ModeDe Vie Des Artistes En Marge De La SociĂ©tĂ© - CodyCross La solution Ă ce puzzle est constituéÚ de 6 lettres et commence par la lettre B CodyCross Solution pour MODE DE VIE DES ARTISTES EN MARGE DE LA SOCIĂTĂ de mots flĂ©chĂ©s et mots croisĂ©s. DĂ©couvrez les bonnes rĂ©ponses, synonymes et autres types d'aide pour rĂ©soudre chaque puzzleFrench Arabic German English Spanish French Hebrew Italian Japanese Dutch Polish Portuguese Romanian Russian Swedish Turkish Ukrainian Chinese English Synonyms Arabic German English Spanish French Hebrew Italian Japanese Dutch Polish Portuguese Romanian Russian Swedish Turkish Ukrainian Chinese Ukrainian These examples may contain rude words based on your search. These examples may contain colloquial words based on your search. Avec sa danse minimaliste et sensible, oĂč la vie et la mort se mĂ©langent doucement, elle s'installe dĂ©finitivement en marge des artistes de la danse canadienne. Jocelyn Montpetit permanently established herself on the fringe of Canadian dance, with her minimalist and sensitive dance in which life and death appear to gently mix. Avec sa danse minimaliste et sensible, oĂč la vie et la mort se mĂ©langent doucement, elle s'installe dĂ©finitivement en marge des artistes de la danse canadienne. Jocelyn Montpetit permanently established herself on the fringe of Canadian dance, with her minimalist and sensitive dance in which life and death appear to gently mix. Other results Nous souhaitons amĂ©nager un espace qui puisse accueillir des formes lĂ©gĂšres de rencontres, d'expĂ©rimentations informelles, de propositions d'expĂ©riences collectives situĂ©es Ă la marge des projets des artistes ou dans leur prolongement. We hope to create a space that can welcome light and easy forms of meeting, informal experimentation, proposals for collective experiences related to or following on from artists' projects. Artiste pluridisciplinaire, Erik Dietman 1937-2002 s'est volontairement tenu en marge des mouvements artistiques de son Ă©poque avec lesquels il entretenait toutefois quelques affinitĂ©s. As a multidisciplinary artist, Erik Dietman 1937-2002 deliberately kept himself on the margins of the artistic movements of his time, despite having some affinities with them. L'art de l'artiste italien Giorgio Griffa s'est dĂ©veloppĂ© sans bruit, avec une remarquable cohĂ©rence, en marge des mouvements artistiques majeurs animant communĂ©ment les discussions. The art of the Italian artist Giorgio Griffa developed quietly and with impressive coherence outside the latest movements broadly outlined on the contemporary scene. Avez-vous une formation acadĂ©mique ou vous positionnez-vous en marge des codes artistiques et stylistiques actuels ? Do you have an academic background or do you position yourself amidst contemporary artistic codes and styles? Pour son prochain numĂ©ro, esse souhaite sonder le phĂ©nomĂšne de la rĂ©novation que certaines pratiques artistiques abordent, et qui est aussi vĂ©cu en marge des activitĂ©s artistiques par les artistes ou par les lieux de diffusion. It its next issue, esse wishes to explore the phenomenon of renovation, which is broached in various artistic practices and experienced on the fringe of artistic activities by both artists and arts venues. En 1997, il fonde une organisation artistique Ă but non lucratif, C6, qui tout en se moquant du monde de l'art deviendra une plateforme pour ceux travaillent Ă la marge des formes artistiques traditionnelles. In 1997, he founded a non-profit arts organization, C6, which while making fun of the art world will become a platform for those working on the margins of traditional art forms. Leurs oeuvres, en marge des courants artistiques, ne font rĂ©fĂ©rence qu'Ă l'imagination de leurs auteurs et Ă leur besoin de crĂ©ation. Their work, out of artistic movements, only refer to their imagination and their need of creation. Il prĂ©sente en marge des projets artistiques originaux, parfois dĂ©calĂ©s, dans la communication visuelle, la publicitĂ© et la crĂ©ation numĂ©rique. In parallel he presents other, often offbeat original artistic endeavours in visual communications, advertising and digital design. Masai, 2009 Home Durant cette pĂ©riode de transition qui affecte profondĂ©ment le pays, l'Angleterre reste en marge des grands courants artistiques du continent. During this period of transition that deeply affects the country, England remains on the margin of the major artistic tendencies of the continent. ActualitĂ©s Contact En marge des diffĂ©rentes performances artistiques de Visa For Music, chaque Ă©dition met aussi en avant diffĂ©rents ateliers et formations destinĂ©s aux jeunes impliquĂ©s dans le domaine culturel. News Contact Alongside the various artistic performances/showcases of Visa For Music, every edition also highlights various workshops and trainings for young people involved in the cultural field. Jamais en rupture, mais toujours en marge des courants artistiques dominants, le poĂšte crĂ©e un monde propre oĂč mĂ©moire intime et mĂ©moire collective s'entremĂȘlent et oĂč le dĂ©sir est synonyme d'utopie. Never at odds with the world, but always on the fringe of predominant artistic movements, the poet creates his own world where intimate and collective memory mingle and where desire rhymes with utopia. Ce vaste panorama fait revivre les combats d'artistes novateurs vivant dans un pays longtemps en marge des courants artistiques dominants mais qui, depuis la fin du XXe siĂšcle, a trouvĂ© sa place dans le dĂ©veloppement artistique europĂ©en. LES M SENSORIUM This vast panorama brings back to life the struggles of innovative artists living in a country that was for a long time situated on the margins of dominant artistic trends but which, since the end of the 20th century, has found its place in European artistic development. Les participants apprendront Ă appliquer les techniques d'enseignement de Margie auprĂšs des artistes de la danse, des non-danseurs, des enfants et des groupes communautaires en travaillant sur diffĂ©rents enjeux tels que la santĂ© Ă©motionnelle, la transformation de conflits* et les notions d'Ă©quitĂ© Participants will learn to apply Margie's teaching approaches to working with dance artists, self-identifying non-dancers, children, and community-based groups with particular focal points, such as emotional health, conflict transformation*, law, and concepts of fairness Bien qu'on situe souvent ces documents en marge de la pratique artistique des artistes, leur importance ne devrait pas ĂȘtre sous-estimĂ©e. Even though documents are often situated within the margins of the artists' practice, their importance should not be underestimated. StimulĂ© par les travaux d'artistes en marge des circuits culturels, Dubuffet a rĂ©ussi Ă s'affranchir des traditions et Ă rĂ©inventer l'art. Stimulated by the work of artists on the margins of the cultural scene, Dubuffet succeeded in liberating himself from traditions and in reinventing art. En Allemagne et en Hollande, des artistes en marge comme Gorter ou jouent un rĂŽle pionnier. In Germany and in Holland, non-conformist and dissident artists like H. Roland-Holst, Gorter and F. Jung played a pioneering role. Ă nouveau, rien de mieux qu'un exemple pour comprendre en quoi cela affecte votre marge d'artiste. Let's look at another example to see how this affects your margin. Est-ce que cela affectera ma marge d'artiste ? No results found for this meaning. Results 55563. Exact 2. Elapsed time 876 ms. Documents Corporate solutions Conjugation Synonyms Grammar Check Help & about Word index 1-300, 301-600, 601-900Expression index 1-400, 401-800, 801-1200Phrase index 1-400, 401-800, 801-1200 PassĂ©par les beaux-arts de Sidi Bel AbbĂšs en AlgĂ©rie, puis de Bourges et de Paris, le jeune peintre Bilal Hamdad fait jusqu'au 29 mai l'objet d'une exposition personnelle au Suquet des artistes Ă Cannes, lieu rĂ©servĂ© par la ville au soutien des artistes contemporains. Au fil des dizaines d'Ćuvres prĂ©sentĂ©es, rĂ©alisĂ©es entre 2014 et 2022, Zubair Irak AFP - Adnane Abdelrahmane exhibe tambours et percussions dont il a appris Ă jouer dĂšs l'Ăąge de 12 ans. Dans un Irak patchwork de communautĂ©s et d'ethnies, il fait partie de cette minoritĂ© noire pluri-centenaire, gardienne des traditions musicales, mais relĂ©guĂ©e en marge de la sociĂ©tĂ©. ImplantĂ©e dans la rĂ©gion de Zubair, prĂšs de Bassora dans l'extrĂȘme sud irakien, la communautĂ© tire ses origines d'Afrique de l'Est. Ici, comme dans tous les villages reculĂ©s d'Irak, s'affichent Ă chaque coin de rue pauvretĂ© et dĂ©liquescence des services publics, avec des routes poussiĂ©reuses bordĂ©es de maisons borgnes en suite aprĂšs la publicitĂ© Si des militants dĂ©noncent la marginalisation de la communautĂ©, parler Ă Zubair de racisme ou de discriminations froissent les habitants qui prĂ©fĂšrent en arabe l'euphĂ©misme de "peau foncĂ©e" Ă l'emploi du mot noir. A 56 ans, M. Abdelrahmane fait partie d'une de ces troupes de musique populaire ayant fait la cĂ©lĂ©britĂ© de Zubair dans tout le pays et jusqu'au KoweĂŻt frontalier, Ă une trentaine de kilomĂštres seulement. "A Zubair, on ne compte plus le nombre de troupes", dit Ă l'AFP le musicien, installĂ© sur un matelas au sol dans son salon. "C'est une profession dont on hĂ©rite. Si quelqu'un meurt, son fils prend sa place, pour que l'art ne disparaisse pas", explique-t-il, ajoutant que dans sa famille, son oncle chantait et son pĂšre jouait du tambour. Munis de darboukas, tambours et daf grand tambour en peau de chĂšvre, les musiciens animent notamment les mariages en menant la "zaffa", procession consistant Ă cĂ©lĂ©brer les mariĂ©s, en dansant et chantant. M. Abdelrahman, qui se produit depuis quatre ans au sein d'une "Association du patrimoine", parrainĂ©e par le ministĂšre de la Culture, reconnait que "la majoritĂ©" des artistes sont noirs mais assure ne pas ressentir de racisme. - "Discrimination positive" -La suite aprĂšs la publicitĂ© Des militants tiennent cependant un tout autre discours. "Ceux qui ont la peau foncĂ©e sont des citoyens de cinquiĂšme classe, mĂȘme pas de seconde classe", dĂ©plore Majed al-Khalidy, employĂ© dans une compagnie pĂ©troliĂšre de Bassora. Le trentenaire rĂ©clame des opportunitĂ©s d'emplois et logements dignes et dĂ©nonce la dĂ©scolarisation qui fait des ravages. Il fustige aussi des abus de langage, rĂ©pandus mĂȘme chez les clercs religieux, le terme "esclave" en arabe Ă©tant encore utilisĂ© pour dĂ©signer un noir. Historiquement la minoritĂ© noire -entre et deux millions d'Ăąmes, selon des estimations informelles- a des ancĂȘtres venus du Kenya, d'Ethiopie ou encore du Soudan, indique Ă l'AFP l'historien Ibrahim suite aprĂšs la publicitĂ© C'est dans la rĂ©gion de Bassora qu'arrivaient des esclaves pour rĂ©aliser "le travail Ă©reintant d'assĂšchement des marais salants". "Dans les Ă©crits historiques, la premiĂšre mention de la communautĂ© remonte Ă 869 quand ils se sont rĂ©voltĂ©s", ajoute l'expert, en rĂ©fĂ©rence Ă la "rĂ©bellion des Zanj". Ce soulĂšvement contre la dynastie arabe des Abassides a permis aux anciens esclaves d'Ă©tablir pendant une quinzaine d'annĂ©es leur propre citĂ©, avant d'ĂȘtre dĂ©faits. Aujourd'hui, Majed al-Khalidy croit en la "discrimination positive" dans le pays multiconfessionnel et multi-ethnique, et rĂ©clame l'inclusion de sa communautĂ© au systĂšme actuel des quotas permettant Ă certaines minoritĂ©s, chrĂ©tiens ou yazidis par exemple, d'Ă©lire un reprĂ©sentant au Parlement. "Pour rĂ©clamer ses droits, il faut ĂȘtre proche des dĂ©cideurs", justifie M. Khalidy. Car mĂȘme s'il est antisystĂšme, il reste rĂ©aliste dans un Irak oĂč un tiers de la population de 41 millions vit dans la pauvretĂ© et est dirigĂ©e par des partis clientĂ©listes, dont les dĂ©putĂ©s peuvent garantir des emplois suite aprĂšs la publicitĂ© - "Long chemin" - Illustration d'un timide changement? La premiĂšre chaĂźne d'information Ă©tatique compte depuis plus d'un an parmi ses prĂ©sentatrices une jeune femme noire, Randa Abdel Aziz, qui dĂ©sormais dĂ©cline les interviews pour Ă©chapper au feu des projecteurs aprĂšs avoir fait le buzz. Sur son site Internet, l'ONG internationale Minority Rights Group MRG Ă©voque "des taux disproportionnellement Ă©levĂ©s d'analphabĂ©tisme et de chĂŽmage" dans une communautĂ© largement confinĂ©e aux emplois d'ouvriers et de travailleurs domestiques. "La discrimination se constate Ă tous les niveaux", reconnaĂźt Saad Salloum, expert des questions de diversitĂ© religieuse et ethnique en suite aprĂšs la publicitĂ© "Politiquement ils n'ont pas de reprĂ©sentation. Socialement certains stĂ©rĂ©otypes restent enracinĂ©s dans la culture dominante. Economiquement la majoritĂ© vit sous le seuil de pauvretĂ©", rĂ©sume l'expert. En 2013, Jalal Thiyab, fondateur de la premiĂšre association de dĂ©fense des droits de la minoritĂ©, avait Ă©tĂ© assassinĂ©, peu aprĂšs des Ă©lections locales Ă Bassora. "Il reste un long chemin Ă parcourir afin de parvenir Ă l'Ă©galitĂ© pour cette minoritĂ© et toutes les autres", estime M. Salloum. ModeDe Vie Des Artistes En Marge De La SociĂ©tĂ©; Dans Ses Romans Il A RecherchĂ© Le Temps Perdu ; DĂ©prĂ©cier Quelqu'un Jusqu'Ă Le Rendre MĂ©prisable; Train Qui Fait Paris-Bruxelles; Petit Croissant Sur L'ongle; Violent Retour Des Vagues Qui Ont FrappĂ© La CĂŽte; Mafieux Japonais; Similaires. Artistes Indien Marchent Sur Des Braises 6 Lettres;
Marcel Duchamp Ă©voque son rapport Ă l'art et Ă la vie. Loin du sĂ©rieux des musĂ©es et des galeries d'art contemporain, il exprime un esprit ludique. Marcel Duchamp demeure une figure incontournable des avant-gardes artistiques. Une sĂ©rie dâentretiens avec Pierre Cabanne, publiĂ©s en 1967, sont rééditĂ©s. Lâartiste, ĂągĂ© de 79 ans, revient sur son refus du petit bonheur conformeLa principale Ćuvre dâart de Marcel Duchamp, câest surtout sa vie. Ses crĂ©ations lui ont surtout permis un refus du travail. Je considĂšre que travailler pour vivre est un peu imbĂ©cile au point de vue Ă©conomique. JâespĂšre quâun jour on arrivera Ă vivre sans ĂȘtre obligĂ© de travailler », affirme Marcel Duchamp. Il a refusĂ© le petit mode de vie bourgeois avec ses contraintes et son confort superficiel, de ce que lâon appelle une femme, des enfants, une maison de campagne, une automobile ».Marcel Duchamp nĂ© en 1887, dans la bonne bourgeoisie normande. En 1905, il devient ouvrier dâart et imprime des gravures pour ĂȘtre dispensĂ© de deux ans de service militaire. Sa candidature Ă lâĂcole des beaux-arts est refusĂ©e. Absolument, et jâen suis fier maintenant », commente Marcel Duchamp. Mais, Ă lâĂ©poque, il apparaĂźt comme un jeune bourgeois conformiste qui ne fuit pas encore le petit milieu artistique mais aspire au contraire Ă sây intĂ©grer. Il dĂ©couvre le fauvisme et le cubisme. Il frĂ©quente Montmartre, lâĂ©picentre de la vie artistique. Guillaume Apollinaire et Picasso frĂ©quentent ce quartier qui abrite surtout une bohĂȘme artistique en marge de la routine du quotidien et sans soucis du lendemain. On fait de la peinture parce quâon veut soi-disant ĂȘtre libre. On ne veut pas aller au bureau tous les matins », prĂ©cise Marcel Duchamp. En 1909, il expose, pour la premiĂšre fois, deux toiles au Salon des indĂ©pendants. La curiositĂ© guide ce bouillonnement câest surtout la rencontre avec Francis Picabia qui Ă©loigne Marcel Duchamp du milieu des peintres professionnels. Loin de tout conformisme, Picabia vit dans lâexcĂšs de lâalcool et de lâopium. Lâexistence dâun artiste consiste Ă vivre intensĂ©ment. Marcel Duchamp refuse le petit bonheur conforme avec femme et enfants pour embrasser pleinement la vie dâartiste. Il refuse de sâenferme dans le cadre du couple et du mariage, avec la routine qui va avec. Il y avait une question de budget qui intervenait, et un raisonnement trĂšs logique il fallait choisir entre faire de la peinture ou autre chose. Ătre lâhomme de lâart, ou se marier, avoir des enfants, une maison de campagne⊠», dĂ©crit Marcel artiste novateur et dilettanteLe Nu descendant un escalier apparaĂźt comme une provocation Ă©rotique pour le petit milieu artistique. Entre 1912 et 1913, ses peintures dont les titres Ă©voquent lâĂ©rotisme se multiplient, Ă lâimage de La MariĂ©e mise Ă nu par les cĂ©libataires. Les titres de ses Ćuvres rĂ©vĂšlent des jeux de langage, souvent humoristiques. Lâartiste utilise des objets et de nouveaux matĂ©riaux, comme le verre. Marcel Duchamp invente le ready made qui permet de construire une Ćuvre dâart Ă partir dâobjet. Si les conservateurs et autres historiens insistent sur la dimension conceptuelle, Marcel Duchamp Ă©voque plutĂŽt une inspiration ludique. Le hasard doit permettre de sortir du conditionnement et de la routine esthĂ©tique. Le choix des ready-made est toujours basĂ© sur lâindiffĂ©rence visuelle en mĂȘme temps que sur lâabsence totale de bon ou de mauvais goĂ»t », prĂ©cise Marcel Duchamp. La crĂ©ation peut alors sortir de lâĂ©touffoir de lâ Duchamp part vivre Ă New York. Il est dĂ©jĂ connu comme lâauteur du Nu descendant un escalier. Il frĂ©quente des peintres et des poĂštes, mais pas Arthur Cravan. Marcel Duchamp recherche moins la reconnaissance que la provocation et le scandale Ă travers ses Ćuvres. Il dĂ©couvre le mouvement Dada qui se rapproche de cette dĂ©marche. Son ami Picabia dĂ©veloppe ce mouvement aux Ătats-Unis, de maniĂšre plutĂŽt agressive et anti-art. Il sâagissait surtout de remettre en question le comportement de lâartiste tel que lâenvisageaient les gens. LâabsurditĂ© de la technique, des choses traditionnelles », dĂ©crit Marcel Duchamp. Dada se diffuse aux Ătats-Unis Ă travers des bulletins comme TNT revue