renseignĂ©es, parlaient en termes techniques de la ligne mĂšre qu'on allait ouvrir d'abord, de Brousse Ă Beyrouth par Angora et Alep. Plus tard, viendrait l'embranchement de Smyrne Ă Angora ; plus tard, celui de TrĂ©bizonde Ă Angora, par Erzeroum et Sivas ; plus tard encore, celui de Damas Ă Beyrouth. Et elles souriaient, clignaient les yeux, chuchotaient qu'il y en aurait un autre peut-ĂÂȘtre, oh ! dans longtemps, de Beyrouth Ă JĂ©rusalem, par les anciennes villes du littoral, Saida, Saint-Jean-d'Acre, Jaffa, puis, mon Dieu ! qui sait ? de JĂ©rusalem Ă Port-SaĂÂŻd et Ă Alexandrie. Sans compter que Bagdad n'Ă©tait pas loin de Damas, et que, si une ligne ferrĂ©e Ă©tait poussĂ©e jusque-lĂ , ce serait un jour la Perse, l'Inde, la Chine, acquises Ă l'Occident. Il semblait que, sur un mot de leurs jolies bouches, les trĂ©sors retrouvĂ©s des califes resplendissaient, dans un conte merveilleux des Mille et une Nuits. Les bijoux, les pierreries du rĂÂȘve, pleuvaient dans les caisses de la rue de Londres, tandis que fumait l'encens du Carmel, un fond dĂ©licat et vague de lĂ©gendes bibliques, qui divinisait les gros appĂ©tits de gain. N'Ă©tait-ce pas l'Eden reconquis, la Terre sainte dĂ©livrĂ©e, la religion triomphante, au berceau mĂÂȘme de l'humanitĂ© ? Et elles s'arrĂÂȘtaient, refusaient d'en dire davantage, les regards brillant de ce qu'il fallait cacher. Cela ne se confiait mĂÂȘme pas Ă l'oreille. Beaucoup d'entre elles l'ignoraient, affectaient de le savoir. C'Ă©tait le mystĂšre, ce qui n'arriverait peut-ĂÂȘtre jamais, et qui peut-ĂÂȘtre Ă©claterait un jour comme un coup de foudre JĂ©rusalem rachetĂ©e au sultan, donnĂ©e au pape, avec la Syrie pour royaume ; la papautĂ© ayant un budget fourni par une banque catholique, le TrĂ©sor du Saint-SĂ©pulcre, qui la mettrait Ă l'abri des perturbations politiques ; enfin, le catholicisme rajeuni, dĂ©gagĂ© des compromissions, retrouvant une autoritĂ© nouvelle, dominant le monde, du haut de la montagne oĂÂč le Christ a expirĂ©. Maintenant, le matin, Saccard, dans son luxueux cabinet Louis XIV, Ă©tait obligĂ© de dĂ©fendre sa porte, lorsqu'il voulait travailler ; car c'Ă©tait un assaut, le dĂ©filĂ© d'une cour venant comme au lever d'un roi, des courtisans, des gens d'affaires, des solliciteurs, une adoration et une mendicitĂ© effrĂ©nĂ©es autour de la toute-puissance. Un matin des premiers jours de juillet surtout, il se montra impitoyable, ayant donnĂ© l'ordre formel de n'introduire personne. Pendant que l'antichambre regorgeait de monde, d'une foule qui s'entĂÂȘtait, malgrĂ© l'huissier, attendant, espĂ©rant quand mĂÂȘme, il s'Ă©tait enfermĂ© avec deux chefs de service pour achever d'Ă©tudier l'Ă©mission nouvelle. AprĂšs l'examen de plusieurs projets, il venait de se dĂ©cider en faveur d'une combinaison qui, grĂÂące Ă cette Ă©mission nouvelle de cent mille actions, devait permettre de libĂ©rer complĂštement les deux cent mille actions anciennes, sur lesquelles cent vingt-cinq francs seulement avaient Ă©tĂ© versĂ©s ; et, afin d'arriver Ă ce rĂ©sultat, l'action rĂ©servĂ©e aux seuls actionnaires Ă raison d'un titre nouveau pour deux titres anciens ; serait Ă©mise Ă huit cent cinquante francs, immĂ©diatement exigibles, dont cinq cents francs pour le capital et une prime de trois cent cinquante francs pour la libĂ©ration projetĂ©e. Mais des complications se prĂ©sentaient, il y avait encore tout un trou Ă boucher, ce qui rendait Saccard trĂšs nerveux. Le bruit des voix, dans l'antichambre, l'irritait. Ce Paris Ă plat ventre, ces hommages qu'il recevait d'habitude avec une bonhomie de despote familier, l'emplissaient de mĂ©pris, ce jour-lĂ . Et Dejoie, qui parfois lui servait d'huissier le matin, s'Ă©tant permis de faire le tour et d'apparaĂtre par une petite porte du couloir, il l'accueillit furieusement. " Quoi ? Je vous ai dit personne, personne, entendez-vous !... Tenez ! prenez ma canne, plantez-la Ă ma porte, et qu'il la baisent ! " Dejoie, impassible, se permit d'insister. " Pardon, monsieur, c'est la comtesse de Beauvilliers. Elle m'a suppliĂ©, et comme je sais que monsieur veut lui ĂÂȘtre agrĂ©able... - Eh ! cria Saccard emportĂ©, qu'elle aille au diable avec les autres ! " Mais tout de suite il se ravisa, d'un geste de colĂšre Ă©mue. " Faites-la entrer, puisqu'il est dit qu'on ne me fichera pas la paix !... Et par cette petite porte, pour que le troupeau n'entre pas avec elle. " L'accueil que Saccard fit Ă la comtesse de Beauvilliers fut d'une brusquerie d'homme tout secouĂ© encore. La vue d'Alice, qui accompagnait sa mĂšre, de son air muet et profond, ne le calma mĂÂȘme pas. Il avait renvoyĂ© les deux chefs de service, il ne songeait qu'Ă les rappeler pour continuer son travail. " Je vous en prie, madame, dites vite, car je suis horriblement pressĂ©. " La comtesse s'arrĂÂȘta, surprise, toujours lente, avec sa tristesse de reine dĂ©chue. " Mais, monsieur, si je vous dĂ©range... " Il dut leur indiquer des siĂšges ; et la jeune fille, plus brave, s'assĂt la premiĂšre, d'un mouvement rĂ©solu, tandis que la mĂšre reprenait " Monsieur, c'est pour un conseil... Je suis dans l'hĂ©sitation la plus douloureuse, je sens que je ne me dĂ©ciderai jamais toute seule... " Et elle lui rappela qu'Ă la fondation de la banque, elle avait pris cent actions, qui, doublĂ©es, lors de la premiĂšre augmentation du capital et doublĂ©es encore lors de la seconde, faisaient aujourd'hui un total de quatre cents actions, sur lesquelles elle avait versĂ©, primes comprises, la somme de quatre-vingt-sept mille francs. En dehors de ses vingt mille francs d'Ă©conomies, elle avait donc dĂ», pour payer cette somme, emprunter soixante-dix mille francs sur sa ferme des Aublets. " Or, continua-t-elle, je trouve aujourd'hui un acquĂ©reur pour les Aublets... Et, n'est-ce pas ? il est question d'une Ă©mission nouvelle, de sorte que je pourrais peut-ĂÂȘtre placer toute notre fortune dans votre maison. " Saccard s'apaisait, flattĂ© de voir les deux pauvres femmes, les derniĂšres d'une grande et antique race, si confiantes, si anxieuses devant lui. Rapidement, avec des chiffres, il les renseigna. " Une nouvelle Ă©mission, parfaitement, je m'en occupe... L'action sera de huit cent cinquante francs, avec la prime... Voyons, nous disons que vous avez quatre cents actions. Il va donc vous en ĂÂȘtre attribuĂ© deux cents, ce qui vous obligera Ă un versement de cent soixante-dix mille francs. Mais tous vos titres seront libĂ©rĂ©s, vous aurez six cents actions bien Ă vous, ne devant rien Ă personne. " Elles ne comprenaient pas, il dut leur expliquer cette libĂ©ration des titres, Ă l'aide de la prime ; et elles restaient un peu pĂÂąles, devant ces gros chiffres, oppressĂ©es Ă l'idĂ©e du coup d'audace qu'il fallait risquer. " Comme argent, murmura enfin la mĂšre, ce serait bien cela... On m'offre deux cent quarante mille francs des Aublets, qui en valaient autrefois quatre cent mille ; de sorte que, lorsque nous aurions remboursĂ© la somme empruntĂ©e dĂ©jĂ , il nous resterait juste de quoi faire le versement... Mais, mon Dieu ! quelle terrible chose, cette fortune dĂ©placĂ©e, toute notre existence jouĂ©e ainsi ! " Et ses mains tremblaient, il y eut un silence, pendant lequel elle songeait Ă cet engrenage qui lui avait pris d'abord ses Ă©conomies, puis les soixante-dix mille francs empruntĂ©s, et qui menaçait maintenant de lui prendre la ferme entiĂšre. Son ancien respect de la fortune domaniale, en labours, en prĂ©s, en forĂÂȘts, sa rĂ©pugnance pour le trafic sur l'argent, cette basse besogne de juifs, indigne de sa race, revenaient et l'angoissaient, Ă cette minute dĂ©cisive oĂÂč tout allait ĂÂȘtre consommĂ©. Muette, sa fille la regardait, de ses yeux ardents et purs. Saccard eut un sourire encourageant. " Dame ! il est bien certain qu'il faut que vous ayez confiance en nous... Seulement, les chiffres sont lĂ . Examinez-les, et toute hĂ©sitation me semble dĂšs lors impossible... Admettons que vous fassiez l'opĂ©ration, vous avez donc six cents actions, qui, libĂ©rĂ©es, vous ont coĂ»tĂ© la somme de deux cent cinquante-sept mille francs. Or, elles sont aujourd'hui au cours moyen de treize cents francs, ce qui vous fait un total de sept cent quatre-vingt mille francs. DĂ©jĂ , vous avez plus que triplĂ© votre argent... Et ça continuera, vous verrez la hausse, aprĂšs l'Ă©mission ! Je vous promets le million avant la fin de l'annĂ©e. - Oh ! maman ! " laissa Ă©chapper Alice, dans un soupir, comme malgrĂ© elle. Un million ! L'hĂÂŽtel de la rue Saint-Lazare dĂ©barrassĂ© de ses hypothĂšques, nettoyĂ© de sa crasse de misĂšre ! Le train de maison remis sur un pied convenable, tirĂ© de ce cauchemar des gens qui ont voiture et qui manquent de pain ! La fille mariĂ©e avec une dot dĂ©cente, pouvant avoir enfin un mari et des enfants, cette joie que se permet la derniĂšre pauvresse des rues ! Le fils, que le climat de Rome tuait, soulagĂ© lĂ - bas, mis en Ă©tat de tenir son rang, en attendant de servir la grande cause, qui l'utilisait si peu ! La mĂšre rĂ©tablie en sa haute situation, payant son cocher, ne lĂ©sinant plus pour ajouter un plat Ă ses dĂners du mardi, et ne se condamnant plus au jeĂ»ne pour le reste de la semaine ! Ce million flambait, Ă©tait le salut, le rĂÂȘve. La comtesse, conquise, se tourna vers sa fille, pour l'associer Ă sa volontĂ©. " Voyons, qu'en penses-tu ? " Mais celle-ci ne disait plus rien, fermait lentement les paupiĂšres, Ă©teignant l'Ă©clat de ses yeux. " C'est vrai, reprit la mĂšre, souriante Ă son tour, j'oublie que tu veux me laisser maĂtresse absolue... Mais je sais combien tu es brave et tout ce que tu espĂšres... " Et, s'adressant Ă Saccard " Ah ! monsieur, on parle de vous avec tant d'Ă©loges !... Nous ne pouvons aller nulle part, sans qu'on nous raconte des choses trĂšs belles, trĂšs touchantes. Ce n'est pas seulement la princesse d'Orviedo, ce sont toutes mes amies qui sont enthousiastes de votre oeuvre. Beaucoup me jalousent d'ĂÂȘtre de vos premiĂšres actionnaires, et si on les Ă©coutait, on vendrait jusqu'Ă ses matelas, pour prendre de vos actions. " Elle plaisantait doucement. " Je les trouve mĂÂȘme un peu folles, oui ! un peu folles, oui ! C'est sans doute que je ne suis plus assez jeune... Ma fille est une de vos admiratrices. Elle croit en votre mission, elle fait de la propagande dans tous les salons oĂÂč je la mĂšne. CharmĂ©, Saccard, regarda Alice, et elle Ă©tait en ce moment si animĂ©e, si vibrante de foi, qu'elle lui parut vraiment trĂšs jolie, malgrĂ© son teint jaune et son cou trop mince, dĂ©jĂ fanĂ©. Aussi se trouvait-il grand et bon, Ă l'idĂ©e d'avoir fait le bonheur de cette triste crĂ©ature, que l'espoir d'un mari suffisait Ă embellir. " Oh ! d'une voix basse et comme lointaine, c'est si beau, cette conquĂÂȘte, lĂ -bas... Oui, une Ăšre nouvelle, la croix rayonnante... " C'Ă©tait le mystĂšre, ce que personne ne disait ; et sa voix baissait encore, se perdait en un souffle de ravissement. Lui, d'ailleurs, la faisait taire d'un geste amical ; car il ne tolĂ©rait pas qu'on parlĂÂąt en sa prĂ©sence de la grande chose, le but suprĂÂȘme et cachĂ©. Son geste enseignait qu'il fallait toujours y tendre, mais n'en jamais ouvrir les lĂšvres. Dans le sanctuaire, les encensoirs se balançaient, aux mains des quelques initiĂ©s. AprĂšs un silence attendri, la comtesse se leva enfin. " Eh bien, monsieur, je suis convaincue, je vais Ă©crire Ă mon notaire que j'accepte l'offre qui se prĂ©sente pour les Aublets... Que Dieu me pardonne si je fais mal ! " Saccard, debout, dĂ©clara avec une gravitĂ© Ă©mue " C'est Dieu lui-mĂÂȘme qui vous inspire, madame, soyez-en certaine. " Et, comme il les accompagnait jusque dans le couloir, Ă©vitant l'antichambre, oĂÂč l'entassement continuait, il rencontra Dejoie, qui rĂÂŽdait, l'air gĂÂȘnĂ©. " Qu'y a-t-il ? Ce n'est pas quelqu'un encore, j'imagine ? - Non, non, monsieur... Si j'osais demander un avis Ă monsieur... C'est pour moi... " Et il manoeuvrait de telle façon que Saccard se retrouva dans son cabinet, tandis que lui restait sur le seuil, trĂšs dĂ©fĂ©rent. " Pour vous ?... Ah ! c'est vrai, vous ĂÂȘtes actionnaire, vous aussi... Eh bien, mon garçon, prenez les nouveaux titres qui vont vous ĂÂȘtre rĂ©servĂ©s, vendez plutĂÂŽt vos chemises pour les prendre. C'est le conseil que je donne Ă tous nos amis. - Oh ! monsieur, le morceau est trop gros, ma fille et moi n'avons pas tant d'ambition... Au dĂ©but, il ai pris huit actions, avec les quatre mille francs d'Ă©conomies que ma pauvre femme nous a laissĂ©s ; et je n'ai toujours que ces huit-lĂ , parce que, n'est-ce pas ? aux autres Ă©missions, lorsqu'on a doublĂ© deux fois le capital, nous n'avons pas eu l'argent, pour accepter les titres qui nous revenaient... Non, non, il ne s'agit pas de ça, il ne faut pas ĂÂȘtre si gourmand !- Je voulais seulement demander Ă monsieur, sans l'offenser, si monsieur est d'avis que je vende. - Comment ! que vous vendiez ? " Alors, Dejoie, avec toutes sortes de circonlocutions quiĂštes et respectueuses, exposa son cas. Au cours de treize cents francs, ses huit actions reprĂ©sentaient dix mille quatre cents francs. Il pouvait donc largement donner Ă Nathalie les six mille francs de dot que le cartonnier exigeait. Mais, devant la hausse continue des titres, un appĂ©tit d'argent lui Ă©tait venu, l'idĂ©e, vague d'abord, puis tyrannique, de se faire sa part, d'avoir Ă lui une petite rente de six cents francs, qui lui permettrait de se retirer. Seulement, un capital de douze mille francs ajoutĂ© aux six mille francs de sa fille, cela faisait l'Ă©norme total de dix-huit mille francs ; et il dĂ©sespĂ©rait d'arriver jamais Ă ce chiffre, car il avait calculĂ© que, pour cela, il lui faudrait attendre le cours de deux mille trois cents francs. " Vous comprenez, monsieur, que si ça ne doit plus monter, j'aime mieux vendre, parce que le bonheur de Nathalie avant tout, n'est-ce pas ?... Tandis que, si ça monte encore, j'aurai un tel crĂšve-coeur d'avoir vendu... " Saccard Ă©clata. " Ah ! çà , mon garçon, vous ĂÂȘtes stupide !... Est-ce que vous croyez que nous allons nous arrĂÂȘter Ă treize cents ? Est-ce que je vends, moi ?... Vous les aurez, vos dix-huit mille francs, j'en rĂ©ponds. Et dĂ©campez ! et flanquez-moi dehors tout ce monde qui est lĂ , en disant que je suis sorti ! " Quand il se retrouva seul, Saccard put rappeler les deux chefs de service et terminer son travail en paix. Il fut dĂ©cidĂ© qu'une assemblĂ©e gĂ©nĂ©rale extraordinaire aurait lieu en aoĂ»t, pour voter la nouvelle augmentation du capital. Hamelin, qui devait la prĂ©sider, dĂ©barqua Ă Marseille, dans les derniers jours de juillet. Sa soeur, depuis deux mois, Ă chacune de ses lettres, lui conseillait de revenir, d'une façon de plus en plus pressante. Elle avait, au milieu du succĂšs brutal qui se dĂ©clarait chaque jour davantage, la sensation d'un danger sourd, une crainte irraisonnĂ©e, dont elle n'osait mĂÂȘme parler ; et elle prĂ©fĂ©rait que son frĂšre fĂ»t lĂ , Ă se rendre compte des choses par lui-mĂÂȘme, car elle en arrivait Ă douter d'elle, craignant d'ĂÂȘtre sans force contre Saccard, de se laisser aveugler, au point de trahir ce frĂšre qu'elle aimait tant. N'aurait-il pas fallu lui avouer sa liaison, qu'il ne soupçonnait certainement pas, dans son innocence d'homme de foi et de science, traversant la vie en dormeur Ă©veillĂ© ? Cette idĂ©e lui Ă©tait extrĂÂȘmement pĂ©nible ; et elle se laissait aller aux capitulations lĂÂąches, elle discutait avec le devoir, qui, trĂšs net, lui ordonnait maintenant qu'elle connaissait Saccard et son passĂ©, de tout dire, pour qu'on se mĂ©fiĂÂąt. Dans ses heures de force, elle se faisait la promesse d'avoir une explication dĂ©cisive, de ne pas abandonner sans contrĂÂŽle le maniement de sommes d'argent si considĂ©rables Ă des mains criminelles, entre lesquelles tant, de millions dĂ©jĂ avaient craquĂ©, s'Ă©taient effondrĂ©s, Ă©crasant le monde. C'Ă©tait le seul parti Ă prendre, viril et honnĂÂȘte, digne d'elle. Puis sa luciditĂ© se troublait, elle faiblissait, temporisait, ne trouvait plus, comme griefs, que des irrĂ©gularitĂ©s, communes Ă toutes les maisons de crĂ©dit, affirmait-il. Peut-ĂÂȘtre avait-il raison de lui dire en riant que le monstre dont elle avait peur, c'Ă©tait le succĂšs, ce succĂšs de Paris qui retentit et frappe en coup de foudre, et qui la laissait tremblante, ainsi que sous l'imprĂ©vu et l'angoisse d'une catastrophe. Elle ne savait plus, il y avait mĂÂȘme des heures oĂÂč elle l'admirait davantage, pleine de cette infinie tendresse qu'elle lui gardait, tout en ayant cessĂ© de l'estimer. Jamais elle n'aurait cru son coeur si compliquĂ©, elle se sentait femme, elle redoutait de ne plus pouvoir agir. Et c'est pourquoi elle se montra trĂšs heureuse du retour de son frĂšre. Ce fut, dĂšs le soir du retour d'Hamelin, que Saccard, dans la salle des Ă©pures oĂÂč ils Ă©taient certains de n'ĂÂȘtre pas dĂ©rangĂ©s, voulut lui soumettre les rĂ©solutions que le conseil d'administration aurait Ă approuver, avant de les faire voter par l'assemblĂ©e gĂ©nĂ©rale. Mais le frĂšre et la soeur devancĂšrent l'heure du rendez-vous, d'un tacite accord, et ils se trouvĂšrent un instant seuls, ils purent causer. Hamelin revenait trĂšs gai, ravi d'avoir menĂ© Ă bien l'affaire complexe des chemins de fer, dans ce pays d'Orient, si endormi de paresse, si obstruĂ© d'obstacles politiques, administratifs et financiers. Enfin, le succĂšs Ă©tait complet, les premiers travaux allaient commencer, des chantiers s'ouvriraient, de toutes parts, aussitĂÂŽt que la sociĂ©tĂ© aurait achevĂ© de se constituer Ă Paris. Et il se montrait si enthousiaste, si confiant en l'avenir, que ce fut pour Mme Caroline une nouvelle cause de silence, tellement cela lui coĂ»tait de gĂÂąter cette belle joie. Cependant, elle exprima des doutes, le mit en garde contre l'engouement qui emportait le public. Il l'arrĂÂȘta, la regarda en face savait-elle quelque chose de louche ? pourquoi ne parlait-elle pas ? Et elle ne parla pas, elle ne trouvait Ă articuler rien de net. Saccard, qui n'avait pas encore revu Hamelin, lui sauta au cou, l'embrassa, avec son exubĂ©rance mĂ©ridionale. Puis, lorsque ce dernier lui eut confirmĂ© ses derniĂšres lettres, en lui donnant des dĂ©tails sur l'absolue rĂ©ussite de son long voyage, il s'exalta. " Ah ! mon cher, cette fois, nous allons ĂÂȘtre les maĂtres de Paris, les rois du marchĂ©... Moi aussi, j'ai bien travaillĂ© j'ai une idĂ©e extraordinaire. Vous allez voir. " Tout de suite, il lui expliqua sa combinaison, pour porter le capital de cent Ă cent cinquante millions, en Ă©mettant cent mille actions nouvelles, et pour libĂ©rer du mĂÂȘme coup tous les titres, aussi bien les anciens que les nouveaux. Il lançait l'action Ă huit cent cinquante francs, se faisait ainsi, avec les trois cent cinquante francs de prime, une rĂ©serve qui, augmentĂ©e des sommes dĂ©jĂ mises de cĂÂŽtĂ© Ă chaque bilan, atteignait le chiffre de vingt-cinq millions ; et il ne lui restait qu'Ă trouver une pareille somme, pour obtenir les cinquante millions nĂ©cessaires Ă la libĂ©ration des deux cent mille actions anciennes. Or, c'est ici qu'il avait eu son idĂ©e extraordinaire, celle de faire dresser un bilan approximatif des gains de l'annĂ©e courante, gains qui, selon lui, monteraient Ă un minimum de trente-six millions. Il y puisait tranquillement les vingt-cinq millions qui lui manquaient. Et l'Universelle allait ainsi, Ă partir du 31 dĂ©cembre 1867, avoir un capital dĂ©finitif de cent cinquante millions, divisĂ© en trois cent mille actions entiĂšrement libĂ©rĂ©es. On unifiait les actions, on les mettait au porteur, de façon Ă faciliter leur libre circulation sur le marchĂ©. C'Ă©tait le triomphe dĂ©finitif, l'idĂ©e de gĂ©nie. " Oui, de gĂ©nie ! cria-t-il, le mot n'est pas trop fort ! " Un peu Ă©tourdi, Hamelin feuilletait les pages du projet, examinait les chiffres. " Je n'aime guĂšre ce bilan si actif, dit-il enfin. Ce sont de vĂ©ritables dividendes que vous allez donner lĂ Ă vos actionnaires, puisque vous libĂ©rez leurs titres ; et il faut ĂÂȘtre certain que toutes les sommes sont bien acquises autrement, on nous accuserait avec raison d'avoir distribuĂ© des dividendes fictifs. " Saccard s'emporta. " Comment ! mais je suis au-dessous de l'estimation ! Voyez donc si je n'ai pas Ă©tĂ© raisonnable est-ce que les Paquebots, est-ce que le Carmel, est-ce que la Banque turque ne vont pas donner des gains supĂ©rieurs Ă ceux que j'ai inscrits ? Vous m'apportez de lĂ -bas des bulletins de victoire, tout marche, tout prospĂšre, et c'est vous qui me chicanez sur la certitude de notre succĂšs ! " Souriant, Hamelin le calma d'un geste. Si, si ! il avait la foi. Seulement, il Ă©tait pour le cours rĂ©gulier des choses. " En effet, dit doucement Mme Caroline, Ă quoi bon se presser ? Ne pourrait-on attendre avril pour cette augmentation de capital ?... Ou encore, puisque vous avez besoin de vingt-cinq millions de plus, pourquoi n'Ă©mettez-vous pas les actions Ă mille ou douze cents francs tout de suite, ce qui vous Ă©viterait d'anticiper sur les gains du prochain bilan ? " Un instant interloquĂ©, Saccard la regardait, en s'Ă©tonnant qu'elle eĂ»t trouvĂ© cela. " Sans doute, Ă onze cents francs, au lieu de huit cent cinquante, les cent mille actions produiraient juste les vingt-cinq millions. - Eh bien, c'est tout trouvĂ©, alors, reprit-elle. Vous ne craignez pas que les actionnaires regimbent. Ils donneront aussi bien onze cents francs que huit cent cinquante. - Ah ! oui, certes ! ils donneront tout ce qu'on voudra ! et ils se battront encore, Ă qui donnera davantage !... Les voilĂ en folie, ils dĂ©moliraient l'hĂÂŽtel pour nous apporter leur argent. " Mais, brusquement, il revint Ă lui, il eut un sursaut de violente protestation. " Qu'est-ce que vous me chantez lĂ ? Je ne veux pas leur demander onze cents francs, Ă aucun prix ! Ce serait vraiment trop bĂÂȘte et trop simple... Comprenez donc que, dans ces questions de crĂ©dit, il faut toujours frapper l'imagination. L'idĂ©e de gĂ©nie, c'est de prendre dans la poche des gens l'argent qui n'y est pas encore. Du coup, ils s'imaginent qu'ils ne le donnent pas, que c'est un cadeau qu'on leur fait. Et puis, vous ne voyez pas l'effet colossal de ce bilan anticipĂ© paraissant dans tous les journaux, de ces trente-six millions de gain annoncĂ©s d'avance, Ă toute fanfare !... La Bourse va prendre feu, nous dĂ©passons le cours de deux mille, et nous montons, et nous montons, et nous ne nous arrĂÂȘtons plus ! " Il gesticulait, il Ă©tait debout, se grandissant sur ses petites jambes ; et, en vĂ©ritĂ©, il devenait grand, le geste dans les Ă©toiles, en poĂšte de l'argent que les faillites et les ruines n'avaient pu assagir. C'Ă©tait son systĂšme instinctif, l'Ă©lan mĂÂȘme de tout son ĂÂȘtre, cette façon de fouailler les affaires, de les mener au triple galop de sa fiĂšvre. Il avait forcĂ© le succĂšs, allumĂ© les convoitises par cette foudroyante marche de l'Universelle trois Ă©missions en trois ans, le capital sautant de vingt-cinq Ă cinquante, Ă cent, Ă cent cinquante millions, dans une progression qui semblait annoncer une miraculeuse prospĂ©ritĂ©. Et les dividendes, eux aussi, procĂ©daient par bonds rien la premiĂšre annĂ©e, puis dix francs, puis trente-trois francs, puis les trente-six millions, la libĂ©ration de tous les titres ! Et cela dans le surchauffement mensonger de toute la machine, au milieu des souscriptions fictives, des actions gardĂ©es par la sociĂ©tĂ© pour faire croire au versement intĂ©gral, sous la poussĂ©e que le jeu dĂ©terminait Ă la Bourse, oĂÂč chaque augmentation du capital exagĂ©rait la hausse ! Hamelin, toujours enfoncĂ© dans l'examen du projet, n'avait pas soutenu sa soeur. Il hocha la tĂÂȘte, il revint aux observations de dĂ©tail. " N'importe ! c'est incorrect, votre bilan anticipĂ©, du moment que les gains ne sont pas acquis... Je ne parle mĂÂȘme plus de nos entreprises, bien qu'elles soient Ă la merci des catastrophes, comme toutes les oeuvres humaines... Mais je vois lĂ le compte Sabatani, trois mille et tant d'actions qui reprĂ©sentent plus de deux millions. Or, vous les mettez Ă notre crĂ©dit, et c'est Ă notre dĂ©bit qu'il faudrait les mettre, puisque Sabatani n'est que notre homme de paille. N'est-ce pas ? nous pouvons nous dire cela, entre nous... Et, tenez ! je reconnais Ă©galement ici plusieurs de nos employĂ©s, mĂÂȘme quelques-uns de nos administrateurs, tous des prĂÂȘte-noms, oh ! je le devine, vous n'avez pas besoin de me le dire.. Cela me fait trembler, de voir que nous gardons un si grand nombre de nos actions. Non seulement, nous n'encaissons pas, mais nous nous immobilisons, et nous finirons par nous dĂ©vorer un jour. " Du regard, Mme Caroline l'encourageait, car il disait enfin toutes ses craintes, il trouvait la cause de ce sourd malaise, qui grandissait en elle, avec le succĂšs. " Ah ! le jeu ! murmura-t-elle. - Mais nous ne jouons pas ! cria Saccard. Seulement, il est bien permis de soutenir ses valeurs, et nous serions vraiment ineptes de ne pas veiller Ă ce que Gundermann et les autres ne dĂ©prĂ©cient pas nos titres en jouant contre nous Ă la baisse. S'ils n'ont point trop osĂ© encore, cela peut venir. C'est pourquoi je suis assez content d'avoir en main un certain nombre de nos actions ; et, je vous en prĂ©viens, si l'on m'y force, je suis mĂÂȘme prĂÂȘt Ă en acheter, oui ! j'en achĂšterai, plutĂÂŽt que de les laisser tomber d'un centime ! " Il avait prononcĂ© ces derniers mots avec une force extraordinaire, comme s'il eĂ»t prĂÂȘtĂ© le serment de mourir plutĂÂŽt que d'ĂÂȘtre battu. Puis, il s'apaisa d'un effort, il se mit Ă rire, de son air de bonhomie un peu grimaçante. " Voyons, voilĂ que ça va recommencer, la mĂ©fiance ! Je croyais que nous nous Ă©tions expliquĂ©s une fois pour toutes sur ces choses. Vous aviez consenti Ă vous remettre entre mes mains, laissez-moi donc agir ! Je ne veux que votre fortune, une grande, grande fortune ! " Il s'interrompit, baissa la voix, comme effrayĂ© lui-mĂÂȘme de l'Ă©normitĂ© de son dĂ©sir. " Vous ne savez pas ce que je veux ? Je veux le cours de trois mille francs. " D'un geste, il l'indiquait dans le vide, il le voyait monter comme un astre, incendier l'horizon de la Bourse, ce cours triomphal de trois mille francs. " C'est fou ! dit Mme Caroline. - DĂšs que le cours aura dĂ©passĂ© deux mille francs, dĂ©clara Hamelin ; toute hausse nouvelle deviendra un danger ; et, quant Ă moi, je vous avertis que je vendrai, pour ne pas tremper dans une pareille dĂ©mence. " Mais Saccard se mit Ă chantonner. On dit toujours qu'on vendra, et puis on ne vend pas. Il les enrichirait malgrĂ© eux. De nouveau, il souriait, trĂšs caressant, lĂ©gĂšrement moqueur. " Confiez-vous Ă moi, il me semble que je n'ai pas trop mal conduit vos affaires... Sadowa vous a rapportĂ© un million. " C'Ă©tait vrai, les Hamelin n'y songeaient plus ils avaient acceptĂ© ce million, pĂÂȘchĂ© dans les eaux troubles de la Bourse. Ils restĂšrent un moment silencieux, pĂÂąlissants, avec ce trouble au coeur des gens honnĂÂȘtes encore, qui ne sont plus certains d'avoir fait leur devoir. Est-ce qu'eux-mĂÂȘmes Ă©taient pris de la lĂšpre du jeu ? est-ce qu'ils se pourrissaient, dans ce milieu enragĂ© de l'argent, oĂÂč leurs affaires les forçaient Ă vivre ? " Sans doute, finit par murmurer l'ingĂ©nieur, mais si j'avais Ă©tĂ© lĂ .. ; " Saccard ne voulut pas le laisser achever. " Laissez donc, n'ayez aucun remords c'est de l'argent reconquis sur ces sales juifs ! " Tous les trois s'Ă©gayĂšrent. Et Mme Caroline, qui s'Ă©tait assise, eut un geste de tolĂ©rance et d'abandon. Pouvait-on se laisser manger et ne pas manger les autres ? C'Ă©tait la vie. Il aurait fallu des vertus trop sublimes ou la solitude sans tentation d'un cloĂtre. " Voyons, voyons ! continuait-il gaiement, n'ayez pas l'air de cracher sur l'argent c'est idiot d'abord, et ensuite il n'y a que les impuissants qui dĂ©daignent une force.. Ce serait illogique de vous tuer au travail pour enrichir les autres, sans vous tailler votre lĂ©gitime part. Autrement, couchez-vous et dormez ! " Il les dominait, ne leur permettait plus de placer un mot. " Savez-vous que vous allez bientĂÂŽt avoir en poche une jolie somme !... Attendez ! " Et, avec une pĂ©tulance d'Ă©colier, il s'Ă©tait prĂ©cipitĂ© Ă la table de Mme Caroline, avait pris un crayon et une feuille de papier, sur laquelle il alignait des chiffres. " Attendez ! Je vais vous faire votre compte. Oh ! je le connais... Vous avez eu, Ă la fondation, cinq cents actions, doublĂ©es une premiĂšre fois, puis doublĂ©es encore, ce qui vous en fait actuellement deux mille. Vous en aurez donc trois mille, aprĂšs notre Ă©mission prochaine. " Hamelin tenta de l'interrompre. " Non ! non ! je sais que vous avez de quoi les payer, avec les trois cent mille francs de votre hĂ©ritage d'une part, et avec votre million de Sadowa de l'autre... Regardez ! vos deux mille premiĂšres actions vous ont coĂ»tĂ© quatre cent trente-cinq mille francs, les mille autres vous coĂ»teront huit cent cinquante mille francs, en tout douze cent quatre- vingt-cinq mille francs... Donc, il vous restera encore quinze mille francs pour faire le jeune homme, sans compter vos appointements de trente mille francs, que nous allons porter Ă soixante mille. " Etourdis, tous deux l'Ă©coutaient, finissaient par s'intĂ©resser violemment Ă ces chiffres. " Vous voyez bien que vous ĂÂȘtes honnĂÂȘtes, que vous payez ce que vous prenez... Mais tout ça, c'est des bagatelles. J'en voulais venir Ă ceci... " Il se releva, brandit la feuille de papier, d'un air de victoire. " Au cours de trois mille, vos trois mille actions vous donneront neuf millions. - Comment ! au cours de trois mille ! s'Ă©criĂšrent-ils, protestant du geste contre cette obstination dans la folie. - Eh ! sans doute ! Je vous dĂ©fends bien de vendre plus tĂÂŽt, je saurai vous en empĂÂȘcher, oui ! par la force, par le droit qu'on a d'empĂÂȘcher ses amis de faire des bĂÂȘtises... Le cours de trois mille, il me le faut, je l'aurai ! " Que rĂ©pondre Ă ce terrible homme, dont la voix perçante, pareille Ă une voix de coq, sonnait le triomphe ? Ils rirent de nouveau en affectant de hausser les Ă©paules. Et ils dĂ©clarĂšrent qu'ils Ă©taient bien tranquilles, que le fameux cours ne serait jamais atteint. Lui, venait de se remettre Ă la table, oĂÂč il faisait d'autres calculs, son compte Ă lui. Avait-il payĂ©, paierait-il ses trois mille actions ? cela restait vague. Il devait mĂÂȘme possĂ©der un chiffre d'actions beaucoup plus fort ; mais il Ă©tait difficile de le savoir ; car, lui aussi, servait de prĂÂȘte- nom Ă la sociĂ©tĂ©, et comment distinguer, dans le tas, les titres qui lui appartenaient ? Le crayon allongeait les lignes de chiffres, Ă l'infini. Puis, il biffa tout d'un trait fulgurant, froissa le papier. ĂâĄa et les deux millions ramassĂ©s dans la boue et le sang de Sadowa, c'Ă©tait sa part. " J'ai un rendez-vous, je vous laisse, dit-il en reprenant son chapeau. Mais tout est bien convenu, n'est-ce pas ? Dans huit jours, le conseil d'administration, et, immĂ©diatement aprĂšs, l'assemblĂ©e gĂ©nĂ©rale extraordinaire, pour voter. " Lorsque Mme Caroline et Hamelin se retrouvĂšrent seuls, effarĂ©s et las, ils demeurĂšrent un moment muets, en face l'un de l'autre. " Que veux-tu ? dĂ©clara-t-il enfin, rĂ©pondant aux secrĂštes rĂ©flexions de sa soeur, nous y sommes, il faut bien y rester. Il a raison de dire que ce serait niais Ă nous de refuser cette fortune... Moi, je ne me suis jamais considĂ©rĂ© que comme un homme de science qui amĂšne de l'eau au moulin ; et je l'y ai amenĂ©e, je crois, claire, abondante, des affaires excellentes, auxquelles la maison doit sa prospĂ©ritĂ© si rapide. Alors, puisque aucun reproche ne peut m'atteindre, ne nous dĂ©courageons pas, travaillons ! " Elle avait quittĂ© sa chaise, chancelante, balbutiante. " Oh ! tout cet argent... tout cet argent... " Et, Ă©tranglĂ©e d'une Ă©motion invincible, Ă l'idĂ©e de ces millions qui allaient tomber sur eux, elle se pendit Ă son cou, elle pleura. C'Ă©tait de la joie sans doute, le bonheur de le voir enfin dignement rĂ©compensĂ© de son intelligence et de ses travaux ; mais c'Ă©tait de la peine aussi, une peine dont elle n'aurait pu dire au juste la cause, oĂÂč il y avait comme de la honte et de la peur. Il la plaisanta, ils affectĂšrent de s'Ă©gayer encore, et pourtant un malaise leur restait, un sourd mĂ©contentement d'eux-mĂÂȘmes, le remords inavouĂ© d'une complicitĂ© salissante. " Oui, il a raison, rĂ©pĂ©ta Mme Caroline, tout le monde en est lĂ . C'est la vie. " Le conseil d'administration eut lieu dans la nouvelle salle du somptueux hĂÂŽtel de la rue de Londres. Ce n'Ă©tait plus le salon humide que verdissait le pĂÂąle reflet d'un jardin voisin, mais une vaste piĂšce, Ă©clairĂ©e sur la rue par quatre fenĂÂȘtres, et dont le haut plafond, les murs majestueux, dĂ©corĂ©s de grandes peintures, ruisselaient d'or. Le fauteuil du prĂ©sident Ă©tait un vĂ©ritable trĂÂŽne, dominant les autres fauteuils, qui s'alignaient, superbes et graves, ainsi que pour une rĂ©union de ministres royaux, autour de l'immense table, recouverte d'un tapis de velours rouge. Et, sur la monumentale cheminĂ©e de marbre blanc, oĂÂč, l'hiver, brĂ»laient des arbres, Ă©tait un buste du pape, une figure aimable et fine, qui semblait sourire malicieusement de se trouver lĂ . Saccard avait achevĂ© de mettre la main sur tous les membres du conseil, en les achetant simplement, pour la plupart. GrĂÂące Ă lui, le marquis de Bohain, compromis dans une histoire de pot-de-vin frisant l'escroquerie, pris la main au fond du sac, avait pu Ă©touffer le scandale, en dĂ©sintĂ©ressant la compagnie volĂ©e ; et il Ă©tait devenu ainsi son humble crĂ©ature, sans cesser de porter haut la tĂÂȘte, fleur de noblesse, le plus bel ornement du conseil. Huret, de mĂÂȘme, depuis que Rougon l'avait chassĂ©, aprĂšs le vol de la dĂ©pĂÂȘche annonçant la cession de la VĂ©nĂ©tie, s'Ă©tait donnĂ© tout entier Ă la fortune de l'Universelle, la reprĂ©sentant au Corps lĂ©gislatif, pĂÂȘchant pour elle dans les eaux fangeuses de la politique, gardant la plus grosse part de ses effrontĂ©s maquignonnages, qui pouvaient, un beau matin, le jeter Ă Mazas. Et le vicomte de Robin-Chagot, le vice-prĂ©sident, touchait cent mille francs de prime secrĂšte pour donner sans examen les signatures, pendant les longues absences d'Hamelin ; et le banquier Kolb se faisait Ă©galement payer sa complaisance passive, en utilisant Ă l'Ă©tranger la puissance de la maison, qu'il allait jusqu'Ă compromettre, dans ses arbitrages ; et SĂ©dille lui-mĂÂȘme, le marchand de soie, Ă©branlĂ© Ă la suite d'une liquidation terrible, s'Ă©tait fait prĂÂȘter une grosse somme, qu'il n'avait pu rendre. Seul, Daigremont gardait son indĂ©pendance absolue vis-Ă -vis de Saccard ; ce qui inquiĂ©tait ce dernier, parfois, bien que l'aimable homme restĂÂąt charmant, l'invitant Ă ses fĂÂȘtes, signant tout lui aussi sans observation, avec sa bonne grĂÂące de Parisien sceptique qui trouve que tout va bien, tant qu'il gagne. Ce jour-lĂ , malgrĂ© l'importance exceptionnelle de la sĂ©ance, le conseil fut d'ailleurs menĂ© aussi rondement que les autres jours. C'Ă©tait devenu une affaire d'habitude on ne travaillait rĂ©ellement qu'aux petites rĂ©unions du 15, et les grandes rĂ©unions de la fin du mois sanctionnaient simplement les rĂ©solutions, en grand apparat. L'indiffĂ©rence Ă©tait telle chez les administrateurs, que, les procĂšs- verbaux menaçant d'ĂÂȘtre toujours les mĂÂȘmes, d'une constante banalitĂ© dans l'approbation gĂ©nĂ©rale, il avait fallu prĂÂȘter Ă des membres des scrupules, des observations, toute une discussion imaginaire, qu'aucun ne s'Ă©tonnait d'entendre lire, Ă la sĂ©ance suivante, et qu'on signait, sans rire. Daigremont s'Ă©tait prĂ©cipitĂ©, avait serrĂ© les mains d'Hamelin, sachant les bonnes, les grandes nouvelles qu'il apportait. " Ah ! mon cher prĂ©sident, que je suis heureux de vous fĂ©liciter ! " Tous l'entouraient, le fĂÂȘtaient, Saccard lui-mĂÂȘme, comme s'il ne l'eĂ»t encore vu ; et, lorsque la sĂ©ance fut ouverte, lorsqu'il eut commencĂ© la lecture du rapport qu'il devait prĂ©senter Ă l'assemblĂ©e gĂ©nĂ©rale, on Ă©couta, ce qu'on ne faisait jamais. Les beaux rĂ©sultats acquis, les magnifiques promesses d'avenir, l'ingĂ©nieuse augmentation du capital qui libĂ©rait en mĂÂȘme temps les anciens titres, tout fut accueilli avec des hochements de tĂÂȘte admiratifs. EL pas un n'eut l'idĂ©e de provoquer des explications. C'Ă©tait parfait. SĂ©dille ayant relevĂ© une erreur dans un chiffre, on convint mĂÂȘme de ne pas insĂ©rer sa remarque au procĂšs-verbal, pour ne pas dĂ©ranger la belle unanimitĂ© des membres, qui signĂšrent tous rapidement, Ă la file, sous le coup de l'enthousiasme, sans observation aucune. DĂ©jĂ la sĂ©ance Ă©tait levĂ©e, on Ă©tait debout, riant, plaisantant, au milieu des dorures Ă©clatantes de la salle. Le marquis de Bohain racontait une chasse Ă Fontainebleau ; tandis que le dĂ©putĂ© Huret, qui Ă©tait allĂ© Ă Rome, disait comment il en avait rapportĂ© la bĂ©nĂ©diction du pape. Kolb venait de disparaĂtre, courant Ă un rendez-vous. Et les autres administrateurs, les comparses, recevaient de Saccard des ordres Ă voix basse, sur l'attitude qu'ils devaient prendre Ă la prochaine assemblĂ©e. Mais Daigremont, que le vicomte de Robin-Chagot ennuyait par ses Ă©loges outrĂ©s du rapport d'Hamelin Saisit au passage le bras du directeur, pour lui souffler Ă l'oreille " Pas trop d'emballement, hein ! " Saccard s'arrĂÂȘta net, le regarda. Il se rappelait combien il avait hĂ©sitĂ©, au dĂ©but, Ă le mettre dans l'affaire, le sachant d'un commerce peu sĂ»r. " Ah ! qui m'aime me suive ! rĂ©pondit-il trĂšs haut, de façon Ă ĂÂȘtre entendu de tout le monde. Trois jours plus tard, l'assemblĂ©e gĂ©nĂ©rale extraordinaire fut tenue dans la grande salle des fĂÂȘtes de l'hĂÂŽtel du Louvre. Pour une telle solennitĂ©, on avait dĂ©daignĂ© la pauvre salle nue de la rue Blanche, on voulait une galerie de gala, encore toute chaude, entre un repas de corps et un bal de mariage. Il fallait ĂÂȘtre, d'aprĂšs les statuts, possesseur d'au moins vingt actions, pour ĂÂȘtre admis, et il vint plus de douze cents actionnaires, reprĂ©sentant quatre mille et quelques voix. Les formalitĂ©s de l'entrĂ©e, la prĂ©sentation des cartes et la signature sur le registre demandĂšrent prĂšs de deux heures. Un tumulte de conversations heureuses emplissait la salle, oĂÂč l'on reconnaissait tous les administrateurs et beaucoup des hauts employĂ©s de l'Universelle. Sabatani Ă©tait lĂ , au milieu d'un groupe, parlant de l'Orient, son pays, avec des caresses de voix languissantes, racontant de merveilleuses histoires, comme si l'on n'avait eu qu'Ă s'y baisser pour ramasser l'argent, l'or et les pierres prĂ©cieuses ; et Maugendre, qui s'Ă©tait, en juin, dĂ©cidĂ© Ă acheter cinquante actions de l'Universelle Ă douze cents francs, convaincu de la hausse, l'Ă©coutait bouche bĂ©ante, ravi de son flair ; tandis que Jantrou, tombĂ© dĂ©cidĂ©ment dans une noce crapuleuse, depuis qu'il Ă©tait riche, ricanait en dessous, la bouche tordue d'ironie, dans l'accablement d'une dĂ©bauche de la veille. AprĂšs la nomination du bureau, lorsque Hamelin, prĂ©sident de droit, eut ouvert la sĂ©ance, LavigniĂšre, réélu commissaire-censeur, et qu'on devait hausser aprĂšs l'exercice au titre d'administrateur, son rĂÂȘve, fut invitĂ© Ă lire un rapport sur la situation financiĂšre de la sociĂ©tĂ©, telle qu'elle serait au 31 dĂ©cembre prochain c'Ă©tait, pour obĂ©ir aux statuts, une façon de contrĂÂŽler d'avance le bilan anticipĂ© dont il allait ĂÂȘtre question. Il rappela le bilan du dernier exercice, prĂ©sentĂ© Ă l'assemblĂ©e ordinaire du mois d'avril, ce bilan magnifique qui accusait un bĂ©nĂ©fice net de onze millions et demi, et qui avait permis, aprĂšs les prĂ©lĂšvements du cinq pour cent des actionnaires, du dix pour cent des administrateurs et du dix pour cent de la rĂ©serve, de distribuer encore un dividende de trente-trois pour cent. Puis, il Ă©tablissait sous un dĂ©luge de chiffres, que la somme de trente-six millions, donnĂ©e comme total approximatif des bĂ©nĂ©fices de l'exercice courant, loin de lui paraĂtre exagĂ©rĂ©e, se trouvait au-dessous des plus modestes espĂ©rances. Sans doute, il Ă©tait de bonne foi, et il devait avoir examinĂ© consciencieusement les piĂšces soumises Ă son contrĂÂŽle ; mais rien n'est plus illusoire, car, pour Ă©tudier Ă fond une comptabilitĂ©, il faut en refaire une autre, entiĂšrement. D'ailleurs, les actionnaires n'Ă©coutaient pas. Quelques dĂ©vots, Maugendre et d'autres, les petits qui reprĂ©sentaient une voix ou deux, buvaient seuls chaque chiffre, au milieu du murmure persistant des conversations. Le contrĂÂŽle des commissaires-censeurs, cela n'avait pas la moindre importance. Et un silence religieux ne s'Ă©tablit que lorsque Hamelin, enfin, se leva. Des applaudissements Ă©clatĂšrent mĂÂȘme avant qu'il eĂ»t ouvert la bouche, en hommage Ă son zĂšle, au gĂ©nie obstinĂ© et brave de cet homme qui Ă©tait allĂ© si loin chercher des tonneaux d'or pour les Ă©ventrer sur Paris. Ce ne fut plus, dĂšs lors, qu'un succĂšs croissant, tournant Ă l'apothĂ©ose. On acclama un nouveau rappel du bilan de l'annĂ©e prĂ©cĂ©dente, que LavigniĂšre n'avait pu faire entendre. Mais les estimations sur le prochain bilan excitĂšrent surtout la joie des millions pour les Paquebots rĂ©unis, des millions pour la Mine d'argent du Carmel, des millions pour la Banque nationale turque ; et l'addition n'en finissait plus, les trente-six millions se groupaient d'une façon aisĂ©e, toute naturelle, tombaient en cascade, avec un bruit retentissant. Puis, l'horizon s'Ă©largit encore, sur les opĂ©rations futures. La Compagnie gĂ©nĂ©rale des chemins de fer d'Orient apparut, d'abord la grande ligne centrale dont les travaux Ă©taient prochains, ensuite les embranchements, tout le filet de l'industrie moderne jetĂ© sur l'Asie, le retour triomphal de l'humanitĂ© Ă son berceau, la rĂ©surrection d'un monde ; tandis que, dans le lointain perdu, entre deux phrases, se levait la chose qu'on ne disait pas, le mystĂšre, le couronnement de l'Ă©difice qui Ă©tonnerait les peuples. Et l'unanimitĂ© fut absolue, lorsque, pour conclure, Hamelin en arriva Ă expliquer les rĂ©solutions qu'il allait soumettre au vote de l'assemblĂ©e le capital portĂ© Ă cent cinquante millions, l'Ă©mission de cent mille actions nouvelles Ă huit cent cinquante francs, les anciens titres libĂ©rĂ©s, grĂÂące Ă la prime de ces actions et aux bĂ©nĂ©fices du prochain bilan, dont on disposait d'avance. Un tonnerre de bravos accueillit cette idĂ©e gĂ©niale. On voyait, par- dessus les tĂÂȘtes, les grosses mains de Maugendre tapant de toute leur force. Sur les premiers bancs, les administrateurs, les employĂ©s de la maison faisaient rage, dominĂ©s par Sabatani qui, s'Ă©tant mis debout, lançait des brava ! brava ! comme au thĂ©ĂÂątre. Toutes les rĂ©solutions furent votĂ©es d'enthousiasme. Cependant, Saccard avait rĂ©glĂ© un incident, qui se produisit alors. Il n'ignorait pas qu'on l'accusait de jouer, il voulait effacer jusqu'aux moindres soupçons des actionnaires dĂ©fiants, s'il s'en trouvait dans la salle. Jantrou, stylĂ© par lui, se leva. Et, de sa voix pĂÂąteuse " Monsieur le PrĂ©sident, je crois me faire l'interprĂšte de beaucoup d'actionnaires en demandant qu'il soit bien Ă©tabli que la sociĂ©tĂ© ne possĂšde pas une de ses actions. " Hamelin, n'Ă©tant point prĂ©venu, demeura un instant gĂÂȘnĂ©. Instinctivement, il se tourna vers Saccard, perdu Ă sa place jusque- lĂ , et qui se haussa d'un coup, pour grandir sa petite taille, en rĂ©pondant de sa voix perçante " Pas une, monsieur le PrĂ©sident ! " Des bravos, on ne sut pourquoi, Ă©clatĂšrent de nouveau, Ă cette rĂ©ponse. S'il mentait au fond, la vĂ©ritĂ© Ă©tait pourtant que la sociĂ©tĂ© n'avait pas un seul titre Ă son nom, puisque Sabatani et d'autres la couvraient. Et ce fut tout, on applaudissait encore, la sortie fut trĂšs gaie et trĂšs bruyante. DĂšs les jours suivants, le compte rendu de cette sĂ©ance, publiĂ© dans les journaux, produisit un effet Ă©norme Ă la Bourse et dans tout Paris. Jantrou avait rĂ©servĂ© pour ce moment-lĂ une poussĂ©e derniĂšre de rĂ©clames, la plus tonitruante des fanfares qu'on eĂ»t soufflĂ©e depuis longtemps dans les trompettes de la publicitĂ© ; et il courut mĂÂȘme une plaisanterie, on raconta qu'il avait fait tatouer ces mots Achetez de l'Universelle , aux petits coins les plus secrets et les plus dĂ©licats des dames aimables, en les lançant dans la circulation. D'ailleurs, il venait d'exĂ©cuter enfin son grand coup, l'achat de La Cote financiĂšre, ce vieux journal solide, qui avait derriĂšre lui une honnĂÂȘtetĂ© impeccable de douze ans. Cela avait coĂ»tĂ© cher, mais la sĂ©rieuse clientĂšle, les bourgeois trembleurs, les grosses fortunes prudentes, tout l'argent qui se respecte se trouvait conquis. En quinze jours, Ă la Bourse, on atteignit le cours de quinze cents ; et, dans la derniĂšre semaine d'aoĂ»t, par bonds successifs, il Ă©tait Ă deux mille. L'engouement s'Ă©tait encore exaspĂ©rĂ©, l'accĂšs allait en s'aggravant Ă chaque heure, sous l'Ă©pidĂ©mique fiĂšvre de l'agio. On achetait, on achetait, mĂÂȘme les plus sages, dans la conviction que ça monterait encore, que ça monterait sans fin. C'Ă©taient les cavernes mystĂ©rieuses des Mille et une Nuits qui s'ouvrirent, les incalculables trĂ©sors des califes qu'on livrait Ă la convoitise de Paris. Tous les rĂÂȘves, chuchotĂ©s depuis des mois, semblaient se rĂ©aliser devant l'enchantement public le berceau de l'humanitĂ© rĂ©occupĂ©, les antiques citĂ©s historiques du littoral ressuscitĂ©es de leur sable, Damas, puis Bagdad, puis l'Inde et la Chine exploitĂ©es, par la troupe envahissante de nos ingĂ©nieurs. Ce que NapolĂ©on n'avait pu faire avec son sabre, cette conquĂÂȘte de l'Orient, une Compagnie financiĂšre le rĂ©alisait, en y lançant une armĂ©e de pioches et de brouettes. On conquĂ©rait l'Asie Ă coups de millions, pour en, tirer des milliards. Et la croisade des femmes surtout triomphait, aux petites rĂ©unions intimes de cinq heures, aux grandes rĂ©ceptions mondaines de minuit, Ă table et dans les alcĂÂŽves. Elles l'avaient bien prĂ©vu Constantinople Ă©tait prise, on aurait bientĂÂŽt Brousse, Angora et Alep, on aurait plus tard Smyrne, TrĂ©bizonde, toutes les villes dont l'Universelle faisait le siĂšge, jusqu'au jour oĂÂč l'on aurait la derniĂšre, la ville sainte, celle qu'on ne nommait pas, qui Ă©tait comme la promesse eucharistique de la lointaine expĂ©dition. Les pĂšres, les maris, les amants, que violentait cette ardeur passionnĂ©e des femmes, n'allaient plus donner leurs ordres aux agents de change qu'au cri rĂ©pĂ©tĂ© de Dieu le veut ! Puis, ce fut enfin l'effrayante cohue des petits, la foule piĂ©tinante qui suit les grosses armĂ©es, la passion descendue du salon Ă l'office, du bourgeois Ă l'ouvrier et au paysan, et qui jetait, dans ce galop fou des millions, de pauvres souscripteurs n'ayant qu'une action, trois, quatre, dix actions, les concierges prĂšs de se retirer, des vieilles demoiselles vivant avec un chat, des retraitĂ©s de province dont le budget est de dix sous par jour, des prĂÂȘtres de campagne dĂ©nudĂ©s par l'aumĂÂŽne, toute la masse hĂÂąve et affamĂ©e des rentiers infimes, qu'une catastrophe de Bourse balaie comme une Ă©pidĂ©mie et couche d'un coup dans la fosse commune. Et cette exaltation des titres de l'Universelle, cette ascension qui les emportait comme sous un vent religieux, semblait se faire aux musiques de plus en plus hautes qui montaient des Tuileries et du Champ- de-Mars, des continuelles fĂÂȘtes dont l'Exposition affolait Paris. Les drapeaux claquaient plus sonores dans l'air lourd des chaudes journĂ©es, il n'y avait pas de soir oĂÂč la ville en feu n'Ă©tincelĂÂąt sous les Ă©toiles, ainsi qu'un colossal palais au fond duquel la dĂ©bauche veillait jusqu'Ă l'aube. La joie avait gagnĂ© de maison en maison, les rues Ă©taient une ivresse, un nuage de vapeurs fauves, la fumĂ©e des festins, la sueur des accouplements, s'en allait Ă l'horizon, roulait au-dessus des toits la nuit des Sodome, des Babylone et des Ninive. Depuis mai, les empereurs et les rois Ă©taient venus en pĂšlerinage des quatre coins du monde, des cortĂšges qui ne cessaient point, prĂšs d'une centaine de souverains et de souveraines, de princes et de princesses. Paris Ă©tait repu de MajestĂ©s et d'Altesses ; il avait acclamĂ© l'empereur de Russie et l'empereur d'Autriche, le sultan et le vice-roi d'Egypte ; et il s'Ă©tait jetĂ© sous les roues des carrosses pour voir de plus prĂšs le roi de Prusse, que M. de Bismarck suivait comme un dogue fidĂšle. Continuellement, des salves de rĂ©jouissance tonnaient aux Invalides, tandis que la foule s'Ă©crasait Ă l'Exposition, faisait un succĂšs populaire aux canons de Krupp, Ă©normes et sombres, que l'Allemagne avait exposĂ©s. Presque chaque semaine, l'opĂ©ra allumait ses lustres pour quelque gala officiel. On s'Ă©touffait dans les petits thĂ©ĂÂątres et dans les restaurants, les trottoirs n'Ă©taient plus assez larges pour le torrent dĂ©bordĂ© de la prostitution. Et ce fut NapolĂ©on III qui voulut distribuer lui-mĂÂȘme les rĂ©compenses aux soixante mille exposants, dans une cĂ©rĂ©monie qui dĂ©passa en magnificence toutes les autres, une gloire brĂ»lant au front de Paris, le resplendissement du rĂšgne, oĂÂč l'empereur apparut, dans un mensonge de fĂ©erie, en maĂtre de l'Europe, parlant avec le calme de la force et promettant la paix. Le jour mĂÂȘme, on apprenait aux Tuileries l'effroyable catastrophe du Mexique, l'exĂ©cution de Maximilien, le sang et l'or