explosive. Des textes permettent de faire connaĂźtre la fameuse Ćuvres de Marcel Duchamp coĂ»tent aujourdâhui chacune une vĂ©ritable fortune. A lâĂ©poque, elles se vendent dĂ©jĂ Ă plusieurs milliers de dollars. Pourtant, il nâen touche pas un centime. Il peut donner une Ćuvre pour payer le loyer, mais il ne crĂ©e pas dans une logique financiĂšre et professionnelle. Il donne quelques cours de français et vend ses anciennes Ćuvres pour toucher un petit revenu. Mais il sâaccommode dâune vie de bohĂȘme et de misĂšre. Vivre avec peu dâargent ne lâempĂȘche pas dâĂȘtre immergĂ© dans le bouillonnement culturel de New York. Mais, en 1918, le patriotisme triomphe avec lâentrĂ©e en guerre des Ătats-Unis. Lâartiste rejoint alors lâArgentine pour Ă©chapper Ă ce climat Duchamp retourne Ă Paris en 1919. Il retrouve Picabia et la bande des dadaĂŻstes français. La Joconde crĂ©e un nouveau scandale. Marcel Duchamp rajoute une moustache et une barbiche au tableau de LĂ©onard de Vinci pour le dĂ©sacraliser. Il rajoute les lettres Ă lire phonĂ©tiquement. Il crĂ©e Ă©galement un personnage auquel il identifie, pour changer de sexe Rrose SĂ©lavy. DĂšs 1922, AndrĂ© Breton Ă©crit un article sur Marcel Duchamp dans la revue LittĂ©rature. Les surrĂ©alistes contribuent Ă faire de sa dĂ©marche la figure originelle des avant-gardes Duchamp prĂ©sente sa conception originale de lâart. Pour lui, une Ćuvre doit choquer. La rĂ©ception du public semble aussi importante que lâacte de crĂ©ation. Marcel Duchamp ne frĂ©quente pas les musĂ©es et rejette les modes passagĂšres. Pourtant, il accepte que ses Ćuvres soient exposĂ©es dans des musĂ©es. Jâai acceptĂ© parce quâil y a des choses pratiques dans la vie quâon ne peut pas empĂȘcher. Je nâallais pas refuser. Jâaurais pu les dĂ©chirer ou les casser, cela aurait Ă©tĂ© aussi un geste idiot », se justifie lâ vie comme Ćuvre dâartMarcel Duchamp rejette les valeurs bourgeoises, la culture et lâhistoire de lâart dans laquelle il refuse de se plonger sĂ©rieusement. Jâaurais voulu travailler, mais il y avait en moi un fond de paresse Ă©norme. Jâaime mieux vivre, respirer, que travailler », prĂ©cise Marcel Duchamp. Il se moque Ă©galement du modĂšle de la rĂ©ussite sociale et de la reconnaissance artistique. PlutĂŽt que de se rĂ©fĂ©rer Ă lâutilitĂ© du travail, il prĂ©fĂšre se laisser bercer par les plaisirs de la vie. Je ne considĂšre pas que le travail que jâai fait puisse avoir une importance quelconque au point de vue social dans lâavenir. Donc, si vous voulez, mon art serait de vivre », exprime Marcel ne reste mariĂ© que 6 mois. Il refuse de sâenfermer dans le carcan de la famille, avec une femme et des enfants, et rentrer dans un mode de vie plus conformiste. La famille qui vous force Ă abandonner vos idĂ©es rĂ©elles pour les tronquer contre des choses acceptĂ©es par elle, la sociĂ©tĂ© et tout le bataclan ! », estime Marcel Duchamp. Il insiste Ă©galement sur la dimension Ă©rotique de son Ćuvre, contre la religion et les rĂšgles Duchamp permet de sortir lâart de la banale peinture Ă lâhuile pour orner les murs dâun salon bourgeois. Lâartiste utilise surtout des objets. Lâart prend davantage la forme dâun signe, si vous voulez ; il nâest plus ravalĂ© au niveau de la dĂ©coration ; câest ce sentiment qui a dirigĂ© ma vie », prĂ©cise Marcel prĂ©faces des diverses Ă©ditions de ses entretiens rĂ©alisĂ©s en avril 1966 Ă©voquent lâimportance de Marcel Duchamp, au-delĂ des diverses interprĂ©tations et commentaires des historiens de lâart. A travers ses actes de crĂ©ateur Marcel Duchamp nâa pas voulu imposĂ© un langage rĂ©volutionnaire nouveau, mais proposer une attitude de lâesprit ; câest pourquoi ces entretiens constituent une Ă©tonnante leçon de morale », observe Pierre Cabanne. Issu de la petite bourgeoisie, lâartiste se libĂšre progressivement de sa famille, de son milieu, de son Ă©poque, de lâart de son temps avec ses normes et ses moyens traditionnels. Sa principale Ćuvre dâart demeure sa vie, puisquâil a tentĂ© dâĂ©chapper au travail et aux contraintes sociales. Sa non-activitĂ© semble ludique et il conçoit lâart comme un jeu et une pratique une deuxiĂšme prĂ©face, datĂ©e de 1976, Pierre Cabanne Ă©voque la rĂ©ception de ses entretiens. Les propos de Marcel Duchamp ont scandalisĂ© le petit milieu mĂ©diatique et artistique. Lâartiste dĂ©clare vivre comme un garçon de cafĂ© » et semble dĂ©tachĂ© et indiffĂ©rent par rapport Ă son propre mythe. Loin du peintre hautain et avide de reconnaissance, il insiste sur son rapport ludique Ă lâart et Ă la vie. Les journalistes et historiens dâart prĂ©fĂšrent un Duchamp momifiĂ© et aseptisĂ© pour se contenter de commenter ses Ćuvres de maniĂšre pĂ©dante et dâune dĂ©marche ludiqueLa dĂ©marche de Marcel Duchamp se rapproche de celle de John Cage. Cet artiste rĂ©invente lâexpĂ©rimentation musicale. Moira Roth le rencontre entre 1971 et 1973 pour sa thĂšse en histoire de lâart intitulĂ©e Marcel Duchamp et lâAmĂ©rique, 1914-1973 ». Elle est accompagnĂ©e par William Roth, son mari, sociologue et cinĂ©aste pour rĂ©aliser un Cage, comme Marcel Duchamp, accorde une grande importance au hasard dans la crĂ©ation. Il propose des opĂ©rations Cage confirme le dĂ©tachement de Marcel Duchamp Ă lâĂ©gard de lâargent et du travail. Lâartiste refuse de vendre ses Ćuvres, Ă une Ă©poque au cours de laquelle se dĂ©veloppe un marchĂ© de lâart trĂšs lucratif. Pour vivre, il se contente de petits boulots. Il considĂ©rait lâattitude bourgeoise qui consiste Ă avoir un travail et Ă gagner de lâargent et ainsi de suite comme une perte de temps », confirme John Cage et Marcel Duchamp semblent Ă©galement indiffĂ©rents Ă la critique ou Ă la reconnaissance de leurs Ćuvres par le public ou les spĂ©cialistes. Je pense que la sociĂ©tĂ© est lâun des plus grands obstacles quâun artiste puisse rencontrer », estime John Cage. Il dĂ©nonce Ă©galement le public, comme un groupe de consommateurs de spectacles. La sĂ©paration et la hiĂ©rarchie entre lâartiste et le public doit ĂȘtre brisĂ©e. Je suis ici pour brouiller les distinctions entre lâart et la vie - comme je pense que Duchamp lâĂ©tait aussi - et entre lâenseignant et lâĂ©lĂšve, et entre lâinterprĂšte et la public, etc. », prĂ©cise John rapport ludique et humoristique Ă la vie semble Ă©galement relier les deux artistes. Cette dĂ©marche influence notamment Fluxus. Il prenait le fait de sâamuser trĂšs au sĂ©rieux. Et lâatmosphĂšre autour de lui Ă©tait toujours au divertissement », tĂ©moigne John Cage. La vie sâapparente Ă un jeu, tournĂ© vers le plaisir. Il Ă©tait parfaitement prĂȘt Ă ce que la vie nâait pas dâautre sens que de sâamuser », souligne John Cage. Marcel Duchamp dĂ©veloppe des idĂ©es libertaires. Il sâoppose Ă la politique, mais surtout Ă sa dĂ©rive professionnelle Ă travers la dĂ©mocratie reprĂ©sentative. Il dĂ©nonce la pollution et les consĂ©quences du capitalisme. Il aspire surtout Ă rendre la vie joyeuse et jouissive. Et il Ă©tait pour le sexe et lâhumour. Et il Ă©tait opposĂ© Ă la propriĂ©tĂ© privĂ©e », prĂ©cise John sociĂ©tĂ© bourgeoise cĂ©lĂšbre aujourdâhui Marcel Duchamp. Une exposition sâorganise au Centre Pompidou Ă partir du 24 septembre 2014. Comme pour Guy Debord, la rĂ©cupĂ©ration et la musĂ©ification permettent de dĂ©samorcer la charge subversive dâune dĂ©marche qui attaque les normes dominantes. Marcel Duchamp nâest pas un rĂ©volutionnaire. Il nâĂ©voque jamais les luttes sociales et semble se dĂ©sintĂ©resser du mouvement ouvrier. Il devient facile de le cantonner Ă la sphĂšre artistique. Mais Marcel Duchamp exprime surtout un Ă©tat dâesprit de rĂ©volte joyeuse, dâindividualisme hĂ©doniste et de provocation ludique. Il mĂ©prise les normes de la sociĂ©tĂ© marchande comme lâargent et le travail. Il refuse de se fondre dans le moule du petit bonheur conforme et de la rĂ©ussite sociale. Avoir de lâargent et faire carriĂšre semble moins important que jouir de la vie. Mais cette dĂ©marche peut devenir inoffensive lorsquâelle se rĂ©duit Ă choisir un banal mode de vie qui se complaĂźt dans la marginalitĂ©. Seule une transformation de la sociĂ©tĂ© peut permettre Ă chacun de vivre Articles liĂ©s Pour aller plus loin VidĂ©o Viva Dada, documentaire diffusĂ© sur Arte le 14 fĂ©vrier 2016Revue de presse sur le livre de Marcel Duchamp sur le site des Ă©ditions AlliaRevue de presse sur le livre de John Cage sur le site des Ă©ditions Allia
Cesentiment, en marge des modes et des courants artistiques traditionnels, s'exprime par la crĂ©ation d'une rĂ©alitĂ© parallĂšle, animĂ©e par des personnages Ă©tranges et lugubres. Dans cet univers, la volontĂ© de l'artiste semble ĂȘtre de dĂ©noncer la bassesse de la sociĂ©tĂ© humaine, dĂ©sormais condamnĂ©e Ă un enfer perpĂ©tuel. Dans ce butDanielOtero Torres. Lâexposition « (DĂ©)placements » au MRAC, Ă SĂ©rignan, prĂ©sente les installations de Daniel Otero Torres. Des Ćuvres qui se nourrissent des dĂ©placements dâun mĂ©dium Ă un autre et dâune culture Ă une autre, et explorent les communautĂ©s en marge de la sociĂ©tĂ© colombienne. Daniel Otero Torres, BCC, 2017.
1Ce chapitre se propose dâĂ©clairer le rĂŽle de lâart et des artistes dans les sociĂ©tĂ©s française, espagnole et anglaise du xviie siĂšcle. Le xviie siĂšcle voit dans les pays considĂ©rĂ©s lâaffirmation de lâĂ©crivain et de lâartiste qui doivent leur place sociale nouvelle aux fonctions que leurs Ćuvres remplissent, au service des pouvoirs spirituels et temporels. Lettres et arts partagent au xviie siĂšcle un mĂȘme souci de la rhĂ©torique, câest-Ă -dire du maniement des moyens de faire voir et comprendre Ă autrui, pour la plus grande gloire du souverain, de la religion, ou la dĂ©lectation dâun collectionneur. Lâexistence de modĂšles et de rĂšgles, la plupart issus de lâAntiquitĂ© et sans cesse retravaillĂ©s, Ă©loigne Ă©galement lâartiste du xviie siĂšcle de notre idĂ©al romantique du crĂ©ateur original, voire incompris. 2Aussi convient-il dans un premier temps de tracer un portrait dâensemble de la condition des artistes qui restitue leur place particuliĂšre dans la sociĂ©tĂ©. Il sâagit dâun monde hiĂ©rarchisĂ©, notamment en France au sein des structures acadĂ©miques, bien que ces derniĂšres nâexercent jamais quâun contrĂŽle imparfait sur lâactivitĂ© artistique. Dans un deuxiĂšme temps, on sâattachera Ă comprendre comment le dĂ©veloppement des collections et du marchĂ© de lâart modifie les anciens liens de dĂ©pendance par rapport Ă la commande publique et privĂ©e. On assiste au xviie siĂšcle Ă une transformation de la valeur du produit artistique, parallĂšle Ă lâĂ©mergence de lâindividu social artiste ». Une troisiĂšme partie se propose, Ă la lumiĂšre des conditions de production de lâĆuvre esquissĂ©e jusquâici, de sâinterroger sur la reprĂ©sentation de la sociĂ©tĂ© dans les arts. Quelques exemples permettront de rappeler lâintĂ©rĂȘt mais aussi les problĂšmes posĂ©s par les documents littĂ©raires et artistiques en histoire sociale. IdentitĂ© de lâart et des artistes Ămergence des notions dâart et de littĂ©rature. Promotion sociale de lâartiste 3On voit indĂ©niablement se prĂ©ciser les statuts de lâartiste et de lâĂ©crivain au xviie siĂšcle, avec une chronologie et des incidences diffĂ©rentes dâun pays Ă lâautre. Ce mouvement prend naissance dans la Renaissance italienne, deux siĂšcles plus tĂŽt, Ă travers une institution bientĂŽt officialisĂ©e et protĂ©gĂ©e par les princes, lâacadĂ©mie. La premiĂšre rĂ©union dâhumanistes voulant faire revivre les rĂ©unions de Platon et de ses disciples dans les jardins dâAkadĂ©mos est celle initiĂ©e par Marsile Ficin et Pic de la Mirandole Ă Florence sous le rĂšgne de Laurent le Magnifique. Le mouvement acadĂ©mique va prendre une grande ampleur en Italie au xvie siĂšcle on y compte pas moins de 500 acadĂ©mies vers 1530. Elles se spĂ©cialisent et acquiĂšrent un statut officiel avec devises, rĂ©unions rĂ©guliĂšres, voire enseignement. Dâabord nettement philosophiques et littĂ©raires, en opposition Ă lâenseignement universitaire, des acadĂ©mies de peinture et de sculpture voient le jour, en opposition aux contraintes des corporations, avec le soutien des princes. CĂŽme de MĂ©dicis prĂ©side lâAcademia fiorentina créée en 1540 et lâAccademia del disegno créée en 1563. Par un dĂ©cret de 1571, il libĂšre les artistes de son AcadĂ©mie des obligations corporatives. De la mĂȘme maniĂšre, Ă Rome, la crĂ©ation de lâAcadĂ©mie de Saint-Luc, protĂ©gĂ©e par le cardinal BorromĂ©e, est le signe et le moyen dâune promotion des peintres, puisque, par une abondante production thĂ©orique, elle sâefforce de creuser la distance entre le travail manuel de lâartisan et le travail conceptuel de lâartiste la peinture est dâabord cosa mentale » une production de lâesprit. Comme le poĂšte, lâarchitecte, le peintre ou le sculpteur affirment que leur art est libĂ©ral » et non mĂ©canique ». Voir le plaidoyer prononcĂ© en 1667 par Nicolas Lamoignon pour le recteur de lâAcadĂ©mie, GĂ©rard Von Opstal qui rĂ©clamait le paiement dâouvrages pour lesquels, selon le rĂšglement des mĂ©tiers, il y avait prescription Nâa-t-on pas sujet Ă dire que les peintres sont inspirĂ©s par quelque divinitĂ© aussi bien que les poĂštes ? Et que pour donner la vie Ă des choses inanimĂ©es, il faut ĂȘtre en quelque sorte au-dessus de lâhomme ? » La promotion des uns induit une dĂ©valorisation des mĂ©tiers demeurĂ©s au sein des corporations et des querelles infinies entre anciennes et nouvelles institutions. Les acadĂ©mies, qui contrĂŽlent les artistes, leur assurent en Ă©change libertĂ© et supĂ©rioritĂ© par rapport aux autres artisans. Christian Jouhaud a montrĂ© que les auteurs trouvent paradoxalement une autonomie croissante Ă lâintĂ©rieur dâune dĂ©pendance de plus en plus forte par rapport au pouvoir 1 Dotoli G., LittĂ©rature populaire et groupe dominant. Ăvasion et contre-Ă©vasion chez Adam Billaut ... 2 La Roque de la LontiĂšre G. A., TraitĂ© de la noblesse, Paris, E. Michalet, 1678, p. 413, citĂ© ibide ... 4Les artistes en viennent donc Ă occuper ou Ă ambitionner une place sociale particuliĂšre en raison du lien quâils entretiennent avec le pouvoir, mĂȘme si, comme nous le verrons, tous nâappartiennent pas Ă une structure officielle de type acadĂ©mique et mĂȘme si les artistes de cour constituent une minoritĂ© enviĂ©e. Hommes de lettres et praticiens des arts libĂ©raux sont animĂ©s, certes Ă des degrĂ©s divers, dâune volontĂ© de distinction sociale. Si la pratique dâun art anoblit, elle pose le problĂšme de la distribution sociale des talents. Un homme du peuple peut-il ĂȘtre poĂšte ? Une origine ignoble ne sâoppose-t-elle pas Ă la pratique dâun art ? La carriĂšre dâAdam Billaut, poĂšte menuisier, analysĂ©e par Giovanni Dotoli permet au moins de poser la question. Une des plus rares choses du siĂšcle », selon lâabbĂ© de Marolles qui lâa dĂ©couvert, ce fils de paysans pauvres, menuisier Ă Nevers, a formĂ© sa muse au catĂ©chisme paroissial, Ă la lecture des livres de colporteurs et des almanachs populaires. En 1636 il rencontre Ă Nevers lâabbĂ© de Marolles, ancien prĂ©cepteur et bibliothĂ©caire de la duchesse Marie de Gonzague. Cette rencontre est dĂ©cisive en 1638 il est Ă Paris, il obtient une pension de Richelieu et du chancelier SĂ©guier, qui ne sera cependant jamais versĂ©e. Il se met Ă lâĂ©cole des libertins et connaĂźt un succĂšs Ă©phĂ©mĂšre dans la capitale. DĂšs son deuxiĂšme sĂ©jour Ă Paris 1640, il est en butte aux sarcasmes de ses collĂšgues. ScudĂ©ry, dans lâApprobation du Parnasse qui prĂ©cĂšde son premier recueil, les Chevilles 1644, sâinterroge ainsi Quel Dieu tâa rendu son oracle ?/[âŠ] Dois-tu passer dans lâunivers/Pour un monstre ou pour un miracle/O prodige entre les esprits/Qui sait tout et nâa rien appris1. » Bien vite, on va trancher pour le monstre plutĂŽt que pour le prodige. Au moment de la naissance de lâartiste par la valorisation de lâĂ©tude et du savoir, on rĂ©pugne Ă admettre dans la sociĂ©tĂ© des poĂštes un artisan, que la pratique et lâappĂ©tit du gain nĂ©cessaire Ă sa subsistance rend comme esclave, et ne lui inspirent que des sentiments de bassesse et de subjection incompatible avec ceux dâun gentilhomme2 ». Lâapprobation du Parnasse nâa guĂšre durĂ© ; lâĂ©chec de Billaut tĂ©moigne du souci de distinction sociale des littĂ©rateurs parisiens et de leurs protecteurs. Le poĂšte menuisier menace les efforts de promotion des arts, insĂ©parables dâune dĂ©valorisation des mĂ©tiers. G. Dotoli estime que lâĆuvre de Billaut confirme que lâopposition entre culture populaire et culture savante est absolument insoutenable ». Au contraire, on pourrait utiliser lâĂ©chec du poĂšte menuisier pour montrer une sĂ©paration croissante dans la France du xviie siĂšcle entre culture populaire et culture des Ă©lites, culture de rĂ©fĂ©rence Ă partir de la formation humaniste, [âŠ] culture Ă©loignĂ©e de tout ce qui est concret, du monde des mĂ©tiers, de tout ce qui est dĂ©sormais jugĂ© vulgaire, sale ou ridicule » Rioux et Sirinelli. 5On voit ainsi se dessiner une conscience sociale, mĂȘme si les artistes entretiennent des liens familiaux forts avec le monde des mĂ©tiers urbains. Le pĂšre de Puget est maçon, celui de Girardon fondeur ; Shakespeare est le fils dâun boucher de Stratford-sur-Avon. On trouve, dans les alliances familiales de Charles Le Brun, beaucoup de peintres et de sculpteurs, mais aussi des Ă©crivains, des tapissiers, des charpentiers et des fondeurs. Le peintre et architecte Inigo Jones, qui domine lâart anglais dans la premiĂšre moitiĂ© du xviie siĂšcle, est fils de tailleur et reçoit une formation de peintre, costumier et dĂ©corateur de théùtre. La solidaritĂ© est renforcĂ©e par des mariages, qui permettent les collaborations entre beaux-pĂšres et gendres et entre beaux-frĂšres ; les fratries sont nombreuses Vouet, Boullogne, AnguierâŠ. Une relative mobilitĂ© permet en France Ă des fils dâartistes dâembrasser la carriĂšre juridique et des artistes peuvent descendre de petits officiers les Le Nain. Une volontĂ© de distinction sâobserve dans les gĂ©nĂ©alogies romancĂ©es que se forgent des familles dâartistes Ă succĂšs, comme les Mansart, qui prĂ©tendent descendre dâun mythique chevalier romain, chargĂ© par Hugues Capet dâĂ©difier des monastĂšres. Il se lit aussi dans la rĂ©alisation dâautoportraits, individuels ou familiaux, dans lesquels les artistes se reprĂ©sentent en costumes soignĂ©s, avec des attributs du savoir livres, de la sociabilitĂ© Ă©lĂ©gante ou des arts libĂ©raux musique, mathĂ©matique. 6Il faut souligner que la promotion des artistes reste un phĂ©nomĂšne trĂšs limitĂ© en Espagne, oĂč leur position sociale est peu enviable malgrĂ© la rĂ©flexion sur la noblesse des arts et les procĂ©dures engagĂ©es par exemple pour faire reconnaĂźtre Ă la peinture le statut dâart libĂ©ral, procĂ©dures encouragĂ©es par des hommes de lettres comme Calderon J. Gallego. La plupart des peintres vivent dans une grande pauvretĂ© et une part importante de leurs revenus provient de la dorure et de la mise en couleur des sculptures religieuses, le plus souvent polychromes. Ils ne sâĂ©mancipent que difficilement. De cette situation tĂ©moigne par exemple Le Vendeur de tableaux de JosĂ© Antolinez v. 1670, Munich, Alte Pinakothek oĂč lâon voit un homme en guenille, le marchand tratante, visiter lâatelier du peintre, oĂč rĂšgne le plus grand dĂ©nuement et lui acheter une copie dâune Vierge Ă lâEnfant de Scipion Pulzone. 7Les plus ambitieux des artistes espagnols cherchent donc Ă Madrid une meilleure reconnaissance. De mĂȘme, lâinstallation Ă Paris tĂ©moigne dâune volontĂ© dâascension vers le statut dâartiste. David Maland a calculĂ©, sur un Ă©chantillon de 200 auteurs pour chaque siĂšcle, que 70 % des littĂ©rateurs français meurent en province au xvie siĂšcle, contre 48 % seulement au xviie siĂšcle. La mobilitĂ© caractĂ©rise dans une large mesure les artistes, qui se dĂ©placent pour suivre la commande, dans les arts plastiques, ou le public, dans les arts de la scĂšne. Quelques centres, caractĂ©risĂ©s par la prĂ©sence de la cour, se renforcent Rome, Paris, et, dans une moindre mesure, Madrid. Si les artistes constituent un milieu solidaire, il nâest pas pour autant fermĂ© ; les Ă©trangers, surtout les Italiens et les Flamands, dominent la scĂšne picturale anglaise, et, pour une bonne partie du siĂšcle, espagnole. La piĂštre considĂ©ration portĂ©e aux peintres nationaux est cause, selon le peintre et historien de lâart Jusepe MartĂnez, de lâexil dĂ©finitif dâAntonio Ribera Ă Naples. Nationaux et Ă©trangers contractent ensemble des mariages. Chez les peintres, les sculpteurs et les architectes, le voyage, en particulier le voyage dâItalie, est un Ă©lĂ©ment essentiel de formation. En Angleterre, la rupture dĂ©cisive avec lâart de la fin du Moyen Ăge est le rĂ©sultat du voyage dâInigo Jones en Italie, en 1615, oĂč il accompagnait le comte dâArundel. Cinquante ans plus tard, Christopher Wren visite les Provinces Unies, les Pays-Bas et la France. En France, on date traditionnellement du retour de Rome de Simon Vouet, en 1627, la naissance de lâĂ©cole française. Les peintres espagnols voyagent peu en Italie, en revanche, les Français se retrouvent en nombre Ă Rome, oĂč ils font quelquefois carriĂšre pendant plusieurs annĂ©es, voire sây installent dĂ©finitivement Nicolas Poussin, Claude Lorrain. Vers 1600-1620, le mode de vie des peintres qui se retrouvent autour de la Piazza del Popolo, Ă Rome, prĂ©figure dĂ©jĂ celui des sociĂ©tĂ©s dâartistes telles quâon les connaĂźtra jusquâau Montparnasse des annĂ©es 1920, avec son recrutement international, ses lieux dâĂ©changes les ateliers, les tavernes, sa libertĂ© de recherche artistique et de mĆurs. De la mĂȘme maniĂšre on voit se dĂ©velopper la sociabilitĂ© littĂ©raire autour des cabarets, certains investis par un groupe particulier, comme les libertins qui, Ă Paris, se retrouvent Ă la Pomme du Pin, Au Cormier ou encore Ă la Fosseaux-Lions. Organisation des artistes et diffĂ©rences des carriĂšres 8Le xviie siĂšcle est un moment de thĂ©orisation et de hiĂ©rarchisation des arts et des artistes. La notion fondamentale est celle de genre. Le genre est en art et en littĂ©rature une sĂ©rie homogĂšne dâĆuvres rĂ©pondant Ă des attentes dĂ©terminĂ©es et tendant Ă se fixer par la reproduction de modĂšles Ă©prouvĂ©s. BĂ©rĂ©nice de Racine ou la Princesse de ClĂšves de Mme de Lafayette ont Ă©tĂ© critiquĂ©s parce quâils mĂ©langeaient les genres. Une hiĂ©rarchie trĂšs forte met au premier rang, en vers, lâĂ©popĂ©e et la tragĂ©die, en prose, lâĂ©loquence. Le roman est au bas de lâĂ©chelle et ses praticiens cherchent Ă lâanoblir en lui confĂ©rant des rĂšgles. En peinture, se met en place progressivement une dĂ©finition et une hiĂ©rarchisation des genres, la peinture la plus noble et la plus prestigieuse Ă©tant la peinture dâhistoire sacrĂ©e ou profane. Ces rĂ©flexions se dĂ©veloppent au sein des acadĂ©mies. 9Le systĂšme des AcadĂ©mies en France cherche Ă mettre lâaction des artistes au service de lâĂtat. En crĂ©ant un discours cohĂ©rent sur la langue et le goĂ»t, les acadĂ©mies contribuent Ă crĂ©er une culture commune aux Ă©lites et un consensus autour du pouvoir royal, que tous les arts sont chargĂ©s de cĂ©lĂ©brer. Unissant les artistes dans des institutions contrĂŽlĂ©es par lâĂtat, les AcadĂ©mies engendrent une vĂ©ritable rĂ©volution dans la centralisation et la hiĂ©rarchisation des arts. 10LâAcadĂ©mie française reste le modĂšle de toutes les acadĂ©mies. Créée en 1634 par un groupe de lettrĂ©s, officialisĂ©e par Richelieu, son rĂŽle est dâinstitutionnaliser la langue commune de la nation. Il sâagit de mettre en place un lissage de la langue, de donner un langage commun. Chaque discours sâachĂšve par lâapologie du monarque. Ă lâimage de lâAcadĂ©mie française, lâAcadĂ©mie royale de peinture et sculpture est créée en 1648. Le principe de sa fondation en est un peu diffĂ©rent, Charles Le Brun et dâautres artistes conçoivent une AcadĂ©mie placĂ©e sous la protection du chancelier SĂ©guier pour que les peintres puissent sâaffranchir de la tutelle de la maĂźtrise qui succĂšde aux corporations mĂ©diĂ©vales. Elle fonde son enseignement sur le dessin et le modĂšle vivant, Ă lâimage de lâacadĂ©mie que les Carrache avaient fondĂ©, Ă la fin du xvie siĂšcle, Ă Bologne. Lâinstitution rompt avec les pratiques corporatistes, par lâutilisation du dessin et lâapproche directe de la nature, et donne un statut libĂ©ral Ă la peinture qui nâest pas seulement affaire dâimitation. En 1663, Louis XIV restructure lâinstitution en la hiĂ©rarchisant. Son rĂŽle doctrinal est affirmĂ©. Il nomme Le Brun chancelier permanent. En 1668, lâartiste cumule les fonctions de chancelier et de recteur, enfin, en 1683, il est nommĂ© directeur. On assiste Ă la mise en place dâexpositions prĂ©vues normalement tous les deux ans et accompagnĂ© dâun livret, ancĂȘtre des catalogues. Mais il nây en aura que dix sous Louis XIV. 11Un rĂŽle de coordinateur » est assurĂ© par la Petite AcadĂ©mie fondĂ©e en 1663. Elle comprend cinq membres reprĂ©sentant des cinq arts. Elle administre lâensemble de la production intellectuelle et tient lieu de direction gĂ©nĂ©rale de la vie culturelle. Elle est dirigĂ©e par un conseil restreint dĂšs sa crĂ©ation les hommes de lettres Bourzeis, Cassagne, Chapelain et Perrault. Câest lâĆil du pouvoir sur la production intellectuelle française. Ce rĂŽle de coordination limite la libertĂ© et lâoriginalitĂ© dans la crĂ©ation. La petite AcadĂ©mie contrĂŽle tout, elle chapeaute lâensemble des institutions. La souplesse de sa structure sâoppose Ă la rigiditĂ© hiĂ©rarchique des autres AcadĂ©mies. Celles-ci, dâailleurs, ne sont pas seulement des AcadĂ©mies artistiques Ă lâimage de lâAcadĂ©mie dâescrime. La petite AcadĂ©mie nâa pas de rĂšglement avant juillet 1701, aprĂšs cette date, elle devient officiellement lâAcadĂ©mie des inscriptions et des mĂ©dailles. 12Ă partir de 1661, on assiste Ă une institutionnalisation de tous les arts sous Louis XIV les maĂźtres Ă danser, puis les musiciens et les danseurs se fĂ©dĂšrent en AcadĂ©mies, toujours dans le but de lutter contre la maĂźtrise, accusĂ©e de dĂ©cadence des arts. En 1666 est fondĂ©e lâAcadĂ©mie de France Ă Rome qui accueille les meilleurs jeunes artistes français afin de complĂ©ter leur formation. La mĂȘme annĂ©e voit la crĂ©ation de lâacadĂ©mie des sciences. En 1669, câest la fondation de lâAcadĂ©mie royale de musique puis, en 1671, celle dâarchitecture qui scelle la sĂ©paration entre les architectes et les maçons. Il y a mĂȘme eu une tentative de crĂ©ation dâune acadĂ©mie de thĂ©ologie, mais celle-ci est rapidement dissoute en raison des inquiĂ©tudes formulĂ©es par la Sorbonne qui craint de perdre ses privilĂšges. Il en va de mĂȘme pour le théùtre. AprĂšs la mort de MoliĂšre, on ne crĂ©e pas explicitement une acadĂ©mie de théùtre, mais il y a bien un monopole de fait car un seul type de spectacle doit recevoir le label du Roi, comme pour lâopĂ©ra. La volontĂ© de diffusion des grandes Ćuvres du rĂ©pertoire aboutie, en 1680, Ă la fondation la ComĂ©die française. 13Le monopole des AcadĂ©mies sur les diffĂ©rents arts traduit le corps du Roi en peinture, en sculpture et en poĂ©sie » ApostolidĂšs. Avec ces institutions, câest lâensemble des arts qui se met au service de la gloire monarchique. Ă partir de 1660, on assiste Ă une multiplication des AcadĂ©mies en province qui vont rĂ©pandre la mode en vigueur Ă la cour. Lâexemple de celle de Lyon, fondĂ©e en 1667, va servir de modĂšle pour dâautres villes. 14LâAngleterre a Ă©tĂ© tentĂ©e par ce modĂšle, mais lâinstabilitĂ© politique qui y rĂšgne ne sây prĂȘte pas. Les artistes se rassemblent dans des clubs ou des sociĂ©tĂ©s. Une tentative dâorganisation des arts se met en place sous Charles II dans la deuxiĂšme moitiĂ© du xviie siĂšcle. Ambitionnant de rivaliser avec Louis XIV, il reprend le modĂšle français de lâAcadĂ©mie et place Ă sa tĂȘte le peintre italien Antonio Verrio v. 1636-1707. Mais, lâabsence dâune autoritĂ© centrale organisĂ©e pour contrĂŽler le travail comme câest le cas en France avec Colbert et la nature sporadique des mĂ©cĂšnes anglais ont rendu cette volontĂ© difficile, voire impossible. 15En Espagne, la crĂ©ation des acadĂ©mies de Madrid et de Valence est un Ă©chec. Leur volontĂ© de contrĂŽler lâactivitĂ© des peintres en favorisant un monopole de la production et du marchĂ© de la peinture se heurte Ă une opposition trĂšs forte des corporations. Il se dĂ©veloppe alors un dĂ©bat original sur la peinture en tant quâart libĂ©ral. Le colegio » AcadĂ©mie de Valence tend en effet Ă favoriser le nĂ©potisme en fixant le prix des examens, empĂȘchant ainsi Ă tout un groupe de la population de rĂ©aliser et de vendre leurs Ćuvres. Lâinstitution crĂ©e Ă©galement dâĂ©normes difficultĂ©s aux artistes Ă©trangers voulant sâinstaller dans la ville et interdit purement et simplement la vente de peintures Ă©trangĂšres qui Ă©taient moins chĂšres que celles fabriquĂ©es Ă Valence. Tout cela va aboutir Ă un nombre important de plaintes arguant du statut dâart libĂ©ral de la peinture. Les plaignants infĂ©rant que si la peinture est effectivement un art libĂ©ral, elle doit suivre le modĂšle des autres arts libĂ©raux. Dans une ville comme Valence, on devrait trouver des peintures de diffĂ©rentes qualitĂ©s et Ă des prix diffĂ©rents ; en fait, un accĂšs Ă la peinture pour tous. Finalement, en 1617, Philippe II se range du cĂŽtĂ© de la ville contre lâAcadĂ©mie. LâAcadĂ©mie de Madrid, créée en 1603, attend toujours la protection royale en 1619. LâĂ©chec est moins clair quâĂ Valence, mais lĂ encore, il semble que lâopposition soit venue de peintres individuels, certainement ceux qui sâopposaient Ă lâexamen pour obtenir la licence. 16En France mĂȘme, oĂč lâhĂ©gĂ©monie du pouvoir royal est quasi complĂšte, lâinstitutionnalisation des arts ne sâest pourtant pas faite sans heurts. La rĂ©action au mouvement acadĂ©mique va trouver un soutien auprĂšs dâautres corps qui, Ă ce moment, perdent aussi de leurs privilĂšges, les Parlements. Ainsi le Parlement de Paris va-t-il soutenir les corporations pour tenter dâenrayer lâeffritement de son pouvoir et ce, dĂšs la fondation de lâAcadĂ©mie française. Entre 1648 et 1663, la corporation des maĂźtres peintres, soutenue par le Parlement, et lâAcadĂ©mie de peinture, soutenue par Colbert et le pouvoir royal, se heurtent Ă des oppositions constantes. Ils se livrent une vĂ©ritable guerre dâusure qui voit finalement la dĂ©route de la maĂźtrise. Enfin, les dĂ©bats esthĂ©tiques continuent comme celui entre le dessin et la couleur qui on lieu Ă Paris, dans la deuxiĂšme moitiĂ© du siĂšcle. 17On peut dire que deux carriĂšres sâoffre Ă lâartiste, celle de la cour et celle de la ville, bien que les plus rĂ©ussies marient les deux. Diego VĂ©lasquez 1599-1660 est lâexemple de lâartiste-courtisan. Il passe plus de trente ans au service de Philippe IV dâEspagne. Le roi lâemploie comme peintre, architecte dĂ©corateur, mais aussi fournisseur dâĆuvres dâart et courtisan jusquâĂ devenir grand marĂ©chal du palais » en 1652. Plus encore que Charles Le Brun auprĂšs de Louis XIV ou quâAntonio Verrio auprĂšs des rois dâAngleterre, il est le modĂšle de lâartiste de cour. Il faut distinguer, en Espagne, deux types de peintres rattachĂ©s au palais, les peintres du Roi et le peintre de la Chambre. Si les premiers sont de nombre variable entre quatre et six, il nây a quâun seul peintre de la Chambre dont lâoccupation principale est de portraiturer le monarque et sa famille. Câest le cas de VĂ©lasquez sous le rĂšgne de Philippe IV, ce sera Juan Carreno de Miranda au temps de Charles II. 18En dehors des capitales, certains foyers sont trĂšs actifs et les artistes y vivent de commandes et de protections rĂ©gionales, publiques ou privĂ©es. Ă Toulouse se dĂ©veloppe ainsi un foyer original et trĂšs actif autour notamment de la figure de Nicolas Tournier qui, aprĂšs un voyage Ă Rome, synthĂ©tise les formes caravagesques et les formes locales. Dans la deuxiĂšme moitiĂ© du siĂšcle, lâinvention des AcadĂ©mies tend en France Ă lisser les diffĂ©rences rĂ©gionales. Lâexemple du sculpteur, peintre et architecte Pierre Puget, le Michel Ange de la France », semble relativement unique dans lâart français du deuxiĂšme xviie siĂšcle. Il rĂ©ussit Ă mener une carriĂšre en Italie et en Provence loin de la cour et de lâAcadĂ©mie. Devenu cĂ©lĂšbre, Colbert lui commandes de grands marbres Milon de Crotone, achevĂ© 1682. 19La situation dans les arts du spectacle est assez similaire. Le dramaturge du xviie siĂšcle voit sâouvrir devant lui deux voies. Celle, traditionnelle, de la protection dâun prince ou dâun grand et celle, nouvelle, dâentrepreneur de spectacles. Avec lâouverture de théùtres publics et lâorganisation de tournĂ©es, lâactivitĂ© de lâauteur se commercialise. Il vend sa piĂšce Ă une compagnie ou, sâil en est actionnaire, il obtient une participation aux bĂ©nĂ©fices. La publication des piĂšces est un autre facteur de commercialisation du mĂ©tier dâauteur, bien que le dĂ©sir dâexclusivitĂ© des troupes fasse quelquefois obstacle Ă lâimpression des piĂšces. Cependant un dramaturge qui rĂ©ussit est celui qui associe les deux carriĂšres, comme Shakespeare, auteur et acteur dâune troupe qui joue aussi bien pour la cour que la ville ou encore Lope de Vega, protĂ©gĂ© du duc dâAlbe mais dont les piĂšces sont aussi jouĂ©es dans les théùtres publics corrales. Les tensions entre artistes de la cour et de la ville peuvent ĂȘtre plus aiguĂ«s et sâexercer aux dĂ©pens de la ville. A Paris, la musique en vient Ă ĂȘtre gĂ©rĂ©e entiĂšrement par la Maison du roi, entraĂźnant une situation trĂšs prĂ©caire pour les musiciens de la ville rĂ©gis par la confrĂ©rie de saint Julien des MĂ©nestriers. Collections et marchĂ© de lâart 20Les Ćuvres dâart rĂ©pondent Ă diffĂ©rentes attentes, entre Ă©dification, glorification monarchique et dĂ©lectation. Un trait significatif du xviie siĂšcle europĂ©en est le dĂ©veloppement des collections, dans lesquelles peintures et sculptures, dĂ©tachĂ©es de toute autre fonction, notamment religieuse, acquiĂšrent rĂ©ellement le statut dâĆuvres dâart. Le dĂ©veloppement des collections 21La collection princiĂšre existe au xvie siĂšcle, mais elle prend une tout autre ampleur au siĂšcle suivant. Les souverains espagnols, en particulier, hĂ©ritent ce goĂ»t du grand collectionneur que fut Philippe II. Le Prado est le premier palais royal oĂč les peintures sont exposĂ©es en permanence, concurrençant la tapisserie pour la dĂ©coration murale. La dĂ©coration du palais de lâEscorial, dans les annĂ©es 1580, est conçue pour lâexposition de peintures de prestige. En 1700, le roi dâEspagne possĂšde 5 500 tableaux, dont la moitiĂ© acquise par Philippe IV. Les rois de France prĂ©fĂšrent le prestige du bĂątisseur Ă celui du collectionneur A. Schnapper ; cependant, Louis XIV renoue avec le collectionisme somme toute modeste de François Ier ; entre 1660 et 1693, il forme une des premiĂšres collections dâEurope pour les mĂ©dailles et les pierres gravĂ©es, les pierres prĂ©cieuses, les tableaux, les dessins et les gravures. Assez peu intĂ©ressĂ© personnellement, il laisse Ă ses ministres le soin de rassembler les trĂ©sors du cabinet du roi. Selon A. Schnapper, les collections ne sont ni nĂ©cessaires ni bien efficaces pour assurer la gloire du roi et lâĂ©tendre aux nations Ă©trangĂšres ». Charles Ier est bien dâavantage un amateur dâart. Lors de la vente de ses biens par les rĂ©publicains, ce sont prĂšs de 2 000 peintures, tapisseries, statues et dessins qui sont destinĂ©s Ă Ă©ponger les dettes du monarque dĂ©funt. Au-delĂ des princes, les grandes collections se rencontrent chez les personnages qui exercent un rĂŽle important, ou parmi ceux qui sont les plus liĂ©s Ă la reprĂ©sentation du pouvoir, les ambassadeurs. La collection sâĂ©panouit dans les lieux de pouvoir. Les ministres et les favoris â en France, Richelieu et Mazarin ; en Angleterre, avant la RĂ©volution, Arundel, Buckingham et Hamilton â sont au premier rang des collectionneurs. Sous Philippe IV, le marquis de LeganĂ©s possĂšde 1100 tableaux, le marquis de Carpio, plus de 3 000. 