français versĂ©s en pure perte ; et l'on cachait la nouvelle, pour ne pas attrister les fĂÂȘtes. Un premier coup de glas, dans cette fin de jour superbe, Ă©blouissante de soleil. Alors, il sembla, au milieu de cette gloire, que l'astre de Saccard, lui aussi, montĂÂąt encore Ă son Ă©clat le plus grand. Enfin, comme il s'y efforçait depuis tant d'annĂ©es, il la possĂ©dait donc, la fortune, en esclave, ainsi qu'une chose Ă soi, dont on dispose, qu'on tient sous clef, vivante, matĂ©rielle ! Tant de fois le mensonge avait habitĂ© ses caisses, tant de millions y avaient coulĂ©, fuyant par toutes sortes de trous inconnus ! Non, ce n'Ă©tait plus la richesse menteuse de façade, c'Ă©tait la vraie royautĂ© de l'or, solide, trĂÂŽnant sur des sacs pleins ; et, cette royautĂ©, il ne l'exerçait pas comme un Gundermann, aprĂšs l'Ă©pargne d'une lignĂ©e de banquiers, il se flattait orgueilleusement de l'avoir conquise par lui-mĂÂȘme, en capitaine d'aventure qui emporte un royaume d'un coup de main. Souvent, Ă l'Ă©poque de ses trafics sur les terrains du quartier de l'Europe, il Ă©tait montĂ© trĂšs haut ; mais jamais il n'avait senti Paris vaincu si humble Ă ses pieds. Et il se rappelait le jour oĂÂč, dĂ©jeunant chez Champeaux, doutant de son Ă©toile, ruinĂ© une fois de plus, il jetait sur la Bourse des regards affamĂ©s, pris de la fiĂšvre de tout recommencer pour tout reconquĂ©rir, dans une rage de revanche. Aussi, cette heure qu'il redevenait le maĂtre, quelle fringale de jouissances ! D'abord, dĂšs qu'il se crut tout-puissant, il congĂ©dia Huret, il chargea Jantrou de lancer contre Rougon un article oĂÂč le ministre, au nom des catholiques, se trouvait nettement accusĂ© de jouer double jeu dans la question romaine. C'Ă©tait la dĂ©claration de guerre dĂ©finitive entre les deux frĂšres. Depuis la convention du 15 septembre 1864, surtout depuis Sadowa, les clĂ©ricaux affectaient de montrer de vives inquiĂ©tudes sur la situation du pape ; et, dĂšs lors, L'EspĂ©rance , reprenant son ancienne politique ultramontaine, attaqua violemment l'empire libĂ©ral, tel qu'avaient commencĂ© Ă le faire les dĂ©crets du 19 janvier. Un mot de Saccard circulait Ă la Chambre il disait que, malgrĂ© sa profonde affection pour l'empereur, il se rĂ©signerait Ă Henri V, plutĂÂŽt que de laisser l'esprit rĂ©volutionnaire mener la France Ă des catastrophes. Ensuite, son audace croissant avec ses victoires, il ne cacha plus son plan de s'attaquer Ă la haute banque juive, dans la personne de Gundermann, dont il s'agissait de battre en brĂšche le milliard, jusqu'Ă l'assaut et Ă la capture finale. L'Universelle avait si miraculeusement grandi, pourquoi cette maison, soutenue par toute la chrĂ©tientĂ©, ne serait-elle pas, en quelques annĂ©es encore, la souveraine maĂtresse de la Bourse ? Et il se posait en rival, en roi voisin, d'une Ă©gale puissance, plein d'une forfanterie batailleuse ; tandis que Gundermann, trĂšs flegmatique, sans mĂÂȘme se permettre une moue d'ironie, continuait Ă guetter et Ă attendre, l'air simplement trĂšs intĂ©ressĂ© par la hausse continue des actions, en homme qui a mis toute sa force dans la patience et la logique. C'Ă©tait sa passion qui Ă©levait ainsi Saccard, et sa passion qui devait le perdre. Dans l'assouvissement de ses appĂ©tits, il aurait voulu se dĂ©couvrir un sixiĂšme sens, pour le satisfaire. Mme Caroline, qui en Ă©tait arrivĂ©e Ă sourire toujours, mĂÂȘme lorsque son coeur saignait, restait une amie, qu'il Ă©coutait avec une sorte de dĂ©fĂ©rence conjugale. La baronne Sandorff, dont les paupiĂšres meurtries et les lĂšvres rouges mentaient dĂ©cidĂ©ment, commençait Ă ne plus l'amuser, d'une froideur de glace, au milieu de ses curiositĂ©s perverses. Et, d'ailleurs, lui-mĂÂȘme n'avait jamais connu de grandes passions, Ă©tant de ce monde de l'argent, trop occupĂ©, dĂ©pensant autre part ses nerfs, payant l'amour au mois. Aussi, lorsque l'idĂ©e de la femme lui vint, sur le tas de ses nouveaux millions, ne songea-t-il qu'Ă en acheter une trĂšs cher, pour l'avoir devant tout Paris, comme il se serait fait cadeau d'un trĂšs gros brillant, simplement vaniteux de le piquer Ă sa cravate. Puis, n'Ă©tait- ce pas lĂ une excellente publicitĂ© ? un homme capable de mettre beaucoup d'argent Ă une femme, n'a-t-il pas dĂšs lors une fortune cotĂ©e ? Tout de suite son choix tomba sur Mme de Jeumont, chez qui il avait dĂnĂ© deux ou fois avec Maxime. Elle Ă©tait encore fort belle Ă trente-six ans, d'une beautĂ© rĂ©guliĂšre et grave de Junon, et a grande rĂ©putation venait de ce que l'empereur lui avait payĂ© une nuit cent mille francs, sans compter la dĂ©coration pour son mari, un homme correct qui n'avait d'autre situation que ce rĂÂŽle d'ĂÂȘtre le mari de sa femme. Tous deux vivaient largement, allaient partout, dans les ministĂšres, Ă la cour, alimentĂ©s par des marchĂ©s rares et choisis, se suffisant de trois ou quatre nuits par an. On savait que cela coĂ»tait horriblement cher, c'Ă©tait tout ce qu'il y avait de plus distinguĂ©. Et Saccard, qu'excitait particuliĂšrement l'envie de mordre Ă ce morceau d'empereur, alla jusqu'Ă deux cent mille francs, le mari ayant d'abord fait la moue sur cet ancien financier louche, le trouvant trop mince personnage et d'une immoralitĂ© compromettante. Ce fut vers cette mĂÂȘme Ă©poque que la petite Mme Conin refusa carrĂ©ment de prendre du plaisir avec Saccard. Il frĂ©quentait beaucoup la papeterie de la rue Feydeau, ayant toujours des carnets Ă acheter, trĂšs sĂ©duit par cette adorable blonde, rose et potelĂ©e, aux cheveux de soie pĂÂąle, en neige, un petit mouton frisĂ©, et gracieuse, et cĂÂąline, toujours gaie. " Non, je ne veux pas, jamais avec vous ! " Quand elle avait dit jamais, c'Ă©tait chose rĂ©glĂ©e, rien ne la faisait revenir sur son refus. " Mais pourquoi ? Je vous ai bien vue avec un autre un jour que vous sortiez d'un hĂÂŽtel, passage des Panoramas... " Elle rougit, mais sans cesser de le regarder bravement en face. Cet hĂÂŽtel, tenu par une vieille dame, son amie, lui servait en effet de lieu de rendez-vous, lorsqu'un caprice la faisait cĂ©der Ă un monsieur du monde de la Bourse, aux heures oĂÂč son brave homme de mari collait ses registres et oĂÂč elle battait Paris, toujours dehors pour les courses de la maison. " Vous savez bien, Gustave SĂ©dille, ce jeune homme, votre amant. " D'un joli geste, elle protesta. Non, non ! elle n'avait pas d'amant. Pas un homme ne pouvait se vanter de l'avoir eue deux fois. Pour qui la prenait-il ? Une fois, oui ! par hasard, par plaisir, sans que ça tirĂÂąt autrement Ă consĂ©quence ! Et tous restaient ses amis, trĂšs reconnaissants, trĂšs discrets. " C'est donc parce que je ne suis plus jeune ? " Mais, d'un nouveau geste, avec son continuel rire, elle sembla dire qu'elle s'en moquait bien, qu'on fĂ»t jeune ! Elle avait cĂ©dĂ© Ă des moins jeunes, Ă des moins beaux encore, Ă de pauvres diables souvent. " Pourquoi alors, dites pourquoi ? - Mon Dieu ! c'est simple... Parce que vous ne me plaisez pas. Avec vous, jamais ! " Et elle restait tout de mĂÂȘme trĂšs aimable, l'air dĂ©solĂ© de ne pouvoir le satisfaire. " Voyons, reprit-il brutalement, ce sera ce que vous voudrez... Voulez-vous mille, voulez-vous deux mille, pour une fois, une seule fois ? " A chaque surenchĂšre qu'il mettait, elle disait non de la tĂÂȘte, gentiment. " Voulez-vous... Voyons, voulez-vous dix mille, voulez-vous vingt mille ? " Doucement, elle l'arrĂÂȘta, en posant sa petite main sur la sienne. " Pas dix, pas cinquante, pas cent mille ! Vous pourriez monter longtemps comme ça, ce serait non, toujours non... Vous voyez bien que je n'ai pas un bijou sur moi. Ah ! on m'en a offert, des choses, de l'argent, et de tout ! Je ne veux rien, est-ce que ça ne suffit pas, quand ça fait plaisir ?... Mais comprenez donc que mon mari m'aime de tout son coeur, et que je l'aime aussi beaucoup, moi. C'est un trĂšs honnĂÂȘte homme, mon mari. Alors, bien sĂ»r que je ne vais pas le tuer en lui causant du chagrin... Qu'est-ce que vous voulez que j'en fasse, de votre argent, puisque le ne peux pas le donner Ă mon mari ? Nous ne sommes pas malheureux, nous nous retirerons un jour avec une jolie fortune ; et, si ces messieurs me font tous l'amitiĂ© de continuer Ă se fournir chez nous, ça, je l'accepte... Oh ! je ne me pose pas pour plus dĂ©sintĂ©ressĂ©e que je ne suis. Si j'Ă©tais seule, je verrais. Seulement, encore un coup, vous ne vous imaginez pas que mon mari prendrait vos cent mille francs, aprĂšs que j'aurais couchĂ© avec vous... Non, non ! pas pour un million ! " Et elle s'entĂÂȘta. Saccard, exaspĂ©rĂ© par cette rĂ©sistance inattendue, s'acharna de son cĂÂŽtĂ© pendant prĂšs d'un mois. Elle le bouleversait, avec sa figure rieuse, ses grands yeux tendres, pleins de compassion. Comment ! l'argent ne donnait donc pas tout ? VoilĂ une femme que d'autres avaient pour rien, et qu'il ne pouvait avoir, lui, en y mettant un prix fou ! Elle disait non, c'Ă©tait sa volontĂ©. Il en souffrait cruellement, dans son triomphe, comme d'un doute Ă sa puissance, d'une dĂ©sillusion secrĂšte sur la force de l'or, qu'il avait crue jusque-lĂ absolue et souveraine. Mais, un soir, il eut pourtant la jouissance de vanitĂ© la plus vive. Ce fut la minute culminante de son existence. Il y avait un bal au ministĂšre des Affaires Ă©trangĂšres, et il avait choisi cette fĂÂȘte, donnĂ©e Ă propos de l'Exposition, pour prendre acte publiquement de son bonheur d'une nuit, avec Mme de Jeumont ; car, dans les marchĂ©s que passait cette belle personne, il entrait toujours que l'heureux acquĂ©reur aurait, une fois, le droit de l'afficher, de façon que l'affaire eĂ»t pleinement toute la publicitĂ© voulue. Donc, vers minuit, dans les salons oĂÂč les Ă©paules nues s'Ă©crasaient parmi les habits noirs, sous la clartĂ© ardente des lustres, Saccard entra, ayant au bras Mme de Jeumont ; et le mari suivait. Quand ils parurent, les groupes s'Ă©cartĂšrent, on ouvrit un large passage Ă ce caprice de deux cent mille francs qui s'Ă©talait, Ă ce scandale fait de violents appĂ©tits et de prodigalitĂ© folle. On souriait, on chuchotait, l'air amusĂ©, sans colĂšre, au milieu de l'odeur grisante des corsages, dans le bercement lointain de l'orchestre. Mais, au fond d'un salon, tout un autre flot de curieux se pressait autour d'un colosse, vĂÂȘtu d'un uniforme de cuirassier blanc, Ă©clatant et superbe. C'Ă©tait le comte de Bismarck, dont la grande taille dominait toutes les tĂÂȘtes, riant d'un rire large, les yeux gros, le nez fort, avec une mĂÂąchoire puissante, que barraient des moustaches de conquĂ©rant barbare. AprĂšs Sadowa, il venait de donner l'Allemagne Ă la Prusse ; les traitĂ©s d'alliance, longtemps niĂ©s, Ă©taient depuis des mois signĂ©s contre la France ; et la guerre, qui avait failli Ă©clater en mai, Ă propos de l'affaire du Luxembourg, Ă©tait dĂ©sormais fatale. Lorsque Saccard, triomphant, traversa la piĂšce, ayant Ă son bras Mme de Jeumont, et suivi du mari, le comte de Bismarck s'interrompit de rire un instant, en bon gĂ©ant goguenard, pour les regarder curieusement passer. IX - Mme Caroline, de nouveau, se trouva seule. Hamelin Ă©tait restĂ© Ă Paris jusqu'aux premiers jours de novembre pour les formalitĂ©s que nĂ©cessitait la constitution dĂ©finitive de la sociĂ©tĂ©, au capital de cent cinquante millions ; et ce fut encore lui, sur le dĂ©sir de Saccard, qui alla faire chez maĂtre Lelorrain, rue Sainte-Anne, les dĂ©clarations lĂ©gales, affirmant que toutes les actions Ă©taient inscrites et le capital versĂ©, ce qui n'Ă©tait pas vrai. Ensuite, il partit pour Rome, oĂÂč il devait passer deux mois, ayant Ă y Ă©tudier de grosses affaires, qu'il taisait, sans doute son fameux rĂÂȘve du pape Ă JĂ©rusalem, ainsi projet, plus pratique et considĂ©rable, celui formation de l'Universelle en une banque catholique, s'appuyant sur les intĂ©rĂÂȘts chrĂ©tiens du monde entier, toute une vaste machine, destinĂ©e Ă Ă©craser, balayer du globe la banque juive ; et, de lĂ , il comptait retourner une fois encore en Orient, oĂÂč l'appelaient les travaux du chemin de fer de Brousse Ă Beyrouth. Il s'Ă©loignait heureux, de la rapide prospĂ©ritĂ© de la maison, convaincu de sa soliditĂ© inĂ©branlable, n'ayant fond que la sourde inquiĂ©tude de ce succĂšs trop grand. Aussi, la veille de son dĂ©part, dans la conversation qu'il avait eut avec sa soeur, ne lui fit-il qu'une recommandation pressante, celle de rĂ©sister Ă l'engouement gĂ©nĂ©ral et de vendre leurs titres, si le cours de deux cent francs Ă©tait dĂ©passĂ©, parce qu'il entendait protester personnellement contre cette hausse continue, qu'il jugeait folle et dangereuse. DĂšs qu'elle fut seule, Mme Caroline se sentit plus troublĂ©e encore par le milieu surchauffĂ© oĂÂč elle vivait. Vers la premiĂšre semaine de novembre, on atteignit le cours de deux mille deux cents et c'Ă©tait, autour d'elle, un ravissement, des cris de remerciement et d'espoir illimitĂ©s Dejoie venait se fondre en gratitude, les dames de Beauvilliers la traitent en Ă©gale, en amie de dieu qui allait relever leur antique maison. Un concert de bĂ©nĂ©dictions montait de la foule heureuse des petits et de grands, les filles enfin dotĂ©es, les pauvres brusquement enrichis, assurĂ©s d'une retraite, les riches brĂ»lant de l'insatiable joie d'ĂÂȘtre plus riche encore. Au lendemain de l'Exposition, dans Paris grisĂ© de plaisir et de puissance, l'heure Ă©tait unique, une heure de foi au bonheur, la certitude d'une chance sans fin. Toutes les valeurs avaient montĂ©, les moins solides trouvaient des crĂ©dules, une plĂ©thore d'affaires vĂ©reuses gonflait le marchĂ©, le congestionnait jusqu'Ă l'apoplexie, tandis que dessous, sonnait le vide, le rĂ©el Ă©puisement d'une rĂšgne qui avait beaucoup joui, dĂ©pensĂ© des milliards en grands travaux, engraissĂ© des maisons de crĂ©dit Ă©normes, dont les caisses bĂ©antes s'Ă©ventrait de toutes parts. Au premier craquement, c'Ă©tait la dĂ©bĂÂącle. Et Mme Caroline, sans doute, avait ce pressentiment anxieux, lorsqu'elle sentait son coeur se serrer, Ă chaque nouveau bond des cours de l'Universelle. Aucune rumeur mauvaise ne courait, Ă peine un lĂ©ger frĂ©missement des baissiers, Ă©tonnĂ©s et domptĂ©s. Pourtant, elle avait bien conscience d'un malaise, quelque chose qui dĂ©jĂ minait l'Ă©difice, mais quoi ? rien ne se prĂ©cisait ; et elle Ă©tait forcĂ©e d'attendre, devant l'Ă©clat du triomphe grandissant, malgrĂ© ces lĂ©gĂšres secousses d'Ă©branlement qui annoncent les catastrophes. D'ailleurs, Mme Caroline eut alors un autre ennui. A l'Oeuvre du Travail, on Ă©tait enfin satisfait de Victor, devenu silencieux et sournois ; et, si elle n'avait pas dĂ©jĂ tout contĂ© Ă Saccard, c'Ă©tait par un singulier sentiment d'embarras, reculant de jour en jour son rĂ©cit, souffrant de la honte qu'il en aurait. D'autre part, Maxime, Ă qui, vers ce temps, elle rendit, de sa poche, les deux mille francs, s'Ă©gaya au sujet des quatre mille que Busch et la MĂ©chain rĂ©clamaient encore ces gens la volaient, son pĂšre serait furieux. Aussi, dĂ©sormais, repoussait-elle les demandes rĂ©itĂ©rĂ©es de Busch, qui exigeait le complĂ©ment de la somme promise. AprĂšs des dĂ©marches sans nombre, celui- ci finit par se fĂÂącher, d'autant plus que son ancienne idĂ©e de faire chanter Saccard renaissait, depuis la situation nouvelle de ce dernier, cette haute situation oĂÂč il le croyait Ă sa merci, devant la peur du scandale. Un jour donc, exaspĂ©rĂ© de ne rien tirer d'une affaire si belle, il rĂ©solut de s'adresser directement Ă lui, il lui Ă©crivit de bien vouloir passer Ă son bureau pour prendre connaissance d'anciens papiers trouvĂ©s dans une maison de la rue de la Harpe. Il donnait le numĂ©ro, il faisait une allusion si claire Ă la vieille histoire, que Saccard, saisi d'inquiĂ©tude, ne pouvait manquer d'accourir. Justement, cette lettre, portĂ©e rue Saint-Lazare, tomba entre les mains de Mme Caroline, qui reconnut l'Ă©criture. Elle trembla, elle se demanda un instant si elle n'allait pas courir chez Busch, afin de le dĂ©sintĂ©resser. Puis, elle se dit qu'il Ă©crivait peut-ĂÂȘtre pour tout autre chose, et qu'en tout cas c'Ă©tait une façon d'en finir, heureuse mĂÂȘme dans son Ă©moi qu'un autre eĂ»t l'embarras de la confidence. Mais, le soir, lorsque Saccard rentra et que, devant elle, il ouvrit la lettre, elle le vit simplement devenir grave, elle crut Ă quelque complication d'argent. Pourtant, il avait Ă©prouvĂ© une profonde surprise, sa gorge s'Ă©tait serrĂ©e, Ă l'idĂ©e de tomber entre de si sales mains, flairant quelque ignominie. D'un geste tranquille, il mit la lettre dans sa poche, il dĂ©cida qu'il irait au rendez-vous. Des jours s'Ă©coulĂšrent, la seconde quinzaine de novembre arriva, et Saccard remettait chaque matin la visite, Ă©tourdi par le torrent qui l'emportait. Le cours de deux mille trois cents francs venait d'ĂÂȘtre dĂ©passĂ©, il en Ă©tait ravi, tout en sentant, Ă la Bourse, une rĂ©sistance se faire, s'accentuer, Ă mesure que s'affolait la hausse Ă©videmment, il y avait un groupe de baissiers qui prenaient position, engageant la lutte, timides encore, dans de simples combats d'avant-poste. Et, Ă deux reprises, il se crut obligĂ© de donner lui-mĂÂȘme des ordres d'achat, sous des prĂÂȘte-noms, pour que la marche ascensionnelle des cours ne fĂ»t pas arrĂÂȘtĂ©e. Le systĂšme de la sociĂ©tĂ© achetant ses propres titres, jouant sur eux, se dĂ©vorant, commençait. Un soir, tout secouĂ© de sa passion, Saccard ne put s'empĂÂȘcher d'en parler Ă Mme Caroline. " Je crois bien que ça va chauffer. Oh ! nous voici trop forts, nous les gĂÂȘnons trop... Je flaire Gundermann, c'est sa tactique il va procĂ©der Ă des ventes rĂ©guliĂšres, tant aujourd'hui, tant demain, en augmentant le chiffre, jusqu'Ă ce qu'il nous Ă©branle... " Elle l'interrompit de sa voix grave. " S'il a de l'Universelle, il a raison de vendre. - Comment ! il a raison de vendre ? - Sans doute, mon frĂšre vous l'a dit les cours, Ă partir de deux mille, sont absolument fous. " Il la regardait, il Ă©clata, hors de lui. " Vendez donc alors, osez donc vendre vous-mĂÂȘme... Oui, jouez contre moi, puisque vous voulez ma dĂ©faite. " Elle rougit lĂ©gĂšrement, car, la veille, elle avait prĂ©cisĂ©ment vendu mille de ses actions, pour obĂ©ir aux ordres de son frĂšre, soulagĂ©e, elle aussi, par cette vente, comme par un acte tardif d'honnĂÂȘtetĂ©. Mais, puisqu'il ne la questionnait pas directement, elle ne lui en fit pas l'aveu, d'autant plus gĂÂȘnĂ©e, qu'il ajouta " Ainsi, hier, il y a eu des dĂ©fections, j'en suis sĂ»r. Il est arrivĂ© tout un paquet de valeurs sur le marchĂ©, les cours auraient certainement flĂ©chi, si je n'Ă©tais intervenu. Ce n'est pas Gundermann qui fait de ces coups-lĂ . Il a une mĂ©thode plus lente, plus Ă©crasante Ă la longue... Ah ! ma, chĂšre, je suis bien rassurĂ©, mais je tremble tout de mĂÂȘme, car ce n'est rien de dĂ©fendre sa vie, le pis est de dĂ©fendre son argent et celui des autres. " En effet, Ă partir de ce moment, Saccard cessa de s'appartenir. Il fut l'homme des millions qu'il gagnait triomphant, et sans cesse sur le point d'ĂÂȘtre battu. Il ne trouvait mĂÂȘme plus le temps d'aller voir la baronne Sandorff, dans le petit rez-de-chaussĂ©e de la rue Caumartin. A la vĂ©ritĂ©, elle l'avait lassĂ© par le mensonge de ses yeux de flamme, cette froideur que ses tentatives perverses ne parvenaient pas Ă Ă©chauffer. Puis, un dĂ©sagrĂ©ment lui Ă©tait arrivĂ©, le mĂÂȘme qu'il avait fait subir Ă Delcambre un soir, par la bĂÂȘtise d'une femme de chambre, cette fois, il Ă©tait entrĂ© au moment oĂÂč la baronne se trouvait entre les bras de Sabatani. Dans l'orageuse explication qui avait suivi, il ne s'Ă©tait calmĂ© qu'aprĂšs une confession entiĂšre, celle d'une simple curiositĂ©, coupable sans doute, mais si explicable. Ce Sabatani, toutes les femmes en parlaient comme d'un tel phĂ©nomĂšne, on chuchotait sur cette chose si Ă©norme, qu'elle n'avait pu rĂ©sister Ă l'envie de voir. Et Saccard pardonna, lorsque, Ă une question brutale, elle eut rĂ©pondu que, mon Dieu ! aprĂšs tout, ce n'Ă©tait pas si Ă©tonnant. Il ne la voyait plus guĂšre qu'une fois par semaine, non pas qu'il lui gardĂÂąt rancune mais parce qu'elle l'ennuyait, simplement. Alors, la baronne Sandorff, qui le sentait se dĂ©tacher, retomba dans ses ignorances et ses doutes d'autrefois. Depuis qu'elle le confessait aux heures intimes, elle jouait presque Ă coup sĂ»r, elle gagnait beaucoup, de moitiĂ© dans sa chance. Aujourd'hui, elle voyait bien qu'il ne voulait plus rĂ©pondre, elle craignait mĂÂȘme qu'il ne lui mentĂt ; et, soit que la chance tournĂÂąt, soit qu'il se fĂ»t en effet amusĂ© Ă la lancer sur une piste fausse, il arriva un jour qu'elle perdit, en suivant un de ses conseils. Sa foi en fut Ă©branlĂ©e. S'il l'Ă©garait ainsi, qui donc allait la guider maintenant ? Et le pis Ă©tait que le frĂ©missement d'hostilitĂ©, Ă la Bourse, d'abord si lĂ©ger, augmentait de jour en jour contre l'Universelle. Ce n'Ă©taient encore que des rumeurs, on ne formulait rien de prĂ©cis, aucun fait n'entamait la soliditĂ© de la maison. Seulement, on laissait entendre qu'il devait y avoir quelque chose, que le ver se trouvait dans le fruit. Ce qui, d'ailleurs, n'empĂÂȘchait pas la hausse des titres de s'accentuer, formidable. A la suite d'une opĂ©ration manquĂ©e sur l'Italien, la baronne, dĂ©cidĂ©ment inquiĂšte, rĂ©solut de se rendre aux bureaux de L'EspĂ©rance , pour tĂÂącher de faire causer Jantrou. " Voyons, qu'y a-t-il ? vous devez savoir, vous... L'Universelle, tout Ă l'heure, a encore montĂ© de vingt francs, et pourtant un bruit courait, personne n'a pu me dire lequel, enfin quelque chose de pas bon. " Mais Jantrou Ă©tait dans une Ă©gale perplexitĂ©. PlacĂ© Ă la source des bruits, les fabriquant lui-mĂÂȘme au besoin, il se comparait plaisamment Ă un horloger, qui vit au milieu de centaines de pendules, et qui ne sait jamais l'heure exacte. GrĂÂące Ă son agence de publicitĂ©, s'il Ă©tait dans toutes les confidences, il n'y avait plus pour lui d'opinion publique et solide, car ses renseignements se contrecarraient et se dĂ©truisaient. " Je ne sais rien, rien du tout. - Oh ! vous ne voulez pas me dire. - Non, je ne sais rien, parole d'honneur ! Et moi qui projetais d'aller vous voir pour vous questionner ! Saccard n'est donc plus gentil ? " Elle eut un geste, qui le confirma dans ce qu'il avait devinĂ© une fin de liaison par lassitude mutuelle, la femme maussade, l'amant refroidi, ne causant plus. Il regretta un instant de n'avoir pas jouĂ© le rĂÂŽle de l'homme bien informĂ©, pour se la payer enfin, comme il disait, cette petite Ladricourt, dont le pĂšre le recevait Ă coups de botte. Mais il sentait que son heure n'Ă©tait pas venue ; et il continuait de la regarder, rĂ©flĂ©chissant tout haut. " Oui, c'est embĂÂȘtant, moi qui comptais sur vous... Parce que, n'est- ce pas ? s'il doit y avoir quelque catastrophe, il faudrait ĂÂȘtre prĂ©venu, afin de pouvoir se retourner... Oh ! je ne crois pas que ça presse, c'est trĂšs solide encore. Seulement, on voit des choses si drĂÂŽles... " A mesure qu'il la regardait ainsi, un plan germait dans sa tĂÂȘte. " Dites donc, reprit-il brusquement, puisque Saccard vous lĂÂąche, vous devriez vous mettre bien avec Gundermann. " Elle resta un moment surprise. " Gundermann, pourquoi ?... Je le connais un peu, je l'ai rencontrĂ© chez les de Roiville et chez les Keller. - Tant mieux, si vous le connaissez... Allez le voir sous un prĂ©texte, causez avec lui, tĂÂąchez d'ĂÂȘtre son amie... Vous imaginez-vous cela ĂÂȘtre la bonne amie de Gundermann, gouverner le monde ! " Et il ricanait, aux images licencieuses qu'il Ă©voquait du geste, car la froideur du juif Ă©tait connue, rien ne devait ĂÂȘtre plus compliquĂ© ni plus difficile que de le sĂ©duire. La baronne, ayant compris, eut un sourire muet, sans se fĂÂącher. " Mais rĂ©pĂ©ta-t-elle, pourquoi Gundermann ? " Il expliqua alors que, certainement, ce dernier Ă©tait Ă la tĂÂȘte du groupe de baissiers qui commençaient Ă manoeuvrer contre l'Universelle. ĂâĄa, il le savait, il en avait la preuve. Puisque Saccard n'Ă©tait pas gentil, la simple prudence n'Ă©tait-elle pas de se mettre bien avec son adversaire, sans rompre avec lui d'ailleurs ? On aurait un pied dans chaque camp, on serait assurĂ© d'ĂÂȘtre, le jour de la bataille, en compagnie du vainqueur. Et, cette trahison, il la proposait d'un air aimable, simplement en homme de bon conseil. Si une femme travaillait pour lui, il dormirait bien tranquille. " Hein ? voulez-vous ? soyons ensemble... Nous nous prĂ©viendrons, nous nous dirons tout ce que nous aurons appris. " Comme il s'emparait de sa main, elle la retira d'un mouvement instinctif croyant Ă autre chose. " Mais non, je n'y songe plus, puisque nous sommes camarades... Plus tard, c'est vous qui me rĂ©compenserez. " En riant, elle lui abandonna sa main, qu'il baisa. Et elle Ă©tait dĂ©jĂ sans mĂ©pris, oubliant le laquais qu'il avait Ă©tĂ©, ne le voyant plus dans la crapuleuse fĂÂȘte oĂÂč il tombait, le visage ruinĂ©, avec sa belle barbe qui empoisonnait l'absinthe, sa redingote neuve souillĂ©e de taches, son chapeau luisant tout Ă©raflĂ© du plĂÂątre de quelque escalier immonde. DĂšs le lendemain, la baronne Sandorff se rendit chez Gundermann. Celui-ci, depuis que les titres de l'Universelle avaient atteint le cours de deux mille francs, menait en effet toute une campagne Ă la baisse, dans la discrĂ©tion la plus grande, n'allant jamais Ă la Bourse, n'y ayant pas mĂÂȘme de reprĂ©sentant officiel. Son raisonnement Ă©tait qu'une action vaut d'abord son prix d'Ă©mission, ensuite l'intĂ©rĂÂȘt qu'elle peut rapporter, et qui dĂ©pend de la prospĂ©ritĂ© de la maison, du succĂšs des entreprises. Il y a donc une valeur maximum qu'elle ne doit raisonnablement pas dĂ©passer ; et, dĂšs qu'elle la dĂ©passe, par suite de l'engouement public, la hausse est factice, la sagesse est de se mettre Ă la baisse, avec la certitude qu'elle se produira. Dans sa conviction, dans son absolue croyance Ă la logique, il restait pourtant surpris des rapides conquĂÂȘtes de Saccard, de cette puissance tout d'un coup grandie, dont la haute banque juive commençait Ă s'Ă©pouvanter. Il fallait au plus tĂÂŽt abattre ce rival dangereux, non seulement pour rattraper les huit millions perdus au lendemain de Sadowa, mais surtout pour ne pas avoir Ă partager la royautĂ© du marchĂ© avec ce terrible aventurier, dont les casse-cou semblaient rĂ©ussir, contre tout bon sens, comme par miracle. Et Gundermann, plein du mĂ©pris de la passion, exagĂ©rait encore son flegme de joueur mathĂ©matique, d'une obstination froide d'homme chiffre, vendant toujours malgrĂ© la hausse continue, perdant Ă chaque liquidation des sommes de plus en plus considĂ©rables, avec la belle sĂ©curitĂ© d'un sage qui met simplement son argent Ă la Caisse d'Ă©pargne. Lorsque la baronne put enfin entrer, au milieu de la bousculade des employĂ©s et des remisiers, de la grĂÂȘle des piĂšces Ă signer et des dĂ©pĂÂȘches Ă lire, elle trouva le banquier souffrant d'un horrible rhume qui lui arrachait la gorge. Cependant, il Ă©tait lĂ depuis six heures du matin, toussant et crachant, extĂ©nuĂ© de fatigue, solide quand mĂÂȘme. Ce jour-lĂ , Ă la veille d'un emprunt Ă©tranger, a vaste salle Ă©tait envahie par un flot de visiteurs plus pressĂ© encore, que recevaient en coup de vent deux de ses fils et un de ses gendres ; tandis que, par terre, prĂšs de l'Ă©troite table qu'il s'Ă©tait rĂ©servĂ©e au fond, dans l'embrasure d'une fenĂÂȘtre, trois de ses petits-enfants, deux fillettes et un garçon, se disputaient avec des cri aigus une poupĂ©e dont un bras et une jambe gisaient dĂ©jĂ , arrachĂ©s. Tout de suite, la baronne donna son prĂ©texte. " Cher monsieur, j'ai voulu avoir en personne la bravoure de mon importunitĂ©... C'est pour une loterie de bienfaisance... " Il ne la laissa pas achever, il Ă©tait fort charitable, et prenait toujours deux billets, surtout lorsque des dames, rencontrĂ©es par lui dans le monde, se donnaient ainsi la peine de les lui apporter. Mais il dut s'excuser, un employĂ© venait lui soumettre le dossier d'une affaire. Des chiffres Ă©normes furent rapidement Ă©changĂ©s. " Cinquante-deux millions, dites-vous ? Et le crĂ©dit Ă©tait ? - De soixante millions, monsieur. - Eh bien, portez-le Ă soixante-quinze millions. " Il revenait Ă la baronne, lorsqu'un mot surpris dans une conversation que son gendre avait avec un remisier, le fit se prĂ©cipiter. " Mais pas du tout ! Au cours de cinq cent quatre-vingt-sept cinquante, cela fait dix sous de moins par action. - Oh ! monsieur, dit le remisier humblement, pour quarante-trois francs que ça ferait en moins ! - Comment, quarante-trois francs ! mais c'est Ă©norme ! Est-ce que vous croyez que je vole l'argent ? Chacun son compte, je ne connais que ça ! " Enfin, pour causer Ă l'aise, il se dĂ©cida Ă emmener la baronne dans la salle Ă manger, oĂÂč le couvert Ă©tait dĂ©jĂ mis. Il n'Ă©tait pas dupe du prĂ©texte de la loterie de bienfaisance, car il savait sa liaison, grĂÂące Ă toute une police obsĂ©quieuse qui le renseignait, et il se doutait bien qu'elle venait, poussĂ©e par quelque intĂ©rĂÂȘt grave. Aussi ne se gĂÂȘna-t-il pas. " Voyons, maintenant, dites-moi ce que vous avez Ă me dire. " Mais elle affecta la surprise. Elle n'avait rien Ă lui dire, elle avait Ă le remercier simplement de sa bontĂ©. " Alors, on ne vous a pas chargĂ©e d'une commission pour moi ? " Et il parut dĂ©sappointĂ©, comme s'il avait cru un instant qu'elle venait avec une mission secrĂšte de Saccard, quelque invention de ce fou. A prĂ©sent qu'ils Ă©taient seuls, elle le regardait en souriant, de son air ardent et menteur, qui excitait si inutilement les hommes. " Non, non, je n'ai rien Ă vous dire ; et puis, puisque vous ĂÂȘtes si bon, j'aurais plutĂÂŽt quelque chose Ă vous demander. " Elle s'Ă©tait penchĂ©e vers lui, elle effleurait ses genoux de ses fines mains gantĂ©es. Et elle se confessait, disait son mariage dĂ©plorable avec un Ă©tranger qui n'avait rien compris Ă sa nature, ni Ă ses besoins, expliquait comment elle avait dĂ» s'adresser au jeu pour ne pas dĂ©choir de sa situation. Enfin, elle parla de sa solitude, de la nĂ©cessitĂ© d'ĂÂȘtre conseillĂ©e, dirigĂ©e, sur cet effrayant terrain de la Bourse, oĂÂč chaque faux pas coĂ»te si cher. " Mais, interrompit-il, je croyais que vous aviez quelqu'un. - Oh ! quelqu'un, murmura-t-elle avec un geste de profond dĂ©dain. Non, non, ce n'est personne, je n'ai personne... C'est vous que je voudrais avoir, le maĂtre, le dieu. Et cela, vraiment, ne vous coĂ»terait guĂšre d'ĂÂȘtre mon ami, de me dire un mot, rien qu'un mot, de loin en loin. Si vous saviez comme vous me rendriez heureuse, comme je vous serais reconnaissante, oh ! de tout mon ĂÂȘtre ! " Elle s'approchait encore, l'enveloppait de sa tiĂšde haleine, de l'odeur fine et puissante qui s'exhalait d'elle tout entiĂšre. Mais il restait bien calme, et il ne se recula mĂÂȘme pas, la chair morte, sans un aiguillon Ă rĂ©primer. Tandis qu'elle parlait, lui dont l'estomac Ă©tait Ă©galement dĂ©truit, et qui vivait de laitage, il prenait un Ă un, dans un compotier, sur la table, des grains de raisin qu'il mangeait d'un geste machinal, l'unique dĂ©bauche qu'il se permettait parfois, aux grandes heures de sensualitĂ©, quitte Ă la payer par des journĂ©es de souffrance. Il eut un rire narquois, en homme qui se sait invincible, lorsque la baronne, d'un air d'oubli, dans le feu de sa priĂšre, lui posa enfin sur le genou sa petite main tentatrice, aux doigts dĂ©vorants, souples comme un noeud de couleuvres. Plaisamment, il prit cette main, l'Ă©carta en disant merci d'un signe de tĂÂȘte, ainsi que pour un cadeau inutile qu'on refuse. Et, sans perdre son temps davantage, allant droit au but " Voyons, vous ĂÂȘtes bien gentille, je voudrais vous ĂÂȘtre agrĂ©able... Ma belle amie, le jour oĂÂč vous m'apporterez un bon conseil, je m'engage Ă vous en donner un aussi. Venez me dire ce qu'on fait, et je vous dirai ce que je ferai... Affaire conclue, hein ? " Il s'Ă©tait levĂ©, et elle dut rentrer avec lui dans la grande salle voisine. Elle avait parfaitement compris le marchĂ© qu'il proposait, l'espionnage, la trahison. Mais elle ne voulut pas rĂ©pondre, elle affecta de reparler de sa loterie de bienfaisance ; tandis que lui, de son hochement de tĂÂȘte goguenard, semblait ajouter qu'il ne tenait pas Ă ĂÂȘtre aidĂ©, que le dĂ©nouement logique, fatal, arriverait quand mĂÂȘme, un peu plus tard peut-ĂÂȘtre. Et, lorsqu'elle partit enfin, il Ă©tait dĂ©jĂ repris par d'autres affaires, dans l'extraordinaire tumulte de cette halle aux capitaux, au milieu du dĂ©filĂ© des gens de Bourse, de la galopade de ses employĂ©s, des jeux de ses petits-enfants, qui venaient d'arracher la tĂÂȘte de la poupĂ©e, avec des cris de triomphe. Il s'Ă©tait assis Ă son Ă©troite table, il s'absorba dans l'Ă©tude d'une idĂ©e soudaine, n'entendit plus rien. Deux fois, la baronne Sandorff retourna aux bureaux de L'EspĂ©rance , pour rendre compte de sa dĂ©marche Ă Jantrou, sans le rencontrer. Dejoie enfin l'introduisit, un jour que sa fille Nathalie causait avec Mme Jordan sur une banquette du couloir. Il tombait, depuis la veille, une pluie diluvienne ; et, par ce temps humide et gris, l'entresol du vieil hĂÂŽtel, au fond du puisard assombri de la cour, Ă©tait d'une mĂ©lancolie affreuse. Le gaz brĂ»lait dans un demi-jour boueux. Marcelle, qui attendait Jordan en chasse pour donner un nouvel acompte Ă Busch, Ă©coutait d'un air triste Nathalie caquetant comme une pie vaniteuse, avec sa voix sĂšche, ses gestes aigus de fille de Paris poussĂ©e trop vite. " Vous comprenez, madame, papa ne veut pas vendre... Il y a une personne qui le pousse Ă vendre, en tĂÂąchant de lui faire peur. Je ne la nomme pas, cette personne, parce que son rĂÂŽle, bien sĂ»r, n'est guĂšre d'effrayer le monde... C'est moi, maintenant, qui empĂÂȘche papa de vendre... Plus souvent que je vende, quand ça monte ! Faudrait ĂÂȘtre joliment godiche, n'est-ce pas ? - Certes ! rĂ©pondit simplement Marcelle. - Vous savez que nous sommes Ă deux mille cinq cents, continua Nathalie. Je tiens les comptes, moi, car papa ne sait guĂšre Ă©crire... Alors, avec nos huit actions, ça nous donne dĂ©jĂ vingt mille francs. Hein ? c'est joli !... Papa voulait d'abord s'arrĂÂȘter Ă dix-huit mille, ça faisait son chiffre six mille francs pour ma dot, et douze mille pour lui, une petite rente de six cents francs, qu'il aurait bien gagnĂ©e, avec toutes ces Ă©motions... Mais est-ce heureux, dites ? qu'il n'ait pas vendu, puisque voilĂ encore deux mille francs de plus !... Alors, maintenant, nous voulons davantage, nous voulons une rente de mille francs au moins. Et nous l'aurons, M. Saccard nous l'a bien dit... " Il est si gentil, M. Saccard ! " Marcelle ne put s'empĂÂȘcher de sourire. " Vous ne vous mariez donc plus ? - Si, si, lorsque ça aura fini de monter... Nous Ă©tions pressĂ©s, le pĂšre de ThĂ©odore surtout, Ă cause de son commerce. Seulement, que voulez-vous ? on ne peut pas boucher la source, quand l'argent arrive. Oh ! ThĂ©odore comprend trĂšs bien, attendu que si papa a davantage de rente, c'est davantage de capital qui nous reviendra un jour. Dame ! c'est Ă considĂ©rer... Et voilĂ , tout le monde attend. On a les six mille francs depuis des mois, on pourrait se marier ; mais on aime mieux les laisser faire des petits... Est-ce que vous lisez les articles sur les actions, vous ? " Et, sans attendre la rĂ©ponse " Moi, je les lis, le soir. Papa m'apporte les journaux... Il les a dĂ©jĂ lus, et il faut que je les lui relise... Jamais on ne s'en lasserait, tant c'est beau, tout ce qu'ils promettent. Quand je me couche, j'en ai la tĂÂȘte pleine, j'en rĂÂȘve la nuit. Et papa me dit aussi qu'il voit des choses qui sont un trĂšs bon signe. Avant-hier, nous avons fait le mĂÂȘme songe, des piĂšces de cent sous que nous ramassions Ă la pelle, dans la rue. C'est trĂšs amusant. " De nouveau, elle s'interrompit pour demander " Combien avez-vous d'actions, vous ? - Nous, pas une ! " rĂ©pondit Marcelle. La petite figure blonde de Nathalie, avec ses mĂšches pĂÂąles envolĂ©es, prit un air de commisĂ©ration immense. Ah ! les pauvres gens qui n'avaient pas d'actions ! Et, son pĂšre l'ayant appelĂ©e, pour la charger de remettre un paquet d'Ă©preuves Ă un rĂ©dacteur, en remontant aux Batignolles, elle s'en alla, avec une importance amusante de capitaliste, qui, presque tous les jours, maintenant, descendait au journal, afin de connaĂtre plus tĂÂŽt le cours de la Bourse. RestĂ©e seule sur la banquette, Marcelle retomba dans une songerie mĂ©lancolique, elle si gaie et si brave d'habitude. Mon Dieu ! qu'il faisait noir, qu'il faisait triste ! et son pauvre mari qui courait les rues par cette pluie diluvienne ! Il avait un tel mĂ©pris de l'argent, un tel malaise Ă la seule idĂ©e de s'en occuper, cela lui coĂ»tait un si gros effort d'en demander, mĂÂȘme Ă ceux qui lui en devaient ! Et, absorbĂ©e, n'entendant rien, elle revivait sa journĂ©e depuis son rĂ©veil, cette journĂ©e mauvaise ; tandis que, autour d'elle, se faisait le travail fiĂ©vreux du journal, le galop des rĂ©dacteurs, le va-et-vient de la copie, au milieu des battements de porte et des coups de sonnette. D'abord, dĂšs neuf heures, comme Jordan venait de partir pour toute une enquĂÂȘte sur un accident dont il devait rendre compte Marcelle, Ă peine dĂ©barbouillĂ©e, encore en camisole, avait eu la stupeur de voir tomber chez eux Busch, en compagnie de deux messieurs trĂšs sales, peut- ĂÂȘtre des huissiers, peut-ĂÂȘtre des bandits, ce qu'elle n'avait jamais pu dĂ©cider au juste. Cet abominable Busch, sans doute abusant de ce qu'il ne trouvait lĂ qu'une femme, dĂ©clarait qu'ils allaient tout saisir, si elle ne le payait pas sur-le-champ. Et elle avait eu beau se dĂ©battre, n'ayant eu connaissance d'aucune des formalitĂ©s lĂ©gales il affirmait la signification du jugement, l'apposition de l'affiche, avec une telle carrure, qu'elle en Ă©tait restĂ©e Ă©perdue, finissant par croire Ă la possibilitĂ© de ces choses sans qu'on les sache. Mais elle ne se rendait point, expliquait que son mari ne rentrerait mĂÂȘme pas dĂ©jeuner, qu'elle ne laisserait toucher Ă rien, avant qu'il fĂ»t lĂ . Alors, entre les trois louches personnages et cette jeune femme, Ă moitiĂ© dĂ©vĂÂȘtue, les cheveux sur les Ă©paules, avait commencĂ© la plus pĂ©nible des scĂšnes, eux inventoriant dĂ©jĂ les objets, elle fermant les armoires, se jetant devant la porte, comme pour les empĂÂȘcher de rien sortir. Son pauvre petit logement dont elle Ă©tait si fiĂšre, ses quatre meubles qu'elle faisait reluire, la tenture d'andrinople de la chambre qu'elle avait clouĂ©e elle-mĂÂȘme ! Ainsi qu'elle le criait avec une bravoure guerriĂšre, il faudrait lui marcher sur le corps ; et elle traitait Busch de canaille et de voleur, Ă la volĂ©e oui ! un voleur, qui n'avait pas honte de rĂ©clamer sept cent trente francs quinze centimes, sans compter les nouveaux frais, pour une crĂ©ance de trois cents francs, une crĂ©ance achetĂ©e par lui cent sous, au tas, avec des chiffons et de la vieille ferraille ! Dire qu'ils avaient dĂ©jĂ , par acomptes, donnĂ© quatre cents francs, et que ce voleur-lĂ parlait d'emporter leurs meubles, en paiement des trois cents et tant de francs qu'il voulait leur voler encore ! Et il savait parfaitement qu'ils Ă©taient de bonne foi, qu'ils l'auraient payĂ© tout de suite, s'ils avaient eu la somme. Et il profitait de ce qu'elle Ă©tait seule, incapable de rĂ©pondre, ignorante de la procĂ©dure, pour l'effrayer et la faire pleurer. Canaille ! voleur ! voleur ! Furieux, Busch criait plus haut qu'elle, se tapait violemment la poitrine est-ce qu'il n'Ă©tait pas un honnĂÂȘte homme ? est-ce qu'il n'avait pas payĂ© la crĂ©ance de bel et bon argent ? il Ă©tait en rĂšgle avec la loi, il entendait en finir. Cependant, comme un des deux messieurs trĂšs sales ouvrait les tiroirs de la commode, Ă la recherche du linge, elle avait eu une attitude si terrible, menaçant d'ameuter la maison et la rue, que le juif s'Ă©tait un peu radouci. Enfin, aprĂšs une demi-heure encore de basse discussion, il avait consenti Ă attendre jusqu'au lendemain, avec l'enragĂ© serment que prendrait tout, le lendemain, si elle lui manquait de parole. Oh ! quelle honte brĂ»lante dont elle souffrait encore, ces vilains hommes chez eux, blessant toutes ses tendresses, toutes ses pudeurs, fouillant jusqu'au lit, empestant la chambre si heureuse, ont elle avait dĂ» laisser la fenĂÂȘtre grande ouverte, aprĂšs leur dĂ©part ! Mais un autre chagrin, plus profond, attendait Marcelle, ce jour-lĂ . L'idĂ©e lui Ă©tait venue de courir tout de suite chez ses parents, pour leur emprunter la somme de cette maniĂšre, lorsque son mari rentrerait, le soir, elle ne le dĂ©sespĂ©rerait pas, elle pourrait le faire rire avec la scĂšne du matin. DĂ©jĂ , elle se voyait lui racontant la grande bataille, l'assaut fĂ©roce donnĂ© Ă leur mĂ©nage, la façon hĂ©roĂÂŻque dont elle avait repoussĂ© l'attaque. Le coeur lui battait trĂšs fort, en entrant dans le petit hĂÂŽtel de la rue Legendre, cette maison cossue oĂÂč elle avait grandi et oĂÂč elle croyait ne plus trouver que des Ă©trangers, tellement l'air lui semblait, autre, glacial. Comme ses parents se mettaient Ă table, elle avait acceptĂ© de dĂ©jeuner, pour les disposer mieux. Tout le temps du repas, la conversation Ă©tait restĂ©e sur la hausse des actions de l'Universelle, dont, la veille encore, le cours avait montĂ© de vingt francs ; et elle s'Ă©tonnait de trouver sa mĂšre plus enfiĂ©vrĂ©e, plus ĂÂąpre que son pĂšre, elle qui, au commencement, tremblait Ă la seule idĂ©e de spĂ©culation maintenant, avec une violence de femme conquise, c'Ă©tait elle qui le gourmandait de sa timiditĂ©, acharnĂ©e aux grands coups du hasard. DĂšs les hors-d'oeuvre, elle s'Ă©tait emportĂ©e, saisie de ce qu'il parlait de vendre leurs soixante-quinze actions Ă ce cours inespĂ©rĂ© de deux mille cinq cent vingt francs, ce qui leur aurait fait cent quatre-vingt-neuf mille francs, un joli gain, plus de cent mille francs sur le prix d'achat. Vendre ! quand La Cote financiĂšre promettait le cours de trois mille francs ! est-ce qu'il devenait fou ? Car, enfin, La Cote financiĂšre Ă©tait connue pour sa vieille honnĂÂȘtetĂ©, lui-mĂÂȘme rĂ©pĂ©tait souvent qu'avec ce journal-lĂ on pouvait dormir sur ses deux oreilles ! Ah ! non, par exemple, elle ne le laisserait pas vendre ! elle vendrait plutĂÂŽt l'hĂÂŽtel, pour acheter encore ! Et Marcelle, silencieuse, le coeur serrĂ© Ă entendre voler passionnĂ©ment ces gros chiffres, cherchait comment elle allait oser demander un prĂÂȘt de cinq cents francs, dans cette maison envahie par le jeu, oĂÂč elle avait vu monter peu Ă peu le flot des journaux financiers, qui la submergeaient aujourd'hui du rĂÂȘve grisant de leur publicitĂ©. Enfin, au dessert, elle s'Ă©tait risquĂ©e il leur fallait cinq cents francs, on allait les vendre, ses parents ne pouvaient les abandonner dans ce dĂ©sastre. Le pĂšre, tout de suite, avait baissĂ© la tĂÂȘte, avec un coup d'oeil embarrassĂ© vers sa femme. Mais dĂ©jĂ la mĂšre refusait d'une voix nette. Cinq cents francs ! oĂÂč voulait-on qu'elle les trouvĂÂąt ? Tous leurs capitaux Ă©taient engagĂ©s dans des opĂ©rations ; et, d'ailleurs, ses anciennes diatribes revenaient quand on avait Ă©pousĂ© un meurt-de-faim, un homme qui Ă©crivait des livres, on acceptait les consĂ©quences de sa sottise, on n'essayait pas de retomber Ă la charge des siens. Non ! elle n'avait pas un sou pour les paresseux qui, avec leur beau mĂ©pris affectĂ© de l'argent, ne rĂÂȘvent que de manger celui des autres. Et elle avait laissĂ© partir sa fille, et celle-ci s'en Ă©tait allĂ©e dĂ©sespĂ©rĂ©e, le coeur saignant de ne plus reconnaĂtre sa mĂšre, elle si raisonnable et si bonne autrefois. Dans la rue, Marcelle avait marchĂ©, inconsciente, regardant si elle ne trouverait pas de l'argent par terre. Puis l'idĂ©e brusque lui Ă©tait venue de s'adresser Ă l'oncle Chave ; et, immĂ©diatement, elle s'Ă©tait prĂ©sentĂ©e au discret rez-de-chaussĂ©e de la rue Nollet, pour ne pas le manquer, avant la Bourse. Il y avait eu des chuchotements, des rires de fillettes. Pourtant, la porte ouverte, elle avait aperçu le capitaine seul, fumant sa pipe, et il s'Ă©tait dĂ©solĂ©, l'air furieux contre lui- mĂÂȘme, en criant qu'il n'avait jamais cent francs d'avance, qu'il mangeait au jour le jour ses petits gains de Bourse, comme un sale cochon qu'il Ă©tait. Ensuite, en apprenant le refus des Maugendre, il avait tonnĂ© contre eux, de vilains bougres encore ceux-lĂ , qu'il ne voyait plus d'ailleurs, depuis que la hausse de leurs quatre actions les rendait fous. Est-ce que, l'autre semaine, sa soeur ne l'avait pas traitĂ© de liardeur, comme pour tourner en ridicule son jeu prudent, parce qu'il lui conseillait amicalement de vendre ? En voilĂ une qu'il ne plaindrait pas, lorsqu'elle se casserait le cou ! Et Marcelle, de nouveau dans la rue, les mains vides, avait dĂ» se rĂ©signer Ă se rendre au journal, pour avertir son mari de ce qui s'Ă©tait passĂ©, le matin. Il fallait absolument payer Busch. Jordan, dont le livre n'Ă©tait encore acceptĂ© par aucun Ă©diteur, venait de se lancer Ă la chasse de l'argent, au travers du Paris boueux de cette journĂ©e de pluie, sans savoir oĂÂč frapper, chez des amis, dans les journaux oĂÂč il Ă©crivait, au hasard de la rencontre. Bien qu'il l'eĂ»t suppliĂ©e de rentrer chez eux, elle Ă©tait tellement anxieuse, qu'elle avait prĂ©fĂ©rĂ© rester lĂ , sur cette banquette, Ă l'attendre. AprĂšs le dĂ©part de sa fille, lorsqu'il la vit seule, Dejoie lui apporta un journal. " Si madame veut lire, pour prendre patience. " Mais elle refusa du geste, et comme Saccard arrivait, elle fit la vaillante, elle expliqua gaiement qu'elle avait envoyĂ© son mari dans le quartier, une course ennuyeuse dont elle s'Ă©tait dĂ©barrassĂ©e. Saccard, qui avait de l'amitiĂ© pour le petit mĂ©nage, comme il les nommait, voulait absolument qu'elle entrĂÂąt chez lui attendre Ă l'aise. Elle s'en dĂ©fendit, elle Ă©tait bien lĂ . Et il cessa d'insister, dans la surprise qu'il Ă©prouva, Ă se trouver nez Ă nez, brusquement, avec la baronne Sandorff, qui sortait de chez Jantrou. D'ailleurs, ils se sourirent, d'un air d'aimable intelligence, en gens qui Ă©changent un simple salut, pour ne pas s'afficher. Jantrou, dans leur conversation, venait de dire Ă la baronne qu'il n'osait plus lui donner de conseil. Sa perplexitĂ© augmentait, devant la soliditĂ© de l'Universelle, sous les efforts croissants des baissiers sans doute Gundermann l'emporterait, mais Saccard pouvait durer longtemps, et il y avait peut-ĂÂȘtre gros Ă gagner encore avec lui. Il l'avait dĂ©cidĂ©e Ă temporiser, Ă les mĂ©nager tous deux. Le mieux Ă©tait de tĂÂącher d'avoir toujours les secrets de l'un, en se montrant aimable, de maniĂšre Ă les garder pour elle et Ă en profiter, ou bien Ă les vendre Ă l'autre, selon l'intĂ©rĂÂȘt. Et cela sans complot noir, arrangĂ© par lui d'un air de plaisanterie, tandis qu'elle-mĂÂȘme lui promettait en riant de le mettre dans l'affaire. " Alors, elle est sans cesse fourrĂ©e chez vous, c'est votre tour ? " dit Saccard avec sa brutalitĂ©, en entrant dans le cabinet de Jantrou. Celui-ci joua l'Ă©tonnement. " Qui donc ?... Ah ! la baronne.... Mais, mon cher maĂtre, elle vous adore. Elle me le disait encore tout Ă l'heure. " D'un geste d'homme qu'on ne trompe pas, le vieux corsaire l'avait arrĂÂȘtĂ©. Et il le regardait, dans sa dĂ©chĂ©ance de basse dĂ©bauche, en pensant que, si elle avait cĂ©dĂ© Ă la curiositĂ© de savoir comment Sabatani Ă©tait fait, elle pouvait bien vouloir goĂ»ter au vice de cette ruine. " Ne vous dĂ©fendez pas, mon cher. Quand une femme joue, elle tomberait au commissionnaire du coin, qui lui porterait un ordre. " Jantrou fut trĂšs blessĂ©, et il se contenta de rire, en s'obstinant Ă expliquer la prĂ©sence chez lui de la baronne, qui Ă©tait venue, disait- il, pour une question de publicitĂ©. D'ailleurs, Saccard, d'un haussement d'Ă©paules, avait dĂ©jĂ jetĂ© de cĂÂŽtĂ© cette question de femme, sans intĂ©rĂÂȘt, selon lui. Debout, allant et venant, se plantant devant la fenĂÂȘtre pour regarder tomber l'Ă©ternelle pluie grise, il exhalait sa joie Ă©nervĂ©e. Oui, l'Universelle avait encore montĂ© de vingt francs, la veille ! Mais comment diable se faisait-il que des vendeurs s'acharnaient ? car la hausse serait allĂ©e jusqu'Ă trente francs, sans un paquet de titres qui Ă©tait tombĂ© sur le marchĂ©, dĂšs la premiĂšre heure. Ce qu'il ignorait, c'Ă©tait que Mme Caroline avait de nouveau vendu mille de ses actions, luttant elle-mĂÂȘme contre la hausse dĂ©raisonnable, ainsi que son frĂšre lui en avait laissĂ© l'ordre. Certes, Saccard ne pouvait se plaindre devant le succĂšs grandissant, et cependant il Ă©tait agitĂ©, ce jour-lĂ , d'un tremblement intĂ©rieur, fait de sourde crainte et de colĂšre. Il criait que les sales juifs avaient jurĂ© sa perte et que cette canaille de Gundermann venait de se mettre Ă la tĂÂȘte d'un syndicat de baissiers pour l'Ă©craser. On le lui avait affirmĂ© Ă la Bourse, on y parlait d'une somme de trois cents millions, destinĂ©e par le syndicat Ă nourrir la baisse. Ah ! les brigands ! Et ce qu'il ne rĂ©pĂ©tait pas ainsi tout haut, c'Ă©taient les autres bruits qui couraient, plus nets de jour en jour, des rumeurs contestant la soliditĂ© de l'Universelle, allĂ©guant dĂ©jĂ des faits, des symptĂÂŽmes de difficultĂ©s prochaines, sans avoir encore, il est vrai, Ă©branlĂ© en rien l'aveugle confiance du public. Mais la porte fut poussĂ©e, et Huret entra, de son air d'homme simple. " Ah ! vous voilĂ donc, Judas ! " dit Saccard. Huret, en apprenant que Rougon allait dĂ©cidĂ©ment abandonner son frĂšre, s'Ă©tait remis avec le ministre ; car il avait la conviction que, le jour oĂÂč Saccard aurait Rougon contre lui, ce serait la catastrophe inĂ©vitable. Pour obtenir son pardon, il Ă©tait rentrĂ© dans la domesticitĂ© du grand homme, faisant de nouveau ses courses, risquant Ă son service les gros mots et les coups de pied au derriĂšre. " Judas, rĂ©pĂ©ta-t-il avec le fin sourire qui Ă©clairait parfois sa face Ă©paisse de paysan, en tout cas un Judas brave homme qui vient donner un avis dĂ©sintĂ©ressĂ© au maĂtre qu'il a trahi " Mais Saccard, comme s'il ne voulait pas l'entendre, cria, simplement pour affirmer son triomphe " Hein ? deux mille cinq cent vingt hier, deux mille cinq cent vingt- cinq aujourd'hui. - Je sais j'ai vendu tout Ă l'heure. " Du coup, la colĂšre qu'il dissimulait sous son air de plaisanterie, Ă©clata. " Comment, vous avez vendu ?... Ah ! bien, c'est complet, alors ! Vous me lĂÂąchez pour Rougon et vous vous mettez avec Gundermann ! " Le dĂ©putĂ© le regardait, Ă©bahi. " Avec Gundermann, pourquoi ?... Je me mets avec mes intĂ©rĂÂȘts, oh ! simplement ! Moi, vous savez, je ne suis pas un casse-cou. Non, je n'ai pas tant d'estomac, j'aime mieux rĂ©aliser tout de suite, dĂšs qu'il y a un joli bĂ©nĂ©fice. Et c'est peut-ĂÂȘtre bien pour cela que je n'ai jamais perdu. " Il souriait de nouveau, en Normand prudent et avisĂ©, qui, sans fiĂšvre, engrangeait sa moisson. " Un administrateur de la sociĂ©tĂ© ! continuait Saccard violemment. Mais qui voulez-vous donc qui ait confiance ? que doit-on penser, Ă vous voir vendre ainsi, en plein mouvement de hausse ? Parbleu ! je ne m'Ă©tonne plus, si l'on prĂ©tend que notre prospĂ©ritĂ© est factice et que le jour de la dĂ©gringolade approche... Ces messieurs vendent, vendons tous. C'est la panique ! " Huret, silencieux, eut un geste vague. Au fond, il s'en moquait, son affaire Ă©tait faite. Il n'avait Ă prĂ©sent que le souci de remplir la mission dont Rougon l'avait chargĂ©, le plus proprement possible, sans avoir trop Ă en souffrir lui-mĂÂȘme. " Je vous disais donc, mon cher, que j'Ă©tais venu pour vous donner un avis dĂ©sintĂ©ressĂ©... Le voici. Soyez sage, votre frĂšre est furieux, il vous abandonnera carrĂ©ment, si vous vous laissez vaincre. " Saccard, refrĂ©nant sa colĂšre, ne broncha pas. " C'est lui qui vous envoie me dire ça ? " AprĂšs une hĂ©sitation, le dĂ©putĂ© jugea prĂ©fĂ©rable d'avouer. " Eh bien, oui, c'est lui... Oh ! vous ne supposez pas que les attaques de L'EspĂ©rance soient pour quelque chose dans son irritation. Il est au-dessus de ces blessures d'amour-propre... Non ! mais en vĂ©ritĂ©, songez combien la campagne catholique de votre journal doit gĂÂȘner sa politique actuelle. Depuis ces malheureuses complications de Rome, il a tout le clergĂ© Ă dos, il vient encore d'ĂÂȘtre forcĂ© de faire condamner un Ă©vĂÂȘque comme d'abus... Et, pour l'attaquer, vous allez justement choisir le moment oĂÂč il a grand-peine Ă ne pas se laisser dĂ©border par l'Ă©volution libĂ©rale, nĂ©e des rĂ©formes du 9 janvier, qu'il a consenti Ă appliquer, comme on dit, dans l'unique dĂ©sir de les endiguer sagement... Voyons, vous ĂÂȘtes son frĂšre, croyez-vous qu'il soit content ? - En effet, rĂ©pondit Saccard railleur, c'est bien vilain de ma part... VoilĂ ce pauvre frĂšre, qui, dans sa rage de rester ministre, gouverne au nom des principes qu'il combattait hier, et qui s'en prend Ă moi, parce qu'il ne sait plus comment se tenir en Ă©quilibre, entre la droite, tachĂ©e d'avoir Ă©tĂ© trahie, et le tiers Ă©tat, affamĂ© du pouvoir. Hier encore, pour calmer les catholiques, il lançait son fameux Jamais ! il jurait que jamais la France ne laisserait l'Italie prendre Rome au pape. Aujourd'hui, dans sa terreur des libĂ©raux, il voudrait bien leur donner aussi un gage, il daigne songer Ă m'Ă©gorger pour leur plaire... L'autre semaine, Emile Olivier l'a secouĂ© vertement Ă la Chambre... - Oh ! interrompit Huret, il a toujours la confiance des Tuileries, l'empereur lui a envoyĂ© une plaque de diamants. " Mais, d'un geste Ă©nergique, Saccard disait qu'il n'Ă©tait pas dupe. " L'Universelle est dĂ©sormais trop puissante, n'est-ce pas ? Une banque catholique, qui menace d'envahir le monde, de le conquĂ©rir par l'argent comme on le conquĂ©rait jadis par la loi, est-ce que cela peut se tolĂ©rer ? Tous les libres penseurs, tous les francs-maçons, en passe de devenir ministres, en ont froid dans les os... Peut-ĂÂȘtre aussi a-t-on quelque emprunt Ă tripoter avec Gundermann. Qu'est-ce qu'un gouvernement deviendrait, s'il ne se laissait pas manger par ces sales juifs ?... Et voilĂ mon imbĂ©cile de frĂšre qui, pour garder le pouvoir six mois de plus, va me jeter en pĂÂąture aux sales juifs, aux libĂ©raux, Ă toute la racaille, dans l'espĂ©rance qu'on le laissera un peu tranquille, pendant qu'on me dĂ©vorera... Eh bien, retournez lui dire que je me fous de lui... " Il redressait sa petite taille, sa rage crevait enfin son ironie, en une fanfare batailleuse de clairon. " Entendez-vous bien, je me fous de lui ! C'est ma rĂ©ponse, je veux qu'il le sache. " Huret avait pliĂ© les Ă©paules. DĂšs qu'on se fĂÂąchait, dans les affaires, ce n'Ă©tait plus son genre. AprĂšs tout, il n'Ă©tait lĂ -dedans qu'un commissionnaire. " Bon, bon ! on le lui dira... Vous allez vous faire casser les reins. Mais ça vous regarde. " Il y eut un silence. Jantrou, qui Ă©tait restĂ© absolument muet, en affectant d'ĂÂȘtre tout entier Ă la correction d'un paquet d'Ă©preuves, avait levĂ© les yeux, pour admirer Saccard. Etait-il beau, le bandit, dans sa passion ! Ces canailles de gĂ©nie parfois triomphent, Ă ce degrĂ© d'inconscience, lorsque l'ivresse du succĂšs les emporte. Et Jantrou, Ă ce moment, Ă©tait pour lui, convaincu de sa fortune. " Ah ! J'oubliais, reprit Huret. Il paraĂt que Delcambre, le procureur gĂ©nĂ©ral vous exĂšcre... Et, ce que vous ignorez encore, l'empereur l'a nommĂ© ce matin ministre de la Justice. " Brusquement, Saccard s'Ă©tait arrĂÂȘtĂ©. Le visage assombri, il dit enfin " Encore de la propre marchandise ! Ah ! on a fait un ministre de ça. Qu'est-ce que vous voulez que ça me fiche ? - Dame ! reprit Huret en exagĂ©rant son air simple, si un malheur vous arrivait, comme ça arrive Ă tout le monde, dans les affaires, votre frĂšre veut que vous ne comptiez pas sur lui, pour vous dĂ©fendre contre Delcambre. - Mais, tonnerre de Dieu ! hurla Saccard, quand je vous dis que je me fous de toute la clique, de Rougon, de Delcambre, et de vous par- dessus le marchĂ© ! " Heureusement, Ă cette minute, Daigremont entra. Il ne montait jamais au journal, ce fut une surprise pour tous, qui coupa court aux violences. TrĂšs correct, il distribua des poignĂ©es de main en souriant, d'une amabilitĂ© flatteuse d'homme du monde. Sa femme allait donner une soirĂ©e, oĂÂč elle chanterait ; et il venait simplement inviter en personne Jantrou, pour avoir un bon article. Mais la prĂ©sence de Saccard parut le ravir. " Comment va, grand homme ? - Dites donc, vous n'avez pas vendu, vous ? " demanda celui-ci, sans rĂ©pondre. Vendre, ah ! non, pas encore ! Et son Ă©clat de rire fut trĂšs sincĂšre, il Ă©tait rĂ©ellement de soliditĂ© plus grande. " Mais il ne faut jamais vendre, dans notre situation ! s'Ă©cria Saccard. - Jamais ! c'est ce que je voulais dire. Nous sommes tous solidaires, vous savez que vous pouvez compter sur moi. " Ses paupiĂšres avaient battu, il venait d'avoir un regard oblique, tandis qu'il rĂ©pondait des autres administrateurs, de SĂ©dille, de Kolb, du marquis de Bohain, comme de lui-mĂÂȘme. L'affaire marchait si bien, c'Ă©tait vraiment un plaisir d'ĂÂȘtre tous d'accord, dans le plus extraordinaire succĂšs que la Bourse eĂ»t vu depuis cinquante ans. Et il eut un mot charmant pour chacun, il s'en alla en rĂ©pĂ©tant qu'il comptait sur eux trois, pour sa soirĂ©e. Mounier, le tĂ©nor de l'OpĂ©ra, y donnerait la rĂ©plique Ă sa femme. Oh ! un effet considĂ©rable ! " Alors, demanda Huret partant Ă son tour, c'est tout ce que vous avez Ă me rĂ©pondre ? - Parfaitement ! " dĂ©clara Saccard, de sa voix sĂšche. Et il affecta de ne pas descendre avec lui, comme Ă son habitude. Puis, lorsqu'il se retrouva seul avec le directeur du journal. " C'est la guerre, mon brave ! Il n'y a plus rien Ă mĂ©nager, tapez- moi sur toutes ces fripouilles !... Ah ! je vais donc pouvoir enfin mener la bataille comme je l'entends ! - Tout de mĂÂȘme, c'est raide ! " conclut Jantrou, dont les perplexitĂ©s recommençaient. Dans le couloir, sur la banquette, Marcelle attendait toujours. Il Ă©tait Ă peine quatre heures, et Dejoie venait dĂ©jĂ d'allumer les lampes, tellement la nuit tombait vite, sous le ruissellement blafard et entĂÂȘtĂ© de la pluie. Chaque fois qu'il passait prĂšs d'elle, il trouvait un petit mot pour la distraire. Du reste, les allĂ©es et venues des rĂ©dacteurs s'activaient, des Ă©clats de voix sortaient de la salle voisine, toute cette fiĂšvre qui montait, Ă mesure que se faisait le journal. Marcelle, brusquement, en levant les yeux, aperçut Jordan devant elle. Il Ă©tait trempĂ©, l'air anĂ©anti, avec ce tressaillement de la bouche, ce regard un peu fou des gens qui ont couru longtemps derriĂšre quelque espoir, sans l'atteindre. Elle avait compris. " Rien, n'est-ce pas ? demanda-t-elle, pĂÂąlissante. - Rien, ma chĂ©rie, rien du tout... Nulle part, pas possible... " Et elle n'eut alors qu'une plainte basse, oĂÂč tout son coeur saignait. " Oh ! mon Dieu ! " A ce moment, Saccard sortait du bureau de Jantrou, et il s'Ă©tonna de la trouver lĂ encore. " Comment, madame, votre coureur de mari ne fait que de revenir ? Je vous disais bien d'entrer l'attendre dans mon cabinet. " Elle le regardait fixement, une pensĂ©e soudaine s'Ă©tait Ă©veillĂ©e dans ses grands yeux dĂ©solĂ©s. Elle ne rĂ©flĂ©chit mĂÂȘme pas, elle cĂ©da Ă cette bravoure qui jette les femmes en avant, aux minutes de passion. " Monsieur Saccard, j'ai quelque chose Ă vous demander... Si vous vouliez bien, maintenant, que nous passions chez vous... - Mais certainement, madame. " Jordan, qui craignait d'avoir devinĂ©, voulait la retenir. Il lui balbutiait Ă l'oreille des non ! non ! entrecoupĂ©s, dans l'angoisse maladive oĂÂč le jetaient toujours ces questions d'argent. Elle s'Ă©tait dĂ©gagĂ©e, il dut la suivre. " Monsieur Saccard, reprit-elle, dĂšs que la porte fut refermĂ©e, mon mari court inutilement depuis deux heures pour trouver cinq cents francs, et il n'ose pas vous les demander... Alors, moi, je vous les demande... Et, de verve, avec ses airs drĂÂŽles de petite femme gaie et rĂ©solue, elle conta son affaire du matin, l'entrĂ©e brutale de Busch, l'envahissement de sa chambre par les trois hommes, comment elle Ă©tait parvenue Ă repousser l'assaut, l'engagement qu'elle avait pris de payer le jour mĂÂȘme. Ah ! ces plaies d'argent pour le petit monde, ces grandes douleurs faites de honte et d'impuissance, la vie remise sans cesse en question, Ă propos de quelques misĂ©rables piĂšces de cent sous ! " Busch, rĂ©pĂ©ta Saccard, c'est ce vieux filou de Busch qui vous tient dans ses griffes... Puis, avec une bonhomie charmante, se tournant vers Jordan, qui restait silencieux, blĂÂȘme d'un insupportable malaise. " Eh bien, je vais vous les avancer, moi, vos cinq cents francs. Vous auriez dĂ» me les demander tout de suite. " Il s'Ă©tait assis Ă sa table, pour signer un chĂšque, lors qu'il s'arrĂÂȘta, rĂ©flĂ©chissant. Il se rappelait la lettre qu'il avait reçue, la visite qu'il devait faire et qu'il reculait de jour en jour, dans l'ennui de l'histoire louche qu'il flairait. Pourquoi n'irait-il pas tout de suite rue Feydeau, profitant de l'occasion, ayant un prĂ©texte ? " Ecoutez, je le connais Ă fond, votre gredin... Il vaut mieux que j'aille en personne le payer, pour voir si je ne pourrai pas ravoir vos billets Ă moitiĂ© prix. " Les yeux de Marcelle, Ă prĂ©sent, luisaient de gratitude. " Oh ! monsieur Saccard, que vous ĂÂȘtes bon ! " Et, s'adressant Ă son mari " Tu vois, grosse bĂÂȘte, que M. Saccard ne nous a pas mangĂ©s ! " Il lui sauta au cou, d'un mouvement irrĂ©sistible, il l'embrassa, car c'Ă©tait elle qu'il remerciait d'ĂÂȘtre plus Ă©nergique et adroite que lui, dans ces difficultĂ©s de la vie qui le paralysaient. " Non ! non ! dit Saccard, lorsque le jeune homme lui serra enfin la main, le plaisir est pour moi, vous ĂÂȘtes trĂšs gentils tous les deux de vous aimer si fort. Allez-vous-en tranquilles ! " Sa voiture, qui l'attendait, le mena en deux minutes rue Feydeau au milieu de ce Paris boueux, dans la bousculade des parapluies et l'Ă©claboussement des flaques. Mais, en haut, il eut beau sonner Ă la vieille porte dĂ©peinte, oĂÂč une plaque de cuivre Ă©talait le mot Contentieux , en grosses lettres noires elle ne s'ouvrit pas, rien ne bougeait Ă l'intĂ©rieur. Et il se retirait, lorsque, dans sa contrariĂ©tĂ© vive, il l'Ă©branla violemment du poing. Alors, un pas traĂnard se fit entendre, et Sigismond parut. " Tiens ! c'est vous !... Je croyais que c'Ă©tait mon frĂšre qui remontait et qui avait oubliĂ© sa clef. Moi, jamais je ne rĂ©ponds aux coups de sonnette... Oh ! il ne tardera pas, vous pouvez l'attendre, si vous tenez Ă le voir. " Du mĂÂȘme pas pĂ©nible et chancelant, il retourna, suivi du visiteur, dans la chambre qu'il occupait, sur la place de la Bourse. Il y faisait encore plein jour, Ă ces hauteurs, au-dessus de la brume dont la pluie emplissait le fond des rues. La piĂšce Ă©tait d'une nuditĂ© froide, avec son Ă©troit lit de fer, sa table et ses deux chaises, ses quelques planches encombrĂ©es de livres, sans un meuble. Devant la cheminĂ©e, un petit poĂÂȘle, mal entretenu, oubliĂ©, venait de s'Ă©teindre. " Asseyez-vous, monsieur. Mon frĂšre m'a dit qu'il ne faisait que descendre et remonter. " Mais Saccard refusait la chaise en le regardant, frappĂ© des progrĂšs que la phtisie avait faits chez ce grand garçon pĂÂąle, aux yeux d'enfant, des yeux noyĂ©s de rĂÂȘve, singuliers sous l'Ă©nergique obstination du front. Entre les longues boucles de ses cheveux, son visage s'Ă©tait extraordinairement creusĂ©, comme allongĂ© et tirĂ© vers la tombe. " Vous avez Ă©tĂ© souffrant ? " demanda-t-il, ne sachant que dire. Sigismond eut un geste de complĂšte indiffĂ©rence. " Oh ! comme toujours. La derniĂšre semaine n'a pas Ă©tĂ© bonne, Ă cause de ce vilain temps. Mais ça va bien tout de mĂÂȘme... Je ne dors plus, je ne puis travailler, et j'ai un peu de fiĂšvre, ça me tient chaud... Ah ! on aurait tant Ă faire ! " Il s'Ă©tait remis devant sa table, sur laquelle un livre, en langue allemande, se trouvait grand ouvert. Et il reprit " Je vous demande pardon de m'asseoir, j'ai veillĂ© toute la nuit, pour lire cette oeuvre que j'ai reçue hier... Une oeuvre, oui ! dix annĂ©es de la vie de mon maĂtre, Karl Marx, l'Ă©tude qu'il nous promettait depuis long temps sur le capital !... Voici notre Bible, maintenant, la voici ! " Curieusement, Saccard vint jeter un regard sur le livre ; mais la vue des caractĂšres gothiques le rebuta tout de suite. " J'attendrai qu'il soit traduit " , dit-il en riant. Le jeune homme, d'un hochement de tĂÂȘte, sembla dire que, mĂÂȘme traduit, il ne serait guĂšre pĂ©nĂ©trĂ© que par les seuls initiĂ©s. Ce n'Ă©tait pas un livre de propagande. Mais quelle force de logique, quelle abondance victorieuse de preuves, dans la fatale destruction de notre sociĂ©tĂ© actuelle, basĂ©e sur le systĂšme capitaliste ! La plaine Ă©tait rase, on pouvait reconstruire. " Alors, c'est le coup de balai ? demanda Saccard, toujours plaisantant. - En thĂ©orie, parfaitement ! rĂ©pondit Sigismond. Tout ce que je vous ai expliquĂ© un jour, toute la marche de rĂ©volution est lĂ . Reste Ă l'exĂ©cuter en fait... Mais vous ĂÂȘtes aveugles, si vous ne voyez point les pas considĂ©rables que l'idĂ©e fait Ă chaque heure. Ainsi, vous qui, avec votre Universelle, avez remuĂ© et centralisĂ© en trois ans des centaines de millions, vous ne semblez absolument pas vous douter que vous nous conduisez tout droit au collectivisme... J'ai suivi votre affaire avec passion, oui ! de cette chambre perdue, si tranquille, j'en ai Ă©tudiĂ© le dĂ©veloppement jour par jour, et je la connais aussi bien que vous, et je dis que c'est une fameuse leçon que vous nous donnez lĂ , car l'Etat collectiviste n'aura Ă faire que ce que vous faites, vous exproprier en bloc, lorsque vous aurez expropriĂ© en dĂ©tail les petits, rĂ©aliser l'ambition de votre rĂÂȘve dĂ©mesurĂ©, qui est, n'est-ce pas ? d'absorber tous les capitaux du monde, d'ĂÂȘtre l'unique banque, l'entrepĂÂŽt gĂ©nĂ©ral de la fortune publique... Oh ! je vous admire beaucoup, moi ! je vous laisserais aller, si j'Ă©tais le maĂtre, parce que vous commencez notre besogne, en prĂ©curseur de gĂ©nie. " Et il souriait de son pĂÂąle sourire de malade, en remarquant l'attention de son interlocuteur, trĂšs surpris de le trouver si au courant des affaires du jour, trĂšs flattĂ© aussi des Ă©loges intelligents. " Seulement, continua-t-il, le beau matin oĂÂč nous vous exproprierons au nom de la nation, remplaçant vos intĂ©rĂÂȘts privĂ©s par l'intĂ©rĂÂȘt de tous, faisant de votre grande machine Ă sucer l'or des autres, la rĂ©gulatrice mĂÂȘme de la richesse sociale, nous commencerons par supprimer ça. " Il avait trouvĂ© un sou parmi les papiers de sa table, il tenait en l'air, entre deux doigts, comme la victime dĂ©signĂ©e. " L'argent ! s'Ă©cria Saccard, supprimer l'argent ! la bonne folie ! - Nous supprimerons l'argent monnayĂ©... Songez donc que la monnaie mĂ©tallique n'a aucune place, aucune raison d'ĂÂȘtre, dans l'Etat collectiviste. A titre de rĂ©munĂ©ration, nous le remplaçons par nos bons de travail ; et, si vous le considĂ©rez comme mesure de la valeur, nous en avons une autre qui nous en tient parfaitement lieu, celle que nous obtenons en Ă©tablissant la moyenne des journĂ©es de besogne, dans nos chantiers... Il faut le dĂ©truire, cet argent qui masque et favorise l'exploitation du travailleur, qui permet de le voler, en rĂ©duisant son salaire Ă la plus petite somme dont il a besoin, pour ne pas mourir de faim. N'est-ce pas Ă©pouvantable, cette possession de l'argent qui accumule les fortunes privĂ©es, barre le chemin Ă la fĂ©conde circulation, fait des royautĂ©s scandaleuses, maĂtresses souveraines du marchĂ© financier et de la production sociale ? Toutes nos crises, toute notre anarchie vient de lĂ .... Il faut tuer, tuer l'argent ! " Mais Saccard se fĂÂąchait. Plus d'argent, plus d'or, plus de ces astres luisants, qui avaient Ă©clairĂ© sa vie ! Toujours la richesse s'Ă©tait matĂ©rialisĂ©e pour lui dans cet Ă©blouissement de la monnaie neuve, pleuvant comme une averse de printemps, au travers du soleil, tombant en grĂÂȘle sur la terre qu'elle couvrait, des tas d'argent, des tas d'or, qu'on remuait Ă la pelle, pour le plaisir de leur Ă©clat et de leur musique. Et l'on supprimait cette gaietĂ©, cette raison de se battre et de vivre ! " C'est imbĂ©cile, oh ! ça, c'est imbĂ©cile !... Jamais, entendez-vous ! - Pourquoi jamais ? pourquoi imbĂ©cile ?... Est-ce que, dans l'Ă©conomie de la famille, nous faisons usage de l'argent ? Vous n'y voyez que l'effort en commun et que l'Ă©change... Alors, Ă quoi bon l'argent, lorsque la sociĂ©tĂ© ne sera plus qu'une grande famille, se gouvernant elle-mĂÂȘme ? - Je vous dis que c'est fou !... DĂ©truire l'argent, mais c'est la vie mĂÂȘme, l'argent ! Il n'y aurait plus rien, plus rien ! " Il allait et venait, hors de lui. Et, dans cet emportement, comme il passait devant la fenĂÂȘtre, il s'assura d'un regard que la Bourse Ă©tait toujours lĂ , car peut-ĂÂȘtre ce terrible garçon l'avait-il, elle aussi, effondrĂ©e d'un souffle. Elle y Ă©tait toujours, mais trĂšs vague au fond de la nuit tombante, comme fondue sous le linceul de pluie, un pĂÂąle fantĂÂŽme de Bourse prĂšs de s'Ă©vanouir en une fumĂ©e grise. " D'ailleurs, je suis bien bĂÂȘte de discuter. C'est impossible... Supprimez donc l'argent, je demande Ă voir ça. - Bah ! murmura Sigismond, tout se supprime, tout se transforme et disparaĂt... Ainsi, nous avons bien vu la forme de la richesse changer dĂ©jĂ une fois, lorsque la valeur de la terre a baissĂ©, que la fortune fonciĂšre, domaniale, les champs et les bois, a dĂ©clinĂ© devant la fortune mobiliĂšre, industrielle, les titres de rente et les actions, et nous assistons aujourd'hui Ă une prĂ©coce caducitĂ© de cette derniĂšre, Ă une sorte de dĂ©prĂ©ciation rapide, car il est certain que le taux s'avilit, que le cinq pour cent normal n'est plus atteint... La valeur de l'argent baisse donc, pourquoi l'argent ne disparaĂtrait-il pas, pourquoi une nouvelle forme de la fortune ne rĂ©girait-elle pas les rapports sociaux ? C'est cette fortune de demain que nos bons de travail apporteront. " Il s'Ă©tait absorbĂ© dans la contemplation du sou, comme s'il eĂ»t rĂÂȘvĂ© qu'il tenait le dernier sou des vieux ĂÂąges, un sou Ă©garĂ©, ayant survĂ©cu Ă l'antique sociĂ©tĂ© morte. Que de joies et que de larmes avaient usĂ© l'humble mĂ©tal ! Et il Ă©tait tombĂ© Ă la tristesse de l'Ă©ternel dĂ©sir humain. " Oui, reprit-il doucement, vous avez raison, nous ne verrons pas ces choses. Il faut des annĂ©es, des annĂ©es. Sait-on mĂÂȘme si jamais l'amour des autres aura en soi assez de vigueur pour remplacer l'Ă©goĂÂŻsme, dans l'organisation sociale... Pourtant, j'ai espĂ©rĂ© le triomphe plus prochain, j'aurais tant voulu assister Ă cette aube de la justice. Un instant, l'amertume du mal dont il souffrait brisa sa voix. Lui qui, dans sa nĂ©gation de la mort, la traitait comme si elle n'Ă©tait pas, eut un geste, pour l'Ă©carter. Mais, dĂ©jĂ , il se rĂ©signait. " J'ai fait ma tĂÂąche, je laisserai mes notes, dans le cas oĂÂč je n'aurais pas le temps d'en tirer l'ouvrage complet de reconstruction que j'ai rĂÂȘvĂ©. Il faut que la sociĂ©tĂ© de demain soit le fruit mĂ»r de la civilisation, car, si l'on ne garde la bon cĂÂŽtĂ© de l'Ă©mulation et du contrĂÂŽle, tout croule... Ah ! cette sociĂ©tĂ©, comme je la vois nettement Ă cette heure, créée enfin, complĂšte, telle que je suis parvenu, aprĂšs tant de veilles, Ă la mettre debout ! Tout est prĂ©vu, rĂ©solu, c'est enfin la souveraine justice, l'absolu bonheur. Elle est lĂ , sur le papier, mathĂ©matique, dĂ©finitive. " Et il promenait ses longues mains Ă©maciĂ©s parmi les notes Ă©parses, et il s'exaltait, dans ce rĂÂȘve des milliards reconquis, partagĂ© Ă©quitablement, entre tous dans cette joie, et cette santĂ© qu'il rendait d'un trait de plume Ă l'humanitĂ© souffrante, lui qui ne mangeait plus, qui ne dormait plus, qui achevait de mourir sans besoins, au milieu de la nuditĂ© de sa chambre. Mais une voix rude fit tressaillir Saccard. " Qu'est-ce que vous faite lĂ ? " C'Ă©tait Busch qui rentrait et qui jetait sur le visiteur un regard oblique d'amant jaloux dans sa continuelle crainte qu'on ne donnĂÂąt une crise de toux son frĂšre, en le faisant trop parler. D'ailleurs, il n'attendit pas la rĂ©ponse, il grondait maternellement, dĂ©sespĂ©rĂ©. " Comment ! tu as encore laissĂ© mourir ton poĂÂȘle ! Je te demande un peu si c'est raisonnable, par une humiditĂ© pareille ! " DĂ©jĂ , pliant les genoux, malgrĂ© la lourdeur de son grand corps, il cassait du menu bois, il rallumait le feu. Puis, il alla chercher un balai, fit le mĂ©nage, s'inquiĂ©ta de la potion que le malade devait prendre toutes les deux heures. Et il ne se montra tranquille que lorsqu'il eut dĂ©cidĂ© celui-ci Ă s'allonger sur le lit, pour se reposer. " Monsieur Saccard, si vous dĂ©sirez passer dans mon cabinet... " Mme MĂ©chain s'y trouvait, assise sur l'unique chaise. Elle et Busch venaient de faire, dans le voisinage, une visite importante, dont la pleine rĂ©ussite les enchantait. C'Ă©tait enfin, aprĂšs une attente dĂ©sespĂ©rĂ©e, l'heureuse mise en marche d'une des affaires qui les tenaient le plus au coeur. Pendant trois ans, la MĂ©chain avait battu le pavĂ©, en quĂÂȘte de LĂ©onie Cron, cette fille sĂ©duite, Ă laquelle le comte de Beauvilliers avait signĂ© une reconnaissance de dix mille francs, payable le jour de sa majoritĂ©. Vainement, elle s'Ă©tait adressĂ©e Ă son cousin Fayeux, le receveur de rentes de VendĂÂŽme, qui avait achetĂ© pour Busch la reconnaissance, dans un lot de vieilles crĂ©ances, provenant de la succession du sieur Charpier, marchand de grains, usurier Ă ses heures Fayeux ne savait rien, Ă©crivait seulement que la fille LĂ©onie Cron devait ĂÂȘtre en service chez un huissier, Ă Paris, qu'elle avait quittĂ© depuis plus de dix ans VendĂÂŽme, oĂÂč elle n'Ă©tait jamais revenue et oĂÂč il ne pouvait mĂÂȘme questionner un seul de ses parents, tous Ă©tant morts. La MĂ©chain avait bien dĂ©couvert l'huissier, et elle Ă©tait arrivĂ©e Ă suivre de lĂ LĂ©onie chez un boucher, chez une dame galante, chez un dentiste ; mais, Ă partir du dentiste, le fil se cassait brusquement, la piste s'interrompait, une aiguille dans une botte de foin, une fille tombĂ©e, perdue dans la boue du grand Paris. Sans rĂ©sultat, elle avait couru les bureaux de placement, visitĂ© les garnis borgnes, fouillĂ© la basse dĂ©bauche, toujours aux aguets, tournant la tĂÂȘte, interrogeant, dĂšs que ce nom de LĂ©onie frappait ses oreilles. Et cette fille, qu'elle Ă©tait allĂ©e chercher bien loin, voilĂ qu'elle venait, ce jour-lĂ , par un hasard, de mettre la main sur elle, rue Feydeau, dans la maison publique voisine, oĂÂč elle relançait une ancienne locataire de la citĂ© de Naples, qui lui devait trois francs. Un coup de gĂ©nie la lui avait fait flairer et reconnaĂtre, sous le nom distinguĂ© de LĂ©onie, au moment oĂÂč madame l'appelait au salon d'une voix perçante. Tout de suite, Busch, averti, Ă©tait revenu avec elle Ă la maison, pour traiter ; et cette grosse fille, aux durs cheveux noirs tombant sur les sourcils, Ă la face plate et molle, d'une bassesse immonde, l'avait d'abord surpris ; puis il s'Ă©tait rendu compte de son charme spĂ©cial, surtout avant ses dix annĂ©es de prostitution, ravi d'ailleurs qu'elle fĂ»t tombĂ©e si bas, abominable. Il lui avait offert mille francs, si elle lui abandonnait ses droits sur la reconnaissance. Elle Ă©tait stupide, elle avait acceptĂ© le marchĂ© avec une joie d'enfant. Enfin, on allait donc pouvoir traquer la comtesse de Beauvilliers, on avait l'arme cherchĂ©e, inespĂ©rĂ©e mĂÂȘme, Ă ce point de laideur et de honte ! " Je vous attendais, monsieur Saccard. Nous avons Ă causer... Vous avez reçu ma lettre, n'est-ce pas ? " Dans l'Ă©troite piĂšce, bondĂ©e de dossiers, dĂ©jĂ noire, qu'une maigre lampe Ă©clairait d'une lumiĂšre fumeuse, la MĂ©chain, immobile et muette, ne bougeait pas de l'unique chaise. Et restĂ© debout, ne voulant point avoir l'air d'ĂÂȘtre venu sur une menace, Saccard entama tout de suite l'affaire Jordan, d'une voix dure et mĂ©prisante. " Pardon, je suis montĂ© pour rĂ©gler une dette d'un de mes rĂ©dacteurs... Le petit Jordan, un trĂšs charmant garçon, que vous poursuivez Ă boulets rouges, avec une fĂ©rocitĂ© vraiment rĂ©voltante. Ce matin encore, parait-il, vous vous ĂÂȘtes conduit envers sa femme comme un galant homme rougirait de le faire... " Saisi d'ĂÂȘtre attaquĂ© de la sorte, lorsqu'il s'apprĂÂȘtait Ă prendre l'offensive, Busch perdit pied, oublia l'autre histoire, s'irrita sur celle-ci. " Les Jordan, vous venez pour les Jordan... il n'y a pas de femme, il n'y a pas de galant homme, dans les affaires. Quand on doit, on paie, je ne connais que ça... Des bougres qui se fichent de moi depuis des annĂ©es, dont j'ai eu une peine du diable Ă tirer quatre cents francs sou Ă sou !... Ah ! tonnerre de Dieu, oui ! je les ferai vendre, je les jetterai Ă la rue demain matin, si je n'ai pas ce soir, lĂ , sur mon bureau, les trois cent trente francs quinze centimes qu'ils me doivent encore. " Et Saccard, par tactique, pour le mettre hors de lui, ayant dit qu'il Ă©tait dĂ©jĂ payĂ© quarante fois de cette crĂ©ance, qui ne lui avait sĂ»rement pas coĂ»tĂ© dix francs, il s'Ă©trangla en effet de colĂšre. " Nous y voilĂ ! vous n'avez tous que ça Ă dire... Et il y a aussi les frais, n'est-ce pas ? cette dette de trois cents francs qui est montĂ©e Ă plus de sept cents... Mais est-ce que ça me regarde, moi ? On ne me paie pas, je poursuis. Tant pis si la justice est chĂšre, c'est sa faute !... Alors, quand j'ai achetĂ© une crĂ©ance de dix francs, je devrais me faire rembourser dix francs, et ce serait fini. Eh bien, et mes risques, et mes courses, et mon travail de tĂÂȘte, oui ! et mon intelligence ? Justement, tenez, pour cette affaire Jordan, vous pouvez consulter madame, qui est lĂ . C'est elle qui s'en est occupĂ©e. Ah ! elle en a fait des pas et des dĂ©marches, elle en a usĂ© de la chaussure, Ă monter les escaliers de tous les journaux, d'oĂÂč on la flanquait Ă la porte comme une mendiante, sans jamais lui donner l'adresse. Cette affaire, mais nous l'avons nourrie pendant des mois, nous y avons rĂÂȘvĂ©, nous y avons travaillĂ© comme Ă un de nos chefs-d'oeuvre, elle me coĂ»te une somme folle, Ă dix sous l'heure seulement ! " Il s'exaltait, il montra d'un grand geste les dossiers qui emplissaient la piĂšce. " J'ai ici pour plus de vingt millions de crĂ©ances, et de tous les ĂÂąges, de tous les mondes, d'infimes et de colossales... Les voulez-vous pour un million ? je vous les donne. Quand on pense qu'il y a des dĂ©biteurs que je file depuis un quart de siĂšcle ! Pour obtenir d'eux quelques misĂ©rables centaines de francs, mĂÂȘme moins parfois, je patiente des annĂ©es, j'attends qu'ils rĂ©ussissent ou qu'ils hĂ©ritent... Les autres, les inconnus, les plus nombreux, dorment lĂ , regardez ! dans ce coin, tout ce tas Ă©norme. C'est le nĂ©ant ça, ou plutĂÂŽt c'est la matiĂšre brute, d'oĂÂč il faut que je tire la vie, je veux dire ma vie, Dieu sait aprĂšs quelle complication de recherches et d'ennuis !... Et vous voulez que, lorsque j'en tiens un enfin, solvable, je ne le saigne pas ? Ah ! non, vous me croiriez trop bĂÂȘte, vous ne seriez pas si bĂÂȘte, vous ! " Sans s'attarder Ă discuter davantage, Saccard tira son portefeuille. " Je vais vous donner deux cents francs, et vous allez me rendre le dossier Jordan, avec un acquit de tout compte. " Busch sursauta d'exaspĂ©ration. " Deux cents francs, jamais de la vie !... C'est trois cent trente francs quinze centimes. Je veux les centimes. " Mais, de sa voix Ă©gale, avec la tranquille assurance de l'homme qui connaĂt la puissance de l'argent, montrĂ©, Ă©talĂ©, Saccard rĂ©pĂ©ta Ă deux, Ă trois reprises " Je vais vous donner deux cents francs... " Et le juif, convaincu au fond qu'il Ă©tait raisonnable de transiger, finit par consentir, dans un cri de rage, les larmes aux yeux. " Je suis trop faible. Quel sale mĂ©tier !... Parole d'honneur ! on me dĂ©pouille, on me vole... Allez ! pendant que vous y ĂÂȘtes, ne vous gĂÂȘnez pas, prenez-en d'autres, oui ! fouillez dans le tas, pour vos deux cents francs ! " Puis, lorsque Busch eut signĂ© un reçu et Ă©crit un mot pour l'huissier, car le dossier n'Ă©tait plus chez lui, il souffla un moment devant son bureau, tellement secouĂ©, qu'il aurait laissĂ© partir Saccard, sans la MĂ©chain, qui n'avait pas eu un geste ni une parole. " Et l'affaire ? " dit-elle. Il se souvint brusquement, il allait prendre sa revanche. Mais tout ce qu'il avait prĂ©parĂ©, son rĂ©cit, ses questions, a marche savante de l'entretien, se trouva emportĂ© d'un coup, dans sa hĂÂąte d'arriver au fait. " L'affaire, c'est vrai... Je vous ai Ă©crit, monsieur Saccard. Nous avons maintenant un vieux compte Ă rĂ©gler ensemble... Il avait allongĂ© la main pour prendre le dossier Sicardot, qu'il ouvrit devant lui. " En 1852, vous ĂÂȘtes descendu dans un hĂÂŽtel meublĂ© de la rue de la Harpe, vous y avez souscrit douze billets de cinquante francs Ă une demoiselle Rosalie Chavaille, ĂÂągĂ©e de seize ans, que vous avez violentĂ©e, un soir, dans l'escalier... Ces billets, les voici. Vous n'en avez pas payĂ© un seul, car vous ĂÂȘtes parti sans laisser d'adresse, avant l'Ă©chĂ©ance du premier. Et le pis est qu'ils sont signĂ©s d'un faux nom, Sicardot, le nom de votre premiĂšre femme... " TrĂšs pĂÂąle. Saccard Ă©coutait, regardait. C'Ă©tait, au milieu d'un saisissement inexprimable, tout le passĂ© qui s'Ă©voquait, une sensation d'Ă©croulement, une masse Ă©norme et confuse qui retombait sur lui. Dans cette peur de la premiĂšre minute, il perdit la tĂÂȘte, il bĂ©gaya. " Comment savez-vous ?... Comment avez-vous ça ? " Puis, de ses mains tremblantes, il se hĂÂąta de tirer de nouveau son portefeuille, n'ayant que l'idĂ©e de payer, de rentrer en possession de ce dossier fĂÂącheux. " Il n'y a pas de frais, n'est-ce pas ?... C'est six cents francs... Oh ! il y aurait beaucoup Ă dire, mais j'aime mieux payer, sans discussion. " Et il tendit six billets de banque. " Tout Ă l'heure ! cria Busch, qui repoussa l'argent. Je n'ai pas terminĂ©... Madame, que vous voyez lĂ , est la petite-cousine de Rosalie, et ces papiers sont Ă elle, c'est en son nom que je poursuis le remboursement... Cette pauvre Rosalie est restĂ©e infirme, Ă la suite de votre violence. Elle a eu beaucoup de malheurs, elle est morte dans une misĂšre affreuse, chez madame, qui l'avait recueillie... Madame, si elle voulait, pourrait vous raconter des choses... - Des choses terribles ! " accentua de sa petite voix la MĂ©chain, rompant son silence. EffarĂ©, Saccard se tourna vers elle, l'ayant oubliĂ©e, tassĂ©e lĂ comme une outre dĂ©gonflĂ©e Ă demi. Elle l'avait toujours inquiĂ©tĂ©, avec son louche commerce d'oiseau de carnage sur les valeurs dĂ©classĂ©es ; et il la retrouvait, mĂÂȘlĂ©e Ă cette histoire dĂ©sagrĂ©able. " Sans doute, la malheureuse, c'est bien fĂÂącheux, murmura-t-il. Mais, si elle est morte, je ne vois vraiment... Voici toujours les six cents francs. " Une seconde fois, Busch refusa de prendre la somme. " Pardon, c'est que vous ne savez pas encore tout, c'est qu'elle a eu un enfant... Oui, un enfant qui est dans sa quatorziĂšme annĂ©e, un enfant qui vous ressemble Ă un tel point, que vous ne pouvez le renier. " Abasourdi, Saccard rĂ©pĂ©ta Ă plusieurs reprises " Un enfant, un enfant... " Puis, replaçant d'un geste brusque les six billets de banque dans son portefeuille, tout Ă coup remis d'aplomb et trĂšs gaillard " Ah ! ça, dites donc, est-ce que vous vous moquez de moi ? S'il y a un enfant, je ne vous fiche pas un sou... Le petit a hĂ©ritĂ© de sa mĂšre, c'est le petit qui aura ça et tout ce qu'il voudra par-dessus le marchĂ©... Un enfant, mais c'est trĂšs gentil, mais c'est tout naturel, il n'y a pas de mal Ă avoir un enfant. Au contraire, ça me fait beaucoup de plaisir, ça me rajeunit, parole d'honneur !.. OĂÂč est-il, que j'aille le voir ? Pourquoi ne me l'avez-vous pas amenĂ© tout de suite ? " StupĂ©fiĂ© Ă son tour, Busch songeait Ă sa longue hĂ©sitation, aux mĂ©nagements infinis que Mme Caroline prenait pour rĂ©vĂ©ler l'existence de Victor Ă son pĂšre. Et, dĂ©montĂ©, il se jeta dans les explications les plus violentes, les plus compliquĂ©es, lĂÂąchant tout Ă la fois, les six mille francs d'argent prĂÂȘtĂ© et de frais d'entretien que la MĂ©chain rĂ©clamait, les deux mille francs d'acompte donnĂ©s par Mme Caroline, les instincts Ă©pouvantables de Victor, son entrĂ©e Ă l'Oeuvre du Travail. Et, de son cĂÂŽtĂ©, Saccard sursautait, Ă chaque nouveau dĂ©tail. Comment, six mille francs ! qui lui disait qu'au contraire on n'avait pas dĂ©pouillĂ© le gamin ? Un acompte de deux mille francs ! on avait eu l'audace d'extorquer Ă une dame de ses amies deux mille francs ! mais c'Ă©tait un vol, un abus de confiance ! Ce petit, parbleu ! on l'avait mal Ă©levĂ©, et l'on voulait qu'il payĂÂąt ceux qui Ă©taient responsables de cette mauvaise Ă©ducation ! On le prenait donc pour un imbĂ©cile ! " Pas un sou ! cria-t-il, entendez-vous, ne comptez pas tirer un sou de ma poche ! " Busch, blĂÂȘme, s'Ă©tait mis debout devant sa table. " C'est ce que nous verrons. Je vous traĂnerai en justice. - Ne dites donc pas de bĂÂȘtises. Vous savez bien que la justice ne s'occupe pas de ces choses-lĂ ... Et, si vous espĂ©rez me faire chanter, c'est encore plus bĂÂȘte, parce que, moi, je me fiche de tout. Un enfant ! mais je vous dis que ça me flatte ! " Et, comme la MĂ©chain bouchait la porte, il dut la bousculer, l'enjamber, pour sortir. Elle suffoquait, elle lui jeta dans l'escalier, de sa voix de flĂ»te " Canaille ! sans coeur ! - Vous aurez de nos nouvelles ! " hurla Busch, qui referma la porte Ă la volĂ©e. Saccard Ă©tait dans un tel Ă©tat d'excitation, qu'il donna l'ordre Ă son cocher de rentrer directement, rue Saint-Lazare. Il avait hĂÂąte de voir Mme Caroline, il l'aborda sans une gĂÂȘne, la gronda tout de suite d'avoir donnĂ© les deux mille francs. " Mais, ma chĂšre amie, jamais on ne lĂÂąche de l'argent comme ça... Pourquoi diable avez-vous agi sans me consulter ? " Elle, saisie qu'il sĂ»t enfin l'histoire, demeurait muette. C'Ă©tait bien l'Ă©criture de Busch qu'elle avait reconnue, et maintenant elle n'avait plus rien Ă cacher, puisqu'un autre venait de lui Ă©viter le souci de la confidence. Cependant, elle hĂ©sitait toujours, confuse pour cet homme qui l'interrogeait si Ă l'aise. " J'ai voulu vous Ă©viter un chagrin... Ce malheureux enfant Ă©tait dans une telle dĂ©gradation !... Depuis longtemps, je vous aurais tout racontĂ©, sans un sentiment... - Quel sentiment ?... Je vous avoue que je ne comprends pas. " Elle n'essaya pas de s'expliquer, de s'excuser davantage, envahie d'une tristesse, d'une lassitude de tout, elle si courageuse Ă vivre ; tandis que lui continuait Ă s'exclamer, enchantĂ©, vraiment rajeuni. " Ce pauvre gamin ! je l'aimerai beaucoup, je vous assure... Vous avez trĂšs bien fait de le mettre Ă l'Oeuvre du Travail, pour le dĂ©crasser un peu. Mais nous allons le retirer de lĂ , nous lui donnerons des professeurs... Demain, j'irai le voir, oui ! demain, si je ne suis pas trop pris. " Le lendemain, il y eut conseil, et deux jours se passĂšrent, puis la semaine, sans que Saccard trouvĂÂąt une minute. Il parla de l'enfant souvent encore, remettant sa visite, cĂ©dant au fleuve dĂ©bordĂ© qui l'emportait. Dans les premiers jours de dĂ©cembre, le cours de deux mille sept cents francs venait d'ĂÂȘtre atteint, au milieu de l'extraordinaire fiĂšvre dont l'accĂšs maladif continuait Ă bouleverser la Bourse. Le pis Ă©tait que les nouvelles alarmantes avaient grandi, que la hausse s'enrageait, dans un malaise croissant, intolĂ©rable dĂ©sormais, on annonçait tout haut la catastrophe fatale, et on montait quand mĂÂȘme, on montait sans cesse, par la force obstinĂ©e d'un de ces prodigieux engouements qui se refusent Ă l'Ă©vidence. Saccard ne vivait plus que dans la fiction exagĂ©rĂ©e de son triomphe, entourĂ© comme d'une gloire par cette averse d'or qu'il faisait pleuvoir sur Paris, assez fin cependant pour avoir la sensation du sol minĂ©, crevassĂ©, qui menaçait de s'effondrer sous lui. Aussi, bien qu'Ă chaque liquidation il restĂÂąt victorieux, ne dĂ©colĂ©rait-il pas contre les baissiers, dont les pertes dĂ©jĂ devaient ĂÂȘtre effroyables. Qu'avaient donc ces sales juifs Ă s'acharner ? N'allait-il pas enfin les dĂ©truire ? Et il s'exaspĂ©rait surtout de ce qu'il disait flairer, Ă cĂÂŽtĂ© de Gundermann, faisant son jeu, d'autres vendeurs, des soldats de l'Universelle, peut-ĂÂȘtre, des traĂtres qui passaient Ă l'ennemi, Ă©branlĂ©s dans leur foi, ayant la hĂÂąte de rĂ©aliser. Un jour que Saccard exhalait ainsi son mĂ©contentement devant Mme Caroline, celle-ci crut devoir lui tout dire. " Vous savez, mon ami, que j'ai vendu moi... Je viens de vendre nos derniĂšres mille actions au cours de deux mille sept cents. " Il resta anĂ©anti, comme devant la plus noire des trahisons. " Vous avez vendu, vous ! vous, mon Dieu ! " Elle lui avait pris les mains, elle les lui serrait, vraiment peinĂ©e, lui rappelant qu'elle et son frĂšre l'avaient averti. Ce dernier, qui Ă©tait toujours Ă Rome, Ă©crivait des lettres pleines d'une mortelle inquiĂ©tude sur cette hausse exagĂ©rĂ©e, qu'il ne s'expliquait pas, qu'il fallait enrayer Ă tout prix, sous peine d'une culbute en plein gouffre. La veille encore, elle en avait reçu une lui donnant l'ordre formel de vendre. Et elle avait vendu. " Vous, vous ! rĂ©pĂ©tait Saccard. C'Ă©tait vous qui me combattiez, que je sentais dans l'ombre ! Ce sont vos actions que j'ai dĂ» racheter ! " Il ne s'emportait pas, selon son habitude, et elle souffrait davantage de son accablement, elle aurait voulu le raisonner, lui faire abandonner cette lutte sans merci qu'un massacre seul pouvait terminer. " Mon ami, Ă©coutez-moi... Songez que nos trois mille titres ont produit plus de sept millions et demi. N'est-ce point un gain inespĂ©rĂ©, extravagant ? Moi, tout cet argent m'Ă©pouvante, je ne puis croire qu'il m'appartienne... Mais ce n'est d'ailleurs pas de notre intĂ©rĂÂȘt personnel qu'il s'agit. Songez aux intĂ©rĂÂȘts de tous ceux qui ont remis leur fortune entre vos mains, un effrayant total de millions que vous risquez dans la partie. Pourquoi soutenir cette hausse insensĂ©e, pourquoi l'exciter encore ? On me dit de tous les cĂÂŽtĂ©s que la catastrophe est au bout, fatalement... Vous ne pourrez monter toujours, il n'y a aucune honte Ă ce que les titres reprennent leur valeur rĂ©elle, et c'est la maison solide, c'est le salut. " Mais, violemment, il s'Ă©tait remis debout. " Je veux le cours de trois mille... J'ai achetĂ© et j'achĂšterai encore, quitte Ă en crever... Oui ! que je crĂšve, que tout crĂšve avec moi, si je ne fais pas et si je ne maintiens pas le cours de trois mille ! " AprĂšs la liquidation du 15 dĂ©cembre, les cours montĂšrent Ă deux mille huit cents, Ă deux mille neuf cents. Et ce fut le 21 que le cours de trois mille vingt francs fut proclamĂ© Ă la Bourse, au milieu d'une agitation de foule dĂ©mente. Il n'y avait plus ni vĂ©ritĂ©, ni logique, l'idĂ©e de la valeur Ă©tait pervertie, au point de perdre tout sens rĂ©el. Le bruit courait que Gundermann, contrairement Ă ses habitudes de prudence, se trouvait engagĂ© dans d'effroyables risques, depuis des mois qu'il nourrissait la baisse, ses pertes avaient grandi Ă chaque quinzaine, au fur et Ă mesure de la hausse, par sauts Ă©normes ; et l'on commençait Ă dire qu'il pourrait bien avoir les reins cassĂ©s. Toutes les cervelles Ă©taient Ă l'envers, on s'attendait Ă des prodiges. Et, Ă cette minute suprĂÂȘme, oĂÂč Saccard, au sommet, sentait trembler la terre, dans l'angoisse inavouĂ©e de la chute, il fut roi. Lorsque sa voiture arrivait rue de Londres, devant le palais triomphal de l'Universelle, un valet descendait vivement, Ă©talait un tapis, qui des marches du vestibule se dĂ©roulait sur le trottoir, jusqu'au ruisseau ; et Saccard alors daignait quitter la voiture, et il faisait son entrĂ©e, en souverain Ă qui l'on Ă©pargne le commun pavĂ© des rues. X - A cette fin d'annĂ©e, le jour de la liquidation de dĂ©cembre, la grande salle de la Bourse se trouva pleine dĂšs midi et demi, dans une extraordinaire agitation de voix et de gestes. Depuis quelques semaines, d'ailleurs, l'effervescence montait, et elle aboutissait Ă cette derniĂšre journĂ©e de lutte, une cohue fiĂ©vreuse oĂÂč grondait dĂ©jĂ la dĂ©cisive bataille qui allait s'engager. Dehors, il gelait terriblement ; mais un clair soleil d'hiver pĂ©nĂ©trait, d'un rayon oblique, par le haut vitrage, Ă©gayant tout un cĂÂŽtĂ© de la salle nue, aux sĂ©vĂšres piliers, Ă la voĂ»te triste, que glaçaient encore des grisailles allĂ©goriques ; tandis que des bouches de calorifĂšres, tout le long des arcades, soufflaient une haleine tiĂšde, au milieu du courant froid des portes grillagĂ©es, continuellement battantes. Le baissier Moser, plus inquiet et plus jaune que de coutume, se heurta contre le haussier Pillerault, arrogamment plantĂ© sur ses hautes jambes de hĂ©ron. " Vous savez ce qu'on dit ?... " Mais il dut Ă©lever la voix, pour se faire entendre, dans le bruit croissant des conversations, un roulement rĂ©gulier, monotone, pareil Ă une clameur d'eaux dĂ©bordĂ©es, coulant sans fin. " On dit que nous aurons la guerre en avril... ĂâĄa ne peut pas finir autrement, avec ces armements formidables. L'Allemagne ne veut pas nous laisser le temps d'appliquer la nouvelle loi militaire que va voter la Chambre... Et, d'ailleurs, Bismarck... " Pillerault Ă©clata de rire. " Fichez-moi donc la paix, vous et votre Bismarck !... Moi qui vous parle, j'ai causĂ© cinq minutes avec lui, cet Ă©tĂ©, quand il est venu. Il a l'air trĂšs bon garçon... Si vous n'ĂÂȘtes pas content, aprĂšs l'Ă©crasant succĂšs de l'Exposition, que vous faut-il ? Eh ! mon cher, l'Europe entiĂšre est Ă nous. " Moser hocha dĂ©sespĂ©rĂ©ment la tĂÂȘte. Et, en phrases que coupaient Ă chaque seconde les bousculades de la foule, il continua Ă dire ses craintes. L'Ă©tat du marchĂ© Ă©tait trop prospĂšre, d'une prospĂ©ritĂ© plĂ©thorique qui ne valait rien, pas plus que la mauvaise graisse des gens trop gras. GrĂÂące Ă l'Exposition, il avait poussĂ© trop d'affaires, on s'Ă©tait engouĂ©, on en arrivait Ă la pure dĂ©mence du jeu. Est-ce que ce n'Ă©tait pas fou, par exemple, l'Universelle Ă trois mille trente ? " Ah ! nous y voilĂ ! " cria Pillerault. Et, de tout prĂšs, en accentuant chaque syllabe " Mon cher, on finira ce soir Ă trois mille soixante... Vous serez tous culbutĂ©s, c'est moi qui vous le dis. " Le baissier, facilement impressionnable pourtant, eut un petit sifflement de dĂ©fi. Et il regarda en l'air, pour marquer sa fausse tranquillitĂ© d'ĂÂąme, il resta un moment Ă examiner les quelques tĂÂȘtes de femme, qui se penchaient, lĂ -haut, Ă la galerie du tĂ©lĂ©graphe, Ă©tonnĂ©es du spectacle de cette salle, oĂÂč elles ne pouvaient entrer. Des Ă©cussons portaient des noms de villes, les chapiteaux et les corniches allongeaient une perspective blĂÂȘme, que des infiltrations avaient tachĂ©e de jaune. " Tiens ! c'est vous ! " reprit Moser en baissant la tĂÂȘte et en reconnaissant Salmon, qui souriait devant lui, de son Ă©ternel et profond sourire. Puis, troublĂ©, voyant dans ce sourire une approbation donnĂ©e aux renseignements de Pillerault " Enfin, si vous savez quelque chose, dites-le... Moi, mon raisonnement est simple. Je suis avec Gundermann, parce que Gundermann, n'est-ce pas ? c'est Gundermann... ĂâĄa finit toujours bien, avec lui. - Mais, dit Pillerault ricanant, qui vous dit que Gundermann est Ă la baisse ? " Du coup, Moser arrondit des yeux effarĂ©s. Depuis longtemps, le gros commĂ©rage de la Bourse Ă©tait que Gundermann guettait Saccard, qu'il nourrissait la baisse contre l'Universelle, en attendant d'Ă©trangler celle-ci, Ă quelque fin de mois, d'un effort brusque, lorsque l'heure serait venue d'Ă©craser le marchĂ© sous ses millions ; et, si cette journĂ©e s'annonçait si chaude, c'Ă©tait que tous croyaient, rĂ©pĂ©taient que la bataille allait enfin ĂÂȘtre pour ce jour-lĂ , une de ces batailles sans merci oĂÂč l'une des deux armĂ©es reste par terre, dĂ©truite. Mais est- ce qu'on Ă©tait jamais certain, dans ce monde de mensonge et de ruse ? Les choses les plus sĂ»res, les plus annoncĂ©es Ă l'avance, devenaient, au moindre souffle, des sujets de doute pleins d'angoisse. " Vous niez l'Ă©vidence, murmura Moser. Sans doute, je n'ai pas vu les ordres, et on ne peut rien affirmer... Hein ? Salmon, qu'est-ce que vous en dites ? Gundermann ne peut pas lĂÂącher, que diable ! " Et il ne savait que croire devant le sourire silencieux de Salmon qui lui semblait s'amincir, d'une finesse extrĂÂȘme. " Ah ! reprit-il, en dĂ©signant du menton un gros homme qui passait, si celui-lĂ voulait parler, je ne serais pas en peine. Il voit clair. " C'Ă©tait le cĂ©lĂšbre Amadieu, qui vivait toujours sur sa rĂ©ussite, dans l'affaire des mines de Selsis, les actions achetĂ©es Ă quinze francs, en un coup d'entĂÂȘtement imbĂ©cile, revendues plus tard avec un bĂ©nĂ©fice d'une quinzaine de millions, sans qu'il eĂ»t rien prĂ©vu ni calculĂ©, au hasard. On le vĂ©nĂ©rait pour ses grandes capacitĂ©s financiĂšres, une vĂ©ritable cour le suivait, en tĂÂąchant de surprendre ses moindres paroles et en jouant dans le sens qu'elles semblaient indiquer. " Bah ! s'Ă©cria Pillerault, tout Ă sa thĂ©orie favorite du casse-cou, le mieux est encore de suivre son idĂ©e, au petit bonheur... Il n'y a que la chance. On a de la chance ou l'on n'a pas de chance. Alors, quoi ? il ne faut pas rĂ©flĂ©chir. Moi, chaque fois que j'ai rĂ©flĂ©chi, j'ai failli y rester... Tenez ! tant que je verrai ce monsieur-lĂ solide Ă son poste, avec son air de gaillard qui veut tout manger, j'achĂšterai. " D'un geste, il avait montrĂ© Saccard, qui venait d'arriver et qui s'installait Ă sa place habituelle, contre le pilier de la premiĂšre arcade de gauche. Comme tous les chefs de maison importante, il avait ainsi une place connue, oĂÂč les employĂ©s et les clients Ă©taient certains de le trouver, les jours de Bourse. Gundermann seul affectait de ne jamais mettre les pieds dans la grande salle ; il n'y envoyait mĂÂȘme pas un reprĂ©sentant officiel ; mais on y sentait une armĂ©e Ă lui, il y rĂ©gnait en maĂtre absent et souverain, par la lĂ©gion innombrable des remisiers, des agents qui apportaient ses ordres, sans compter ses crĂ©atures, si nombreuses, que tout homme prĂ©sent Ă©tait peut-ĂÂȘtre le mystĂ©rieux soldat de Gundermann. Et c'Ă©tait contre cette armĂ©e insaisissable et partout agissante que luttait Saccard, en personne, Ă front dĂ©couvert. DerriĂšre lui, dans l'angle du pilier, il y avait un banc, mais il ne s'y asseyait jamais, debout pendant les deux heures du marchĂ©, comme dĂ©daigneux de la fatigue. Parfois, aux minutes d'abandon, il s'appuyait simplement du coude Ă la pierre, que la salissure de tous les contacts, Ă hauteur d'homme, avait noircie et polie ; et dans la nuditĂ© blafarde du monument il y avait mĂÂȘme lĂ un dĂ©tail