22Progressivement, les collections universelles, du type cabinet de curiositĂ©s, cĂšdent le pas aux collections spĂ©cialisĂ©es. Le xviie siĂšcle voit Ă la fois lâapogĂ©e et le dĂ©but du dĂ©clin de la Kunst-und Wunderkamern K. Pomian. Apparaissent des collections autonomes de tableaux. Rome a un rĂŽle capital dans le collectionisme, puisque câest lĂ avec Venise que sâapprovisionne toute lâEurope. Câest lĂ aussi oĂč se forme le goĂ»t international qui met au premier rang de la valeur la peinture vĂ©nitienne et bolonaise du xvie siĂšcle. En Espagne, en Angleterre ou en France, ce sont toujours Titien et les VĂ©nitiens Tintoret, VĂ©ronĂšse dâune part, les Carrache et leurs suiveurs Guido Reni, lâAlbane etc. dâautre part qui dominent les collections prestigieuses. 23Il faut noter que bien souvent les lettres et les arts ont des mĂ©cĂšnes communs. Souvent une belle collection sâaccompagne dâune belle bibliothĂšque. Le peintre Eustache Le Sueur et le plus cĂ©lĂšbre luthiste français de lâĂ©poque, Denis Gaultier, ont pour mĂ©cĂšne Anne de ChambrĂ©, trĂ©sorier des guerres de Louis XIII et gentilhomme du prince de CondĂ©. ChambrĂ© commande Ă ces deux artistes un manuscrit de luxe, La RhĂ©torique des dieux, recueil de piĂšces de luth de illustrĂ©. La collection suscite lâĆuvre littĂ©raire. Arts et lettres font partie dâune sociabilitĂ© dont le cĆur est lâart de la conversation. Les objets de collection sont, selon le mot de Krzysztof Pomian, des sĂ©miophores ». Au Moyen Ăge, les collections de reliques, dâobjets sacrĂ©s ou d' Ćuvres dâart » sont aux mains de lâĂglise et du pouvoir temporel. Quand une hiĂ©rarchie de richesse se met en place, lâachat de sĂ©miophores, lâachat dâĆuvres dâart, la formation de bibliothĂšques ou de collections est une des opĂ©rations qui, transformant lâutilitĂ© en signification, permettent Ă quelquâun de haut placĂ© dans la hiĂ©rarchie de la richesse dâoccuper une position correspondante dans celle du goĂ»t et du savoir » K. Pomian. Le dĂ©veloppement des collections est ainsi insĂ©parable du dĂ©veloppement dâun marchĂ©. Le dĂ©veloppement du marchĂ© de lâart le marchĂ© de la peinture 24La demande dâimages augmente au cours du siĂšcle. On constate un Ă©largissement progressif du public de la peinture, en particulier dans les pays catholiques. Lâimagerie dĂ©votionnelle nourrit le mouvement, mais Ă la marge se diffusent aussi les genres portrait, nature morte, paysageâŠ, en raison des nouveaux usages de la peinture, qui apparaĂźt de plus en plus dans les intĂ©rieurs. Plus tardivement, cet appĂ©tit dâimages est lisible aussi en Angleterre en 1705, 80 % des inventaires de lâOrphanâs Court de Londres rĂ©vĂšlent la possession de tableaux, contre 44 % seulement en 1675. Certes, cette prĂ©sence de la peinture est liĂ©e Ă la richesse mais ces inventaires montrent que les ordinary tradespeople ont autant de tableaux que les professionals et les gentryhouseholders. 25Le mĂ©tier de marchand de tableaux sâautonomise et se professionnalise peu Ă peu. Les formes les plus structurĂ©es de marchĂ© de lâart se rencontrent Ă Anvers, qui nourrit toute lâEurope de ses peintures, de tous les genres et de tous les prix. Il faut noter le fort goĂ»t pour la peinture flamande, parallĂšle au goĂ»t dominant vĂ©nĂ©to-bolonais. Anvers vend pour tous les publics et Ă tous les prix. Mais dâautres lieux prennent de lâimportance, oĂč lâon retrouve souvent les marchands du Nord. Ă Paris, la foire Saint-Germain, une des trois plus importantes de Paris, se spĂ©cialise au dĂ©but du xviie siĂšcle en marchĂ© des objets de luxe soie, bijoux, or mais aussi tableaux. Depuis la deuxiĂšme moitiĂ© du xvie siĂšcle, les marchands dâAnvers ont le monopole du marchĂ© parisien de la peinture. Ils viennent Ă Paris chaque annĂ©e pour la foire. Vers 1620-1630, ils font face aux efforts protectionnistes de la maĂźtrise des peintres de Paris, qui les obligent Ă tenir boutique de façon permanente en France, voire de demander la naturalisation, pour continuer leur commerce. Les Français rĂ©ussissent ainsi Ă endiguer lâinfluence des marchands dâAnvers. Mais une autre compĂ©tition pour le contrĂŽle du marchĂ© se dĂ©roule alors entre les artistes-marchands et les marchands merciers qui finiront par lâemporter Ă la fin du siĂšcle on connaĂźt par Watteau la boutique du cĂ©lĂšbre Gersaint. 26Diverses formes de transaction existent mais les ventes publiques aux enchĂšres prennent progressivement de lâimportance, notamment en Angleterre ; elles permettent en effet aux comportements agonistiques de se donner libre cours dans un face Ă face pendant lequel on manifeste simultanĂ©ment son goĂ»t, sa capacitĂ© de sacrifier de la richesse pour le satisfaire et ses possibilitĂ©s financiĂšres » K. Pomian. Les grandes ventes aux enchĂšres publiques deviennent ainsi des Ă©vĂ©nements mondains. Ă Londres, avant lâintroduction des ventes aux enchĂšres dâĆuvres dâart, vers 1670, Samuel Pepys achĂšte directement aux artistes ou Ă des stationers qui vendent aussi des livres. Le marchĂ© du livre est beaucoup plus organisĂ© que celui de lâart, grĂące Ă la Stationers Company. Il nây a pas de telle communautĂ© de marchands spĂ©cialisĂ©s dans lâart. Ce sont dâabord les virtuosi, les hommes de lettres londoniens, qui font la popularitĂ© des ventes aux enchĂšres, dont ils se servent comme dâune arĂšne des connaisseurs ». Elles touchent ensuite un public beaucoup plus large, les femmes aussi peuvent y assister. Les commissaires-priseurs ne peuvent pas encore se spĂ©cialiser dans les marchandises artistiques. La plupart vendent Ă la fois des livres et des Ćuvres dâart. 27Ces enchĂšres se dĂ©roulent surtout dans des coffeehouses comme Tomâs Coffeehouse ou Barbadoes Coffeehouse. Ă la mort de Charles II 1685, Londres est ainsi devenue un des marchĂ©s de lâart les plus actifs dâEurope. Au cours des ventes de Covent Garden, entre 1669 et 1692, plus de 35 000 peintures Ă lâhuile sâĂ©changent. On a retrouvĂ©, protagonistes de ces Ă©changes, le nom de 20 nobles, 20 marchands et plus de 100 commoners. J. Brotton insiste sur le rĂŽle de la vente des biens de Charles Ier, qui a mis sur le marchĂ© des centaines dâĆuvres. Contrairement Ă une opinion largement rĂ©pandue, Brotton soutient que cette vente nâest pas le seul fait de rĂ©publicains iconoclastes et ignorants des choses de lâart. Elle a Ă©tĂ© importante pour la formation du goĂ»t anglais puisquâelle a rendu visibles les trĂ©sors des collections de la Couronne. Ă lâoccasion de cet Ă©vĂ©nement, les tableaux royaux ont Ă©tĂ© transformĂ©s en marchandise, dĂ©truisant pour toujours leur exclusivitĂ© royale, les ĂŽtant au secret du palais royal et les livrant au monde de la vente publique ». 28En Espagne, depuis la fin du xvie siĂšcle, on voit dans les grandes villes des ventes dâart se dĂ©rouler prĂšs du marchĂ©, sur le perron de San Felipe ou Calle Mayor Ă Madrid, par exemple, ou rue de Santiago Ă Valladolid. Des lieux ouverts, une absence de toute rĂ©gulation des transactions on est bien loin des panden de Bruges et dâAnvers. Le marchĂ© est nourri par une importation massive des Pays-Bas et lâaccroissement du nombre de peintres espagnols travaillant hors du cadre des corporations. Le dĂ©veloppement du marchĂ© entraĂźne lâutilisation rĂ©pĂ©tĂ©e de mĂȘmes modĂšles et une certaine standardisation de la production. Il faut dire que le marchĂ© amĂ©ricain exige une masse considĂ©rable dâimages religieuses. Dans la deuxiĂšme moitiĂ© du xviie siĂšcle, pas moins de 24 000 peintures ont quittĂ© SĂ©ville pour lâAmĂ©rique. Des contrats exigent une grande rapiditĂ© de rĂ©alisation. Par exemple, le 26 juillet 1600, le peintre sĂ©villan Miguel VĂĄzquez sâengage Ă livrer au marchand Gonzalo de Palma 1 000 portraits de figures profanes » de la mĂȘme taille 63 x 42 cm, Ă raison de 25 par semaine, payĂ©s 4 reales piĂšce. Miguel Falomir observe que les prix de vente sur les foires et dans les stands de rue sont nettement infĂ©rieurs Ă ceux offerts pour des Ćuvres commissionnĂ©es. Cela nâempĂȘche pas des peintres cĂ©lĂšbres de participer aux ventes, comme BartolomĂ© Carducho, peintre du roi et marchand de tableaux. 3 Felipe de Guevara, Comentarios de pintura [vers 1560], Madrid, 1788, p. 4-5. 4 Relations, Lettres et discoursâŠ, Paris, 1660, Lettre IX, p. 235-23. 29Dans un marchĂ© de lâart naissant, se pose la question de lâattribution du prix. Quand il suggĂšre Ă Philippe II dâexposer sa collection, Felipe de Guevara avance que les peintures cachĂ©es et tenues hors de la vue sont privĂ©es de leur valeur, qui rĂ©side dans les yeux des autres et leur apprĂ©ciation par des connaisseurs3 ». Traditionnellement, le prix dâune peinture Ă©tait liĂ© Ă des critĂšres matĂ©riels comme les matĂ©riaux employĂ©s, le nombre, la taille et le costume des personnages. Cependant, depuis la Renaissance, la valeur est de plus en plus attachĂ©e Ă un savoir, devient affaire de connaisseur rĂ©putation de lâartiste, authenticitĂ©, originalitĂ© de la composition, deviennent des critĂšres importants quand il sâagit des maĂźtres italiens ou nordiques les plus recherchĂ©s. Ă quoi sâajoute pour les peintures anciennes la vie sociale » du tableau provenance, possesseur antĂ©rieur, lieu dâaccrochage prĂ©cĂ©dent. Entre 1640-1660, les prix des tableaux anciens augmentent considĂ©rablement sur le marchĂ© parisien ; certains sâen Ă©meuvent, considĂ©rant scandaleux lâargent dĂ©pensĂ© en objets de vanitĂ©, comme Samuel SorbiĂšre, protestant rĂ©cemment converti, qui publie une lettre De lâexcessive curiositĂ© en belles peintures4 ». Un dĂ©but de spĂ©culation suscite des rĂ©serves morales. Le dĂ©veloppement du marchĂ© de lâart accompagne une Ă©volution des consciences par rapport Ă lâargent mais permet aussi une Ă©volution du mĂ©tier dâartiste. 30Nicolas Poussin 1594-1665 est lâexemple exceptionnel dâun artiste libĂ©rĂ© de la commande et vivant du marchĂ© de lâart. Ă partir de 1630, Ă©loignĂ© des grandes commandes publiques, il ne produit plus que des tableaux de chevalet et peut choisir ses clients qui sont des acheteurs, non plus des commanditaires. Le prix de ses tableaux est multipliĂ© par dix au cours du siĂšcle. Il ne dĂ©pend pas dâune cour ou dâun protecteur, il nâa pas dâatelier, pas dâĂ©lĂšves. Au-delĂ des Barberini et de leur rĂ©seau, les principaux acheteurs de Poussin sont français. Ils sont dâorigine sociale variĂ©e on trouve parmi eux, le marĂ©chal de CrĂ©qui, le duc de Richelieu ou le roi lui-mĂȘme, qui rĂ©unit une trĂšs importante collection de Poussin ; des secrĂ©taires dâĂtat, comme La VrilliĂšre ou LomĂ©nie de Brienne ; des titulaires dâoffices importants comme Chantelou ; des financiers comme Neyret de la Ravoye ; mais aussi des personnages beaucoup plus obscurs, des nĂ©gociants comme Pointel ou Serisier. Il sâagit lĂ dâune carriĂšre trĂšs particuliĂšre, permise par la naissance dâun vrai marchĂ© de lâart. Les arts, miroir de leur temps » ? La sociĂ©tĂ© est un théùtre, le théùtre, un reflet de la sociĂ©tĂ© ? 31On ne saurait trop souligner lâimportance de la mĂ©taphore théùtrale et en gĂ©nĂ©rale de la vision dans les arts et la littĂ©rature du xviie siĂšcle. Avec la perspective linĂ©aire comme mode de reprĂ©sentation picturale depuis la Renaissance, Les images sâinscrivent dĂ©sormais Ă lâintĂ©rieur dâun cube ouvert dâun cĂŽtĂ©. Ă lâintĂ©rieur de ce cube reprĂ©sentatif, sorte dâunivers en rĂ©duction, rĂšgne les lois de la physique et de lâoptique de notre monde » P. Francastel ; dâoĂč lâimportance de la mĂ©taphore théùtrale All the worldâs a stage », l' illusion comique » le théùtre est un monde en rĂ©duction, le monde nâest quâun théùtre. Comment le théùtre du xviie reflĂšte-t-il alors la sociĂ©tĂ© ? 32Si lâon tourne le dos Ă la scĂšne, le lieu théùtral donne, dans la disposition du public, une image particuliĂšre des hiĂ©rarchies. La structure du théùtre public est partout Ă peu prĂšs la mĂȘme. Le corral madrilĂšne se partage entre le parterre avec ses places debout ou assises et les loges rĂ©servĂ©es aux personnages importants ; un lieu spĂ©cial est rĂ©servĂ© aux femmes du commun et aux ecclĂ©siastiques, ce qui est une particularitĂ© espagnole. Dans le théùtre Ă©lisabĂ©thain, on a, du moins coĂ»teux au plus cher, les places debout Ă ciel ouvert, les places assises dans les galeries couvertes et enfin les loges. EntiĂšrement couvert, le théùtre de Bourgogne montre une rĂ©partition analogue, avec ses places au parterre Ă 5 sous et ses places en loges Ă 10 sous. 33Si, dans le cas des reprĂ©sentations privĂ©es chez de nobles particuliers les visites » en France, les particulares » en Espagne le public est socialement homogĂšne, il nâen va pas de mĂȘme du théùtre public. La composition des salles est assez semblable Ă Londres et Ă Paris. Le parterre, debout, est volontiers remuant, mĂȘme sâil ne faut pas sâexagĂ©rer le caractĂšre populaire de ces spectateurs. Alfred Harbage montre quâil est constituĂ©, au théùtre du Globe, de boutiquiers, dâartisans et de journaliers. La variĂ©tĂ© de ton et de genres caractĂ©ristique du théùtre de Shakespeare, comme de la tragĂ©die espagnole, de la poĂ©sie savante Ă la farce, est destinĂ©e Ă rĂ©pondre Ă cette diversitĂ© du public. On distingue les connaisseurs des ignorants du parterre, les mosqueteros » en Espagne, les groundlings » en Angleterre. On peut remarquer que la mĂȘme idĂ©e est souvent exprimĂ©e deux fois dans les piĂšces de Shakespeare, sous une forme Ă©laborĂ©e dâabord, plus simple ensuite. Dans la comedia, le gracioso » est chargĂ© de rĂ©pĂ©ter en clair ce qui risquait de paraĂźtre obscur. Cependant, au cours du siĂšcle, on remarque une diminution globale de la composante populaire du public. Les tĂ©moignages contemporains sur le chahut du parterre ne sont pas exempts de prĂ©jugĂ©s sociaux. En France, le public ne change pas radicalement, mais les poĂštes, leurs mĂ©cĂšnes et les amateurs prĂȘchent pour une Ă©puration du goĂ»t comme du public. Il ne faut pas oublier que la dĂ©fense des rĂšgles et, pour le dire dâun mot, du classicisme, est parallĂšle Ă une exclusion des Ă©lĂ©ments populaires. Le classicisme, rappelle J. Truchet, suppose un consensus culturel, lâexistence dâun public auquel il soit naturel et lĂ©gitime de vouloir plaire, les honnĂȘtes gens », la Cour » et la Ville ». LâunitĂ© du classicisme se fonde moins sur des prĂ©ceptes que sur un milieu ». Lâexclusion du menu peuple se fait naturellement par lâaugmentation du prix des places au cours du siĂšcle. En France comme en Angleterre, la base sociale du théùtre se rĂ©trĂ©cit. 34La nĂ©cessitĂ© de parler Ă un trĂšs large public oĂč domine, de plus en plus, les catĂ©gories privilĂ©giĂ©es, implique de renvoyer Ă une morale commune. Nâoublions pas que plaire est une nĂ©cessitĂ© vitale pour le dramaturge du xviie siĂšcle. Souvent, on remarque un certain conservatisme dans la vision de la sociĂ©tĂ© vĂ©hiculĂ©e par le théùtre. Celui-ci enregistre certains changements, comme lâimportance croissante du commerce et de lâargent, les transformations de la noblesse ou lâappĂ©tit des roturiers enrichis. Le gentilhomme dĂ©sargentĂ© contraint Ă la mĂ©salliance, le roturier cherchant une promotion Ă la cour, le bourgeois gentilhomme, sont quelques thĂšmes rĂ©currents de la comedia espagnole, dont lâinfluence est grande en France et en Angleterre ; mais en gĂ©nĂ©ral, quelque soit lâorigine sociale de lâauteur, la morale de la piĂšce demeure attachĂ©e aux valeurs de la noblesse terrienne traditionnelle, dĂ©favorable aux fortunes issues du commerce et de la spĂ©culation. Par exemple, dans les piĂšces de Lope de Vega, le noble enrichi par le nĂ©goce est condamnĂ©, les marchands, petits ou grands, et les armateurs de SĂ©ville peu reprĂ©sentĂ©s ou peu mis en valeur. Le théùtre jacobĂ©en, face aux bouleversements sociaux, tĂ©moigne dâun attachement Ă lâordre ancien A. Bry. MoliĂšre montre de maniĂšre trĂšs nĂ©gative ces femmes qui sortent de leur condition, ces prĂ©cieuses qui se prĂ©valent dâun rĂŽle intellectuel dans ce qui deviendra les salons. Le monde comme théùtre est dâabord une mĂ©taphore de la vanitĂ© des biens de ce monde. Il sâagit moins de reprĂ©senter que de moraliser. CalderĂłn de la Barca lâexprime parfaitement dans Le Grand Théùtre du Monde 1645. On y voit le Monde remettre Ă chaque acteur, du Roi au Mendiant, les insignes de son rang. Les personnages entrent sur scĂšne par le Berceau et en sortent par la Tombe. LĂ , ils doivent remettre leurs attributs et rendre compte de la façon dont ils ont tenu leur rĂŽle. Seuls le Mendiant et la Prudence ont Ă©chappĂ© Ă lâorgueil et aux intrigues de la cour. Seuls, ils ont compris la leçon de la piĂšce, câest-Ă -dire de la vie. Seuls, ils ne seront pas damnĂ©s. Quand le rideau tombe, ne demeurent en scĂšne que les quatre derniĂšres choses » la Mort, le Jugement, le Ciel et lâEnfer. 35Si le siĂšcle est fascinĂ© par les pouvoirs de lâillusion, la concorde entre lâĂȘtre et le paraĂźtre est un souci constant. Les marques de luxe doivent correspondre Ă un statut social rĂ©el. Lâouvrage de Pierre Le Muet, La ManiĂšre de bĂątir pour toutes sortes de personnes 1623, est un des plus importants de ces recueils, en vogue en France, qui proposent des modĂšles dâhabitation selon le rang du propriĂ©taire. Lâarchitecture doit reflĂ©ter la hiĂ©rarchie sociale. On peut dire que Fouquet, par exemple, nâa pas respectĂ© cette rĂšgle, Vaux outrepasse son rang. LâĂ©tude du portrait permet de mieux comprendre ce rapport ĂȘtre/paraĂźtre. Elle permet aussi de mieux comprendre sous quelles conditions les catĂ©gories sociales les moins privilĂ©giĂ©es ont droit Ă ĂȘtre reprĂ©sentĂ©s. Qui a droit Ă la reprĂ©sentation ? 36Le problĂšme de la dignitĂ© du sujet reprĂ©sentĂ© se pose particuliĂšrement dans le portrait. Ce dernier genre connaĂźt depuis le xvie siĂšcle un grand dĂ©veloppement. Il constitue Ă la fin du siĂšcle 20 % des images des intĂ©rieurs de Delft, par exemple. Or, Edouard Pommier a relevĂ©, dans la deuxiĂšme moitiĂ© du xvie siĂšcle, un mouvement de remise en cause de ce genre, notamment dâun point de vue social. Alors quâil cesse dâĂȘtre rĂ©servĂ© Ă la reprĂ©sentation des saints et des princes, le portrait suscite la question de la lĂ©gitimitĂ© de la reprĂ©sentation dâun individu. 5 CitĂ© par Pommier Ădouard, ThĂ©ories du portrait, Paris, 1998, p. 128. 37Dans une lettre Ă Leone Leoni, sculpteur et mĂ©dailleur, lâArĂ©tin le met en garde ainsi Faites donc les portraits de personnages de ce genre [lâĂ©rudit Francesco Molza, mort depuis peu], mais ne faites pas les portraits de ceux qui Ă peine se connaissent eux-mĂȘmes et que personne ne connaĂźt. Le ciseau ne doit pas tracer les traits dâune tĂȘte, avant que la renommĂ©e ne lâait fait. Il ne faut pas croire que les lois des Anciens aient permis quâon fasse des mĂ©dailles de personnes qui nâĂ©taient pas dignes. Câest ta honte, ĂŽ siĂšcle, de tolĂ©rer que des tailleurs et des bouchers apparaissent vivants en peinture5. » Cette idĂ©e dâune vulgarisation du portrait se retrouve dans nombre dâĂ©crits du xvie siĂšcle. On ne devrait reprĂ©senter que les exempla virtutis, ou les grands de ce monde, parce que seuls ils ont droit Ă la mĂ©moire publique. 6 de Piles R., Cours de peinture par principes, Paris, Ă©d. J. Thuillier, 1989, p. 132. 7 Sorel Charles, La Description de lâĂźle de Portraiture et de la ville des portraits, Paris, 1659, p ... 38De la dignitĂ© du sujet dĂ©pend son traitement, qui oscille entre lâimitare, qui a le sens de donner lâimage de quelque chose, avec une certaine libertĂ© et le ritrarre donner une copie littĂ©rale de quelque chose. Pour le thĂ©oricien Roger de Piles, la stricte fidĂ©litĂ© aux traits du modĂšle nâest requise que pour les grands de ce monde Pour les hĂ©ros et pour ceux qui tiennent quelque rang dans le monde, ou qui se font distinguer par leurs dignitĂ©s, par leurs vertus ou par leurs grandes qualitĂ©s, on ne saurait apporter trop dâexactitude dans lâimitation de leur visage, soit que les parties sây rencontrent belles, ou bien quâelles y soient dĂ©fectueuses » car ces sortes de portraits sont des marques authentiques qui doivent ĂȘtre consacrĂ©es Ă la postĂ©ritĂ©, et dans cette vue tout est prĂ©cieux dans les portraits, si tout y est fidĂšle6. » Cette nĂ©cessitĂ© de rendre fidĂšlement le modĂšle vertueux, lâĂȘtre de haut rang sâexplique par les spĂ©culations physiognomoniques, trĂšs en vogue au xviie siĂšcle. En fait, la pratique conduit souvent Ă lâinverse il faut donner au personnage les traits convenant Ă sa fonction et Ă sa dignitĂ©. Il faut que le paraĂźtre corresponde Ă lâĂȘtre social, il faut donner Ă chaque personnage lâattitude, les vĂȘtements, les attributs de sa âqualitĂ©â, câest-Ă -dire sa position dans la sociĂ©tĂ© » E. Pommier. DĂ©jĂ LĂ©onard de Vinci prĂ©conisait que le roi soit barbu, plein de gravitĂ© dans lâair et les vĂȘtements [âŠ]. Les gens de basse condition doivent ĂȘtre mal parĂ©s, en dĂ©sordre et mĂ©prisables [âŠ] avec des gestes vulgaires et tapageurs ». Dans sa Description de lâĂźle de portraiture 1659 Charles Sorel se moque lui aussi du succĂšs du portrait, de ces modĂšles qui veulent apparaĂźtre dans des vĂȘtements trĂšs magnifiques, et la plupart ne se souci[ant] point sâils Ă©taient conformes Ă leur naturel et Ă leur condition7 ». Analysant le Portrait dâOmer II Talon Washington, National Gallery peint en 1649 par Philippe de Champaigne, Lorenzo Pericolo remarque quâen tant qu' avocat gĂ©nĂ©ral au parlement de Paris, le modĂšle usurpe » en quelque sorte une posture et un dĂ©cor typique dâun roi ou dâun aristocrate ». 8 Pour reprendre le titre de lâouvrage de G. Sadoul, Jacques Callot miroir de son temps, Paris, 19 ... 39E. Pommier montre au long de son livre combien il est difficile dâapprĂ©cier le rĂ©alisme » dâun portrait. Lâart, comme le langage, est dâabord un systĂšme de signes qui demandent interprĂ©tation. Il faut donc se mĂ©fier de la tentation de voir dans les romans, les gravures ou les peintures un miroir de leur temps8 ». Ils correspondent aux attentes de la clientĂšle. Le cas des portraits de paysans des Le Nain est intĂ©ressant parce que nous voyons des paysans reprĂ©sentĂ©s avec une grande fidĂ©litĂ© apparente des traits, et en mĂȘme temps une grande dignitĂ©. Dans la peinture hollandaise, on trouve souvent des intĂ©rieurs paysans, comme celui peint par Adriaen Van Ostade vers 1635 Munich, Bayerische StaatsgemĂ€ldesammlungen. On y voit des hommes et des femmes boire et fumer. Mais les physionomies sont viles, bouffonnes, tout Ă fait conformes aux prĂ©ceptes de LĂ©onard. Les acheteurs dâune telle toile ne sont Ă©videmment pas du mĂȘme milieu et peuvent ainsi apprĂ©cier la distance qui les sĂ©pare de ces comportements. Une mise en garde contre les dĂ©bordements des sens nâest pas absente. En effet, dans un milieu modeste, les passions sont censĂ©es sâexprimer plus librement, en tout cas leur reprĂ©sentation ne requiert pas les mĂȘmes contraintes. Adriaen Brouwer, par exemple, illustre les Ă©motions humaines Ă travers ses portraits populaires. 9 Antoine 1588 ?-1648, Louis 1593 ?-1648 et Mathieu 1607-1677. Ils ont un atelier commun et si ... 10 Champfleury, Essai sur la vie et lâĆuvre des Le Nain, Paris, 1850, p. 38. 40A priori rien de tel dans le Repas de paysans 1642, Paris, Louvre ou la Famille de paysans v. 1645-1648, Paris, Louvre des frĂšres Le Nain9. Câest le rĂ©alisme » de la scĂšne qui frappe. Pour Champfleury, qui est Ă lâorigine de la redĂ©couverte de ces peintres, ce sont des historiens » qui apprennent plus sur les mĆurs de leur temps [âŠ] que bien des gros livres10 ». Une critique marxiste sâest emparĂ© de ces peintres populaires », mais il a vite Ă©tĂ© montrĂ© que les trois frĂšres ont fait partie des membres fondateurs de lâAcadĂ©mie et que Mathieu, qui a vĂ©cu plus longtemps, a pu faire une assez belle fortune et a cherchĂ©, aprĂšs lâachat dâune terre prĂšs de Laon, Ă se faire appeler seigneur de la Jumelle. Fait exceptionnel pour un peintre, il a Ă©tĂ© fait chevalier du Saint-Michel pour ses services dans la milice de Paris, mais il nâa pu faire preuve de sa noblesse. Pourtant, il a Ă©tĂ© vite remarquĂ© que les paysans reprĂ©sentĂ©s Ă©taient bien habillĂ©s, possĂ©daient des verres, etc. Beaucoup dâhistoriens ont continuĂ© Ă vouloir y voir des documents transparents, des fenĂȘtres ouvertes sur le monde paysan des environs de Laon au xviie siĂšcle. Ansi, Neil McGregor voit dans les paysans des Le Nain lâillustration dâun dĂ©veloppement historique ». Pour lui, les acheteurs de ces tableaux sont des membres de la bourgeoisie qui achĂštent alors des terres autour de leurs villes natales et les mettent en valeur eux-mĂȘmes ou les confie Ă un fermier. Ils auraient plaisir Ă avoir des portraits de leurs paysans, envers lesquels ils seraient animĂ©s dâune bienveillance patriarcale. La dignitĂ© des attitudes et la noblesse des traits des personnages nous Ă©loignent du dĂ©dain et du rire de Van Ostade. Toutefois, il est difficile de croire Ă un tĂ©moignage naturaliste sur la condition paysanne. Pierre Goubert et JoĂ«l Cornette, aprĂšs dâautres, ont remarquĂ© les Ă©chos eucharistiques du Repas de paysans, qui reprĂ©sente sans doute une visite de charitĂ©, telles quâelles Ă©taient organisĂ©es vers 1640 par des institutions comme la compagnie du Saint-Sacrement. On peut alors songer Ă certains bodegones de VĂ©lasquez, mĂȘme sâils ne procĂšdent pas de la mĂȘme filiation picturale. Ce genre nĂ© Ă SĂ©ville et Ă TolĂšde, qui mĂȘle la nature morte et la scĂšne de genre est un des rares genres profanes de la peinture espagnole. On y voit des gens du peuple se livrer Ă des activitĂ©s trĂšs quotidiennes notamment autour de la prĂ©paration et de la consommation du repas. Pourtant, il nâest pas si profane que cela. La mĂ©ditation religieuse est quelquefois explicite comme dans Le Christ chez Marthe et Marie 1618, Londres, National Gallery, oĂč lâon voit une jeune femme cuisiner, tandis quâune vieille femme semble lui montrer une image au statut assez compliquĂ© est-ce une scĂšne vue Ă travers une fenĂȘtre, est-ce un tableau ? reprĂ©sentant la scĂšne Ă©vangĂ©lique qui donne son nom au tableau. LâinterprĂ©tation complĂšte est difficile, mais il sâagit sans doute dâune mĂ©ditation sur la vie active et la vie contemplative, Ă laquelle se joint peut-ĂȘtre la remarque de ThĂ©rĂšse dâAvila, selon laquelle le chemin du Christ passe par les ustensiles de cuisine⊠Le portrait dâhommes et de femmes humbles convient particuliĂšrement aux vertus Ă©vangĂ©liques de pauvretĂ© et de simplicitĂ©. 41Cela nâenlĂšve rien au caractĂšre trĂšs convaincant de la reprĂ©sentation, mais le peintre, qui construit savamment ces scĂšnes dans son atelier, ne cherche pas Ă faire un reportage sur une famille paysanne. Il cherche certainement la vraisemblance, mais ce respect du rĂ©el est empreint dâune religiositĂ© profonde, et conditionnĂ© par la plus ou moins subtile mĂ©ditation quâil veut offrir Ă lâamateur. Les stĂ©rĂ©otypes sociaux dans la littĂ©rature espagnole du SiĂšcle dâor 11 FernĂĄndez Alvarez M., La Sociedad española en el Siglo de Oro, Madrid, 1983. 42La littĂ©rature du SiĂšcle dâor espagnol reflĂšte, souvent avec des caractĂšres sombres, toute une sĂ©rie de stĂ©rĂ©otypes sociaux. LâĂ©chantillon le plus complet dâun monde oĂč pullulent les dĂ©shĂ©ritĂ©s mendiants et pauvres honteux, soldats en guenilles, Ă©tudiants dissolus, hidalgos de haute lignĂ©e Ă la maigre fortune, prostituĂ©es⊠et dans lequel se distingue la figure du picaro, personnage qui donna lieu Ă lâun des genres littĂ©raires les plus en vogue dans lâEspagne du xviie siĂšcle11. Lâintention satirique des auteurs de ce genre les conduisit Ă confronter la vie du picaro Ă celle des puissants maĂźtres quâils servaient seigneurs et ecclĂ©siastiques de toutes conditions principalement dont les dĂ©fauts et lâhypocrisie sont mis en relief par ces antihĂ©ros. Le picaro devient ainsi le personnage antagonique du chevalier vertueux et honorable que le roman de chevalerie avait consacrĂ©. Personnage de basse extraction sociale, abandonnĂ© par la fortune, et qui survit dans le monde de la pĂšgre grĂące Ă son habiletĂ© dans la tromperie et lâescroquerie. Etranger Ă tout code de conduite honorable, il atteint ses objectifs grĂące Ă sa ruse mais sans recourir Ă la violence. Il aspire par-dessus tout Ă amĂ©liorer sa condition sociale, bien quâil Ă©choue constamment dans ses tentatives, reflĂ©tant ainsi lâimpermĂ©abilitĂ© sociale qui caractĂ©risa lâEspagne du moment. 12 Maravall J. A., La literatura picaresca desde la historia social, Madrid, 1986. 43Bien que la figure du picaro soit dĂ©jĂ prĂ©sente avec la plupart des traits qui le dĂ©finissent dans le Lazarillo de Tormes 1554, son plus haut niveau littĂ©raire est obtenu par Mateo AlemĂĄn avec son GuzmĂĄn de Alfarache 1599. Au xviie siĂšcle, QuĂ©vĂ©do consacre cette figure satirique dans sa Vida del BuscĂłn llamado don Pablos 1603 ?, et il existe toute une plĂ©iade de romans durant la premiĂšre moitiĂ© du xviie siĂšcle avec une perspective burlesque de mĂȘme nature, dans lesquels on voit dĂ©filer des personnages, masculins et fĂ©minins, qui rĂ©pondent Ă ces caractĂ©ristiques, comme El GuitĂłn Onofre Gregorio GonzĂĄlez, 1604, La pĂcara Justina Francisco LĂłpez de Ubeda, 1605, La Ingeniosa Elena, fille supposĂ©e de La CĂ©lestine Alonso JerĂłnimo de Salas Barbadillo, 1612 et 1614, le Lazarillo del Manzanares Juan CortĂ©s de Tolosa, 1620, Gregorio Guadaña Antonio EnrĂquez GĂłmez, 1644 ou Estebanillo GonzĂĄlez Gabriel de Vega, 1646. Quelques autres personnages de romans qui ne cadrent pas complĂštement avec ce genre littĂ©raire partagent Ă©galement nombre de ses caractĂ©ristiques, comme en tĂ©moignent Rinconete y Cortadillo de CervantĂšs 1613, ou El Diablo Cojuelo de LuĂs VĂ©lez de Guevara 1641. Si le picaro est un personnage qui sâĂ©panouit principalement en milieu urbain, le chevalier le fait en milieu rural ; câest ainsi que le reprĂ©sente Alonso JerĂłnimo Salas Barbadillo dans son Caballero perfecto 1620 et dans son antithĂšse El Caballero puntual 161612. 13 Maravall J. A., Teatro y literatura en la Sociedad Barroca, Barcelona, 1990. 44Face au caractĂšre satirique et critique du roman picaresque, le théùtre, dâaprĂšs Maravall, tenta de maintenir en vigueur un systĂšme de pouvoir préétabli et, par consĂ©quent, la stratification et la hiĂ©rarchie des groupes sociaux13. Ă travers le théùtre de Lope de Vega, CalderĂłn de la Barca, ou de Tirso de Molina, les espagnols assumĂšrent un systĂšme de conventions » qui soutenait un ordre social dans lequel les autoritĂ©s politique et religieuse Roi et Inquisition garantissaient sa validitĂ©. Ainsi, dans une Ă©poque de crise, comme celle que connut lâEspagne au cours du xviie siĂšcle, le théùtre fut lâun des piliers sur lesquels reposa la campagne de renforcement de la sociĂ©tĂ© seigneuriale. Les conflits sociaux seront la thĂ©matique fondamentale des piĂšces de théùtre, le dĂ©sir dâascension sociale Ă©tant prĂ©sentĂ© de façon rĂ©currente, bien que les personnages vertueux coĂŻncident toujours avec ceux qui acceptent de bonne grĂące leur statut. Le théùtre privilĂ©gia une sĂ©rie de valeurs traditionnelles comme lâhonneur, la puretĂ© de sang, la foi, la richesse â spĂ©cialement celle du laboureur â lâamour pur⊠en faisant ressortir Ă©galement la diffĂ©renciation bipolaire de la sociĂ©tĂ© entre riches et pauvres, nobles et vilains, seigneurs et serviteurs, oisifs et travailleurs, et parvenant Ă identifier richesse avec noblesse. Lâarbitrisme 14 NDT Le substantif arbitrismo » nâest pas inclus dans le Diccionario de la Real Academia. Seuls ... 15 Vilar J., Literatura y EconomĂa. La figura satĂrica del arbitrista en el Siglo de Oro, Madrid, 197 ... 45En Espagne, la sociĂ©tĂ© fut Ă©galement lâobjet dâune rĂ©flexion par un courant de pensĂ©e que lâon nomme lâarbitrismo » lâarbitrisme14. Est considĂ©rĂ© arbitrista » lâindividu qui propose des plans et des projets arbitrios, insensĂ©s ou rĂ©alisables, pour soulager les Finances Publiques ou remĂ©dier Ă des maux politiques. Le caractĂšre majoritairement pĂ©joratif du terme est issu de son origine littĂ©raire, car câest dans ce sens que CervantĂšs lâutilise pour la premiĂšre fois dans son Coloquio de los perros 1613. QuĂ©vĂ©do sâexprima Ă©galement avec une fĂ©rocitĂ© particuliĂšre dans son ouvrage La hora de todos o la fortuna con seso 163515. 16 NDT terme employĂ© ici pour dĂ©clin ou dĂ©cadence. 17 GarcĂa CĂĄrcel R., Las culturas del Siglo de Oro, Madrid, 1998. 46Dans lâhistoriographie actuelle, on entend par arbitrismo » ce courant de pensĂ©e politique et Ă©conomique qui, Ă©mergeant au temps de Philippe II, trouve son groupe le plus fourni de reprĂ©sentants dans la Castille des deux premiers tiers du xviie siĂšcle. La majeure partie de ces Ă©rudits se virent encouragĂ©s Ă adresser leurs arbitrios » solutions aux principales autoritĂ©s, y compris au Roi, par leur profonde conviction de la dĂ©cadence du Royaume, dont la cause, selon eux, rĂ©sidait dans un ou plusieurs problĂšmes sociaux, Ă©conomiques et financiers qui caractĂ©risĂšrent lâEspagne du SiĂšcle dâor. Parmi ceux-ci on distingue lâaugmentation des prix fruit de lâabondance dâor et dâargent en provenance dâAmĂ©rique, la diminution corrĂ©lative de la compĂ©titivitĂ© des produits espagnols et lâintroduction correspondante de marchandises Ă©trangĂšres qui provoquaient la ruine de lâindustrie nationale, la dĂ©cadence du commerce et lâabandon de lâagriculture et de lâĂ©levage. Les arbitristas » dĂ©noncĂšrent Ă©galement lâappauvrissement progressif de lâĂtat, dont la dĂ©pense publique croissante dĂ©coulant de lâentretien dâune armĂ©e plĂ©thorique, dispersĂ©e sur un vaste territoire Ă©tait compensĂ©e par lâaugmentation des impĂŽts, gangrĂšne financiĂšre dont le reflet nâest autre que la ruine de la nation et le dĂ©peuplement. Tout cela, dâaprĂšs de nombreux arbitristas », provoquait lâabandon des activitĂ©s de production et dâinvestissement de la part des Espagnols, tandis que les Ă©trangers devenaient les maĂźtres des ressorts Ă©conomiques du pays. De la mĂȘme façon, ils imputaient Ă lâexcessive circulation monĂ©taire le goĂ»t du luxe et de lâoisivetĂ© dans les classes possĂ©dantes, et la nĂ©gligence qui sâensuivait pour les activitĂ©s productives. La consĂ©quence de tout cela fut la declinaciĂłn16 » de la Nation, terme qui rĂ©sumait parfaitement leur impression de vivre un moment de crise Ă©conomique et sociale17. 47Bien que les termes arbitrio » et arbitrista » aient Ă©tĂ© employĂ©s dans la littĂ©rature du SiĂšcle dâor dans un sens clairement pĂ©joratif, les avis de ces individus Ă©tant jugĂ©s insensĂ©s, il est certain que parmi ceux qui Ă©mirent leur opinion, il y eut de nombreux personnages lucides, intelligents et des professionnels de toutes sortes dâactivitĂ©s, qui surent observer avec acuitĂ© les problĂšmes Ă©conomiques et sociaux de lâEspagne dâalors et prĂ©voir des solutions. Parmi les plus importantes figures de cette Ă©cole de pensĂ©e il y eut le comptable du TrĂ©sor Luis Ortiz, auteur du Memorial al Rey para que no salgan dineros de España 1558 ; lâavocat de la Chancellerie Royale de Valladolid, MartĂn GonzĂĄlez de Cellorigo, continuateur de ce que lâon appela lâEcole de Salamanque » et auteur du Memorial de la polĂtica necesaria y Ăștil restauraciĂłn a la repĂșblica de España 1600 ; le mĂ©decin CristĂłbal PĂ©rez de Herrera, rĂ©dacteur dâun mĂ©moire dans lequel Ă©taient abordĂ©es⊠de nombreuses choses touchant au bien, Ă la propriĂ©tĂ©, Ă la richesse, Ă la futilitĂ© de ce royaume et au rĂ©tablissement des gens » 1610 ; le professeur en Ăcritures SacrĂ©es, Sancho de Moncada, dont les Discursos 1619 seraient rééditĂ©s en 1746 sous le titre RestauraciĂłn polĂtica de España ; le chanoine et consultant du Saint-Office, Pedro FernĂĄndez de Navarrete, qui Ă©crivit le livre intitulĂ© ConservaciĂłn de MonarquĂas 1626 ; Miguel Caxa de Leruela, du Conseil de Castille et Visiteur GĂ©nĂ©ral du Royaume de Naples, dont lâĆuvre la plus connue sâintitulait RestauraciĂłn de la abundancia de España 1631 ; ou le procurateur des galĂ©riens Francisco MartĂnez de Mata, auteur de cĂ©lĂšbres Memoriales et Discursos 1650-1660.Lessolutions pour la dĂ©finition MODE DE VIE DES ARTISTES EN MARGE DE LA SOCIĂTĂ pour des mots croisĂ©s ou mots flĂ©chĂ©s, ainsi que des synonymes existants. Accueil âąAjouter une dĂ©finition âąDictionnaire âąCODYCROSS âąContact âąAnagramme Mode de vie des artistes en marge de la sociĂ©tĂ© â Solutions pour Mots flĂ©chĂ©s et mots croisĂ©s.