caractĂ©ristique, cette bande de crasse luisante, contre les portes, contre les murs, dans les escaliers, dans la salle, un soubassement immonde, la sueur accumulĂ©e des gĂ©nĂ©rations de joueurs et de voleurs. TrĂšs Ă©lĂ©gant, trĂšs correct, ainsi que tous les boursiers, avec son drap fin et son linge Ă©blouissant, Saccard avait la mine aimable et reposĂ©e d'un homme sans prĂ©occupations, au milieu de ces murs bordĂ©s de noir. " Vous savez, dit Moser en Ă©touffant sa voix, qu'on l'accuse de soutenir la hausse par des achats considĂ©rables. Si l'Universelle joue sur ses propres actions, elle est fichue. " Mais Pillerault protestait. " Encore un cancan !... Est-ce qu'on peut dire au juste qui vend et qui achĂšte... Il est lĂ pour les clients de sa maison, ce qui est bien naturel. Et il y est aussi pour son propre compte, car il doit jouer. " Moser, d'ailleurs, n'insista pas. Personne encore, Ă la Bourse, n'aurait osĂ© affirmer la terrible campagne menĂ©e par Saccard, ces achats qu'il faisait pour le compte de la sociĂ©tĂ©, sous le couvert d'hommes de paille, Sabatani, Jantrou, d'autres encore, surtout des employĂ©s de sa direction. Une rumeur seulement courait, chuchotĂ©e Ă l'oreille, dĂ©mentie, toujours renaissante, quoique sans preuve possible. D'abord, il n'avait fait que soutenir les cours avec prudence, revendant dĂšs qu'il pouvait, afin de ne pas trop immobiliser les capitaux et encombrer les caisses de titres. Mais il Ă©tait maintenant entraĂnĂ© par la lutte, et il avait prĂ©vu, ce jour-lĂ , la nĂ©cessitĂ© d'achats exagĂ©rĂ©s, s'il voulait rester maĂtre du champ de bataille. Ses ordres Ă©taient donnĂ©s, il affectait son calme souriant des jours ordinaires, malgrĂ© son incertitude sur le rĂ©sultat final et le trouble qu'il Ă©prouvait, Ă s'engager ainsi de plus en plus dans une voie qu'il savait effroyablement dangereuse. Brusquement, Moser, qui Ă©tait allĂ© rĂÂŽder derriĂšre le dos du cĂ©lĂšbre Amadieu, en grande confĂ©rence avec un petit homme chafouin, revint trĂšs exaltĂ©, bĂ©gayant " Je l'ai entendu, entendu de mes oreilles... Il a dit que les ordres de vente de Gundermann dĂ©passaient dix millions... Oh ! je vends, je vends, je vendrais jusqu'Ă ma chemise ! - Dix millions, fichtre ! murmura Pillerault, la voix un peu altĂ©rĂ©e. C'est une vraie guerre au couteau. " Et, dans la clameur roulante qui croissait, grossie de toutes les conversations particuliĂšres, il n'y avait plus que ce duel fĂ©roce entre Gundermann et Saccard. On ne distinguait pas les paroles, mais le bruit en Ă©tait fait, c'Ă©tait cela seul qui grondait si haut, l'entĂÂȘtement calme et logique de l'un Ă vendre, l'enfiĂšvrement de passion Ă toujours acheter, qu'on soupçonnait chez l'autre. Les nouvelles contradictoires qui circulaient, murmurĂ©es d'abord, finissaient par des Ă©clats de trompette. DĂšs qu'ils ouvraient la bouche, les uns criaient, pour se faire entendre au milieu du vacarme ; tandis que d'autres, pleins de mystĂšre, se penchaient Ă l'oreille de leurs interlocuteurs, parlaient trĂšs bas mĂÂȘme quand ils n'avaient rien Ă dire. " Eh ! je garde mes positions Ă la hausse ! reprit Pillerault, dĂ©jĂ raffermi. Il fait un soleil trop beau, tout va monter encore. - Tout va crouler, rĂ©pliqua Moser avec son obstination dolente. La pluie n'est pas loin, j'ai eu une crise cette nuit. " Mais le sourire de Salmon, qui les Ă©coutait Ă tour de rĂÂŽle, devint si aigu, que tous deux restĂšrent mĂ©contents, sans certitude possible. Est- ce que ce diable d'homme, si extraordinairement fort, si profond et si discret, avait trouvĂ© une troisiĂšme façon de jouer, en ne se mettant ni Ă la hausse ni Ă la baisse ? Saccard, Ă son pilier, voyait grossir autour de lui la cohue de ses flatteurs et de ses clients. Continuellement, des mains se tendaient, et il les serrait toutes, avec la mĂÂȘme facilitĂ© heureuse, mettant dans chaque Ă©treinte de ses doigts une promesse de triomphe. Certains accouraient, Ă©changeaient un mot, repartaient ravis. Beaucoup s'entĂÂȘtaient, ne le lĂÂąchaient plus, glorieux d'ĂÂȘtre de son groupe. Souvent il se montrait aimable, sans se rappeler le nom des gens qui lui parlaient. Ainsi, il fallut que le capitaine Chave lui nommĂÂąt Maugendre, pour qu'il reconnĂ»t celui-ci. Le capitaine, remis avec son beau-frĂšre, le poussait Ă vendre ; mais la poignĂ©e de main du directeur suffit Ă enflammer Maugendre d'un espoir sans limite. Ensuite, ce fut SĂ©dille, l'administrateur, le grand marchand de soie, qui voulut avoir une consultation d'une minute. Sa maison de commerce pĂ©riclitait, toute sa fortune Ă©tait liĂ©e Ă celle de l'Universelle, Ă ce point que la baisse possible devait ĂÂȘtre pour lui un Ă©croulement ; et, anxieux, dĂ©vorĂ© de sa passion, ayant d'autres ennuis du cĂÂŽtĂ© de son fils Gustave qui ne rĂ©ussissait guĂšre chez Mazaud, il Ă©prouvait le besoin d'ĂÂȘtre rassurĂ©, encouragĂ©. D'une tape sur l'Ă©paule, Saccard le renvoya, plein de foi et d'ardeur. Puis, il y eut tout un dĂ©filĂ© Kolb, le banquier, qui avait rĂ©alisĂ© depuis longtemps, mais qui mĂ©nageait le hasard ; le marquis de Bohain, qui, avec sa condescendance hautaine de grand seigneur, affectait de frĂ©quenter la Bourse, par curiositĂ© et dĂ©soeuvrement ; Huret lui-mĂÂȘme, incapable de rester fĂÂąchĂ©, trop souple pour n'ĂÂȘtre pas l'ami des gens jusqu'au jour de l'engloutissement final, venant voir s'il n'y avait plus rien Ă ramasser. Mais Daigremont parut, tous s'Ă©cartĂšrent. Il Ă©tait trĂšs puissant, on remarqua son amabilitĂ©, la façon dont il plaisanta, d'un air de camaraderie confiante. Les haussiers rayonnaient, car il avait la rĂ©putation d'un homme adroit, qui savait sortir des maisons aux premiers craquements des planchers ; et il devenait certain que l'Universelle ne craquait pas encore.. D'autres enfin circulaient, qui Ă©changeaient simplement un coup d'oeil avec Saccard, les hommes Ă lui, les employĂ©s chargĂ©s de donner les ordres, achetant aussi pour leur propre compte, dans la rage de jeu dont l'Ă©pidĂ©mie dĂ©cimait le personnel de la rue de Londres, toujours aux aguets, l'oreille aux serrures, en chasse des renseignements. Ce fut ainsi que, deux fois, Sabatani passa, avec sa grĂÂące molle d'Italien mĂÂątinĂ© d'Oriental, en affectant de ne pas mĂÂȘme voir le patron ; tandis que Jantrou, immobile Ă quelques pas, tournant le dos, semblait tout Ă la lecture des dĂ©pĂÂȘches des Bourses Ă©trangĂšres, affichĂ©es dans des cadres grillagĂ©s. Le remisier Massias, qui, toujours courant, bouscula le groupe, eut un petit signe de tĂÂȘte, pour rendre sans doute une rĂ©ponse, quelque commission vivement faite. Et, Ă mesure que l'heure de l'ouverture approchait, le piĂ©tinement sans fin, le double courant de foule, sillonnant la salle, l'emplissait des secousses profondes et du retentissement d'une marĂ©e haute. On attendait le premier cours. A la corbeille, Mazaud et Jacoby, sortant du cabinet des agents de change, venaient d'entrer, cĂÂŽte Ă cĂÂŽte, d'un air de correcte confraternitĂ©. Ils se savaient pourtant adversaires dans la lutte sans merci qui se livrait depuis des semaines, et qui pouvait finir par la ruine de l'un d'eux. Mazaud, petit, avec sa taille mince de joli homme, Ă©tait d'une vivacitĂ© gaie, oĂÂč se retrouvait sa chance si heureuse jusque-lĂ , cette chance qui l'avait fait hĂ©riter, Ă trente-deux ans, de la charge d'un de ses oncles ; tandis que Jacoby, ancien fondĂ© de pouvoir, devenu agent Ă l'anciennetĂ©, grĂÂące Ă des clients qui le commanditaient, avait le ventre Ă©paissi et le pas lourd de ses soixante ans, grand gaillard grisonnant et chauve, Ă©talant une large face de bon diable jouisseur. Et tous deux, leurs carnets Ă la main, causaient du beau temps, comme s'ils n'avaient pas tenu lĂ , sur ces quelques feuilles, les millions qu'ils allaient Ă©changer, ainsi que des coups de feu, dans la meurtriĂšre mĂÂȘlĂ©e de l'offre et de la demande. " Hein ? une jolie gelĂ©e ! - - Oh ! imaginez-vous, je suis venu Ă pied, tant c'Ă©tait charmant ! " ArrivĂ©s devant la corbeille, le vaste bassin circulaire, encore net des papiers inutiles, des fiches qu'on y jette, ils s'arrĂÂȘtĂšrent un instant, appuyĂ©s Ă la rampe de velours rouge qui l'entoure, continuant Ă se dire des choses banales et interrompues, tout en guettant de l'oeil les alentours. Les quatre travĂ©es, en forme de croix, fermĂ©es par des grilles, sorte d'Ă©toile Ă quatre branches ayant pour centre la corbeille, Ă©tait le lieu sacrĂ© interdit au public ; et, entre les branches, en avant, il y avait d'un cĂÂŽtĂ© un autre compartiment, oĂÂč se trouvaient les commis du comptant, que dominaient les trois coteurs, assis sur de hautes chaises, devant leurs immenses registres ; tandis que, de l'autre cĂÂŽtĂ©, un compartiment plus petit, ouvert celui-lĂ , nommĂ© " la guitare " , Ă cause de sa forme sans doute, permettait aux employĂ©s et aux spĂ©culateurs de se mettre en contact direct avec les agents. DerriĂšre, dans l'angle formĂ© par deux autres branches, se tenait, en pleine foule, le marchĂ© des rentes françaises, oĂÂč chaque agent Ă©tait reprĂ©sentĂ©, ainsi qu'au marchĂ© du comptant, par un commis spĂ©cial, ayant son carnet distinct ; car les agents de change, autour de la corbeille, ne s'occupent exclusivement que des marchĂ©s Ă terme, tout entiers Ă la grande besogne effrĂ©nĂ©e du jeu. Mais, apercevant, dans la travĂ©e de gauche, son fondĂ© de pouvoir Berthier qui lui faisait un signe, Mazaud alla Ă©changer avec lui quelques mots Ă demi-voix, les fondĂ©s de pouvoir n'ayant que le droit d'ĂÂȘtre dans les travĂ©es, Ă distance respectueuse de la rampe de velours rouge, qu'aucune main profane ne saurait toucher. Chaque jour, Mazaud venait ainsi Ă la Bourse avec Berthier et ses deux commis, celui du comptant et celui de la rente, auxquels se joignait le plus souvent le liquidateur de la charge ; sans compter l'employĂ© aux dĂ©pĂÂȘches qui Ă©tait toujours le petit Flory, la face de plus en plus enfouie dans son Ă©paisse barbe, d'oĂÂč ne sortait que l'Ă©clat de ses yeux tendres. Depuis son gain de dix mille francs, au lendemain de Sadowa, Flory, affolĂ© par les exigences de Chuchu devenue capricieuse et dĂ©vorante, jouait Ă©perdument Ă son compte, sans calcul aucun d'ailleurs, tout au jeu de Saccard qu'il suivait avec une foi aveugle. Les ordres qu'il connaissait, les tĂ©lĂ©grammes qui lui passaient par les mains, suffisaient Ă le guider. Et, justement, comme il descendait en courant du tĂ©lĂ©graphe, installĂ© au premier Ă©tage, les deux mains pleines de dĂ©pĂÂȘches il dut faire appeler par un garde Mazaud, qui lĂÂącha Berthier, pour venir contre la guitare. " Monsieur, faut-il aujourd'hui les dĂ©pouiller et les classer ? - Sans doute, si elles arrivent ainsi en masse... Qu'est-ce que c'est que tout ça ? - Oh ! de l'Universelle, des ordres d'achat, presque toutes. " L'agent, d'une main exercĂ©e, feuilletait les dĂ©pĂÂȘches, visiblement satisfait. TrĂšs engagĂ© avec Saccard, qu'il reportait depuis longtemps pour des sommes considĂ©rables, ayant encore reçu de lui, le matin mĂÂȘme, des ordres d'achat Ă©normes, il avait fini par ĂÂȘtre l'agent en titre de l'Universelle. Et, quoique sans grosse inquiĂ©tude jusque-lĂ , cet engouement persistant du public, ces achats entĂÂȘtĂ©s, malgrĂ© l'exagĂ©ration des cours, le rassuraient, un nom le frappa, parmi les signataires des dĂ©pĂÂȘches, celui de Fayeux, ce receveur de rentes de VendĂÂŽme, qui devait s'ĂÂȘtre fait une clientĂšle extrĂÂȘmement nombreuse de petits acheteurs, parmi les fermiers, les dĂ©votes et les prĂÂȘtres de sa province, car il ne se passait pas de semaine, sans qu'il envoyĂÂąt ainsi tĂ©lĂ©grammes sur tĂ©lĂ©grammes. " Donnez ça au comptant, dit Mazaud Ă Flory. Et n'attendez pas qu'on vous descende les dĂ©pĂÂȘches, n'est-ce pas ? Restez lĂ -haut, prenez-les vous-mĂÂȘme. " Flory alla s'accouder Ă la balustrade du comptant, criant Ă toute voix " Mazaud ! Mazaud ! " Et ce fut Gustave SĂ©dille qui s'approcha ; car, Ă la Bourse, les employĂ©s perdent leur nom, n'ont plus que le nom de l'agent qu'ils reprĂ©sentent. Flory, lui aussi, s'appelait Mazaud. AprĂšs avoir quittĂ© la charge pendant prĂšs de deux ans, Gustave venait d'y rentrer, afin de dĂ©cider son pĂšre Ă payer ses dettes ; et, ce jour-lĂ , en l'absence du commis principal, il se trouvait chargĂ© du comptant, ce qui l'amusait. Flory s'Ă©tant penchĂ© Ă son oreille, tous deux convinrent de n'acheter pour Fayeux qu'au dernier cours, aprĂšs avoir jouĂ© pour eux sur ses ordres, n'achetant et en revendant d'abord au nom de leur homme de paille habituel, de façon Ă toucher la diffĂ©rence, puisque la hausse leur semblait certaine. Cependant, Mazaud revint vers la corbeille. Mais, Ă chaque pas, un garde lui remettait, de la part de quelque client qui n'avait pu s'approcher, une fiche, oĂÂč un ordre Ă©tait griffonnĂ© au crayon. Chaque agent avait sa fiche particuliĂšre, d'une couleur spĂ©ciale, rouge, jaune, bleue, verte, afin qu'on pĂ»t la reconnaĂtre aisĂ©ment. Celle de Mazaud Ă©tait verte couleur de l'espĂ©rance ; et les petits papiers verts continuaient Ă s'amasser entre ses doigts, dans le continuel va-et-vient des gardes, qui les prenaient au bout des travĂ©es, de la main des employĂ©s et des spĂ©culateurs, tous pourvus d'une provision de ces fiches, de façon Ă gagner du temps. Comme il s'arrĂÂȘtait de nouveau devant la rampe de velours, il y retrouva Jacoby, qui, lui Ă©galement, tenait une poignĂ©e de fiches, sans cesse grossie, des fiches rouges, d'un rouge frais de sang rĂ©pandu sans doute des ordres de Gundermann et de ses fidĂšles, car personne n'ignorait que Jacoby, dans le massacre qui se prĂ©parait, Ă©tait l'agent des baissiers, le principal exĂ©cuteur des hautes oeuvres de la banque juive. Et il causait maintenant avec un autre agent, Delarocque, son beau-frĂšre, un chrĂ©tien qui avait Ă©pousĂ© une juive, un gros homme roux et trapu, trĂšs chauve, lancĂ© dans le monde des cercles, connu pour recevoir les ordres de Daigremont, lequel s'Ă©tait fĂÂąchĂ© depuis peu avec Jacoby, comme autrefois avec Mazaud. L'histoire que Delarocque racontait, une histoire grasse de femme rentrĂ©e chez son mari sans chemise, allumait ses petits yeux clignotants, tandis qu'il agitait, dans une mimique passionnĂ©e, son carnet, d'oĂÂč dĂ©bordait le paquet de ses fiches, bleues celles-ci, d'un bleu tendre de ciel d'avril. " M. Massias vous demande " , vint dire un garde Ă Mazaud. Vivement, ce dernier retourna au bout de la travĂ©e. Le remisier, complĂštement Ă la solde de l'Universelle, lui apportait des nouvelles de la coulisse, qui fonction ait dĂ©jĂ sous le pĂ©ristyle, malgrĂ© la terrible gelĂ©e. Quelques spĂ©culateurs se risquaient quand mĂÂȘme, rentraient par moments se chauffer dans la salle ; pendant que les coulissiers, au fond d'Ă©pais paletots, les collets de fourrure relevĂ©s, tenaient bon, en cercle comme d'habitude, au-dessous de l'horloge, s'animant, criant, gesticulant si fort qu'ils ne sentaient pas le froid. Et le petit Nathansohn se montrait parmi les plus actifs, en train de devenir un gros monsieur, favorisĂ© par la chance, depuis le jour, oĂÂč, simple petit employĂ© dĂ©missionnaire du CrĂ©dit Mobilier, il avait eu l'idĂ©e de louer une chambre et d'ouvrir un guichet. D'une voix rapide, Massias expliqua que, les cours ayant l'air de flĂ©chir, sous le paquet de valeurs dont les baissiers accablaient le marchĂ©, Cassard venait d'avoir l'idĂ©e d'opĂ©rer Ă la coulisse, pour influer sur le premier cours officiel de la corbeille. L'Universelle avait clĂÂŽturĂ© la veille, Ă 3 030 francs ; et il avait fait donner l'ordre Ă Nathansohn d'acheter cent titres, qu'un autre coulissier devait offrir Ă 3 035 francs. C'Ă©tait cinq francs de majoration. " Bon ! le cours nous arrivera " , dit Mazaud. Et il revint parmi le groupe des agents, qui se trouvaient au complet. Les soixante Ă©taient lĂ , faisant dĂ©jĂ entre eux, malgrĂ© le rĂšglement, les affaires au cours moyen, en attendant le coup de cloche rĂ©glementaire. Les ordres donnĂ©s Ă un cours fixĂ© d'avance n'influaient pas sur le marchĂ©, puisqu'il fallait attendre ce cours ; tandis que les ordres au mieux, ceux dont on laissait la libre exĂ©cution au flair de l'agent, dĂ©terminaient la continuelle oscillation des cotes diffĂ©rentes. Un bon agent Ă©tait fait de finesse et de prescience, de cervelle prompte et de muscles agiles, car la rapiditĂ© assurait souvent le succĂšs ; sans compter la nĂ©cessitĂ© des belles relations dans la haute banque, des renseignements ramassĂ©s un peu partout, des dĂ©pĂÂȘches reçues des Bourses françaises et Ă©trangĂšres, avant tout autre. Et il fallait encore une voix solide, pour crier fort. Mais une heure sonna, la volĂ©e de la cloche passa en coup de vent sur la houle violente des tĂÂȘtes ; et la derniĂšre vibration n'Ă©tait pas Ă©teinte, que Jacoby, les deux mains appuyĂ©es sur le velours, jetait d'une voix mugissante, la plus forte de la compagnie " J'ai de l'Universelle... J'ai de l'Universelle... " Il ne fixait pas de prix, attendant la demande. Les soixante s'Ă©taient rapprochĂ©s et formaient le cercle autour de la corbeille, oĂÂč dĂ©jĂ quelques fiches jetĂ©es faisaient des taches de couleurs vives. Face Ă face, ils se dĂ©visageaient tous, se tĂÂątaient comme les duellistes au dĂ©but d'une affaire, trĂšs pressĂ©s de voir s'Ă©tablir le premier cours. " J'ai de l'Universelle, rĂ©pĂ©tait la basse grondante de Jacoby. J'ai de l'Universelle. - A quel cours, l'Universelle ? " demanda Mazaud d'une voix mince, mais si aiguĂ, qu'elle dominait celle de son collĂšgue, comme un chant de flĂ»te s'entend au-dessus d'un accompagnement de violoncelle. Et Delarocque proposa le cours de la veille. " A 3 030, je prends l'Universelle. " Mais, tout de suite, un autre agent renchĂ©rit. " A 3 035, envoyez l'Universelle. " C'Ă©tait le cours de la coulisse qui arrivait, empĂÂȘchant l'arbitrage que Delarocque devait prĂ©parer un achat Ă la corbeille et une vente prompte Ă la coulisse, pour empocher les cinq francs de hausse. Aussi Mazaud se dĂ©cida-t-il, certain d'ĂÂȘtre approuvĂ© par Saccard. " A 3040, je prends... Envoyez l'Universelle Ă 3040. - Combien ? dut demander Jacoby. - Trois cents. " Tous deux Ă©crivirent un bout de ligne sur leur carnet, et le marchĂ© Ă©tait conclu, le premier cours se trouvait fixĂ©, avec une hausse de dix francs sur le cours de la veille. Mazaud se dĂ©tacha, alla donner le chiffre Ă celui des coteurs qui avait l'Universelle sur son registre. Alors, pendant vingt minutes, ce fut une vĂ©ritable Ă©cluse lĂÂąchĂ©e les cours des autres valeurs s'Ă©taient Ă©galement Ă©tablis, tout le paquet des affaires apportĂ©es par les agents, se concluait, sans grandes variations. Et, cependant, les coteurs, haut perchĂ©s, pris entre le vacarme de la corbeille et celui du comptant, qui fonctionnait fiĂ©vreusement lui aussi, avaient grand-peine Ă inscrire toutes les cotes nouvelles que venaient leur jeter les agents et les commis. En arriĂšre, la rente Ă©galement faisait rage. Depuis que le marchĂ© Ă©tait ouvert, la foule ne ronflait plus seule, avec le bruit continu des grandes eaux ; et, sur ce grondement formidable, s'Ă©levaient maintenant les cris discordants de l'offre et de la demande, un glapissement caractĂ©ristique, qui montait, descendait, s'arrĂÂȘtait pour reprendre en notes inĂ©gales et dĂ©chirĂ©es, ainsi que des appels d'oiseaux pillards dans la tempĂÂȘte. Saccard souriait, debout prĂšs de son pilier. Sa cour avait augmentĂ© encore, la hausse de dix francs sur l'Universelle venait d'Ă©motionner la Bourse, car on y pronostiquait depuis longtemps une dĂ©bĂÂącle pour le jour de la liquidation. Huret s'Ă©tait rapprochĂ© avec SĂ©dille et Kolb, en affectant de regretter tout haut sa prudence, qui lui avait fait vendre ses actions, dĂšs le cours de 2 500 ; tandis que Daigremont, l'air dĂ©sintĂ©ressĂ©, promenant Ă son bras le marquis de Bohain, lui expliquait gaiement la dĂ©faite de son Ă©curie, aux courses d'automne. Mais, surtout, Maugendre triomphait, accablait le capitaine Chave, obstinĂ© quand mĂÂȘme dans son pessimisme, disant qu'il fallait attendre la fin. Et la mĂÂȘme scĂšne se reproduisait entre Pillerault vantard et Moser mĂ©lancolique, l'un radieux de cette folie de la hausse, l'autre serrant les poings, parlant de cette hausse te tue, imbĂ©cile, comme d'une bĂÂȘte enragĂ©e qu'on finirait pourtant bien par abattre. Une heure se passa, les cours restaient Ă peu prĂšs les mĂÂȘmes, les affaires continuaient Ă la corbeille, moins drues, au fur et Ă mesure que les ordres nouveaux et les dĂ©pĂÂȘches les apportaient. Il y avait ainsi, vers le milieu de chaque Bourse, une sorte de ralentissement, l'accalmie des transactions courantes, en attendant la lutte dĂ©cisive du dernier cours. Pourtant, on entendait toujours le mugissement de Jacoby, que coupaient les notes aiguĂs de Mazaud, engagĂ©s l'un et l'autre, dans des opĂ©rations Ă prime. " J'ai de l'Universelle Ă 3040, dont 15... Je prends de l'Universelle Ă 3040, dont 10... Combien ?... Vingt-cinq... Envoyez ! " Ce devaient ĂÂȘtre des ordres de Fayeux que Mazaud exĂ©cutait, car beaucoup de joueurs de province, pour limiter leur perte, avant d'oser se lancer dans le ferme, achetaient et vendaient Ă prime. Puis, brusquement, une rumeur courut, des voix saccadĂ©es s'Ă©levĂšrent l'Universelle venait de baisser de cinq francs ; et, coup sur coup, elle baissa de dix francs, de quinze francs, elle tomba Ă 3 025. Justement, Ă ce moment-lĂ , Jantrou, qui avait reparu, aprĂšs une courte absence, disait Ă l'oreille de Saccard que la baronne Sandorff Ă©tait lĂ , rue Brongniart, dans son coupĂ© et qu'elle lui faisait demander s'il fallait vendre. A cette question, tombant au moment oĂÂč les cours flĂ©chissaient, l'exaspĂ©ra. Il revoyait le cocher immobile, haut perchĂ© sur le siĂšge, la baronne consultant son carnet, comme chez elle, glaces closes. Et il rĂ©pondit " Qu'elle me fiche la paix ! et si elle vend, je l'Ă©trangle ! " Massias accourait, Ă l'annonce des quinze francs de baisse, ainsi qu'Ă un appel d'alarme, sentant bien qu'il allait ĂÂȘtre nĂ©cessaire. En effet, Saccard, qui avait prĂ©parĂ© un coup pour enlever le dernier cours, une dĂ©pĂÂȘche qu'on devait envoyer de la Bourse de Lyon, oĂÂč la hausse Ă©tait certaine, commençait Ă s'inquiĂ©ter, en ne voyant pas arriver la dĂ©pĂÂȘche ; et cette dĂ©gringolade de quinze francs, imprĂ©vue, pouvait amener un dĂ©sastre. Habilement, Massias ne s'arrĂÂȘta pas devant lui, le heurta du coude, puis reçut son ordre, l'oreille tendue. " Vite, Ă Nathansohn, quatre cents, cinq cents, ce qu'il faudra. " Cela s'Ă©tait fait si rapidement, que Pillerault et Moser seuls s'en aperçurent. Ils se lancĂšrent sur les pas de Massias, pour savoir. Massias, depuis qu'il Ă©tait Ă la solde de l'Universelle, avait pris une importance Ă©norme. On tachait de le confesser, de lire par-dessus son Ă©paule les ordres qu'il recevait. Et lui-mĂÂȘme, maintenant, rĂ©alisait des gains superbes. Avec sa bonhomie souriante de malchanceux, que la fortune avait rudement traitĂ© jusque-lĂ , il s'Ă©tonnait, il dĂ©clarait supportable cette vie de chien de la Bourse, oĂÂč il ne disait plus qu'il fallait ĂÂȘtre juif pour rĂ©ussir. A la coulisse, dans le courant d'air glacĂ© du pĂ©ristyle, que le pĂÂąle soleil de trois heures ne chauffait guĂšre, l'Universelle avait baissĂ© moins rapidement qu'Ă la corbeille. Et Nathansohn, averti par ses courtiers, venait de rĂ©aliser l'arbitrage que n'avait pu rĂ©ussir Delarocque, au dĂ©but acheteur dans la salle Ă 3 025, il avait revendu sous la colonnade 3035. Cela n'avait pas demandĂ© trois minutes, et il gagnait soixante mille francs. DĂ©jĂ l'achat faisait, Ă la corbeille, remonter la valeur Ă 3030, par cet effet d'Ă©quilibre que les deux marchĂ©s, le lĂ©gal et le tolĂ©rĂ©, exercent l'un sur l'autre. Un galop de commis ne cessait pas, de la salle au pĂ©ristyle, jouant des coudes Ă travers la cohue. Pourtant, le cours de la coulisse allait flĂ©chir, lorsque l'ordre que Massias apportait Ă Nathansohn le soutint Ă 3035, le haussa Ă 3040 ; tandis que, par contrecoup, la valeur retrouvait aussi, au parquet, son premier cours. Mais il Ă©tait difficile de l'y maintenir, car la tactique de Jacoby et des autres agents opĂ©rant au nom des baissiers, Ă©tait, Ă©videmment, de rĂ©server les grosses ventes pour la fin de la Bourse, afin d'en Ă©craser le marchĂ© et d'amener un effondrement, dans le dĂ©sarroi de la derniĂšre demi-heure. Saccard comprit si bien le pĂ©ril, que, d'un signe convenu, il avertit Sabatani, en train de fumer une cigarette, Ă quelques pas, de son air dĂ©tachĂ© et alangui d'homme Ă femmes ; et, tout de suite, se faufilant avec une souplesse de couleuvre, ce dernier se rendit dans la guitare, oĂÂč, l'oreille aux aguets, suivant les cours, il ne s'arrĂÂȘta plus d'envoyer Ă Mazaud des ordres, sur des fiches vertes, dont il avait une provision. MalgrĂ© tout, l'attaque Ă©tait si rude, que l'Universelle, de nouveau, baissa de cinq francs. Les trois quarts sonnĂšrent, il n'y avait plus qu'un quart d'heure, avant le coup de cloche de la fermeture. A ce moment, la foule tournoyait et criait, comme flagellĂ©e par quelque tourment d'enfer ; la corbeille aboyait, hurlait, avec des retentissements fĂÂȘlĂ©s de chaudronnerie qu'on brise ; et ce fut alors que se produisit l'incident si anxieusement attendu par Saccard. Le petit Flory, qui, depuis le commencement, n'avait cessĂ© de descendre du tĂ©lĂ©graphe, toutes les dix minutes, les mains pleines de dĂ©pĂÂȘches, reparut encore, fendant la foule, lisant cette fois un tĂ©lĂ©gramme, dont il semblait enchantĂ©. " Mazaud ! Mazaud ! " appela une voix. Et Flory, naturellement, tourna la tĂÂȘte, comme s'il eĂ»t rĂ©pondu Ă l'appel de son propre nom. C'Ă©tait Jantrou qui voulait savoir. Mais le commis le bouscula, trop pressĂ©, tout Ă la joie de se dire que l'Universelle finirait en hausse ; car la dĂ©pĂÂȘche annonçait que la valeur montait Ă la Bourse de Lyon, oĂÂč des achats s'Ă©taient produits, si importants que le contrecoup allait se ressentir Ă la Bourse de Paris. En effet, d'autres tĂ©lĂ©grammes arrivaient dĂ©jĂ , un grand nombre d'agents recevaient des ordres. Le rĂ©sultat fut immĂ©diat et considĂ©rable. " A 3040, je prends l'Universelle " , rĂ©pĂ©tait Mazaud, de sa voix exaspĂ©rĂ©e de chanterelle. Et Delarocque, dĂ©bordĂ© par la demande, renchĂ©rissait de cinq francs. " A 3045, je prends... - J'ai, Ă 3045, mugissait Jacoby. Deux cents, Ă 3 045. - Envoyez ! " Alors, Mazaud monta lui-mĂÂȘme. " Je prends Ă 3050. - Combien ? - Cinq cents... Envoyez ! " Mais l'effroyable vacarme devenait tel, au milieu d'une gesticulation Ă©pileptique, que les agents eux-mĂÂȘmes ne s'entendaient plus. Et, tout Ă la fureur professionnelle qui les agitait, ils continuĂšrent par gestes, puisque les basses caverneuses des uns avortaient, tandis que les flĂ»tes des autres s'amincissaient jusqu'au nĂ©ant. On voyait s'ouvrir les bouches Ă©normes, sans qu'un bruit distinct parĂ»t en sortir, et les mains seules parlaient un geste du dedans en dehors, qui offrait, un autre geste du dehors en dedans, qui acceptait ; les doigts levĂ©s indiquaient les quantitĂ©s, les tĂÂȘtes disaient oui ou non, d'un signe. C'Ă©tait intelligible aux seuls initiĂ©s, comme un de ces coups de dĂ©mence qui frappent les foules. En haut, Ă la galerie du tĂ©lĂ©graphe, des tĂÂȘtes de femme se penchaient, stupĂ©fiĂ©es, Ă©pouvantĂ©es, devant l'extraordinaire spectacle. A la rente, on aurait dĂt une rixe, un paquet central, acharnĂ© et faisant le coup de poing, tandis que le double courant de public dont ce cĂÂŽtĂ© de la salle Ă©tait traversĂ©, dĂ©plaçait les groupes, dĂ©formĂ©s et reformĂ©s sans cesse, en de continuels remous. Entre le comptant et la corbeille, au-dessus de la tempĂÂȘte dĂ©chaĂnĂ©e des tĂÂȘtes, il n'y avait plus que les trois coteurs, assis sur leurs hautes chaises, qui surnageaient ainsi que des Ă©paves, avec la grande tache blanche de leur registre, tiraillĂ©s Ă gauche, tiraillĂ©s Ă droite, par la fluctuation rapide des cours qu'on leur jetait. Dans le compartiment du comptant surtout, la bousculade Ă©tait Ă son comble, une masse compacte de chevelures, pas mĂÂȘme de visages, un grouillement sombre qu'Ă©clairaient seulement les petites notes claires des carnets, agitĂ©s en l'air. Et, Ă la corbeille, autour du bassin que les fiches froissĂ©es emplissaient maintenant d'une floraison de toutes les couleurs, des cheveux grisonnaient, des crĂÂąnes luisaient, on distinguait la pĂÂąleur des faces secouĂ©es, des mains tendues fĂ©brilement, toute la mimique dansante des corps, plus au large, comme prĂšs de se dĂ©vorer, si la rampe ne les eĂ»t retenus. Cet enragement des derniĂšres minutes avait d'ailleurs gagnĂ© le public, on s'Ă©crasait dans la salle, un piĂ©tinement Ă©norme, une dĂ©bandade de grand troupeau lĂÂąchĂ© dans un couloir trop Ă©troit ; et seuls, au milieu de l'effacement des redingotes, les chapeaux de soie miroitaient, sous la lumiĂšre diffuse, qui tombait du vitrage. Mais, brusquement, une volĂ©e de cloche perça le tumulte. Tout se calma, les gestes s'arrĂÂȘtĂšrent, les voix se turent, au comptant, Ă la rente, Ă la corbeille. Il ne restait que le grondement sourd du public, pareil Ă la voix continue d'un torrent rentrĂ© dans son lit, qui achĂšve de s'Ă©couler. Et, dans l'agitation persistante, les derniers cours circulaient, l'Universelle Ă©tait montĂ©e Ă 3 060, en hausse encore de trente francs sur le cours de la veille. La dĂ©route des baissiers Ă©tait complĂšte, la liquidation allait une fois de plus ĂÂȘtre dĂ©sastreuse pour eux, car les diffĂ©rences de la quinzaine se solderaient par des sommes considĂ©rables. Un instant, Saccard, avant de quitter la salle, se haussa, comme pour mieux embrasser la foule autour de lui, d'un coup d'oeil. Il Ă©tait rĂ©ellement grandi, soulevĂ© d'un tel triomphe, que toute sa petite personne se gonflait, s'allongeait, devenait Ă©norme. Celui qu'il semblait ainsi chercher, par-dessus les tĂÂȘtes, c'Ă©tait Gundermann absent, Gundermann qu'il aurait voulu voir abattu, grimaçant, demandant grĂÂące ; et il tenait au moins Ă ce que toutes les crĂ©atures inconnues du juif, toute la sale juiverie qui se trouvait lĂ , hargneuse, le vĂt lui- mĂÂȘme, transfigurĂ©, dans la gloire de son succĂšs. Ce fut sa grande journĂ©e, celle dont on parle encore, comme on parle d'Austerlitz et de Marengo. Ses clients, ses amis s'Ă©taient prĂ©cipitĂ©s. Le marquis de Bohain, SĂ©dille, Kolb, Huret, lui serraient les deux mains, tandis que Daigremont, avec le sourire faux de son amabilitĂ© mondaine, le complimentait, sachant bien qu'on meurt, Ă la Bourse, de pareilles victoires. Maugendre l'aurait embrassĂ© sur les deux joues, exaltĂ©, exaspĂ©rĂ© en voyant le capitaine Chave hausser quand mĂÂȘme les Ă©paules. Mais l'adoration complĂšte, religieuse,, Ă©tait, celle de Dejoie, qui, venu du journal en courant, pour connaĂtre tout de suite le dernier cours, restait Ă quelques pas, immobile, clouĂ© par la tendresse et l'admiration, les yeux luisants de larmes. Jantrou avait disparu, portant sans doute la nouvelle Ă la baronne Sandorff. Massias et Sabatani soufflaient, rayonnants, comme au soir triomphal d'une grande bataille. " Eh bien, qu'est-ce que je disais ? " criait Pillerault ravi. Moser, le nez allongĂ©, grognait de sourdes menaces. " Oui, oui, au bout du fossĂ© la culbute... La carte du Mexique Ă payer, les affaires de Rome qui s'embrouillent encore depuis Mentana, l'Allemagne qui va tomber sur nous un de ces quatre matins... Oui, oui, et ces imbĂ©ciles qui montent encore, pour culbuter de plus haut. Ah ! tout est bien fichu, vous verrez ! " Puis, comme Salmon, cette fois, demeurait grave, en le regardant " C'est votre avis, n'est-ce pas ? Quand tout marche trop bien, c'est que tout va craquer. " Cependant, la salle se vidait, il n'allait y rester, en l'air, que la fumĂ©e des cigares, une nuĂ©e bleuĂÂątre, Ă©paissie et jaunie de toutes les poussiĂšres envolĂ©es, Mazaud et Jacoby, redevenus corrects, Ă©taient rentrĂ©s ensemble dans le cabinet des agents de change, le second plus Ă©mu par de secrĂštes pertes personnelles que par la dĂ©faite de ses clients ; tandis que le premier, qui ne jouait pas, Ă©tait tout Ă la joie du dernier cours, si vaillamment enlevĂ©. Ils causĂšrent quelques minutes avec Delarocque, pour des Ă©changes d'engagements, tenant Ă la main leurs carnets pleins de notes, que leurs liquidateurs devaient dĂ©pouiller dĂšs le soir, afin d'appliquer les affaires faites. Pendant ce temps, dans la salle des commis, une salle basse, coupĂ©e de gros piliers, pareille Ă une classe mal tenue, avec des rangĂ©es de pupitres et un vestiaire tout au fond, Flory et Gustave SĂ©dille, qui Ă©taient allĂ©s chercher leurs chapeaux, s'Ă©gayaient bruyamment, en attendant de connaĂtre le cours moyen, que les employĂ©s du syndicat, Ă un des pupitres, Ă©tablissaient d'aprĂšs le cours le plus haut et le cours le plus bas. Vers trois heures et demie, lorsque l'affiche eut Ă©tĂ© collĂ©e sur un pilier, tous deux hennirent, gloussĂšrent, imitĂšrent le chant du coq, dans le contentement de la belle opĂ©ration qu'ils avaient rĂ©alisĂ©e, en trafiquant sur les ordres d'achat de Fayeux. C'Ă©tait une paire de solitaires pour Chuchu qui tyrannisait maintenant Flory de ses exigences, et un semestre d'avance pour Germaine Coeur que Gustave avait fait la bĂÂȘtise d'enlever dĂ©finitivement Ă Jacoby, lequel venait de prendre au mois une Ă©cuyĂšre de l'Hippodrome. D'ailleurs, le vacarme continuait dans la salle des commis, des farces ineptes, un massacre des chapeaux, au milieu d'une bousculade d'Ă©coliers en rĂ©crĂ©ation. Et, d'autre part, sous le pĂ©ristyle, la coulisse finissait de bĂÂącler des affaires, Nathansohn se dĂ©cidait Ă descendre les marches, enchantĂ© de son arbitrage, parmi le flot des derniers spĂ©culateurs, qui s'attardaient, malgrĂ© le froid devenu terrible. DĂšs six heures, tout ce monde de joueurs, d'agents de change, de coulissiers et de remisiers, aprĂšs avoir, les uns Ă©tabli leur gain ou leur perte, les autres arrĂÂȘtĂ© leurs notes de courtage, allaient se mettre en habit, pour finir d'Ă©tourdir leur journĂ©e, avec leur notion pervertie de l'argent, dans les restaurants et les thĂ©ĂÂątres, les soirĂ©es mondaines et les alcĂÂŽves galantes. Ce soir-lĂ , Paris qui veille et qui s'amuse ne parla que du duel formidable engagĂ© entre Gundermann et Saccard. Les femmes, tout entiĂšres au jeu par passion et par mode, affectaient de se servir des mots techniques de liquidation, prime, report, dĂ©port, sans toujours les comprendre. On causait surtout de la position critique des baissiers qui, depuis tant de mois, payaient, Ă chaque liquidation nouvelle, des diffĂ©rences de plus en plus fortes, Ă mesure que l'Universelle montait, dĂ©passant toute limite raisonnable. Certainement, beaucoup jouaient Ă dĂ©couvert et se faisaient reporter, ne pouvant livrer les titres ; ils s'acharnaient, continuaient leurs opĂ©rations Ă la baisse, avec l'espoir d'une dĂ©bĂÂącle prochaine des actions ; mais, malgrĂ© les reports qui tendaient Ă s'Ă©lever d'autant plus que l'argent se faisait plus rare, les baissiers, Ă©puisĂ©s, Ă©crasĂ©s, allaient ĂÂȘtre anĂ©antis, si la hausse continuait. A la vĂ©ritĂ©, la situation de Gundermann, du chef tout- puissant qu'on leur donnait, Ă©tait diffĂ©rente, car lui avait dans ses caves son milliard, d'inĂ©puisables troupes qu'il envoyait au massacre, si longue et meurtriĂšre que fĂ»t la campagne. C'Ă©tait l'invincible force, pouvoir rester vendeur Ă dĂ©couvert, avec la certitude de toujours payer ses diffĂ©rences, jusqu'au jour oĂÂč la baisse fatale lui donnerait la victoire. Et l'on causait, on calculait les sommes considĂ©rables qu'il devait dĂ©jĂ avoir englouties, Ă faire avancer ainsi, le 15 et le 30 de chaque mois, pareils Ă des rangĂ©es de soldats que les boulets emportent, des sacs d'Ă©cus qui fondaient au feu de la spĂ©culation. Jamais encore, il n'avait subi, en Bourse, une si rude attaque Ă sa puissance, qu'il y voulait souveraine, indiscutable ; car ; s'il Ă©tait, comme il aimait Ă le rĂ©pĂ©ter, un simple marchand d'argent, et non un joueur, il avait la nette conscience que, pour rester ce marchand, le premier du monde, disposant de la fortune publique, il lui fallait ĂÂȘtre le maĂtre absolu du marchĂ© ; et il se battait, non pour le gain immĂ©diat, mais pour sa royautĂ© elle-mĂÂȘme, pour sa vie. De lĂ , l'obstination froide, la farouche grandeur de la lutte. On le rencontrait sur les boulevards, le long de la rue Vivienne, avec sa face blĂÂȘme et impassible, son pas de vieillard Ă©puisĂ©, sans que rien en lui dĂ©celĂÂąt la moindre inquiĂ©tude. Il ne croyait qu'Ă la logique. Au dessus du cours de deux mille francs, la folie commençait pour les actions de l'Universelle ; Ă trois mille, c'Ă©tait la dĂ©mence pure, elles devaient retomber, comme la pierre lancĂ©e en l'air retombe forcĂ©ment ; et il attendait. Irait-il jusqu'au bout de son milliard ? On frĂ©missait d'admiration autour de Gundermann, du dĂ©sir aussi de le voir enfin dĂ©vorer ; tandis que Saccard, qui soulevait un enthousiasme plus tumultueux, avait pour lui les femmes, les salons, tout le beau monde des joueurs, lesquels empochaient de si belles diffĂ©rences, depuis qu'ils battaient monnaie avec leur foi, en trafiquant sur le mont Carmel et sur JĂ©rusalem. La ruine prochaine de la haute banque juive Ă©tait dĂ©crĂ©tĂ©e, le catholicisme allait avoir l'empire de l'argent, comme il avait eu celui des ĂÂąmes. Seulement, si ses troupes gagnaient gros, Saccard se trouvait Ă bout d'argent, vidant ses caisses pour ses continuels achats. De deux cents millions disponibles, prĂšs des deux tiers venaient d'ĂÂȘtre ainsi immobilisĂ©s c'Ă©tait la prospĂ©ritĂ© trop grande, le triomphe asphyxiant, dont on Ă©touffe. Toute sociĂ©tĂ© qui veut ĂÂȘtre maĂtresse Ă la Bourse, pour maintenir le cours de ses actions, est une sociĂ©tĂ© condamnĂ©e. Aussi, dans les commencements, n'Ă©tait-il intervenu qu'avec prudence. Mais il avait toujours Ă©tĂ© l'homme d'imagination, voyant trop grand, transformant en poĂšmes ses trafics louches d'aventurier ; et, cette fois, avec cette affaire rĂ©ellement colossale et prospĂšre, il en arrivait Ă des rĂÂȘves extravagants de conquĂÂȘte, Ă une idĂ©e si folle, si Ă©norme, qu'il ne se la formulait mĂÂȘme pas nettement Ă lui-mĂÂȘme. Ah ! s'il avait eu des millions, des millions toujours, comme ces sales juifs ! Le pis Ă©tait qu'il voyait la fin de ses troupes, encore quelques millions bons pour le massacre. Puis, si la baisse venait, ce serait son tour de payer des diffĂ©rences ; et lui, ne pouvant lever les titres, serait bien forcĂ© de se faire reporter. Dans sa victoire, le moindre gravier devait culbuter sa vaste machine. On en avait la sourde conscience, mĂÂȘme parmi les fidĂšles, ceux qui croyaient Ă la hausse comme au bon Dieu. C'Ă©tait ce qui achevait de passionner Paris, la confusion et le doute oĂÂč l'on s'agitait, ce duel de Saccard et de Gundermann dans lequel le vainqueur perdait tout son sang, dans ce corps Ă corps des deux monstres lĂ©gendaires, Ă©crasant entre eux les pauvres diables qui se risquaient Ă jouer leur jeu, menaçant de s'Ă©trangler l'un l'autre, sur le monceau des ruines qu'ils entassaient. Brusquement, le 3 janvier, le lendemain mĂÂȘme du jour oĂÂč venaient d'ĂÂȘtre rĂ©glĂ©s les comptes de la derniĂšre liquidation, l'Universelle baissa de cinquante francs. Ce fut une forte Ă©motion. A la vĂ©ritĂ©, tout avait baissĂ© ; le marchĂ©, surmenĂ© depuis longtemps, gonflĂ© outre mesure, craquait de toutes parts ; deux ou trois affaires vĂ©reuses s'effondraient avec bruit ; et, d'ailleurs, on aurait dĂ» ĂÂȘtre habituĂ© Ă ces sautes violentes des cours, qui parfois variaient de plusieurs centaines de francs dans une mĂÂȘme Bourse, affolĂ©s, pareils Ă l'aiguille de la boussole au milieu d'un orage. Mais, au grand frisson qui passa, tous sentirent le commencement de la dĂ©bĂÂącle. L'Universelle baissait, le cri en courut, se propagea, dans une clameur de foule, faite d'Ă©tonnement, d'espoir et de crainte. DĂšs le lendemain, Saccard, solide et souriant Ă son poste, relevait le cours d'une hausse de trente francs, grĂÂące Ă des achats considĂ©rables. Seulement, le 5 malgrĂ© ses efforts, la baisse fut de quarante francs. L'Universelle n'Ă©tait plus qu'Ă trois mille. Et, dĂšs lors, chaque jour amena sa bataille. Le 6, l'Universelle remontait. Le 7, le 8, elle baissait de nouveau. C'Ă©tait un mouvement irrĂ©sistible, qui l'entraĂnait peu Ă peu, dans une chute lente. On allait la prendre pour le bouc Ă©missaire, lui faire expier la folie de tous, les crimes des autres affaires moins en vue, de ce pullulement d'entreprises louches, surchauffĂ©es de rĂ©clames, grandies comme des champignons monstrueux dans le terreau dĂ©composĂ© du rĂšgne. Mais Saccard, qui ne dormait plus, qui chaque aprĂšs-midi reprenait sa place de combat, prĂšs de son pilier vivait dans l'hallucination de la victoire toujours possible. En chef d'armĂ©e convaincu de l'excellence de son plan, il ne cĂ©dait le terrain que pas Ă pas, sacrifiant ses derniers soldats, vidant les caisses de la sociĂ©tĂ© de leurs derniers sacs d'Ă©cus, pour barrer la route aux assaillants. Le 9, il remporta encore un avantage signalĂ© les baissiers tremblĂšrent, reculĂšrent, est-ce que la liquidation du 15 s'engraisserait une fois de plus de leurs dĂ©pouilles ? Et lui, dĂ©jĂ sans ressources, rĂ©duit Ă lancer du papier de circulation, osait maintenant, comme ces affamĂ©s qui voient des festins immenses dans le dĂ©lire de leur faim, s'avouer Ă lui-mĂÂȘme le but prodigieux et impossible oĂÂč il tendait, l'idĂ©e gĂ©ante de racheter toutes ces actions, pour tenir les vendeurs Ă dĂ©couvert, pieds et poings liĂ©s, Ă sa merci. Cela venait d'ĂÂȘtre fait pour une petite compagnie de chemins de fer, la maison d'Ă©mission avait tout ramassĂ© sur le marchĂ© ; et les vendeurs, ne pouvant livrer, s'Ă©taient rendus en esclaves, forcĂ©s d'offrir leur fortune et leur personne. Ah ! s'il avait traquĂ©, effarĂ© Gundermann jusqu'Ă le tenir, impuissant, Ă dĂ©couvert ! S'il l'avait ainsi vu, un matin, apportant son milliard, en le suppliant de ne pas le prendre tout entier, de lui laisser les dix sous de lait dont il vivait par jour ! Seulement, pour ce coup-lĂ , il fallait sept Ă huit cents millions. Il en avait dĂ©jĂ jetĂ© deux cents au gouffre, c'Ă©tait cinq ou six cents encore qu'il s'agissait de mettre en ligne. Avec six cents millions, il balayait les juifs, il devenait le roi de l'or, le maĂtre du monde. Quel rĂÂȘve ! et c'Ă©tait trĂšs simple, l'idĂ©e de la valeur de l'argent se trouvait abolie Ă ce degrĂ© de fiĂšvre, il n'y avait plus que des pions que l'on poussait sur l'Ă©chiquier. Dans ses nuits d'insomnie, il levait l'armĂ©e des six cents millions et les faisait tuer pour sa gloire, victorieux enfin au milieu des dĂ©sastres, sur les ruines de tout. Saccard, le 10, eut malheureusement une terrible journĂ©e. A la Bourse, il Ă©tait toujours superbe de gaietĂ© et de calme. Et jamais guerre pourtant n'avait eu cette fĂ©rocitĂ© muette, un Ă©gorgement de chaque heure, le guet-apens embusquĂ© partout. Dans ces batailles de l'argent, sourdes et lĂÂąches, oĂÂč l'on Ă©ventre les faibles, sans bruit, il n'y a plus de liens, plus de parentĂ©, plus d'amitiĂ© c'est l'atroce loi des forts, ceux qui mangent pour ne pas ĂÂȘtre mangĂ©s. Aussi se sentait-il absolument seul, n'ayant d'autre soutien que son insatiable appĂ©tit, qui le tenait debout, sans cesse dĂ©vorant. Il redoutait surtout la journĂ©e du 14, oĂÂč devait avoir lieu la rĂ©ponse des primes. Mais il trouva encore de l'argent pour les trois jours qui prĂ©cĂ©dĂšrent, et le 14, au lieu d'amener une dĂ©bĂÂącle, raffermit l'Universelle, qui, le 15, finit en liquidation Ă 2 860, en baisse seulement de cent francs sur le dernier cours de dĂ©cembre. Il avait craint un dĂ©sastre, il affecta de croire Ă une victoire. En rĂ©alitĂ©, pour la premiĂšre fois, les baissiers l'emportaient, touchaient enfin des diffĂ©rences, eux qui en payaient depuis des mois, et, la situation se retournant, lui dut se faire reporter chez Mazaud, lequel se trouva dĂšs lors fortement engagĂ©. La seconde quinzaine de janvier allait ĂÂȘtre dĂ©cisive. Depuis qu'il luttait de la sorte, dans ces secousses quotidiennes qui le jetaient et le reprenaient Ă l'abĂme, Saccard avait, chaque soir, un besoin effrĂ©nĂ© d'Ă©tourdissement. Il ne pouvait rester seul, dĂnait en ville, achevait ses nuits au cou d'une femme. Jamais il n'avait ainsi brĂ»lĂ© sa vie, se montrant partout, courant les thĂ©ĂÂątres et les cabarets oĂÂč l'on soupe, affectant une dĂ©pense exagĂ©rĂ©e d'homme trop riche. Il Ă©vitait Mme Caroline, dont les remontrances le gĂÂȘnaient, toujours Ă lui parler des lettres inquiĂštes qu'elle recevait de son frĂšre, dĂ©sespĂ©rĂ©e elle-mĂÂȘme de sa campagne Ă la hausse, d'un effrayant danger. Et il revoyait davantage la baronne Sandorff, comme si cette froide perversion, dans le petit rez-de-chaussĂ©e inconnu de la rue Caumartin, l'eĂ»t dĂ©paysĂ©, en lui donnant l'heure d'oubli, nĂ©cessaire Ă la dĂ©tente de son cerveau surmenĂ© de fatigue. Parfois, il s'y rĂ©fugiait pour examiner certains dossiers, rĂ©flĂ©chir Ă certaines affaires, heureux de se dire que personne au monde ne l'y dĂ©rangerait. Le sommeil l'y terrassait, il y dormait une heure ou deux, les seules heures dĂ©licieuses d'anĂ©antissement ; et la baronne, alors, ne se faisait aucun scrupule de fouiller ses poches, de lire les lettres de son portefeuille ; car il Ă©tait devenu complĂštement muet, elle n'en tirait plus un seul renseignement utile, convaincue mĂÂȘme qu'il mentait, quand elle lui arrachait un mot, au point qu'elle n'osait plus jouer sur ses indications. C'Ă©tait en lui volant ainsi ses secrets, qu'elle avait acquis la certitude des embarras d'argent oĂÂč commençait Ă se dĂ©battre l'Universelle, tout un vaste systĂšme de papier de circulation, des billets de complaisance que la maison escomptait Ă l'Ă©tranger, prudemment. Saccard, un soir, s'Ă©tant rĂ©veillĂ© trop tĂÂŽt et l'ayant trouvĂ©e en train de visiter son portefeuille, l'avait giflĂ©e comme une fille qui pĂÂȘche des sous dans le gilet des messieurs ; et, depuis lors, il la battait, ce qui les enrageait, puis les brisait et les calmait tous les deux. Cependant, aprĂšs la liquidation du 5, qui lui avait emportĂ© une dizaine de mille francs, la baronne se mit Ă nourrir un projet. Elle en Ă©tait obsĂ©dĂ©e, elle finit par consulter Jantrou. " Ma foi, lui rĂ©pondit celui-ci, je crois que vous avez raison, il est temps de passer Ă Gundermann... Allez donc le voir, et contez-lui l'affaire, puisqu'il vous a promis, le jour oĂÂč vous lui apporteriez un bon conseil, de vous en donner un autre en Ă©change. " Gundermann, le matin oĂÂč la baronne se prĂ©senta, Ă©tait d'une humeur de dogue. La veille encore, l'Universelle avait remontĂ©. On n'en finirait donc pas, avec cette bĂÂȘte vorace, qui lui avait mangĂ© tant d'or et qui s'entĂÂȘtait Ă ne pas mourir ! Elle Ă©tait bien capable de se relever, de finir de nouveau en hausse, le 31 du mois ; et il grondait de s'ĂÂȘtre engagĂ© dans cette rivalitĂ© dĂ©sastreuse, lorsque peut-ĂÂȘtre il aurait mieux valu faire sa part Ă la maison nouvelle. EbranlĂ© dans sa tactique ordinaire, perdant sa foi dans la logique fatalement triomphante, il se serait, cette minute, rĂ©signĂ© Ă battre en retraite, s'il avait pu reculer sans tout perdre. Ils Ă©taient rares chez lui, ces moments de dĂ©couragement que les plus grands capitaines ont connus, Ă la veille mĂÂȘme de la victoire, lorsque les hommes et les choses veulent leur succĂšs. Et ce trouble d'une vue puissante, si nette d'habitude, venait du brouillard qui se produit Ă la longue, de ce mystĂšre des opĂ©rations de Bourse, sous lesquelles il n'est jamais possible de mettre un nom Ă coup sĂ»r. Certes, Saccard achetait, jouait. Mais Ă©tait-ce pour des clients sĂ©rieux, Ă©tait-ce pour la sociĂ©tĂ© elle-mĂÂȘme ? Il finissait par ne plus le savoir, au milieu des commĂ©rages qu'on lui rapportait de toutes parts. Les portes de son cabinet immense claquaient, tout son personnel tremblait de sa colĂšre, il accueillit les remisiers si brutalement, que leur dĂ©filĂ© accoutumĂ© se tournait en un galop de dĂ©route. " Ah ! c'est vous, dit Gundermann Ă la baronne, sans politesse aucune. Je n'ai pas de temps Ă perdre avec les femmes, aujourd'hui. " Elle en fut dĂ©concertĂ©e, au point qu'elle supprima toutes les prĂ©parations et lĂÂącha d'un coup la nouvelle qu'elle apportait. " Si l'on vous prouvait que l'Universelle est Ă bout d'argent, aprĂšs les achats considĂ©rables qu'elle a faits, et qu'elle en est rĂ©duite Ă escompter, Ă l'Ă©tranger, du papier de complaisance, pour continuer la campagne ? " Le juif avait rĂ©primĂ© un tressaillement de joie. Son oeil restait mort, il rĂ©pondit de la mĂÂȘme voix grondeuse. " Ce n'est pas vrai. - Comment ! pas vrai ? Mais j'ai entendu de mes oreilles, j'ai vu de mes yeux. " Et elle voulut le convaincre, en lui expliquant qu'elle avait eu entre les mains les billets signĂ©s par des hommes de paille. Elle nommait ces derniers, elle disait aussi les noms des banquiers, qui, Ă Vienne, Ă Francfort, Ă Berlin, avaient escomptĂ© les billets. Ses correspondants pourraient le renseigner, il verrait bien qu'elle ne lui apportait pas un cancan en l'air. De mĂÂȘme, elle affirmait que la sociĂ©tĂ© avait achetĂ© pour elle, dans l'unique but de maintenir la hausse, et que deux cents millions dĂ©jĂ Ă©taient engloutis. Gundermann, qui l'Ă©coutait de son air morne, rĂ©glait dĂ©jĂ sa campagne du lendemain, d'un travail d'intelligence si prompt, qu'il avait en