Texte de Mathieu Saujot, chercheur Ă lâIDDRI, Sarah Thiriot, sociologue Ă lâAdemeEn 2020, Bon Pote prĂ©sentait les 12 excuses de lâinaction climatique et les maniĂšres dây rĂ©pondre, sur la base dâun article scientifique qui a depuis touchĂ© une forte audience. Dans ce travail, 12 discours de dĂ©lai, qui acceptent la rĂ©alitĂ© du changement climatique mais justifient lâinaction ou des actions inadĂ©quates », Ă©taient identifiĂ©s et analysĂ©s. Parmi les diffĂ©rents types dâactions Ă mener pour faire face au changement climatique, la question des modes de vie plus durables nous semble ĂȘtre particuliĂšrement sujette Ă ce type de discours. Les rĂ©actions au concept de sobriĂ©tĂ© en sont un bon exemple. Celui-ci apparaĂźt souvent comme un tabou qui peut ĂȘtre soit Ă©cartĂ© soit diluĂ© en jouant sur la confusion avec lâefficacitĂ© ou encore neutralisĂ© en renvoyant vers la dĂ©croissance. On se trouve donc dans une situation oĂč de plus en plus de dĂ©clarations politiques reconnaissent la nĂ©cessitĂ© de faire Ă©voluer nos modes de vie, mais oĂč des obstacles se prĂ©sentent dĂšs que lâon aborde concrĂštement les changements Ă mettre en Ćuvre. Prendre en compte ces prĂ©occupations et savoir y rĂ©pondre Faire ce travail dâidentification des arguments de rĂ©sistance au changement et des rĂ©ponses possibles Ă apporter nâest pas seulement un enjeu de communication politique il rĂ©vĂšle des Ă©lĂ©ments sur ce que reprĂ©sente changer les modes de vie et ce quâil faut mettre en Ćuvre collectivement pour que cela devienne possible, acceptable, auteurs de lâarticle sur les 12 discours dâinaction climatique soulignent que ces derniers sâappuient sur les prĂ©occupations et les craintes lĂ©gitimes ⊠Nous soutenons quâils deviennent des arguments dilatoires lorsquâils dĂ©forment plutĂŽt que de clarifier, soulĂšvent lâadversitĂ© plutĂŽt que le consensus ou laissent entendre que prendre des mesures est un dĂ©fi impossible. ».Nous cherchons donc Ă rĂ©pondre Ă ces arguments afin de progresser dans notre capacitĂ© Ă rendre possibles ces changements de modes de vie. Pour cela il nous paraĂźt essentiel dâĂ©clairer et orienter le dĂ©bat avec les acquis et connaissances des sciences humaines et sociales. 1. Ces changements ne sont pas acceptablesCet argument dĂ©crĂ©dibilise une action climatique qui passerait par des changements de modes de vie en considĂ©rant quâils ne seraient pas acceptables par la population. On pense gĂ©nĂ©ralement ici Ă changer sa mobilitĂ©, son chauffage, ses pratiques de consommation et alimentaire, sa maniĂšre de faire du tourisme, dâutiliser le numĂ©rique⊠â RĂ©ponses possibles âInverser la charge de la preuve Cet argument comme dâautres fonctionne car il Ă©vacue la situation actuelle et reporte totalement la charge de la preuve sur le projet de transition. Dire que ces changements ne sont pas acceptables fait passer implicitement lâidĂ©e que nos modes de vie actuels ne posent pas de question, et que seule la transition pose problĂšme. Or câest bien Ă©videmment faux. Nos modes de vie sont dĂ©jĂ associĂ©s Ă des choses qui, lorsquâelles sont identifiĂ©es et dĂ©noncĂ©es notamment par des ONG, suscitent des dĂ©bats dans la sociĂ©tĂ©. Pensons par exemple Ă lâimpact de ce que rĂ©vĂšlent des associations comme L214 sur ce quâimpliquent concrĂštement pour le bien-ĂȘtre des animaux nos pratiques alimentaires actuelles, reposant sur la large disponibilitĂ© de produits animaux peu coĂ»teux. Pensons Ă©galement aux manquements de lâindustrie textile en termes de droit social, par exemple avec lâeffondrement dâune usine en 2013 Ă Dacca, causant plus de 1000 morts parmi les ouvriers et ouvriĂšres. Cet Ă©vĂ©nement a Ă©tĂ© associĂ© Ă la pression quâexerce sur la main dâĆuvre le besoin de produire Ă faible coĂ»t dans une logique de fast fashion, ce qui renvoie in fine Ă nos pratiques vestimentaires. Et au quotidien, nos maniĂšres de nous dĂ©placer, fortement dĂ©pendantes de la voiture thermique, impliquent un haut niveau de pollution de lâair dans les mĂ©tropoles, au dĂ©triment de la santĂ© de leurs dĂ©plorer les impacts nĂ©gatifs de nos modes de vie actuels nâĂ©quivaut pas Ă rendre acceptable tout changement futur. Mais cela doit permettre dâouvrir la discussion sur une base Ă©quitable nos modes de vie actuels ont leurs qualitĂ©s comme leurs dĂ©fauts, ils posent Ă©galement des enjeux moraux et Ă©thiques quâil convient de mettre Ă jour. Cet examen rééquilibrĂ© incite Ă penser le changement. Les dĂ©bats quâil peut susciter au sein de la sociĂ©tĂ© sont certainement une voie de progrĂšs. Nos prĂ©fĂ©rences sont mallĂ©ables Quâest ce qui est inacceptable ? Le rĂ©sultat ou les moyens ? Nous faisons souvent face Ă cette question est-ce que la sobriĂ©tĂ© est acceptable ? Comme si on pouvait rĂ©pondre de but en blanc face Ă un concept qui nâa rien dâĂ©vident. Prenons un exemple si par un bon matin pluvieux, tout dâun coup, vous tendez un vĂ©lo Ă votre voisin automobiliste invĂ©tĂ©rĂ© pour rĂ©aliser les 5 kilomĂštres qui le sĂ©parent de son travail, il y a effectivement de fortes chances quâil trouve cela inacceptable. Si ce mĂȘme moment arrive aprĂšs 6 mois oĂč se sont succĂ©dĂ©s lâinauguration dâune nouvelle voie verte dans son village pĂ©riurbain, le test dâun vĂ©lo Ă©lectrique Ă son travail, un rendez-vous avec son mĂ©decin lâalertant sur sa trop grande sĂ©dentaritĂ©, une discussion avec ses enfants qui utilisent leur vĂ©lo sur leur lieu dâĂ©tude⊠et lâachat dâun bon impermĂ©able ! ; alors la rĂ©ponse sera certainement cette variation ? Tout simplement car nos prĂ©fĂ©rences, nos reprĂ©sentations de ce qui est possible, positif, dĂ©sirable sont mallĂ©ables, comme cela a Ă©tĂ© rappelĂ© dans le rĂ©cent rapport du GIEC[1]. Ces Ă©volutions peuvent ĂȘtre stimulĂ©es par un ensemble de leviers dans les mains des dĂ©cideurs politiques, des dĂ©cideurs privĂ©s et des citoyens. Pour le vĂ©lo par exemple, le schĂ©ma ci-dessous et le dossier complet sur Bon Pote permettent dâidentifier lâensemble de ces travail menĂ© par lâAdeme autour de la prospective âTransitions2050â pour mettre en discussion ces choix de sociĂ©tĂ© auprĂšs dâune trentaine de Français et Françaises est Ă©galement riche dâenseignements. Dâabord, il montre que lâon ne peut poser cette question de lâacceptabilitĂ© sans rendre concrets et prĂ©hensibles plusieurs futurs possibles. Il montre Ă©galement que les scĂ©narios activant davantage la sobriĂ©tĂ© ne sont pas moins acceptables que les scĂ©narios qui parient sur dâimportants dĂ©ploiements technologiques pour prĂ©server nos modes de consommation changer nos modes de vie, de consommation, de dĂ©placement nâest pas sans poser de question, mais les faire perdurer au prix de technologies lourdes soulĂšve Ă©galement tout un ensemble dâincertitudes aux yeux des citoyens. Cela rejoint lâidĂ©e dâaller au-delĂ du terme dâacceptabilitĂ© pour mieux comprendre ce qui se joue derriĂšre ce terme la dĂ©sirabilitĂ© des scĂ©narios, leur faisabilitĂ© et enfin les conditions de rĂ©alisation nĂ©cessaires Ă leur mise en Ces changements sont socialement injustes Cet argument sâinscrit dans la logique des critiques contre une Ă©cologie dite âpunitiveâ. Elle sâappuie sur une forme de simplification la transition se ferait par principe au dĂ©triment des plus vulnĂ©rables, et notamment quand on cherche Ă rĂ©orienter les comportements et les modes de vie. Lâexemple de la taxe carbone, rĂ©el voir ces travaux qui montrent lâimpact inĂ©galitaire et notre article sur la question, permet alors de disqualifier lâensemble du projet de transition. â RĂ©ponses possibles âDes inĂ©galitĂ©s bien rĂ©elles⊠mais le plus souvent indĂ©pendantes de la transition Encore une fois, cet argument a tendance implicitement Ă rejeter sur les porteurs de la transition les inĂ©galitĂ©s et problĂšmes sociaux actuels. La crise des Gilets jaunes, qui a notamment mis en exergue la dĂ©pendance Ă la voiture et la vulnĂ©rabilitĂ© aux prix du carburant problĂšme identifiĂ© par la recherche dĂšs les annĂ©es 2000-2010, avant que la taxe carbone ne soit mise en place, le mal-logement et la lutte contre les passoires Ă©nergĂ©tiques voir le collectif RĂ©novons, et lâalimentation avec les enjeux de prĂ©caritĂ© et dâinsĂ©curitĂ© alimentaire qui touchent des millions de voir le rĂ©cent rapport de 7 sur la question montrent que nos sociĂ©tĂ©s sont dĂ©jĂ tiraillĂ©es par des inĂ©galitĂ©s et des souffrances sociales. Le premier vecteur dâinĂ©galitĂ©s nâest pas la transition, mais bien les politiques actuelles et ce que les politiques passĂ©es ont créé. Dans ce contexte, sâil est important de sâinterroger sur les potentiels impacts nĂ©gatifs de la transition, celle-ci peut aussi ĂȘtre vue comme une source de solutions. De fait, , les travaux de recherche sur les modes de vie durables et les propositions associĂ©es adoptent de plus en plus une approche mettant au cĆur de leur rĂ©flexion les enjeux de justice sociale, dâĂ©quitĂ© et dâĂ©galitĂ©. Ils partent du principe quâil faut sâassurer des besoins de base pour tous avec les concepts de social floor », de basic needs », de social threshold », qui dessineraient un cadre vecteur de progrĂšs pour les plus modestes. Ces travaux pointent Ă©galement que les efforts les plus importants seront certainement du cĂŽtĂ© de ceux qui aujourdâhui ont les revenus les plus Ă©levĂ©s et de facto consomment plus et Ă©mettent plus. Le cas de lâavion est emblĂ©matique car une minoritĂ© de la population reprĂ©sente la majoritĂ© des vols, ce qui fait quâune mesure comme une taxe qui croĂźt avec la frĂ©quence de vol impacterait avant tout les plus aisĂ©s. Pour un bon rĂ©sumĂ© de ce que dit la recherche sur la question de lâĂ©quitĂ© dans la transition des modes de vie, voir cet nouveaux cadres dâactions publiques Ă construire Penser la transition de maniĂšre Ă ce quâelle nâimpacte pas les plus vulnĂ©rables et quâelle soit au contraire un progrĂšs social est Ă©videmment essentiel et peut aussi ĂȘtre explorĂ© au niveau sectoriel. Concernant lâagriculture et lâalimentation, il faut Ă la fois penser les Ă©volutions des filiĂšres, le revenu des agriculteurs et les mĂ©nages les plus contraints, ce qui implique dâanticiper les politiques publiques nĂ©cessaires. Sur cet exemple, des solutions existent et peuvent ĂȘtre mises en place. Ce nâest donc pas un dĂ©fi philosophies dâaction pour assurer lâaccessibilitĂ© Ă©conomique dâune alimentation saine et durable. Blog IDDRIAu-delĂ des idĂ©es reçuesIl est Ă©galement crucial dâaller au-delĂ des idĂ©es reçues entourant ces questions dâinĂ©galitĂ©s. Par exemple, contrairement Ă une vision oĂč lâalimentation durable serait lâapanage de publics aisĂ©s et diplĂŽmĂ©s, on observe que les publics modestes expriment un intĂ©rĂȘt pour une alimentation saine, de qualitĂ© et durable et ne sont pas absents des tendances de consommation, comme celle du bio. Lâenjeu crucial se situe donc davantage dans le besoin dâinclusion et de cohĂ©sion dans la façon de concevoir, prĂ©senter et mener le projet de transition, ce qui peut prendre des formes trĂšs concrĂštes notamment au niveau local voir par exemple le projet Territoires Ă vivres » . Enfin, encore une fois, il faut faire attention au deux poids, deux mesures » personne, par exemple, ne sâest alarmĂ© du potentiel surcoĂ»t impliquĂ© pour les mĂ©nages modestes par le dĂ©veloppement rapide de la 5G, alors que la tĂ©lĂ©phonie mobile est aujourdâhui un prĂ©requis pour ĂȘtre inclus dans la vie sociale, Ă©conomique, professionnelle pour tout un chacun, y compris pour les plus contraints financiĂšrement. Câest parce que nous sommes habituĂ©s Ă cette course Ă lâinnovation, parce que les changements de nos modes de vie liĂ©s au numĂ©rique ont Ă©tĂ© incitĂ©s et dĂ©ployĂ©s par une multitude dâactions des acteurs publics et privĂ©s voir La numĂ©risation du monde, F. Flipo, 2021 que cette dynamique du numĂ©rique ne pose pas de problĂšmes dâinĂ©galitĂ©s sont cruciaux et de nombreux travaux cherchent Ă les rĂ©soudre dans le cadre de la transition, cette question ne peut se rĂ©sumer Ă lâidĂ©e dâune âĂ©cologie punitiveâ, clivage que les français sont prĂȘts Ă Cela menace nos libertĂ©sLes mesures Ă©cologistes vont restreindre nos capacitĂ©s Ă consommer, Ă nous dĂ©placer. Ce sont des intrusions inacceptables dans notre vie privĂ©e. On retrouve ici les termes de Khmer verts, de dictature Ă©cologiqueâŠâ RĂ©ponses possibles âLibres⊠dans un cadre trĂšs contraintCommençons par un paradoxe tout le monde est libre mais tout le monde fait la mĂȘme chose ! ». Dit autrement, nos vies sont largement rĂ©gies par des cadres qui organisent et structurent fortement nos vies infrastructures, offres de produits et de services, organisation du temps, normes sociales et imaginaires, rĂ©glementations⊠Câest dâailleurs ce qui explique quâil y a une importante rĂ©gularitĂ© de nos modes de vie on parle ainsi de mode de vie occidental, français ou pĂ©riurbain par exemple. Cela ne veut pas dire que chacun ne trouve pas un peu de marge de manĆuvre pour dĂ©velopper son propre style de vie, mais cela se traduit dans un cadre partagĂ© prĂ©pondĂ©rant, qui relativise lâidĂ©e dâune totale libertĂ© de nos modes de plus, la libertĂ© considĂ©rĂ©e dans ces discours est avant tout celle de consommer, or ce nâest quâune de nos libertĂ©s. Ăvidemment les dĂ©bats soulevĂ©s par la crise sanitaire et les mesures impactant nos libertĂ©s, comme ceux concernant la libertĂ© de la presse dans un contexte de concentration Ă©conomique ce qui a motivĂ© une commission dâenquĂȘte du SĂ©nat, plaident pour avoir une vue dâensemble sur la prĂ©servation de nos libertĂ©s. Pensons notamment au travail de François Sureau sur nos libertĂ©s publiques. Voir ici lâensemble des dessins reprĂ©sentant les 12 discours de lâinaction climatiquePar ailleurs, notre libertĂ© de consommer elle-mĂȘme est bridĂ©e par lâoffre existante aujourdâhui personne nâest libre dâacheter une voiture low cost sans Ă©lectronique, elle nâest tout simplement pas produite ; on ne peut pas non plus se passer des outils numĂ©riques ; et faire rĂ©parer les objets de son quotidien nâest pas toujours possible. Elle est aussi orientĂ©e par la publicitĂ©, qui nous enferme dans des stĂ©rĂ©otypes et des reprĂ©sentations datĂ©es et nous dĂ©peint un imaginaire que nous ne sommes en moyenne pas en capacitĂ© dâacheter. Quâil sâagisse du marronnier des âsports dâhiverâ, largement couverts par les journaux tĂ©lĂ©visĂ©s alors mĂȘme que seuls 10% de la population les pratiquent, de lâidĂ©al de la maison individuelle ou de lâachat dâune voiture neuve⊠Quelles sont les marges de manĆuvre et les libertĂ©s des Françaises et Français, et notamment ceux ayant des revenus modestes, pour se conformer aux reprĂ©sentations vĂ©hiculĂ©es dans la publicitĂ© et les mĂ©dias ? Changer ces reprĂ©sentations de maniĂšre cohĂ©rente avec les crises environnementales est un enjeu essentiel et cette Ă©volution nâimplique pas forcĂ©ment une perte de libertĂ© voir par exemple le rĂ©cent rapport EPE. Et rappelons que la publicitĂ© dispose de moyens trĂšs importants, bien supĂ©rieurs Ă ceux des politiques publiques dont on questionne pourtant lâaspect liberticide. En 2014 par exemple, le budget de communication publique sur la nutrition et la santĂ© sâĂ©levait Ă 4 millions dâeuros quand lâinvestissement du secteur de lâalimentation dans les mĂ©dias atteignait 2,4 milliards dâeuros, qui plus est fortement orientĂ©s vers la publicitĂ© des aliments pauvres, nutritivement dĂ©conseillĂ©s par ce programme. Dans le secteur automobile, au niveau mondial, câest plus de 35 Md$ qui sont dĂ©pensĂ©s en publicitĂ©, dont 5 Md$ au total pour la France, lâAllemagne et la le dire de maniĂšre directe aujourdâhui personne nâest libre dâavoir une vie sobre car appartenir Ă la sociĂ©tĂ© nĂ©cessite la consommation de certains biens et services indispensables communiquer, se dĂ©placer⊠et car lâorganisation qui produit ces biens et services nâest pas nos histoires collectivesLâĂ©volution de nos normes sociales relativise Ă©galement en partie ce questionnement sur notre libertĂ© de dĂ©sirer et de choisir. Les normes sociales actuelles, fruits de lâhistoire et de conventions, sont autant un ciment de notre vie collective que des contraintes sur nos pratiques quotidiennes ex. âun bon repas de famille doit inclure de la viandeâ ; âune personne respectable ne se dĂ©place pas en vĂ©loâ. On peut de ce fait voir la transition vers de nouveaux modes de vie comme une redĂ©finition collective de ce qui est dĂ©sirable et positif[2], chose que lâhumanitĂ© fait en permanence, de maniĂšre plus ou moins explicite. Comme Y. N. Harari lâexplique, le propre de lâhumanitĂ© est de croire collectivement dans les histoires quâelle se raconte, et ces histoires le fait de concĂ©der, Ă lâEtat et Ă nos concitoyens, une part de nos libertĂ©s dans le cadre dâun contrat social est le ciment de nos vies collectives. Câest dâailleurs un des rĂ©sultats de lâenquĂȘte ADEME sur les modes de vie menĂ©e dans la prospective âTransitions 2050â les citoyens interrogĂ©s perçoivent bien lâenjeu de la rĂ©duction de la libertĂ© de consommer. Mais, pour eux, la consommation nâest pas la pratique cardinale derriĂšre lâidĂ©e de libertĂ©. In fine, ce qui compte le plus Ă leurs yeux relĂšve de lâorganisation de la vie sociale, tout particuliĂšrement de la prise en charge des inĂ©galitĂ©s et de la capacitĂ© Ă influer sur son futur ou celui de son territoire. La transition Ă©cologique rĂ©actualise le besoin de se poser ces questions que sommes-nous prĂȘts Ă donner et Ă recevoir, en termes de droits et de devoirs, dans le cadre dâun nouveau contrat social nous permettant de rester dans les limites de la planĂšte ? Et que deviendraient nos libertĂ©s dans un monde frappĂ© par un lourd changement climatique ?4. La puissance publique nâest pas lĂ©gitime pour agir sur nos modes de vieSelon cet argument, la puissance publique sortirait de son rĂŽle en cherchant Ă transformer nos modes de vie pour la transition. Cela irait Ă lâencontre de lâidĂ©e dâun individu libre et responsable. Dans un contexte Ă©conomique mondialisĂ©, marquĂ© par des discours sur la rĂ©gulation par le marchĂ© lui-mĂȘme, lâaction de la puissance publique Ă©tatique serait Ă©galement inadaptĂ©e. â RĂ©ponses possibles âUn rĂŽle lĂ©gitime de chef dâorchestre de la vie collectiveCet argument peut constituer un obstacle ou une excuse Ă lâinaction pour les dĂ©cideurs politiques. Prenons lâexemple de lâagriculture Ă©tant donnĂ© que la puissance publique nâest pas lĂ©gitime pour agir sur la demande de viande ou nâen est pas capable, une politique de rĂ©duction de la production de viande ne serait pas souhaitable car elle conduirait Ă renforcer des importations moins disantes sur le plan environnemental la demande restant fixe. Cet argument, qui dĂ©lĂ©gitime lâaction sur la demande, devient bloquant pour mettre en Ćuvre lâĂ©volution de lâ la section prĂ©cĂ©dente âCela menace nos libertĂ©sâ, nous expliquions que les cadres collectifs sont prĂ©pondĂ©rants pour organiser nos modes de vie. La puissance publique, et en particulier lâĂtat, nâest pas le seul acteur Ă agir sur ce cadre de rĂ©fĂ©rence, qui est mĂ» par lâensemble des acteurs de la vie sociale entreprises, mĂ©dias â sociaux ou non â, mouvements citoyens, artistes, acteurs financiers, etc. Mais elle y joue un rĂŽle particulier, celui de chef dâorchestre, en tant que garante de lâintĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral et du vivre ensemble ». Ainsi, une politique publique par dĂ©finition vient encadrer les pratiques ou les modes de vie afin de permettre Ă un groupe dâindividus de vivre la puissance publique est lĂ©gitime Ă agir sur les modes de vie, la question de son pĂ©rimĂštre dâintervention est un objet constant de dĂ©bat dans les sociĂ©tĂ©s dĂ©mocratiques, et ne doit pas ĂȘtre interrogĂ©e de façon hors sol », mais contextualisĂ©e ce quâon va considĂ©rer comme Ă©tant une action publique lĂ©gitime dĂ©pend des convictions et des valeurs de chaque citoyen, mais aussi des principes au nom desquels lâĂtat justifie son intervention dans tel ou tel champ et des modalitĂ©s dâaction quelles politiques publiques sont mises en Ćuvre. DĂ©battre des façons dâagirCe sont donc autant les fins que les moyens qui peuvent ĂȘtre objets de discussion. Le tableau ci-dessous rĂ©pertorie 8 philosophies pour agir sur les modes de vie, auxquelles sont associĂ©es une diversitĂ© de parti pris idĂ©ologiques, qui se traduiront ensuite dans les politiques mises en Ćuvre. Cela nous semble ĂȘtre une base utile pour dĂ©battre dĂ©mocratiquement des moyens de mise en Ćuvre de la transition. Par exemple, pour un mĂȘme enjeu par ex. la mobilitĂ©, les citoyens pourraient considĂ©rer quâagir par la taxe carbone est moins acceptable quâagir par la rĂ©glementation. Le dĂ©bat dĂ©mocratique, comme lâa illustrĂ© la Convention Citoyenne pour le Climat, est alors utile pour identifier les moyens dâactions qui paraissent lĂ©gitimes et dans les exemples historiquesUn retour historique est Ă©galement utile pour battre en brĂšche cette idĂ©e F. Trentmann dans sa magistrale histoire de la consommation montre que lâhistoire regorge dâexemples dâintervention de lâEtat sur nos modes de consommation, que ce soit dans lâalimentation, nos pratiques dâĂ©pargne ex. incitation trĂšs forte Ă lâĂ©pargne au Japon pendant le dĂ©veloppement post 2Ăšme guerre mondiale, notre mobilité⊠Aux Ătats-Unis par exemple, aprĂšs la Seconde Guerre mondiale, lâĂtat doit Ă©couler les surplus de son agriculture ; il dĂ©veloppe alors lâidĂ©e dâun bon repas pour tous les enfants, en tant que service public dĂ©livrĂ© Ă lâĂ©cole, et affecte ainsi directement des millions dâ de Nixon au pouvoir sonne la fin de ce dispositif la mesure est transformĂ©e en une seule aide aux plus pauvres, puis privatisĂ©e ; on sâĂ©loigne alors de lâidĂ©e dâun repas sain, et les fruits et lĂ©gumes sont progressivement remplacĂ©s par produits plus gras, plus sucrĂ©s, prĂ©parant ainsi des gĂ©nĂ©rations de consommateurs Ă ces pratiques alimentaires. Pour lâhistorien, lâĂtat ne peut tout simplement pas dire je ne peux rien faire, le consommateur est souverain ».5. Il faut sauvegarder nos modes de vie actuelsCe discours renvoie Ă lâidĂ©e selon laquelle nos modes de vie actuels seraient les plus progressistes et dĂ©veloppĂ©s qui soient. Il renvoie largement Ă une reprĂ©sentation qui perçoit le dĂ©veloppement de notre sociĂ©tĂ© comme une trajectoire linĂ©aire, Ă©vidente, oĂč dĂ©veloppement Ă©conomique et social sont intimement liĂ©s au progrĂšs technique. Ainsi on va retrouver dans certains scĂ©narios lâidĂ©e que le fort dĂ©veloppement des solutions technologiques pour atteindre la neutralitĂ© carbone permettra de sauvegarder les modes de vie du dĂ©but du XXIĂšme siĂšcle. Cet argument repose implicitement sur lâidĂ©e que nous serions Ă une sorte dâĂąge dâor de nos modes de vie, et quâils mĂ©riteraient donc dâĂȘtre prĂ©servĂ©s.â RĂ©ponses possibles âSerions-nous Ă un Ăąge dâor des modes de vie ? Chacun, selon sa gĂ©nĂ©ration, a sa propre nostalgie dâune Ă©poque et dâun mode de vie en particulier, ce qui nâempĂȘche pas que les modes de vie Ă©voluent en permanence. LâĂ©volution rĂ©cente la plus marquante est Ă©videmment la place que le numĂ©rique a pris dans notre vie quotidienne et dans lâorganisation de la sociĂ©tĂ©. Communiquer, sâinformer, se divertir, consommer, sâĂ©duquer⊠ont Ă©voluĂ© sur un laps de temps court. Aurions-nous dĂ» sauvegarder nos modes de vie dâavant le numĂ©rique ?Le fait de figer ainsi la sociĂ©tĂ© dans ses modes de vie actuels conduit Ă tout faire reposer sur les changements technologiques et la transformation de lâĂ©conomie pour atteindre la neutralitĂ© carbone. Ce raisonnement ignore donc le fait, bien Ă©tabli notamment par la sociologie des techniques, que lâĂ©volution des technologies conduit inĂ©vitablement Ă des changements de mode de vie la technique et le social Ă©tant interdĂ©pendants, ce sont des coĂ©volutions. Pensons Ă la façon dont 70 ans de dĂ©veloppement automobile ont façonnĂ© nos territoires, notre rapport Ă lâespace ex. je vis dans un espace pĂ©riurbain Ă©tendu connectĂ© par les infrastructures automobiles et au temps ex. âcâest Ă combien de tempsâ, sous-entendu âen voitureâ.Cela est aussi vrai avec lâĂ©volution de nos systĂšmes Ă©conomiques nouveaux emplois, organisation du travail, place de lâĂtat et du marché⊠par exemple, la rĂ©volution industrielle a conduit Ă lâĂ©mergence dâune population ouvriĂšre nombreuse dans les villes, la transformation progressive du monde agricole chute du nombre de paysan, concentration des parcelles et une Ă©volution forte des paysages remembrement.Sur la pĂ©riode 1980-2000, la mondialisation et la numĂ©risation de lâĂ©conomie ont entraĂźnĂ© une tertiarisation de lâĂ©conomie française et une polarisation du marchĂ© du travail multiplication des formes dâemplois, une mĂ©tropolisation du territoire français et des pratiques de dĂ©placement accentuĂ©es dans les modes de vie valorisĂ©s avion, tgv, voyage dans une capitale europĂ©enne sur le week-endâŠ.6. Nos modes de vie ne peuvent pas changerA ce discours de sauvegarde de nos modes de vie actuels peut sâajouter celui qui veut que changer nos modes de vie est idĂ©aliste, voire tout bonnement impossible » cet argument joue sur un implicite frĂ©quent, lâimpression de fixitĂ© de nos modes de vie. â RĂ©ponses possibles âPourtant lâhistoire rĂ©cente regorge de changements de modes de vie, prenons simplement quelques exemples. Certains de ces changements sont le fait de dĂ©cisions politiques Une circulaire du 8 aoĂ»t 1956, signĂ©e du ministre de lâEducation nationale, relative aux boissons de table servies dans les internats et cantines scolaires», interdit la distribution dâalcool Ă la cantine pour les enfants, une pratique jusquâalors assez frĂ©quente. A la place, la consommation quotidienne de lait est expĂ©rimentĂ©e pour ses vertus nutritionnelles. Quand on connaĂźt, aujourdâhui, lâimportance de lâenfance et de lâĂ©ducation dans la formation des habitudes alimentaires, ce type de mesure a inĂ©vitablement eu des effets de long loi du 13 juillet 1965 les femmes mariĂ©es peuvent occuper un emploi sans lâautorisation de leur Ă©poux et ouvrir un compte en banque en leur nom propre. Cela aura des implications majeures sur la fĂ©minisation de lâemploi[3], et in fine sur les modes de changements sont liĂ©s Ă de nouvelles offres, qui rentrent dans nos pratiques de consommationLe dĂ©ploiement du smartphone, comme illustrĂ© par les courbes ci-dessous, modifiera profondĂ©ment et rapidement nos façons de communiquer, de nous informer, de champ de lâalimentation verra aussi les pratiques Ă©voluer au fur et Ă mesure de la commercialisation de nouveaux produits et de changement dans les rythmes quotidiens la consommation de plats prĂ©parĂ©s a par exemple Ă©tĂ© multipliĂ© par 3 en 30 ans[4] dĂ©notant un changement dans notre rapport Ă la prĂ©paration des repas et Ă la changements sont plus systĂ©miques et sont la rĂ©sultante de nombreux autres changements dans la 1980 et 2008, les distances quotidiennes parcourues par les Français ont Ă©tĂ© multipliĂ©es par 1,5[5]. Et la taille de nos grandes aires urbaines par entre 2000 et 2010[6]. Câest donc le cadre territorial et temporel concret des modes de vie quotidiens qui a fortement Ă©voluĂ© lors de ces derniĂšres dĂ©cennies. Ces illustrations visent simplement Ă montrer la diversitĂ© des changements qui sâexercent en permanence sur nos modes de vie, pour une diversitĂ© de raisons et dans une diversitĂ© de directions. Bien dâautres encore pourraient ĂȘtre mobilisĂ©es. Cela nâest pas une preuve que nos modes de vie peuvent Ă©voluer assez vite pour faire face aux crises environnementales, mais câest le signe que des rĂ©inventions sont toujours en cours et que la transition peut sâappuyer sur ces on sait que les changements sociaux ne sont pas totalement linĂ©aires il existe des points de bascule voir lâarticle Bon Pote qui peuvent accĂ©lĂ©rer les changements, comme rappelĂ© par le rĂ©cent rapport du GIEC[7]. Par exemple, une fois que la population possĂšde une certaine proportion de smartphone, des effets de rĂ©seaux[8] font que son usage est de plus en plus facile, utile, nĂ©cessaire ce qui va pousser la suite de son La sobriĂ©tĂ© est un choix avant tout âidĂ©ologiqueâCet argument vise Ă discrĂ©diter une approche par la sobriĂ©tĂ© en la prĂ©sentant comme idĂ©ologique associĂ©e Ă des valeurs subjectives et non scientifique lĂ oĂč une approche perçue comme scientifique est issue dâun raisonnement rationnel basĂ© sur des faits. Une illustration est la critique des travaux de lâassociation nĂ©gaWatt leur hypothĂšse de sobriĂ©tĂ© proviendrait de leur opposition âidĂ©ologiqueâ au nuclĂ©aire. Ainsi, dans une situation oĂč lâon produirait moins dâĂ©lectricitĂ©, on serait obligĂ© de se serrer la ceinture » sur nos modes de vie.â RĂ©ponses possibles âUn concept ancienâŠCe concept de sobriĂ©tĂ© a des racines anciennes, pouvant ĂȘtre spirituelles, religieuses et philosophiques et a connu une forme de renouveau dans la sociĂ©tĂ© moderne du fait des interrogations sur les impacts de la croissance Ă©conomique Cezard et Mourad, 2019 ; Guillard et Ben Kemoun, 2019. Il renvoie aux idĂ©es de tempĂ©rance, de modĂ©ration, de frugalitĂ©, comme sources de bonheur et dâĂ©mancipation. Quand il sâagit de penser la transition Ă©cologique, il est important dâavoir en tĂȘte que la sobriĂ©tĂ© concerne lâensemble des systĂšmes, des filiĂšres et des organisations et non pas uniquement lâindividu en bout de chaĂźne. Cette acception restrictive de la sobriĂ©tĂ© se rĂ©vĂšle inefficace lâindividu se retrouve alors chargĂ© de mettre en Ćuvre une logique de sobriĂ©tĂ© orthogonale au reste de la sociĂ©tĂ© fondĂ© sur lâabondance comme nous lâavons montrĂ© plus haut imaginaire de la publicitĂ©, organisation des chaines de valeur peu adaptĂ©e Ă lâĂ©mergence dâoffre sobre, modes de production et de recyclage, etc.. En termes concrets, on peut dĂ©finir la sobriĂ©tĂ© Ă©nergĂ©tique comme le fait de rĂ©duire les besoins en Ă©nergie en changeant les pratiques ou les habitudes, en changeant la façon de rendre le service Ă tous les niveaux de la sociĂ©tĂ©. La sobriĂ©tĂ© consiste Ă interroger le besoin ex. combien de m2 de logement par habitant ou de taille de voiture ou de changer la façon de rendre le mĂȘme service ex. augmenter la part de protĂ©ines vĂ©gĂ©tales, changer le mode de transport. LâidĂ©e est, dans la mesure du possible, de chercher Ă rĂ©duire Ă la source le besoin de mobiliser des ressources ou des Ă©quipements techniques. Cette Ă©tape amont est complĂ©mentaire des efforts dâefficacitĂ© Ă©nergĂ©tique, qui cherche elle Ă amĂ©liorer la capacitĂ© des Ă©quipements techniques Ă rendre leur service tout en minimisant leur consommation dâĂ©nergie ex. un moteur de voiture moins consommateur de carburant pour une mĂȘme puissance.âŠde plus en plus mis en avant par la communautĂ© scientifiqueLes analyses scientifiques globales pointent de plus en plus le besoin de sobriĂ©tĂ© le rapport du GIEC soulignait dĂ©jĂ quâagir pour une low demand », en complĂ©ment de lâefficacitĂ© facilitait lâatteinte des objectifs climatiques et lâindĂ©pendance Ă des technologies incertaines de captation du carbone. Et de plus en plus de travaux de prospective cherchent Ă intĂ©grer les changements de modes de UNEP Gap Report de 2020 soulignait Ă©galement ce besoin dâaller vers des modes de vie plus sobres. Le rĂ©cent rapport du GIEC renforce encore ce constat en mettant en avant lâimpact global dâattĂ©nuation que pourraient avoir les actions sur la demande[9].Cette thĂ©matique prend une place croissante dans la recherche le rĂ©seau Enough regroupe les scientifiques europĂ©ens qui travaillent sur ces questions et recense une littĂ©rature de plus en plus abondante sur le sujet, avec notamment beaucoup de travaux rĂ©cents cherchant Ă identifier les conditions dâune bonne vie » la prĂ©servation de lâensemble des bĂ©nĂ©fices sociaux clĂ©s dans les limites de la planĂšte. La sobriĂ©tĂ© fait partie des options privilĂ©giĂ©es pour une raison principale la multiplicitĂ© des crises environnementales climat, biodiversitĂ©, ressources⊠telle que reprĂ©sentĂ©es par le cadre des limites planĂ©taires combinĂ©e Ă la lenteur des progrĂšs actuels fait que lâampleur des changements Ă mettre en Ćuvre est de plus en plus grande et exigeante, nĂ©cessitant de considĂ©rer tous les leviers possibles. Cette figure issue du rĂ©sumĂ© pour dĂ©cideur du rĂ©cent rapport du GIEC dĂ©crit les actions possibles sur la demande, incluant donc des leviers de sobriĂ©tĂ©, et leurs potentielsLa notion de sobriĂ©tĂ© recouvre deux faces, qui ne sont pas contradictoires mais au contraire complĂ©mentaires. Dâune part, ce qui est de lâordre de lâidĂ©ologie, plongeant dans nos racines religieuses et philosophiques, dont lâencyclique Laudato Si est un bon exemple rĂ©cent. Cette approche ne devrait pas ĂȘtre perçue comme un refus du progrĂšs technique mais comme une invitation Ă sâinterroger sur les sources du bien-ĂȘtre humain et de lâĂ©mancipation. Dâautre part, ce qui est de lâordre scientifique et rationnel. Dans cette derniĂšre perspective, il est nĂ©cessaire de rechercher toutes les solutions nĂ©cessaires pour limiter les crises environnementales, la sobriĂ©tĂ© faisant partie de cet Ă©ventail de solutions. Quelques soient les solutions technologiques mobilisĂ©es pour produire de lâĂ©nergie ou se dĂ©placer par exemple, rĂ©duire la demande amont est une stratĂ©gie pertinente pour rĂ©duire les impacts lâidĂ©e derriĂšre la sobriĂ©tĂ© nâest pas aussi marquĂ©e idĂ©ologiquement que certains le prĂ©sentent un article scientifique de psychologie montre quâun discours climatique orientĂ© sur la rĂ©duction du gaspillage fonctionne avec les publics conservateurs et rĂ©sonne avec leurs valeurs. Voyons la sobriĂ©tĂ© comme une politique anti-gaspillage gĂ©nĂ©ralisĂ©e !8. La responsabilitĂ© individuelle devrait ĂȘtre mise en avant Cet argument met en avant la responsabilitĂ© individuelle des consommateurs pour rĂ©orienter leurs comportements et ainsi lâensemble de lâĂ©conomie. Si ces changements sâavĂšrent impossibles, câest Ă cause des contradictions et incohĂ©rences des individus dâun cĂŽtĂ© des sondages et baromĂštres rĂ©vĂšlent leurs prĂ©occupations et leurs aspirations Ă des modes de vie et de consommation plus durables ; mais de lâautre les actes ne suivent pas dans les choix de mobilitĂ©, dâalimentation ou de consommation durable. Cet Ă©tat de fait peut constituer une forme dâexcuse Ă lâinaction pour les dĂ©cideurs publics et privĂ©s, qui se disent incapables dâagir dans ce contexte.