quelques secondes rĂ©parti ses ordres, arrĂÂȘtĂ© les chiffres. Maintenant, il Ă©tait certain de la victoire, sachant bien de quelle ordure lui venaient les renseignements, plein de mĂ©pris pour ce Saccard jouisseur, stupide au point de s'abandonner Ă une femme et de se laisser vendre. Quand elle eut fini, il leva la tĂÂȘte, et, la regardant de ses gros yeux Ă©teints " Eh bien, qu'est-ce que vous voulez que ça me fasse, tout ce que vous me racontez lĂ ? " Elle en resta saisie, tellement il paraissait dĂ©sintĂ©ressĂ© et calme. " Mais il me semble que votre situation Ă la baisse... - Moi ! qui vous a dit que j'Ă©tais Ă la baisse ? Je ne vais jamais Ă la Bourse, je ne spĂ©cule pas... Tout ça m'est bien Ă©gal ! " Et sa voix Ă©tait si innocente, que la baronne, Ă©branlĂ©e, effarĂ©e, aurait fini par le croire, sans certaines inflexions d'une naĂÂŻvetĂ© trop goguenarde. Evidemment, il se moquait d'elle, dans son absolu dĂ©dain, en homme fini, sans dĂ©sir aucun. " Alors, ma bonne amie, comme je suis trĂšs pressĂ©, si vous n'avez rien de plus intĂ©ressant Ă me dire... " Il la mettait Ă la porte. Alors, furieuse, elle se rĂ©volta. " J'ai eu confiance en vous, j'ai parlĂ© la premiĂšre... C'est un guet- apens vĂ©ritable... Vous m'aviez promis, si je vous Ă©tais utile, de m'ĂÂȘtre utile Ă votre tour, de me donner un conseil... " Se levant, il l'interrompit. Lui qui ne riait jamais, il eut un petit ricanement, tellement cette duperie brutale Ă l'Ă©gard d'une femme jeune et jolie, l'amusait. " Un conseil, mais je ne vous le refuse pas, ma bonne amie... Ecoutez-moi bien. Ne jouez pas, ne jouez jamais. ĂâĄa vous rendra laide, c'est trĂšs vilain, une femme qui joue. " Et, quand elle s'en fut allĂ©e, hors d'elle, il s'enferma avec ses deux fils et son gendre, distribua les rĂÂŽles, envoya tout de suite chez Jacoby et chez d'autres agents de change, pour prĂ©parer le grand coup du lendemain. Son plan Ă©tait simple faire ce que la prudence l'avait empĂÂȘchĂ© de risquer jusque-lĂ , dans son ignorance de la vĂ©ritable situation de l'Universelle ; Ă©craser le marchĂ© sous des ventes Ă©normes, maintenant qu'il savait cette derniĂšre bout de ressources, incapable de soutenir les cours. Il allait faire avancer la rĂ©serve formidable de son milliard, en gĂ©nĂ©ral qui veut en finir et que ses espions ont renseignĂ© sur le point faible de l'ennemi. La logique triompherait, toute action est condamnĂ©e, qui monte au-delĂ de la valeur vraie qu'elle reprĂ©sente. Justement, ce jour-lĂ , vers cinq heures, Saccard, averti du danger par son flair, se rendit chez Daigremont. Il Ă©tait fiĂ©vreux, il sentait que l'heure devenait pressante de porter un coup aux baissiers, si l'on ne voulait se laisser battre dĂ©finitivement par eux. Et son idĂ©e gĂ©ante le travaillait, la colossale armĂ©e de six cents millions Ă lever encore pour la conquĂÂȘte du monde. Daigremont le reçut avec son amabilitĂ© ordinaire, dans son hĂÂŽtel princier, au milieu de ses tableaux de prix, de tout ce luxe Ă©clatant, que payaient, chaque quinzaine, les diffĂ©rences de Bourse, sans qu'on sĂ»t au juste ce qu'il y avait de solide derriĂšre ce dĂ©cor, toujours sous la menace d'ĂÂȘtre emportĂ© par un caprice de la chance. Jusque-lĂ , il n'avait pas trahi l'Universelle, refusant de vendre, affectant de montrer une confiance absolue, heureux de cette attitude de beau joueur Ă la hausse, dont il tirait du reste de gros profits ; et mĂÂȘme il s'Ă©tait plu Ă ne pas broncher, aprĂšs la liquidation mauvaise du 15, convaincu, disait-il partout, que la hausse allait reprendre, l'oeil aux aguets pourtant, prĂÂȘt Ă passer Ă l'ennemi, dĂšs le premier symptĂÂŽme grave. La visite de Saccard, l'extraordinaire Ă©nergie dont il faisait preuve, l'idĂ©e Ă©norme qu'il lui dĂ©veloppa de tout ramasser sur le marchĂ© le frappĂšrent d'une vĂ©ritable admiration. C'Ă©tait fou, mais les grands hommes de guerre et de finance ne sont-ils pas souvent que des fous qui rĂ©ussissent ? Et il promit formellement de se porter Ă son secours, dĂšs la Bourse du lendemain il avait dĂ©jĂ de fortes positions, il passerait chez Delarocque, son agent, pour en prendre de nouvelles ; sans compter ses amis qu'il irait voir, toute une sorte de syndicat dont il amĂšnerait le renfort. On pouvait, selon lui, chiffrer Ă une centaine de millions ce nouveau corps d'armĂ©e, d'un emploi immĂ©diat. Cela suffirait. Saccard, radieux, certain de vaincre, s'arrĂÂȘta sur-le-champ le plan de la bataille, tout un mouvement tournant d'une rare hardiesse, empruntĂ© aux plus illustres capitaines d'abord, au dĂ©but de la Bourse, une simple escarmouche pour attirer les baissiers et leur donner confiance ; puis, quand ils auraient obtenu un premier succĂšs, quand les cours baisseraient, l'arrivĂ©e de Daigremont et de ses amis avec leur grosse artillerie, tous ces millions inattendus, dĂ©bouchant d'un pli de terrain, prenant les baissiers en queue et les culbutant. Ce serait un Ă©crasement, un massacre. Les deux hommes se sĂ©parĂšrent avec des poignĂ©es de main et des rires de triomphe. Une heure plus tard, comme Daigremont, qui dĂnait en ville, allait s'habiller, il reçut une autre visite, celle de la baronne Sandorff. Dans son dĂ©sarroi, elle venait d'avoir l'inspiration de le consulter. On l'avait un instant dite sa maĂtresse ; mais, rĂ©ellement, il n'y avait eu entre eux qu'une camaraderie trĂšs libre d'homme Ă femme. Tous deux Ă©taient trop fĂ©lins, se devinaient trop, pour en arriver Ă la duperie d'une liaison. Elle conta ses craintes, la dĂ©marche chez Gundermann, la rĂ©ponse de celui-ci, en mentant d'ailleurs sur la fiĂšvre de trahison qui l'avait poussĂ©e. Et Daigremont s'Ă©gaya, s'amusa Ă l'effarer davantage, l'air Ă©branlĂ©, prĂšs de croire que Gundermann disait vrai, quand il jurait qu'il n'Ă©tait pas Ă la baisse ; car est-ce qu'on sait jamais ? c'est un vrai bois que la Bourse, un bois par une nuit obscure, oĂÂč chacun marche Ă tĂÂątons. Dans ces tĂ©nĂšbres, si l'on a le malheur d'Ă©couter tout ce qu'on invente d'inepte et de contradictoire, on est certain de se casser la figure. " Alors, demanda-t-elle anxieusement, je ne dois pas vendre ? - Vendre, pourquoi ? En voilĂ une folie ! Demain, nous serons les maĂtres, l'Universelle remontera Ă trois mille cent Et tenez bon, quoi qu'il arrive vous serez contente du dernier cours... Je ne puis pas vous en dire davantage. " La baronne Ă©tait partie, Daigremont s'habillait enfin, lorsqu'un coup de timbre annonça une troisiĂšme visite. Ah ! celui-lĂ , non ! il ne le recevrait pas. Mais, lorsqu'on lui eut remis la carte de Delarocque, il cria tout de suite de faire entrer ; et, comme l'agent, l'air trĂšs Ă©mu, attendait pour parler, il renvoya son valet de chambre, achevant lui- mĂÂȘme de mettre sa cravate blanche, devant une haute glace. " Mon cher, voilĂ ! dit Delarocque, avec sa familiaritĂ© d'homme du mĂÂȘme cercle. Je m'en remets Ă votre amitiĂ©, n'est-ce pas ? parce que c'est assez dĂ©licat... Imaginez-vous que Jacoby, mon beau-frĂšre, vient d'avoir la gentillesse de me prĂ©venir d'un coup qui se prĂ©pare. A la Bourse de demain, Gundermann et les autres sont dĂ©cidĂ©s Ă faire sauter l'Universelle. Ils vont jeter tout le paquet sur le marchĂ©... Jacoby a dĂ©jĂ les ordres, il est accouru... - Fichtre ! lĂÂącha simplement Daigremont devenu pĂÂąle. - Vous comprenez, j'ai de trĂšs fortes positions Ă la hausse engagĂ©es chez moi, oui ! pour une quinzaine de millions, de quoi y laisser bras et jambes... Alors, n'est-ce pas ? j'ai pris une voiture et je fais le tour de mes clients sĂ©rieux. Ce n'est pas correct, mais l'intention est bonne... - Fichtre ! rĂ©pĂ©ta l'autre. - Enfin, mon bon ami, comme vous jouez Ă dĂ©couvert, je viens vous prier de me couvrir ou de dĂ©faire votre position. " Daigremont eut un cri " DĂ©faites, dĂ©faites, mon cher... Ah ! non, par exemple ! je ne reste pas dans les maisons qui croulent, c'est de l'hĂ©roĂÂŻsme inutile... N'achetez pas, vendez ! J'en ai pour prĂšs de trois millions chez vous, vendez, vendez tout. " Et, comme Delarocque se sauvait, en disant qu'il avait d'autres clients Ă voir, il lui prit les mains, les serra Ă©nergiquement. " Merci, je n'oublierai jamais. Vendez, vendez tout ! " RestĂ© seul, il rappela son valet de chambre, pour se faire arranger la chevelure et la barbe. Ah ! quelle Ă©cole ! il avait failli, cette fois, se laisser jouer comme un enfant. VoilĂ ce que c'Ă©tait que de se mettre avec un fou ! Le soir, Ă la petite Bourse de huit heures, la panique commença. Cette Bourse se tenait alors sur le trottoir du boulevard des Italiens, Ă l'entrĂ©e du passage de l'OpĂ©ra ; et il n'y avait lĂ que la coulisse, opĂ©rant au milieu d'une cohue louche de courtiers, de remisiers, de spĂ©culateurs vĂ©reux. Des camelots circulaient, des ramasseurs de bouts de cigare se jetaient Ă quatre pattes, au milieu du piĂ©tinement des groupes. C'Ă©tait, barrant le boulevard, un entassement obstinĂ© de troupeau, que le flot des promeneurs emportait, sĂ©parait, et qui se reformait toujours. Ce soir-lĂ , prĂšs de deux mille personnes stationnaient ainsi, grĂÂące Ă la douceur du ciel couvert et fumeux, qui annonçait de la pluie, aprĂšs des froids terribles. Le marchĂ© Ă©tait trĂšs actif, on offrait l'Universelle, de tous cĂÂŽtĂ©s, les cours tombaient rapidement. Aussi, bientĂÂŽt, des rumeurs coururent, toute une anxiĂ©tĂ© naissante. Que se passait-il donc ? A demi-voix, on se nommait les vendeurs probables, selon le remisier qui donnait l'ordre, ou le coulissier qui l'exĂ©cutait. Puisque les gros vendaient de la sorte, il se prĂ©parait quelque chose de grave, sĂ»rement. Et, de huit heures Ă dix heures, ce fut une bousculade, tous les joueurs de flair dĂ©firent leurs positions, il y en eut mĂÂȘme qui, d'acheteurs, eurent le temps de se mettre vendeurs. On alla se coucher dans un malaise de fiĂšvre, comme Ă la veille des grands dĂ©sastres. Le lendemain, le temps fut exĂ©crable. Il avait plu toute la nuit, une petite pluie glaciale noyait la ville, changĂ©e par le dĂ©gel en un cloaque de boue, jaune et liquide. La Bourse, dĂšs midi et demi, damait dans ce ruissellement. RĂ©fugiĂ©e sous le pĂ©ristyle et dans la salle, la foule Ă©tait Ă©norme ; et la salle, bientĂÂŽt, avec les parapluies mouillĂ©s qui s'Ă©gouttaient, se trouva changĂ©e en une immense flaque d'eau bourbeuse. La crasse noire des murs suintait, il ne tombait du toit vitrĂ© qu'un jour bas et roussĂÂątre, d'une dĂ©sespĂ©rĂ©e mĂ©lancolie. Au milieu des mauvais bruits qui couraient, des histoires extraordinaires dĂ©traquant les tĂÂȘtes, tous les regards, dĂšs l'entrĂ©e, cherchaient Saccard, le dĂ©visageaient. Il Ă©tait Ă son poste, debout, prĂšs du pilier accoutumĂ© ; et il avait l'air des autres jours, des jours triomphants, son air de gaietĂ© brave et d'absolue confiance. Il n'ignorait pas que l'Universelle avait baissĂ© de trois cents francs la veille, Ă la petite Bourse du soir ; il flairait un danger immense, il s'attendait Ă un furieux assaut des baissiers ; mais son plan de bataille lui semblait inattaquable, le mouvement tournant de Daigremont, l'arrivĂ©e imprĂ©vue d'une armĂ©e fraĂche de millions devait tout emporter et lui assurer une fois de plus la victoire. Lui, dĂ©sormais, se trouvait sans ressources ; les caisses de l'Universelle Ă©taient vides, il en avait grattĂ© jusqu'aux centimes ; et il ne dĂ©sespĂ©rait pourtant pas, il s'Ă©tait fait reporter par Mazaud, il l'avait conquis Ă un tel point, en lui confiant l'appui du syndicat de Daigremont, que l'agent, sans couverture, venait encore d'accepter des ordres d'achat pour plusieurs millions. La tactique arrĂÂȘtĂ©e entre eux Ă©tait de ne pas trop laisser tomber les cours, au dĂ©but de la Bourse, de les soutenir, de guerroyer, en attendant l'armĂ©e de renfort. L'Ă©motion Ă©tait si vive, que Massias et Sabatani, renonçant Ă des ruses inutiles, maintenant que la vraie situation faisait l'objet de tous les commĂ©rages, vinrent causer ouvertement avec Saccard, puis coururent porter ses recommandations derniĂšres, l'un Ă Nathansohn, sous le pĂ©ristyle, l'autre Ă Mazaud, encore dans le cabinet des agents de change. Il Ă©tait une heure moins dix, et Moser qui arrivait, blĂÂȘme d'une crise de foie, dont la morsure l'avait empĂÂȘchĂ© de fermer l'oeil, la nuit prĂ©cĂ©dente, fit remarquer Ă Pillerault que tout le monde, ce jour-lĂ Ă©tait jaune et avait l'air malade. Pillerault, que l'approche des dĂ©sastres redressait dans des fanfaronnades de chevalier errant, partit d'un Ă©clat de rire. " Mais c'est vous, mon cher, qui avez la colique. Tout le monde est trĂšs gai. Nous allons nous flanquer une de ces tripotĂ©es dont on se souvient longtemps. " La vĂ©ritĂ© Ă©tait que, dans l'anxiĂ©tĂ© gĂ©nĂ©rale, la salle restait morue, sous le jour roussĂÂątre, et cela se sentait surtout au grondement affaibli des voix. Ce n'Ă©tait plus l'Ă©clat tumultueux des grands jours de hausse, l'agitation, le vacarme d'une marĂ©e, dĂ©bordant de toutes parts en conquĂ©rante. On ne courait plus, on ne criait plus, on se glissait, on parlait bas, comme dans la maison d'un malade. Bien que la foule fĂ»t considĂ©rable, et que l'on s'Ă©touffĂÂąt pour circuler, un murmure seulement s'Ă©levait, navrĂ©, le chuchotement des craintes qui couraient, des nouvelles dĂ©plorables qu'on Ă©changeait Ă l'oreille. Beaucoup se taisaient, livides, la face contractĂ©e, avec des yeux Ă©largis, qui interrogeaient dĂ©sespĂ©rĂ©ment les autres visages. " Salmon, vous ne dites rien ? demanda Pillerault, plein d'une ironie agressive. - Parbleu ! murmura Moser, il est comme les autres, il n'a rien Ă dire, il a peur. " En effet, ce jour-lĂ , les silences de Salmon n'inquiĂ©taient plus personne, dans l'attente profonde et muette de tous. Mais c'Ă©tait autour de Saccard que se pressait surtout un flot de clients, frĂ©missants d'incertitude, avides d'une bonne parole. On remarqua plus tard que Daigremont ne s'Ă©tait pas montrĂ©, pas plus que le dĂ©putĂ© Huret, averti sans doute, redevenu le chien fidĂšle de Rougon. Kolb, au milieu d'un groupe de banquiers, affectait d'ĂÂȘtre pris par une grosse affaire d'arbitrage. Le marquis de Bohain, au-dessus des vicissitudes du sort, promenait tranquillement sa petite tĂÂȘte pĂÂąle et aristocratique, certain de gagner quand mĂÂȘme, ayant donnĂ© Ă Jacoby l'ordre d'acheter autant d'Universelle qu'il avait chargĂ© Mazaud d'en vendre. Et Saccard, assiĂ©gĂ© par la foule des autres, les croyants, les naĂÂŻfs, se montra particuliĂšrement aimable et rassurant pour SĂ©dille et pour Maugendre, qui, les lĂšvres tremblantes, les yeux humides de supplications, quĂÂȘtaient l'espoir du triomphe. Il leur serra vigoureusement la main, en mettant dans son Ă©treinte l'absolue promesse de vaincre. Puis, en homme constamment heureux, Ă l'abri de tout pĂ©ril, il se lamenta d'une misĂšre. " Vous me voyez consternĂ©. Par ces grands froids, on a oubliĂ© un camĂ©lia dans ma cour, et il est perdu. " Le mot courut, on s'attendrit sur le camĂ©lia. Quel homme, ce Saccard ! d'une assurance impassible, le visage toujours souriant, sans qu'on pĂ»t savoir si ce n'Ă©tait lĂ qu'un masque, posĂ© sur les effroyables prĂ©occupations qui auraient torturĂ© tout autre ! " L'animal ! est-il beau ! " murmura Jantrou Ă l'oreille de Massias qui revenait. Justement, Saccard appelait Jantrou, envahi d'un souvenir Ă cette minute suprĂÂȘme, se rappelant l'aprĂšs-midi, oĂÂč, avec ce dernier, il avait vu le coupĂ© de la baronne Sandorff, arrĂÂȘtĂ© rue Brongniart. Est-ce qu'il Ă©tait lĂ , encore, dans cette journĂ©e de crise ? est-ce que le cocher, haut perchĂ©, gardait sous la pluie battante son immobilitĂ© de pierre, pendant que la baronne, derriĂšre les glaces closes, attendait les cours. " Certainement, elle est lĂ , rĂ©pondit Jantrou, Ă demi-voix, et de tout coeur avec vous, bien dĂ©cidĂ©e Ă ne pas reculer d'une semelle... Nous sommes tous lĂ , solides Ă notre poste. " Saccard fut heureux de cette fidĂ©litĂ©, bien qu'il doutĂÂąt du dĂ©sintĂ©ressement de la dame et des autres. D'ailleurs, dans l'aveuglement de sa fiĂšvre, il croyait encore marcher Ă la conquĂÂȘte, avec tout son peuple d'actionnaires derriĂšre lui, ce peuple des humbles et du beau monde, engouĂ©, fanatisĂ©, les jolies femmes mĂÂȘlĂ©es aux servante, en un mĂÂȘme Ă©lan de foi. Enfin, le coup de cloche retentit, passa avec une lamentation de tocsin, sur la houle effarĂ©e des tĂÂȘtes. Et Mazaud, qui donnait des ordres Ă Flory, revint vivement vers la corbeille, pendant que le jeune employĂ© se prĂ©cipitait au tĂ©lĂ©graphe, trĂšs Ă©mu pour lui-mĂÂȘme ; car, en perte depuis quelque temps, s'entĂÂȘtant Ă suivre la fortune de l'Universelle, il risquait ce jour-lĂ , un coup dĂ©cisif, sur l'histoire de l'intervention de Daigremont, surprise Ă la charge, derriĂšre une porte. La corbeille Ă©tait tout aussi anxieuse que la salle, les agents sentaient bien, depuis la derniĂšre liquidation, le sol trembler sous eux, au milieu de symptĂÂŽmes si graves, que leur expĂ©rience s'en alarmait. DĂ©jĂ , des Ă©croulements partiels s'Ă©taient produits, le marchĂ© extĂ©nuĂ©, trop chargĂ©, se lĂ©zardait de toutes parts. Allait-ce donc ĂÂȘtre un de ses grands cataclysmes, comme il en survient un tous les dix Ă quinze ans, une de ces crises du jeu Ă l'Ă©tat de fiĂšvre aiguĂ, qui dĂ©cime la Bourse, la balaie d'un vent de mort ? A la rente, au comptant, les cris semblaient s'Ă©trangler, la bousculade se faisait plus rude, dominĂ©e par les hautes silhouettes noires des coteurs, qui attendaient, la plume aux doigts. Et, tout de suite, Mazaud, les mains serrant la rampe de velours rouge, aperçut Jacoby, de l'autre cĂÂŽtĂ© du bassin circulaire, criant de sa voix profonde " J'ai de l'Universelle... A 2 800, j'ai de l'Universelle... " C'Ă©tait le dernier cours de la petite Bourse de la veille ; et, pour enrayer immĂ©diatement la baisse, il crut prudent de prendre Ă ce prix. Sa voix aiguĂ s'Ă©leva, domina toutes les autres. " A 2 800, je prends... Trois cents Universelle, envoyez ! " Le premier cours se trouva ainsi fixĂ©. Mais il lui fut impossible de le maintenir. De toutes parts, les offres affluaient. Il lutta dĂ©sespĂ©rĂ©ment pendant une demi-heure, sans autre rĂ©sultat que de ralentir la chute rapide. Sa surprise Ă©tait de ne pas ĂÂȘtre plus soutenu par la coulisse. Que faisait donc Nathansohn, dont il attendait des ordres d'achat ? et il ne sut que plus tard l'adroite tactique de ce dernier, qui, tout en achetant pour Saccard, vendait pour son propre compte, averti de la vraie situation par son flair de juif. Massias, trĂšs engagĂ© lui-mĂÂȘme comme acheteur, accourut, essoufflĂ©, dire la dĂ©route de la coulisse Ă Mazaud, qui perdit la tĂÂȘte et brĂ»la ses derniĂšres cartouches, en lĂÂąchant d'un coup les ordres qu'il se rĂ©servait d'Ă©chelonner, jusqu'Ă l'arrivĂ©e des renforts. Cela fit remonter un peu les cours de 2 500, ils revinrent Ă 2 650, affolĂ©s, avec les sauts brusques des jours de tempĂÂȘte ; et, un instant encore, l'espoir fut sans bornes chez Mazaud, chez Saccard, chez tous ceux qui Ă©taient dans la confidence du plan de bataille. Puisque cela remontait dĂšs maintenant, la journĂ©e Ă©tait gagnĂ©e, la victoire allait ĂÂȘtre foudroyante, lorsque la rĂ©serve dĂ©boucherait sur le flanc des baissiers et changerait leur dĂ©faite en une effroyable dĂ©route. Il y eut un mouvement de joie profonde, SĂ©dille et Maugendre auraient baisĂ© les mains de Saccard, Kolb se rapprocha, tandis que Jantrou disparut, courant porter Ă la baronne Sandorff la bonne nouvelle. Et l'on vit Ă ce moment le petit Flory, radieux, chercher partout Sabatani, qui lui servait maintenant d'intermĂ©diaire, pour lui donner un nouvel ordre d'achat. Mais deux heures venaient de sonner, et Mazaud, sur qui portait l'effort de l'attaque, faiblissait de nouveau. Sa surprise augmentait du retard que les renforts mettaient Ă entrer en ligne. Il Ă©tait grand temps, qu'attendaient-ils donc pour le dĂ©gager de la position intenable oĂÂč il s'Ă©puisait ? Bien que, par fiertĂ© professionnelle, il montrĂÂąt un visage impassible, il sentait un grand froid monter Ă ses joues, il craignait de pĂÂąlir. Jacoby, tonitruant, continuait de lui jeter, par paquets mĂ©thodiques, ses offres, qu'il cessait de relever. Et ce n'Ă©tait plus lui qu'il regardait, ses yeux s'Ă©taient tournĂ©s vers Delarocque, l'agent de Daigremont, dont il ne comprenait pas le silence. Gros et trapu, avec sa barbe rousse, l'air bĂ©at et souriant d'une noce de la veille, celui-ci restait paisible, dans son attente inexplicable. Est-ce qu'il n'allait pas ramasser toutes ces offres, tout sauver, par les ordres d'achat dont devaient dĂ©border les fiches qu'il avait en main ? Tout d'un coup, de sa voix gutturale, lĂ©gĂšrement enrouĂ©e, Delarocque se jeta dans la lutte. " J'ai de l'Universelle... J'ai de l'Universelle... " Et, en quelques minutes, il en offrit pour plusieurs millions. Des voix lui rĂ©pondaient. Les cours s'effondraient. " J'ai Ă 2400... J'ai Ă 2 300... Combien ? Cinq cents, six cents... Envoyez ! " Que disait-il donc ? que se passait-il ? Au lieu des secours attendus, Ă©tait-ce une nouvelle armĂ©e ennemie qui dĂ©bouchait des bois voisins ? Comme Ă Waterloo, Grouchy n'arrivait pas, et c'Ă©tait la trahison qui achevait la dĂ©route. Sous ces masses profondes et fraĂches de vendeurs, accourant au pas de charge, une effroyable panique se dĂ©clarait. A cette seconde, Mazaud sentit passer la mort sur sa face. Il avait reportĂ© Saccard pour des sommes trop considĂ©rables, il eut la sensation nette que l'Universelle lui cassait les reins en s'Ă©croulant. Mais sa jolie figure brune, aux minces moustaches, resta impĂ©nĂ©trable et brave. Il acheta encore, Ă©puisa les ordres qu'il avait reçus, de sa voix chantante de jeune coq, aiguĂ comme dans le succĂšs. Et, en face de lui, ses contreparties, Jacoby mugissant, Delarocque apoplectique, malgrĂ© leur effort d'indiffĂ©rence, laissaient percer plus d'inquiĂ©tude ; car ils le voyaient dĂ©sormais en grand danger, et les paierait-il, s'il sautait ? Leurs mains Ă©treignaient le velours de la rampe, leurs voix continuaient Ă glapir, comme mĂ©caniquement, par habitude de mĂ©tier, pendant que, dans leurs regards fixes, s'Ă©changeaient toute l'affreuse angoisse du drame de l'argent. Alors, pendant la derniĂšre demi-heure, ce fut la dĂ©bĂÂącle, la dĂ©route s'aggravant et emportant la foule en un galop dĂ©sordonnĂ©. AprĂšs l'extrĂÂȘme confiance, l'engouement aveugle, arrivait la rĂ©action de la peur, tous se ruant pour vendre, s'il en Ă©tait temps encore. Une grĂÂȘle d'ordres de vente s'abattit sur la corbeille, on ne voyait plus que des fiches pleuvoir ; et ces paquets Ă©normes de titres, jetĂ©s ainsi sans prudence, accĂ©lĂ©raient la baisse, un vĂ©ritable effondrement. Les cours, de chute en chute, tombĂšrent Ă 1 500, Ă 1 200, Ă 900. Il n'y avait plus d'acheteurs, la plaine restait rase, jonchĂ©e de cadavres. Au-dessus du sombre grouillement des redingotes, les trois coteurs semblaient ĂÂȘtre des greffiers mortuaires, enregistrant des dĂ©cĂšs. Par un singulier effet du vent de dĂ©sastre qui traversait la salle, l'agitation s'y Ă©tait figĂ©e, le vacarme s'y mourait, comme dans la stupeur d'une grande catastrophe. Un silence effrayant rĂ©gna, lorsque, aprĂšs le coup de cloche de la clĂÂŽture, le dernier cours de 800 francs fut connu. Et la pluie entĂÂȘtĂ©e ruisselait toujours sur le vitrage, qui ne laissait plus filtrer qu'un crĂ©puscule louche ; la salle Ă©tait devenue un cloaque, sous l'Ă©gouttement des parapluies et le piĂ©tinement de la foule, un sol fangeux d'Ă©curie mal tenue, oĂÂč traĂnaient toutes sortes de papiers dĂ©chirĂ©s ; tandis que, dans la corbeille, Ă©clatait le bariolage des fiches, les vertes, les rouges, les bleues, jetĂ©es Ă pleines mains, si abondantes ce jour-lĂ , que le vaste bassin dĂ©bordait. Mazaud Ă©tait rentrĂ© dans le cabinet des agents de change, en mĂÂȘme temps que Jacoby et Delarocque. Il s'approcha du buffet, but un verre de biĂšre, dĂ©vorĂ© d'une soif ardente, et il regardait l'immense piĂšce, avec son vestiaire, sa longue table centrale autour de laquelle Ă©taient rangĂ©s les fauteuils des soixante agents, ses tentures de velours rouge, tout son luxe banal et dĂ©fraĂchi qui la faisait ressembler Ă une salle d'attente de premiĂšre classe, dans une grande gare ; il la regardait de l'air Ă©tonnĂ© d'un homme qui ne l'aurait jamais bien vue. Puis, comme il partait, sans une parole, il serra les mains de Jacoby et de Delarocque, de l'Ă©treinte accoutumĂ©e, tous les trois pĂÂąlissant, sous leur attitude correcte de chaque jour. Il avait dit Ă Flory de l'attendre Ă la porte ; et il l'y trouva, en compagnie de Gustave, qui avait dĂ©finitivement quittĂ© la charge depuis une semaine, et qui Ă©tait venu en simple curieux, toujours souriant, menant la vie de fĂÂȘte, sans se demander si son pĂšre, le lendemain, pourrait encore payer ses dettes ; tandis que Flory, blĂÂȘme, avec de petits ricanements imbĂ©ciles, s'efforçait de causer, sous l'effroyable perte d'une centaine de mille francs, qu'il venait de faire, en ne sachant pas oĂÂč en prendre le premier sou. Mazaud et son employĂ© disparurent au milieu de l'averse. Mais, dans la salle, la panique venait surtout de souffler autour de Saccard, et c'Ă©tait lĂ que la guerre avait fait ses ravages. Sans comprendre au premier moment, il avait assistĂ© Ă cette dĂ©route, faisant face au danger. Pourquoi donc cette rumeur ? n'Ă©taient-ce pas les troupes de Daigremont qui arrivaient ? Puis, lorsqu'il avait entendu les cours s'effondrer, tout en ne s'expliquant pas la cause du dĂ©sastre, il s'Ă©tait raidi pour mourir debout. Un froid de glace montait du sol Ă son crĂÂąne, il avait la sensation de l'irrĂ©parable, c'Ă©tait sa dĂ©faite, Ă jamais ; et le regret bas de l'argent, la colĂšre des jouissances perdues n'entraient pour rien dans sa douleur il ne saignait que de son humiliation de vaincu, que de la victoire de Gundermann, Ă©clatante, dĂ©finitive, qui consolidait une fois de plus la toute-puissance de ce roi de l'or. A cette minute, il fut vraiment superbe, toute sa mince personne bravait la destinĂ©e, les yeux sans un battement, le visage tĂÂȘtu, seul contre le flot de dĂ©sespoir et de rancune qu'il sentait dĂ©jĂ monter contre lui. La salle entiĂšre bouillonnait, dĂ©bordait vers son pilier ; des poings se serraient, des bouches bĂ©gayaient des paroles mauvaises ; et il avait gardĂ© aux lĂšvres un inconscient sourire, qu'on pouvait prendre pour une provocation. D'abord, au milieu d'une sorte de brouillard, il distingua Maugendre, d'une pĂÂąleur mortelle, que le capitaine Chave emmenait Ă son bras, en lui rĂ©pĂ©tant qu'il l'avait bien prĂ©dit, avec une cruautĂ© de joueur infime, ravi de voir les gros spĂ©culateurs se casser les reins. Puis, ce fut SĂ©dille, la face contractĂ©e, avec l'air fou du commerçant dont la maison croule, qui vint lui donner une poignĂ©e de main vacillante, en bon homme, comme pour lui dire qu'il ne lui en voulait point. DĂšs le premier craquement, le marquis de Bohain s'Ă©tait Ă©cartĂ©, passant Ă l'armĂ©e triomphante des baissiers, racontant Ă Kolb, qui se mettait prudemment Ă part, lui aussi, quels doutes fĂÂącheux ce Saccard lui inspirait, depuis la derniĂšre assemblĂ©e gĂ©nĂ©rale. Jantrou, Ă©perdu, avait disparu de nouveau, Ă toutes jambes, pour porter le dernier cours Ă la baronne Sandorff, qui allait sĂ»rement avoir une attaque de nerfs dans son coupĂ©, comme la chose lui arrivait les jours de grosse perte. Et c'Ă©tait encore, en face de Salmon toujours muet et Ă©nigmatique, le baissier Moser et le haussier Pillerault, celui-ci provocant, la mine fiĂšre, malgrĂ© sa ruine, l'autre, qui gagnait une fortune, se gĂÂątant la victoire par de lointaines inquiĂ©tudes. " Vous verrez qu'au printemps nous aurons la guerre avec l'Allemagne. Tout ça ne sent pas bon, et Bismarck nous guette. - Eh ! fichez-nous la paix ! J'ai encore eu tort, cette fois, de trop rĂ©flĂ©chir... Tant pis ! c'est Ă refaire, tout ira bien. " Jusque-lĂ , Saccard n'avait pas faibli. Le nom de Fayeux, prononcĂ© derriĂšre son dos, ce receveur de rentes de VendĂÂŽme, avec lequel il se trouvait en rapport, pour toute une clientĂšle d'infimes actionnaires, venait seulement de lui causer un malaise, en le faisant songer Ă la masse Ă©norme des petits, des capitalistes misĂ©rables qui allaient ĂÂȘtre broyĂ©s sous les dĂ©combres de l'Universelle. Mais, brusquement, la vue de Dejoie, livide, dĂ©composĂ©, porta ce malaise Ă l'aigu, en personnifiant toutes les humbles et lamentables ruines dans ce pauvre homme qu'il connaissait. En mĂÂȘme temps, par une sorte d'hallucination, s'Ă©voquĂšrent les pĂÂąles, les dĂ©solĂ©s visages de la comtesse de Beauvilliers et de sa fille, qui le regardaient Ă©perdument de leurs grands yeux noirs pleins de larmes. Et, Ă cette minute, Saccard, ce corsaire au coeur tannĂ© par vingt ans de brigandage, Saccard dont l'orgueil Ă©tait de n'avoir jamais senti trembler ses jambes, de ne s'ĂÂȘtre jamais assis sur le banc, qui Ă©tait lĂ , contre le pilier, Saccard eut une dĂ©faillance et dut s'y laisser tomber un instant. La cohue refluait toujours, menaçait de l'Ă©touffer. Il leva la tĂÂȘte, dans un besoin d'air, et il fut tout de suite debout, en reconnaissant, en haut, Ă la galerie du tĂ©lĂ©graphe, penchĂ©e au-dessus de la salle, la MĂ©chain qui dominait de son Ă©norme personne grasse le champ de bataille. Son vieux sac de cuir noir Ă©tait posĂ© prĂšs d'elle, sur la rampe de pierre. En attendant d'y entasser les actions dĂ©prĂ©ciĂ©es, elle guettait les morts, telle que le corbeau vorace qui suit les armĂ©es, jusqu'au jour du massacre. Saccard, alors, d'un pas raffermi, s'en alla. Tout son ĂÂȘtre lui semblait vidĂ© ; mais, par un effort de volontĂ© extraordinaire, il s'avançait, solide et droit. Ses sens seulement s'Ă©taient comme Ă©moussĂ©s, il n'avait plus la sensation du sol, il croyait marcher sur un tapis de haute laine. De mĂÂȘme, une brume noyait ses yeux, une clameur faisait bourdonner ses oreilles. Tandis qu'il sortait de la Bourse et qu'il descendait le perron, il ne reconnaissait plus les gens, c'Ă©taient des fantĂÂŽmes flottants qui l'entouraient, des formes vagues, des sons perdus. N'avait-il pas vu passer la large face grimaçante de Busch ? Ne s'Ă©tait-il pas arrĂÂȘtĂ© un instant pour causer avec Nathansohn, trĂšs Ă l'aise, et dont la voix affaiblie lui paraissait venir de loin ? Sabatani et Massias ne l'accompagnaient-ils pas, au milieu de la consternation gĂ©nĂ©rale ? il se revoyait, entourĂ© d'un groupe nombreux, peut-ĂÂȘtre SĂ©dille et Maugendre encore, toutes sortes de figures qui s'effaçaient, se transformaient. Et, comme il allait s'Ă©loigner, se perdre dans la pluie, dans la boue liquide dont Paris Ă©tait submergĂ©, il rĂ©pĂ©ta d'une voix aiguĂ Ă tout ce monde fantomatique, mettant sa gloire derniĂšre Ă montrer sa libertĂ© d'esprit " Ah ! que je suis donc contrariĂ© de ce camĂ©lia qu'on a oubliĂ© dans ma cour, et qui est mort de froid ! " XI - Mme Caroline, Ă©pouvantĂ©e, envoya le soir mĂÂȘme une dĂ©pĂÂȘche Ă son frĂšre, qui Ă©tait Ă Rome pour une semaine encore ; et, trois jours aprĂšs, Hamelin dĂ©barquait Ă Paris, accourant au danger. L'explication fut rude, entre Saccard et l'ingĂ©nieur, rue Saint- Lazare, dans cette salle des Ă©pures, oĂÂč l'affaire, autrefois, avait Ă©tĂ© discutĂ©e et rĂ©solue avec tant d'enthousiasme. Pendant les trois jours, la dĂ©bĂÂącle Ă la Bourse venait de s'aggraver terriblement, les actions de l'Universelle Ă©taient tombĂ©es, coup sur coup, au-dessous du pair, Ă 430 francs ; et la baisse continuait, l'Ă©difice craquait et s'Ă©croulait, d'heure en heure. Silencieuse, Mme Caroline Ă©couta, Ă©vitant d'intervenir. Elle Ă©tait pleine de remords, car elle s'accusait de complicitĂ©, puisque c'Ă©tait elle qui, aprĂšs s'ĂÂȘtre promis de veiller, avait laissĂ© tout faire. Au lieu de se contenter de vendre ses titres, simplement, afin d'entraver la hausse, n'aurait-elle pas dĂ» trouver autre chose, prĂ©venir les gens, agir enfin ? Dans son adoration pour son frĂšre, son coeur saignait, Ă le voir ainsi compromis, au milieu de ses grands travaux Ă©branlĂ©s, de toute l'oeuvre de sa vie remise en question ; et elle souffrait d'autant plus, qu'elle ne se sentait pas libre de juger Saccard ne l'avait-elle pas aimĂ©, n'Ă©tait-elle pas Ă lui, de ce lien secret, dont elle sentait davantage la honte ? C'Ă©tait, placĂ©e ainsi entre ces deux hommes, tout un combat qui la dĂ©chirait. Le soir de la catastrophe, elle avait accablĂ© Saccard, dans un bel emportement de franchise, vidant un coeur de ce qu'elle y amassait depuis longtemps de reproches et de craintes. Puis, en le voyant sourire, tenace, invaincu quand mĂÂȘme, en songeant Ă la force dont il avait besoin pour rester debout, elle s'Ă©tait dit qu'elle n'avait pas le droit, aprĂšs s'Ă©tait montrĂ©e faible avec lui, de l'achever, de le frapper ainsi Ă terre. Et, rĂ©fugiĂ©e dans le silence, apportant seulement le blĂÂąme de son attitude, elle ne voulait ĂÂȘtre qu'un tĂ©moin. Mais Hamelin, cette fois, s'emportait, lui si conciliant d'ordinaire, dĂ©sintĂ©ressĂ© de tout ce qui n'Ă©tait pas ses travaux. Il attaqua le jeu avec une violence extrĂÂȘme, l'Universelle succombait Ă la folie du jeu, une crise d'absolue dĂ©mence. Sans doute, il n'Ă©tait pas de ceux qui prĂ©tendaient qu'une banque peut laisser flĂ©chir ses titres, comme une compagnie de chemins de fer par exemple la compagnie de chemins de fer a son immense matĂ©riel, qui fait ses recettes ; tandis que le vrai matĂ©riel d'une banque est son crĂ©dit, elle agonise dĂšs que son crĂ©dit chancelle. Seulement, il y avait lĂ une question de mesure. S'il Ă©tait nĂ©cessaire et mĂÂȘme sage de maintenir le cours de 2 000 francs, il devenait insensĂ© et complĂštement criminel de le pousser, de vouloir l'imposer Ă 3000 et davantage. DĂšs son arrivĂ©e, il avait exigĂ© la vĂ©ritĂ©, toute la vĂ©ritĂ©. On ne pouvait plus lui mentir maintenant, lui dire, comme il avait tolĂ©rĂ© qu'on le dĂ©clarĂÂąt en sa prĂ©sence, devant la derniĂšre assemblĂ©e, que la sociĂ©tĂ© ne possĂ©dait pas une de ses actions. Les livres Ă©taient lĂ , il en pĂ©nĂ©trait aisĂ©ment les mensonges. Ainsi, le compte Sabatani, il savait que ce prĂÂȘte-nom cachait les opĂ©rations faites par la sociĂ©tĂ© ; et il pouvait y suivre, mois par mois, depuis deux ans, la fiĂšvre croissante de Saccard, d'abord timide, n'achetant qu'avec prudence, poussĂ© ensuite Ă des achats de plus en plus considĂ©rables, pour arriver Ă l'Ă©norme chiffre de vingt-sept mille actions ayant coĂ»tĂ© prĂšs de quarante-huit millions. N'Ă©tait-ce pas fou, d'une impudente folie qui avait l'air de se moquer des gens, un pareil chiffre d'affaires mis sous le nom d'un Sabatani ! Et ce Sabatani n'Ă©tait pas le seul, il y avait d'autres hommes de paille, des employĂ©s de la banque, des administrateurs mĂÂȘme, dont les achats, portĂ©s au compte des reports, dĂ©passaient vingt mille actions, reprĂ©sentant elles aussi prĂšs de quarante-huit millions de francs. Enfin, tout cela n'Ă©tait encore que les achats fermes, auxquels il fallait ajouter les achats Ă terme, opĂ©rĂ©s dans le courant de la derniĂšre liquidation de janvier ; plus de vingt mille actions pour une somme de soixante-sept millions et demi, dont l'Universelle avait Ă prendre livraison ; sans compter, Ă la Bourse de Lyon, dix mille autres titres, vingt-quatre millions encore. Ce qui, en additionnant tout, dĂ©montrait que la sociĂ©tĂ© avait en main prĂšs du quart des actions Ă©mises par elle, et qu'elle avait payĂ© ces actions de l'effroyable somme de deux cents millions. LĂ Ă©tait le gouffre, oĂÂč elle s'engloutissait. Des larmes de douleur et de colĂšre Ă©taient montĂ©es aux yeux d'Hamelin. Lui qui venait de jeter si heureusement, Ă Rome, les bases de sa grande banque catholique, le TrĂ©sor du Saint-SĂ©pulcre, pour permettre, aux jours prochains de la persĂ©cution, d'installer royalement le pape Ă JĂ©rusalem, dans la gloire lĂ©gendaire des lieux saints une banque destinĂ©e Ă mettre le nouveau royaume de Palestine Ă l'abri des perturbations politiques, en basant son budget, avec la garantie des ressources du pays, sur toute une sĂ©rie d'Ă©missions dont les chrĂ©tiens du monde entier allaient se disputer les titres ! Et tout cela croulait d'un coup, dans cette imbĂ©cile dĂ©mence du jeu ! Il Ă©tait parti laissant un bilan admirable, des millions Ă la pelle, une sociĂ©tĂ© dans une prospĂ©ritĂ© si prompte et si haute, qu'elle faisait l'Ă©tonnement du monde ; et, moins d'un mois aprĂšs, lorsqu'il revenait, les millions Ă©taient fondus ; la sociĂ©tĂ© Ă©tait par terre, en poudre, il n'y avait plus rien qu'un trou noir, oĂÂč le feu semblait avoir passĂ©. Sa stupeur croissait, il exigeait violemment des explications, voulait comprendre quelle puissance mystĂ©rieuse venait de pousser Saccard Ă s'acharner ainsi contre l'Ă©difice colossal qu'il avait Ă©levĂ©, Ă le dĂ©truire pierre par pierre d'un cĂÂŽtĂ©, tandis qu'il prĂ©tendait l'achever de l'autre. Saccard, trĂšs nettement, sans se fĂÂącher, rĂ©pondit. AprĂšs les premiĂšres heures d'Ă©motion et d'anĂ©antissement, il s'Ă©tait retrouvĂ©, debout, solide, avec son indomptable espoir. Des trahisons avaient rendu la catastrophe terrible, mais rien n'Ă©tait perdu, il allait tout relever. Et, d'ailleurs, si l'Universelle avait eu une prospĂ©ritĂ© si rapide et si grande, ne la devait-elle pas aux moyens qu'on lui reprochait ? la crĂ©ation du syndicat, les augmentations successives du capital, le bilan hĂÂątif du dernier exercice, les actions gardĂ©es par la sociĂ©tĂ© et plus tard les actions achetĂ©es en masse, follement. Tout cela faisait corps. Si l'on acceptait le succĂšs, il fallait bien accepter les risques. Quand on chauffe trop une machine, il arrive qu'elle Ă©clate. Du reste, il n'avouait aucune faute, il avait fait, simplement avec plus de carrure intelligente, ce que tout directeur de banque fait ; et il ne lĂÂąchait pas son idĂ©e gĂ©niale, son idĂ©e gĂ©ante de racheter la totalitĂ© des titres, d'abattre Gundermann. L'argent lui avait manquĂ©, voilĂ tout. Maintenant, c'Ă©tait Ă recommencer. Une assemblĂ©e gĂ©nĂ©rale extraordinaire venait d'ĂÂȘtre convoquĂ©e pour le lundi suivant, il se disait absolument certain de ses actionnaires, il obtiendrait d'eux les sacrifices indispensables, convaincu que, sur un mot de lui, tous apporteraient leur fortune. En attendant, on vivrait, grĂÂące aux petites sommes que les autres maisons de crĂ©dit, les grandes banques, avançaient chaque matin pour les besoins pressants de la journĂ©e, dans la crainte d'un trop brusque effondrement, qui les aurait Ă©branlĂ©es elles-mĂÂȘmes. La crise passĂ©e, tout allait reprendre et resplendir de nouveau. Mais, objecta Hamelin, que calmait dĂ©jĂ cette tranquillitĂ© souriante, ne voyez-vous pas, dans ces secours fournis par nos rivaux, une tactique, une idĂ©e de se garer d'abord et de rendre ensuite notre chute plus profonde, en la retardant ?... Ce qui m'inquiĂšte, c'est de voir Gundermann lĂ -dedans. " En effet, Gundermann, un des premiers, s'Ă©tait offert, pour Ă©viter l'immĂ©diate dĂ©claration de faillite, avec l'extraordinaire sens pratique d'un monsieur, qui, forcĂ© de mettre le feu chez un voisin, se hĂÂąterait ensuite d'apporter des seaux d'eau, afin que le quartier entier ne fĂ»t pas dĂ©truit. Il Ă©tait au-dessus de la rancune, il n'avait d'autre gloire que d'ĂÂȘtre le premier marchand d'argent du monde, le plus riche et le plus avisĂ©, ayant rĂ©ussi Ă sacrifier toutes ses passions Ă l'accroissement continu de sa fortune. Saccard eut un geste d'impatience, exaspĂ©rĂ© par cette preuve que le vainqueur donnait de sa sagesse et de son intelligence. " Oh ! Gundermann, il fait la grande ĂÂąme, il croit qu'il me poignarde, avec sa gĂ©nĂ©rositĂ©. " Un silence rĂ©gna, et ce fut Mme Caroline, restĂ©e jusque-lĂ muette, qui reprit enfin - Mon ami, j'ai laissĂ© mon frĂšre vous parler comme il devait le faire, dans la lĂ©gitime douleur qu'il a Ă©prouvĂ©e, en apprenant toutes ces dĂ©plorables choses... Mais notre situation, Ă nous autres, me semble claire, et, n'est-ce pas ? il me paraĂt impossible qu'il se trouve compromis, si l'affaire tournait dĂ©cidĂ©ment mal. Vous savez Ă quel cours j'ai vendu, on ne pourra pas dire qu'il a poussĂ© Ă la hausse, pour tirer un plus gros profit de ses titres. Et, d'ailleurs, si la catastrophe arrive, nous savons ce que nous avons Ă faire... Je n'ai point, je l'avoue, votre espoir entĂÂȘtĂ©. Seulement, vous avez raison, il faut lutter jusqu'Ă la derniĂšre minute, et ce n'est pas mon frĂšre qui vous dĂ©couragera, soyez-en sĂ»r. " Elle Ă©tait Ă©mue, reprise par sa tolĂ©rance pour cet homme si obstinĂ©ment vivace, ne voulant pas cependant montrer cette faiblesse, car elle ne pouvait plus s'aveugler sur l'exĂ©crable besogne qu'il avait faite, qu'il aurait sĂ»rement faite encore, avec sa passion voleuse de corsaire sans scrupules. " Certainement, dĂ©clara Ă son tour Hamelin, las et Ă bout de rĂ©sistance, je ne vais pas vous paralyser, lorsque vous vous battez pour nous sauver tous. Comptez sur moi, si je puis vous ĂÂȘtre utile. " Et, une fois de plus, Ă cette heure derniĂšre, sous les plus effroyables menaces, Saccard les rassura, les reconquit, en les quittant sur ces paroles, pleines de promesses et de mystĂšre " Dormez tranquilles... Je ne puis encore parler, mais j'ai l'absolue certitude de tout remettre Ă flot avant la fin de l'autre semaine. " Cette phrase, qu'il n'expliquait pas, il la rĂ©pĂ©ta Ă tous les amis de la maison, Ă tous les clients qui vinrent, effarĂ©s, terrifiĂ©s, lui demander conseil. Depuis trois jours, le galop ne cessait pas, rue de Londres, au travers de son cabinet. Les Beauvilliers, les Maugendre, SĂ©dille, Dejoie, accoururent Ă la file. Il les recevait, trĂšs calme d'un air militaire, avec des mots vibrants qui leur remettaient du courage au coeur ; et, quand ils parlaient de vendre, de rĂ©aliser Ă perte, il se fĂÂąchait, leur criait de ne faire une pareille bĂÂȘtise, s'engageant sur l'honneur les cours de 2 000 et mĂÂȘme de 3 000 francs. MalgrĂ© les fautes commises, tous gardaient en lui une foi aveugle qu'on le leur laissĂÂąt, qu'il fĂ»t libre de les voler encore, et il dĂ©brouillerait tout, il finirait par tous les enrichir, ainsi qu'il l'avait jurĂ©. Si aucun accident ne se produisait avant le lundi, si on lui donnait le temps de rĂ©unir l'assemblĂ©e gĂ©nĂ©rale extraordinaire, personne ne doutait qu'il ne tirĂÂąt l'Universelle saine et sauve des dĂ©combres. Saccard avait songĂ© Ă son frĂšre Rougon, et c'Ă©tait lĂ ce secours tout-puissant dont il parlait, sans vouloir s'expliquer davantage. S'Ă©tant trouvĂ© face Ă face avec Daigremont, le traĂtre, et lui ayant fait d'amers reproches, il n'avait obtenu que cette rĂ©ponse " Mais, mon cher, n'est pas moi qui vous ai lĂÂąchĂ©, c'est votre frĂšre ! " Evidemment, cet homme Ă©tait dans son droit il n'avait fait l'affaire qu'Ă condition que Rougon en serait, on lui avait promis Rougon formellement, rien d'Ă©tonnant Ă ce qu'il se fĂ»t retirĂ©, du moment oĂÂč le ministre, loin d'en ĂÂȘtre, vivait en guerre avec l'Universelle et son directeur. C'Ă©tait au moins une excuse sans rĂ©plique. TrĂšs frappĂ©, Saccard venait de sentir sa faute immense, cette brouille ce frĂšre qui seul pouvait le dĂ©fendre, le rendre Ă ce point sacrĂ©, que personne n'oserait achever sa ruine, lorsqu'on saurait le grand homme derriĂšre lui. Et ce fut, pour son orgueil, une des heures les plus dures, celle oĂÂč il se dĂ©cida Ă prier le dĂ©putĂ© Huret d'intervenir en sa faveur. Du reste, il gardait une attitude de menace, refusait toujours de disparaĂtre, exigeait comme une chose due l'aide de Rougon, qui avait plus d'intĂ©rĂÂȘt que lui Ă Ă©viter le scandale. Le lendemain, comme il attendait la visite promise d'Huret, il reçut simplement un billet, dans lequel, en termes vagues, on lui faisait dire de ne pas s'impatienter et de compter sur une bonne issue, si les circonstances ne s'y opposaient pas, plus tard. Il se contenta de ces quelques lignes, qu'il regarda comme une promesse de neutralitĂ©. Mais la vĂ©ritĂ© Ă©tait que Rougon venait de prendre l'Ă©nergique parti d'en finir, avec ce membre gangrenĂ© de sa famille, qui, depuis des annĂ©es, le gĂÂȘnait, dans d'Ă©ternelles terreurs d'accidents malpropres, et qu'il prĂ©fĂ©rait enfin trancher violemment. Si la catastrophe arrivait, il Ă©tait rĂ©solu Ă laisser aller les choses. Puisqu'il n'obtiendrait jamais de Saccard son exil, le plus simple n'Ă©tait-il pas de le forcer Ă s'expatrier lui-mĂÂȘme, en lui facilitant la fuite, aprĂšs quelque bonne condamnation ? Un brusque scandale, un coup de balai, ce serait fini. D'ailleurs, la situation du ministre devenait difficile, depuis qu'il avait dĂ©clarĂ© au Corps lĂ©gislatif, dans un mouvement d'Ă©loquence mĂ©morable, que jamais la France ne laisserait l'Italie s'emparer de Rome. TrĂšs applaudi par les catholiques, trĂšs attaquĂ© par le tiers Ă©tat de plus en plus puissant, il voyait arriver l'heure oĂÂč ce dernier, aidĂ© des bonapartistes libĂ©raux, allait le faire sauter du pouvoir, Ă moins qu'il ne leur donnĂÂąt aussi un gage. Et le gage, si les circonstances le voulaient, allait ĂÂȘtre l'abandon de cette Universelle, patronnĂ©e par Rome, devenue une force inquiĂ©tante. Enfin, ce qui avait achevĂ© de le dĂ©cider, c'Ă©tait une communication secrĂšte de son collĂšgue des Finances, qui, sur le point de lancer un emprunt, avait trouvĂ© Gundermann et tous les banquiers juifs trĂšs rĂ©servĂ©s, donnant Ă entendre qu'ils refuseraient leurs capitaux, tant que le marchĂ© resterait incertain pour eux, livrĂ© aux aventures. Gundermann triomphait. PlutĂÂŽt les juifs, avec leur royautĂ© acceptĂ©e de l'or, que les catholiques ultramontains maĂtres du monde, s'ils devenaient les rois de la Bourse ! On raconta plus tard que le garde des sceaux Delcambre, acharnĂ© dans sa rancune contre Saccard, ayant fait pressentir Rougon sur la conduite Ă suivre vis-Ă -vis de son frĂšre, au cas oĂÂč la justice aurait Ă intervenir, en avait simplement reçu ce cri du coeur " Ah ! qu'il m'en dĂ©barrasse donc, je lui devrai un fameux cierge ! " DĂšs lors, du moment oĂÂč Rougon l'abandonnait, Saccard Ă©tait perdu. Delcambre, qui le guettait depuis son arrivĂ©e au pouvoir, le tenait enfin sur la marge du Code, au bord mĂÂȘme du vaste filet judiciaire, n'ayant plus qu'Ă trouver le prĂ©texte pour lancer ses gendarmes et ses juges. Un matin, Busch, furieux de n'avoir pas agi encore, se rendit au palais de justice. S'il ne se hĂÂątait pas, jamais maintenant il ne tirerait de Saccard les quatre mille francs qui restaient dus Ă la MĂ©chain, sur le fameux compte de frais, pour le petit Victor. Son plan Ă©tait simplement de soulever un abominable scandale, en l'accusant de sĂ©questration d'enfant, ce qui permettrait d'Ă©taler les dĂ©tails immondes du viol de la mĂšre et de l'abandon du gamin. Un pareil procĂšs fait au directeur de l'Universelle, dans l'Ă©motion soulevĂ©e par la crise que traversait cette banque, cela remuerait tout Paris ; et Busch espĂ©rait encore que Saccard, Ă la premiĂšre menace, paierait. Mais le substitut qui se trouva chargĂ© de le recevoir, un propre neveu de Delcambre, Ă©couta son histoire d'un air d'impatience et d'ennui non ! non ! rien Ă faire de sĂ©rieux avec de pareils commĂ©rages, ça ne tombait sous le coup d'aucun article du Code. DĂ©concertĂ©, Busch s'emportait, parlait de sa longue patience, lorsque le magistrat l'interrompit brusquement, en lui entendant dire qu'il avait poussĂ© la bonhomie, vis-Ă -vis de Saccard, jusqu'Ă placer des fonds en report, Ă l'Universelle. Comment ! il avait des fonds compromis dans la dĂ©confiture certaine de cette maison, et il n'agissait pas ! Rien n'Ă©tait plus simple, il n'avait qu'Ă dĂ©poser une plainte en escroquerie, car la justice, dĂšs maintenant, se trouvait avertie de manoeuvres frauduleuses, qui allaient entraĂner la banqueroute. C'Ă©tait lĂ le coup terrible Ă porter, et non l'autre histoire, le mĂ©lodrame d'une fille morte d'ivrognerie et d'un enfant grandi dans le ruisseau. Busch Ă©coutait, la face attentive et grave, lancĂ© sur cette nouvelle voie, entraĂnĂ© Ă un acte qu'il n'Ă©tait pas venu faire, dont il devinait les dĂ©cisives consĂ©quences Saccard arrĂÂȘtĂ©, l'Universelle frappĂ©e Ă mort. La seule peur de perdre son argent l'aurait dĂ©cidĂ© tout de suite, il ne demandait d'ailleurs que dĂ©sastres, pour pĂÂȘcher en eau trouble. Cependant, il hĂ©sita, il disait qu'il rĂ©flĂ©chirait, qu'il reviendrait, et il fallut que le substitut lui mĂt la plume aux doigts, lui fĂt Ă©crire, dans son cabinet mĂÂȘme, sur son bureau, la plainte en escroquerie, qu'immĂ©diatement, l'homme congĂ©diĂ©, il porta, tout bouillant de zĂšle, Ă son oncle le garde des sceaux. L'affaire Ă©tait bĂÂąclĂ©e. Le lendemain, rue de Londres, au siĂšge de la sociĂ©tĂ©, Saccard eut une longue entrevue avec les commissaires-censeurs et avec l'administrateur judiciaire, pour arrĂÂȘter le bilan qu'il dĂ©sirait prĂ©senter Ă l'assemblĂ©e gĂ©nĂ©rale. MalgrĂ© les sommes prĂÂȘtĂ©es par les autres Ă©tablissements financiers, on avait dĂ» fermer les guichets, suspendre les paiements, devant les demandes croissantes. Cette banque, qui, un mois plus tĂÂŽt, possĂ©dait prĂšs de deux cents millions dans ses caisses, n'avait pu rembourser, Ă sa clientĂšle affolĂ©e, que les quelques premiĂšres centaines de mille francs. Un jugement du tribunal de commerce avait dĂ©clarĂ© d'office la faillite, Ă la suite d'un rapport sommaire, remis la veille par un expert, chargĂ© d'examiner les livres. MalgrĂ© tout, Saccard, inconscient, promettait encore de sauver la situation, avec un aveuglement d'espoir, un entĂÂȘtement de bravoure extraordinaires. Et prĂ©cisĂ©ment, ce jour-lĂ , il attendait la rĂ©ponse du parquet des agents de change, pour la fixation d'un cours de compensation, lorsque l'huissier entra lui dire que trois messieurs le demandaient, dans un salon voisin. C'Ă©tait le salut peut-ĂÂȘtre, il se prĂ©cipita, trĂšs gai, et il trouva un commissaire de police, aidĂ© de deux agents, qui procĂ©da Ă son arrestation immĂ©diate. Le mandat d'amener venait d'ĂÂȘtre lancĂ©, sur la lecture du rapport de l'expert, dĂ©nonçant des irrĂ©gularitĂ©s d'Ă©critures, et particuliĂšrement sur la plainte en abus de confiance de Busch, qui prĂ©tendait que des fonds, confiĂ©s par lui pour ĂÂȘtre placĂ©s en report, avaient reçu une destination autre. A la mĂÂȘme heure, on arrĂÂȘtait Ă©galement Hamelin, Ă son domicile, rue Saint-Lazare. Cette fois, c'Ă©tait bien la fin, comme si toutes les haines, toutes les malchances aussi se fussent acharnĂ©es. L'assemblĂ©e gĂ©nĂ©rale extraordinaire ne pouvait plus se rĂ©unir, la Banque universelle avait vĂ©cu. Mme Caroline n'Ă©tait pas chez elle, au moment de l'arrestation de son frĂšre, qui ne put que lui laisser quelques lignes Ă©crites Ă la hĂÂąte. Lorsqu'elle rentra ce fut une stupeur. Jamais elle n'avait cru qu'on songeĂÂąt mĂÂȘme une minute Ă le poursuivre, tellement il lui apparaissait pur de tout trafic louche, innocentĂ© par ses longues absences. DĂšs le lendemain de la faillite, le frĂšre et la soeur s'Ă©taient dĂ©pouillĂ©s de tout ce qu'ils possĂ©daient, en faveur de l'actif, voulant rester nuis, au sortir de cette aventure, comme ils y Ă©taient rentrĂ©s nus ; et la somme Ă©tait forte, prĂšs de huit millions, dans lesquels se trouvaient engloutis les trois cent mille francs qu'ils avaient hĂ©ritĂ©s d'une tante. Tout de suite, elle se lança en dĂ©marche, en sollicitations, elle ne vĂ©cut plus que pour amĂ©liorer le sort, prĂ©parer la dĂ©fense de son pauvre Georges, reprise de crises de larmes, malgrĂ© sa vaillance, chaque fois qu'elle se l'imaginait innocent et sous les verrous, Ă©claboussĂ© de cet affreux scandale, la vie dĂ©vastĂ©e, salie Ă jamais. Lui si doux, si faible, d'une dĂ©votion d'enfant, d'une ignorance de " grosse bĂÂȘte " comme elle disait, en dehors de ses travaux techniques ! Et, d'abord, elle s'Ă©tait emportĂ©e contre Saccard, l'unique cause du dĂ©sastre, l'ouvrier de leur malheur, dont elle reconstruisait et jugeait nettement l'oeuvre exĂ©crable, depuis les jours du dĂ©but, lorsqu'il la plaisantait si gaiement de lire le Code, jusqu'Ă ces jours de la fin, oĂÂč, dans les sĂ©vĂ©ritĂ©s de l'insuccĂšs, devaient se payer toutes les irrĂ©gularitĂ©s, qu'elle avait prĂ©vues et laissĂ© commettre. Puis, torturĂ©e par ce remords de complicitĂ© qui la hantait, elle s'Ă©tait tue, elle Ă©vitait de s'occuper ouvertement de lui, avec la volontĂ© d'agir comme sil n'Ă©tait pas. Quand elle devait prononcer son nom, elle semblait parler d'un Ă©tranger, d'une partie adverse dont les intĂ©rĂÂȘts Ă©taient diffĂ©rents des siens. Elle, qui visitait presque quotidiennement son frĂšre Ă la Conciergerie, n'avait pas mĂÂȘme demandĂ© une autorisation, pour aller voir Saccard. Et elle Ă©tait trĂšs brave, elle campait toujours dans leur appartement de la rue Saint-Lazare, recevant tous ceux qui se prĂ©sentaient, mĂÂȘme ceux qui venaient l'injure Ă la bouche, transformĂ©e ainsi en une femme d'affaires rĂ©solue Ă sauver ce qu'elle pourrait de leur honnĂÂȘtetĂ© et de leur bonheur. Durant les longues journĂ©es qu'elle passait de la sorte, en haut, dans ce cabinet des Ă©pures, oĂÂč elle avait vĂ©cu de si belles heures de travail et d'espoir, un spectacle surtout la navrait. Lorsqu'elle s'approchait d'une fenĂÂȘtre et qu'elle jetait un regard sur l'hĂÂŽtel voisin, elle ne pouvait y voir sans un serrement de coeur, derriĂšre les vitres de l'Ă©troite piĂšce oĂÂč les deux pauvres femmes se tenaient, les profils pĂÂąles de la comtesse de Beauvilliers et de sa fille Alice. Ces journĂ©es de fĂ©vrier Ă©taient trĂšs douces, elle les apercevait souvent aussi marchant Ă pas ralentis, la tĂÂȘte basse, le long des allĂ©es du jardin moussu, ravagĂ© par l'hiver. L'Ă©croulement venait d'ĂÂȘtre effroyable dans ces deux existences. Les malheureuses qui, quinze jours plus tĂÂŽt, possĂ©daient dix-huit cent mille francs avec leurs six cents actions, n'en auraient tirĂ© que dix-huit mille, aujourd'hui que le titre Ă©tait tombĂ© de trois mille francs Ă trente francs. Et leur fortune entiĂšre se trouvait fondue, emportĂ©e du coup les vingt mille francs de la dot, mis si pĂ©niblement de cĂÂŽtĂ© par la comtesse, les soixante-dix mille francs empruntĂ©s d'abord sur la ferme des Aublets, les Aublets eux-mĂÂȘmes vendus ensuite deux cent quarante mille francs, lorsqu'ils en valaient quatre cent mille. Que devenir, quand les hypothĂšques dont l'hĂÂŽtel Ă©tait Ă©crasĂ©, mangeaient dĂ©jĂ huit mille francs par an, et qu'elles n'avaient jamais pu rĂ©duire le train de la maison Ă moins de sept mille, malgrĂ© leur ladrerie, les miracles d'Ă©conomie sordide qu'elles accomplissaient, pour sauver les apparences et garder leur rang ? MĂÂȘme en vendant leurs actions, comment vivre dĂ©sormais, comment faire face Ă tous les besoins, avec ces dix-huit mille francs, l'Ă©pave derniĂšre du naufrage ? Une nĂ©cessitĂ© s'imposait, que la comtesse n'avait pas voulu encore envisager rĂ©solument quitter l'hĂÂŽtel, l'abandonner aux crĂ©anciers hypothĂ©caires, puisqu'il devenait impossible de payer les intĂ©rĂÂȘts, ne pas attendre que ceux-ci le fissent mettre en vente, se retirer tout de suite au fond de quelque petit logement pour y vivre une vie Ă©troite et effacĂ©e, jusqu'au dernier morceau de pain. Mais, si la comtesse rĂ©sistait, c'Ă©tait qu'il y avait lĂ un arrachement de toute sa personne, la mort mĂÂȘme de ce qu'elle avait cru ĂÂȘtre, l'effondrement de l'Ă©difice de sa race que, depuis des annĂ©es, elle soutenait de ses mains tremblantes, avec une obstination hĂ©roĂÂŻque. Les Beauvilliers en location, n'ayant plus le toit des ancĂÂȘtres, vivant chez les autres, dans la misĂšre avouĂ©e des vaincus est-ce que, vraiment, ce ne serait pas Ă mourir de honte ? Et elle luttait toujours. Un matin, Mme Caroline vit ces dames, sous le petit hangar du jardin, qui lavaient leur linge. La vieille cuisiniĂšre, presque impotente, ne leur Ă©tait plus d'un grand secours ; pendant les derniers froids, elles avaient dĂ» la soigner ; et il en Ă©tait de mĂÂȘme du mari, Ă la fois concierge, cocher et valet de chambre, qui avait grand-peine Ă balayer la maison et Ă tenir debout l'antique cheval, trĂ©buchant et ravagĂ© comme lui. Aussi ces dames s'Ă©taient-elles mises rĂ©solument au mĂ©nage, la fille lĂÂąchant parfois ses aquarelles pour faire les maigres soupes dont vivaient chichement les quatre personnes, la mĂšre Ă©poussetant les meubles, raccommodant les vĂÂȘtements et les chaussures, avec cette idĂ©e d'Ă©conomie infime qu'on usait moins les plumeaux, les aiguilles et le fil, depuis que c'Ă©tait elle qui s'en servait. Seulement, dĂšs que survenait une visite, il fallait les voir toutes deux fuir, jeter le tablier, se dĂ©barbouiller violemment, reparaĂtre en maĂtresses de maison, aux mains blanches et paresseuses. Sur la rue, le train n'avait pas changĂ©, l'honneur Ă©tait sauf le coupĂ© sortait toujours correctement attelĂ©, menant la comtesse et sa fille Ă leurs courses, les dĂners de quinzaine rĂ©unissaient toujours les convives de chaque hiver, sans qu'il y eĂ»t un plat de moins sur la table, ni une bougie dans les candĂ©labres. Et il fallait, comme Mme Caroline, dominer le jardin, pour savoir de quels terribles lendemains de jeĂ»ne Ă©tait payĂ© tout ce dĂ©cor, cette façade mensongĂšre d'une fortune disparue. Lorsqu'elle les voyait, au fond de ce puits humide, Ă©tranglĂ© entre les maisons voisines, promenant leur mortelle mĂ©lancolie, sous les squelettes verdĂÂątres des arbres centenaires, elle Ă©tait prise d'une pitiĂ© immense, elle s'Ă©cartait de la fenĂÂȘtre, le coeur dĂ©chirĂ© de dans cette misĂšre, comme si elle s'Ă©tait sentie la complice de Saccard. Puis, un autre matin, Mme Caroline eut une tristesse plus directe, plus douloureuse encore. On lui annonça la visite de Dejoie, et elle tint bravement Ă le recevoir. " Et bien, mon pauvre Dejoie... " Mais elle s'arrĂÂȘta, effrayĂ©e, en remarquant la pĂÂąleur de l'ancien garçon de bureau. Les yeux semblaient morts, dans sa face dĂ©composĂ©e ; et lui, trĂšs grand, avait rapetissĂ© comme pliĂ© en deux. " Voyons, il ne faut pas vous laisser abattre, Ă l'idĂ©e que tout cet argent est perdu. " Alors, il parla d'une voix lente. " Oh ! madame, ce n'est pas ça... Sans doute, dans le premier moment, j'ai reçu un rude coup, parce que je m'Ă©tais habituĂ© Ă croire que nous Ă©tions riches. ĂâĄa vous monte Ă la tĂÂȘte, on est comme si l'on avait bu, quand on gagne... Mon Dieu ! j'Ă©tais dĂ©jĂ rĂ©signĂ© Ă me remettre au travail, j'aurais tant travaillĂ©, que je serais parvenu Ă refaire la somme... Seulement, vous ne savez pas... " De grosses larmes roulĂšrent sur ses joues. " Vous ne savez pas... Elle est partie. - Partie, qui donc ? demanda Mme Caroline, surprise. - Nathalie, ma fille. Son mariage Ă©tait manquĂ©, elle a Ă©tĂ© furieuse, quand le pĂšre de ThĂ©odore est venu nous dire que son fils avait trop attendu et qu'il allait Ă©pouser la demoiselle d'une merciĂšre, qui apportait prĂšs de huit mille francs. ĂâĄa, je comprends qu'elle se soit mise en colĂšre Ă l'idĂ©e de ne plus avoir le sou et de rester fille. Mais moi qui l'aimais tant ! L'hiver dernier encore, je me relevais la nuit, pour border ses couvertures. Et je me passais de tabac afin qu'elle eĂ»t de plus jolis chapeaux, et j'Ă©tais sa vraie mĂšre, je l'avais Ă©levĂ©e, je ne vivais que du plaisir de la voir, dans notre petit logement. " Ses larmes l'Ă©tranglĂšrent, il sanglota. " Aussi, c'est la faute de mon ambition... Si j'avais vendu, dĂšs que mes huit actions me donnaient les six mille francs de la dot, elle serait mariĂ©e Ă cette heure. Seulement, n'est-ce pas ? ça montait toujours, et j'ai songĂ© Ă moi, j'ai voulu d'abord six cents, puis huit cents, puis mille francs de rente ; d'autant plus que la petite aurait hĂ©ritĂ© de cet argent-lĂ , plus tard... Dire qu'un moment, au cours de trois mille, j'ai eu dans la main vingt-quatre mille francs, de quoi lui constituer sa dot de six mille francs et de me retirer moi-mĂÂȘme avec neuf cents francs de rente. Non ! j'en voulais mille, est-ce assez bĂÂȘte ! Et, maintenant, ça ne reprĂ©sente seulement pas deux cents francs... Ah ! c'est ma faute, j'aurais mieux fait de me flanquer Ă l'eau ! " Mme Caroline, trĂšs Ă©mue de sa douleur, le laissait se soulager. Elle aurait pourtant voulu savoir. " Partie, mon pauvre Dejoie, comment partie ? " Alors, il eut un embarras, tandis qu'une faible rougeur montait Ă sa face blĂÂȘme. " Oui, partie, disparue, depuis trois jours. Elle avait fait la connaissance d'un monsieur, en face de chez nous, oh ! un monsieur trĂšs bien, un homme de quarante ans... Enfin, elle s'est sauvĂ©e. " Et, tandis qu'il donnait des dĂ©tails, cherchant les mots, la langue embarrassĂ©e, Mme Caroline revoyait Nathalie, mince et blonde, avec sa grĂÂące frĂÂȘle de jolie fille du pavĂ© parisien. Elle revoyait surtout les larges yeux, au regard si tranquille et si froid, d'une extraordinaire limpiditĂ© d'Ă©goĂÂŻsme. L'enfant s'Ă©tait laissĂ© adorer par son pĂšre, en idole heureuse, sage aussi longtemps qu'elle avait eu intĂ©rĂÂȘt Ă l'ĂÂȘtre, incapable d'une chute sotte, tant qu'elle espĂ©rait une dot, un mariage, un comptoir dans une petite boutique oĂÂč elle aurait trĂÂŽnĂ©. Mais continuer une vie de sans-le-sou, vivre en torchon avec son bonhomme de pĂšre, obligĂ© de se remettre au travail, ah ! non, elle en avait assez de cette existence pas drĂÂŽle, dĂ©sormais sans espoir ! Et elle avait filĂ©, elle avait mis froidement ses bottines et son chapeau, pour aller ailleurs. " Mon Dieu ! continuait Ă bĂ©gayer Dejoie, elle ne s'amusait guĂšre chez nous, c'est bien vrai ; et, quand on est gentille, c'est agaçant de perdre sa jeunesse Ă s'ennuyer... Mais, tout de mĂÂȘme, elle a Ă©tĂ© bien dure. Songez donc ! sans me dire seulement adieu, pas un mot de lettre, pas la plus petite promesse de venir me revoir de temps Ă autre... Elle a fermĂ© la porte, et ça Ă©tĂ© fini. Vous voyez, mes mains tremblent, j'en suis restĂ© comme une bĂÂȘte. C'est plus fort que moi, je la cherche toujours, chez nous. AprĂšs tant d'annĂ©es, mon Dieu ! est-ce possible que je ne l'aie plus, que je ne l'aurai plus jamais, ma pauvre petite enfant ! " Il avait cessĂ© de pleurer, et sa douleur ahurie Ă©tait si navrante, que Mme Caroline lui saisit les deux mains, ne trouvant d'autre consolation que de lui rĂ©pĂ©ter " Mon pauvre Dejoie, mon pauvre Dejoie... " Puis, pour le distraire, elle revint Ă la dĂ©confiture de l'Universelle. Elle s'excusait de lui avoir laissĂ© prendre des actions, elle jugeait sĂ©vĂšrement Saccard, sans le nommer. Mais, tout de suite, l'ancien garçon de bureau se ranima. Mordu par le jeu, il se passionnait encore. " M. Saccard, eh ! il a eu bien raison de m'empĂÂȘcher de vendre. L'affaire Ă©tait superbe, nous les aurions mangĂ©s tous, sans les traĂtres qui nous ont lĂÂąchĂ©s... Ah ! madame, si M. Saccard Ă©tait lĂ , ça marcherait autrement. ĂâĄ'a Ă©tĂ© notre mort, qu'on le mette en prison. Et il n'y a encore que lui qui pourrait nous sauver... Je l'ai dit au juge " Monsieur, rendez-le-nous, et je lui confie de nouveau ma fortune, et je lui confie ma vie, parce que cet homme-lĂ , c'est le bon Dieu, voyez- vous ! Il fait tout ce qu'il veut. " StupĂ©faite, Mme Caroline le regardait. Comment ! pas une parole de colĂšre, pas un reproche ? C'Ă©tait la foi ardente d'un croyant. Quelle puissante action Saccard avait-il donc eue sur le troupeau, pour le discipliner sous un tel joug de crĂ©dulitĂ© ? " Enfin, madame, j'Ă©tais venu seulement vous dire ça, et il faut m'excuser, si je vous ai parlĂ© de mon chagrin, Ă moi, parce que je n'ai plus la tĂÂȘte trĂšs solide... Quand vous verrez M. Saccard, rĂ©pĂ©tez-lui bien que nous sommes toujours avec lui. " Il s'en alla de son pas vacillant, et, restĂ©e seule, elle eut un instant horreur de l'existence. Ce malheureux lui avait fendu le coeur. Elle avait contre l'autre, contre celui qu'elle ne nommait pas, un redoublement de colĂšre, dont elle renfonçait l'Ă©clat en elle. D'ailleurs, des visites lui arrivaient, elle Ă©tait dĂ©bordĂ©e, ce matin- lĂ . Dans le flot, les Jordan surtout l'Ă©murent encore. Ils venaient, Paul et Marcelle, en bon mĂ©nage qui risquait toujours Ă deux les dĂ©marches graves, lui demander si leurs parents, les Maugendre, n'avaient rĂ©ellement plus rien Ă tirer de leurs actions de l'Universelle. De ce cĂÂŽtĂ©, c'Ă©tait aussi un dĂ©sastre irrĂ©parable. Avant les grandes batailles des deux derniĂšres liquidations, l'ancien fabricant de bĂÂąches possĂ©dait dĂ©jĂ soixante-quinze titres, qui lui avaient coĂ»tĂ© environ quatre-vingt mille francs affaire superbe, puisque, Ă un moment, au cours de trois mille francs, ces titres en reprĂ©sentaient deux cent vingt-cinq mille. Mais le terrible Ă©tait que, dans la passion de la lutte, il avait jouĂ© Ă dĂ©couvert, croyant au gĂ©nie de Saccard, achetant toujours ; de sorte que d'effroyables diffĂ©rences a payer, plus de deux cent mille francs, venaient d'emporter le reste de sa fortune, ces quinze mille francs de rente gagnĂ©s si rudement par trente annĂ©es de travail, il n'avait plus rien, c'Ă©tait Ă peine s'il en sortirait complĂštement acquittĂ©, lorsqu'il aurait vendu son petit hĂÂŽtel de la rue Legendre, dont il se montrait si fier. Et, dans ce dĂ©sastre, Mme Maugendre Ă©tait certainement plus coupable que lui. " Ah ! madame, expliqua Marcelle avec son aimable figure, qui, mĂÂȘme au milieu des catastrophes, restait fraĂche et riante, vous ne vous imaginez pas ce qu'Ă©tait devenue maman ! Elle, si prudente, si Ă©conome, la terreur de ses bonnes, toujours sur leurs talons, Ă Ă©plucher leurs comptes, elle ne parlait plus que par centaines de mille francs, elle poussait papa, oh ! lui, beaucoup moins brave, au fond, tout prĂÂȘt Ă Ă©couter l'oncle Chave, si elle ne l'avait pas rendu fou, avec son rĂÂȘve de dĂ©croche le gros lot, le million... D'abord, ça les avait pris en lisant les journaux financiers ; et papa s'Ă©tait passionnĂ© le premier, si bien qu'il se cachait, dans les commencements ; puis, lorsque maman s'y est mise, aprĂšs avoir longtemps professĂ© contre le jeu une haine de bonne mĂ©nagĂšre, tout a flambĂ©, ça n'a pas Ă©tĂ© long. Est-il possible que la rage du gain change Ă ce point de braves gens ! " Jordan intervint, Ă©gayĂ© lui aussi par la figure de l'oncle Chave, qu'un mot de sa femme venait d'Ă©voquer. " Et si vous aviez vu le calme de l'oncle, au milieu de ces catastrophes ! il l'avait bien prĂ©dit, il triomphait, serrĂ© dans son col de crin... Pas un jour il n'a manquĂ© la Bourse, pas un jour il n'a cessĂ© de jouer son jeu infime, sur le comptant, satisfait d'emporter sa piĂšce de quinze Ă vingt francs, chaque soir, ainsi qu'un bon employĂ© qui a bravement rempli sa journĂ©e. Autour de lui, les millions croulaient de toutes parts, des fortunes gĂ©antes se faisaient et se dĂ©faisaient en deux heures, l'or pleuvait Ă pleins seaux parmi les coups de foudre, et il continuait, sans fiĂšvre, Ă gagner sa petite vie, son petit gain pour ses petits vices... Il est le malin des malins, les jolies filles de la rue Nollet ont eu leurs gĂÂąteaux et leurs bonbons. " Cette allusion, faite de belle humeur, aux farces du capitaine, acheva d'amuser les deux femmes. Mais, tout de suite, la tristesse de la situation les reprit. " HĂ©las ! non, dĂ©clara Mme Caroline, je ne crois pas que vos parents aient rien Ă tirer de leurs actions. Tout me paraĂt bien fini. Elles sont Ă trente francs, elles vont tomber Ă vingt francs, Ă cent sous... Mon Dieu ! Les pauvres gens, Ă leur ĂÂąge, avec leurs habitudes d'aisance, que vont-ils devenir ? - Dame ! rĂ©pondit simplement Jordan, il va falloir s'occuper d'eux... Nous ne sommes pas bien riches encore, mais enfin ça commence Ă marcher, et nous ne les lasserons pas dans la rue. " Il venait d'avoir une chance. AprĂšs tant d'annĂ©es de travail ingrat, son premier roman, publiĂ© d'abord dans un journal, lancĂ© ensuite par un Ă©diteur, avait pris brusquement l'allure d'un gros succĂšs ; et il se trouvait riche de quelques milliers de francs, toutes les portes ouvertes devant lui dĂ©sormais, brĂ»lant de se remettre au travail, certain de la fortune et de la gloire. " Si nous ne pouvons les prendre, nous leur louerons un petit logement. On s'arrangera toujours, parbleu ! " Marcelle, qui le regardait avec une tendresse Ă©perdue, fut agitĂ©e d'un lĂ©ger tremblement " Oh ! Paul, Paul, que tu es bon ! " Et elle se mit Ă sangloter. " Mon enfant, calmez-vous, je vous en prie, rĂ©pĂ©ta Ă plusieurs reprises Mme Caroline, qui s'empressait, Ă©tonnĂ©e. Il ne faut pas vous faire de la peine. " - Non, laissez-moi, ce n'est pas de la peine... Mais, en vĂ©ritĂ©, c'est tellement bĂÂȘte, tout ça ! Je vous demande un peu, lorsque j'ai Ă©pousĂ© Paul, si maman et papa n'auraient pas dĂ» me donner la dot dont ils avaient toujours parlĂ© ! Sous prĂ©texte que Paul ne possĂ©dait plus un sou et que je faisais une sottise en tenant quand mĂÂȘme ma promesse, ils n'ont pas lĂÂąchĂ© un centime... Ah ! les voilĂ bien avancĂ©s, aujourd'hui ! ils la retrouveraient, ma dot, ce serait toujours ça que la Bourse n'aurait pas mangĂ© ! " Mme Caroline et Jordan ne purent s'empĂÂȘcher de rire. Mais cela ne consolait pas Marcelle, elle pleurait plus fort. " Et puis, ce n'est pas encore ça... Moi, quand Paul a Ă©tĂ© pauvre, j'ai fait un rĂÂȘve. Oui ! comme dans les contes de fĂ©es, j'ai rĂÂȘvĂ© que j'Ă©tais une princesse et qu'un jour j'apporterais Ă mon prince ruinĂ© beaucoup, beaucoup d'argent, pour l'aider Ă ĂÂȘtre un grand poĂšte... Et voilĂ qu'il n'a pas besoin de moi, voilĂ que je ne suis plus rien qu'un embarras, avec ma famille ! C'est lui qui aura toute la peine, c'est lui qui fera tous les cadeaux... Ah ! ce que mon coeur Ă©touffe ! " Vivement, il l'avait prise dans ses bras. " Qu'est-ce que tu nous racontes, grosse bĂÂȘte. Est-ce que la femme a besoin d'apporter quelque chose ! Mais c'est toi que tu apportes, ta jeunesse, ta tendresse, ta belle humeur, et il n'y a pas une princesse au monde qui puisse donner davantage ! " Tout de suite, elle s'apaisa, heureuse d'ĂÂȘtre aimĂ©e ainsi, trouvant en effet qu'elle Ă©tait bien sotte de pleurer. Lui, continuait " Si ton pĂšre et ta mĂšre veulent, nous les installerons Ă Clichy, oĂÂč j'ai vu des rez-de-chaussĂ©e avec des jardins pour pas cher... Chez nous, dans notre trou empli de nos quatre meubles, c'est trĂšs gentil, mais c'est trop Ă©troit ; d'autant plus qu'il va nous falloir de la place... " Et, souriant de nouveau, se tournant vers Mme Caroline, qui assistait, trĂšs touchĂ©e, Ă cette scĂšne de mĂ©nage " Eh ! oui, nous allons ĂÂȘtre trois, on peut bien l'avouer, maintenant que je suis un monsieur qui gagne sa vie !... N'est-ce pas ? madame, encore un cadeau qu'elle va me faire, elle qui pleure de ne m'avoir rien apportĂ© ! " Mme Caroline, dans l'incurable dĂ©sespoir de sa stĂ©rilitĂ©, regarda Marcelle un peu rougissante et dont elle n'avait pas remarquĂ© la taille dĂ©jĂ Ă©paissie. A son tour, elle eut des larmes pleins les yeux. " Ah ! mes chers enfants, aimez-vous bien, vous ĂÂȘtes les seuls raisonnables et les seuls heureux ! " Puis, avant de prendre congĂ©, Jordan donna des dĂ©tails sur le journal L'EspĂ©rance . Gaiement, avec son horreur instinctive des affaires, il en parlait comme de la plus extraordinaire caverne, toute retentissante des marteaux de la spĂ©culation. Le personnel entier, depuis le directeur jusqu'au garçon de bureau, spĂ©culait, et lui seul, disait-il en riant, n'y avait pas jouĂ©, trĂšs mal vu, accablĂ© sous le mĂ©pris de tous. D'ailleurs, l'Ă©croulement de l'Universelle, surtout l'arrestation de Saccard, venaient de tuer net le journal. Il y avait eu une dĂ©bandade des rĂ©dacteurs, tandis que Jantrou s'entĂÂȘtait, aux abois, se cramponnant Ă cette Ă©pave, pour vivre encore des dĂ©bris du naufrage. C'Ă©tait fini, ces trois annĂ©es de prospĂ©ritĂ© l'avaient dĂ©vastĂ©, dans un monstrueux abus de tout ce qui s'achĂšte, pareil Ă ces meurt-de-faim qui crĂšvent d'indigestion, le jour oĂÂč ils s'attablent. Et la chose curieuse, logique du reste, c'Ă©tait la dĂ©chĂ©ance finale de la baronne Sandorff, tombĂ©e Ă cet homme, au milieu du dĂ©sarroi de la catastrophe, enragĂ©e et voulant rattraper son argent. Au nom de la baronne, Mme Caroline avait lĂ©gĂšrement pĂÂąli, pendant que Jordan, qui ignorait la rivalitĂ© des deux femmes, complĂ©tait son rĂ©cit. " Je ne sais pourquoi elle s'est donnĂ©e. Peut-ĂÂȘtre a-t-elle cru qu'il la renseignerait, grĂÂące Ă ses relations d'agent de publicitĂ©. Peut-ĂÂȘtre n'a-t-elle roulĂ© jusqu'Ă lui que par les lois mĂÂȘmes de la chute, toujours de plus en plus bas. Il y a, dans la passion du jeu, un ferment dĂ©sorganisateur que j'ai observĂ© souvent, qui ronge et pourrit tout, qui fait de la crĂ©ature de race la mieux Ă©levĂ©e et la plus fiĂšre une loque humaine, le dĂ©chet balayĂ© au ruisseau... En tout cas, si cette fripouille de Jantrou avait gardĂ© sur le coeur les coups de pied au derriĂšre que lui allongeait, dit-on, le pĂšre de la baronne, quand il allait jadis quĂ©mander ses ordres, il est bien vengĂ© aujourd'hui ; car, moi qui vous parle, comme j'Ă©tais retournĂ© au journal pour tacher d'ĂÂȘtre payĂ©, je suis tombĂ© sur une explication en poussant trop vivement une porte, j'ai vu, de mes yeux vu, Jantrou giflant la Sandorff, Ă la volĂ©e... Oh ! cet homme ivre, perdu d'alcool et de vices, tapant avec une brutalitĂ© de cocher sur cette dame du monde ! " D'un geste de souffrance, Mme Caroline le fit taire. Il lui semblait que cet excĂšs d'abaissement l'Ă©claboussait elle-mĂÂȘme. TrĂšs caressante, Marcelle lui avait pris la main, sur le point de partir. " Ne croyez pas au moins, chĂšre madame, que nous soyons venus pour vous ennuyer. Paul, au contraire, dĂ©fend beaucoup M. Saccard. - Mais certainement ! s'Ă©cria le jeune homme. Il a toujours Ă©tĂ© gentil avec moi. Je n'oublierai jamais la façon dont il nous a dĂ©barrassĂ©s du terrible Busch. Et puis, c'est tout de mĂÂȘme un monsieur trĂšs fort... Quand vous le verrez, madame, dites-lui bien que le petit mĂ©nage lui garde une vive reconnaissance. " Lorsque les Jordan furent partis Mme Caroline eut un geste de muette colĂšre. De la reconnaissance, pourquoi ? pour la ruine des Maugendre ! Ces Jordan Ă©taient comme Dejoie, s'en allaient avec les mĂÂȘmes paroles d'excuse et de bons souhaits. Et pourtant ils savaient, ceux-lĂ ! ce n'Ă©tait pas un ignorant, cet Ă©crivain qui avait traversĂ© le monde de la finance, plein d'un si beau mĂ©pris de l'argent. En elle, la rĂ©volte continuait, grandissait. Non ! il n'y avait point de pardon possible, la boue Ă©tait trop profonde. Cela ne la vengeait pas, la gifle de Jantrou Ă la baronne. C'Ă©tait Saccard qui avait tout pourri. Ce jour-lĂ , Mme Caroline devait aller chez Mazaud, au sujet de certaines piĂšces qu'elle voulait joindre au dossier de son frĂšre. Elle dĂ©sirait Ă©galement savoir quelle serait son attitude, dans le cas oĂÂč la dĂ©fense le citerait comme tĂ©moin. Le rendez-vous pris n'Ă©tait que pour quatre heures, aprĂšs la Bourse ; et, seule enfin, elle passa plus d'une heure et demie Ă classer les renseignements qu'elle avait obtenus dĂ©jĂ . Elle commençait Ă voir clair, dans le monceau des ruines. De mĂÂȘme, au lendemain d'un incendie, quand la fumĂ©e s'est dissipĂ©e et que le brasier s'est Ă©teint, on dĂ©blaie les matĂ©riaux, avec le vivace espoir de trouver l'or des bijoux fondus. D'abord, elle s'Ă©tait demandĂ© oĂÂč avait pu passer l'argent. Dans cet engloutissement de deux cents millions, il fallait bien, si des poches s'Ă©taient vidĂ©es, que d'autres se fussent emplies. Cependant, il paraissait certain que le rĂÂąteau des baissiers n'avait pas ramassĂ© toute la somme, un effroyable coulage en avait emportĂ© un bon tiers. A la Bourse, les jours de catastrophe, on dirait que le sol boit l'argent, il s'en Ă©gare, il en reste, un peu Ă tous les doigts. Gundermann devait, Ă lui seul, avoir empochĂ© une cinquantaine de millions. Puis, venait Daigremont, avec douze ou quinze. On citait encore le marquis de Bohain, dont le coup classique avait rĂ©ussi une fois de plus Ă la hausse chez Mazaud, il refusait de payer, tandis qu'il avait touchĂ© prĂšs de deux millions chez Jacoby, oĂÂč il Ă©tait Ă la baisse ; seulement, cette fois, tout en sachant que le marquis avait mis ses meubles au nom de sa femme, en simple filou, Mazaud, affolĂ© par ses pertes, parlait de lui envoyer du papier timbrĂ©. Presque tous les administrateurs de l'Universelle s'Ă©taient, d'ailleurs, taillĂ© royalement leur part, les uns, comme Huret et Kolb, en rĂ©alisant au plus haut cours, avant l'effondrement, les autres, comme le marquis et Daigremont, en passant aux baissiers, par une tactique de traĂtres ; sans compter que, dans une de ses derniĂšres rĂ©unions, lorsque la sociĂ©tĂ© Ă©tait dĂ©jĂ aux abois le conseil d'administration avait fait crĂ©diter chacun de ses membres de cent et quelques mille francs. Enfin, Ă la corbeille, Delarocque et Jacoby surtout passaient pour avoir gagnĂ© personnellement de grosses sommes, dĂ©jĂ englouties du reste dans les deux gouffres toujours bĂ©ants, impossibles Ă combler, que creusaient chez le premier l'appĂ©tit de la femme et chez l'autre la passion du jeu. De mĂÂȘme, le bruit courait que Nathansohn devenait un des rois de la coulisse, grĂÂące Ă un gain de trois millions, qu'il avait rĂ©alisĂ© en jouant pour son compte Ă la baisse, tandis qu'il jouait Ă la hausse pour Saccard ; et la chance extraordinaire Ă©tait qu'il aurait sautĂ© certainement, engagĂ© pour des achats considĂ©rables au nom de l'Universelle qui ne payait plus, si l'on n'avait pas Ă©tĂ© forcĂ© de passer l'Ă©ponge, de faire cadeau de ce qu'elle devait, plus de cent millions, Ă la coulisse tout entiĂšre, reconnue insolvable. Un homme dĂ©cidĂ©ment heureux et adroit, ce petit Nathansohn ! et quelle jolie aventure, dont on souriait, garder ce qu'on a gagnĂ©, ne pas payer ce qu'on a perdu ! Mais les chiffres restaient vagues, Mme Caroline ne pouvait arriver Ă une apprĂ©ciation exacte des gains, car les opĂ©rations de Bourse se font en plein mystĂšre, et le secret professionnel est strictement gardĂ© par les agents de change. MĂÂȘme on n'aurait rien su en dĂ©pouillant les carnets, oĂÂč les noms ne sont pas inscrits. Ainsi elle tenta en vain de connaĂtre la somme qu'avait dĂ» emporter Sabatani, disparu Ă la suite de la derniĂšre liquidation. Encore une ruine, de ce cĂÂŽtĂ©, qui atteignait durement, Mazaud. C'Ă©tait la commune histoire le client louche accueilli d'abord avec dĂ©fiance, dĂ©posant une petite couverture de deux ou trois mille francs, jouant sagement pendant les premiers mois, jusqu'au jour oĂÂč, la mĂ©diocritĂ© de la garantie oubliĂ©e, devenu l'ami de l'agent de change, il prenait la fuite, au lendemain de quelque tour de brigand. Mazaud parlait d'exĂ©cuter Sabatani, ainsi qu'il avait jadis exĂ©cutĂ© Schlosser, un filou de la mĂÂȘme bande, de l'Ă©ternelle bande qui exploite !e marchĂ©, comme les voleurs d'autrefois exploitaient une forĂÂȘt. Et le Levantin, cet Italien mĂÂątinĂ© d'Oriental, aux yeux de velours,, qu'une lĂ©gende douait d'un phĂ©nomĂšne dont chuchotaient les femmes curieuses, Ă©tait aller Ă©cumer la Bourse de quelque capitale Ă©trangĂšre, Berlin, disait-on, en attendant qu'on l'oubliĂÂąt Ă Paris, et qu'il y revĂnt, de nouveau saluĂ©, prĂÂȘt Ă recommencer son coup, au milieu de la tolĂ©rance gĂ©nĂ©rale. Puis, Mme Caroline avait dressĂ© une liste des dĂ©sastres. La catastrophe de l'Universelle venait d'ĂÂȘtre une de ces terribles secousses qui Ă©branlent toute une ville. Rien n'Ă©tait restĂ© d'aplomb et solide, les crevasses gagnaient les maisons voisines, il y avait chaque jour de nouveaux Ă©croulements. Les unes sur les autres, les banques s'effondraient, avec le fracas brusque des pans de murs demeurĂ©s debout aprĂšs un incendie. Dans une muette consternation, on Ă©coutait ces bruits de chute, on se demandait oĂÂč s'arrĂÂȘteraient les ruines. Elle, ce qui la frappait au coeur, c'Ă©tait moins les banquiers, les sociĂ©tĂ©s, les hommes et les choses de la finance dĂ©truits, emportĂ©s dans la tourmente, que tous les pauvres gens, actionnaires, spĂ©culateurs mĂÂȘme, qu'elle avait connus et aimĂ©s, et qui Ă©taient parmi les victimes. AprĂšs la dĂ©faite, elle comptait ses morts. Et il n'y avait pas seulement son pauvre Dejoie, les Maugendre imbĂ©ciles et lamentables, les tristes dames de Beauvilliers, si touchantes. Un autre drame l'avait bouleversĂ©e, la faillite du fabricant de soie SĂ©dille, dĂ©clarĂ©e la veille. Celui-lĂ , l'ayant vu Ă l'oeuvre comme administrateur, le seul du conseil, disait- elle, Ă qui elle aurait confiĂ© dix sous, elle le dĂ©clarait le plus honnĂÂȘte homme du monde. L'effrayante chose, que cette passion du jeu ! Un homme qui avait mis trente ans Ă fonder par son travail et sa probitĂ© une des plus solides maisons de Paris, et qui, en moins de trois annĂ©es, venait de l'entamer, de la ronger, au point que, d'un coup, elle Ă©tait tombĂ©e en poudre ! Quels regrets amers des jours laborieux d'autrefois, lorsqu'il croyait encore Ă la fortune gagnĂ©e d'un lent effort, avant qu'un premier gain de hasard la lui eĂ»t fait prendre mĂ©pris, dĂ©vorĂ© par le rĂÂȘve de conquĂ©rir Ă la Bourse, en une heure, le million qui demande toute la vie d'un commerçant honnĂÂȘte ! Et la Bourse avait tout emportĂ©, le malheureux restait foudroyĂ©, dĂ©chu, incapable et indigne de reprendre les affaires, avec un fils dont la misĂšre allait peut-ĂÂȘtre faire un escroc, ce Gustave, cette ĂÂąme de joie et de fĂÂȘte, vivant sur un pied de quarante Ă cinquante mille francs de dette, dĂ©jĂ compromis dans une vilaine histoire de billets signĂ©s Ă Germaine Coeur. Puis, c'Ă©tait encore un autre pauvre diable qui navrait Mme Caroline, le remisier Massias, et Dieu savait si elle se montrait tendre d'ordinaire Ă l'Ă©gard de ces entremetteurs du mensonge et du vol ! Seulement, elle l'avait connu aussi, celui-lĂ , avec ses gros yeux rieurs, son air de bon chien battu, quand il courait Paris, pour arracher quelques maigres ordres. Si, un instant, il s'Ă©tait cru, Ă son tour enfin, un des maĂtres du marchĂ©, ayant violĂ© la chance, sur les talons de Saccard, quelle chute affreuse l'avait Ă©veillĂ© de son rĂÂȘve, par terre, les reins cassĂ©s ! il devait soixante-dix mille francs, et il avait payĂ©, lorsqu'il pouvait allĂ©guer l'exception de jeu, comme tant d'autres ; il avait fait, en empruntant Ă des amis, en engageant sa vie entiĂšre, cette bĂÂȘtise sublime et inutile de payer, car personne ne lui en savait grĂ©, on haussait mĂÂȘme un peu les Ă©paules derriĂšre lui. Sa rancune ne s'exhalait que contre la Bourse, retombĂ© dans son dĂ©goĂ»t du sale mĂ©tier qu'il y faisait, criant qu'il fallait ĂÂȘtre juif pour y rĂ©ussir, se rĂ©signant pourtant Ă y rester, puisqu'il y Ă©tait, avec l'espoir entĂÂȘtĂ© d'y gagner le gros lot quand mĂÂȘme, tant qu'il aurait l'oeil vif et de bonnes jambes. Mais les morts inconnus, les victimes sans nom, sans histoire, emplissaient surtout d'une pitiĂ© infinie le coeur de Mme Caroline. Ceux-lĂ Ă©taient lĂ©gion, jonchaient les buissons Ă©cartĂ©s, les fossĂ©s pleins d'herbe, et il y avait ainsi des cadavres perdus, des blessĂ©s rĂÂąlant d'angoisse, derriĂšre chaque tronc d'arbre. Que d'effroyables drames muets, la cohue des petits rentiers pauvres, des petits actionnaires ayant mis toutes leurs Ă©conomies dans une mĂÂȘme valeur, les concierges retirĂ©s, les pĂÂąles demoiselles vivant avec un chat, les retraitĂ©s de province Ă l'existence rĂ©glĂ©e de maniaques, les prĂÂȘtres de campagne dĂ©nudĂ©s par l'aumĂÂŽne, tous ces ĂÂȘtres infimes dont le budget est de quelques sous, tant pour le lait, tant pour le pain, un budget si exact et si rĂ©duit, que deux sous de moins amĂšnent des cataclysmes ! Et, brusquement, plus rien, la vie coupĂ©e, emportĂ©e, de vieilles mains tremblantes, Ă©perdues, tĂÂątonnantes dans les tĂ©nĂšbres, incapables de travail, toutes ces existences humbles et tranquilles jetĂ©es d'un coup Ă l'Ă©pouvante du besoin ! Cent lettres dĂ©sespĂ©rĂ©es Ă©taient arrivĂ©es de VendĂÂŽme, oĂÂč le sieur Fayeux, receveur de rentes, avait aggravĂ© le dĂ©sastre en levant le pied. DĂ©positaire de l'argent et des titres des clients pour qui il opĂ©rait Ă la Bourse, il s'Ă©tait mis Ă jouer lui-mĂÂȘme un jeu terrible ; et, ayant perdu, ne voulant pas payer, il avait filĂ© avec les quelques centaines de mille francs qui se trouvaient entre ses mains. Autour de VendĂÂŽme, dans les fermes les plus reculĂ©es, il laissait la misĂšre et les larmes. Partout, l'Ă©branlement avait ainsi gagnĂ© les chaumiĂšres. Comme aprĂšs les grandes Ă©pidĂ©mies, les pitoyables victimes n'Ă©taient-elles pas cette population moyenne, la petite Ă©pargne, que les fils seuls allaient pouvoir recon- struire aprĂšs des annĂ©es de dur labeur ? Enfin, Mme Caroline sortit pour se rendre chez Mazaud ; et, tandis qu'elle descendait Ă pied vers la rue de la Banque, elle pensait aux coups rĂ©pĂ©tĂ©s qui atteignaient l'agent de change, depuis une quinzaine de jours. C'Ă©tait Fayeux qui lui volait trois cent mille francs, Sabatani qui lui laissait un compte impayĂ© de prĂšs du double, le marquis de Bohain et la baronne Sandorff qui refusaient d'acquitter Ă eux deux plus d'un million de diffĂ©rences, SĂ©dille dont la faillite lui emportait environ la mĂÂȘme somme, sans compter les huit millions que lui devait l'Universelle, ces huit millions pour lesquels il avait reportĂ© Saccard, la perte effroyable, le gouffre oĂÂč, d'heure en heure, la Bourse anxieuse s'attendait Ă le voir sombrer. A deux reprises dĂ©jĂ , le bruit avait couru de la catastrophe. Et, dans cet acharnement du sort, un dernier malheur venait de se produire, qui allait ĂÂȘtre la goutte d'eau faisant dĂ©border le vase on avait arrĂÂȘtĂ© l'avant-veille l'employĂ© Flory, convaincu d'avoir dĂ©tournĂ© cent quatre-vingt mille francs. Peu Ă peu, les exigences de Mlle Chuchu, l'ancienne petite figurante, la maigre sauterelle du trottoir parisien, s'Ă©taient accrues d'abord de joyeuses parties pas chĂšres, puis l'appartement de la rue Condorcet, puis des bijoux, des dentelles ; et ce qui avait perdu le malheureux et tendre garçon, c'Ă©tait son premier gain de dix mille francs, aprĂšs Sadowa, et argent de plaisir si vite gagnĂ©, si vite dĂ©pensĂ©, qui en avait nĂ©cessitĂ© d'autre, d'autre encore, toute une fiĂšvre de passion pour la femme si chĂšrement achetĂ©e. Mais l'histoire devenait extraordinaire, dans ce fait que Flory avait volĂ© son patron, simplement pour payer sa dette de jeu, chez un autre agent singuliĂšre honnĂÂȘtetĂ©, effarement devant la peur de l'exĂ©cution immĂ©diate, espoir sans doute de cacher le vol, de combler le trou par quelque opĂ©ration miraculeuse. En prison, il avait beaucoup pleurĂ©, dans un affreux rĂ©veil de honte et de dĂ©sespoir ; et l'on racon- tait que sa mĂšre, arrivĂ©e le matin mĂÂȘme de Saintes pour le voir, avait dĂ» s'aliter chez les amis oĂÂč elle Ă©tait descendue. Quelle Ă©trange chose que la chance ! songeait Mme Caroline en traversant la place de la Bourse. L'extraordinaire succĂšs de l'Universelle, cette montĂ©e rapide dans le triomphe, dans la conquĂÂȘte et la domination, en moins de quatre annĂ©es, puis cet Ă©croulement brusque, ce colossal Ă©difice qu'un mois avait suffi pour rĂ©duire en poudre, la stupĂ©fiaient toujours. Et n'Ă©tait-ce pas lĂ aussi l'histoire de Mazaud. Certes, jamais homme n'avait vu la destinĂ©e lui sourire Ă ce point. Agent de change Ă trente-deux ans, trĂšs riche dĂ©jĂ par la mort de son oncle, heureux mari d'une femme charmante qui l'adorait, qui lui avait donnĂ© deux beaux enfants, il Ă©tait en outre joli homme, il prenait chaque jour Ă la corbeille une place plus considĂ©rable, par ses relations, son activitĂ©, son flair vraiment surprenant, sa voix aiguĂ mĂÂȘme, cette voix de fifre qui devenait aussi cĂ©lĂšbre que le tonnerre de Jacoby. Et, soudainement, voilĂ que la situation craquait, il se trouvait au bord de l'abĂme, oĂÂč il suffisait d'un souffle maintenant pour le jeter. Lui, n'avait pas jouĂ©, pourtant, protĂ©gĂ© encore par sa flamme au travail, sa jeunesse inquiĂšte. Il Ă©tait frappĂ© en pleine lutte loyale, par inexpĂ©rience et passion, pour avoir trop cru aux autres. D'ailleurs, les sympathies restaient vives, on prĂ©tendait qu'il pourrait s'en tirer, avec beaucoup d'aplomb. Lorsque Mme Caroline fut montĂ©e Ă la charge, elle sentit bien l'odeur de ruine, le frisson d'angoisse secrĂšte, dans les bureaux devenus mornes. En traversant la caisse, elle aperçut une vingtaine de personnes, toute une foule qui attendait, pendant que le caissier d'argent et le caissier des titres faisaient encore honneur aux engagements de la maison, mais d'une main ralentie, en hommes qui vident les derniers tiroirs. Par une porte entrouverte, le bureau de la liquidation lui apparut endormi, avec ses sept employĂ©s lisant leur journal, n'ayant plus Ă appliquer que de rares affaires, depuis que la Bourse chĂÂŽmait. Seul, le bureau du comptant gardait quelque vie. Et ce fut Berthier, le fondĂ© de pouvoir, qui la reçut, trĂšs agitĂ© lui-mĂÂȘme, le visage pĂÂąle, dans le malheur de la maison. " Je ne sais pas, madame, si M. Mazaud pourra vous recevoir... Il est un peu souffrant, il a eu froid en s'obstinant Ă travailler sans feu toute la nuit derniĂšre, et il vient de descendre chez lui, au premier Ă©tage, pour prendre quelque repos. " Alors, Mme Caroline insista. " Je vous en prie, monsieur, faites que je lui dise quelques mots... Il y va peut-ĂÂȘtre du salut de mon frĂšre. M. Mazaud sait bien que jamais mon frĂšre ne s'est occupĂ© des opĂ©rations de Bourse, et son tĂ©moignage serait d'une grande importance... D'autre part, j'ai des chiffres Ă lui demander, lui seul peut me renseigner sur certains documents. " Berthier, plein d'hĂ©sitation, finit par la prier d'entrer dans le cabinet de l'agent de change. " Attendez lĂ un instant, madame, je vais voir. " Et, dans cette piĂšce, en effet, Mme Caroline eut une grande sensation de froid. Le feu devait ĂÂȘtre mort depuis la veille, personne n'avait songĂ© Ă le rallumer. Mais ce qui la frappait plus encore, c'Ă©tait l'ordre parfait, comme si toute la nuit et toute la matinĂ©e entiĂšre venaient d'ĂÂȘtre employĂ©es Ă vider les meubles, Ă dĂ©truire les papiers inutiles, Ă classer ceux qu'il fallait conserver. Rien ne traĂnait, pas un dossier, pas mĂÂȘme une lettre. Sur le bureau, il n'y avait, mĂ©thodiquement rangĂ©s, que l'encrier, le plumier, un grand buvard, au milieu duquel Ă©tait seulement restĂ© un paquet de fiches de la maison, des fiches vertes, couleur de l'espĂ©rance. Dans cette nuditĂ©, une tris- tesse infinie tombait avec le lourd silence. Au bout de quelques minutes, Berthier reparut. " Ma foi ! madame, j'ai sonnĂ© deux fois, et je n'ose insister... En descendant, voyez si vous devez sonner vous-mĂÂȘme. Mais je vous conseille de revenir. " Mme Caroline dut se rĂ©signer. Cependant, sur le palier du premier Ă©tage, elle hĂ©sita encore, elle avança mĂÂȘme la main vers le bouton de la sonnette. Et elle finissait par s'en aller, lorsque des cris, des sanglots, toute une rumeur sourde, au fond de l'appartement, l'arrĂÂȘta. Brusquement, la porte fut ouverte, et un domestique s'en Ă©lança, effarĂ©, disparut dans l'escalier, en bĂ©gayant " Mon Dieu ! mon Dieu ! monsieur... " Elle Ă©tait demeurĂ©e immobile, devant cette porte bĂ©ante, dont sortait, distincte maintenant, une plainte d'affreuse douleur. Et elle devenait toute froide, devinant, envahie par la vision nette de ce qui se passait lĂ . D'abord elle voulut fuir, puis elle ne le put, Ă©perdue de pitiĂ©, attirĂ©e, ayant le besoin de voir et d'apporter ses larmes, elle aussi. Elle entra, trouva toutes les portes grandes ouvertes, arriva jusqu'au salon. Deux servantes, la cuisiniĂšre et la femme de chambre sans doute, y allongeaient le cou, avec des faces de terreur, balbutiantes. " Oh ! monsieur, oh ! mon Dieu ! mon Dieu ! " Le jour mourant de la grise journĂ©e d'hiver entrait faiblement, par l'Ă©cartement des Ă©pais rideaux de soie. Mais il faisait trĂšs chaud, de grosses bĂ»ches achevaient de se consumer en braise dans la cheminĂ©e, Ă©clairant les murs d'un grand reflet rouge. Sur une table, une gerbe de roses, un royal bouquet pour la saison, que, la veille encore, l'agent de change avait apportĂ© Ă sa femme, s'Ă©panouissait dans cette tiĂ©deur de serre, embaumait toute la piĂšce. C'Ă©tait comme le parfum mĂÂȘme du luxe raffinĂ© de l'ameublement, la bonne odeur de chance, de richesse, de fĂ©licitĂ© d'amour, qui, pendant quatre annĂ©es, avaient fleuri lĂ . Et, sous le reflet rouge du feu, Mazaud Ă©tait renversĂ© au bord du canapĂ©, la tĂÂȘte fracassĂ©e d'une balle, la main crispĂ©e sur la crosse du revolver ; tandis que, debout devant lui, sa jeune femme, accourue, poussait cette plainte, ce cri continu et sauvage qui s'entendait de l'escalier. Au moment de la dĂ©tonation, elle avait au bras son petit garçon de quatre ans et demi, dont les petites mains s'Ă©taient cramponnĂ©es Ă son cou, dans l'Ă©pouvante ; et sa fillette, ĂÂągĂ©e de six ans dĂ©jĂ , l'avait suivie, pendue Ă sa jupe, se serrant contre elle ; et les deux enfants criaient aussi, d'entendre crier leur mĂšre Ă©perdument. Tout de suite, Mme Caroline voulut les emmener. " Madame, je vous en supplie... Madame, ne restez pas lĂ ... " Elle-mĂÂȘme tremblait, se sentait dĂ©faillir. De la tĂÂȘte trouĂ©e de Mazaud, elle voyait le sang couler encore, tomber goutte Ă goutte sur le velours du canapĂ©, d'oĂÂč il ruisselait sur le tapis. Il y avait par terre une large tache qui s'Ă©largissait. Et il lui semblait que ce sang la gagnait, lui Ă©claboussait les pieds et les mains. " Madame, je vous en supplie, suivez-moi... " Mais, avec son fils pendu Ă son cou, avec sa fille serrĂ©e Ă sa taille, la malheureuse n'entendait pas, ne bougeait pas, raidie, plantĂ©e lĂ , Ă ce point qu'aucune puissance au monde ne l'en aurait dĂ©racinĂ©e. Tous les trois Ă©taient blonds, d'une fraĂcheur de lait, la mĂšre d'air aussi dĂ©licat et ingĂ©nu que les enfants. Et, dans la stupeur de leur fĂ©licitĂ© morte, dans ce brusque anĂ©antissement du bonheur qui devait durer toujours, ils continuaient de jeter leur grand cri, le hurlement oĂÂč passait toute l'effroyable souffrance de l'espĂšce. Alors, Mme Caroline tomba sur les deux genoux. Elle sanglotait, elle balbutiait. " Oh ! madame, vous me dĂ©chirez le coeur... De grĂÂące, madame, arrachez-vous Ă ce spectacle, venez avec moi dans la piĂšce voisine, laissez-moi tĂÂącher de vous Ă©pargner un peu du mal qu'on vous a fait... " Et toujours le groupe farouche et lamentable, la mĂšre avec les deux petits, comme entrĂ©s en elle, immobiles dans leurs longs cheveux pĂÂąles dĂ©nouĂ©s. Et toujours ce hurlement affreux, cette lamentation du sang, qui monte de la forĂÂȘt, quand les chasseurs ont tuĂ© le pĂšre. Mme Caroline s'Ă©tait relevĂ©e, la tĂÂȘte perdue, il y eut des pas, des voix, sans doute l'arrivĂ©e d'un mĂ©decin, la constatation de la mort. Et elle ne put rester, davantage elle se sauva, poursuivie par la plainte abominable et sans fin, que, mĂÂȘme sur le trottoir, dans le roulement des fiacres, elle croyait entendre toujours. Le ciel pĂÂąlissait, il faisait froid, et elle marcha, lentement, de peur qu'on ne l'arrĂÂȘtĂÂąt, en la prenant pour une meurtriĂšre, Ă son air Ă©garĂ©. Tout remontait en elle, toute l'histoire du monstrueux Ă©croulement de deux cent millions, qui amoncelait tant de ruines et Ă©crasait tant de victimes. Quelle force mystĂ©rieuse, aprĂšs avoir Ă©difiĂ© si rapidement cette tour d'or, venait donc ainsi de la dĂ©truire ? Les mĂÂȘmes mains qui l'avaient construite, semblaient s'ĂÂȘtre acharnĂ©es, prises de folie, Ă ne pas en laisser une pierre debout. Partout, des cris de douleur s'Ă©levaient, des fortunes s'effondraient avec le bruit des tombereaux de dĂ©molitions, qu'on vide Ă la dĂ©charge publique. C'Ă©taient les derniers biens domaniaux des Beauvilliers, les sous grattĂ©s un Ă un des Ă©conomies de Dejoie, les gains rĂ©alisĂ©s dans la grande industrie par SĂ©dille, les rentes des Maugendre retirĂ©s du commerce, pĂÂȘle-mĂÂȘle, Ă©taient jetĂ©s avec fracas au fond du cloaque, que rien ne comblait. C'Ă©taient encore Jantrou, noyĂ© dans l'alcool, la Sandorff noyĂ©e dans la boue, Massias retombĂ© Ă sa misĂ©rable condition de chien rabatteur, clouĂ© pour la vie Ă la Bourse par la dette ; et c'Ă©tait Flory voleur, en prison, expiant ses faiblesses d'homme tendre, Sabatani et Fayeux en fuite, galopant avec la peur des gendarmes ; et c'Ă©taient, plus navrantes et pitoyables, les victimes inconnues, le grand troupeau anonyme de tous pauvres que la catastrophe avait faits, grelottant d'abandon, criant de faim. Puis, c'Ă©tait la mort, des coups de pistolet partaient aux quatre coins de Paris, c'Ă©tait la tĂÂȘte fracassĂ©e de Mazaud, le sang de Mazaud qui, goutte Ă goutte, dans le luxe et dans le parfum des roses, Ă©claboussait sa femme et ses petits, hurlant de douleur. Et, alors, tout ce qu'elle avait vu, tout ce qu'elle avait entendu, depuis quelques semaines, s'exhala du coeur meurtri de Mme Caroline en un cri d'exĂ©cration contre Saccard. Elle ne pouvait plus se taire, le mettre Ă part comme s'il n'existait pas pour s'Ă©viter de le juger et de le condamner. Lui seul Ă©tait coupable, cela sortait de chacun de ses dĂ©sastres accumulĂ©s, dont l'effrayant amas la terrifiait. Elle le maudissait, sa colĂšre et son indignation, contenues depuis si longtemps, dĂ©bordaient en une haine vengeresse, la haine mĂÂȘme du mal. N'aimait-elle donc plus son frĂšre, qu'elle avait attendu jusque-lĂ , pour haĂÂŻr l'homme effrayant, qui Ă©tait l'unique cause de leur malheur ? Son pauvre frĂšre, ce grand innocent, ce grand travailleur, si juste et si droit, sali maintenant de la tare ineffaçable de la prison, la victime qu'elle oubliait, chĂšre et plus douloureuse que toutes les autres ! Ah ! que Saccard ne trouvĂÂąt pas de pardon, que personne n'osĂÂąt plaider encore sa cause, mĂÂȘme ceux qui continuaient Ă croire en lui, qui ne connaissaient de lui que sa bontĂ©, et qu'il mourĂ»t seul, un jour, dans le mĂ©pris ! Mme Caroline leva les yeux. Elle Ă©tait arrivĂ©e sur la place, et elle vit, devant elle, la Bourse. Le crĂ©puscule tombait, le ciel d'hiver, chargĂ© de brume, mettait derriĂšre le monument comme une fumĂ©e d'incendie, une nuĂ©e d'un rouge sombre, qu'on aurait crue faite des flammes et des poussiĂšres d'une ville prise d'assaut. Et la Bourse, grise et morne, se dĂ©tachait, dans la mĂ©lancolie de la catastrophe, qui, depuis un mois, la laissait dĂ©serte, ouverte aux quatre vents du ciel, pareille Ă une halle qu'une disette a vidĂ©e. C'Ă©tait l'Ă©pidĂ©mie fatale, pĂ©riodique, dont les ravages balaient le marchĂ© tous les dix Ă quinze ans, les vendredis noirs, ainsi qu'on les nomme, semant le sol de dĂ©combres. Il faut des annĂ©es pour que la confiance renaisse, pour que les grandes maisons de banque se reconstruisent, jusqu'au jour oĂÂč, la passion du jeu ravivĂ©e peu Ă peu, flambant et recommençant l'aventure, amĂšne une nouvelle crise, effondre tout, dans un nouveau dĂ©sastre. Mais, cette fois, derriĂšre cette fumĂ©e rousse de l'horizon, dans les lointains troubles de la ville, il y avait