â RĂ©ponses possibles âLes baromĂštres successifs menĂ©s par lâAdeme le montrent, les Français sont conscients de la nĂ©cessitĂ© de changements de modes de vie et prĂȘts Ă cela. Dâautres sondages, menĂ©s au niveau international, identifient Ă©galement la volontĂ© dâune partie significative[10] de la population Ă mettre en Ćuvre des changements. Toutefois ces dĂ©clarations dâintention ne se retrouvent pas forcĂ©ment dans les actes. Comme lâobservaient les auteurs dâune Ă©tude du Behavioural Insight Team âtwo-thirds of people want to consume less, and consume more sustainably, and yet most fail to act on this expressed preferenceâ. Certains scientifiques interprĂštent ce dĂ©calage comme un value-action-gapâ et explorent les mĂ©canismes psychologiques individuels associĂ©s. Leurs rĂ©sultats indiquent que la communication Ă lâĂ©gard du public, afin de renforcer la prise de conscience sur les changements liĂ©s Ă la transition, a des limites, car lâintention ne dĂ©clenche pas forcĂ©ment lâaction. Lamb et al. 2020 dĂ©cryptent les risques politiques de ce discours sur lâindividualisme qui rĂ©oriente lâaction climatique des solutions systĂ©miques vers des actions individuelles, comme rĂ©nover sa maison ou conduire une voiture plus efficace ». Pour ces auteurs, le problĂšme est que ce discours rĂ©duit lâespace de solution aux choix de consommation personnels, en occultant le rĂŽle des acteurs et organisations puissants qui façonnent ces choix et gĂ©nĂšrent des Ă©missions de combustibles fossiles ». En orientant les responsabilitĂ©s vers les seuls individus, ce discours risque ainsi de retarder lâaction. Et ce dâautant plus que lâanalyse par la responsabilitĂ© individuelle a des limites et peut avoir des consĂ©quences politiques nĂ©fastes. Les sciences humaines et sociales expliquent bien comment nos modes de vie et de consommation sont dĂ©pendants de schĂ©mas collectifs mes choix dâalimentation ou de mobilitĂ© sont dĂ©pendants des normes sociales de mon groupe qui est ce qui dĂ©sirable, valorisĂ© socialement autour de moi et Ă©galement de lâoffre concrĂšte qui mâest accessible quotidiennement ; mon imaginaire de consommation basĂ© sur lâabondance est nourri par la publicitĂ© et plus largement par lâidĂ©al de progrĂšs au centre de nos sociĂ©tĂ©s. Cet Ă©cart nâest pas irrationnel et ne relĂšve en aucun cas uniquement de biais de raisonnement infrastructure, acteurs privĂ©s et institutionnels qui montrent lâexemple, normes socialesâŠDes actions collectives sont nĂ©cessaires pour combler cet Ă©cart, et le rĂ©cent rapport du GIEC rappelle la responsabilitĂ© des entreprises et des pouvoirs publics dans la mise en Ćuvre des infrastructures indispensables Chapitre 5, WG III. Par ailleurs, les individus ne sont pas que des consommateurs, ce sont des citoyens en attente de solution Ă©quitable et de partage juste des efforts câest ce qui ressort en condition n°1 de changement de mode de vie du baromĂštre Ademe. Câest aussi le travail des 150 citoyens de la Convention Citoyenne qui a justement consistĂ© Ă dĂ©crire un ensemble de politiques publiques, agissant Ă tous les niveaux, permettant de mener une action ambitieuse et acceptable. 9. Cela nous mĂšnera vers la dĂ©croissance et câest la fin de la prospĂ©ritĂ©Cet argument consiste Ă dire que mĂȘme si les changements de modes de vie vers la sobriĂ©tĂ© Ă©taient possibles, ils ne seraient pas souhaitables, voire dangereux, du fait de lâimpact nĂ©gatif sur la croissance Ă©conomique et donc sur notre prospĂ©ritĂ©. Moins consommer et moins produire, câest automatiquement moins de ressources Ă©conomiques pour financer nos systĂšmes sociaux et notre prospĂ©ritĂ©. On trouve le reflet de cet argument dans les injonctions contradictoires que reçoivent les individus. Par exemple, Ă lâĂ©loge de la sobriĂ©tĂ© lors du 1er confinement a succĂ©dĂ© dĂšs la rentrĂ©e un appel Ă consommer lâĂ©pargne mise de cĂŽtĂ© pour relancer lâĂ©conomie, car celle-ci repose en effet en partie sur la consommation des mĂ©nages. Câest bien en pensant conjointement les changements de modes de vie et les cadres politiques et Ă©conomiques de nos sociĂ©tĂ©s que lâon peut rĂ©ellement mener la transition. â RĂ©ponses possibles âCette controverse est majeure et Ă©videmment trĂšs vaste et il nâest pas question de tenter de la trancher ici mais essayons de montrer Ă minima que cela ne devrait pas ĂȘtre un Ă©lĂ©ment bloquant Ă la mise en place de la transition des modes de de quoi ? ProspĂ©ritĂ© pour qui ? La premiĂšre question concerne Ă©videmment la nature de ce qui doit dĂ©croitre et les implications sur la prospĂ©ritĂ©. Depuis lâimportant ouvrage de T. Jackson, ProspĂ©ritĂ© sans croissance », de nombreux travaux scientifiques ont explorĂ© la possibilitĂ© de rĂ©duire la consommation de ressources matĂ©rielles et Ă©nergĂ©tiques tout en conservant de bonnes conditions de vie et de bien-ĂȘtre. Deux principes expliquent cette possibilitĂ© 1 au-delĂ dâun certain seuil, la consommation nâapporte plus ou peu de bien-ĂȘtre supplĂ©mentaire et câest notamment le cas dans les pays dĂ©veloppĂ©s idĂ©e de rendement dĂ©croissant ou de saturation du besoin ; 2 ce qui apporte du bien-ĂȘtre ce sont les services rendus un service de mobilitĂ©, un service dâalimentation et non les ressources directement, or il est possible de rendre les mĂȘmes services avec plus de sobriĂ©tĂ© et dâefficacitĂ© et donc moins de ressources naturelles prĂ©levĂ©es. Le rĂ©cent rapport du Giec, en sâappuyant sur tous ces travaux scientifiques, estime donc que les actions sur la demande et donc nos modes de vie et de consommation sont cohĂ©rentes avec le fait dâamĂ©liorer le bien-ĂȘtre de base pour tous âDemand side mitigation response options are consistent with improving basic wellbeing for all.high confidenceâ SPM Ce rapport indique Ă©galement que les politiques de sobriĂ©tĂ© sont un ensemble de mesures et de pratiques quotidiennes qui permettent dâĂ©viter de la demande pour lâĂ©nergie, les matĂ©riaux, le sol et lâeau tout en dĂ©livrant du bien-ĂȘtre humain pour tous dans les limites de la planĂšte. Il semble donc exister un espace des possibles combinant dĂ©croissance de la consommation dâĂ©nergie et de ressources naturelles et prospĂ©ritĂ©, quâil reste Ă©videmment Ă explorer et Ă la croissance Ă©conomique alors ? Rappelons que le PIB, sâil est la boussole de nos politiques, nâest pas lâindicateur le plus adĂ©quat pour comprendre la rĂ©partition des richesses, le dĂ©veloppement ou le bien-ĂȘtre humain. Il sâagit lĂ dâun consensus bien Ă©tabli dans les sciences humaines et sociales. Cela implique dâune part de se prĂ©occuper davantage du contenu rĂ©el de la croissance Ă©conomique, comme la rĂ©cente analyse des scĂ©narios Transitions 2050 de lâADEME le souligne. Dâautre part, de plus en plus de travaux sâintĂ©ressent au bien-ĂȘtre ou Ă dâautres indicateurs alternatifs de prospĂ©ritĂ© dans leurs analyses des limites planĂ©taires voir par exemple la âdoughnut economyâ de K. Raworth. Dans le mĂȘme temps, cela nâĂ©vacue pas totalement la question de la croissance Ă©conomique car comme le notait avec malice T. Jackson 2017 âin an economy that is founded on growth, growth is essential for stabilityâ mĂȘme si elle nâest pas lâalpha et lâomega de notre prospĂ©ritĂ©, la croissance Ă©conomique est un pilier des sociĂ©tĂ©s que nous avons construit autour dâelle. Cela conduit ainsi Ă la question de la capacitĂ© des pays dĂ©veloppĂ©s Ă dĂ©coupler », câest-Ă -dire Ă concilier une baisse forte de leurs Ă©missions et consommations de ressources naturelles avec une croissance de leur activitĂ© Ă©conomique mesurĂ©e par le PIB. Aujourdâhui il est trĂšs incertain quâun dĂ©couplage Ă un rythme suffisant pour rester dans les limites de la planĂšte soit suffisant, ce qui questionne le narratif de la croissance verte » voir lâanalyse dĂ©taillĂ©e des conclusions du GIEC de T. Parrique. Dans le mĂȘme temps, de nombreux acteurs travaillent pour identifier comment obtenir les fruits de la croissance Ă©conomique stabilitĂ© sociale, rĂ©silience sociale, emploi sans que la croissance en tant que telle continue dâĂȘtre une boussole de lâaction publique voir ce rĂ©cit de Zoe Institute.Que faire ? Accepter les incertitudes sur le futur de la croissance Ă©conomique et agir dĂšs aujourdâhui. Il est important dâavoir en tĂȘte quâindĂ©pendamment des changements pour faire face Ă la crise environnementale, il y a des incertitudes sur la croissance Ă©conomique future et il faut de toute façon nous y prĂ©parer, notamment pour prĂ©server notre systĂšme social. Cela passe par davantage dâarbitrages politiques dans le partage des fruits de notre activitĂ© Ă©conomique. LâĂ©change entre S. Hallegate et J. Hickel, le premier un tenant de la croissance verte et le second un dĂ©fenseur de la dĂ©croissance entendue comme âa planned reduction of aggregate resource and energy use in high-income nations designed to bring the economy back into balance with the living world in a safe, just and equitable wayâ, est Ă©galement riche dâenseignements sur les diffĂ©rentes positions dans ce dĂ©bat et permet de montrer les points de dĂ©saccords mais aussi les points dâaccords sur lesquels sâappuyer pour agir dĂšs Ă prĂ©sent pour mener la transition, sans devoir attendre dâavoir totalement tranchĂ© ces dĂ©bats en partie thĂ©oriques. La rĂ©flexion par secteur peut aussi ĂȘtre trĂšs utile pour comprendre comment les choses peuvent Ă©voluer. Par exemple, dans le domaine de lâagriculture et de lâalimentation, la dĂ©croissance en quantitĂ© nâimplique pas forcĂ©ment une baisse en valeur globale la logique moins mais mieux » cherche par exemple Ă mettre en avant lâidĂ©e de consommer moins de viande mais mieux produite et donc plus Les solutions technologiques vont rĂ©soudre les crises environnementales Cet argument consiste tout simplement Ă Ă©carter le besoin de faire Ă©voluer nos modes de vie sur la base dâun optimisme technologique ». Cette idĂ©e reçue a trois variations, quâil est important dâidentifier celle qui voudrait que les enjeux Ă©nergĂ©tiques et environnementaux soient uniquement des sujets techniques, ce qui implique quâils nâauraient pas Ă ĂȘtre dĂ©battus collectivement ; celle qui survalorise la place de la technique comme levier pour rĂ©soudre les dĂ©fis Ă©cologiques considĂ©rant quâil est inutile, voire idĂ©ologique de questionner les transformations de nos modes de vie actuels ; celle qui sous-entend que lâinnovation technique est forcĂ©ment consensuelle, bĂ©nĂ©fique, et ne soulĂšve pas de controverses, a lâinverse dâautres leviers de transition de la sociĂ©tĂ©.â RĂ©ponses possibles âUn changement technique ne va pas sans changement social ! Câest un biais trĂšs courant de penser que lâun et lâautre sont sĂ©parĂ©s, mais il nâexiste pas de changement technique sans changement social. De nombreux travaux en sciences humaines et sociales ont dĂ©crit comment changements techniques et changements sociaux allaient de pair. Une chercheuse comme E. Shove a par exemple traitĂ© de ces liens de dĂ©pendances dans de nombreux travaux et sur de nombreux domaines. Prenons simplement lâexemple de lâautomobile le dĂ©veloppement technique des vĂ©hicules et des infrastructures est allĂ© de pair Ă des changements dans les territoires de vie accessibilitĂ© de zone pĂ©riurbaines et lâamĂ©nagement de nos villes, la façon de consommer dĂ©veloppement des centres commerciaux et la façon dâhabiter maison individuelle, la reprĂ©sentation de la vitesse et du temps cette ville est Ă 20 min » sous-entendu de voiture mais aussi de ce qui est confortable et dĂ©sirable⊠La prospective âTransitions 2050â, menĂ©e par lâADEME autour des quatre scĂ©narios montre que quelque soit le chemin adoptĂ©, lâobjectif de neutralitĂ© carbone implique autant des changements techniques que sociaux de grande ampleur que ce soit Ă court comme Ă moyen terme. Le paradoxe de lâefficacitĂ© Ă©nergĂ©tiqueDiffĂ©rents travaux montrent que les gains dâefficacitĂ© Ă©nergĂ©tique ne conduisent pas nĂ©cessairement Ă une rĂ©duction de la consommation dâĂ©nergie. Câest le cas des travaux historiques de Jevons sur lâusage du charbon au 19° siĂšcle il observe que plus lâon consomme de charbon, plus on est efficace dans son usage, ce qui permet de rĂ©duire sa consommation pour un processus en particulier⊠et dâen dĂ©multiplier les usages et donc dâen consommer de plus en plus ! Plus rĂ©cemment, diffĂ©rentes dĂ©monstrations montrent que les gains dâefficacitĂ© Ă©nergĂ©tique sans questionnement sur nos pratiques et nos besoins induisent un surcroĂźt de consommation dâĂ©nergie. Dans le secteur du numĂ©rique, la dynamique technologique a procurĂ© dâimportants gains dâefficacitĂ© Ă©nergĂ©tique Ă chaque nouvelle gĂ©nĂ©ration dâĂ©quipements numĂ©riques et dans le traitement des donnĂ©es, câest-Ă -dire quâil Ă©tait possible de faire plus de choses avec la mĂȘme consommation dâĂ©nergie. NĂ©anmoins, les usages ont aussi explosĂ© en parallĂšle, que lâefficacitĂ© Ă©nergĂ©tique seule ne permet pas de compenser. Autre exemple dans le bĂątiment les travaux dâefficacitĂ© Ă©nergĂ©tique comme lâisolation et lâinstallation de systĂšme de chauffage performant nâimpliquent pas toujours la baisse de consommation escomptĂ©e. Les sommes Ă©conomisĂ©es peuvent en effet ĂȘtre rĂ©investies, dans une tempĂ©rature de chauffage supĂ©rieure ou dans dâautres Ă©quipements permettant de rĂ©pondre aux canons du confort domestique. Dans lâautomobile, les gains dâefficacitĂ© des moteurs sâaccompagnent dâune croissance de la taille et du poids des vĂ©hicules. On peut retrouver dâautres formes dâeffets rebonds dans la consommation de biens et services le fait de davantage mobiliser le marchĂ© de lâoccasion pour revendre ses objets peut doper la consommation de produits lâanalyse de B. Keller les gains trĂšs Ă©levĂ©s dâefficacitĂ© Ă©nergĂ©tique des datas centers nâont pas permis de rĂ©duire la consommation totale qui reste constante, courbe verte mais de compenser la multiplication par plus de 10 des trafics. Source maĂźtriser ces effets rebond, il est nĂ©cessaire de se questionner, collectivement, sur nos besoins afin de rĂ©duire nos consommations matĂ©rielles et Ă©nergĂ©tiques, rĂ©flexion qui ne relĂšve pas du champ technique mais bien du champ dĂ©mocratique. Sans cette rĂ©flexion sur nos besoins, et leur modĂ©ration, qui sâapparente Ă une dynamique de sobriĂ©tĂ©, il est probable que des effets rebond multiples nous feront perdre du temps au regard des dĂ©fis incertitudes quant aux solutions techniques par la communautĂ© scientifique et par les citoyensEnsuite, on trouve des incertitudes Ă lâĂ©gard des solutions techniques elles sont Ă©mises tant par les scientifiques eux mĂȘme que par les citoyensDu cĂŽtĂ© des scientifiques dâabord, certaines promesses techniques aujourdâhui promues font lâobjet de controverses sur leur capacitĂ© Ă rĂ©duire de façon effective les Ă©missions carbone. JusquâoĂč pourrons-nous utiliser les technologies de carbon dioxide removal » sans impacter nĂ©gativement dâautres dimensions environnementales ex. impact sur les sols et la biodiversitĂ© quand cela repose sur lâusage de biomasse et sans autres impacts nĂ©gatifs voir le tableau des risques et impacts p96 du Technical Summary du GIEC ? La communautĂ© scientifique Ă©met Ă©galement des doutes sur la capacitĂ© Ă rĂ©soudre les enjeux environnementaux associĂ©s aux modĂšles agro-alimentaires climat, biodiversitĂ©, pollution des eaux et des sols en se fondant uniquement sur des Ă©volutions dâordre techniques changer les pratiques alimentaires semble indispensable pour rĂ©duire la pression planĂ©taire sur la biosphĂšre voir par exemple le travail de la commission Eat the Lancet ou le scĂ©nario TYFA. Du cĂŽtĂ© des citoyens Ă©galement, la rĂ©cente Ă©tude pilotĂ©e par lâADEME autour des 4 scĂ©narios prospectifs âTransitions2050â montre que les scĂ©narios les plus technophiles soulĂšvent diffĂ©rentes inquiĂ©tudes de la part des citoyens. Par exemple, dans le scĂ©nario dans lequel le numĂ©rique et lâintelligence des objets serviraient Ă rĂ©guler nos consommations, les citoyens Ă©mettent des craintes sur la gouvernance des donnĂ©es et sur la marchandisation qui en serait faite. Sur le sujet environnemental, les citoyens mettent Ă©galement en doute la capacitĂ© des innovations techniques seules pour rĂ©soudre les enjeux climatiques, soulĂšvent des risques de âfuite en avantâ, de greenwashing. Il leur semble nĂ©cessaire de sortir de ces promesses techniques pour questionner tant leurs besoins que les valeurs souhaitables Ă mettre au cĆur de la sociĂ©tĂ©, pour refonder un nouveau contrat social.c41Oi3.