comme un grand craquement sourd, la fin prochaine d'un monde. XII - L'instruction du procĂšs marcha avec une telle lenteur, que sept mois dĂ©jĂ s'Ă©taient Ă©coulĂ©s, depuis l'arrestation de Saccard et d'Hamelin, sans que l'affaire pĂ»t ĂÂȘtre mise au rĂÂŽle. On Ă©tait au milieu de septembre, et, ce lundi-lĂ , Mme Caroline qui allait voir son frĂšre deux fois par semaine, devait se rendre vers trois heures Ă la Conciergerie. Elle ne prononçait jamais le nom de Saccard, elle avait dix fois rĂ©pondu par un refus formel, aux demandes pressantes qu'il lui faisait transmettre de le venir visiter. Pour elle, raidie dans sa volontĂ© de justice, il n'Ă©tait plus. Et elle espĂ©rait toujours sauver son frĂšre, elle Ă©tait toute gaie, les jours de visite, heureuse de l'entretenir de ses derniĂšres dĂ©marches et de lui apporter un gros bouquet des fleurs qu'il aimait. Le matin, ce lundi-lĂ , elle prĂ©parait donc une boite d'oeillets rouges, lorsque la vieille Sophie, la bonne de la princesse d'Orviedo, descendit lui dire que madame dĂ©sirait lui parler tout de suite. EtonnĂ©e, vaguement inquiĂšte, elle se hĂÂąta de monter. Depuis plusieurs mois, elle n'avait pas vu la princesse, ayant donnĂ© sa dĂ©mission de secrĂ©taire, Ă l'Oeuvre du Travail, dĂšs la catastrophe de l'Universelle. Elle ne se rendait plus, de loin en loin, boulevard Bineau, que pour voir Victor, que la sĂ©vĂšre discipline semblait dompter maintenant, l'oeil en dessous, avec sa joue gauche plus forte que la droite, tirant la bouche dans une moue de fĂ©rocitĂ© goguenarde. Tout de suite, elle eut le pressentiment qu'on la faisait appeler Ă cause de Victor. La princesse d'Orviedo, enfin, Ă©tait ruinĂ©e. Dix ans Ă peine lui avaient suffi peur rendre aux pauvres les trois cents millions de l'hĂ©ritage du prince, volĂ©s dans les poches des actionnaires crĂ©dules. S'il lui avait fallu cinq annĂ©es d'abord pour dĂ©penser en bonnes oeuvres folles les cent premiers millions, elle Ă©tait arrivĂ©e, en quatre et demi, Ă engloutir les deux cents autres, dans des fondations d'un luxe plus extraordinaire encore. A l'Oeuvre du Travail, Ă la CrĂšche Sainte- Marie, Ă l'Orphelinat Saint-Joseph, Ă l'Asile de ChĂÂątillon et Ă l'HĂÂŽpital Saint-Marceau, s'ajoutaient aujourd'hui une ferme modĂšle, prĂšs d'Evreux, deux maisons de convalescence peur les enfants, sur les bords de la Manche, une autre maison de retraite peur les vieillards, Ă Nice, des hospices, des citĂ©s ouvriĂšres, des bibliothĂšques et des Ă©coles, aux quatre coins de la France ; sans compter des donations considĂ©rables Ă des oeuvres de charitĂ© dĂ©jĂ existantes. C'Ă©tait, d'ailleurs, toujours la mĂÂȘme volontĂ© de royale restitution, non pas le morceau de pain jetĂ© par la pitiĂ© ou la peur aux misĂ©rables, mais la jouissance de vivre, le superflu, tout ce qui est bon et beau donnĂ© aux humbles qui n'ont rien, aux faibles que les forts ont volĂ©s de leur part de joie, enfin les palais des riches grands ouverts aux mendiants des routes, pour qu'ils dorment, eux aussi, dans la soie et mangent dans la vaisselle d'or. Pendant dix annĂ©es, la pluie des millions n'avait pas cessĂ©, les rĂ©fectoires de marbre, les dortoirs Ă©gayĂ©s de peintures claires, les façades monumentales comme des Louvres, les jardins fleuris de plantes rares, dix annĂ©es de travaux superbes, dans un gĂÂąchis incroyable d'entrepreneurs et d'architectes ; et elle Ă©tait bien heureuse, soulevĂ©e par le grand bonheur d'avoir dĂ©sormais les mains nettes, sans un centime. MĂÂȘme elle venait d'atteindre l'Ă©tonnant rĂ©sultat de s'endetter, on la poursuivait pour un reliquat de mĂ©moires montant Ă plusieurs centaines de mille francs, sans que son avouĂ© et son notaire pussent rĂ©ussir Ă parfaire la somme, dans l'Ă©miettement final de la colossale fortune, jetĂ©e ainsi aux quatre vents de l'aumĂÂŽne. Et un Ă©criteau, clouĂ© au-dessus de la porte cochĂšre, annonçait la mise en vente de l'hĂÂŽtel, le coup de balai suprĂÂȘme qui emportait jusqu'aux vestiges de l'argent maudit, ramassĂ© dans la boue et dans le sang du brigandage financier. En haut, la vieille Sophie attendait Mme Caroline pour l'introduire. Elle, furieuse, grondait toute la journĂ©e. Ah ! elle l'avait bien dit que madame finirait par mourir sur la paille ! Est-ce que madame n'aurait pas dĂ» se remarier et avoir des enfants avec un autre monsieur, puisqu'elle n'aimait que ça au fond ? Ce n'Ă©tait pas qu'elle eĂ»t Ă se plaindre et Ă s'inquiĂ©ter, elle, car elle avait reçu depuis longtemps une rente de deux mille francs, qu'elle allait manger dans son pays, du cĂÂŽtĂ© d'AngoulĂÂȘme. Mais une colĂšre l'emportait, lorsqu'elle songeait que madame ne s'Ă©tait pas mĂÂȘme rĂ©servĂ© les quelques sous nĂ©cessaires, chaque matin, au pain et au lait dont elle vivait maintenant. Des querelles sans cesse Ă©clataient entre elles. La princesse souriait de son divin sourire d'espĂ©rance, en rĂ©pondant qu'elle n'aurait plus besoin, Ă la fin du mois, que d'un suaire, lorsqu'elle serait entrĂ©e dans le couvent oĂÂč elle avait depuis longtemps marquĂ© sa place, un couvent de carmĂ©lites murĂ© au monde entier. Le repos, l'Ă©ternel repos ! Telle qu'elle la voyait depuis quatre annĂ©es, Mme Caroline retrouva la princesse, vĂÂȘtue de son Ă©ternelle robe noire, les cheveux cachĂ©s sous un fichu de dentelle, jolie encore Ă trente-neuf ans, avec son visage rond aux dents de perle, mais le teint jaune, la chair morte, comme aprĂšs dix ans de cloĂtre. Et l'Ă©troite piĂšce, pareille Ă un bureau d'huissier de province, s'Ă©tait emplie d'un encombrement de paperasses plus inextricables encore, des plans, des mĂ©moires, des dossiers, tout le papier gĂÂąchĂ© d'un gaspillage de trois cents millions. " Madame, dit la princesse de sa voix douce et lente, qu'aucune Ă©motion ne faisait plus trembler, j'ai voulu vous apprendre une nouvelle qui m'a Ă©tĂ© apportĂ©e ce matin... Il s'agit de Victor, ce garçon que vous avez placĂ© Ă l'Oeuvre du Travail... " Le coeur de Mme Caroline se mit Ă battre douloureusement. Ah ! le misĂ©rable enfant, que son pĂšre n'Ă©tait pas mĂÂȘme allĂ© voir, malgrĂ© ses formelles promesses, pendant les quelques mois qu'il avait connu son existence, avant d'ĂÂȘtre emprisonnĂ© Ă la Conciergerie. Que deviendrait-il dĂ©sormais ? Et elle qui se dĂ©fendait de penser Ă Saccard, Ă©tait continuellement ramenĂ©e Ă lui, bouleversĂ©e dans sa maternitĂ© d'adoption. " Il s'est passĂ© hier des choses terribles, continua la princesse, tout un crime que rien ne saurait rĂ©parer. " Et elle conta, de son air glacĂ©, une Ă©pouvantable aventure. Depuis trois jours, Victor s'Ă©tait fait mettre Ă l'infirmerie, en allĂ©guant des douleurs de tĂÂȘte insupportables. Le mĂ©decin avait bien flairĂ© une simulation de paresseux ; mais l'enfant Ă©tait rĂ©ellement ravagĂ© par des nĂ©vralgies frĂ©quentes. Or, cet aprĂšs-midi, Alice de Beauvilliers se trouvait Ă l'Oeuvre sans sa mĂšre, venue pour aider la soeur de service Ă l'inventaire trimestriel de l'armoire aux remĂšdes. Cette armoire Ă©tait dans la piĂšce qui sĂ©parait les deux dortoirs, celui des filles de celui des garçons, oĂÂč il n'y avait en ce moment que Victor couchĂ©, occupant un des lits ; et la soeur, s'Ă©tant absentĂ©e quelques minutes, avait eu la surprise de ne pas retrouver Alice, si bien qu'aprĂšs avoir attendu un instant, elle s'Ă©tait mise Ă la chercher. Son Ă©tonnement avait grandi en constatant que la porte du dortoir des garçons venait d'ĂÂȘtre fermĂ©e en dedans. Que se passait-il donc ? Il lui avait fallu faire le tour par le couloir, et elle restait bĂ©ante, terrifiĂ©e, par le spectacle qui s'offrait Ă elle la jeune fille Ă demi Ă©tranglĂ©e, une serviette nouĂ©e sur son visage pour Ă©touffer ses cris, ses jupes en dĂ©sordre relevĂ©es, Ă©talant sa nuditĂ© pauvre de vierge chlorotique, violentĂ©e, souillĂ©e avec une brutalitĂ© immonde. Par terre, gisait un porte-monnaie vide. Victor avait disparu. Et la scĂšne se reconstruisait Alice, appelĂ©e peut-ĂÂȘtre, entrant pour donner un bol de lait Ă ce garçon de quinze ans, velu comme un homme, puis la brusque faim du monstre pour cette chair frĂÂȘle, ce cou trop long, le saut du mĂÂąle en chemise, la fille Ă©touffĂ©e, jetĂ©e sur le lit ainsi qu'une loque, violĂ©e, volĂ©e, et les vĂÂȘtements passĂ©s Ă la hĂÂąte, et la fuite. Mais que de points obscurs, que de questions stupĂ©fiantes et insolubles ! Comment n'avait-on rien entendu, pas un bruit de lutte, pas une plainte ? Comment de si effroyables choses s'Ă©taient-elles passĂ©es si vite, dix minutes Ă peine ? Surtout, comment Victor avait-il pu se sauver, s'Ă©vaporer pour ainsi dire, sans laisser de trace ? car, aprĂšs les plus minutieuses recherches, on avait acquis la certitude qu'il n'Ă©tait plus dans l'Ă©tablissement. Il devait s'ĂÂȘtre enfui par la salle de bains, donnant sur le corridor, et dont une fenĂÂȘtre ouvrait au-dessus d'une sĂ©rie de toits Ă©tagĂ©s, allant jusqu'au boulevard ; et encore un tel chemin offrait de si grands pĂ©rils, que beaucoup se refusaient Ă croire qu'un ĂÂȘtre humain avait pu le suivre. RamenĂ©e chez sa mĂšre, Alice gardait le lit, meurtrie, Ă©perdue, sanglotante, secouĂ©e d'une intense fiĂšvre. Mme Caroline Ă©couta ce rĂ©cit dans un saisissement tel, qu'il lui semblait que tout le sang de son coeur se glaçait. Un souvenir s'Ă©tait Ă©veillĂ©, l'Ă©pouvantait d'un affreux rapprochement Saccard, autrefois, prenant la misĂ©rable Rosalie sur une marche, lui dĂ©mettant l'Ă©paule, au moment de la conception de cet enfant qui en avait gardĂ© comme une joue Ă©crasĂ©e ; et, aujourd'hui, Victor violentant Ă son tour la premiĂšre fille que le sort lui livrait. Quelle inutile cruautĂ© ! cette jeune fille si douce, la fin dĂ©solĂ©e d'une race, qui Ă©tait sur le point de se donner Ă Dieu, ne pouvant avoir un mari, comme toutes les autres ! Avait-elle donc un sens, cette rencontre imbĂ©cile et abominable ? Pourquoi avoir brisĂ© ceci contre cela ? " Je ne veux vous adresser aucun reproche, madame, conclut la princesse, car il serait injuste de faire remonter jusqu'Ă vous la moindre responsabilitĂ©. Seulement, vous aviez vraiment lĂ un protĂ©gĂ© bien terrible. " Et, comme si une liaison d'idĂ©es avait lieu en elle, inexprimĂ©e, elle ajouta " On ne vit pas impunĂ©ment dans certains milieux... Moi-mĂÂȘme, j'ai eu les plus grands troubles de conscience, je me suis sentie complice lorsque, derniĂšrement, cette banque a croulĂ©, en amoncelant tant de ruines et tant d'iniquitĂ©s. Oui, je n'aurais pas dĂ» consentir Ă ce que ma maison devint le berceau d'une abomination pareille... Enfin, le mal est fait, la maison sera purifiĂ©e, et moi, oh ! moi, je ne suis plus, Dieu me pardonnera. " Son pĂÂąle sourire d'espoir enfin rĂ©alisĂ© avait reparu, elle disait d'un geste sa sortie du monde, sa disparition Ă jamais de bonne dĂ©esse invisible. Mme Caroline lui avait saisi les mains, les serrait, les baisait, tellement bouleversĂ©e de remords et de pitiĂ©, qu'elle bĂ©gayait des paroles sans suite. " Vous avez tort de m'excuser, je suis coupable... Cette malheureuse enfant, je veux la voir, je cours tout de suite la voir... " Et elle s'en alla, laissant la princesse et sa vieille bonne Sophie commencer leurs paquets, pour le grand dĂ©part qui devait les sĂ©parer aprĂšs quarante ans de vie commune. L'avant-veille, le samedi, la comtesse de Beauvilliers s'Ă©tait rĂ©signĂ©e Ă abandonner son hĂÂŽtel Ă ses crĂ©anciers. Depuis six mois qu'elle ne payait plus les intĂ©rĂÂȘts des hypothĂšques, la situation Ă©tait devenue intolĂ©rable, au milieu des frais de toutes sortes, dans la continuelle menace d'une vente judiciaire ; et son avouĂ© lui avait donnĂ© le conseil de lĂÂącher tout, de se retirer au fond d'un petit logement, oĂÂč elle vivrait sans dĂ©pense, tandis qu'il tĂÂącherait de liquider les dettes. Elle n'aurait pas cĂ©dĂ©, elle se serait obstinĂ©e peut-ĂÂȘtre Ă garder son rang, son mensonge de fortune intacte, jusqu'Ă l'anĂ©antissement de sa race, sous l'Ă©croulement des plafonds, sans un nouveau malheur qui l'avait terrassĂ©e. Son fils Ferdinand, le dernier des Beauvilliers, l'inutile jeune homme, Ă©cartĂ© de tout emploi, devenu zouave pontifical pour Ă©chapper Ă sa nullitĂ© et Ă son oisivetĂ©, Ă©tait mort Ă Rome, sans gloire, si pauvre de sang, si Ă©prouvĂ© par le soleil trop lourd, qu'il n'avait pu se battre Ă Mentana, dĂ©jĂ fiĂ©vreux, la poitrine prise. Alors, en elle, il y avait eu un brusque vide, un effondrement de toutes ses idĂ©es, de toutes ses volontĂ©s, de l'Ă©chafaudage laborieux qui, depuis tant d'annĂ©es, soutenait si fiĂšrement l'honneur du nom. Vingt-quatre heures suffirent, la maison s'Ă©tait lĂ©zardĂ©e, la misĂšre apparut, navrante, parmi les dĂ©combres. On vendit le vieux cheval, la cuisiniĂšre seule resta, fit son marchĂ© en tablier sale, deux sous de beurre et un litre de haricots secs, la comtesse fut aperçue sur le trottoir en robe crottĂ©e, avant aux pieds des bottines qui prenaient l'eau. C'Ă©tait l'indigence du soir au lendemain, le dĂ©sastre emportait jusqu'Ă l'orgueil de cette croyante des jours d'autrefois, en lutte contre son siĂšcle. Et elle s'Ă©tait rĂ©fugiĂ©e sa fille, rue de la Tour- des-Dames, chez une ancienne marchande Ă la toilette, devenue dĂ©vote, qui sous-louait des chambres meublĂ©es Ă des prĂÂȘtres. LĂ , elles habitaient toutes deux dans une grande chambre nue, d'une misĂšre digne et triste, dont une alcĂÂŽve fermĂ©e occupait le fond. Deux petits lits emplissaient l'alcĂÂŽve, et lorsque les chĂÂąssis, tendus du mĂÂȘme papier que les murs, Ă©taient clos, la chambre se transformait en salon. Cette disposition heureuse les avait un peu consolĂ©es. Mais il n'y avait pas deux heures que la comtesse de Beauvilliers Ă©tait installĂ©e, le samedi, lorsqu'une visite inattendue, extraordinaire, l'avait rejetĂ©e dans une nouvelle angoisse. Alice, heureusement, venait de descendre, pour une course. C'Ă©tait Busch, avec sa face plate et sale, sa redingote graisseuse, sa cravate blanche roulĂ©e en corde, qui, averti sans doute par son flair de la minute favorable, se dĂ©cidait enfin Ă rĂ©aliser sa vieille affaire de la recon- naissance de dix mille francs, signĂ©e par le comte Ă la fille LĂ©onie Cron. D'un coup d'oeil sur le logis, il avait jugĂ© la situation de la veuve aurait-il tardĂ© trop longtemps ? Et, en homme capable, Ă l'occasion, d'urbanitĂ© et de patience, il avait longuement expliquĂ© le cas Ă la comtesse effarĂ©e. C'Ă©tait bien, n'est-ce pas ? l'Ă©criture de son mari, ce qui Ă©tablissait nettement l'histoire une passion du comte pour la jeune personne, une façon de l'avoir d'abord, puis de se dĂ©barrasser d'elle. MĂÂȘme il ne lui avait pas cachĂ© que, lĂ©galement, et aprĂšs quinze annĂ©es bientĂÂŽt, il ne la croyait pas forcĂ©e de payer. Seu- lement, il n'Ă©tait, lui, que le reprĂ©sentant de sa cliente, il la savait rĂ©solue Ă saisir les tribunaux, Ă soulever le plus effroyable des scandales, si l'on ne transigeait pas. La comtesse, toute blanche, frappĂ©e au coeur par ce passĂ© affreux qui ressuscitait, s'Ă©tant Ă©tonnĂ©e qu'on eĂ»t attendu si longtemps, avant de s'adresser Ă elle, il avait inventĂ© une histoire, la reconnaissance perdue, retrouvĂ©e au fond d'une malle ; et, comme elle refusait dĂ©finitivement d'examiner l'affaire, il s'en Ă©tait allĂ©, toujours trĂšs poli, en disant qu'il reviendrait avec sa cliente, pas le lendemain, parce que celle-ci ne pouvait guĂšre quitter le dimanche la maison oĂÂč elle travaillait, mais certainement le lundi ou le mardi. Le lundi, au milieu de l'Ă©pouvantable aventure arrivĂ©e Ă sa fille, depuis qu'on la lui avait ramenĂ©e dĂ©lirante, et qu'elle la veillait, les yeux aveuglĂ©s de larmes, la comtesse de Beauvilliers ne songeait plus Ă cet homme mal mis et Ă sa cruelle histoire. Enfin, Alice venait de s'endormir, la mĂšre s'Ă©tait assise, Ă©puisĂ©e, Ă©crasĂ©e par cet acharnement du sort, quand Busch de nouveau se prĂ©senta, accompagnĂ© cette fois de LĂ©onide. " Madame, voici ma cliente, et il va falloir en finir. " Devant l'apparition de la fille, la comtesse avait frĂ©mi. Elle la regardait, habillĂ©e de couleurs crues, avec ses durs cheveux noirs tombant sur les sourcils, sa face large et molle, la bassesse immonde de toute sa personne, usĂ©e par dix annĂ©es de prostitution. Et elle Ă©tait torturĂ©e, elle saignait dans son orgueil de femme, aprĂšs tant d'annĂ©es de pardon et d'oubli. C'Ă©tait, mon Dieu ! pour des crĂ©atures destinĂ©es Ă de telles chutes, que le comte la trahissait ! " Il faut en finir, insista Busch, parce que ma cliente est trĂšs tenue, rue Feydeau. - Rue Feydeau, rĂ©pĂ©ta la comtesse sans comprendre. - Oui, elle est lĂ ... Enfin, elle est lĂ en maison. " Eperdue, les mains tremblantes, la comtesse alla fermĂ© complĂštement l'alcĂÂŽve, dont un seul des vantaux Ă©tait poussĂ©. Alice, dans sa fiĂšvre, venait de s'agiter sous la couverture. Pourvu qu'elle se rendormĂt, qu'elle ne vĂt pas, qu'elle n'entendĂt pas ! Busch, dĂ©jĂ , reprenait " VoilĂ ! madame, comprenez bien... Mademoiselle m'a chargĂ© de son affaire, et je la reprĂ©sente, simplement. C'est pourquoi j'ai voulu qu'elle vĂnt en personne expliquer sa rĂ©clamation... Allons. LĂ©onide, expliquez-vous. " InquiĂšte, mal Ă l'aise dans ce rĂÂŽle qu'il lui faisait jouer, celle-ci levait sur lui ses gros yeux troubles de chien battu. Mais l'espoir des mille francs qu'il lui avait promis, la dĂ©cida. Et, de sa voix rauque, Ă©raillĂ©e par l'alcool, tandis que lui, de nouveau, dĂ©pliait, Ă©talait la reconnaissance du comte " C'est bien ça, c'est le papier que M. Charles m'a signe.. J'Ă©tais la fille du charretier, Ă Cron le cocu, comme on disait, vous savez bien, madame !... Et alors, M. Charles Ă©tait toujours pendu Ă mes jupes, Ă me demander des saletĂ©s. Moi, ça m'ennuyait. Quand on est jeune, n'est-ce pas ? on ne sait rien, on n'est pas gentille pour les vieux... Et alors, M. Charles m'a signĂ© le papier, un soir qu'il m'avait emmenĂ©e dans l'Ă©curie... " Debout, crucifiĂ©e, la comtesse la laissait dire, lorsqu'il lui sembla entendre une plainte dans l'alcĂÂŽve. Elle eut un geste d'angoisse. " Taisez-vous ! " Mais LĂ©onide Ă©tait lancĂ©e, voulait finir. " Ce n'est guĂšre honnĂÂȘte tout de mĂÂȘme, lorsqu'on ne veut pas payer, d'aller dĂ©baucher une petite fille sage... Oui, madame, votre monsieur Charles Ă©tait un voleur. C'est ce qu'en pensent toutes les femmes Ă qui je raconte ça... Et je vous rĂ©ponds que ça valait bien l'argent. - Taisez-vous ! taisez-vous ! " cria furieusement la comtesse, les deux bras en l'air, comme pour l'Ă©craser, si elle continuait. LĂ©onide eut peur, leva le coude, afin de se protĂ©ger la figure, dans le mouvement instinctif des filles habituĂ©es aux gifles. Et un effrayant silence rĂ©gna, durant lequel il sembla qu'une nouvelle plainte, un petit bruit Ă©touffĂ© de larmes venait de l'alcĂÂŽve. " Enfin, que voulez-vous ? " reprit la comtesse, tremblante, baissant la voix. Ici, Busch intervint. " Mais, madame, cette fille veut qu'on la paie. Et elle a raison, la malheureuse, de dire que M. le comte de Beauvilliers a fort mal agi avec elle. C'est de l'escroquerie, simplement. - Jamais je ne paierai une pareille dette. - Alors, nous allons prendre une voiture, en sortant d'ici, et nous rendre au Palais, oĂÂč je dĂ©poserai la plainte que j'ai rĂ©digĂ©e d'avance, et que voici... Tous les faits que mademoiselle vient de vous dire y sont relatĂ©s. - Monsieur, c'est un abominable chantage, vous ne ferez pas cela. - Je vous demande pardon, madame, je vais le faire Ă l'instant. Les affaires sont les affaires. " Une fatigue immense, un suprĂÂȘme dĂ©couragement envahit la comtesse. Le dernier orgueil qui la tenait debout, venait de se briser ; et toute sa violence, toute sa force tomba. Elle joignit les mains, elle bĂ©gayait. " Mais vous voyez oĂÂč nous en sommes. Regardez donc cette chambre... Nous n'avons plus rien, demain peut-ĂÂȘtre il ne nous restera pas de quoi manger... OĂÂč voulez-vous que je prenne de l'argent, dix mille francs, mon Dieu ! " Busch eut un sourire d'homme accoutumĂ© Ă pĂ©cher dans ces ruines. " Oh ! les dames comme vous ont toujours des ressources. En cherchant bien, on trouve. " Depuis un moment, il guettait sur la cheminĂ©e un vieux coffret Ă bijoux, que la comtesse avait laissĂ© lĂ , le matin, en achevant de vider une malle ; et il flairait des pierreries, avec la certitude de l'instinct. Son regard brilla d'une telle flamme, qu'elle en suivit la direction et comprit. " Non, non ! cria-t-elle, les bijoux, jamais ! " Et elle saisit le coffret, comme pour le dĂ©fendre. Ces derniers bijoux depuis si longtemps dans la famille, ces quelques bijoux qu'elle avait gardĂ©s au travers des plus grandes gĂÂȘnes, comme l'unique dot de sa fille, et qui restaient Ă cette heure sa suprĂÂȘme ressource ! " Jamais, j'aimerais mieux donner de ma chair ! " Mais, Ă cette minute, il y eut une diversion, Mme Caroline frappa et entra. Elle arrivait bouleversĂ©e, elle demeura saisie de la scĂšne au milieu de laquelle elle tombait. D'un mot, elle avait priĂ© la comtesse de ne point se dĂ©ranger ; et elle serait partie, sans un geste suppliant de celle-ci, qu'elle crut comprendre. Immobile au fond de la piĂšce, elle s'effaça. Busch venait de remettre son chapeau, tandis que, de plus en plus mal Ă l'aise, LĂ©onide gagnait la porte. " Alors, madame, il ne nous reste donc qu'Ă nous retirer... " Pourtant, il ne se retirait pas. Il reprit toute l'histoire, en termes plus honteux, comme s'il avait voulu humilier encore la comtesse devant la nouvelle venue, cette dame qu'il affectait de ne pas reconnaĂtre, selon son habitude, quand il Ă©tait en affaire. " Adieu, madame, nous allons de ce pas au parquet. Le rĂ©cit dĂ©taillĂ© sera dans les journaux, avant trois jours. C'est vous qui l'aurez voulu. " Dans les journaux ! Cet horrible scandale sur les rai mĂÂȘmes de sa maison ! Ce n'Ă©tait donc pas assez de voir tomber en poudre l'antique fortune, il fallait que tout croulĂÂąt dans la boue ! Ah ! que l'honneur du nom au moins fĂ»t sauvĂ© ! Et, d'un mouvement machinal, elle ouvrit le coffret. Les boucles d'oreilles, le bracelet, trois bagues apparurent, des brillants et des rubis, avec leurs montures anciennes. Busch, vivement, s'Ă©tait approchĂ©. Ses yeux s'attendrissaient, d'une douceur de caresse. " Oh ! il n'y en a pas pour dix mille francs... Permettez que je voie. " DĂ©jĂ , un Ă un, il prenait les bijoux, les retournait, les Ă©levait en l'air, de ses gros doigts tremblants d'amoureux, avec sa passion sensuelle des pierreries. La puretĂ© des rubis surtout semblait le jeter dans une extase. Et ces brillants anciens, si la taille en est parfois maladroite, quelle eau merveilleuse ! " Six mille francs ! dit-il d'une voix de commissaire priseur, cachant son Ă©motion sous ce chiffre d'estimation totale. Je ne compte que les pierres, les montures sont bonnes Ă fondre. Enfin, nous nous contenterons de six mille francs. " Mais le sacrifice Ă©tait trop rude pour la comtesse. Elle eut un rĂ©veil de violence, elle lui reprit les bijoux, les serra dans ses mains convulsĂ©es. Non, non ! c'Ă©tait trop, d'exiger d'elle qu'elle jetĂÂąt encore au gouffre ces quelques pierres que sa mĂšre avait portĂ©es, que sa fille devait porter le jour de son mariage. Et des larmes brĂ»lantes jaillirent de ses yeux, ruisselĂšrent sur ses joues, dans une telle douleur tragique, que LĂ©onide, le coeur touchĂ©, Ă©perdue d'apitoiement, se mit Ă tirer Busch par sa redingote pour le forcer de partir. Elle voulait s'en aller, ça la bousculait Ă la fin, de faire tant de peine Ă cette pauvre vieille dame, qui avait l'air si bon. Busch, trĂšs froid, suivait la scĂšne, certain maintenant de tout emporter, sachant par sa longue expĂ©rience que les crises de larmes, chez les femmes, annoncent la dĂ©bĂÂącle de la volontĂ© ; et il attendait. Peut-ĂÂȘtre l'affreuse scĂšne se serait-elle prolongĂ©e, si, Ă ce moment, une voix lointaine, Ă©touffĂ©e, n'avait Ă©clatĂ© en sanglots. C'Ă©tait Alice qui criait du fond de l'alcĂÂŽve " Oh ! maman, ils me tuent !... Donne-leur tout, qu'ils emportent tout !... Oh ! maman, qu'ils s'en aillent ! ils me tuent, ils me tuent ! " Alors, la comtesse eut un geste d'abandon dĂ©sespĂ©rĂ©, un geste dans lequel elle aurait donnĂ© sa vie. Sa fille avait entendu. Sa fille se mourait de honte. Et elle jeta les bijoux Ă Busch, et elle lui laissa Ă peine le temps de poser sur la table, en Ă©change, la reconnaissance du comte, le poussant dehors, derriĂšre LĂ©onide dĂ©jĂ disparue. Puis, elle rouvrit l'alcĂÂŽve, elle alla s'abattre sur l'oreiller d'Alice, toutes les deux achevĂ©es, anĂ©anties, mĂÂȘlant leurs larmes. Mme Caroline, rĂ©voltĂ©e, avait Ă©tĂ© un moment sur le point d'intervenir. Laisserait-elle donc le misĂ©rable dĂ©pouiller ainsi ces deux pauvres femmes ? Mais elle venait d'entendre l'ignoble histoire, et que faire pour Ă©viter le scandale ? car elle le savait homme Ă aller jusqu'au bout ses menaces. Elle-mĂÂȘme restait honteuse devant lui, dans la complicitĂ© des secrets qu'il y avait entre eux. Ah ! que de souffrances, que d'ordures ! Une gĂÂȘne l'envahissait, qu'Ă©tait-elle accourue faire lĂ , puisqu'elle ne trouvait ni une parole Ă dire ni un secours Ă donner ? Toutes les phrases qui lui montaient aux lĂšvres, les questions, les simples allusions, au sujet du drame de la veille, lui semblaient blessantes, salissantes, impossibles Ă risquer devant la victime, Ă©garĂ©e encore, agonisant de sa souillure. Et quel secours aurait-elle laissĂ©, qui n'aurait paru une aumĂÂŽne dĂ©risoire, elle ruinĂ©e Ă©galement, embarrassĂ©e dĂ©jĂ pour attendre l'issue du procĂšs ? Enfin, elle s'avança, les yeux pleins de larmes, les bras ouverts, dans une infinie pitiĂ©, un attendrissement Ă©perdu dont elle tremblait toute. Au fond de la banale alcĂÂŽve d'hĂÂŽtel meublĂ©, ces deux misĂ©rables crĂ©atures effondrĂ©es, finies, c'Ă©tait tout ce qui restait de l'antique race des Beauvilliers, autrefois si puissante, souveraine. Elle avait eu des terres aussi grandes qu'un royaume, vingt lieues de la Loire lui avaient appartenu, des chĂÂąteaux, des prairies, des labours, des forets. Puis cette immense fortune domaniale peu Ă peu s'en Ă©tait allĂ©e avec les siĂšcles en marche, et la comtesse venait d'engloutir la derniĂšre Ă©pave dans une de ces tempĂÂȘtes de la spĂ©culation moderne, oĂÂč elle n'entendait rien d'abord ses vingt mille francs d'Ă©conomies, Ă©pargnĂ©es sou par sou pour sa fille, puis les soixante mille francs empruntĂ©s sur les Aublets, puis cette ferme tout entiĂšre. L'hĂÂŽtel de la rue Saint-Lazare ne paierait pas les crĂ©anciers. Son fils Ă©tait mort, loin d'elle et sans gloire. On lui avait ramenĂ© sa fille blessĂ©e, salie par un bandit, comme on remonte, saignant et couvert de boue, un enfant qu'une voiture vient d'Ă©craser. Et la comtesse, si noble naguĂšre, mince, haute, toute blanche, avec son grand air surannĂ©, n'Ă©tait plus qu'une pauvre vieille femme dĂ©truite, cassĂ©e par cette dĂ©vastation ; tandis que, sans beautĂ©, sans jeunesse, montrant la disgrĂÂące de son cou trop long, dans le dĂ©sordre de sa chemise, Alice avait des yeux de folle, oĂÂč se lisait la mortelle douleur de son dernier orgueil, sa virginitĂ© violentĂ©e. Et toutes deux, elles sanglotaient toujours, elles sanglotaient sans fin. Alors, Mme Caroline ne prononça pas un mot, les prit simplement toutes deux, les serra Ă©troitement sur son coeur. Elle ne trouvait rien autre chose, elle pleurait avec elles. Et les deux malheureuses comprirent, leurs larmes redoublĂšrent, plus douces. S'il n'y avait pas de consolation possible, ne faudrait-il pas vivre encore, vivre quand mĂÂȘme ? Lorsque Mme Caroline fut de nouveau dans la rue, elle aperçut Busch en grande confĂ©rence avec la MĂ©chain. Il avait arrĂÂȘtĂ© une voiture, il y poussa LĂ©onide, et disparut. Mais, comme Mme Caroline se hĂÂątait, la MĂ©chain marcha droit Ă elle. Sans doute, elle la guettait, car tout de suite elle lui parla de Victor, en personne renseignĂ©e dĂ©jĂ sur ce qui s'Ă©tait passĂ© la veille, Ă l'Oeuvre du Travail. Depuis que Saccard avait refusĂ© de payer les quatre mille francs, elle ne dĂ©colorait pas, elle s'ingĂ©niait Ă chercher de quelle façon elle pourrait encore exploiter l'affaire ; et elle venait ainsi d'apprendre l'histoire, au boulevard Bineau, oĂÂč elle se rendait frĂ©quemment, dans l'espoir de quelque inci- dent profitable. Son plan devait ĂÂȘtre fait, elle dĂ©clara Ă Mme Caroline qu'elle allait immĂ©diatement se mettre en quĂÂȘte de Victor. Ce malheureux enfant, c'Ă©tait trop terrible de l'abandonner de la sorte Ă ses mauvais instincts, il fallait le reprendre, si l'on ne voulait pas le voir un beau matin en cour d'assises. Et, tandis qu'elle parlait, ses petits yeux, perdus dans la graisse de son visage, fouillaient la bonne dame, heureuse de la sentir bouleversĂ©e, se disant que le jour oĂÂč elle aurait retrouvĂ© le gamin, elle continuerait Ă tirer d'elle des piĂšces de cent sous. " Alors, madame, c'est entendu, je vais m'en occuper... Dans le cas oĂÂč vous dĂ©sireriez avoir des nouvelles, ne prenez pas la peine de courir lĂ -bas, rue Marcadet, montez simplement chez M. Busch, rue Feydeau, oĂÂč vous ĂÂȘtes certaine de me rencontrer tous les jours, vers quatre heures. " Mme Caroline rentra rue Saint-Lazare, tourmentĂ©e d'une anxiĂ©tĂ© nouvelle. C'Ă©tait vrai, ce monstre, lĂÂąchĂ© par le monde, errant et traquĂ©, quelle hĂ©rĂ©ditĂ© du mal allait-il assouvir au travers des foules, comme un loup dĂ©vorateur ? Elle dĂ©jeuna rapidement, elle prit une voiture, ayant le temps de passer boulevard Bineau, avant d'aller Ă la Conciergerie, brĂ»lĂ©e du dĂ©sir d'avoir des renseignements tout de suite. Puis, en chemin, dans le trouble de sa fiĂšvre, une idĂ©e s'empara d'elle, la domina se rendre d'abord chez Maxime, l'emmener Ă l'Oeuvre, le forcer Ă s'occuper de Victor, dont il Ă©tait le frĂšre aprĂšs tout. Lui seul restait riche, lui seul pouvait intervenir, s'occuper de l'affaire d'une façon trĂšs efficace. Mais, avenue de l'ImpĂ©ratrice, dĂšs le vestibule du petit hĂÂŽtel luxueux, Mme Caroline se sentit glacĂ©e. Des tapissiers enlevaient les tentures et les tapis, des domestiques mettaient des housses aux siĂšges et aux lustres, tandis que, de toutes les jolies choses remuĂ©es, sur les meubles, sur les Ă©tagĂšres, s'exhalait un parfum mourant, ainsi que d'un bouquet jetĂ© au lendemain d'un bal. Et, au fond de la chambre Ă coucher, elle trouva Maxime, entre deux Ă©normes malles que le valet de chambre achevait d'emplir de tout un trousseau merveilleux, riche et dĂ©licat comme pour une mariĂ©e. En l'apercevant, ce fut lui qui parla le premier, trĂšs froid, la voix sĂšche. " Ah ! c'est vous ! vous tombez bien, ça m'Ă©vitera de vous Ă©crire... J'en ai assez et je pars. - Comment, vous partez ? - Oui, je pars ce soir, je vais m'installer Ă Naples, oĂÂč je passerai l'hiver. " Puis, lorsqu'il eut, d'un geste, renvoyĂ© le valet de chambre " Si vous croyez que ça m'amuse d'avoir, depuis six mois, un pĂšre Ă la Conciergerie ! Je ne vais certainement pas rester pour le voir en correctionnelle. Moi qui dĂ©teste les voyages ! Enfin, il fait beau lĂ - bas, j'emporte Ă peu prĂšs l'indispensable, je ne m'ennuierai peut-ĂÂȘtre pas trop. " Elle le regardait, si correct, si joli ; elle regardait les malles dĂ©bordantes, oĂÂč pas un chiffon d'Ă©pouse ni de maĂtresse ne traĂnait, oĂÂč il n'y avait que le culte de lui-mĂÂȘme ; et elle osa pourtant se risquer. " Moi qui venais encore vous demander un service... " Puis, elle conta l'histoire, Victor bandit, violant et volant, Victor en fuite, capable de tous les crimes. " Nous ne pouvons l'abandonner. Accompagnez-moi, unissons nos efforts... Il ne la laissa pas finir, livide, pris d'un petit tremblent de peur, comme s'il avait senti quelque main meurtriĂšre et sale se poser sur son Ă©paule. " Ah ! bien, il ne manquait plus que ça !... Un pĂšre voleur, un frĂšre assassin... J'ai trop tardĂ©, je voulais partir la semaine derniĂšre. Mais c'est abominable, abominable, de mettre un homme tel que moi dans une situation pareille ! " Alors, comme elle insistait, il devint insolent. " Laissez-moi tranquille, vous ! Puisque ça vous amuse, cette vie de chagrins, restez-y. Je vous avais prĂ©venue, c'est bien fait, si vous pleurez... Mais moi voyez-vous, plutĂÂŽt que de donner un de mes cheveux, je balaierais au ruisseau tout ce vilain monde. " Elle s'Ă©tait levĂ©e. " Adieu donc ! - Adieu ! " Et, en se retirant, elle le vit qui rappelait le valet de chambre et qui assistait au soigneux emballage de son nĂ©cessaire de toilette, un nĂ©cessaire dont toutes les piĂšces en vermeil Ă©taient du plus galant travail, la cuvette surtout, gravĂ©e d'une ronde d'Amours. Pendant que celui-ci s'en allait vivre d'oubli et de paresse, sous le clair soleil de Naples, elle eut brusquement la vision de l'autre, rĂÂŽdant un soir de noir dĂ©gel, affamĂ©, un couteau au poing, dans quelque ruelle Ă©cartĂ©e de la Villette ou de Charonne. N'Ă©tait-ce pas la rĂ©ponse Ă cette question de savoir si l'argent n'est point l'Ă©ducation, la santĂ©, l'intelligence ? Puisque la mĂÂȘme boue humaine reste dessous, toute la civilisation se rĂ©duit-elle Ă cette supĂ©rioritĂ© de sentir bon et de bien vivre ? Lorsqu'elle arriva Ă l'Oeuvre du Travail, Mme Caroline Ă©prouva une singuliĂšre sensation de rĂ©volte contre le luxe Ă©norme de l'Ă©tablissement. A quoi bon ces deux ailes majestueuses, le logis des garçons et le logis des filles, reliĂ©s par le pavillon monumental de l'administration ? Ă quoi bon les prĂ©aux grands comme des parcs, les faĂÂŻences des cuisines, les marbres des rĂ©fectoires, les escaliers, les couloirs, vastes Ă desservir un palais ? Ă quoi bon toute cette charitĂ© grandiose, si l'on ne pouvait, dans ce milieu large et salubre, redresser un ĂÂȘtre mal venu, faire d'un enfant perverti un homme bien portant, ayant la droite raison de la santĂ© ? Tout de suite, elle se rendit chez le directeur, le pressa de questions, voulut connaĂtre les moindres dĂ©tails. Mais le drame restait obscur, il ne put que lui rĂ©pĂ©ter ce qu'elle savait dĂ©jĂ par la princesse. Depuis la veille, les recherches avaient continuĂ©, dans la maison et aux alentours, sans amener le moindre rĂ©sultat. Victor, dĂ©jĂ , Ă©tait loin, galopait lĂ -bas, par la ville, au fond de l'effrayant inconnu. Il ne devait pas avoir d'argent, car le porte-monnaie d'Alice, qu'il avait vidĂ©, ne contenait que trois francs quatre sous. Le directeur avait d'ailleurs Ă©vitĂ© de mettre la police dans l'affaire, pour Ă©pargner Ă ces pauvres dames de Beauvilliers le scandale public ; et Mme Caroline l'en remercia, promit qu'elle-mĂÂȘme ne ferait aucune dĂ©marche Ă la prĂ©fecture, malgrĂ© son ardent dĂ©sir de savoir. Puis, dĂ©sespĂ©rĂ©e de s'en aller aussi ignorante qu'elle Ă©tait venue, elle eut l'idĂ©e de monter Ă l'infirmerie, pour interroger les soeurs. Mais elle n'en tira non plus aucun renseignement prĂ©cis, et elle ne goĂ»ta en haut, dans la petite piĂšce calme qui sĂ©parait le dortoir des filles de celui des garçons, que quelques minutes de profond apaisement. Un joyeux vacarme montait, c'Ă©tait l'heure de la rĂ©crĂ©ation, elle se sentit injuste pour les guĂ©risons heureuses, obtenues par le grand air, le bien-ĂÂȘtre et le travail. Il y avait certainement lĂ des hommes sains et forts qui poussaient. Un bandit sur quatre ou cinq honnĂÂȘtetĂ©s moyennes, que cela serait beau encore, dans les hasards qui aggravent ou qui amoindrissent les tares hĂ©rĂ©ditaires ! Et Mme Caroline, laissĂ©e seule un instant par la soeur de service, s'approchait de la fenĂÂȘtre, pour voir les enfants jouer, en bas, lorsque des voix cristallines de petites filles, dans l'infirmerie voisine, l'attirĂšrent. La porte se trouvait Ă demi ouverte, elle put assister Ă la scĂšne sans ĂÂȘtre remarquĂ©e. C'Ă©tait une piĂšce trĂšs gaie, cette infirmerie blanche, aux murs blancs, avec les quatre lits drapĂ©s de rideaux blancs. Une large nappe de soleil dorait cette blancheur, toute une floraison de lis au milieu de l'air tiĂšde. Dans le premier lit, Ă gauche, elle reconnut trĂšs bien Madeleine, la fillette qui Ă©tait dĂ©jĂ lĂ , convalescente, mangeant des tartines de confiture, le jour oĂÂč elle avait amenĂ© Victor. Toujours elle retombait malade, dĂ©vastĂ©e par l'alcoolisme de sa race, si pauvre de sang, qu'avec ses grands yeux de femme faite, elle Ă©tait mince et blanche comme une sainte de vitrail. Elle avait treize ans, seule au monde dĂ©sormais, sa mĂšre Ă©tant morte, un soir de soĂ»lerie, d'un coup de pied dans le ventre, qu'un homme lui avait allongĂ© pour ne pas lui donner les six sous dont ils Ă©taient convenus. Et c'Ă©tait elle, dans sa longue chemise blanche, agenouillĂ©e au milieu de son lit, avec ses cheveux blonds dĂ©nouĂ©s sur les Ă©paules, qui enseignait une priĂšre Ă trois petites filles occupant les trois autres lits. " Joignez vos mains comme ça, ouvrez votre coeur tout grand... " Les trois petites filles Ă©taient, elles aussi, agenouillĂ©es au milieu de leurs draps. Deux avaient de huit Ă dix ans, la troisiĂšme n'en avait pas cinq. Dans les longues chemises blanches, avec leurs frĂÂȘles mains jointes, leurs visages sĂ©rieux et extasiĂ©s, on aurait dit de petits anges. " Et vous allez rĂ©pĂ©ter aprĂšs moi ce que je vais dire. Ecoutez bien... Mon Dieu ! faites que M. Saccard soit rĂ©compensĂ© de sa bontĂ©, qu'il ait de longs jours et qu'il soit heureux. " Alors, avec des voix de chĂ©rubin, un zĂ©zaiement d'une maladresse adorable d'enfance, les quatre fillettes rĂ©pĂ©tĂšrent ensemble, dans un Ă©lan de foi oĂÂč tout leur petit ĂÂȘtre pur se donnait " Mon Dieu ! faites que M. Saccard soit rĂ©compensĂ© de sa bontĂ©, qu'il ait de longs jours et qu'il soit heureux. " D'un mouvement emportĂ©, Mme Caroline allait entrer dans la piĂšce faire taire ces enfants, leur dĂ©fendre ce qu'elle regardait comme un jeu blasphĂ©matoire et cruel. Non, non ! Saccard n'avait pas le droit d'ĂÂȘtre aimĂ©, c'Ă©tait salir l'enfance que de la laisser prier pour son bonheur ! Puis, un grand frisson l'arrĂÂȘta, des larmes lui montaient aux yeux. Pourquoi donc aurait-elle fait Ă©pouser sa querelle, la colĂšre de son expĂ©rience, Ă ces ĂÂȘtres innocents, ne sachant rien encore de la vie ? Est-ce que Saccard n'avait pas Ă©tĂ© bon pour eux, lui qui Ă©tait un peu le crĂ©ateur de cette maison, qui leur envoyait tous les mois des jouets ? Un trouble profond l'avait saisie, elle retrouvait cette preuve qu'il n'y a point d'homme condamnable, qui, au milieu de tout le mal qu'il a pu faire, n'ait encore fait beaucoup de bien. Et elle partit, pendant que les fillettes reprenaient leur priĂšre, elle emporta dans son oreille ces voix angĂ©liques appelant les bĂ©nĂ©dictions du Ciel sur l'homme d'inconscience et de catastrophe, dont les mains folles venaient de ruiner un monde. Comme elle quittait enfin son fiacre, boulevard du Palais, devant la Conciergerie, elle s'aperçut que, dans son Ă©motion, elle avait oubliĂ©, chez elle, la botte d'oeillets qu'elle avait prĂ©parĂ©e le matin pour son frĂšre. Une marchande Ă©tait lĂ , vendant des petits bouquets de roses de deux sous, et elle en prit un, et elle fit sourire Hamelin, qui adorait les fleurs, lorsqu'elle lui conta son Ă©tourderie. Ce jour-lĂ pourtant, elle le trouva triste. D'abord, pendant les premiĂšres semaines de son emprisonnement, il n'avait pu croire Ă des charges sĂ©rieuses contre lui. Sa dĂ©fense lui semblait si simple on ne l'avait nommĂ© prĂ©sident que contre son grĂ©, il Ă©tait restĂ© en dehors de toutes les opĂ©rations financiĂšres, presque toujours absent de Paris, ne pouvant exercer aucun contrĂÂŽle. Mais les conversations avec son avocat, les dĂ©marches que faisait Mme Caroline et dont elle lui disait l'inutile fatigue, lui avaient ensuite fait entrevoir les effrayantes responsabilitĂ©s qui l'accablaient. Il allait ĂÂȘtre solidaire des moindres illĂ©galitĂ©s commises, jamais on n'admettrait qu'il en ignorĂÂąt une seule, Saccard l'entraĂnait dans une dĂ©shonorante complicitĂ©. Et ce fut alors qu'il dut Ă sa foi un peu simple de catholique pratiquant une rĂ©signation, une tranquillitĂ© d'ĂÂąme, qui Ă©tonnaient sa soeur. Quand elle arrivait du dehors, de ses courses anxieuses, de cette humanitĂ© en libertĂ© si trouble et si dure, elle restait saisie de le voir paisible, souriant, dans sa cellule nue, oĂÂč il avait, en grand enfant pieux, douĂ© quatre images de saintetĂ©, coloriĂ©es violemment, autour d'un petit crucifix de bois noir. DĂšs qu'on se met dans la main de Dieu, il n'y a plus de rĂ©volte, toute souffrance immĂ©ritĂ©e est un gage de salut. Son unique tristesse, parfois, venait de l'arrĂÂȘt dĂ©sastreux de ses grands travaux. Qui reprendrait son oeuvre ? qui continuerait la rĂ©surrection de l'Orient, si heureusement commencĂ©e par la Compagnie gĂ©nĂ©rale des Paquebots rĂ©unis et par la SociĂ©tĂ© des mines d'argent du Carmel ? qui construirait le rĂ©seau de lignes ferrĂ©es, de Brousse Ă Beyrouth et Ă Damas, de Smyrne Ă TrĂ©bizonde, toute cette circulation de sang jeune dans les veines du vieux monde ? LĂ d'ailleurs encore, il croyait, il disait que l'oeuvre entreprise ne pouvait mourir, il n'Ă©prouvait que la douleur de n'ĂÂȘtre plus celui que le Ciel avait Ă©lu pour l'exĂ©cuter. Surtout, sa voix se brisait, lorsqu'il cherchait en punition de quelle faute Dieu ne lui avait pas permis de rĂ©aliser la grande banque catho- lique destinĂ©e Ă transformer la sociĂ©tĂ© moderne, ce TrĂ©sor du Saint- SĂ©pulcre qui rendrait un royaume au pape et qui finirait par faire une seule nation de tous les peuples, en enlevant aux juifs la puissance souveraine de l'argent. Il la prĂ©disait aussi, cette banque, inĂ©vitable, invincible ; il annonçait le Juste aux mains pures qui la fonderait un jour. Et si, cet aprĂšs-midi-lĂ , il semblait soucieux, ce devait ĂÂȘtre simplement que, dans sa sĂ©rĂ©nitĂ© de prĂ©venu dont on allait faire un coupable, il avait songĂ© que, jamais, au sortir de prison, il n'aurait les mains assez nettes pour reprendre la grande besogne. D'une oreille distraite, il Ă©couta sa soeur lui expliquer que, dans les journaux, l'opinion paraissait lui redevenir un peu plus favorable. Puis, sans transition, la regardant de ses yeux de dormeur Ă©veillĂ© " Pourquoi refuses-tu de le voir ? " Elle frĂ©mit, elle comprit bien qu'il lui parlait de Saccard. D'un signe de tĂÂȘte, elle dit non, encore non. Alors, il se dĂ©cida, confus, Ă voix trĂšs basse. " AprĂšs ce qu'il a Ă©tĂ© pour toi, tu ne peux refuser, va le voir ! " Mon Dieu ! il savait, elle fut envahie d'une ardente rougeur, elle se jeta dans ses bras pour cacher son visage ; et elle bĂ©gayait, demandait qui avait pu lui dire, comment il savait cette chose qu'elle croyait ignorĂ©e, ignorĂ©e de lui surtout. " Ma pauvre Caroline, il y a longtemps... Des lettres anonymes, de vilaines gens qui nous jalousaient... Jamais je ne t'en ai parlĂ©, tu es libre, nous ne pensons plus de mĂÂȘme... Je sais que tu es la meilleure femme de la terre. Va le voir. " Et, gaiement, retrouvant son sourire, il reprit le petit bouquet de roses qu'il avait dĂ©jĂ glissĂ© derriĂšre le crucifix, il le lui remit dans la main, en ajoutant " Tiens ! porte-lui ça et dis-lui que je ne lui en veux pas non plus. " Mme Caroline, bouleversĂ©e de cette tendresse si pitoyable de son frĂšre, dans la honte affreuse et le dĂ©licieux soulagement qu'elle Ă©prouvait Ă la fois, ne rĂ©sista pas davantage. Du reste, depuis le matin, la sourde nĂ©cessitĂ© de voir Saccard s'imposait Ă elle. Pouvait- elle ne pas l'avertir de la fuite de Victor, de l'atroce aventure dont elle Ă©tait encore toute tremblante ? DĂšs le premier jour, il l'avait fait inscrire parmi les personnes qu'il dĂ©sirait recevoir ; et elle n'eut qu'Ă dire son nom, un gardien la conduisit tout de suite Ă la cellule du prisonnier. Lorsqu'elle entra, Saccard tournait le dos Ă la porte, assis devant une petite table, couvrant de chiffres une feuille de papier. Il se leva vivement, il eut un cri de joie. " Vous !... Oh ! que vous ĂÂȘtes bonne, et que je suis heureux ! " Il lui avait pris une main entre les deux siennes, elle souriait d'un air embarrassĂ©, trĂšs Ă©mue, ne trouvant pas la parole qu'il aurait fallu dire. Puis, de sa main restĂ©e libre, elle posa son petit bouquet de deux sous parmi les feuilles, sabrĂ©es de chiffres, qui encombraient la table. " Vous ĂÂȘtes un ange ! " murmura-t-il, ravi, en lui baisant les doigts. Enfin, elle parla. " C'est vrai, c'Ă©tait fini, je vous avais condamnĂ© dans mon coeur. Mais mon frĂšre veut que je vienne... - Non, non, ne dites pas cela ! Dites que vous ĂÂȘtes trop intelligente, que vous ĂÂȘtes trop bonne, et que vous avez compris, et que vous me pardonnez... " D'un geste, elle l'interrompit. " Je vous en conjure, ne me demandez pas tant. Je ne sais pas moi- mĂÂȘme... Cela ne vous suffit-il pas que je sois venue ?... Et puis, j'ai une chose bien triste Ă vous apprendre. " Alors, d'un trait, Ă demi-voix, elle lui conta le sauvage rĂ©veil de Victor, son attentat sur Mlle de Beauvilliers, sa fuite extraordinaire, inexplicable, l'inutilitĂ© jusque-lĂ de toutes les recherches, le peu d'espoir qu'on avait de le rejoindre. Il l'Ă©coutait, saisi, sans une question, sans un geste ; et, quand elle se tut, deux grosses larmes gonflĂšrent ses yeux, ruisselĂšrent sur ses joues, pendant qu'il bĂ©gayait " Le malheureux... le malheureux... " Jamais elle ne l'avait vu pleurer. Elle en resta profondĂ©ment Ă©mue et stupĂ©faite, tellement ces larmes de Saccard Ă©taient singuliĂšres, grises et lourdes, venues de loin, d'un coeur durci, encrassĂ© par des annĂ©es de brigandage. Tout de suite, d'ailleurs, il se dĂ©sespĂ©ra bruyamment. " Mais c'est Ă©pouvantable, je ne l'ai seulement pas embrassĂ©, moi, ce gamin... Car vous savez que je ne l'ai pas vu. Mon Dieu ! oui, je m'Ă©tais bien jurĂ© d'aller le voir, et je n'ai pas eu le temps, pas une heure libre, avec ces sacrĂ©es affaires qui me mangent... Ah ! c'est bien toujours comme ça lorsqu'on ne fait pas une chose tout de suite, on est certain de ne jamais la faire... Et, alors, maintenant, vous ĂÂȘtes sĂ»re que je ne puis pas le voir ? On me l'amĂšnerait ici. " Elle hocha la tĂÂȘte. " Qui sait oĂÂč il est, Ă cette heure, dans l'inconnu de ce terrible Paris ! " Un instant encore, il se promena violemment, en lĂÂąchant des lambeaux de phrase. " On me retrouve cet enfant, et, voilĂ ! je le perds... Jamais je ne le verrai... Tenez ! c'est que je n'ai pas de chance, non ! pas de chance du tout !... Oh ! mon Dieu ! l'histoire est la mĂÂȘme que pour l'Universelle. " Il venait de se rasseoir devant la table, et Mme Caroline prit une chaise, en face de lui. DĂ©jĂ , les mains errantes parmi les papiers, tout le dossier volumineux qu'il prĂ©parait depuis des mois, il entamait l'histoire du procĂšs et l'exposĂ© de ses moyens de dĂ©fense, comme s'il eut Ă©prouvĂ© le besoin de s'innocenter auprĂšs d'elle. L'accusation lui reprochait Le capital sans cesse augmentĂ© pour enfiĂ©vrer les cours et pour faire croire que la sociĂ©tĂ© possĂ©dait l'intĂ©gralitĂ© de ses fonds ; la simulation de souscriptions et de versements non effectuĂ©s, grĂÂące aux comptes ouverts Ă Sabatani et aux autres hommes de paille, lesquels payaient seulement par des jeux d'Ă©criture ; la distribution de dividendes fictifs, sous forme de libĂ©ration des anciens titres ; enfin, l'achat par la sociĂ©tĂ© de ses propres actions, toute une spĂ©culation effrĂ©nĂ©e qui avait produit la hausse extraordinaire et factice, dont l'Universelle Ă©tait morte, Ă©puisĂ©e d'or. A cela, il rĂ©pondait par de explications abondantes, passionnĂ©es il avait fait ce que fait tout directeur de banque, seulement il l'avait fait en grand, avec une carrure d'homme fort. Pas un des chefs des plus solides maisons de Paris qui n'aurait dĂ» partager sa cellule, si l'on s'Ă©tait piquĂ© d'un peu de logique. On le prenait pour le bouc Ă©missaire des illĂ©galitĂ©s de tous. D'autre part, quelle Ă©trange façon d'apprĂ©cier les responsabilitĂ©s ! Pourquoi ne poursuivait-on pas aussi les administrateurs, les Daigremont, les Huret, les Bohain, qui, outre leurs cinquante mille francs de jetons de prĂ©sence, touchaient le dix pour cent sur les bĂ©nĂ©- fices, et qui avaient trempĂ© dans tous les tripotages ? Pourquoi encore l'impunitĂ© complĂšte dont jouissaient les commissaires-censeurs, LavigniĂšre entre autres, qui en Ă©taient quittes pour allĂ©guer leur incapacitĂ© et leur bonne foi ? Evidemment, ce procĂšs allait ĂÂȘtre la plus monstrueuse des iniquitĂ©s, car on avait dĂ» Ă©carter la plainte en escro- querie de Busch, comme allĂ©guant des faits non prouvĂ©s, et le rapport remis par l'expert, aprĂšs un premier examen des livres, venait d'ĂÂȘtre reconnu plein d'erreurs. Alors, pourquoi la faillite, dĂ©clarĂ©e d'office Ă la suite de ces deux piĂšces, lorsque pas un sou des dĂ©pĂÂŽts n'avait Ă©tĂ© dĂ©tournĂ© et que tous les clients devaient rentrer dans leurs fonds ? Etait-ce donc qu'on voulait uniquement ruiner les actionnaires ? Dans ce cas, on avait rĂ©ussi, le dĂ©sastre s'aggravait, s'Ă©largissait sans limite. Et ce n'Ă©tait pas lui qu'il en accusait, c'Ă©tait la magistrature, le gouvernement, tous ceux qui avaient complotĂ© de le supprimer, pour tuer l'Universelle. " Ah ! les gredins, s'ils m'avaient laissĂ© libre, vous auriez vu, vous auriez vu ! " Mme Caroline le regardait, saisie de son inconscience, qui en arrivait Ă une vĂ©ritable grandeur. Elle se rappelait ses thĂ©ories d'autrefois, la nĂ©cessitĂ© du jeu dans les grandes entreprises, oĂÂč toute rĂ©munĂ©ration juste est impossible, la spĂ©culation regardĂ©e comme l'excĂšs humain, l'engrais nĂ©cessaire, le fumier sur lequel pousse le progrĂšs. N'Ă©tait-ce donc pas lui qui, de ses mains sans scrupules, avait chauffĂ© l'Ă©norme machine follement, jusqu'Ă la faire sauter en morceaux et Ă blesser tous ceux qu'elle emportait avec elle ? Ce cours de trois mille francs, d'une exagĂ©ration insensĂ©e, imbĂ©cile, n'Ă©tait-ce pas lui qui l'avait voulu ? Une sociĂ©tĂ© au capital de cent cinquante millions, et dont les trois cent mille titres, cotĂ©s trois mille francs, reprĂ©sentent neuf cents millions cela pouvait-il se justifier ; n'y avait-il pas un danger effroyable dans la distribution du colossal dividende qu'une pareille somme engagĂ©e exigeait, au simple taux de cinq pour cent ? Mais il s'Ă©tait levĂ©, il allait et venait, dans l'Ă©troite piĂšce, d'un pas saccadĂ© de grand conquĂ©rant mis en cage. " Ah ! les gredins, ils ont bien su ce qu'ils faisaient en, m'enchaĂnant ici... J'allais triompher, les Ă©craser tous... - Comment, triompher ? mais vous n'aviez plus un sou, vous Ă©tiez vaincu ! Evidemment, reprit-il avec amertume, j'Ă©tais vaincu, je suis une canaille... L'honnĂÂȘtetĂ©, la gloire, ce n'est que le succĂšs. Il ne faut pas se laisser battre, autrement l'on n'est plus le lendemain qu'un imbĂ©cile et un filou... Oh ! je devine bien ce qu'on peut dire, vous n'avez pas besoin de me le rĂ©pĂ©ter. N'est-ce pas ? on me traite couramment de voleur, on m'accuse d'avoir mis tous ces millions dans mes poches, on m'Ă©gorgerait ; si l'on me tenait ; et, ce qui est pis on hausse les Ă©paules de pitiĂ©, un simple fou, une pauvre intelligence... Mais, si j'avais rĂ©ussi, imaginez-vous cela ? Oui, si j'avais abattu Gundermann, conquis le marchĂ©, si j'Ă©tais Ă cette heure le roi indiscutĂ© de l'or, hein ? quel triomphe ! Je serais un hĂ©ros, j'aurais Paris Ă mes pieds. " Nettement, elle lui tint tĂÂȘte. " Vous n'aviez avec vous ni la justice ni la logique, vous ne pouviez pas rĂ©ussir. " Il s'Ă©tait arrĂÂȘtĂ© devant elle d'un mouvement brusque, il s'emportait. " Pas rĂ©ussir, allons donc ! L'argent m'a manquĂ©, voilĂ tout. Si NapolĂ©on, le jour de Waterloo, avait eu cent mille hommes encore Ă faire tuer, il l'emportait, la face du monde Ă©tait changĂ©e. Moi, si j'avais eu Ă jeter au gouffre les quelques centaines de millions nĂ©cessaires, je serais le maĂtre du monde. - Mais c'est affreux ! cria-t-elle, rĂ©voltĂ©e. Quoi ? vous trouvez qu'il n'y a pas eu assez de ruines, pas assez de larmes, pas assez de sang ! Il vous faudrait d'autres dĂ©sastres encore, d'autres familles dĂ©pouillĂ©es, d'autres malheureux rĂ©duits Ă mendier dans les rues ! " Il reprit sa promenade violente, il eut un geste d'indiffĂ©rence supĂ©rieure, en jetant ce cri " Est-ce que la vie s'inquiĂšte de ça ! Chaque pas que l'on fait Ă©crase des milliers d'existences. " Et un silence rĂ©gna, elle le suivit dans sa marche, le coeur envahi de froid. Etait-ce un coquin, Ă©tait-ce un hĂ©ros ? Elle frĂ©missait, en se demandant quelles pensĂ©es de grand capitaine vaincu, rĂ©duit Ă l'impuissance, il pouvait rouler depuis six mois qu'il Ă©tait enfermĂ© dans cette cellule ; et elle jeta seulement alors un regard autour d'elle les quatre murs nus, le petit lit de fer, la table de bois blanc, les deux chaises de paille. Lui qui avait vĂ©cu, au milieu d'un luxe prodiguĂ©, Ă©clatant ! Mais, tout d'un coup, il revint s'asseoir, les jambes comme brisĂ©es de lassitude. Et, longuement, il parla Ă demi-voix dans une sorte de confession involontaire. " Gundermann avait raison, dĂ©cidĂ©ment ça ne vaut rien, la fiĂšvre, Ă la Bourse... Ah ! le gredin, est-il heureux, lui, de n'avoir plus ni sang ni nerfs, de ne plus pouvoir coucher avec une femme, ni boire une bouteille de bourgogne ! Je crois d'ailleurs qu'il a toujours Ă©tĂ© comme ça, ses veines charrient de la glace... Moi, je suis trop passionnĂ©, c'est Ă©vident. La raison de ma dĂ©faite n'est pas ailleurs, voilĂ pourquoi je me suis si souvent cassĂ© les reins. Et il faut ajouter que, si ma passion me tue, c'est aussi ma passion qui me fait vivre. Oui, elle m'emporte, elle me grandit, me pousse trĂšs haut, et puis elle m'abat, elle dĂ©truit d'un coup toute son oeuvre. Jouir n'est peut-ĂÂȘtre que se dĂ©vorer... Certainement, quand je songe Ă ces quatre ans de lutte, je vois bien tout ce qui m'a trahi, c'est tout ce que j'ai dĂ©sirĂ©, tout ce que j'ai possĂ©dĂ©... ĂâĄa doit ĂÂȘtre incurable, ça. Je suis fichu. " Alors, une colĂšre le souleva contre son vainqueur. " Ah ! ce Gundermann, ce sale juif, qui triomphe parce qu'il est sans dĂ©sirs !... C'est bien la juiverie entiĂšre, cet obstinĂ© et froid conquĂ©rant, en marche pour la souveraine royautĂ© du monde, au milieu des peuples achetĂ©s un Ă un par la toute-puissance de l'or. VoilĂ des siĂšcles que la race nous envahit et triomphe, malgrĂ© les coups de pied au derriĂšre et les crachats. Lui a dĂ©jĂ un milliard, il en aura deux, il en aura dix, il en aura cent, il sera un jour le maĂtre de la terre. Je m'entĂÂȘte depuis des annĂ©es Ă crier cela sur les toits, personne n'a l'air de m'Ă©couter, on croit que c'est un simple dĂ©pit d'homme de Bourse, lorsque c'est le cri mĂÂȘme de mon sang. Oui, la haine du juif, je l'ai dans la peau, oh ! de trĂšs loin, aux racines mĂÂȘmes de mon ĂÂȘtre ! - Quelle singuliĂšre chose ! murmura tranquillement Mme Caroline, avec son vaste savoir, sa tolĂ©rance universelle. Pour moi, les juifs, ce sont des hommes comme les autres. S'ils sont Ă part, c'est qu'on les y a mis. " Saccard, qui n'avait pas mĂÂȘme entendu, continuait avec plus de violence " Et ce qui m'exaspĂšre, c'est que je vois les gouvernements complices, aux pieds de ces gueux. Ainsi l'empereur est-il assez vendu Ă Gundermann ! comme s'il Ă©tait impossible de rĂ©gner sans l'argent de Gundermann ! Certes, Rougon, mon grand homme de frĂšre, s'est conduit d'une façon bien dĂ©goĂ»tante Ă mon Ă©gard ; car, je ne vous l'ai pas dit, j'ai Ă©tĂ© assez lĂÂąche pour chercher Ă me rĂ©concilier, avant la catastrophe, et si je suis ici, c'est qu'il l'a bien voulu. N'importe, puisque je le gĂÂȘne, qu'il se dĂ©barrasse donc de moi ! je ne lui en voudrai quand mĂÂȘme que de son alliance avec ces sales juifs... Avez-vous songĂ© Ă cela ? l'Universelle Ă©tranglĂ©e pour que Gundermann continue son commerce ! toute banque catholique trop puissante Ă©crasĂ©e, comme un danger social, pour assurer le dĂ©finitif triomphe de la juiverie, qui nous mangera, et bientĂÂŽt !... Ah ! que Rougon prenne garde ! il sera mangĂ©, lui d'abord, balayĂ© de ce pouvoir auquel il se cramponne, pour lequel il renie tout. C'est trĂšs malin, son jeu de bascule, les gages donnĂ©s un jour aux libĂ©raux, l'autre jour aux autoritaires ; mais, Ă ce jeu-lĂ , on finit fatalement par se rompre le cou... Et, puisque tout craque, que le dĂ©sir de Gundermann s'accomplisse donc, lui qui a prĂ©dit que la France serait battue, si nous avions la guerre avec l'Allemagne ! Nous sommes prĂÂȘts, les Prussiens n'ont plus qu'Ă entrer et Ă prendre nos provinces. " D'un geste terrifiĂ© et suppliant, elle le fit taire, comme s'il allait attirer la foudre. " Non, non ! ne dites pas ces choses. Vous n'avez pas le droit de les dire... Du reste, votre frĂšre n'est pour rien dans votre arrestation. Je sais de source certaine que c'est le garde des Sceaux Delcambre qui a tout fait. " La colĂšre de Saccard tomba brusquement, il eut un sourire. " Oh ! celui-lĂ se venge. " Elle le regardait d'un air d'interrogation, et il ajouta " Oui, une vieille histoire entre nous... Je sais d'avance que je serai condamnĂ©. " Sans doute, elle se mĂ©fia de l'histoire, car elle n'insista pas. Un court silence rĂ©gna, pendant lequel il reprit les papiers sur la table, tout entier de nouveau Ă son idĂ©e fixe. " Vous ĂÂȘtes bien charmante, chĂšre amie, d'ĂÂȘtre venue, et il faut me promettre de revenir, parce que vous ĂÂȘtes de bon conseil et que je veux vous soumettre des projets. Ah ! si j'avais de l'argent ! " Vivement, elle l'interrompit, saisissant l'occasion pour s'Ă©clairer sur un point qui la hantait et la tourmentait depuis des mois. Qu'avait- il fait des millions qu'il devait possĂ©der pour sa part ? les avait-il envoyĂ©s Ă l'Ă©tranger, enterrĂ©s au pied de quelque arbre connu de lui seul ? " Mais vous en avez, de l'argent ! Les deux millions de Sadowa, les neuf millions de vos trois mille actions, si les avez vendues au cours de trois mille ! " Moi, ma chĂšre, cria-t-il, je n'ai pas un sou ! " Et cela Ă©tait parti d'une voix si nette et si dĂ©sespĂ©rĂ©, il la regardait d'un tel air de surprise, qu'elle fut convaincue. " Jamais je n'ai eu un sou dans les affaires qui ont mal tournĂ©... Comprenez donc que je me ruine avec les autres... Certes, oui, j'ai vendu ; mais j'ai rachetĂ© aussi ; de deux autres millions encore, je serais fort embarrassĂ© et oĂÂč ils s'en sont allĂ©s, mes neuf millions, augmentĂ©s pour vous l'expliquer clairement... Je crois bien que mon compte se soldait chez ce pauvre Mazaud par une dette de trente Ă quarante mille francs... Plus un sou, le grand coup de balai, comme toujours ! " Elle en fut si soulagĂ©e, si Ă©gayĂ©e, qu'elle plaisanta sur leur propre ruine, Ă elle et Ă son frĂšre. " Nous aussi, quand tout va ĂÂȘtre terminĂ©, je ne sais pas si nous aurons de quoi manger un mors... Ah ! cet argent, ces neuf millions que vous nous aviez promis, vous vous rappelez comme ils me faisaient peur ! Jamais je n'ai vĂ©cu dans un tel malaise, et quel soulagement, le soir du jour oĂÂč j'ai tout rendu en faveur de l'actif !... MĂÂȘme, les trois cent mille francs de l'hĂ©ritage de notre tante y ont passĂ©. ĂâĄa, ce n'est pas trĂšs juste. Mais, je vous l'avais dit, de l'argent trouvĂ©, de l'argent qu'on n'a pas gagnĂ©, on n'y tient guĂšre... Et vous voyez bien que je suis gaie et que je ris maintenant ! " Il l'arrĂÂȘta d'un geste fiĂ©vreux, il avait pris les papiers, sur la table, et les brandissait. " Laissez donc ! nous serons trĂšs riches... - Comment ? - Est-ce que vous croyez que je lĂÂąche mes idĂ©es ?... Depuis six mois, je travaille ici, je veille les nuits entiĂšres, pour tout reconstruire. Les imbĂ©ciles qui me font surtout un crime de ce bilan anticipĂ©, en prĂ©tendant que des trois grandes affaires, les Paquebots rĂ©unis, le Carmel et la Banque nationale turque, la premiĂšre seulement a donnĂ© les bĂ©nĂ©fices prĂ©vus ! Parbleu ! si les deux autres ont pĂ©riclitĂ©, c'est que je n'Ă©tais plus lĂ . Mais, quand ils m'auront lĂÂąchĂ©, oui ! quand je redeviendrai le mettre, vous verrez, vous verrez... " Suppliante, elle voulut l'empĂÂȘcher de poursuivre. Il s'Ă©tait mis debout, il se grandissait sur ses petites jambes, criant de sa voix aiguĂ " Les calculs sont faits, les chiffres sont lĂ , regardez !... Des amusettes simplement, le Carmel et la Banque nationale turque ! Il nous faut le vaste rĂ©seau des chemins de fer d'Orient, il nous faut le reste, JĂ©rusalem, Bagdad, l'Asie Mineure entiĂšre conquise, ce que NapolĂ©on n'a pu faire avec son sabre, et ce que nous ferons nous autres, avec nos pioches et notre or... Comment avez-vous pu croire que j'abandonnais la partie ? NapolĂ©on est bien revenu de l'Ăle d'Elbe. Moi aussi, je n'aurai qu'Ă me montrer, tout l'argent de Paris se lĂšvera pour me suivre ; et il n'y aura pas, cette fois, de Waterloo, je vous en rĂ©ponds, parce que mon plan est d'une rigueur mathĂ©matique, prĂ©vu jusqu'aux derniers centimes... Enfin, nous allons donc l'abattre, ce Gundermann de malheur ! Je ne demande que quatre cents millions, cinq cents millions peut- ĂÂȘtre, et le monde est Ă moi ! " Elle avait rĂ©ussi Ă lui prendre les mains, elle se serrait contre lui. " Non, non ! Taisez-vous, vous me faites peur ! " Et, malgrĂ© elle, de son effroi, une admiration montait. Brusquement, dans cette cellule misĂ©rable et nue, verrouillĂ©e, sĂ©parĂ©e des vivants, elle venait d'avoir la sensation d'une force dĂ©bordante, d'un resplendissement de l'Ă©ternelle illusion de l'espoir, l'entĂÂȘtement de l'homme qui ne veut pas mourir. Elle cherchait en elle la colĂšre, l'exĂ©cration des fautes commises, et elle ne les trouvait dĂ©jĂ plus. Ne l'avait-elle pas condamnĂ©, aprĂšs les irrĂ©parables malheurs dont il Ă©tait la cause ? N'avait-elle pas appelĂ© le chĂÂątiment, la mort solitaire, dans le mĂ©pris ? Elle n'en gardait que sa haine du mal et sa pitiĂ© pour la douleur. Lui, cette force inconsciente et agissante, elle le subissait de nouveau, comme une des violences de la nature, sans doute nĂ©cessaires. Et puis, si c'Ă©tait lĂ qu'une faiblesse de femme, elle s'y abandonnait dĂ©licieusement, toute Ă la maternitĂ© souffrante, toute Ă l'infini besoin de tendresse, qui le lui avait fait aimer sans estime, dans sa haute raison dĂ©vastĂ©e par l'expĂ©rience. " C'est fini, rĂ©pĂ©ta-t-elle Ă plusieurs reprises, sans cesser de lui serrer les mains dans les siennes. Ne pouvez-vous donc vous calmer et vous reposer enfin ! " Puis, comme il se haussait, pour effleurer des lĂšvres ses cheveux blancs, dont les boucles foisonnaient sur ses tempes, avec une abondance vivace de jeunesse, elle le maintint, elle ajouta d'un air d'absolue rĂ©solution et de tristesse profonde, en donnant aux mots toute leur signification. " Non, non ! c'est fini Ă jamais... Je suis contente de vous avoir vu une derniĂšre fois, pour qu'il ne reste pas de la colĂšre entre nous... Adieu ! " Quand elle partit, elle le vit debout, prĂšs de la table, vĂ©ritablement Ă©mu de la sĂ©paration, mais reclassant dĂ©jĂ d'une main instinctive les papiers, qu'il avait mĂÂȘlĂ©s dans sa fiĂšvre ; et, le petit bouquet de deux sous s'Ă©tant effeuillĂ© parmi les pages, il secouait celles-ci une Ă une, il balayait des doigts les pĂ©tales de rose. Ce ne fut que trois mois plus tard, vers le milieu de dĂ©cembre, que l'affaire de la Banque universelle vint enfin devant le tribunal. Elle tint cinq grandes audiences de la police correctionnelle, au milieu d'une curiositĂ© trĂšs vive. La presse avait fait un bruit Ă©norme autour de la catastrophe, des histoires extraordinaires circulaient sur les lenteurs de l'instruction. On remarqua beaucoup l'exposĂ© des faits que le parquet avait dressĂ©, un chef-d'oeuvre de fĂ©roce logique, oĂÂč les plus petits dĂ©tails Ă©taient groupĂ©s, utilisĂ©s, interprĂ©tĂ©s avec une clartĂ© impitoyable. D'ailleurs, on disait partout que le jugement Ă©tait rendu Ă l'avance. Et, en effet, l'Ă©vidente bonne foi d'Hamelin, l'hĂ©roĂÂŻque attitude de Saccard qui tint tĂÂȘte Ă l'accusation pendant les cinq jours, les plaidoiries magnifiques et retentissantes de la dĂ©fense, n'empĂÂȘchĂšrent pas les juges de condamner les deux prĂ©venus Ă cinq annĂ©es d'emprisonnement et Ă trois mille francs d'amende. Seulement, remis en libertĂ© provisoire sous caution, un mois avant, et s'Ă©tant ainsi prĂ©sentĂ©s devant le tribunal en prĂ©venus libres, ils purent faire appel et quitter dans les vingt-quatre heures. C'Ă©tait Rougon qui avait exigĂ© ce dĂ©nouement, ne voulant pas garder sur les bras l'ennui d'un frĂšre en prison. La police veilla elle mĂÂȘme au dĂ©part de Saccard, qui fila en Belgique, par un train de nuit le mĂÂȘme jour, Hamelin Ă©tait parti pour Rome. Et trois nouveaux mois s'Ă©coulĂšrent, on Ă©tait dans les premiers jours d'avril, Mme Caroline se trouvait encore Ă Paris, oĂÂč l'avait retenue le rĂšglement d'affaires inextricables. Elle occupait toujours le petit appartement de l'hĂÂŽtel d'Orviedo, dont les affiches annonçaient la vente. Du reste, elle venait enfin d'arranger les derniĂšres difficultĂ©s, elle pouvait partir, certes, sans un sou en poche, mais sans laisser aucune dette derriĂšre elle ; et elle devait quitter Paris le lendemain, pour aller Ă Rome rejoindre son frĂšre, qui avait eu la chance d'y obtenir une petite situation d'ingĂ©nieur. Il lui avait Ă©crit que des leçons l'y attendaient. C'Ă©tait toute leur existence Ă recommencer. En se levant, le matin de cette derniĂšre jours, qu'elle passerait Ă Paris, un dĂ©sir lui vint de ne pas s'Ă©loigner tenter d'avoir des nouvelles de Victor. Jusque-lĂ , toutes les recherches Ă©taient restĂ©es vaines. Mais elle se rappelait les promesses de la MĂ©chain, elle se disait que peut-ĂÂȘtre cette femme savait quelque chose ; et il Ă©tait facile de la questionner, en se rendant chez Busch, vers quatre heures. D'abord, elle repoussa cette idĂ©e quoi bon tout cela n'Ă©tait-il pas mort ? Puis, elle en souffrit rĂ©ellement, le coeur douloureux, comme d'un enfant qu'elle aurait perdu, et sur la tombe duquel elle n'aurait pas portĂ© des fleurs, en s'en allant. A quatre heures, elle descendit rue Feydeau. Les deux portes du palier Ă©taient ouvertes, de l'eau bouillait violemment dans la cuisine noire, tandis que, de l'autre cĂÂŽtĂ©, dans l'Ă©troit cabinet, la MĂ©chain, qui occupait le fauteuil de Busch, semblait submergĂ©e au milieu d'un tas de papiers qu'elle tirait par liasses Ă©normes de son vieux sac de cuir. " Ah ! c'est vous, ma bonne madame ! Vous tombez dans un bien vilain moment. M. Sigismond est Ă l'agonie. Et le pauvre M. Busch en perd la tĂÂȘte, positivement, tant il aime son frĂšre. Il ne fait que courir comme un fou, il est encore sorti pour ramener un mĂ©decin... Vous voyez, je suis obligĂ©e de m'occuper de ses affaires, car voilĂ huit jours qu'il n'a seulement pas achetĂ© un titre ni mis le nez dans une crĂ©ance. Heureusement, j'ai fait tout Ă l'heure un coup, oh ! un vrai coup, qui le consolera un peu de son chagrin, le cher homme, quand il reviendra Ă la raison. " Mme Caroline, saisie, oubliait qu'elle Ă©tait lĂ pour Victor, car elle avait reconnu des titres dĂ©classĂ©s de l'Universelle, dans les papiers que la MĂ©chain tirait Ă poignĂ©es de son sac. Le vieux cuir en craquait, et elle en sortait toujours, devenue bavarde, au milieu de sa joie. " Tenez ! j'ai eu tout ça pour deux cent cinquante francs, il y en a bien cinq mille, ce qui les met Ă un sou... Hein ? un sou, des actions qui ont Ă©tĂ© cotĂ©es trois mille francs ! Les voilĂ presque retombĂ©es au prix du papier, oui ! du papier Ă la livre... Mais elles valent mieux tout de mĂÂȘme, nous les revendrons au moins dix sous, parce qu'elles sont recherchĂ©es par les gens en faillite. Vous comprenez, elles ont eu une si bonne rĂ©putation, qu'elles meublent encore. Elles font trĂšs bien dans un passif, c'est trĂšs distinguĂ© d'avoir Ă©tĂ© victime de la catastrophe... Enfin j'ai eu une chance extraordinaire, j'avais flairĂ© la fosse oĂÂč, depuis la bataille, toute cette marchandise dormait, un vieux fond d'abattoir qu'un imbĂ©cile, mal renseignĂ©, m'a lĂÂąchĂ© pour rien. Et vous pensez si je suis tombĂ©e dessus ! Ah ! ça n'a pas traĂnĂ©, je vous ai nettoyĂ© ça vivement ! " Et elle s'Ă©gayait en oiseau carnassier des champs de massacre de la finance, son Ă©norme personne suait les immondes nourritures dont elle s'Ă©tait engraissĂ©e, tandis que de ses mains courtes et crochues, elle remuait les morts, ces actions dĂ©prĂ©ciĂ©es, dĂ©jĂ jaunies et exhalant une odeur rance. Mais une voix ardente et base s'Ă©leva, venant de la chambre voisine, dont la porte Ă©tait grande ouverte, comme les deux portes du palier. " Bon, voilĂ M. Sigismond qui se remet Ă causer. Il ne fait que ça depuis ce matin... Mon Dieu ! et l'eau qui bout ! l'eau que j'oublie ! C'est pour un tas de tisanes... Ma bonne madame, puisque vous ĂÂȘtes lĂ , voyez donc s'il ne demande pas quelque chose. " La MĂ©chain fila dans la cuisine, et Mme Caroline, que la souffrance attirait, entra dans la chambre. La nuditĂ© en Ă©tait tout Ă©gayĂ©e par un clair soleil d'avril, dont un rayon tombait droit sur la petite table de bois blanc, encombrĂ©e de notes Ă©crites, de dossiers volumineux, d'oĂÂč dĂ©bordait un travail de dix ans ; et il n'y avait toujours rien autre que les deux chaises de paille et les quelques volumes entassĂ©s sur des planches. Dans l'Ă©troit lit de fer, Sigismond, assis contre trois oreillers, vĂÂȘtu jusqu'Ă mi-corps d'une courte blouse de flanelle rouge, parlait, parlait sans relĂÂąche, sous la singuliĂšre excitation cĂ©rĂ©brale, qui prĂ©cĂšde parfois la mort des phtisique il dĂ©lirait, avec des moments d'extraordinaire luciditĂ© ; et, au milieu de sa face amaigrie, encadrĂ©e de ses longs cheveux bouclĂ©s, ses yeux, Ă©largis dĂ©mesurĂ©ment, interrogeaient le vide. Tout de suite, quand Mme Caroline parut, il sembla la reconnaĂtre, bien que jamais ils ne se fussent rencontrĂ©s. " Ah ! c'est vous, madame... Je vous avais vue, je vous appelais de toutes mes forces... Venez, venez plus prĂšs, que je vous dise Ă voix basse... " MalgrĂ© le petit frisson de peur qui l'avait prise, elle s'approcha, elle dut s'asseoir sur une chaise, contre le lit mĂÂȘme. Je ne savais pas, mais je sais maintenant. Mon frĂšre vend des papiers, et il y a des gens que j'ai entendus pleurer lĂ , dans son cabinet... Mon frĂšre, ah ! j'en ai eu le coeur comme traversĂ© d'un fer rouge. Oui, c'est ça qui m'est restĂ© dans la poitrine, ça me brĂ»le toujours, parce que c'est abominable, l'argent, le pauvre monde qui souffre... Alors, tout Ă l'heure, quand je serai mort, mon frĂšre vendra mes papiers, et je ne veux pas, je ne veux pas ! " Sa voix s'Ă©levait peu Ă peu, suppliante. " Tenez ! madame, ils sont lĂ , sur la table. Donnez-les-moi, que nous en fassions un paquet, et vous les emporterez, vous emporterez tout... Oh ! je vous appelais, je vous attendais ! Mes papiers perdus ! toute ma vie de recherches, et d'efforts anĂ©antie ! " Et, comme elle hĂ©sitait Ă lui donner ce qu'il demandait, il joignit les mains. " De grĂÂące, que je m'assure qu'ils y sont bien tous, avant de mourir... Mon frĂšre n'est pas lĂ , mon frĂšre ne dira pas que je me tue... Je vous en supplie... " Alors, elle cĂ©da, bouleversĂ©e par l'ardeur de sa priĂšre. " Vous voyez que j'ai tort, puisque votre frĂšre dit que cela vous fait du mal. - Du mal, oh ! non. Et puis, qu'importe !... Enfin ; cette sociĂ©tĂ© de l'avenir, je suis parvenu Ă la mettre debout, aprĂšs tant de nuits passĂ©es ! Tout y est prĂ©vu, rĂ©solu, c'est toute la justice et tout le bonheur possibles... Quel regret de n'avoir pas eu le temps de rĂ©diger l'oeuvre, avec les dĂ©veloppements nĂ©cessaires ! Mais voici mes notes complĂštes, classĂ©es. Et, n'est-ce pas ? vous allez les sauver, pour qu'un autre, un jour, leur donne la forme du livre dĂ©finitif, lancĂ© par le monde... " De ses longues mains frĂÂȘles, il avait pris les papiers, il les feuilletait amoureusement, tandis que, dans ses grands yeux dĂ©jĂ troubles, se rallumait une flamme. Il parlait trĂšs vite, d'un ton cassĂ© et monotone, avec le tic-tac d'une chaĂne d'horloge que le poids emporte ; et c'Ă©tait le bruit mĂÂȘme de la mĂ©canique cĂ©rĂ©brale fonctionnant sans arrĂÂȘt, dans le dĂ©roulement de l'agonie. " Ah ! comme je la vois, comme elle se dresse lĂ , nettement, la citĂ© de justice et de bonheur !... Tous y travaillent, d'un travail personnel, obligatoire et libre. La nation n'est qu'une sociĂ©tĂ© de coopĂ©ration immense, les outils deviennent la propriĂ©tĂ© de tous, les produits sont centralisĂ©s dans de vastes entrepĂÂŽts gĂ©nĂ©raux. On a effectuĂ© tant de labeur utile, on a droit Ă tant de consommation sociale. C'est l'heure d'ouvrage qui est la commune mesure, un objet ne vaut que ce qu'il a coĂ»tĂ© d'heures, il n'y a plus qu'un Ă©change, entre tous les producteurs, Ă l'aide des bons de travail, et cela sous la direction de la communautĂ©, sans qu'aucun autre prĂ©lĂšvement soit fait que l'impĂÂŽt unique pour Ă©lever les enfants et nourrir les vieillards, renouveler l'outillage, dĂ©frayer les services publics gratuits... Plus d'argent, et dĂšs lors plus de spĂ©culation, plus de vol, plus de trafics abominables, plus de ces crimes que la cupiditĂ© exaspĂšre, les filles Ă©pousĂ©es pour leur dot, les vieux parents Ă©tranglĂ©s pour leur hĂ©ritage, les passants assassinĂ©s pour leur bourse !... Plus de classes hostiles, de patrons et d'ouvriers, de prolĂ©taires et de bourgeois et, dĂšs lors, plus de lois restrictives ni de tribunaux, de force armĂ©e gardant l'ini- que accaparement des uns contre la faim enragĂ©e des autres !... Plus d'oisifs d'aucune sorte, et dĂšs lors plus de propriĂ©taires nourris par le loyer, de rentiers entretenus comme des filles par la chance, plus de luxe enfin ni de misĂšre !... Ah ! n'est-ce pas l'idĂ©ale Ă©quitĂ©, la souveraine sagesse, pas de privilĂ©giĂ©s, pas de misĂ©rables, chacun fai- sant son bonheur par son effort, la moyenne du bonheur humain ! Il s'exaltait, et sa voix devenait douce, lointaine, comme si elle s'Ă©loignait et se perdait trĂšs haut, dans l'avenir dont il annonçait la venue. " Et si j'entrais dans les dĂ©tails... Vous voyez, cette feuille sĂ©parĂ©e, avec toutes ces notes marginales c'est l'organisation de la famille, le contrat libre, l'Ă©ducation et l'entretien des enfants mis Ă la charge de la communautĂ©... Pourtant, ce n'est point l'anarchie. Regardez cette autre note je veux un comitĂ© directeur pour chaque branche de la production, chargĂ© de proportionner celle-ci Ă la consommation, en Ă©tablissant les besoins rĂ©els... Et ici, encore un dĂ©tail d'organisation dans les villes, dans les champs, des armĂ©es industrielles, des armĂ©es agricoles manoeuvreront sous la conduite des chefs Ă©lus par elles, obĂ©issant Ă des rĂšglements qu'elles auront votĂ©s... Tenez ! j'ai aussi indiquĂ© lĂ , par des calculs approximatifs, Ă combien d'heures la journĂ©e de travail pourra ĂÂȘtre rĂ©duite dans vingt ans. GrĂÂące au grand nombre des bras nouveaux, grĂÂące surtout aux machines, on ne travaillera que quatre heures, trois peut-ĂÂȘtre ; et que de temps on aura pour jouir de la vie ! car ce n'est pas une caserne, c'est une citĂ© de libertĂ© et de gaietĂ©, oĂÂč chacun reste libre de son plaisir, avec tout le temps de satisfaire ses lĂ©gitimes appĂ©tits, la joie d'aimer, d'ĂÂȘtre fort, d'ĂÂȘtre beau, d'ĂÂȘtre intelligent, de prendre sa part de l'inĂ©puisable nature. " Et son geste, autour de la misĂ©rable chambre, possĂ©dait monde. Dans cette nuditĂ© oĂÂč il avait vĂ©cu, cette pauvretĂ© sans besoins oĂÂč il se mourait, il faisait d'une main fraternelle le partage des biens de la terre. C'Ă©tait l'universelle fĂ©licitĂ©, tout ce qui est bon et dont il n'avait pas joui, qu'il distribuait de la sorte, en sachant qu'il n'en jouirait jamais. Il avait hĂÂątĂ© sa mort pour ce suprĂÂȘme cadeau Ă l'humanitĂ© souffrante. Mais ses mains s'Ă©garaient, tĂÂątonnantes, parmi les notes Ă©parses, tandis que ses yeux ne voyaient dĂ©jĂ plus, emplis de l'Ă©blouissement de mort, semblaient apercevoir l'infinie perfection, au- delĂ de la vie, dans un ravissement d'extase dont toute sa face s'Ă©clairait. " Ah ! que d'activitĂ©s nouvelles, l'humanitĂ© entiĂšre au travail au terres incultes, les mains de tous les vivants amĂ©liorant le monde !... Il n'y a plus de landes, plus de marais, plus de terres incultes. Les bras de mer sont comblĂ©s, les montagnes gĂÂȘnantes disparaissent, les dĂ©serts se changent en vallĂ©es fertiles, sous les eaux qui jaillissent de toutes parts. Aucun prodige n'est irrĂ©alisable, les anciens grands travaux font sourire, tant ils semblent timides et enfantins. La terre enfin est habitable... Et c'est tout l'homme dĂ©veloppĂ©, grandi, jouissant de ses pleins appĂ©tits, devenu le vrai maĂtre. Les Ă©coles et les ateliers sont ouverts, l'enfant choisit librement son mĂ©tier, que les aptitudes dĂ©terminent. Des annĂ©es dĂ©jĂ se sont Ă©coulĂ©es, et la sĂ©lection s'est faite, grĂÂące Ă des examens sĂ©vĂšres, il ne suffit plus de pouvoir payer l'instruction, il faut en profiter. Chacun se trouve ainsi arrĂÂȘtĂ©, utilisĂ©, au juste degrĂ© de son intelligence, ce qui rĂ©partit Ă©quitablement les fonctions publiques, d'aprĂšs les indications mĂÂȘmes de la nature. Chacun pour tous, selon sa force... Ah ! citĂ© active et joyeuse, citĂ© idĂ©ale de saine exploitation humaine, oĂÂč n'existe plus le vieux prĂ©jugĂ© contre le travail manuel, oĂÂč l'on voit un grand poĂšte menuisier, un serrurier grand savant ! Ah ! citĂ© bienheureuse, citĂ© triomphale vers qui les hommes marchent depuis tant de siĂšcles, citĂ© dont les murs blancs resplendissent, lĂ -bas... LĂ -bas, dans le bonheur, dans l'aveuglant soleil... Ses yeux pĂÂąlirent, les derniers mots s'exhalĂšrent, indistincts, en un petit souffle ; et sa tĂÂȘte retomba, gardant le sourire extasiĂ© de ses lĂšvres. Il Ă©tait mort. BouleversĂ©e de pitiĂ© et de tendresse, Mme Caroline le regardait, lorsqu'elle eut, derriĂšre elle, la sensation d'une tempĂÂȘte qui entrait. C'Ă©tait Busch, revenant sans mĂ©decin, haletant, ravagĂ© d'angoisse ; tandis que la MĂ©chain, sur ses talons, lui expliquait pourquoi elle n'avait pu encore faire la tisane, l'eau s'Ă©tant renversĂ©e. Mais il avait aperçu son frĂšre, son petit enfant, comme il le nommait, couchĂ© sur le dos, immobile, avec la bouche ouverte, les yeux fixes ; et il comprit, et il poussa un hurlement de bĂÂȘte Ă©gorgĂ©e. D'un bond, il s'Ă©tait jetĂ© sur le corps, il l'avait soulevĂ© dans ses deux grands bras, comme pour lui souffler de la vie. Ce terrible mangeur d'or, qui aurait tuĂ© un homme pour dix sous, qui avait si longtemps Ă©cumĂ© le Paris immonde, hurlait d'une abominable souffrance. Son petit enfant, mon Dieu ! Lui qui le couchait, qui le dorlotait ainsi qu'une mĂšre ! Il ne l'aurait jamais plus, son petit enfant ! Et, dans une crise d'enragĂ© dĂ©sespoir, il ramassa les papiers Ă©pars sur le lit, il les dĂ©chira, les broya, comme s'il avait voulu anĂ©antir tout ce travail imbĂ©cile et jalousĂ©, qui lui avait tuĂ© son frĂšre. Mme Caroline, alors, sentit son coeur se fondre. Le malheureux ! il ne l'emplissait plus que d'une divine pitiĂ©. Mais oĂÂč donc avait-elle entendu hurler ainsi ? Une seule fois dĂ©jĂ , le cri de la douleur humaine l'avait pĂ©nĂ©trĂ© d'un tel frisson. Et elle se souvint, c'Ă©tait chez Mazaud, le hurlement de la mĂšre et des petits, devant le cadavre du pĂšre. Comme incapable de se soustraire Ă cette souffrance, elle resta encore un instant, rendit des services. Puis, au moment de partir, se retrouvant seule avec la MĂ©chain, dans l'Ă©troit cabinet d'affaires, elle se rappela qu'elle Ă©tait venue pour la questionner sur Victor. Et elle l'interrogea. Ah ! bien, Victor, il Ă©tait loin, s'il courait toujours ! Elle avait battu Paris pendant trois mois, sans seulement dĂ©couvrir une piste. Elle y renonçait, il serait toujours temps de retrouver un jour ce bandit sĂ»r l'Ă©chafaud. Et Mme Caroline l'Ă©coutait, glacĂ©e et muette. Oui, c'Ă©tait fini, le monstre Ă©tait lĂÂąchĂ© par le monde, Ă l'avenir, Ă l'inconnu, ainsi qu'une bĂÂȘte Ă©cumant du virus hĂ©rĂ©ditaire, qui devait Ă©largir le mal Ă chacun de ses coups de dent. Dehors, sur le trottoir de la rue Vivienne, Mme Caroline fut surprise de la douceur de l'air. Il Ă©tait cinq heures, le soleil se couchait dans un ciel d'une puretĂ© tendre, dorant au loin les enseignes hautes du boulevard. Cet avril, si charmant d'une nouvelle jeunesse, Ă©tait comme une caresse Ă tout son ĂÂȘtre physique, jusqu'au coeur. Elle respira fortement, soulagĂ©e, plus heureuse dĂ©jĂ , avec la sensation de l'invincible espoir qui revenait et grandissait. C'Ă©tait sans doute la mort si belle de ce rĂÂȘveur, donnant son dernier souffle Ă sa chimĂšre de justice et d'amour, qui l'attendrissait ainsi, dans le songe qu'elle avait Ă©galement fait d'une humanitĂ© purgĂ©e du mal exĂ©crable de l'argent ; et c'Ă©tait encore le hurlement de l'autre, la tendresse exaspĂ©rĂ©e et saignante du terrible loup-cervier, qu'elle croyait sans coeur, incapable de larmes. Non pourtant ! elle ne s'en Ă©tait pas allĂ©e sous l'impression consolante de tant de bontĂ© humaine, au milieu de tant de douleur ; elle avait au contraire emportĂ© la dĂ©sespĂ©rance finale du petit monstre Ă©chappĂ©, galopant, semant par les routes le ferment de pourriture dont jamais la terre n'arriverait Ă se guĂ©rir. Alors, pourquoi donc cette gaietĂ© renaissante qui l'envahissait toute ? Lorsqu'elle fut au boulevard, Mme Caroline tourna Ă gauche, ralentit le pas, au milieu de l'animation de la foule. Un instant, elle s'arrĂÂȘta devant une petite voiture pleine de bottes de lilas et de giroflĂ©es, dont le fort parfum l'enveloppa d'une bouffĂ©e de printemps. Et, main- tenant, en elle, tandis qu'elle reprenait sa marche, le flot de la joie montait, comme d'une source bouillonnante, qu'elle aurait tentĂ© vainement d'arrĂÂȘter, de boucher avec ses deux mains. Elle avait compris, elle ne voulait pas. Non, non ! les affreuses catastrophes Ă©taient trop rĂ©centes, elle ne pouvait ĂÂȘtre gaie, s'abandonner Ă ce jaillissement d'Ă©ternelle vie qui la soulevait. Et elle s'efforçait de garder son deuil, elle se rappelait au dĂ©sespoir par tant de souvenirs cruels. Quoi ? elle aurait ri encore, aprĂšs l'Ă©croulement de tout, une si effrayante somme de misĂšres ! Oubliait-elle qu'elle Ă©tait complice ? et elle se citait les faits, celui-ci, celui-lĂ , cet autre, qu'elle aurait dĂ» mettre tout son reste d'existence Ă pleurer. Mais, entre ses doigts serrĂ©s sur son coeur, le bouillonnement de sĂšve devenait plus impĂ©tueux, la source de vie dĂ©bordait, Ă©cartait les obstacles pour couler librement, en rejetant les Ă©paves aux deux bords, claire et triomphante sous le soleil. DĂšs ce moment, vaincue, Mme Caroline dut s'abandonner Ă la force irrĂ©sistible du continuel rajeunissement. Comme elle le disait en riant parfois, elle ne pouvait ĂÂȘtre triste. L'Ă©preuve Ă©tait faite, elle venait de toucher le fond du dĂ©sespoir, et voici que l'espoir ressuscitait de nouveau, brisĂ©, ensanglantĂ©, mais vivace quand mĂÂȘme, plus large de minute en minute. Certes, aucune illusion ne lui restait, la vie Ă©tait dĂ©cidĂ©ment injuste et ignoble, comme la nature. Pourquoi donc cette dĂ©raison de l'aimer, de la vouloir, de compter, ainsi que l'enfant Ă qui l'on promet un plaisir toujours diffĂ©rĂ©, sur le but lointain et inconnu vers lequel, sans fin, elle nous conduit ? Puis, lorsqu'elle tourna dans la rue de la ChaussĂ©e-d'Antin, elle ne raisonna mĂÂȘme plus ; la philosophe, en elle, la savante et la lettrĂ©e, abdiquait, fatiguĂ©e de l'inutile recherche des causes ; elle n'Ă©tait plus qu'une crĂ©ature heureuse du beau ciel et de l'air doux, goĂ»tant l'unique jouissance de se bien porter, d'entendre ses petits pieds fermes battre le trottoir. Ah ! la joie d'ĂÂȘtre, est-ce qu'au fond il en existe une autre ? La vie telle qu'elle est, dans sa force, si abominable qu'elle soit, avec son Ă©ternel espoir ! RentrĂ©e dans son appartement de la rue Saint-Lazare, qu'elle quittait le lendemain, Mme Caroline acheva ses malles ; et, comme elle faisait le tour de la salle des Ă©pures, vide dĂ©jĂ , elle aperçut, sur les murs, les plans et les aquarelles, qu'elle s'Ă©tait promis de ficeler en un rouleau unique, au dernier moment. Mais une songerie l'arrĂÂȘta, Ă chaque feuille de papier, avant d'arracher les quatre pointes, aux quatre angles. Elle revivait ses journĂ©es lointaines d'Orient, de ce pays tant aimĂ©, dont elle semblait avoir gardĂ© en elle l'Ă©clatante lumiĂšre ; elle revivait les cinq annĂ©es qu'elle venait de passer Ă Paris, cette crise de chaque jour, cette activitĂ© folle, le monstrueux ouragan de millions qui avait traversĂ© sa vie, en la saccageant ; et, de ces ruines chaudes encore, elle sentait dĂ©jĂ germer, s'Ă©panouir au soleil toute une floraison. Si la Banque nationale turque s'Ă©tait effondrĂ©e Ă la suite de l'Universelle, la Compagnie gĂ©nĂ©rale des Paquebots rĂ©unis restait debout et prospĂšre. Elle revoyait la cĂÂŽte enchantĂ©e de Beyrouth, oĂÂč s'Ă©levaient, au milieu d'immenses magasins, les bĂÂątiments de l'administration, dont elle Ă©tait en train d'Ă©pousseter le plan Marseille mise aux portes de l'Asie Mineure, la MĂ©diterranĂ©e conquise, les nations rapprochĂ©es, pacifiĂ©es peut-ĂÂȘtre. Et cette gorge du Carmel, cette aquarelle qu'elle dĂ©clouait, ne savait-elle pas, par une lettre rĂ©cente, que tout un peuple y avait poussĂ© ? Le village de cinq cents habitants, nĂ© d'abord autour de la mine en exploitation, Ă©tait Ă prĂ©sent une ville, plusieurs milliers d'ĂÂąmes, toute une civilisation, des routes, des usines, des Ă©coles, fĂ©condant ce coin mort et sauvage. Puis, c'Ă©taient les tracĂ©s, les nivellements et les profils, pour la ligne ferrĂ©e de Brousse Ă Beyrouth par Angora et Alep, une sĂ©rie de grandes feuilles, qu'une Ă une elle roulait sans doute, il s'Ă©coulerait des annĂ©es, avant que les cols du Taurus fussent traversĂ©s Ă toute vapeur ; mais dĂ©jĂ la vie affluait de partout, le sol de l'antique berceau venait d'ĂÂȘtre ensemencĂ© d'une nouvelle moisson d'hommes, le progrĂšs de demain y grandirait, avec une vigueur de vĂ©gĂ©tation extraordinaire, dans ce merveilleux climat, sous les grands soleils. N'y avait-il pas lĂ le rĂ©veil d'un monde, l'humanitĂ© Ă©largie et plus heureuse ? Maintenant, Mme Caroline, Ă l'aide d'une forte ficelle nouait le paquet des plans. Son frĂšre, qui l'attendait Ă Rome, oĂÂč tous deux allaient recommencer une existence, lui avait bien recommandĂ© de les emballer avec soin ; et, comme elle serrait les noeuds, l'idĂ©e lui vint de Saccard, qu'elle savait en Hollande, lancĂ© de nouveau dans une affaire colossale, le dessĂšche
Lebien-ĂȘtre animal influence aussi la production ; un porc soumis Ă un stress grossit moins vite quâun paisible congĂ©nĂšre. Des vendeurs de brosses vantent mĂȘme les 3% de lait supplĂ©mentaires produit par des vaches qui se grattent rĂ©guliĂšrement. « Pour quâun animal produise bien, il faut quâil soit bien. Câest le coeur du mĂ©tier dâĂ©leveur. On rĂ©flĂ©chit en
3 Le nouveau systĂšme d'exploitation de Microsoft a fuitĂ© sur Internet, confirmant la venue d'un Windows 11. Nous avons pu installer cette prĂ©version. Voici un aperçu de l'interface et de quelques fonctionnalitĂ©s. Le build de Windows 11 quelques jours des annonces officielles Microsoft, Windows fait de plus en plus parler de lui. Normalement pensĂ©e comme une mise Ă jour de Windows 10, la firme de Redmond a finalement semĂ© quelques indices qui laissent deviner un passage Ă une version 11 de l' hier 15 juin 2021, c'est tout bonnement un fichier ISO offrant d'installer une prĂ©version de Windows 11 qui circule sur Internet. Nous l'avons mis en route afin d'en tester quelques fonctionnalitĂ©s. Notez cependant qu'il ne s'agit pas d'une version dĂ©finitive et quelques Ă©lĂ©ments pourraient avoir Ă©voluĂ© entretemps. VoilĂ en tout cas quelques images de ce que peut proposer le nouveau section Ă propos affiche un Windows 11 Pro prĂ©vu, la barre des tĂąches a bien changĂ© et ses icĂŽnes sont dĂ©sormais centrĂ©es. On retrouve lĂ une disposition et une simplification apportĂ©es par Windows 10X avant que l'OS ne soit mis Ă l'Ă©cart. Il est toutefois toujours possible de positionner la barre des tĂąches Ă gauche. La nouvelle barre des tĂąches nous avions pu l'observer Ă travers les images des programmes Insiders, les fenĂȘtres sont plus arrondies et l'Explorateur de fichiers profite de nouvelles icĂŽnes de l' laissant le pointeur sur Agrandir en haut Ă droite d'une fenĂȘtre, on dĂ©couvre un nouveau menu pour choisir la disposition des fenĂȘtres sur le Bureau. Le classique Ă©cran partagĂ© gauche-droite est maintenant agrĂ©mentĂ© d'autres possibilitĂ©s Ă trois, voire quatre fenĂȘtres, une fonctionnalitĂ© qui devrait s'avĂ©rer trĂšs pratique. Les dispositions de fenĂȘtres disponibles en cliquant sur menu DĂ©marrer a Ă©galement Ă©tĂ© simplifiĂ©, affichant uniquement les applications Ă©pinglĂ©es, celles recommandĂ©es et le bouton Marche/ menu DĂ©marrer a Ă©tĂ© widgets font aussi leur retour, mais ne peuvent ĂȘtre utilisĂ©s pleinement sur cette prĂ©version. On devrait pouvoir Ă terme les positionner n'importe oĂč sur le nouveaux thĂšmes font leur apparition et le mode sombre a Ă©tĂ© revisitĂ©. Il apporte une certaine touche d'Ă©lĂ©gance Ă l' nouveaux mode sombre Ă©lĂ©ments ont en revanche trĂšs peu changĂ©, Ă l'instar du panneau de configuration ou le gestionnaire des gestionnaire des couleurs changent sur le panneau de 11 apparaĂźt finalement comme une Ă©volution esthĂ©tique plus qu'une transformation en profondeur, mais c'est ce que Microsoft avait annoncĂ© en Ă©voquant le projet Sun Valley. Nous en saurons plus le 24 juin puisque le groupe dĂ©voilera officiellement ses nouveautĂ©s au cours d'un Ă©vĂ©nement que nous ne manquerons pas de suivre sur notre site, mais aussi en direct sur Twitch. Nous espĂ©rons que Microsoft nous rĂ©serve quelques surprises par rapport Ă cette prĂ©versionâŠ
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Motde la fin. Le démarrage à froid avec l'éthanol est un problÚme majeur souvent rencontré. Une astuce constatée sur Opel Vectra C 2.2 direct essence consiste à faire un premier démarrage de 2 secondes, couper complÚtement le contact 10 secondes environ, puis redémarrer. Cela permet de réduire le temps de fonctionnement du
Les voitures Ă©lectriques nâaiment pas lâhiver. Vous avez peut-ĂȘtre dĂ©jĂ entendu cette phrase, et bien quâelle soit vraie, en pratique ce nâest pas si simple que cela. Nous allons dĂ©tailler dans ce dossier l'impact des tempĂ©ratures froides et des climats plus rudes sur les batteries et la consommation des vĂ©hicules Ă©lectriques, et comment les minimiser. Source Mercedes Les tempĂ©ratures froides arrivent, et pour ceux qui vont vivre leur premier hiver en voiture Ă©lectrique, quelques mauvaises surprises peuvent arriver. Si vous souhaitez vous prĂ©venir de quelques dĂ©convenues, ou tout simplement savoir Ă quoi vous attendre, ce dossier est fait pour vous. De lâoptimisation du chauffage au freinage rĂ©gĂ©nĂ©ratif limitĂ© en passant par les bonnes pratiques pour la charge rapide, voyons ensemble ce que lâhiver nous rĂ©serve ! Une consommation qui peut sâenvoler par temps froid La situation vous est peut-ĂȘtre familiĂšre vous partez au petit matin pour votre trajet habituel oĂč vous consommez autour de 10 % de batterie, mais aujourdâhui, vous remarquez que la consommation a doublĂ©, et vous ĂȘtes amputĂ©s de 20 % de batterie Ă lâarrivĂ©e. Pas de panique, votre vĂ©hicule nâa aucun problĂšme il est normal de constater une augmentation de la consommation lorsque les tempĂ©ratures chutent. Entre batterie froide et habitacle Ă monter en tempĂ©rature rapidement, ces consommations annexes qui nâexistent pas durant les beaux jours font leur apparition avec la baisse de la tempĂ©rature extĂ©rieure. De maniĂšre gĂ©nĂ©rale, si vous prĂ©voyez de grands trajets en hiver avec des conditions climatiques difficiles, vous pouvez vous attendre Ă consommer jusquâĂ 30 % de plus que lorsque les conditions sont idĂ©ales. Nâayez crainte toutefois il existe des solutions pour limiter les consĂ©quences liĂ©es Ă lâhiver, qui sont assez simples Ă mettre en place pour allier confort et consommation raisonnable. Selon les vĂ©hicules, lâapplication mobile vous permettra, sans devoir vous rendre physiquement dans la voiture ,de planifier la recharge et le chauffage par exemple. Lâavantage ĂȘtre certain dâavoir les conditions parfaites avant chaque dĂ©part. Le pilotage du chauffage depuis lâapplication Tesla // Source Bob Jouy pour Frandroid Le principal responsable de lâaugmentation consĂ©quente de la consommation est le chauffage de lâhabitacle sâil est trĂšs froid. En effet, la voiture va gĂ©nĂ©ralement avoir pour consigne de rapidement chauffer lâintĂ©rieur. Pour ce faire, le systĂšme de ventilation va tourner Ă plein rĂ©gime. Selon les vĂ©hicules, cela peut atteindre une consommation instantanĂ©e de 6 kW, ce qui Ă©quivaut Ă 3 kWh consommĂ©s en 30 minutes dans des cas extrĂȘmes. Contextualisons cette consommation dans un cas de circulation urbaine si, pour un trajet de 15 kilomĂštres dâune durĂ©e de 30 minutes, la consommation sans chauffage Ă©tait de 150 Wh/km, avec un chauffage poussĂ© Ă fond, elle pourrait atteindre 350 Wh/km, soit plus du double ! Fort heureusement, cette explosion est surtout marquĂ©e au dĂ©but dâun trajet, et son effet se lissera lorsque le trajet sâallongera. Dans tous les cas, lâutilisation des siĂšges et volant chauffants â sâils sont disponibles dans votre vĂ©hicule â sera bien plus efficient. Cela peut vous permettre dâĂ©conomiser quelques pourcents de batterie en cas de besoin. La batterie froide et ses consĂ©quences Une batterie de voiture Ă©lectrique dispose dâune tempĂ©rature optimale de fonctionnement. Dans lâimmense majoritĂ© des cas, elle se situe entre 20 et 40 degrĂ©s Celsius. Compte tenu du fait que lâon parle de plusieurs centaines de kilos, lâĂ©nergie nĂ©cessaire pour que la tempĂ©rature augmente significativement va ĂȘtre consĂ©quente, et cela ne pourra pas se faire en un claquement de doigts. La recharge en mode dĂ©gradĂ© Pendant la pĂ©riode oĂč la batterie est trop froide pour fonctionner de maniĂšre nominale, le vĂ©hicule va tout faire pour prĂ©server la batterie, et cela aura des consĂ©quences sur la conduite et la recharge. Dans certains cas extrĂȘmes, il arrive mĂȘme que la voiture ne puisse pas se recharger du tout, tant que la batterie nâa pas suffisamment chauffĂ©. La prise de recharge de la Renault ZoĂ© // Source Jean-Brice Lemal pour Renault France Prenons le cas de Tesla en guise dâexemple. Si la batterie est Ă une tempĂ©rature trop faible pour charger rapidement â en la branchant Ă une prise domestique de 3 kWâ, lâintĂ©gralitĂ© de lâĂ©nergie pourra ĂȘtre dĂ©pensĂ©e pour faire tourner le ou les moteurs. Le systĂšme va alors chauffer la batterie, plutĂŽt que la recharger. Cela peut avoir des consĂ©quences inattendues une charge peut durer plusieurs heures de plus que ce Ă quoi on sâattendait, le temps que la batterie soit Ă tempĂ©rature correcte. Le freinage rĂ©gĂ©nĂ©ratif limitĂ© De la mĂȘme maniĂšre que la recharge, le freinage rĂ©gĂ©nĂ©ratif sera fortement impactĂ© par une batterie trop froide. Ce point est assez logique, car cela revient en fait Ă recharger la batterie, en utilisant lâĂ©nergie fabriquĂ©e par les moteurs qui deviennent des gĂ©nĂ©rateurs. Ainsi, avec une batterie qui ne peut accepter autant de puissance en entrĂ©e comparĂ©e Ă dâhabitude, vous aurez affaire Ă un freinage rĂ©gĂ©nĂ©ratif limitĂ©, qui peut mĂȘme sâavĂ©rer inexistant dans les cas les plus extrĂȘmes. Si vous aviez pris lâhabitude de la conduite Ă une pĂ©dale, il sera nĂ©cessaire dâappuyer bien plus frĂ©quemment sur la pĂ©dale de frein, le temps que la tempĂ©rature du pack remonte. Puissance limitĂ©e La puissance maximale disponible en sortie de batterie est impactĂ©e par la tempĂ©rature du pack. Il ne faut donc pas vous attendre Ă battre des records dâaccĂ©lĂ©ration si votre vĂ©hicule est restĂ© toute une nuit dans le froid. Selon les modĂšles, la limitation de puissance peut ĂȘtre plus ou moins importante, mais dans la majoritĂ© des cas, mettre le pied au plancher ne vous plaquera pas la tĂȘte au siĂšge autant que dâordinaire. Charge rapide dĂ©gradĂ©e Enfin, il existe un phĂ©nomĂšne particulier qui affecte certaines voitures Ă©lectriques qui nâarrivent pas Ă maintenir leur batterie assez chaude si la tempĂ©rature extĂ©rieure est trop froide, mĂȘme aprĂšs plusieurs heures de roulage la charge rapide sera dĂ©gradĂ©e, parfois de maniĂšre spectaculaire. Le Hyundai Kona electric Ă une borne Ionity // Source Yann Lethuillier pour Frandroid Avec des vĂ©hicules qui se ventent de charger Ă une puissance dĂ©passant les 200 kW, se brancher sur un chargeur rapide dans le froid de lâhiver peut se transformer en une expĂ©rience situĂ©e aux antipodes des promesses du constructeur. Les bonnes pratiques pour lâhiver Comme vous lâaurez compris maintenant, la consommation risque de sâenvoler, le freinage rĂ©gĂ©nĂ©ratif sera limitĂ©, et la puissance de charge ne sera pas optimale. Mais est-ce pour autant une fatalitĂ© ? Que peut-on faire pour limiter ces dĂ©convenues ? La majoritĂ© des vĂ©hicules Ă©lectriques vous permet de prĂ©conditionner lâhabitacle, et dans certains cas la batterie, vous assurant ainsi de bĂ©nĂ©ficier dâun fonctionnement nominal mĂȘme par temps glacial. En pratique, vous dĂ©finissez une heure de dĂ©part et le chauffage dĂ©marrera quelques minutes avant, pour que vous nâayez pas Ă dĂ©penser lâĂ©nergie nĂ©cessaire Ă la mise en tempĂ©rature de la cabine. Source Frandroid Sur certaines voitures, ce prĂ©conditionnement nâest possible quâen Ă©tant branchĂ©, ce qui limite son utilitĂ© si vous ĂȘtes garĂ©s en extĂ©rieur sans possibilitĂ© de charge. Dans le cas oĂč vous ĂȘtes branchĂ©s Ă une borne de recharge, ce prĂ©conditionnement Ă©vite de ponctionner lâĂ©nergie de la batterie. LâĂ©nergie sera directement tirĂ©e du chargeur auquel vous ĂȘtes branchĂ©s. Enfin, pour Ă©viter les dĂ©convenues liĂ©es Ă la recharge dĂ©gradĂ©e, il est important de privilĂ©gier les recharges lorsque la batterie est chaude. Ainsi, lors dâun grand trajet de plusieurs jours avec une nuit de repos notamment, il sera intĂ©ressant de charger le soir de votre arrivĂ©e aprĂšs des heures de route et de mise en tempĂ©rature de la batterie. PlutĂŽt quâau petit matin oĂč la batterie aura eu toute la nuit pour refroidir. Si cette bonne pratique est valable dans nâimporte quelle condition mĂ©tĂ©orologique, lâimpact nĂ©gatif dâune batterie froide se fera sentir de maniĂšre bien plus importante avec les tempĂ©ratures de lâhiver. Si vous pensez Ă bien appliquer les petites astuces Ă©voquĂ©es dans ce dossier, tout se passera parfaitement bien. Dans tous les cas, ne vous Ă©tonnez pas de ne pas avoir la mĂȘme expĂ©rience en Ă©tĂ© quâen hiver en voiture Ă©lectrique, il nây a rien de plus normal. Pour nous suivre, nous vous invitons Ă tĂ©lĂ©charger notre application Android et iOS. Vous pourrez y lire nos articles, dossiers, et regarder nos derniĂšres vidĂ©os YouTube.
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